B. UNE ÉVALUATION À L'AIDE DU MODÈLE MIMOSA DES INCIDENCES DES CHANGEMENTS DE PARITÉ EN EUROPE.

Il s'agit ici d'évaluer rétrospectivement, sur la période 1992-1995, à l'aide du modèle multinational MIMOSA, l'incidence sur la période 1992-1995 des changements de parités en Europe.

L'intérêt d'un exercice de cette nature est aussi évident que sa complexité.

L'intérêt de cette variante est tout d'abord d'évaluer, d'un point de vue quantitatif, ce qui, dans les évolutions décrites ci-dessus, peut être imputable aux modifications des taux de change. Cet exercice illustre également, à l'aide d'un instrument dont la caractéristique est de décrire des évolutions cohérentes entre elles, le lien entre les évolutions constatées et les explications généralement suggérées. Il permet ainsi de décrire comment le contexte macroéconomique qui a entouré ces dévaluations peut expliquer les « surprises » des dévaluations de 1992-1994 et, en particulier, le fait que l'inflation a été plus faible que prévu.

La complexité de l'exercice réside dans la nécessité de construire un scénario « fictif »- afin de le comparer au scénario « réel » - dans lequel les parités seraient restées fixes en Europe entre 1992 et 1995. Or, ceci suppose d'apporter des réponses à de nombreuses questions : quelle aurait été l'évolution des taux d'intérêt, en l'absence de dévaluation ? Quelle aurait été la politique budgétaire des pays qui ont dévalué en l'absence de dévaluation ? Quel aurait été le comportement salarial dans ces pays ? Comment aurait évolué la politique monétaire allemande ?

Les réponses à ces questions déterminent les principales hypothèses de l'exercice présentées ci-dessous.

1. Principales hypothèses de la simulation


• Une première question concerne l'évolution des t aux d'intérêt dans les pays qui ont connu une dévaluation.

Ainsi le Royaume-Uni et la Finlande ont-ils connu à la suite de la dévaluation de leur monnaie une forte baisse de la prime de risque sur les taux à court terme par rapport à l'Allemagne (- 4 points pour le Royaume-Uni en 1993 et -4 points pour la Finlande en 1994). En Italie, au contraire, la prime de risque augmente sensiblement dès 1992 (+ 2 points), de manière moindre par la suite.

L'exercice retient l'hypothèse qu'en l'absence de dévaluation, les primes de risque vis-à-vis du mark seraient restées dans ces pays à leur niveau de 1991.


• Une deuxième hypothèse a trait à l'orientation de la politique monétaire allemande . Les dévaluations se sont traduites par moins d'inflation et de croissance en Allemagne, en raison de la diminution du prix des importations en provenance des pays qui ont dévalué. On peut donc imaginer que les dévaluations ont entraîné un assouplissement de la politique monétaire allemande. L'hypothèse retenue ici est que dans un scénario « sans dévaluations », les taux d'intérêt allemands auraient été plus élevés. Pour simuler cette hausse des taux d'intérêt, la variante applique les règles habituelles des simulations réalisées à l'aide du modèle MIMOSA : le taux court augmente de 1,5 point si l'inflation est plus élevée de 1 point, et de 0,5 point si le niveau du PIB est supérieur de 1 %.

Sous ces conditions, on estime qu'en l'absence de dévaluation, les taux courts allemands auraient été supérieurs de 0,7 point en moyenne de 1992 à 1995, et les taux longs de 1 point .


• Les politiques budgétaires qui ont accompagné la dévaluation ont nettement divergé en Italie et au Royaume-Uni.

L'Italie a pris, après la dévaluation, des mesures restrictives (Plan Amato). Le Royaume-Uni a, au contraire, à la suite du flottement de la livre, soutenu la reprise par une politique budgétaire expansionniste.

Les hypothèses retenues dans la variante en matière d'orientation des politiques budgétaires en l'absence de dévaluation sont les suivantes : le déficit budgétaire en Italie aurait été supérieur de 0,9 point de PIB chaque année, de 1992 à 1995 ; au contraire, au Royaume-Uni, le déficit budgétaire aurait été inférieur de 1 point de PIB en 1993 et de 0,5 point de PIB en 1994.


• L'évolution des salaires en Italie et au Royaume-Uni a été beaucoup moins vive que ce que décrivent spontanément les équations du modèle MIMOSA. L'hypothèse retenue ici, est que ce comportement salarial, inexplicable par le modèle, est imputable à la dévaluation , et qu'en conséquence, en l'absence de dévaluation, l'évolution des salaires aurait été aussi rapide que ce que décrit le modèle.


• L'emploi a évolué en Italie et en Europe du Sud de manière moins favorable que ce que décrit le modèle. Il en va de même pour l'investissement au Royaume-Uni et surtout en Italie (où il a chuté de 19 % en 1993).

La variante retient l'hypothèse que ces comportements anormaux en matière d'emploi et d'investissement peuvent s'expliquer par l'attentisme et l'instabilité consécutifs aux dévaluations.

2. Principaux résultats de la simulation

Les résultats de la simulation sont ainsi obtenus en comparant le scénario sans changements de parités réalisé à l'aide du modèle aux évolutions constatées. Les principaux résultats de cet exercice sont présentés dans le tableau ci-dessous.

Évaluation des conséquences macroéconomiques
des dépréciations monétaires en Europe (1992-1995)

Principaux résultais
(Écarts en niveau par rapport à un scénario sans dévaluation en Europe)


• Les dépréciations monétaires auraient eu globalement un effet expansionniste sur l'économie européenne (l'analyse de la Commission européenne sur ce sujet, résumée dans l'encadré ci-dessous, donne cependant des résultats opposés).

L'impact des fluctuations monétaires sur le marché intérieur

(Résumé de la Communication de la Commission au Conseil Européen)

La communication de la Commission au Conseil Européen sur l'impact des fluctuations monétaires en Europe depuis 1992 met en évidence plusieurs phénomènes :

- un ralentissement de la croissance , de l'ordre d e 0,25 à 0,5 % du PIB , imputable à l'incertitude et à l'attentisme que les turbulences monétaires ont suscités chez les agents économiques ;

- un effet variable sur la compétitivité-coût : parmi les pays dont la monnaie s'est dépréciée, certains ont connu une amélioration de leur compétitivité-coût (c'est le cas de l'Italie - l'amélioration est de l'ordre de 24 % par rapport à la moyenne européenne entre 1987 et 1995 -, de l'Irlande, de la Suède), d'autres une dégradation (l'Espagne), d'autres une stabilité (le Royaume-Uni). Parmi les pays dont la monnaie s'est appréciée, l'Allemagne connaît une dégradation sensible de sa compétitivité-coût - - 20 % par rapport à la moyenne européenne entre 1987 et 1995 - et la France une relativité stabilité ;

- un effet secondaire sur les soldes commerciaux : la Commission considère que l'évolution des soldes commerciaux semble moins influencée par les fluctuations monétaires que par des facteurs structurels ou par la différence du rythme de croissance entre les pays membres ;

- un effet important sur les comportements de marge : si les dévaluations ont eu des effets macroéconomiques limités, ceci est imputable selon la Commission aux comportements de marge des exportateurs : dans les pays dont la monnaie s'est dépréciée, ceux-ci ont mis à profit la dévaluation pour augmenter leurs marges bénéficiaires et donc, leur prix en monnaie nationale ; un phénomène inverse s'est produit dans les pays dont la monnaie s'est appréciée (contraction des marges) ;

- un impact plus sensible aux niveaux sectoriel et régional : certains secteurs semblent néanmoins touchés par l'impact des fluctuations monétaires : dans l'automobile ou l'habillement, les pays à monnaie stable connaissent une érosion des marges et une diminution des exportations en volume. Certaines régions frontalières connaissent également des difficultés.

Sur la base de ce constat, la commission invite les États-membres à s'attaquer aux causes des fluctuations monétaires plutôt qu'à leurs effets.

Elle considère ainsi que les perturbations monétaires ont globalement un impact négatif sur l'économie européenne en raison de l'incertitude qu'elles génèrent sur les opérateurs économiques, laquelle freine les investissements et ralentit la croissance. Ainsi la réponse à ces difficultés se trouve-t-elle dans un renforcement de la convergence des économies européennes, préalable à la mise en oeuvre de la monnaie unique , « complément indispensable » du Marché unique.

Dans ces conditions, vouloir corriger les effets des fluctuations monétaires pour les secteurs et les régions les plus touchés « risquerait d'aggraver les problèmes ». La Commission recommande donc de ne pas modifier les règles et les mécanismes communautaires en vigueur en matière d'interventions régionales.

Les pays qui ont dévalué ont ainsi bénéficié d'un surcroît de compétitivité, donc d'un regain d'activité.

L'effet est sensible en Italie où la dépréciation de la lire a été considérable : le niveau du PIB en 1995 est supérieur de 3,2 % à ce qu'il aurait été en l'absence de dévaluation. L'effet de relance dû à l'amélioration de la compétitivité est toutefois modéré par la rigueur budgétaire et la diminution de l'investissement des entreprises.

L'effet de relance est plus faible au Royaume-Uni (il équivaut à 1 point de PIB en 1995). La dépréciation de la livre et, par conséquent, l'effet compétitivité y sont moindres, mais la politique budgétaire contribue à stimuler l'activité.

Les pays dont le taux de change s'apprécie (France et Allemagne en particulier) perdent certes en compétitivité, mais profitent de la baisse des taux d'intérêt allemands suscitée par les dépréciations monétaires. La perte d'activité pour la France est ainsi limitée à l'équivalent de 0,3 % du PIB en 1995.

L'ensemble de l'Union européenne bénéficie à la fois de la dépréciation moyenne de ses monnaies par rapport au dollar ou au yen, et de l'impact de la baisse moyenne des taux d'intérêt, en raison du rôle directeur joué par les taux allemands. Au total, le niveau du PIB en Europe est supérieur de 0,4 % en 1995 alors que pour les États-Unis, les pertes de compétitivité entraîneraient une contraction du PIB de l'ordre de 0,8 % en 1995


• L'inflation augmente dans les pays qui dévaluent en raison de la hausse du prix des importations et du surcroît d'activité. L'inflation est en moyenne annuelle accrue du fait de la dévaluation de 1,5 point en Italie de 1992 à 1995, et de 0,8 point au Royaume-Uni. L'augmentation des prix est cependant limitée par la modération des comportements salariaux et, en Italie, par la forte augmentation de la productivité.

Selon le modèle, l'accélération de l'inflation imputable à la dévaluation serait néanmoins sensible en 1995 : + 3 points en Italie, + 1,4 point au Royaume-Uni. Ces résultats semblent toutefois très exagérés si on les compare aux évolutions actuellement observées : entre 1994 et 1995, l'inflation devrait passer de 3,9 % à 5,5 % en Italie, et de 1,7 % à 2,6 % au Royaume-Uni.

Ainsi, malgré la prise en compte d'hypothèses de forte modération salariale et d'attentisme des entreprises en matière d'emploi, le modèle ne parvient-il pas à expliquer totalement pourquoi l'inflation est demeurée aussi faible en Italie et au Royaume-Uni.


• L'impact de la dévaluation sur le solde des transactions courantes est particulièrement sensible en Italie 1 point de PIB d'amélioration en moyenne de 1992 à 1995. En outre, le redressement se produit rapidement : ainsi la dégradation de début de période caractéristique de la « courbe en J » ne se produit-elle pas en raison de la très forte contraction de la demande intérieure, due à la rigueur budgétaire et à la chute de l'emploi et de l'investissement.

Au Royaume-Uni, le solde courant se dégrade en début de période, conformément à la « courbe en J ». Cet effet est cependant aggravé par la politique budgétaire expansionniste qui soutient l'achat de produits importés. Le redressement du solde courant intervient par la suite : celui-ci s'est amélioré de 0,8 point de PIB en 1995 grâce à la dévaluation.

Au total, deux enseignements peuvent être tirés de cet exercice de simulation :

- la modération de l'inflation dans les pays qui ont dévalué reste assez largement inexpliquée par le modèle, donc par les comportements habituels des agents économiques. Cette modification des comportements, pour l'instant encore assez « mystérieuse », explique qu'à l'inverse des expériences de dévaluation des années 70 et 80, la dépréciation nominale du taux de change s'est accompagnée jusqu'à présent d'une dépréciation réelle ;

- une appréciation du mark - correspondant aux dépréciations d'autres monnaies européennes - permet une détente de la politique monétaire allemande qui, en elle-même, a des effets positifs sur l'activité pour l'ensemble de l'Europe.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page