2. Le courrier transfrontalier

En ce qui concerne le courrier tranfrontalier, la proposition de directive opère une distinction entre le courrier transfrontalier sortant, qui sera libéralisé dès l'entrée en vigueur de la directive et le courrier transfrontalier entrant, qui pourrait être libéralisé en 2000 dans les mêmes conditions que le publipostage. De fait, ces deux secteurs posent des problèmes différents.


• Le courrier transfrontalier sortant : il s'agit du courrier partant d'un État membre en direction d'un autre État membre ou d'un État tiers. Le principal problème posé par l'ouverture de ce secteur est celui des frais terminaux, susceptible de donner lieu à de multiples détournements de trafics.

FRAIS TERMINAUX ET REPOSTAGE

Dans les relations postales entre deux pays, la poste expéditrice fait payer le service à ses clients et rémunère les prestations de la poste de distribution sur la base de ce qu'on appelle les frais terminaux.

Les taux de rémunération sont forfaitaires et établis sur une base mondiale, sans tenir compte des coûts de distribution. Ce système a provoqué des effets pervers pour les postes d'arrivée puisque s'est développé le phénomène de repostage.

La technique a d'abord consisté à injecter du courrier d'un pays A pour un pays C dans un pays intermédiaire B, l'expéditeur du pays A pouvant obtenir des tarifs plus bas dans le pays B car fondés sur les frais terminaux et non sur les coûts de la poste d'arrivée.

Par la suite, l'activité de repostage s'est étendue au courrier national, transformé en courrier international par son dépôt ou sa fabrication dans des pays tiers, afin de bénéficier des conditions tarifaires plus avantageuses. Certaines postes européennes, et en particulier celle des Pays-Bas, tirent profit de cette activité.

Le seul remède à cette menace est de fixer le montant des frais terminaux sur la base des coûts et donc des tarifs de la poste de distribution. Les postes de l'Union européenne travaillent actuellement en ce sens. Mais cette évolution ne pourra être que progressive. Dans l'attente de ce rééquilibrage, il sera nécessaire de mettre en place un mécanisme pour protéger le courrier national contre les risques de délocalisation.

La convention postale universelle, adoptée dans le cadre de l'Union Postale Universelle (UPU) contient un article 25, dont les dispositions vont dans ce sens. Cet article précise notamment : « Aucun pays membre n'est tenu d'acheminer ni de distribuer aux destinataires les envois de la poste aux lettres que des expéditeurs résidant dans son territoire déposent ou font déposer dans un pays étranger, en vue de bénéficier des conditions tarifaires plus favorables qui y sont appliquées (...).

L'administration de destination a le droit d'exiger de l'expéditeur et, à défaut, de l'administration de dépôt le paiement des tarifs intérieurs. Si ni l'expéditeur, ni l'administration de dépôt n `acceptent de payer ces tarifs dans un délai fixé par l'administration de destination, celle-ci peut renvoyer les envois à l'administration de dépôt en ayant le droit d'être remboursée des frais de renvoi, soit les traiter conformément à sa propre législation ».

Dans un projet de résolution sur les frais terminaux en matière de services postaux, qui n'a pas pu encore être adopté du fait de la réserve d'un État membre, le Conseil des ministres de l'Union européenne « déclare que les principes du système des frais terminaux au sein de l'Union européenne consistent à fonder le système de frais terminaux relatif au service universel sur les coûts de traitement du courrier intracommunautaire transfrontalier dans le pays de distribution (...) » .

Dans le même projet, le Conseil invite les États à encourager leurs prestataires du service universel à conclure un accord et la Commission européenne à contribuer activement à la définition et l'établissement d'un nouveau système intracommunautaire de frais terminaux.

La libéralisation du courrier transfrontalier sortant ne peut donc être envisagée que si ce problème des frais terminaux trouve une solution satisfaisante pour éviter les détournements de trafic. Aussi peut-on regretter la brièveté des dispositions de la proposition de directive relatives aux frais terminaux. L'article 14 indique simplement que « les États membres prennent des mesures pour assurer que les frais terminaux soient déterminés en relation avec les coûts des prestataires du service universel assurant le traitement et la distribution non discriminatoire du courrier dans le pays d'arrivée et la qualité des services fournis » .

Cette formulation paraît bien peu contraignante. En outre, la Commission n'entend apparemment pas s'impliquer dans la recherche de solutions. Or, l'exercice d'une concurrence loyale implique que les frais terminaux soient en relation avec les coûts assurés par la poste de distribution. Il convient donc d'être très vigilant en ce qui concerne l'ouverture de ce marché, qui doit être conditionnée par l'établissement d'un nouveau système de frais terminaux.

Le courrier transfrontalier entrant : il s'agit du courrier arrivant dans un État membre en provenance d'un pays membre ou d'un pays tiers. La libéralisation de ce secteur est envisagée par la Commission européenne pour 2000.

Le problème qui se pose ici est beaucoup plus grave que dans le cas du courrier transfrontalier sortant. Il faut savoir que, dans le cas de La Poste, 40 grands comptes (banques ou entreprises) assurent 20 % du chiffre d'affaires contre 15 % assurés par 20 millions de foyers. Cela signifie que le chiffre d'affaires de La Poste, comme celui des autres opérateurs postaux, est extrêmement concentré.

Si l'on ouvrait à la concurrence le courrier transfrontalier entrant, on assisterait à l'apparition d'opérateurs privés qui se concentreraient exclusivement sur les axes les plus rentables. Les grandes entreprises seraient incitées à délocaliser leur courrier à l'étranger, afin de le faire revenir en France à des tarifs inférieurs. C'est ce qu'on appelle l'écrémage, qui ne laisserait aux opérateurs chargés du service universel que la desserte des zones les moins rentables. En outre, l'ouverture de ce marche conduirait à l'ouverture des marchés de l'Union européenne à des opérateurs d'États tiers, sans condition de réciprocité.

À terme, les opérateurs chargés du service universel n'auraient qu'une alternative : abandonner la péréquation tarifaire géographique pour rester compétitifs ou maintenir le service universel, dont la survie dépendrait alors de subventions massives de l'État. On le voit, cette libéralisation présenterait de graves dangers pour la survie du service universel. En outre, elle paraît bien peu conforme à la politique de protection des consommateurs, qui fait pourtant partie des objectifs de l'Union européenne.

La libéralisation du courrier transfrontalier entrant ne peut être acceptée, dès lors que l'on estime que l'activité postale n'est pas simplement une activité marchande, mais qu'elle joue un rôle essentiel de cohésion sociale et d'aménagement du territoire. C'est la conviction qu'a toujours affirmée le Sénat ; plus que jamais, il convient de la défendre avec force.

L'examen détaillé des propositions visant à réaliser le marché intérieur européen en matière postale montre donc que la volonté affichée de mettre en oeuvre un service universel ambitieux est contrariée par la libéralisation programmée de services indispensables à la viabilité de ce service universel. Il faut espérer que les négociations en cours permettront d'améliorer le texte dans le sens d'une prise en compte à long terme du service universel.

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