Rapport d'information n° 343 (1995-1996) de M. Jacques LARCHÉ , fait au nom de la commission des lois, déposé le 7 mai 1996

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N° 343

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 7 mai 1996.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la délinquance juvénile,

Par M. Jacques LARCHÉ,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de MM. Jacques Larché, président : René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, Charles Jolibois, Robert Pagès, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Jean-Pierre Tizon, Alex Türk, Maurice Ulrich.

AVANT-PROPOS

L'évolution de la délinquance juvénile ne cesse d'inquiéter nos concitoyens.

Sa constante augmentation, ses manifestations toujours plus violentes et l'âge de plus en plus jeune des mineurs délinquants posent à notre société un véritable défi : répondre à cette mutation sans tomber dans une répression systématique.

Le jeune délinquant n'est-t-il pas, et peut-être avant tout, la victime d'une situation d'anomie, liée notamment au chômage, à l'exclusion, à la crise du système éducatif et qui le conduit, parfois inconsciemment, à franchir les frontières de l'interdit ? Le passage à l'acte délictueux n'est-il pas le symptôme de la perte des repères sociaux chez celui qui représente pourtant l'avenir de la société ?

La justice doit bien évidemment apporter une réponse à la délinquance juvénile, mais une réponse adaptée à la personnalité du contrevenant, avant tout axée sur sa rééducation.

Tel était l'objectif de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, caractérisée par le « primat de l'éducatif ».

Comment conserver cette priorité face aux mutations actuelles ?

C'est pour répondre à cette interrogation - et à l'heure où le Sénat est appelé à examiner , sur le rapport de M. Michel Rufin un projet de réforme de l'ordonnance de 1945 - que la commission des Lois a organisé une journée d'auditions publiques à laquelle ont participé, outre le Garde des Sceaux, des personnes quotidiennement confrontées au problème de la délinquance juvénile : avocats, juges des enfants, éducateurs, magistrats du parquet, fonctionnaires de police et membres des corps enseignant et préfectoral.

Ces auditions, ouvertes aux membres de la Conférence des Présidents du Sénat, à l'ensemble des sénateurs, à la presse et au public, se sont déroulées le jeudi 25 avril 1996 à 9 heures et à 16 heures dans la salle Médicis.

Le Président René Monory a honoré de sa présence cette journée d'auditions.

AUDITIONS DE LA COMMISSION

(La séance est ouverte à 9 heures 15 sous la présidence de M. Jacques LARCHÉ)

M. Jacques LARCHÉ, président.- Mesdames, Messieurs, je vous remercie d'être présents et d'avoir bien voulu répondre à notre invitation. Pourquoi ce thème de la délinquance juvénile ?

D'abord en raison de l'acuité du problème. Notre collègue et ami, M. Rufin, est actuellement chargé d'une mission portant sur la totalité de ce problème dont nous connaissons toute la difficulté.

Cette mission lui a été confiée par M. le Premier ministre.

Il est très vraisemblable que sur la base de ce rapport le Gouvernement fera des propositions qui devront bien sûr être l'objet de notre part d'une discussion extrêmement attentive.

La délinquance juvénile, dans mon esprit, ce sont deux mots qui paraissent presque antinomiques, la délinquance et la jeunesse. Et pourtant nous constatons, semble-t-il, notamment sur le terrain en tant qu'élus locaux, une croissance préoccupante de cette délinquance.

Le problème est donc posé et il s'agit pour nous -c'est un mot bien ambitieux- de tenter de le résoudre, tout au moins d'y apporter un certain nombre de solutions.

Nous savons bien qu'à l'arrière-plan de la délinquance juvénile il y a un état social, générateur sans doute pour partie de cette délinquance que nous constatons.

Sans chômage, sans ghettos, sans immigration non intégrée, elle serait peut-être moindre.

Deux attitudes sont possibles, dont nous allons discuter et débattre, qui doivent se conjuguer : le répressif et l'éducatif.

Il est évident que malgré la jeunesse du délinquant, il faut que le législateur prévoie une certaine répression, elle est inévitable, semble-t-il.

Et au-delà de la répression il y a son bon usage, dans la mesure où par la répression on peut parvenir peut-être à une réinsertion du jeune.

Voilà en quelque sorte nos pistes de réflexion.

Les intervenants sont extrêmement divers. Ils ont eu tous à traiter, à considérer ce problème, soit qu'ils assurent la défense, soit qu'ils aient à juger, soit qu'ils aient à poursuivre, soit qu'ils aient à accomplir cette tâche extrêmement difficile de la répression sur le terrain.

Nous entendrons tout d'abord des avocats spécialisés dans l'enfance délinquante. Je m'efforcerai de ne pas être trop directif, je leur indiquerai leur temps de parole.

Je l'indiquerai avec toute la révérence nécessaire aux juges, et avec encore plus de révérence au Parquet.

Quant aux fonctionnaires de police et membres du corps préfectoral, je leur dirai qu'ils ne doivent pas dépasser un certain temps de parole.

D'abord je donne la parole à mon collègue et ami Michel Rufin, chargé de ce rapport extrêmement important, dont le Gouvernement attend beaucoup. Pour notre part, compte tenu de la qualité du rapporteur et de la préoccupation constante qui a été la sienne dans ce domaine de la délinquance juvénile en sa qualité de rapporteur du Budget devant la commission des Lois, nous attendons également beaucoup du travail qu'il est en train d'élaborer.

M. Michel RUFIN.- Monsieur le Président, Mes Chers Collègues, Mesdames, Messieurs, mon propos sera bref, et n'abordera pas le fond du problème, car le projet de loi portant réforme de l'ordonnance du 2 février 1945, relative à l'enfance délinquante, sera examiné par notre commission des Lois dans une semaine.

Ce projet de loi touche un sujet essentiel pour notre société, qui nous concerne tous, et sur lequel vous avez souhaité, Monsieur le Président -et je vous en remercie infiniment- organiser une journée d'auditions afin que notre commission des Lois dispose d'un maximum d'informations.

« La question de l'enfance coupable est une des plus urgentes de l'époque présente. »

Ces propos, je les ai extraits de l'exposé des motifs de l'ordonnance de 1945. Mais hélas, le problème de l'enfance délinquante conserve toujours son actualité.

Ces dernières années, force est de constater que depuis la dégradation de la situation économique et l'aggravation de la fracture sociale dénoncées par M. le Président de la République, ces dernières années, dis-je, ont entraîné le développement de situations d'exclusion grave particulièrement sensibles dans nombre de quartiers de villes ou de leurs banlieues.

Ces difficultés ont touché de plein fouet ceux qui sont au nombre des plus vulnérables au sein de notre population, à savoir les jeunes.

Ils sont souvent confrontés à la désintégration de la cellule familiale, aux échecs scolaires, aux doutes sur leur devenir professionnel, quand ce n'est pas aux tentations de la délinquance.

En tant que rapporteur du projet de loi réformant l'ordonnance de 1945, j'ai d'ores et déjà procédé à de très nombreuses auditions sur ce texte et sur le problème de l'enfance délinquante en général.

J'ai notamment entendu des représentants des magistrats, tant du Siège que du Parquet, des avocats, des éducateurs, mais toutes ces personnes avaient pour commun dénominateur d'intervenir au nom d'une organisation professionnelle ou syndicale.

Telle n'est précisément pas la caractéristique des personnes que nous allons entendre aujourd'hui.

Elles ne seront pas porte-parole d'une organisation, elles seront là pour nous faire part de leur sentiment sur le projet de loi, mais aussi plus généralement de leur expérience personnelle.

Nous avons en effet souhaité que cette journée aille au-delà des questions soulevées par le projet de loi, et que soit abordé le problème de la délinquance juvénile dans son ensemble.

D'ailleurs, vous n'êtes pas sans savoir que le projet de loi lui-même, qui s'insère dans un cadre plus général, est accompagné de plusieurs autres mesures précises dans le cadre du pacte pour la ville.

C'est la raison pour laquelle les personnes que nous allons entendre viennent d'horizons fort divers.

Il y aura bien évidemment ce que j'appellerai des praticiens de l'ordonnance du 2 février 1945, ordonnance que l'on nous demande de modifier. Il s'agit bien entendu des avocats, des éducateurs, ainsi que des magistrats et notamment des juges des enfants. Mais il y aura également des personnes confrontées à des difficultés quotidiennes liées aux mineurs, et je pense en particulier aux membres du corps enseignant et aux fonctionnaires de police exerçant dans des quartiers réputés difficiles.

Ces personnes viennent non seulement d'horizons professionnels différents, mais également de zones géographiques diverses.

En particulier je crois que nous sommes parvenus, à travers ces auditions, à un équilibre entre Paris d'une part et la province d'autre part.

Toutes ces interventions devraient contribuer à nous éclairer sur les nombreuses questions soulevées par le problème de l'enfance délinquante.

Faut-il réformer l'ordonnance de 1945 dont je vous rappelle qu'elle se veut avant tout éducative ? Si oui, quelles sont les pistes à explorer ? Parmi celles-ci, ne faudrait-il pas s'orienter vers des mesures plus contraignantes ? Quelles sont les autres voies législatives ou extra législatives, qui nous permettraient d'assurer une meilleure prévention de ce que l'on pourrait appeler un véritable fléau social ?

Face à son ampleur ne faut-il pas d'évidence que les mentalités évoluent et que des réponses nouvelles soient imaginées sans a priori ni dogmatisme ?

J'arrête ici mes interrogations, car nous aurons une journée bien remplie, et il me paraît indispensable, Monsieur le Président, de procéder maintenant aux premières auditions, et ce sans retard.

Merci.

M. le Président.- Je demande à Me Marie-France Ponelle, avocat à Paris, et à Me Marie-Elisabeth Breton, avocat à Arras, de bien vouloir nous rejoindre.

AVOCATS

Maître Marie-France PONELLE - responsable de l'antenne des mineurs à Paris

Maître Marie-Elisabeth BRETON - Avocat à Arras

Me Marie-France PONELLE .- Je suis Marie-France Ponelle, avocat à Paris, responsable de l'antenne des mineurs.

Je suis très heureuse d'être aujourd'hui parmi vous, car je crois qu'il est très important, puisque nous avons tous la même passion, de nous occuper des problèmes des enfants, de prendre des mesures pour prévenir cette délinquance dont nous sommes unanimes à constater qu'elle est plus précoce, plus inquiétante, plus violente.

Aujourd'hui nous allons confronter, nous tous qui sommes sur le terrain avec les enfants, nos idées, et voir s'il est possible de trouver des solutions à ce problème très inquiétant.

J'ai beaucoup apprécié, Monsieur le Rapporteur, d'entendre dire que la délinquance juvénile serait abordée dans tous ses modules.

Puisque nous connaissons tous ses causes, aujourd'hui j'aurais aimé que nous puissions, avant de parler de répression -ce qui n'est pas du tout l'esprit de l'ordonnance de 1945, cette dame de 51 ans qui met l'accent sur l'éducatif-, recenser les causes de la délinquance juvénile et que nous essayions de trouver des solutions quand elle est là, dramatique, précoce, violente.

Nous devons nous attaquer à elle quand les enfants sont très jeunes, qu'ils ont toutes les conditions pour devenir délinquants : l'échec scolaire, les difficultés psychologiques et physiques.

Donc j'aurais aimé -et j'espère que d'autres réunions suivront où nous pourrons débattre de ce sujet- que nous fassions ce qu'il faut pour éviter que la délinquance arrive.

Aujourd'hui nous sommes là pour parler de ce projet de loi, voir en quoi il peut améliorer la situation, essayer de résoudre certains problèmes. Je voudrais vous faire part de mes inquiétudes et de mes espoirs.

Je commence par les premières car comme il faut toujours penser qu'un enfant est porteur d'espérance, j'aimerais terminer sur ce que je trouve positif dans la réforme.

D'abord mes inquiétudes, et elles sont importantes.

J'ai bien remarqué que nous étions tous conscients de la nécessité de préserver la priorité de l'éducatif sur la répression.

Cet esprit de l'ordonnance de 1945 doit impérativement être préservé. Or, je ne vois pas très bien comment le préserver lorsque je lis dans ce projet de loi, ce qui m'inquiète, le rôle accru, exorbitant du Parquet, ou inversement, parfois complètement inexistant, ce qui peut aussi entraîner des conséquences tout à fait regrettables à mon sens.

J'ai bien noté qu'on voulait laisser le juge des enfants être le pivot de la procédure. Mais en même temps, avec ce rôle accru du Parquet, ce juge des enfants va toujours être complètement bloqué.

En effet, à tout moment de la procédure, dès qu'un enfant sera chez le juge, le Parquet pourra, en vertu de l'article 8-2, ordonner la comparution dans un délai rapproché et donner des directives au juge des enfants qui, lorsqu'il avait auparavant un dossier, pouvait prendre le temps de privilégier l'éducatif sur le répressif et d'organiser un programme éducatif.

Inversement, il pourrait y avoir des cas où le Parquet ne serait pas assez présent : ce serait dans le cas d'une convocation par OPJ. C'est une inquiétude parce que les dossiers arriveraient chez le juge sans ce contrôle du Parquet- et nous, avocats, garants de la procédure, nous serions confrontés à des dossiers comportant beaucoup de nullités.

Les avocats auront des dossiers avec des nullités qu'ils seront obligés de soulever, car c'est leur devoir. Les dossiers partiront à la chambre d'accusation. Le projet de loi a pour objectif une plus grande rapidité, à savoir donner une réponse plus rapide aux faits délictueux pour que l'enfant ait vite un rappel à la loi. Mais s'il y a des nullités cela risque de retarder et de compliquer la situation.

J'en reviens au rôle exorbitant du Parquet. Alors que le juge des enfants, qui connaît parfaitement l'enfant, qui l'a suivi dans d'autres dossiers d'assistance éducative ou au pénal, aidera l'enfant à montrer de quoi il est capable ou à préparer une médiation-réparation, le Parquet pourra dire brusquement « qu'il faut absolument accélérer la procédure et le faire comparaître au minimum au bout d'un mois, au maximum trois mois. »

Si le juge des enfants n'est pas d'accord, ce dossier sera traité par un conseiller spécialisé de la cour d'appel, qui tranchera entre deux magistrats de terrain, un procureur qui voudra accélérer, et un juge des enfants habitué au problème des enfants, sachant qu'il faut du temps, de la patience, ne pas en rester aux faits, mais au devenir de l'enfant.

Or le conseiller ne connaîtra pas l'enfant. Celui-ci ne sera pas présent, l'avocat ne pourra faire que des observations écrites.

L'enfant ne pourra pas s'expliquer, l'avocat ne sera pas là non plus. Ce dernier expliquera simplement par écrit ce qu'il pense de l'orientation ou de la mesure décidée par le juge des enfants.

Je pense que cela est très grave. Ce conseiller prend une décision uniquement axée sur les faits commis, sans prendre en compte la personnalité de l'enfant.

Je pense qu'il est extrêmement grave qu'un magistrat qui ne connait pas l'enfant tranche entre les réquisitions du Parquet lui demandant d'agir plus vite et le désir du juge des enfants de prendre son temps pour envisager le devenir de l'enfant.

Sa personnalité est en effet en formation. Pendant un laps de temps des enfants sont installés dans la délinquance. Mais ce n'est souvent que provisoire.

Depuis vingt ans je m'en occupe, et c'est merveilleux, car brusquement un enfant, du fait d'une influence, d'un contact, d'une réussite, d'une confiance, de la rencontre avec un éducateur ou d'un succès scolaire, alors qu'il semble installé dans une délinquance inquiétante, se sort de cette mauvaise période.

Quand on disait que la justice était lente, cela avait des aspects négatifs, car bien sûr il était regrettable qu'un enfant puisse penser qu'il était impuni et qu'il n'y ait pas rapidement un rappel à la loi.

Mais si dans certains cas, la justice était peut-être lente, elle permettait d'avoir du recul. Quand je plaidais pour des enfants bien longtemps après les faits commis, ils travaillaient, ils essayaient de se racheter, et cette période était complètement terminée.

Il est très fréquent que des enfants changent totalement de comportement et se sortent d'une mauvaise période, alors que cela est beaucoup plus rare de la part des adultes.

Donc pour moi ce contrôle exorbitant du Parquet est très grave. Si le juge et le procureur sont bien fixés sur leur position, le conseiller tranchera sans connaître l'enfant. Cela me semble tout à fait choquant et perturbant.

À Paris le problème ne se pose pas des relations entre le Parquet et le juge du siège. Je crois qu'il y aura une très bonne coordination pour essayer de synchroniser tous les efforts, afin d'aider un enfant à se réinsérer.

Mais on ne sait jamais si les positions dans tous les tribunaux de France et de Navarre seront aussi bien synchronisées, et mettre en conflit un juge du siège et un siège du Parquet peut être tout à fait regrettable. Cette accélération d'une procédure pour un enfant me semble contraire à l'esprit de l'ordonnance de 1945.

Mes inquiétudes peuvent, je crois, être partagées par les personnes qui s'occupent des enfants et surtout les défendent.

Au contraire, et c'est là mon espoir, la notion de césure est très positive. Tout de suite après les faits, il est intéressant de dire à un enfant, qu'il soit primaire ou récidiviste : « voilà ce que vous venez de faire, c'est grave parce que vous avez déjà commis des délits, vous êtes connu, il vous faut des repères, des structures, vous ne pouvez pas faire n'importe quoi ».

Ce rappel formel d'un magistrat à l'enfant, qui lui dira « vous serez bientôt majeur, faites attention », lui expliquant avec son avocat l'acte qu'il a commis, les enjeux, les conséquences, lui disant « vous êtes coupable » est indispensable.

La césure existe entre dire à un enfant « vous êtes coupable » et laisser le temps, -jusqu'à six mois, ce qui me semble parfait car il faut respecter un délai-, au juge pour organiser, s'il l'estime utile, une médiation réparation, pour prendre des contacts avec la victime.

Celle-ci peut avoir le temps de réunir les documents pour établir le préjudice qu'elle a subi ou se rapprocher de l'enfant et des parents, pour essayer d'être indemnisée.

Le juge peut mettre sur pied des mesures d'investigation pour savoir si l'enfant est en danger, s'il faut l'aider en envisageant une psychothérapie, une intervention en milieu scolaire.

Dans ce projet c'est vraiment une solution qui me séduit complètement, ce rappel à la loi, et le temps suffisant avant de prononcer une sanction.

Il ne faut jamais oublier que le mal-faire d'un enfant c'est son mal être. Il faut essayer de le soigner dans l'intérêt de la société, de lui-même, de la victime.

Si on veut faire un bon travail sur un enfant, il ne faut jamais être limité dans le temps, il faut avoir la patience qu'ont les juges des enfants qui étudient, qui voient les efforts accomplis.

Au point de vue éducatif, il est excellent de dire à un enfant « vous êtes coupable, mais quand on rendra la décision on verra ce que vous avez fait d'ici là pour nous rassurer sur votre avenir ». C'est lui faire confiance, c'est le remettre sur pied.

Il ne faut pas le juger rapidement, dans un délai rapproché, aller devant un conseiller de la cour très vite. Je pense que ce n'est pas l'esprit de l'ordonnance de 1945.

Tandis que cette césure juste après les faits, pour ne pas que l'enfant les oublie et se croie bénéficiaire d'une impunité, me semble tout à fait adéquate, et respecter l'ordonnance de 1945.

Pourquoi n'existerait-t-elle qu'en audience de cabinet ? Car là il ne peut pas y avoir de sanction pénale. Pourquoi pas également devant le tribunal pour enfants ? Il faut que la césure puisse exister là aussi, c'est là qu'elle sera le plus utile.

On ne peut pas considérer que c'est respecter l'ordonnance de 1945 que de faire cette césure uniquement en audience de cabinet, où le juge des enfants ne pourra que relaxer, qu'admonester, etc. Ce n'est pas logique, cette césure doit exister aussi devant le tribunal pour enfants.

On dira « vous pouvez toujours demander l'ajournement de la peine », mais il ne peut pas forcément s'appliquer au cas soumis : il faut que l'enfant soit en train de se réinsérer, ce qui n'est pas toujours le cas, quand il est coupable ; il faut que la victime soit en voie d'être indemnisée ou que son préjudice soit réparé, ce qui n'est généralement pas le cas non plus ; il faut également que le mineur soit présent. L'ajournement de peine peut aller jusqu'à un an ce n'est pas ce qu'il faut, puisque le désir de ce projet de loi est d'avoir des délais et de ne pas dépasser six mois.

Les conditions de l'ajournement ne sont absolument pas les mêmes que celles de la césure.

J'insiste vraiment sur ce point, parce que c'est l'espoir de ce projet de loi Il répond sur ce point à toutes les attentes d'une modification ou d'un perfectionnement de l'ordonnance de 1945, c'est-à-dire plus de rapidité, un rappel à la loi plus rapide, tout ce que l'enfant pouvait attendre du juge, lui montrant de quoi il était capable.

Il est absolument impossible que cela ne se passe qu'en audience de cabinet. Si cette césure pouvait exister devant le tribunal pour enfants, elle permettrait à l'enfant de subir parfois un choc salutaire.

J'ai été confrontée à l'incarcération des mineurs, et je vois l'état de déstabilisation qui en découle. Cette incarcération ne résout jamais rien.

Tandis que si l'enfant vient au tribunal, si on lui explique qu'il est reconnu coupable, mais qu'il doit montrer de quoi il est capable avec toutes les mesures mises en place pour l'aider, quand il reviendra et répondra de ce qu'il aura fait pendant le délai imparti, alors là on est dans l'éducatif on permet à la société d'avoir des enfants qui se prennent en main, qui se responsabilisent au lieu d'être assistés.

Juger rapidement un enfant, ce n'est de l'intérêt de personne. Si nous voulons oeuvrer pour une société meilleure, nous devons permettre à nos enfants de devenir meilleurs, et non pas constater uniquement que la délinquance est violente, précoce, inquiétante.

Il faut donner aux enfants les moyens avec plus d'éducateurs, pour leur permettre, dans les situations catastrophiques qui sont généralement les leurs lorsqu'ils se présentent au tribunal, de revenir en ayant exploité les chances qu'on leur a données.

M. le Président.- Je vous remercie. Je donne la parole maintenant à Me Breton.

Me Marie-Elisabeth BRETON .- Je suis Me Breton, avocat au Barreau d'Arras, je suis présidente de la Commission des Droits des Enfants au Conseil Général du Pas-de-Calais, et vice-présidente de l'Association d'Aide aux Victimes.

Mon confrère a évoqué avec beaucoup de passion le problème de l'avocat face aux droits des mineurs.

Je vais recentrer mon propos, plutôt compléter le sien, sur la question qui nous est posée aujourd'hui : est-ce que l'ordonnance de 1945 est une vieille dame -pas tout à fait, elle n'a que 51 ans- et est-elle complètement désuète ? Faut-il finalement, à travers des textes qui évoluent très rapidement, et ceux proposés dans le projet, la remettre en cause ou totalement la supprimer ?

À mon avis, elle a tout dit, elle comprend tout, il suffit de l'appliquer, je ne comprends pas aujourd'hui le projet proposé.

Cette ordonnance est comme un jouet en plastique un peu mou. Au fil des années on est arrivé à le former, le déformer pour l'adapter aux différentes évolutions de la société, parce qu'il portait en son sein deux points essentiels selon moi : la protection de l'enfant, et l'institution importante du tribunal et du juge pour enfants.

Aujourd'hui on dit « il se pose des problèmes ». Ils ne sont pas nouveaux, la délinquance juvénile a toujours existé.

Nos institutions sont incapables de répondre actuellement aux besoins de la jeunesse. Alors constatons la carence de la société avant de dire à l'institution judiciaire qu'elle doit assurer toute la prise en charge.

Les enfants réagissent avec violence aujourd'hui, ce qui témoigne de la carence de la société et des institutions.

Il y a une carence éducative des parents, un abandon de l'autorité parentale, et une carence au niveau des institutions parce qu'elles sont totalement inadaptées.

Il faut poser le problème ainsi avant de parler de réforme.

La proposition faite correspond à une réaction sécuritaire, conjoncturelle.

On aboutit à une accélération des décisions de justice, mais le juge n'ayant pas le temps de les motiver, les dossiers se trouveront bloqués au niveau des cours d'appel.

Aujourd'hui on veut faire du « sécuritaire » pour rassurer la population. Il est vrai que la délinquance fait peur, mais est-ce que l'accélération de la procédure va conduire à un résultat utile ? Selon moi, non.

L'accélération de la procédure existe déjà dans l'ordonnance de 1945. Le juge des enfants a toutes les possibilités pour, dans certains cas, donner des réponses rapides : mise en examen avec un panel de décisions pour protéger la société et commencer à rééduquer l'enfant et le faire réfléchir, possibilité au sein du cabinet de prendre immédiatement une décision.

Il faut distinguer délinquance gravissime et petite délinquance. Il faut reconnaître que dans la majorité des cas le juge des enfants rencontre des jeunes qui ont fait une petite faute, influencés par des copains.

On va entendre ces enfants-là une fois dans le cabinet et on ne les reverra plus. Il faut savoir que la majorité des décisions du juge interviendront très rapidement. S'il y a une enquête préliminaire suffisante sur la personnalité de l'enfant, la décision pourra être prise très rapidement.

Dans le texte qui nous est proposé, la décision en cabinet ressemble à ce qui se passe déjà pour certains dossiers très simples.

Le problème est qu'à partir du moment où l'on donne un pouvoir supplémentaire au Parquet, il y aura une dualité entre le Parquet et le juge des enfants. Cela me paraît très grave.

Ce que je trouve très intéressant dans l'ordonnance de 1945, c'est que le juge des enfants était le père et la mère en quelque sorte, juge d'instruction et juge tout court, capable d'apporter une réponse éducative.

La dualité sera très grave. Que se passera-t-il ? On présente le projet en invoquant l'accélération des procédures. Il suffit de relire l'ordonnance de 1945 pour constater qu'elle comporte tous les moyens de cette accélération.

Je prendrai l'exemple du tribunal d'Arras où il n'y a pas de retard dans les procédures. Le juge des enfants qui exerce dans ce tribunal depuis plusieurs années est arrivé alors que la situation était préoccupante, -avec une grande quantité de dossiers en attente-, mais grâce à la passion de sa profession il est parvenu à rendre des jugements dans un délai de deux mois.

Ne parlons plus du retard au niveau des jugements, mais plutôt de celui au niveau de l'application de la sanction. Il n'est pas inutile d'y réfléchir.

L'accélération des procédures va donner des pouvoirs supplémentaires au Parquet. Ce projet vise à devenir plus coercitif en matière d'enfance délinquante, et l'aspect éducatif sera progressivement oublié parce que le juge des enfants n'aura pas le temps ou dira « occupez-vous de l'assistance éducative, je prends en charge le pénal ».

On essaie, à Bobigny, de donner un grand pouvoir au Parquet en matière de droits des mineurs, le juge des enfants est complètement dessaisi.

Actuellement à Bobigny, c'est le substitut des mineurs qui donne des admonestations, qui s'occupe de la médiation réparation.

Cela est à mon avis significatif de l'orientation que l'on veut donner.

L'ordonnance de 1945 était axée sur l'éducation. C'est ainsi qu'il faut penser délinquance des mineurs.

Le système fonctionne très bien à Arras car il existe un accord parfait entre le substitut des mineurs et le juge des enfants, tout le monde travaille ensemble, ce qui ne sera pas forcément le cas dans le cadre de la dualité prévue dans le projet de texte.

Le problème posé n'est pas tellement celui de la rapidité du prononcé de la sanction, mais de son application.

En matière d'assistance éducative, il faut attendre six à dix-huit mois avant d avoir un éducateur pour prendre en charge l'enfant et cela est une cause de récidive.

Il ne faut pas pénaliser les enfants pour une responsabilité que nous devons assumer, car nous n'avons pas les moyens de notre justice.

C'est la réalité du problème, à savoir un manque de greffiers, de magistrats, d'éducateurs. Quand l'un d'eux veut travailler, il ne peut accepter qu'un petit groupe de quinze ou seize enfants, mais combien sont en attente de placement ? Quatre cents à Béthune attendent depuis dix-huit mois.

Il y a une sanction, mais elle n'est pas appliquée immédiatement. C'est la, à mon avis, que se situe le problème.

Tout en maintenant la mise en examen, le juge peut prendre des mesures d'assistance éducative. Pendant cinq ou six mois il aura ainsi le temps de voir évoluer l'enfant avant d'en arriver à la mesure

C'est ainsi qu'il faut fonctionner. Un travail effectif doit être réalisé au moment de la sanction, qui doit être immédiate, sinon elle ne sert à rien et conduit à la récidive.

Voilà mon opinion.

Par ailleurs, un manque de moyens est à regretter au niveau du Conseil Général.

Le département du Pas-de-Calais est pauvre, le Conseil Général l'est aussi, et la situation est dramatique parce que qui dit paupérisation d'une population dit accroissement de la délinquance.

Il se pose de gros problèmes au tribunal pour enfants pour obtenir les moyens utiles pour faire véritablement de l'éducation.

Dans certains départements qui rencontrent de grosses difficultés, il faudrait envisager une enveloppe supplémentaire afin de permettre un véritable suivi éducatif.

Actuellement l'assistance éducative coûte 30 F par jour et par enfant, le placement 30.000 F par mois.

Lorsqu'il y a un délai entre la décision de l'assistance éducative et sa mise en oeuvre, l'enfant récidive éventuellement. Le juge doit le placer. Si on n'a pas immédiatement la réponse à l'assistance éducative, on va donc vers le système de placement, ce qui amène le juge des enfants à demander une enveloppe beaucoup plus conséquente et peut-être moins efficace, parce que placer les enfants c'est un peu les abandonner, les oublier. Le juge des enfants et le substitut le reconnaissent.

De même, il faut envisager une ligne budgétaire complémentaire en matière d'internat. Il coûte 3.000 F par trimestre. Bien souvent il faut choisir le placement parce qu'il n'y a pas d'autre possibilité, alors que l'internat serait suffisant.

Je vous propose là des mesures concrètes.

M. le Président.- Vous avez dans cette salle des Présidents de Conseils Généraux qui portent une extrême attention à ces problèmes, et qui mettent en oeuvre les moyens pas toujours suffisants, mais assez largement pour répondre aux problèmes.

Le cumul des mandats est critiqué...

M. Jean-Jacques HYEST - Réprouvé par certains.

M. le Président .- Il permet, néanmoins, de vérifier parfois la réalité des choses.

Je vous remercie de vos interventions, d'un côté une critique portant sur la moitié du texte, et de l'autre une critique totale.

Ce qui est extraordinaire dans l'ordonnance de 1945, c'est qu'elle a été prémonitoire à un moment où la délinquance n'existait pas, ou pratiquement pas.

Me Marie-Elisabeth BRETON.- Il y avait 35.000 délinquants en 1945, l'état d'esprit était différent. L'ordonnance de 1945 a su s'adapter. On est passé de la philosophie d'Emmanuel Mounier à une notion de sujet de droit.

C'est ce qui est remarquable dans l'ordonnance de 1945 et il ne faut pas la vider de sa substance avec du sécuritaire.

M. le Président.- Nous essaierons de ne pas le faire.

Y a-t-il des questions des membres de la Commission ?

M. Michel RUFIN.- Maître Ponelle, vous vous êtes inquiétée de la possible non intervention du Parquet dans le cadre de la convocation par l'officier de police judiciaire.

Est-ce que le fait que le juge puisse alors ne prononcer qu'un rappel à la loi n'est pas de nature à vous rassurer ?

Me Marie-France PONELLE.- C'est vrai, mais ce ne sera pas toujours le cas. Ce n'est pas uniquement la mise en examen, mais aussi le jugement qui peut être fait à la suite d'une convocation par OPJ.

On voit assez souvent des nullités qu'il faut soulever dans les procédures qui ne sont pas du tout respectées pour des petits dossiers. Sans contrôle du Parquet on risque d'aller beaucoup plus vers des nullités qui compliqueront la procédure.

Me Marie-Elisabeth BRETON, Je ne suis pas tout à fait d'accord avec mon confrère, non pas sur les nullités, mais sur le rôle de l'avocat devant le tribunal pour enfants.

Il y a une réflexion à mener. On se bat pour le maintien de l'ordonnance de 1945. Est-ce que l'avocat, devant le tribunal pour enfants doit avoir la même philosophie, les mêmes réactions que dans une autre procédure ?

À partir de là est-ce que véritablement on doit manoeuvrer avec des nullités, alors qu'on sait que l'intérêt de l'enfant est la rapidité du rappel à la loi et le suivi éducatif ?

L'avocat, à mon avis, a un rôle essentiel à jouer. C'est pourquoi il est très important qu'il soit prévu sa présence à tous les moments, même au niveau de l'assistance éducative, car je pense qu'il peut épauler le juge des enfants et, après la décision de justice, permettre un suivi avec la famille.

Après avoir passé la porte du tribunal, il est important que l'avocat continue à aider l'enfant, la famille.

Alors les nullités de procédure...

Me Marie-France PONELLE.- L'avocat est quand même garant de la procédure. Il ne faut pas faire des nullités constamment, mais considérer l'intérêt de l'enfant en priorité.

M. le Président.- Donc il faut à la fois de bons avocats et de bons juges.

Me Marie-France PONELLE.- Il faut tout bon en deux mots.

M. le Président.- Je vous remercie de l'utilité de vos interventions.

Je demande à M. le Président Bruel, président du tribunal pour enfants de Paris, Mme le Juge Bagot, et M. Kulyk, juge d'instruction, de nous rejoindre.

JUGES DES ENFANTS

M. Alain BRUEL - Président du tribunal pour enfants de Paris

Mme Martine BAGOT - Juge des enfants à Versailles

M. Christian KULYK - Juge d'instruction à Montbéliard

M. Alain BRUEL - Lors des débats devant l'Assemblée nationale, le projet de loi a été présenté par M. le Garde des Sceaux comme un compromis, donc quelque chose d'équilibré, avec à la fois le maintien de l'ordonnance de 1945 dans toute sa philosophie et ses dimensions, et une mise à jour devenue nécessaire en raison de l'évolution de la délinquance juvénile.

Sans vouloir exprimer l'opinion des magistrats du tribunal pour enfants de Paris que je représente ici, je dois dire qu'ils ont l'impression qu'à travers ce projet de réforme un grave déséquilibre va s'introduire dans le fonctionnement de l'ordonnance de 1945.

Je m'efforcerai de ne pas être corporatiste ni idéologue, puisque ce sont des termes qui ont été employés vis-à-vis de ceux qui critiquaient ce projet.

Il se pose un véritable problème, celui de rapidité de la réponse judiciaire.

Les magistrats en sont parfaitement conscients. Il ne faut pas croire que c'est par plaisir qu'il a pu arriver dans bon nombre de tribunaux de voir des juges des enfants laisser traîner des procédures pénales pendant de longs mois voire des années.

Ce n'est jamais de gaieté de coeur ou par philosophie ou par préférence idéologique que les juges le font, la plupart du temps c'est pour une raison tout simplement de surcharge.

Il se pose un réel problème d'effectif des juges mais aussi des greffiers.

Il se pose aussi un problème de mobilité du corps. Les juges des enfants, malheureusement à mon avis, sont gérés au même titre que les autres magistrats, sans tenir compte des servitudes particulières à leur fonction.

Tout à l'heure, un avocat a dit que le juge des enfants de son tribunal avait pu rétablir une situation extrêmement difficile dans un minimum de temps.

Le juge des enfants qui reste un an ou deux dans une fonction n'a pas le temps de gérer véritablement son cabinet.

Ceci étant, chaque fois qu'une modification est introduite, qu'il y a un congé maladie ou maternité, que la mobilité -qui est devenue dans notre corps professionnel une vertu- fait entendre ses sirènes et que le juge des enfants s'en va, un retard nouveau s'introduit.

Il est très important de le savoir. Il est vrai que des retards se sont accumulés. Il nous a été vivement reproché de privilégier, en cas de surcharge, les dossiers d'assistance éducative concernant les enfants en danger par rapport aux petits dossiers pénaux de délinquance moyenne ou faible.

Je pense qu'il est plus important de sauver un enfant battu ou victime d'inceste que d'admonester un mineur qui a commis un délit.

Ceci étant, il faut l'admonester dans les temps. C'est justement là que le choix devient dramatique. Il y a une espèce de déperdition du sens de la décision au niveau de la procédure ; pour un adolescent être jugé au pénal au bout d'un ou deux ans n'a plus aucune signification.

Nous sommes parfaitement d'accord avec le Garde des Sceaux, et nous avions même pris les devants.

Nous étions allés le voir et nous lui avions dit : « Monsieur le ministre, nous souhaiterions une réforme de l'ordonnance de 1945 ».

Nous avions proposé un mécanisme évoqué tout à l'heure, celui de la césure qui consiste à dire que des sujets sont socialement brûlants et d'autres moins.

Les premiers sont les suivants :

- le mineur a-t-il commis ou non les faits ? Il faut se prononcer sur sa culpabilité.

- À-t-il des parents ? Sont-ils civilement responsables ou non ? Il faut peut-être quelquefois le leur dire, et vite.

- La convocation de la victime, pour qu'elle puisse être en mesure de faire état de son préjudice, que celui-ci soit fixé, et de manière nette.

Voilà les urgences.

Après il y a la condamnation. Elle peut être une mesure éducative ou une sanction pénale.

Excusez-moi, je n'en vois pas l'urgence sur le plan social, sauf à vouloir absolument la mort du pécheur, c'est bien le problème qui me préoccupe.

Je crois qu'il faut un temps permettant un minimum d'individualisation, de connaissance de celui qu'on va juger.

Le temps qu'on va mettre alors pour essayer de connaître la personne n'est pas perdu, il peut être meublé par des mesures éducatives, par un projet de réparation, par des investigations et orientations psychologiques diverses.

Donc le mécanisme de la césure consiste à régler les trois problèmes urgents dont j'ai parlé, et à renvoyer à six mois pour le prononcé définitif de la sanction en mettant en place certaines mesures provisoires qui vont meubler ce délai de six mois.

Le Garde des Sceaux nous a réservé un très bon accueil, il a tenu parole puisque cela a été proposé et accepté d'ailleurs par l'Assemblée nationale, mais à notre grande stupéfaction nous n'avons pas vu figurer la césure au niveau du tribunal pour enfants.

Pour des audiences de cabinet -où l'enjeu n'est pas considérable puisqu'il s'agit d'une admonestation, d'une mesure de liberté surveillée- on permet au juge de s'y reprendre à deux fois, il peut avoir six mois de réflexion avant d'admonester.

En revanche, devant le tribunal pour enfants où des peines de prison ferme peuvent être prononcées -et cela existe tous les jours à Paris-, pour ce type d'audience collégiale où il y a un enjeu réel, la césure n'a pas été prévue.

Pourquoi ? M. le Garde des Sceaux nous a dit « vous avez l'ajournement ».

Mais celui-ci répond juridiquement à des conditions très précises.

Il faut que l'individu soit présent, et que des conditions identiques à celles de la dispense de peine soient remplies. L'ordre public ne doit plus être troublé, le reclassement de l'individu doit paraître en cours.

Il faut que le préjudice de la victime soit en voie d'être réparé. Comment le faire avec ce mécanisme de comparution rapprochée qui nous obligera à statuer très vite ?

Si nous n'avons pas cette possibilité de césure nous permettant de dissocier le temps de la sanction de la conviction, pour employer un néologisme anglo-saxon, je pense que nous risquons d'être coincés.

L'ajournement ne pourra pas être utilisé, le renvoi ne permet pas de régler les questions socialement urgentes. Donc je ne vois qu'une possibilité : étendre la césure.

Je ne suis même pas sûr que M. le Garde des Sceaux y soit opposé. Je pense que la question n'a peut-être pas été suffisamment approfondie. En tout cas c'est un des espoirs que je place dans le passage devant le Sénat...

M. le Président.- Je me permets de vous interrompre. La commission des Lois et le Sénat vont délibérer.

M. Alain BRUEL.- Par rapport à cette possibilité de recul il n'y a pas, je crois, de véritable opposition du Garde des Sceaux.

L'argument donné est purement technique, et à l'étude il ne tient pas.

La convocation par un officier de police judiciaire existe. Une loi de février 1995 l'a créée.

Pourquoi critiquons-nous ce système ? Parce qu'on n'attend pas que cette convocation donne ses résultats, et il s'agit de changer le système en supprimant la requête du Parquet et en permettant à la convocation de valoir citation devant le juge des enfants.

Le Parquet n'a déjà pas matériellement le temps de venir aux audiences de cabinet, donc il ne voit pas le mineur ; jusqu'à présent il examinait la procédure, il pouvait quand même vérifier si les travaux de la police avaient été correctement menés et proposer une qualification.

Tout cela n'existera plus puisqu'il y aura un simple coup de téléphone entre le Parquet et l'officier de police judiciaire, et tout se passera en dehors du Parquet ensuite.

Je trouve un peu bizarre qu'à aucun moment le Parquet ne voie la procédure écrite concernant un jugement, qui certes n'est pas d'une très grande importance, mais qui pour certains en a une. Être relaxé ou condamné n'est pas neutre.

Il faudrait que ce contrôle puisse être rétabli, il suffirait de maintenir la convocation telle qu'elle existe actuellement.

Voilà notre position.

Nous ne sommes pas contre le mécanisme de comparution rapprochée dans la mesure où il est bon que le Parquet représentant l'intérêt de la société, et susceptible de répercuter une certaine indignation, une pression sociale, puisse indiquer de manière assez ferme au juge des enfants qu'il doit régler la situation dans un délai plus bref.

Nous ne sommes pas du tout contre cet avertissement, mais il est assorti d'une possibilité d'appel, qui n'est d'ailleurs réservée qu'au Parquet, la défense ne pouvant pas faire appel. Et là le Parquet le fera devant un conseiller dont on nous a dit tout à l'heure que c'était un magistrat spécialisé, nommé en cette qualité, mais n'ayant pas forcément une expérience antérieure de juge des enfants.

Je me suis livré à une petite vérification dans l'annuaire de la magistrature. En septembre 1994 à peu près un tiers seulement des conseillers délégués avaient été juges des enfants.

Il ne faut pas les présenter comme des super juges des enfants. Certains d'entre eux ont cette formation antérieure, mais pas la plupart.

Quand bien même l'auraient-ils, je pense qu'ils n'ont pas la position des juges des enfants, qui est tout à fait particulière. Tous les avatars concernant un même mineur reviennent chez le juge des enfants, il intervient dans le temps, il peut connaître non seulement un fait, mais toute la trajectoire de l'enfant.

C'est ce qui fait de lui, me semble-t-il, le juge naturel qui va pouvoir replacer chaque acte de transgression dans la trajectoire du sujet, lui accorder plus ou moins d'importance et la sanctionner de façon plus ou moins sévère.

C'est bien là le coeur du problème que je voulais souligner quand je parlais de déplacement de pouvoir du siège vers le Parquet.

Il est porté atteinte dans l'ordonnance de 1945 actuelle au double pouvoir du juge des enfants, d'une part de choisir le moment opportun pour juger ; d'autre part d'aiguiller le mineur soit devant lui-même, soit devant le tribunal pour enfants en audience collégiale.

Ce pouvoir, il est en passe de le perdre puisque maintenant c'est le Parquet qui va programmer la machine judiciaire, qui va demander une convocation rapprochée devant le juge des enfants ou une comparution rapprochée devant le tribunal pour enfants.

Le juge des enfants perd ce deuxième pouvoir d'aiguiller, après celui de temporiser.

C'est ennuyeux car les deux se rattachent à l'idée du juge des enfants, juge naturel. C'est, nous semble-t-il, le plus important à dire sur le sujet.

Mme Martine BAGOT .- Je suis Martine Bagot, juge des enfants au tribunal de grande instance de Versailles. Nous sommes six chargés des différents secteurs, je m'occupe particulièrement de celui de Trappes.

Je voudrais expliquer à la commission des Lois la façon dont nous fonctionnons, pour essayer de régler ce problème de temps qui nous préoccupe tous.

Deux sortes de procédures différentes sont à distinguer : les affaires simples qui donnent lieu à une présentation devant le juge des enfants, et celles plus importantes éventuellement jugées devant le tribunal pour enfants.

Comment essayer d'apporter une réponse rapide à un fait qui a causé un trouble important à l'ordre public, et commis par un mineur ?

Lorsqu'il s'agit d'un récidiviste et d'actes de violence, le procureur de la République fait déférer systématiquement le mineur devant le juge des enfants pour qu'il soit mis en examen, et qu'éventuellement des mesures soient prises pouvant être d'ordre éducatif ou aller jusqu'à un mandat de dépôt, ou que soient conduites des investigations supplémentaires.

À l'issue de la garde à vue le mineur est déféré devant le juge des enfants. Il est ensuite présenté devant le service éducatif auprès du tribunal qui fait un rapport. C'est au vu de ce dernier que nous prenons immédiatement la mesure d'ordre éducatif qui nous semble adaptée, ou pénale que peut constituer éventuellement un mandat de dépôt.

À cette audience-là peut également être prévue une mesure de réparation si la victime a été convoquée.

Même si on a conscience de l'accroissement de la délinquance, de son rajeunissement et de sa violence, il faut savoir qu'un premier avertissement devant le juge des enfants a des effets, dans certains cas, qui sont peut-être minimisés.

Il est vrai que la réponse doit être aussi rapide que possible. Si quelquefois des délais de convocation existent, c'est parce que des problèmes matériels se posent, de greffe, et d'effectif des juges.

Pour la délinquance moins importante, pour laquelle est prévue la procédure de la césure, comment fonctionnons-nous ?

L'ordonnance de 1945 prévoit une phase d'instruction et une phase de jugement.

Il est vrai que pour ces petites affaires nous faisons l'économie de deux convocations en traitant en une seule audience de cabinet, en présence des parents et de l'avocat du mineur, la mise en examen, où le mineur est entendu sur les faits, et le jugement ordonnant simplement une mesure éducative.

Je pense que cette audience peut se tenir rapidement. Qu'un délai soit fixé, pourquoi pas ? Si nous avons les moyens de le respecter, nous le souhaitons aussi.

Cette césure dans le cadre de l'audience de cabinet ne me semble pas forcément essentielle, puisqu'au contraire nous essayons de regrouper les réponses pour traiter le maximum de dossiers.

Je précise qu'au tribunal pour enfants de Versailles les saisines du Parquet ont doublé depuis deux ans. Nous faisons deux fois plus de pénal. Nous essayons de raccourcir les délais, avec les difficultés qu'entraînent, notamment lorsqu'une mesure éducative est ordonnée, les délais de sa mise en oeuvre.

Le projet prévoit un délai de six mois permettant des investigations, pour mieux connaître la personnalité du mineur et le milieu dans lequel il vit.

Les mesures d'investigations que nous ordonnons, même au pénal sont souvent prises trois ou quatre mois après. Le service éducatif estime que pour pouvoir donner une réponse éclairée, suffisamment complète à la demande du juge des enfants, il lui faut six mois d'investigations.

Alors je m'interroge sur la possibilité que nous aurons d'ordonner une mesure et d'avoir la réponse dans les six mois prévus par le texte de loi.

Si on veut respecter ce délai, il va falloir absolument donner les moyens au service éducatif d'apporter une réponse rapidement.

Je voudrais évoquer les difficultés pratiques que vont engendrer, si le texte est adopté tel qu'il est, les mesures prévues.

En ce qui concerne la convocation par officier de police judiciaire nous nous sommes réunis à Versailles.

Lorsqu'un vol de cyclomoteur, d'autoradio aura été commis, le commissariat de police devra téléphoner au substitut de permanence pour lui demander de fixer une date d'audience devant le juge des enfants.

Ces problèmes sont traités actuellement par courrier. Le substitut reçoit les procédures, examine s'il va les renvoyer ou pas devant le juge des enfants. Là, chaque procédure fera l'objet d'un appel téléphonique au Parquet. Je m'interroge sur la façon dont il pourra le faire.

Nous serons obligés de prévoir des plages d'audience permettant de fixer des convocations qui seront données par l'officier de police judiciaire, donc réserver du temps libre pour attendre le « client ».

Nous nous interrogeons sur la façon dont nous pourrons gérer les autres dossiers, notamment dans le cadre de l'assistance éducative.

Lorsque le mineur sera convoqué à l'audience de cabinet pour un vol d'autoradio, par exemple, pour un premier délit, le texte prévoit qu'il devra être systématiquement présenté devant le service éducatif auprès du tribunal, ce qui n'est pas actuellement le cas.

Ce service est tellement débordé qu'il ne peut pas exercer les mesures de liberté surveillée que nous lui confions.

Si, systématiquement, à l'occasion de chaque présentation devant un juge des enfants, il y a un entretien éducatif préalable qui ne peut pas prendre moins d'une heure pour être sérieusement mené, il faut réaliser l'enlisement dans lequel nous allons nous trouver !

Nous attendrons que le service éducatif ait fini son entretien pour pouvoir recevoir le mineur, son avocat et ses parents.

Je crains que nous n'arrivions pas à gérer ce quotidien.

Cette comparution obligatoire est nécessaire, mais je ne crois pas que c'est en multipliant les entretiens qu'on va faire de l'éducatif, mais plutôt en permettant que les mesures ordonnées soient exercées.

Les convocations par OPJ ne seront pas visées par le Parquet. Je parle des nullités soulevées qui demandent un travail sur la procédure, qui n'est peut-être pas essentiel.

Certes, un avocat a le souci de s'occuper d'abord de son rôle éducatif, car il en a un aussi. Mais ces nullités de procédure sont de plus en plus nombreuses, et ne vont pas aller en s'arrangeant si le contrôle du Parquet est insuffisant.

Ces nullités entraîneront une procédure devant le conseiller chargé de la protection des mineurs, d'où des délais supplémentaires, et une charge de travail qui ne me semble pas tendre vers le rôle éducatif qui reste absolument nécessaire.

Je m'interroge également sur les conséquences que pourrait entraîner un dépassement des délais.

Si nous n'arrivons pas à tenir ce délai, quelle sera la sanction ? Est-ce que le conseil pourra évoquer la nullité de la procédure dans la mesure où il n'y aura pas eu de respect ?

Évidemment nous ferons des ordonnances motivées de prorogation de délais ou de renvoi devant le tribunal.

Tout cela demandera du temps. Or, nous avons 400 à 600 dossiers d'assistance éducative à gérer, 200 dossiers d'ordre pénal...

Les juges des enfants que je connais se donnent à fond à leur travail, ils y consacrent des heures que vous n'imaginez pas. Nous arrivons à une saturation, et nous avons l'impression qu'on veut nous mettre des barrières, des guides, des obligations supplémentaires, qui ne tendent pas au but que nous recherchons, à savoir éviter les récidives, et qu'une mesure éducative permette d'éviter que les délits se reproduisent.

Je voudrais insister sur le rôle de prévention que constitue une mesure d'assistance éducative. Elle est ordonnée évidemment avant tout délit. Néanmoins nous sommes saisis pour beaucoup de mineurs en danger du fait de leur comportement.

Il n'y a pas encore de requête pénale, ils n'ont pas commis de délit, ils sont déscolarisés, ils traînent le soir dehors, et le travail éducatif que nous faisons à ce niveau-là est effectué avec les parents.

Nous sommes saisis parce qu'il y a un dysfonctionnement de l'autorité parentale. Le rôle du juge des enfants dans ce cadre de danger résultant des difficultés des parents à exercer leurs responsabilités, est ce travail que nous faisons en assistance éducative.

Si la procédure pénale nous absorbe, nous serons obligés de renoncer à cette assistance éducative.

Nous nous occuperons des enfants maltraités, des plus jeunes.

Mais ceux qui sont déscolarisés, ceux que la mère n'arrive pas à éduquer convenablement parce qu'elle les élève seule et dans des conditions difficiles, ceux qui traînent le soir, qui se montrent violents, passeront à côté de l'aide individualisée nécessaire apportée par le juge des enfants. Or c'est sa responsabilité, travailler avec les enfants et les parents.

M. le Président.- Je vous remercie particulièrement de nous avoir apporté des éléments très concrets sur les problèmes que vous rencontrez pour assurer la difficile mission qui est la vôtre.

M. Christian KULYK .- Je m'appelle Christian Kulyk, je suis juge d'instruction à Montbéliard. Je suis présent parce que j'ai exercé pendant près de neuf ans les fonctions de juge des enfants dans le Territoire de Belfort.

Je souhaiterais faire part aux membres de la commission des Lois d'un excellent article de Jean Zerbatten, magistrat suisse au tribunal de Sion, publié dans le droit de l'enfance et de la famille de 1992, n° 34. Cet article est relatif aux différents modèles de justice à l'égard des mineurs.

Il distingue d'un côté le modèle de protection, de l'autre celui de justice.

Très succinctement le modèle de protection consiste à dire que l'enfant qui commet un acte délictueux ne va pas bien, et manifeste ainsi la situation de danger dans laquelle il se trouve. Il relève d'une situation de soins, de protection. C'est l'esprit de l'ordonnance de 1945.

Le modèle dit de justice existe surtout dans certains États des États-Unis, où l'infraction est considérée en tant que telle ; l'acte est pris en compte, le désir de protection de la société est davantage pris en considération que la personnalité même du délinquant.

Le débat d'une certaine façon tourne autour de ce problème de l'accélération des procédures, c'est-à-dire du renvoi de l'enfant délinquant devant le juge, et éventuellement la sanction afférente à l'infraction qu'il a commise.

Par expérience, il me semble que plus de 70 % des jeunes commettront effectivement un acte unique, découvert, se traduisant par une seule confrontation avec les services de police ou de gendarmerie.

Lorsqu'on a passé un certain temps avant de considérer que cette situation méritait d'être jugée, on s'aperçoit très souvent que la leçon a été apprise, et qu'en fait la comparution devant le juge des enfants n'a qu'un caractère purement formel qui vise à clore une procédure, que malheureusement le mineur croyait souvent déjà close parce qu'il n'en avait pas entendu parler.

C'est la raison pour laquelle de façon un peu dissidente, dans ce cas particulier de la délinquance unique, le juge des enfants n'a pas le monopole de dire le droit, la loi.

Dans ce cas, la comparution, c'est-à-dire l'interpellation par les services de police ou de gendarmerie, ou la relation avec la famille seraient peut-être un rappel suffisant à la loi.

C'est la raison pour laquelle je pense qu'il faudrait notamment sensibiliser les substituts des mineurs et développer davantage les mesures de médiation réparation.

Très fréquemment, la fonction de substitut de mineurs est occupée par quelqu'un qui sort de l'école de la magistrature, et cette formation peut se faire utilement à cette école, à mon avis.

Je pense véritablement que la médiation réparation est une des plus belles choses qui aient été ajoutées à ce texte de l'ordonnance de 1945 dont nous pouvons toujours être légitimement fiers.

J'en veux pour preuve la législation récente des pays voisins, modifiée depuis 1982 par certains États. Nombreux sont ceux qui ont regardé l'ordonnance de 1945 et qui s'en sont inspirés très largement.

N'y voyez pas de provocation de ma part, mais je voudrais dire que ce rappel de la loi, qui pourrait être fait utilement auprès de l'officier de gendarmerie, nécessiterait de l'être selon des règles respectueuses de la personne du mineur.

Malheureusement certains pensent encore que la gifle ou le coup de pied au derrière, voire la brutalité, peut être de nature pédagogique, ce que je ne crois pas.

Une expérience de sociologues israéliens a montré que certaines violences, voire certaines paroles injurieuses, offensantes lors de la garde à vue, avaient un effet exactement contraire, se traduisant par un sentiment d'insécurité, et par la perte de confiance dans les institutions.

Je crois à l'utilité d'une formation des gardiens de la paix, des inspecteurs de police par rapport à cette nécessité absolue de considérer le mineur dans sa personne et de lui réserver le respect qui lui est dû.

Le fait de dire qu'il existe en quelque sorte deux procédures, une un peu informelle, dite officieuse, et une qui correspond davantage au deuxième modèle défini par Jean Zerbatten, dit de justice, nous amène à un certain flou longtemps reproché qui, je pense, est en train de disparaître.

Longtemps on a considéré que l'intérêt du mineur avait prévalence sur le respect de certaines formes de procédures, certains droits, etc.

Or, je pense que le juge des enfants, de tous les magistrats est peut-être le personnage le plus seul dans toute l'institution judiciaire, et surtout le plus dépourvu de contre-pouvoir, de garantie.

C'est la raison pour laquelle je suis très heureux que depuis quelques années seulement la présence de l'avocat soit impérativement exigée, mais je pense aussi qu'il ne faut pas que le ministère public soit éloigné de cette procédure.

Voilà pourquoi la convocation par OPJ valant citation me paraît extrêmement dangereuse, dans la mesure où l'expérience du tribunal correctionnel, notamment à juge unique, montre que nombreuses de ces convocations sont entachées d'irrégularités voire d'erreurs matérielles.

L'enfant est une personne et, à ce titre, il est titulaire de certains droits. On ne peut pas passer outre sinon on entre dans une justice source d'arbitraire.

En revanche on peut considérer qu'il faut apporter une réponse rapide, cela me paraît évident. Mais l'ordonnance de 1945 dès à présent offre cette possibilité de césure régulièrement appliquée.

C'est la raison pour laquelle une solution intéressante serait un contrat de procédure proposé dès la première comparution du mineur devant le juge des enfants, afin qu'il sache qu'on lui impartit un délai pour faire ses preuves, pour montrer sa capacité à se réinsérer, sa volonté de ne pas s'éloigner définitivement du corps social, qu'il sache également de façon assez claire dans quel délai il sera jugé, quelles personnes il sera amené à rencontrer.

Je tiens à rappeler l'attitude de certains États voisins. Par exemple, l'Italie considère que la première rencontre du mineur avec l'institution judiciaire se fait par l'intermédiaire prioritaire d'une relation d'intervention de l'assistante sociale et du psychologue.

Ce genre d'enquête de personnalité est tout à fait nécessaire, et malheureusement la surcharge actuelle et la diminution des effectifs nous amènent à nous en passer souvent, et à nous contenter pour la connaissance du mineur d'une espèce de document succinctement rempli par les services de police et de gendarmerie.

Je voudrais aussi profiter de la parole qui m'est donnée pour rappeler que la détention provisoire ou l'emprisonnement des mineurs se fait quelquefois dans des conditions à mon avis difficilement acceptables ou compatibles avec les conventions internationales auxquelles nous avons adhéré.

Je prends l'exemple spécifique de la maison d'arrêt de Mulhouse où, par exemple, à la suite d'un incendie il y a quelques années, il n'y a plus de quartier des mineurs. Ils se trouvent dans une relative promiscuité avec les majeurs. Un mineur a ainsi été victime d'abus sexuels malgré la vigilance dont ont fait preuve les surveillants. Un autre a été victime de sévices de la part de codétenus, un autre de racket, et durant toute sa détention s'est abstenu de sortir en promenade de façon à éviter des rencontres dangereuses.

Il faut savoir que la prison est génératrice d'angoisse, elle se traduit régulièrement par la prise d'anxiolytiques qui peuvent être à l'origine d'une toxicomanie.

Enfin, je regrette que la prison soit aussi un moment vide, ne soit pas mis à profit pour un travail personnel, faute de moyens, de personnels éducatif, psychologique, de soins, pour permettre un travail du mineur sur sa relation à lui-même, à la société.

Je prends l'exemple d'une situation où un garçon avait été condamné par le tribunal de Belfort à une peine de deux ans d'emprisonnement. Le tribunal, dans son dispositif, avait mentionné qu'il devait être soumis à des soins spécifiques à caractère psychologique et à une formation professionnelle durant sa détention.

En fait il a passé les deux ans de sa peine dans la maison d'arrêt de Besançon sans que l'administration pénitentiaire explique les raisons pour lesquelles elle n'avait pas pu mettre à exécution ces dispositions.

Si une peine de cette nature devait être prononcée, le tribunal pour enfants précisant les modalités d'exécution de la peine, il me paraîtrait au moins nécessaire que l'administration pénitentiaire rende compte des raisons pour lesquelles elle exécute ou pas les dispositions de justice.

Je rappelle que je crois énormément à la médiation réparation, et si possible déjà au stade du ministère public avant celui du jugement, dans la mesure où, on le sait, le mineur délinquant a une image particulièrement péjorative de lui-même.

L'expérience de médiation réparation a montré qu'en réparant ce qu'il a fait, il se répare souvent lui-même, il restaure sa propre image.

La meilleure réponse pour éviter la récidive est le développement de cette activité, si possible en amont.

M. le Président.- Les trois interventions que nous venons d'entendre ont insisté très nettement sur l'insuffisance des moyens matériels, soit en amont, soit en aval.

À Versailles vous êtes six. Dans l'idéal il faudrait que vous soyez combien ?

Mme Martine BAGOT.- Je n'ose pas dire deux de plus, mais il est certain que nous pourrions tout gérer beaucoup mieux si nous étions plus nombreux.

Pendant un temps nous n'avons été que cinq. Le président du tribunal pour enfants, qui s'occupe des Mureaux plus particulièrement, n'a pas été remplacé pendant six mois.

Pendant ce temps les autres juges ont pris les dossiers de l'assistance éducative en plus, mais le pénal en a pâti, d'où un retard au pénal.

Je parle des juges, mais aussi des greffes. Ils sont en nombre tout à fait insuffisant. Lorsqu'il manque un greffier quelque part, on vient toujours le chercher au greffe du tribunal pour enfants.

Je pense aussi aux services éducatifs. J'en ai un à Trappes qui depuis deux ans attend un directeur.

La politique de la ville a des fonds importants, tant mieux ! Mais à partir du moment où il y a des enfants en danger, délinquants, pour ceux-là il n'y en a plus, alors qu'il faut un travail individuel. La décision de justice n'est pas appliquée.

J'ai une mesure de liberté surveillée qui n'a pas été exécutée pendant six mois, des enfants gravement en danger attendent depuis neuf mois des mesures d'assistance éducative. Elles relèvent peut-être du président du Conseil Général, les autres de la PJJ, celle-ci manquant gravement de moyens.

Il y a des projets de prélèvement de personnels de la PJJ. Où va-t-on les prendre ?

M. Christian KULYK.- Les petites juridictions ont l'inconvénient de fonctionner avec peu de juges. Lorsqu'un ou deux manquent, ce qui est le cas à Montbéliard, nécessairement les autres sont appelés à exercer des fonctions de remplacement.

Par ailleurs, s'agissant du greffe, un juge des enfants a normalement droit à un greffier plus un agent de bureau à trois quarts de temps. Dans la réalité je n'ai jamais travaillé qu'avec un greffier, lequel était appelé à des fonctions de remplacement en instruction si bien qu'il n'était même pas à plein temps.

M. le Président.- De vos propos se dégage un accord quant à la nécessité d'une accélération des procédures notamment.

La faculté de l'oubli du jeune est importante.

Vous avez parlé également des mesures de réparation. C'est-à-dire concrètement ?

M. Alain BRUEL. - Elles existent à deux niveaux :

- un travail de médiation peut être effectué avant le procès au niveau du Parquet, pour permettre un rapprochement entre l'auteur et la victime, et une indemnisation notamment de la dernière.

- La réparation existe au niveau du Siège. C'est une mesure plus complexe à connotation plus éducative.

C'est une injonction adressée à un jeune en lui disant « on sait ce que tu es capable de faire en mal, il te reste à montrer ce que tu es capable de faire en bien. Donne des preuves de ta capacité à mener des actions positives, et de ton regret. »

Des mesures ont donné d'excellents résultats.

Un exemple très précis. Un garçon participe à une bagarre dans laquelle une victime est un handicapé visuel. L'éducateur prend contact avec la victime, celle-ci dit « je l'ai rencontré une fois, je ne souhaite pas le rencontrer une deuxième fois, qu'il aille réparer ailleurs ».

L'éducateur n'a pas pour autant changé son attitude, il a pensé qu'une réparation indirecte pourrait avoir un intérêt. Il s'est adressé à une association d'aide aux aveugles. Celle-ci a accepté que ce jeune aille faire des accompagnements pour des promenades en forêt. Il les a très bien assumés.

M. le Président.- Donc une proposition de travail d'intérêt général.

M. Alain BRUEL. - Non. C'était proposé par le jeune lui-même conseillé par son éducateur, et avalisé par le juge. C'est une démarche personnelle, même si elle est guidée.

La victime apprenant la réparation faite par personne interposée a réfléchi et a finalement écrit une lettre à mon collègue juge des enfants, en lui disant « tout compte fait, je retire toute la partie de ma demande de dommages et intérêts correspondant au préjudice moral, parce que j'estime qu'il a été suffisamment indemnisé par le travail accompli par l'enfant dans une institution ».

Cela peut avoir un sens pour le jeune, donc une efficacité particulière.

M. Christian KULYK .- En matière de cambriolage, j'ai deux exemples concrets dans le Territoire de Belfort.

Trois jeunes commettent un cambriolage dans un stand de tir, le président accepte le principe de la réparation, prévoit un programme, mais en plus a l'intelligence de prévenir les membres qu'en aucun cas une allusion défavorable ne devra être faite aux jeunes à l'occasion des travaux de réparation.

Ceux-ci sont menés sous le contrôle d'un éducateur, ils se passent tellement bien qu'à la fin l'association propose aux jeunes une licence gratuite jusqu'à la fin de la saison.

M. le Président.- On leur a appris à tirer ?

M. Christian KULYK- Oui. M s'agissait d'un tir de précision à plombs. Je précise que c'est excellent pour le contrôle de soi.

Je pense qu'il vaut mieux savoir éventuellement se servir d'une arme à feu que de l'utiliser maladroitement.

Ceci mis à part, ce qui m'a paru intéressant c'est que ces garçons aient pu être confrontés aux victimes de leur acte sans pour autant sortir en larmes.

Dans une autre circonstance ils avaient dégradé particulièrement une maison après un vol. Avec l'aide de l'éducateur ils ont évolué. Il était lui-même stupéfait. Ces garçons peu à peu restauraient leur propre image, et, j'en suis persuadé, ne recommenceront plus jamais grâce à cette activité de médiation réussie.

M. Alain BRUEL- Cela prend beaucoup de temps. Les éducateurs sont intéressés par les résultats, mais cela suppose des contacts multiples. Il faut des démarches auprès des associations.

M. le Président.- Je vous remercie.

Je demande à M. Valensi, procureur de la République à Saint-Omer, et à M. Schmit, procureur de la République à Rouen, de nous rejoindre.

MAGISTRATS DU PARQUET

M. Joseph SCHMIT - Procureur de la République à Rouen

M. Jean-Pierre VALENSI - Procureur de la République à Saint-Omer

M. Joseph SCHMIT .- Monsieur le Président, vous m'avez fait l'honneur de me demander d'intervenir sur le problème de la délinquance juvénile, dans le cadre du projet de loi sur la réforme de l'ordonnance de 1945 voté par l'Assemblée Nationale.

Je dois dire à votre honorable Assemblée que cette réforme dans sa globalité est très attendue, au moins en ce qui concerne la disposition prévue par le troisième alinéa de l'article 5 de l'ordonnance de 1945, qui permet au procureur de la République de faire convoquer directement devant le juge des enfants, voire à l'audience du tribunal, un mineur par un officier de police judiciaire, dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours.

C'est une réforme attendue qui est approuvée par tous les magistrats du Parquet avec lesquels j'ai eu le plaisir de travailler tant à Reims, de 1987 à 1995, qu'à Rouen, où nous avons délibéré et où ce texte a été salué à l'unanimité comme un moyen juridique intéressant.

Nous avions été déçus par la loi du 8 février 1995, le législateur n'était pas allé jusqu'au bout. Elle permettait de convoquer le mineur devant le juge des enfants, mais la convocation était dénuée de tout effet juridique.

Or cette fois-ci le projet va jusqu'au bout et donne à la convocation par officier de police judiciaire un effet juridique qui équivaut à une mise en examen, et permet au juge éventuellement, si le dossier est en l'état, de juger immédiatement.

La délinquance des mineurs dans des agglomérations comme celle de Rouen est devenue un problème extrêmement préoccupant. Il doit être abordé avec vigilance, également avec sang-froid.

Je voudrais citer quelques chiffres.

En 1993, 617 mineurs ont été impliqués dans des affaires pénales, en il y en a eu 697, augmentation peu significative et peu alarmante. Et en nous sommes passés à 1.464, soit une progression considérable.

Ce chiffre pour 1995 de 1.400 mineurs doit être comparé aux 6.000 personnes interpellées par les services de police. Donc l'augmentation est significative, mais dans un rapport plus modéré par rapport aux années antérieures.

Le commissariat de police a changé de responsable ainsi que la Direction Départementale de la Sécurité Publique.

Ces responsables du commissariat de police ont décidé de mener une politique de transparence totale pour les mineurs, car jusque-là que se passait-il ? Sur le terrain les victimes pensaient que le Parquet et le tribunal ne faisaient rien et qu'il était donc devenu complètement inutile de déposer plainte. Les agents de police avaient également ce sentiment.

Dans la rencontre entre la victime et l'agent, lorsque la première disait « je ne désire pas porter plainte », l'agent n'essayait pas de la convaincre du contraire. Et quand elle décidait de le faire, l'agent lui disait que ce n'était peut-être pas la peine.

C'est une réalité -je ne la critique pas- qui m'a été confirmée par les chefs du commissariat central. Ils ont exigé que chaque acte de délinquance commis par un mineur soit signalé. C'est très important pour l'avenir.

En effet, nous estimons, nous, magistrats du Parquet, qu'un acte commis par un mineur contre la loi doit être systématiquement pris en charge par l'autorité judiciaire.

J'estime que ce problème est devenu essentiel dans les grandes agglomérations.

Cette délinquance des mineurs est préoccupante car elle se nourrit depuis quelques années dans un vivier de plus en plus jeune, avec des phénomènes de bandes dans les quartiers les plus défavorisés, qui ont des effets désastreux, parce qu'il y a des rivalités, des conflits, une espèce de surenchère de la délinquance. C'est préoccupant, assez nouveau en France depuis quelques années. Il faut être vigilant.

Il s'agit de délinquants de plus en plus jeunes, très souvent de moins de 16 ans. Ils deviennent petit à petit des délinquants endurcis.

Parfois des enfants de 12 ans participent à des actes d'agressions contre les biens ou les personnes. Ils vivent dans des milieux pauvres, dans des familles déstructurées, ils ont un fort sentiment d'exclusion, ils n'ont aucune référence, n'ignorant pas la différence entre le bien et le mal, entre ce qui est permis et ce qui est interdit.

À Reims j'ai interrogé un jeune de 18 ans. Il en était à sa quatrième condamnation, il n'était jamais allé en prison. Il en était à son sixième vol de voiture. J'ai décidé de le faire comparaître devant le tribunal correctionnel, selon la procédure de la comparution immédiate, pour qu'il prenne à son encontre des mesures plus rigoureuses. J'ai demandé au juge de l'incarcérer provisoirement pendant vingt-quatre heures.

Lui ayant notifié cette décision, il est resté complètement béat, il m'a dit « vous n'allez quand même pas me mettre en prison parce que j'ai volé une voiture ? ». Je lui ai expliqué que ce n'était pas la raison, mais parce qu'il en était à son huitième avertissement judiciaire, qu'il ne semblait pas comprendre. Il m'a répondu « qu'est-ce que j'ai fait de mal, d'autant que la voiture a été retrouvée ? ».

Voilà en quels termes se pose le problème. Les jeunes sont très souvent défendus par les parents quand ils sont impliqués dans une affaire judiciaire, lesquels les confortent dans leur système de référence qui n'est pas toujours celui souhaité.

Un troisième élément est très important. Cette délinquance a changé de nature.

Avant il s'agissait essentiellement d'appropriation de biens, et plus généralement d'affaires de peu de gravité ; c'était de la rapine, on volait un objet dans une voiture, etc. C'étaient plus des jeux que des actes graves.

Mais depuis 1990, et à Rouen tout particulièrement, cette délinquance a changé de nature, car actuellement le recours aux violences s'amplifie. Celles-ci s'adressent, de la part de ces jeunes délinquants, bien entendu aux personnes les plus vulnérables dans notre société, c'est-à-dire les personnes âgées auxquelles sont volés les sacs à main, sans faire preuve du moindre égard d'ailleurs. Elles sont d'ailleurs grièvement blessées. Et les autres jeunes ont recours au racket, aux agressions dans les établissements scolaires et autour.

Ceci contribue à créer un climat d'insécurité dans l'opinion. Je ne dis pas qu'à Rouen il existe à tort.

Tous ces comportements participent de ce que j'appelle le malaise grave des banlieues et les violences urbaines.

Quelques exemples.

Dans les établissements scolaires la drogue est une pratique courante. Il est de même fréquent de voir des jeunes qui vont au lycée ou au collège avec des armes blanches ou à feu.

Si bien que j'ai pris avec l'Inspection d'Académie des dispositions applicables depuis ce mois-ci, pour rappeler aux enseignants qu'ils sont des fonctionnaires et qu'au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, ils doivent -évidemment ce n'est pas facile vu la fonction qu'ils exercent- dénoncer systématiquement les faits au Parquet.

J'ai demandé que soient au moins saisies la drogue et les armes.

Les agressions contre les écoles sont fréquentes aussi. Les bandes de jeunes délinquants choisissent de faire le vide parce qu'elles veulent créer des zones de non droit dont elles sont les seules propriétaires, des terrains sur lesquels elles peuvent faire ce qu'elles veulent.

Donc les écoles sont actuellement des cibles visées.

Il y a également un phénomène nouveau, les violences systématiques contre les policiers. Il faut être vigilant. Il n'y a plus d'arrestation sans que le jeune se révolte, sorte une arme et se batte. Et quand l'autorité n'arrive pas à se faire obéir par une simple sommation, elle est obligée d'entrer dans un cycle de violence dont elle ne tire aucun profit, et qu'il est souhaitable d'éviter.

Dans les banlieues souvent les tout jeunes, de 10 à 12 ans, servent de guetteurs à leurs grands frères qui sont des délinquants qui organisent à l'intérieur d'un quartier un trafic de stupéfiants, etc. Ils préviennent de l'arrivée des services de police. Ces derniers sont accueillis à coups de pierres, pour retarder le moment de leur intervention sur les lieux de trafic. Les tout jeunes commencent leur apprentissage très tôt.

Je crois indispensable de vous indiquer, en tant que procureur depuis 1983, ma perception, à tort ou à raison -je pense qu'elle est quand même bonne-de la réalité de ces phénomènes de délinquance.

À Rouen, cette constatation a une ampleur incomparable. À Rouen deux à trois fois par jour j'ai des incidents dans les banlieues, des agressions permanentes de chauffeurs d'autobus, avant-hier une dame s'est fait voler son sac par trois jeunes dans le métro, etc.

Je considère que le traitement de la délinquance des mineurs, s'il est possible, est devenu l'action prioritaire de mon Parquet, au point qu'avec M. le Préfet, dans le cadre du Plan Départemental de Sécurité, nous l'avons inscrit comme cible prioritaire.

Et le SRPJ, dont ce ne sont pas les attributions classiques, pense qu'aujourd'hui il doit se préoccuper de ce phénomène, à l'égard notamment de certains chefs de bande parfaitement repérés, contre lesquels il faudrait établir des procédures incontestables sur les plans juridique et judiciaire, car le problème du recueil des preuves est extrêmement difficile. Les honnêtes gens ont peur, ils ne veulent pas témoigner ni dénoncer, parce qu'ils savent très bien que si le jeune a été arrêté, le retour de bâton sera inévitable.

Je crois qu'il faudrait envisager au niveau du ministère de l'Intérieur de créer des brigades spéciales, qui pourraient travailler pour le compte du SRJP.

J'ai décidé, après avoir pris connaissance de cette situation -je suis arrivé en septembre à Rouen- selon un principe que j'ai toujours appliqué dans toutes les affaires, de mettre en place une politique de l'action publique permettant de donner une réponse judiciaire à chaque délinquant mineur quel qu'il soit.

Je rends hommage à mes collègues juges des enfants qui font un travail considérable. Je ne reviens pas sur leurs moyens, mais j'ai des chiffres parlants.

L'assistance éducative, compte tenu de l'état de la société dans certains lieux, est devenue une tâche quasi prioritaire pour les juges des enfants, qui leur demande un temps presque complet. Ils essaient de faire le maximum, et ce n'est pas facile.

En 1984, le tribunal pour enfants de Rouen avait rendu 1.235 jugements de condamnation, en 1989 834, en 1994 148, et en 1995 je ne suis pas sûr que ce ne soit pas encore inférieur.

Je n'incrimine personne, les juges des enfants font le maximum. À Rouen, depuis le mois de décembre, sur quatre juges des enfants, un seul titulaire est présent, un est parti en congé de maternité, les deux autres cabinets sont occupés par intermittence par un délégué ou un suppléant nommé par le premier président de la cour d'appel.

Quand il n'y a pas de réponse judiciaire au niveau des juges des enfants, la délinquance ne peut qu'augmenter.

Il faut aller de la méthode la plus simple à la plus complexe, je n'exclus pas les plus rigoureuses.

Il faut permettre qu'un acte de délinquance ne reste pas sans réaction judiciaire, sans rappel à la loi. Mais surtout, il faut tenir compte de la réalité dans laquelle nous travaillons. Les juges des enfants ne peuvent pas tout faire, il faut donc que le Parquet « déblaye » à sa manière la réponse judiciaire à apporter pour réserver aux juges des enfants le temps de s'occuper vraiment des délinquants qui le méritent.

Ce que j'ai mis en place constitue de la médiation pénale pure et simple. Il y a une lettre de mise en garde pour un acte banal. La mise en garde est notifiée par lettre écrite remise par l'OPJ au commissariat de police et aux parents, éventuellement accompagnée d'une médiation pénale.

À chaque fois qu'il y aura une victime, cette médiation sera systématiquement ordonnée, afin que le médiateur spécialement formé puisse faire un rappel à la loi au mineur. Il faut aussi que les parents soient responsabilisés pour les conséquences des actes commis par leurs enfants, et frappés au porte-monnaie, si vous me permettez l'expression.

Pour des mineurs qui sembleraient s'ancrer un peu plus dans la délinquance, nous passerions à la médiation réparation, excellente mesure, et beaucoup de jeunes y adhèrent. Pris en charge par les adultes, ils prennent ainsi conscience de certaines choses.

Ce rythme doit être maintenu systématiquement.

L'objectif pour le Parquet -je tiens à le dire pour qu'il n'y ait pas de quiproquo- est l'idée que la priorité doit être donnée absolument aux mesures éducatives.

Nous devons toujours rechercher pour les mineurs la solution éducative. Tout acte de délinquance qui justifie une intervention un peu lourde du juge des enfants doit être précédé d'une enquête qui permette la recherche d'une solution éducative.

Chaque fois qu'il y a l'espoir qu'une telle solution permette de sortir le jeune de sa situation, cette solution éducative doit toujours l'emporter sur celle un peu simpliste, et qu'on m'a d'ailleurs attribuée à tort dans une campagne de presse, de l'incarcération provisoire.

Je veux conforter ce qui a été dit tout à l'heure. Il faut être vigilant dans l'approche du problème. Un grand nombre de délinquants ne commettront dans leur carrière, si je puis dire, qu'un seul acte, c'est exact.

D'autres vont en commettre plusieurs. Dans les phénomènes de bandes d'ailleurs, des jeunes commettent des actes pendant quatre ou cinq mois, voire moins, et brutalement arrêtent.

Et d'autres s'enferrent, décident de ne vivre que de la délinquance, ce sont des cas lourds, et, malheureusement pour ceux présentés au Parquet pour la septième ou huitième fois, nous n'avons pas beaucoup de solutions.

Il est vrai que nous pouvons compter sur le dévouement des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, qui font un travail difficile avec peu de moyens. Ceux dont ils disposent ne leur permettent pas toujours d'être tout à fait vigilants -ce n'est pas une critique, mais un constat- sur l'application des mesures éducatives qu'ils ont proposées au Parquet et au juge des enfants, voire au juge d'instruction, et qui ne sont pas toujours suivies.

La convocation par OPJ votée par l'Assemblée nationale ne sera qu'un élément de plus, qui permettra d'apporter une réponse rapide à un acte de délinquance un peu plus grave, pour un jeune qui a tendance à devenir délinquant d'habitude.

Elle nous permettra une politique de l'action publique commune au juge des enfants et au Parquet, en ce sens que nous définirons avec le juge des dates spécifiques pour convoquer ces jeunes, afin qu'il puisse les écouter.

Cela me paraît préférable à la situation actuelle.

Dans tous les Parquets que j'ai eu l'honneur de diriger, la méthode est toujours la même. Il est difficile d'établir avec des juges des enfants des plannings qui vont les rendre disponibles.

Quand nous avons des cas difficiles nous prévenons le juge des enfants que nous envisageons de lui présenter quelqu'un à l'issue d'une garde à vue de vingt-quatre heures. Si celui qui le connaît n'est pas disponible on va voir son collègue.

Dans le silence du cabinet, entre le procureur et le juge, il s'échange des propos. Je n'aime pas beaucoup pratiquer cela, parce que c'est selon moi une atteinte aux droits de la défense, parce que ces propos risquent d'échapper complètement au débat contradictoire, et en tout cas ne sont pas dits devant le défenseur du mineur.

Donc je me réjouis que la loi oblige à demander systématiquement au mineur de s'exprimer et à prévoir qu'il soit assisté d'un avocat. C'est un progrès très important.

Ce texte va nous permettre d'apporter dans le panel que nous avons actuellement un élément supplémentaire, pour permettre une réponse plus rapide à l'acte posé par le délinquant.

Je pourrais parler pendant des heures, mais je préfère maintenant laisser la parole à mon collègue.

M. Jean-Pierre VALENSI .- Le tribunal de Saint-Omer est petit, il se trouve entre Calais et Béthune. Au regard de la population globale du Pas-de-Calais, 1.400.000 habitants, il n'y a que 140.000 habitants, et assez peu de mineurs, 48.000 environ, ce qui explique une délinquance tout à fart différente de la délinquance urbaine, car nous sommes en zone rurale.

Le cabinet du juge des enfants n'est pas spécifiquement encombré de dossiers pénaux, une centaine seulement à l'heure actuelle, et il y a assez peu de mineurs qui commettent des infractions.

C'est donc un cas tout à fait spécifique, qui ne nous a pas empêchés toutefois de développer une politique pénale en matière de délinquance juvénile.

Le Parquet de Saint-Omer applique depuis le début de l'année la procédure de traitement en temps réel. De cette manière il a une connaissance plus approfondie de la délinquance.

L'obligation est faite à tout officier de police judiciaire qui a un délinquant dans ses locaux de téléphoner au Parquet, qui lui donne des instructions.

Cette procédure, je l'ai étendue évidemment aux mineurs. Dès lors que l'un d'eux se trouve dans une gendarmerie ou un commissariat de police, l'officier de police judiciaire doit rendre compte au Parquet, qui lui demande systématiquement l'audition du plaignant, des témoins, et du mineur.

Selon le degré de gravité de l'acte commis et la personnalité du mineur, une réponse est systématiquement apportée, elle est graduée.

Il y a d'abord les actes les moins graves, pour lesquels nous demandons en général à l'officier de police judiciaire de donner un sévère avertissement au mineur, puis nous le remettons à ses parents, ou encore nous demandons tout de suite la réparation du préjudice subi par la victime.

Dans cette hypothèse généralement, nous convoquons celle-ci. Elle fournit un devis. Le mineur, en présence de ses parents s'engage à dédommager.

Nous lui notifions par l'OPJ qu'il a un certain délai pour le faire. L'OPJ, lorsque le mineur est à nouveau dans ses locaux après avoir dédommagé, nous rend compte, et la procédure est classée.

C'est le premier niveau.

Je vois un intérêt tout à fait spécifique à ce type de procédure, car les policiers sont motivés par ce qu'ils font. Ils savent qu'ils ont des instructions, et ils connaissent également l'issue de la procédure. C'est très important.

Deuxième type de réponse : elle concerne les mineurs plus connus, ou les faits plus graves.

Dans ces cas-là, le Parquet demande à l'OPJ de convoquer le mineur devant lui. Il fait procéder par le service éducatif à une enquête, et le mineur doit se présenter à une date fixe devant le procureur de la République.

Alors il peut y avoir un classement provisoire. Si le mineur ne réitère pas, il devient définitif.

Il peut y avoir aussi l'injonction faite par le magistrat du Parquet de procéder à la réparation.

Et s'il s'agit de faits beaucoup plus graves, il peut y avoir saisine du juge des enfants ou encore du juge d'instruction.

Nous procédons de cette façon pour des faits moyennement graves. Si la personnalité du mineur est connue, nous délivrons par l'OPJ une convocation, suivant un modèle, à partir d'un mémento diffusé aux OPJ.

La procédure de traitement en temps réel est une façon d'impliquer les OPJ dans le travail du Parquet. Ils choisissent les qualifications, ils le font sous le contrôle du Parquet.

Dès lors que nous avons défini une procédure très stricte, que nous avons donné le modèle de convocation, un mémento contenant exactement les qualifications est transmis -au Parquet de Saint-Omer nous diffusons même une disquette, ce qui permet à l'OPJ, s'il a le même ordinateur, d'appeler directement le texte rédigé par les services judiciaires. Avec cette mesure nous avons toute chance d'obtenir une procédure régulière, qui permettra au juge des enfants de statuer correctement.

La loi du 8 février 1995 a donné l'obligation pour le Parquet de saisir le juge des enfants par une requête. C'était une complication inutile.

Les documents de la police ou de la gendarmerie sont repris par la requête, le même travail est fait deux fois.

J'exige bien entendu que lorsqu'une convocation par OPJ arrive au tribunal, elle passe par le Parquet. Qu'il y ait requête ou pas, la légalité de la procédure est examinée.

Notre pratique va être simplifiée par la nouvelle loi de ce point de vue-là.

J'attire toutefois l'attention de votre Commission sur la rédaction du texte, dans le cas spécifique d'un Parquet frontalier. Il s'agit du renvoi à l'article 552 du code de procédure pénale.

Celui-ci prévoit une durée minimum de dix jours pour la citation, mais qui est augmenté de deux mois pour les étrangers, soit deux mois et dix jours.

Cela me paraît assez inconciliable avec le fait que nous avons quelques mineurs étrangers en séjour, que nous allons poursuivre. Or, dans les deux mois et dix jours ils seront partis, la faculté de la réponse ne sera plus assurée, et si nous citons à moins de dix jours, spécialement avec les Anglais, il sera soutenu que la convocation par OPJ est nulle, donc le tribunal ne sera pas saisi et la juridiction ne pourra pas statuer sur les intérêts civils.

Je préférerais donc que cette référence ne figure pas dans le texte, et qu'il soit uniformément prévu un délai de dix jours pour cette raison. Le problème se pose d'ailleurs aussi pour les majeurs.

Je considère que la convocation par OPJ telle qu'elle résulte du texte actuel n'est que la consécration de la pratique de la plupart des Parquets.

J'ai contacté mes trois collègues du Pas-de-Calais, ils ont très exactement la même pratique que moi.

En ce qui concerne les infractions les plus graves, nous recherchons une présentation immédiate. Ensuite, il y aura soit médiation réparation, soit classement à terme, soit saisine immédiate du juge des enfants et du juge d'instruction, aux fins de mesures soit éducatives, soit répressives.

De ce point de vue nous avons plutôt une inclinaison à saisir le juge d'instruction pour la détention provisoire, mais c'est une pratique du Parquet de Saint-Omer, qui correspond peut-être à un choix de mesures sur la personnalité, dans le sens où je constate que les juges des enfants, lorsqu'ils jugent des mineurs, n'ont pas forcément un dossier de personnalité extrêmement abondant, d'où un gros problème.

La nouvelle loi prévoit l'intervention des services de la protection judiciaire de la jeunesse, mais -et là je suis obligé de rejoindre les conclusions des précédents intervenants- nous n'avons pas les moyens, compte tenu même de la petite délinquance de Saint-Omer, de mettre dans le dossier suffisamment de renseignements de personnalité pour éclairer la juridiction de jugement.

À Saint-Omer il n'y a que quatre éducateurs. Un rapport récent de la PJJ au niveau régional indique combien les personnels sont inquiets. La jeunesse de certains éducateurs paraît incompatible avec le rythme des mutations par rapport à la délinquance, qui se concentre en certains endroits et qui devrait être traitée par des gens d'expérience.

Le juge des enfants bien souvent n'a pas les moyens d'ordonner un examen médicopsychologique, une expertise psychiatrique. C'est la raison pour laquelle le Parquet de Saint-Omer, lorsqu'il y a des cas extrêmement lourds -pas nombreux, certes, trois ou quatre par an- préfère recourir à l'instruction car le juge d'instruction va systématiquement constituer un dossier de personnalité très fourni.

En matière de juridiction pour enfants il faut reconnaître -et c'est le deuxième volet de cette loi- que les réquisitions du Parquet ont moins de poids que dans d'autres procédures.

Une nouveauté de ce texte est l'introduction d'un certain contrôle du Parquet par l'intermédiaire notamment de l'article 8.3 de l'ordonnance.

Je distinguerai la requête classique que nous allons toujours utiliser et la requête accélérée.

La première existera toujours. Elle peut devenir accélérée suite à des réquisitions du Parquet.

En matière correctionnelle le texte dit « à tout moment le procureur de la République pourra faire application des dispositions de l'article 8.2 ».

Mais quel événement permettra au procureur de la République d'intervenir ? Un événement extérieur, parce qu'il y a une procédure en cours, que le mineur a réitéré des faits ? Dans ce cas on va vraisemblablement ouvrir un nouveau dossier.

Si c'est un événement intérieur, c'est-à-dire l'inaction du juge pour enfants, car il faut appeler un chat un chat, il faut que le Parquet dispose des moyens d'accéder au cabinet du juge des enfants.

On pourrait par exemple imaginer que, tout comme dans l'article 82 du code de procédure pénale, on autorise le ministère public à faire des réquisitions auprès du juge pour enfants pour obtenir communication du dossier, à charge pour lui de restituer le dossier dans les 48 heures.

Il s'agirait d'une disposition parallèle à celle utilisée pour les juges d'instruction, et en rapport avec cette possibilité donnée au ministère public d'obliger le juge à agir.

Plus généralement, le juge des enfants mène en quelque sorte sans contrôle un dossier dans le cadre de cette procédure un peu souple de l'ordonnance de 1945.

En réalité il s'agit dans ce texte d'introduire un début de contrôle, mais ne pourrait-on pas penser -et je reprends en cela les conclusions du rapport conjoint déposé en mars 95 par l'Inspection générale des affaires sociales et l'Inspection générale des services judiciaires- qu'au niveau de la cour d'appel le président de la chambre spéciale ou le délégué à la protection acquière des pouvoirs similaires à ceux du président de la chambre d'accusation, en tout cas qu'on lui reconnaisse un véritable pouvoir de contrôle et de direction des cabinets pour enfants de l'ensemble d'une cour d'appel.

Ce serait peut-être la conséquence logique des dispositions introduites dans le texte actuel, qui reste en deçà d'un véritable contrôle du Parquet sur les juges pour enfants.

Je conclurai en disant que je suis favorable à cette loi, dans ses dispositions concernant la convocation par OPJ ou les requêtes avec déferrement du mineur et ensuite comparution à délai rapproché.

Je crois que le temps pénal doit s'adapter à celui vécu par les mineurs. S'ils sont jugés six mois plus tard pour des faits graves, ils ont oublié bien souvent, surtout si ces agissements sont très nombreux.

Un mineur peut très bien basculer dans la délinquance pour des raisons familiales le plus souvent, mais aussi pour un mal-être entre 15 et 18 ans, en raison du « complexe du homard ».Mais ce basculement n'est qu'une parenthèse dans sa vie, qui ne va pas durer.

C'est la raison pour laquelle l'accélération de la procédure pénale va dans le sens d'une meilleure protection des mineurs, et en même temps les délais introduits permettent de prendre en compte le fait que la délinquance ne peut être qu'une parenthèse dans la vie d'un mineur.

M. le Président.- Je vous remercie, Messieurs.

M. Guy ALLOUCHE.- Qu'est-ce que le complexe du homard ?

M. Christian BONNET.- Merci d'avoir eu le courage de poser une question que tout le monde se posait autour de cette table.

M. Jean-Pierre VALENSI.- C'est une expression de Françoise Dolto, qui explique qu'entre 15 et 18 ans le mineur change de carapace. Cela lui pose des problèmes existentiels que nous avons tous vécus.

M. Michel RUFIN.- Vous nous avez indiqué notamment combien les services de police et de gendarmerie devaient être attentifs à tous les faits répressifs.

Bien entendu vous avez aussi rappelé combien le sentiment d'impunité existant parmi les mineurs était fort, et combien les personnes fragiles et socialement confrontées à des problèmes étaient traumatisées par ce phénomène d'insécurité.

Il est certain que ces dernières années on a eu plutôt tendance dans des commissariats de police à négliger ou à laisser de côté l'activité donnée aux brigades de mineurs spécialisées. Celles-ci ont plutôt eu tendance à disparaître.

Ne pensez-vous pas qu'il y aurait lieu, justement à cet égard, de les renforcer à nouveau, de manière à leur redonner une vigueur qu'elles n'ont plus ?

M. Joseph SCHMIT. - Vous posez une question difficile à résoudre. Je ne crois pas que le ministère de l'Intérieur donne des instructions de cette nature. Je crois que les choses se font par sélection sur le terrain par les hommes eux-mêmes, qui ont conscience de la réalité et qui en tirent les conséquences.

Les brigades des mineurs ont été faites dans les commissariats des grandes villes pour s'occuper du traitement des mineurs délinquants.

Depuis trois ans nous sommes confrontés à un phénomène. Quand j'étais procureur à Reims, jusqu'en septembre 93 nous avions des affaires de maltraitance de mineurs de l'ordre de 50 par an.

Brutalement, en novembre 93, nous sommes passés à 20 affaires par mois. La plupart d'entre elles étaient des violences sexuelles.

J'ai cru que c'était un phénomène provisoire. Je me suis interrogé pour savoir s'il était purement local. J'ai consulté mes collègues des autres Parquets, ils ont été confrontés au même phénomène et il dure encore.

Nous avons à Reims plus de 200 affaires de maltraitance par an, dont la plupart sexuelles, et à Rouen c'est le cas aussi.

Si bien que, devant la nécessité, les Parquets ont été interpellés par la souffrance et la misère de ces enfants très jeunes, bien plus importantes souvent que l'aspect de la question que vous évoquez.

Nous sommes intervenus auprès des services de police, qui ont fait le maximum avec les effectifs qu'ils avaient, qu'il aurait fallu renforcer.

Mais la police ne peut pas faire face à la situation avec ses moyens actuels pour les mineurs victimes, et petit à petit les brigades des mineurs se sont mobilisées pratiquement exclusivement pour les affaires de maltraitance d'enfants.

C'est le cas à Rouen. Elle travaille 24 heures sur 24 sur les affaires de violences sexuelles dont sont victimes les mineurs. Parfois certains sont en état de danger.

Ils accusent le père, ils sont en danger, ils sont les victimes, et parce qu'on n'a pas la maîtrise immédiate de la réaction à ces crimes, on est obligé de saisir le juge des enfants. Celui-ci place l'enfant, pour sa sécurité, en attendant que l'autorité puisse s'occuper de l'auteur.

Là aussi les juges des enfants sont débordés par ces affaires difficiles. Chacun fait ce qu'il peut, du mieux qu'il peut.

La police a conscience de cette situation, elle essaie de trouver des réponses. Dans une agglomération comme celle de Rouen, très étendue, une brigade des mineurs centralisée, sauf à y mettre 60 ou 80 personnes, ne peut s'occuper des deux à la fois, ce serait ingérable.

Il faut une spécialisation par commissariat de quartier. Dans les commissariats ou sous-commissariats, des fonctionnaires de police sont spécialisés dans l'accueil et la gestion des phénomènes de délinquance.

Celle des mineurs est une délinquance de terrain, de proximité. Le quartier est son domaine d'action. Les policiers connaissent bien les sujets. C'est une meilleure formule qu'une brigade centralisée, selon moi.

M. Michel RUFIN.- La principale critique adressée à la comparution à délai rapproché concerne le droit d'appel reconnu au Parquet en cas de refus du juge des enfants de faire droit aux réquisitions du procureur.

Qu'en pensez-vous ?

M. Joseph SCHMIT.- Ce qui compte n'est pas tellement la condamnation rapide du mineur, mais l'intervention rapide du juge des enfants.

Il faut que le mineur comparaisse devant lui. Il va alors, après une enquête ordonnée par le Parquet, complète ou pas, prendre une décision.

Dans les grandes villes comme Reims ou Rouen, il y a un service éducatif qui a les moyens de délivrer des enquêtes. Il connaît souvent les délinquants, il peut donner des renseignements.

Au moment de la comparution devant le juge, il faut un minimum de renseignements pour lui permettre de refaire un bilan. Le texte prévoit d'ailleurs que si le juge estime que les éléments sont insuffisants, il peut ordonner toute mesure d'investigations complémentaires pour mieux se renseigner sur la personnalité de l'auteur.

Je pense que dans ce domaine, ce qui compte ce n'est pas tellement la convocation devant le tribunal, mais devant le juge rapidement.

Je ne veux pas critiquer le texte sur ce point, car cette deuxième partie pourrait être utile, mais elle sera très difficile à mettre en oeuvre. Les juges des enfants doivent quand même conserver la maîtrise de ces affaires, car ils connaissent les jeunes, leur milieu, leur famille.

Je vous l'avoue franchement, après en avoir délibéré avec mes collègues du Parquet, je ne me vois pas me mettre dans une situation conflictuelle avec un juge des enfants, en lui disant « Cher collègue, des dossiers traînent, ne pourriez-vous pas faire un effort ? Ou alors passez-moi les dossiers, je vais faire une requête ».

Entre gens intelligents il est toujours possible d'aller voir le juge et lui expliquer la situation, lui demander une audience plus rapprochée. En général il écoute.

Je ne me vois pas du tout interjeter appel devant la chambre des mineurs pour un refus d'un juge qui s'opposerait à cette demande.

Connaissant les hommes que sont les magistrats, je ne sais pas si la chambre des appels des mineurs aimerait cela. Une fois peut-être, quand ce sera très bien justifié, pour des raisons particulières.

Le texte reste peut-être utile de ce point de vue-là, mais je n'en suis pas convaincu, je pense qu'il est source de difficultés dans les relations des uns avec les autres.

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT.- Pourquoi le juge d'instruction a-t-il plus de moyens que le juge des enfants pour constituer un dossier de personnalité ?

M. Jean-Pierre VALENSI. - Parce qu'il pourra plus facilement recourir à des médecins experts, il a l'habitude dans les dossiers criminels notamment de prendre des ordonnances d'expertises psychiatrique, médicopsychologique, d'ordonner des enquêtes sociales.

Il le fait beaucoup plus systématiquement que le juge des enfants.

S'agissant de l'appel, j'ai tendance à croire que la loi d'une certaine façon permet de rationaliser les rapports entre le Parquet et le Siège. C'est plus protecteur qu'une zone de non droit dans laquelle on ne sait pas exactement ce qu'on peut faire ou pas.

Je pense qu'il est mieux de réglementer, car la loi est protectrice par rapport à cette liberté qui ne permet pas d'obtenir un dossier, qui permet des arrangements, mais ne règle pas les situations de conflits.

La procédure est là pour régler les conflits dans la clarté.

M. Guy ALLOUCHE.- Est-ce que l'avocat du mineur peut faire appel ? Le constat que vous avez dressé devant nous, Monsieur le Procureur de Rouen, est celui que nous faisons aussi très souvent dans les départements.

J'ai cru comprendre que vous étiez un peu en contradiction avec ceux que nous avons entendus avant vous...

M. le Président.- Permettez-moi de vous interrompre trente secondes. Si nous entendions des auditions allant toutes dans le même sens, quel serait leur intérêt ?

M. Guy ALLOUCHE. - Évidemment, c'est la contradiction qui nous permet de nous enrichir, d'avoir des idées.

Vous terminez, Monsieur le Procureur, en craignant que ce texte provoque des difficultés relationnelles entre les différents magistrats, qu'ils soient juge d'instruction ou juge pour enfants.

M. le Président.- Quelle est votre impression sur le risque de situations conflictuelles ?

Nous avons deux thèses parfaitement exprimées :

1) s'il y a risque de conflit il faut un arbitre ;

2) M. le Procureur de Rouen, avec une certaine circonspection dit « cela m'ennuie ».

M. Joseph SCHMIT.- Le juge des enfants n'aimera pas que le procureur lui fasse des reproches.

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT.- Alors pourquoi une loi ?

M. Joseph SCHMIT.- Le procureur de la République maîtrise toujours l'exercice de l'action publique, elle lui appartient.

Pour des raisons purement techniques et qui tiennent à la spécificité de la matière, le Parquet a laissé l'opportunité non pas de la décision de la poursuite, mais de la mise en oeuvre de la décision de poursuite au juge des enfants.

Traditionnellement, quand le Parquet rédige un acte d'accusation, celui-ci va dans un service du Parquet, celui de l'audiencement, qu'il s'agisse des dossiers concernant les majeurs ou les mineurs.

Le Parquet a toujours la maîtrise des dossiers qu'il choisit pour la poursuite.

Mais la matière étant spécifique, les juges des enfants sont les seuls à bien connaître les mineurs. Petit à petit, les Parquets ont été amenés à déléguer, au sein du service du greffe des juges des enfants à un fonctionnaire du Parquet devenu un fonctionnaire au service des juges des enfants.

Les dossiers sont classés et gérés au greffe du tribunal pour enfants, et on laisse l'opportunité au juge des enfants de décider lui-même du moment qui convient le mieux pour poursuivre.

Mais si le Parquet veut reprendre la situation en main, à travers une nouvelle organisation il peut le faire, les poursuites devant le tribunal pour enfants étant gérées de sa propre autorité.

Cela est devenu depuis si longtemps un usage qu'il ne sera pas possible de revenir en arrière, mais je pense qu'il n'y a pas besoin de texte actuellement pour dire « on va tel jour saisir le tribunal pour enfants ».

M. le Président.- Cela ne se fait pas, pour des raisons parfaitement expliquées. Nous sommes dans une situation où en gros le Parquet a des capacités d'intervention, et où pour des raisons de tradition parfaitement respectables elles ont été « abandonnées ».

M. Joseph SCHMIT.- Pour un objectif précis.

M. le Président.- Merci Messieurs. Nous devons entendre les fonctionnaires de police et les membres du corps préfectoral : M. Maucourant, commissaire divisionnaire du XVIIIème arrondissement, M. Lutz, commissaire principal au Blanc-Mesnil, M. Lanvers, sous-préfet du Rhône à la ville.

Le temps nous est compté.

FONCTIONNAIRES DE POLICE ET MEMBRES DU CORPS PRÉFECTORAL

M. Roland MAUCOURANT - commissaire divisionnaire du VIIIème arrondissement

M. Philippe LUTZ - commissaire principal au Blanc-Mesnil

M. Claude LANVERS - sous-préfet du Rhône à la ville

Mme Marie-Danielle PIERRELEE - Principal du collègue Garcia-Lorca à Saint-Denis

M. GARDEN - Proviseur à Vaulx-en-Velin

M. Roland MAUCOURANT .- Je suis commissaire dans le XVIIIème arrondissement depuis une année. Auparavant j'ai été chargé de la sécurité des trains de banlieue en Ile-de-France, et j'ai également été chef de sûreté urbaine dans des villes moyennes : Le Mans, Tours, Angers.

Je vous situe ainsi l'expérience que j'ai pu acquérir au cours des quinze dernières années.

Le problème des mineurs délinquants m'a toujours préoccupé. Il me donne le privilège d'être présent aujourd'hui.

Dans les fonctions de police il est toujours navrant d'être confronté au spectacle de mineurs dont on sent qu'ils s'enfoncent dans un comportement qui va les mener à leur perte.

Le Président de la République a déclaré que la République se défaisait peu à peu dans nos cités.

Ce constat est également le nôtre dans la mesure où les policiers, acteurs de terrain, se trouvent confrontés à des comportements qui rendent très difficiles les actions de police.

Certes, 70 % des mineurs commettent un acte et ne reviennent jamais devant le juge des enfants. Mais ce que les policiers déplorent et combattent, c'est une délinquance de mineurs réitérants, qui ne sont pas aussi nombreux qu'on le pense.

Le XVIIIème arrondissement comprend 200.000 habitants. C'est le supermarché de la drogue avec 500 dealers arrêtés chaque année.

J'évalue à une vingtaine le nombre de mineurs qui méritent un traitement judiciaire adapté à leur détresse morale, psychologique, et à un comportement particulièrement difficile.

Les policiers observent depuis plusieurs années un accroissement du nombre de mineurs mis en cause dans des délits de plus en plus graves, souvent liés à la violence. Ces délits sont souvent commis par des mineurs de plus en plus jeunes.

Pour la police l'action est assez difficile, car la population nous harcèle, elle attend de nous pratiquement une obligation de résultat et ne comprend pas que nous ne fassions rien, car elle retrouve dans les quartiers difficiles, dans les cités, dans les commerces, par exemple de la Porte de Clignancourt où il y a le marché au Puces, les mêmes mineurs arrêtés la veille.

Ce passage à l'acte réitéré pose problème.

Une loi de 1987, visant à limiter la détention provisoire, a été appliquée par les magistrats à partir du 1er janvier 1989.

J'ai observé au cours de ma carrière certaines attitudes des juges qui, en accord avec le Parquet, neutralisaient des mineurs particulièrement difficiles en procédant à de courtes détentions provisoires.

Je ne fais pas l'apologie de cette mesure. Le pouvoir législatif a aboli cette pratique. Cette façon de procéder avait un impact positif sur quelques jeunes. Je ne dis pas que la prison soit un remède, loin de là. Néanmoins, pour certains mineurs particulièrement difficiles, elle correspondait à un pas vers une possible réinsertion.

Quand j'étais chef de sûreté d'Angers, j'ai pu voir, à partir des années 1990, 1991 et 1992 une accélération de la mise en cause des mineurs délinquants.

Cela a conduit à privilégier la police d'intervention. L'objectif est de parer au plus pressé, on intervient pour faire face à des désordres que la population ne supporte plus.

Cette forme d'action policière ne permet pas de traiter les problèmes au fond. Il est préférable de les aborder sur le mode de la police de proximité, c'est-à-dire l'îlotage, qui a pour but de connaître de la population et cherche à établir le dialogue avec certains mineurs difficiles, avec lesquels on peut ainsi commencer à nouer des contacts.

Cette police de proximité est difficilement réalisable face aux comportements de bandes, parce que celles-ci donnent lieu à des attitudes particulièrement violentes et n'acceptent pas le contact avec la police. D'ailleurs, les éducateurs de rue pourront sans doute confirmer que leur travail est largement rendu difficile par les agissements de quelques-uns qui cherchent l'affrontement permanent avec les forces de l'ordre.

J'ai testé récemment dans le XVIIIème arrondissement, dans le quartier Guy Moquet, une police d'investigations qu'il serait souhaitable de privilégier dans l'avenir.

Cette police d'investigations a permis d'arrêter six dealers de shit en flagrant délit et a abouti à un suivi judiciaire adapté, ce qui a considérablement amélioré la tranquillité des habitants du secteur.

Cette façon de mener des enquêtes judiciaires est possible dans certains quartiers mais à Paris et pas forcément en banlieue, compte tenu des moyens disponibles.

À Paris les interventions policières, qui succèdent à des désordres, permettent de procéder à des arrestations.

La police attend de l'autorité judiciaire, qui assure le suivi pénal des affaires, un traitement plus rapide. Mais rapidité ne veut pas dire précipitation ni justice expéditive.

Pour les policiers il est important que les magistrats assurent un suivi judiciaire permettant de calmer l'activité des mineurs délinquants particulièrement réitérants.

Dans ma carrière j'ai vu, par exemple, des procédures judiciaires qui « dormaient » dans les tiroirs d'un inspecteur avant d'être transmises au procureur de la République. Il faut qu'elles soient rapidement transmises aux magistrats.

J'ai vu aussi des dossiers transmis au Parquet, qui n'avaient pas de suivi judiciaire. Le jeune n'avait connaissance des poursuites encourues que beaucoup trop tard. Le suivi éducatif de la PJJ arrivait souvent une année après la commission du délit.

Quand j'entends parler de mineurs qui ont commis un petit délit, je souris intérieurement, car ceux-ci sont parfois arrêtés vingt à trente fois par an, pour des délits et vols avec violences.

Souvent il s'agit de paroles, mais ce manque de respect nous rend la tâche difficile. L'autorité du gardien de la paix, îlotier, est très limitée.

Je suis absolument pour le projet de loi qui tend à instaurer la convocation par OPJ. Il faudra veiller à ce qu'elle ne soit pas entachée de nullité, d'où une action de formation vis-à-vis des policiers pour qu'ils rédigent correctement les documents.

Ce qui est important, c'est que le mineur qui a commis un délit soit non pas sanctionné immédiatement, mais qu'il sente que l'autorité judiciaire le considère comme un adulte, et prenne acte de son comportement antisocial, et que des mesures seront prises à son endroit.

Ce qui est le pire, c'est de voir s'accumuler des procédures qui ne sont pas suivies d'un examen dans des délais raisonnables.

Je suis pour cette convocation par OPJ, qui fera sentir au mineur le risque de réaction coercitive à son endroit.

Je suis aussi pour la prise de mesures qui manifestent une certaine forme de directivité.

En effet, les mineurs difficiles n'ont pas eu la chance d'avoir des parents en mesure d'exercer à certains moments une directivité à leur endroit.

Le fait que des magistrats puissent leur donner des ordres est positif. Trop différer l'instant des condamnations est mauvais et aboutit à une réitération et finalement le mineur, qui aurait pu être condamné à une peine assez courte, finit par avoir plusieurs jugements contre lui.

La police cherche à atteindre les caïds, les leaders, ceux qui créent les désordres et génèrent une grande insécurité dans les cités.

Dans les villes de province, les cas difficiles sont de l'ordre d'une dizaine ; en banlieue parisienne aussi et dans le XVIIIème arrondissement, pourtant réputé difficile, aux alentours d'une vingtaine.

Les cas les plus lourds, qui commettent de manière répétée des délits, des vols avec violences et des agressions de policiers, sont de dix à vingt.

M. Philippe LUTZ .- Je suis commissaire principal au Blanc-Mesnil.

Je vais parler des problèmes rencontrés en Seine-Saint-Denis, où je suis commissaire depuis cinq ans et où j'étais auparavant inspecteur. J'étais avant aux Lilas, à Bagnolet, à Noisy-le-Grand et à Gagny-Montfermeil.

Dans la Seine-Saint-Denis, le tribunal de grande instance est l'un des deux ou trois premiers en France pour le nombre de faits constatés, plus de 100.000 chaque année.

Depuis quelques années, la délinquance générale a tendance à baisser ou à se stabiliser, et la part des mineurs mis en cause a augmenté en 1995, de plus de 28 %.

Autre constat, la violence fait partie intégrante de cette délinquance spécifique. En l'occurrence dans la Seine-Saint-Denis l'année dernière, les vols à main armée, avec arme à feu notamment, représentaient 30 % des interpellations ; plus de 50 % des auteurs interpellés pour vols avec violences sont mineurs. Les faits sur la voie publique, les cambriolages, le recel, les vols d'autoradios ou de voitures concernent plus de 30 % des interpellations.

Ce qui est plus inquiétant, c'est que le phénomène de violence urbaine propre aux départements de petite et grande couronnes a tendance à s'étendre aux mineurs. Les outrages et les violences sur les fonctionnaires de police progressent, 15 % des interpellés sont mineurs, au lieu de 10 % précédemment.

Autre phénomène inquiétant, le port d'armes. Les mineurs mis en cause dans ces affaires sont en progression et représentent 23 % des personnes mises en cause.

Les incendies volontaires frappent l'opinion, ils représentent 37 % du nombre d'interpellations.

Il faut évidemment relativiser ces chiffres.

L'aspect médiatique du trafic des stupéfiants répand une idée générale selon laquelle il y aurait de gros dealers et autour des guetteurs systématiquement mineurs. Ce n'est pas du tout confirmé dans la réalité, du moins en Seine-Saint-Denis.

On peut toujours envisager des mineurs servant de guetteurs pour des gros deals, dans la majeure partie des cas ce sont des deals de survie plutôt ; les mineurs ne sont pas directement partie prenante.

Le problème de l'absence des parents a déjà été évoqué. Ceux convoqués au commissariat pour reprendre leurs enfants ne se déplacent pas. Ils envoient fréquemment un grand frère ou une grande soeur, voire personne. Les fonctionnaires de police sont obligés de ramener le mineur à son domicile dans le car Police-Secours, ce qui n'est pas toujours la meilleure formule.

La délinquance des mineurs est essentiellement celle des réitérants, d'où des conséquences pour l'ensemble du quartier, des cités dans lesquelles ils vivent.

Je reprends l'expression de mon collègue : nous sommes un peu tenus à une obligation de résultat. Dans les réunions de quartiers on nous dit « vous connaissez les auteurs, mais vous ne les interpellez pas ».

Il est très difficile d'expliquer notre attitude. Dans la plupart des cas les mineurs ressortent très rapidement, d'où un problème non pas d'action de la justice, mais de lisibilité de son action. Elle n'existe pas dans les cités. Pour la majeure partie des gens c'est le mandat d'écrou.

Il est hors de question de mettre tous les mineurs interpellés en prison. La lisibilité de la décision de justice n'existe pas dans les cités, parce qu'elle est relayée par le sentiment d'insécurité. Des halls sont squattés, des boîtes aux lettres sont dégradées.

La simple présence de groupes de jeunes le soir quand les adultes reviennent du travail, entraîne des insultes, il y a des crachats, des canettes de bière, éventuellement des dégradations. Tous ces comportements sont pénalement peu ou pas répréhensibles du tout.

L'action de la police et de la justice est complètement ignorée. Le sentiment d'insécurité est renforcé de ce fait.

En Seine-Saint-Denis nous sommes un peu en avance. Deux institutions ont été particulièrement sensibilisées au problème des mineurs, en dehors de la police : l'Éducation Nationale et la Justice.

Le partenariat engagé avec l'Éducation Nationale en 1993 est à double tranchant. D'après les chiffres, il y a une explosion de la délinquance des mineurs dans les établissements scolaires. En 1993 aucune affaire de racket n'était signalée en Seine-Saint-Denis, en 1995 il y en a eu 40.

Pourquoi ? Parce que le département, par l'intermédiaire de l'Inspecteur d'Académie, du procureur de la République et du directeur de la sécurité publique, a mis en place un partenariat avec pour objectif le signalement systématique de tout incident en milieu scolaire.

Parallèlement, quand l'action de la police est rapide, celle du Parquet l'est aussi.

Il est difficile évidemment de juger de l'efficacité d'un tel système avec les chiffres bruts, mais alors qu'il y a quelques mois de nombreux établissements scolaires hors Seine-Saint-Denis avaient de très gros problèmes de délinquance, notre département, à l'exception de l'établissement scolaire de Sevran, n'a pas connu de débordements manifestes de jeunes.

Un autre élément est la constitution de bandes. Je relativise fortement l'aspect médiatique donné au problème de stupéfiants.

Les bandes qu'on prend plaisir à filmer sur certaines chaînes sont plutôt des rassemblements ponctuels d'individus, sans obligatoirement un noyau dur. Ils existent suite à une interpellation, à un incident dans un établissement scolaire ou un commerce. La bande se forme par des regroupements dans les halls d'immeubles, les centres commerciaux.

Je ne peux qu'approuver le projet de loi puisqu'on pratique déjà en grande partie ce qu'il propose. Ce qui est important, c'est la rapidité d'action, non pas de la décision de mandat d'écrou ou de la justice, mais du signalement des incidents dans les établissements scolaires ou dans les cités, grâce au partenariat avec les bailleurs, les gardiens d'immeuble, les médecins. Il faut les signaler très vite avant que des dégradations plus importantes n'aient lieu entraînant de véritables phénomènes d'émeutes et de bandes.

Dans la Seine-Saint-Denis les mesures ont été correctement mises en place, c'est pourquoi je partage tout à fait le sentiment de mon collègue sur le projet de loi.

M. Claude LANVERS .- Je suis sous-préfet chargé de la politique de la ville dans le département du Rhône depuis deux ans, auparavant je m'occupais du même sujet au niveau de l'État.

Je travaille dans l'agglomération lyonnaise. Je rappelle quelques éléments précis d'abord.

Les grandes agglomérations urbaines sont assez criminogènes, en particulier dans certains quartiers. Même s'il y a une baisse significative de 1994 à 1995, il y a la délinquance constatée et l'incivilité au quotidien, et beaucoup de gens ne vont plus porter plainte. La peur parfois s'installe chez les habitants de ces quartiers.

Une trentaine de quartiers sont très difficiles dans le département du Rhône, dont deux assez symboliques ou emblématiques, les Minguettes à Vénissieux, et Vaulx-en-Velin. Des évènements sporadiques faisaient dire à des membres de la Direction de la Police Nationale que dans l'agglomération lyonnaise existait la palette de tous les types de délinquance, comme les rodéos, exportés malheureusement dans d'autres cités.

La part de mineurs mis en cause dans les faits est en augmentation assez significative ces dernières années. Il y a une diminution du passage à l'acte, et une augmentation ou un retard du passage à l'âge adulte ou à la socialisation. On peut commencer à 12 ou 13 ans des vols de voitures, mais on habite encore à 25 ou 30 ans chez ses parents, sans emploi. C'est comme si l'âge de l'adolescence s'élargissait à la fois vers le bas et le haut.

J'ajoute aussi une forte pression des mouvements intégristes, qu'il ne faut pas qualifier bien sûr de délinquants. Ils sont plus politiques que cultuels, notamment dans le département du Rhône. À l'automne dernier, nous avons pu mesurer son poids sur les jeunes, et ses liens avec la délinquance.

S'agissant des violences scolaires, nous n'avons pas énormément de faits de racket : 11 cas signalés l'an dernier, mais il reste à les faire émerger. Ils sont sans doute plus nombreux. La violence scolaire se concentre essentiellement sur la dégradation ou des vols commis à l'encontre des enseignants, des élèves ou de l'établissement lui-même.

C'est un panorama général que vous connaissez bien, avec des causes déjà décrites. Tout a été dit et écrit sur la sociologie de ces cités, les ruptures familiales, le marché de l'emploi et les discriminations ethniques. À qualification égale, aujourd'hui, il est plus difficile pour un jeune d'origine immigrée de trouver un emploi ; le parcours est plus dur.

Lorsqu'on a un bac + 2 et qu'on ne trouve pas d'emploi après le centième CV envoyé, l'exemple pour les petits frères et petites soeurs est tout à fait dévastateur.

Il y a également une inadaptation des réponses institutionnelles.

Les institutions présentes, par exemple la prévention spécialisée avec les éducateurs de rue, manquent d'outils et de réponses, et n'ont pas évolué en termes quantitatifs à la mesure des problèmes posés. À Bron, dans une commune de la périphérie lyonnaise, il y a trois éducateurs de prévention aujourd'hui, il y en avait trois il y a vingt ans aussi.

Le rôle des travailleurs sociaux est important. Ils ont une énergie considérable, mais il y a un glissement de l'action sociale, de l'aide à la dynamique sociale vers l'aide sociale, de plus en plus important, parce qu'il y a beaucoup de précarité, de papiers à remplir, pour caricaturer, et moins de disponibilité pour le travail social au quotidien.

II faut souligner aussi l'encombrement des tribunaux pour enfants.

La souffrance psychologique est abordée de manière extrêmement insatisfaisante. Les travailleurs sociaux disent que les jeunes ont de grands problèmes psychologiques voire psychiatriques, qu'il faudrait que les institutions de santé se mobilisent. Les psychiatres disent qu'ils ne peuvent pas traiter ces problèmes parce qu'ils sont sociaux. Donc le renvoi de la balle ne facilite pas le traitement.

Les commissaires ont parlé de l'îlotage policier. Nous avons sur ce point également quelques faiblesses dans l'agglomération lyonnaise.

Je citerai aussi le fort sentiment d'impunité. Une dame retraitée à Rillieux a eu un bras cassé à la suite d'une agression. Le jeune est revenu le lendemain dans le quartier. Quel sentiment peuvent éprouver les habitants en le voyant ?

Vous avez parlé aussi de « caïdat », il faut utiliser ce mot avec beaucoup de précaution.

Le passage en prison pendant un ou deux mois pour un jeune l'auréole parfois plus qu'il ne le dissuade. En disant cela je ne propose pas de solutions, mais je constate que cela existe sur le terrain.

On a tendance à se laisser aller à ces constatations misérabilistes ou difficiles, qui occultent le travail effectué, et l'ampleur des actions menées dans ces quartiers.

Ma mission de sous-préfet à la politique de la ville est de travailler autour de la question que vous posez aujourd'hui, à la fois en amont, dans la prévention, et en aval, parce qu'il y a une paix sociale à maintenir et il faut prévenir la récidive.

Je voudrais porter à votre connaissance quelques actions qui me paraissent significatives dans le cadre de cette politique de la ville à l'encontre des mineurs que nous avons engagés dans le département du Rhône.

D'abord la question de l'emploi et de l'insertion est essentielle. S'il n'y avait pas des millions de chômeurs, on aurait moins de difficultés.

La perspective des emplois ville donne des espoirs intéressants. On a d'ailleurs commencé un peu avant la lettre.

Je voudrais citer le cas de médiateurs employés dans les bus de l'agglomération lyonnaise et le métro. La délinquance sur ces lignes a baissé de 20 à 30 % l'année dernière. On constate au quotidien l'effort accompli à destination des jeunes sur ces lignes.

Je voudrais aussi citer des dispositifs expérimentaux que nous essayons de mettre en place, adaptés à ces publics les plus difficiles. Certains parlent de noyaux durs, de familles lourdes, tous les qualificatifs sont employés.

Très pragmatiquement on a essayé de construire dans trois secteurs, fin 1995, des parcours de resocialisation qui permettent de suivre les jeunes pendant six mois sans interruption. Au début ils ne sont pas employables, ils n'ont pas d'horaires, il faut moduler avec eux des parcours qui peuvent passer par une semaine de distribution de vivres, par exemple aux Restaurants du Coeur, ou des travaux de chantiers d'utilité sociale, un stage culturel, en espérant qu'au bout de six mois les situations puissent s'inverser.

J'ai indiqué l'importance des questions de santé du champ psychiatrique. Nous engageons des conventions avec le secteur pédopsychiatrique, en particulier avec un grand hôpital spécialisé de Lyon, mais aussi avec tous les lieux d'accueil que l'on peut développer pour la prévention de la toxicomanie ou l'accueil des toxicomanes, -il y a 3 à 4.000 héroïnomanes dans l'agglomération lyonnaise- ou des actions menées avec différentes écoles dans le domaine de la santé.

Est importante aussi la présence d'accueillants des missions locales dans les établissements pénitentiaires, permettant, dans le cadre de la prévention de la récidive des mineurs, de trouver des solutions dès leur sortie, car si l'on n'y prend garde ils peuvent être rapidement reconduits dans leur milieu d'origine.

Il y a aussi quatre maisons de justice dans les quartiers de l'agglomération lyonnaise. Elles ont entrepris l'an dernier par exemple plus de 600 dossiers de médiation réparation, avec une présence des substituts chargés des mineurs, et fonctionnant, semble-t-il, à la satisfaction de tous.

À Vaulx-en-Velin, la réparation physique et monétaire apportée aux victimes l'an dernier était de l'ordre de 300.000 F. Elle aurait été bien inférieure selon la procédure classique.

Enfin, la médiation a permis de réaliser un travail sur les transports scolaires.

L'autre jour, à Vaulx-en-Velin étaient réunies 500 femmes de l'agglomération lyonnaise qui sont dans des associations. C'est par elles que peut passer le lien social. Elles ont posé des questions sur les champs de la délinquance et de la toxicomanie.

Le seul fait qu'elles se réunissent et en parlent nous encourage beaucoup, parce que c'est une prise de conscience.

Je ne réponds pas vraiment à votre question, Monsieur le Président : le texte convient-il ?

Je pense qu'il est un outil supplémentaire dans un dispositif. C'est sur l'ensemble qu'il faut agir pour voir concrètement l'inversion de la pente sur laquelle nous sommes actuellement.

M. le Président.- Je me permettrai de vous reprendre car vous avez répondu parfaitement. Vous nous apportez en effet par votre expérience, comme vous, Messieurs les commissaires, une vue très concrète à partir de laquelle il nous appartiendra d'apporter les réponses nécessaires.

Compte tenu de l'heure, je vous propose d'entendre dès à présent Mme Pierrelee et M. Garden, et nous poserons peut-être quelques questions à la fin.

MEMBRES DU CORPS ENSEIGNANT

Mme Marie-Danielle PIERRELEE - Principal du collège Garcia-Lorca à Saint-Denis

M. Jacques GARDEN - Proviseur à Vaulx-en-Velin

Mme Marie-Danielle PIERRELEE , principal du collège Garcia Lorca à Saint-Denis.- Principal du collège Garcia-Lorca à Saint-Denis, je vais vous parler de cet établissement, et d'une autre expérience de l'auto-école, une petite structure scolaire qui se propose de réinsérer des jeunes qui ont affaire avec la justice, qui ont eu des pratiques délinquantes et qui essaient de rompre avec.

Dans mon collège, sur 650 élèves environ une cinquantaine se situe dans l'hostilité aux institutions d'une façon générale, et dans des pratiques déviantes.

On ne peut pas dire qu'ils aient un modèle uniforme. Je les diviserai en trois catégories.

D'abord une minorité, moins de 10, tous des garçons, les plus âgés, sont en position de pouvoir de façon très étonnante et forte, par rapport aux autres élèves et aux adultes dans certains cas. Ils font la loi, ou du moins ils essaient de la faire aussi souvent que possible.

Je les qualifierai de délinquants, mais ils ne se « mouillent » pas eux-mêmes, ils utilisent très souvent d'autres élèves pour commettre leurs mauvais coups, régler leurs comptes contre un professeur, racketter de plus jeunes, pour essayer d'extorquer les devoirs aux bonnes élèves, généralement les filles.

Ils sont tout à fait invulnérables, ils ont peu à voir avec la police et le juge des enfants. Ils ne sont pas l'objet de signalement de ma part, parce que je ne les prends jamais sur le fait.

Deuxième catégorie, des jeunes qui vivent dans la cité.

Ils sont une partie de leur temps dans le collège, sous la protection de l'institution scolaire, mais la plupart de leur temps ils le passent dans la cité, et, là, les règles du jeu sont fondamentalement différentes.

La vie est particulièrement difficile pour les élèves qui n'ont pas de grand frère, car c'est de lui qu'on tient sa protection dans la cité. Sinon on est plus facilement que les autres soumis à des menaces ou des pressions. Ceux qui n'ont pas de grand frère sont en quelque sorte obligés d'acheter leur protection, parfois avec des espèces sonnantes et trébuchantes. On a vu un élève donner 20 F par jour à un autre dans le collège pour ne pas avoir d'ennuis. C'est bien réel.

Ces jeunes peuvent être amenés à remplir de menus services, et à entrer dans des pratiques plus ou moins délinquantes, à s'opposer aux enseignants, aux institutions en général, à marquer leur hostilité à la police, à faire quelques coups d'éclat comme jeter des pierres sur les îlotiers. C'est ainsi qu'ils entrent dans une attitude délinquante. C'est une personnalité qui se construit dans la durée.

La dernière catégorie est de loin la plus visible, et pose le plus de problèmes aux gens des quartiers, et à nous dans l'école. C'est celle qui fait le plus de vandalisme, la plus insupportable, la plus agressive dans ses comportements.

Ces élèves sont paumés, ils vivent dans des milieux sociaux particulièrement défavorisés, marginalisés, ils n'ont pas de repères, ils sont mal défendus par leurs parents, ils ne le sont jamais par les enseignants parce qu'ils sont toujours très mauvais, et ni par les autres élèves parce qu'ils n'ont pas de prestige et qu'on n'a pas peur d'eux.

Ils sont poussés à bout. Ils sont prêts à tout pour essayer de se refaire une image un peu positive d'eux-mêmes parce qu'ils passent leur temps à être humiliés, qu'ils ne le supportent plus, et c'est compréhensible.

Ce sont toujours eux qui trinquent dans les affaires. Ce sont eux qu'on prend, qu'on balance, parce qu'on n'a pas peur d'eux, personne ne vient les défendre.

Quand je fais des signalements au Parquet, ce sont souvent leurs noms qui ressortent parce qu'on les prend sur le fait, ils n'ont pas la tchatche, ils ne savent pas se débrouiller, ils ont des conduites suicidaires ou autodestructrices.

Le département de Seine-Saint-Denis a mis en place un partenariat particulier entre la police, la Justice et l'Éducation Nationale. Les chefs d'établissement peuvent faire des signalements directs et rapides au Parquet, à la Direction Départementale de la Sécurité Publique et à l'Inspecteur d'Académie, quand il y a un incident grave dans le collège.

Depuis le début de l'année scolaire j'ai fait 69 signalements. Ce sont essentiellement des vols, des actes de vandalisme, mais aussi trois tirs d'armes à feu, cinq cocktails Molotov -ce n'est pas anodin- et une agression très spectaculaire contre un professeur par deux jeunes de l'extérieur recrutés par des élèves.

Quel bilan en tirer ?

Quand je signale l'incident en nommant l'auteur de l'agression ou du vandalisme, il est immédiatement convoqué à la brigade des mineurs avec sa famille. Il peut y avoir une suite, il peut être convoqué au Parquet ou déféré si les faits sont suffisamment graves.

Tout cela laisse un sentiment de malaise, bien qu'il soit très utile d'arrêter les jeunes dans leurs pratiques délinquantes, de leur signifier la loi et l'interdit.

Mais comme seuls pratiquement les jeunes de la dernière catégorie relèvent de ces procédures, cela accroît leur sentiment d'injustice. Ils ont l'impression que s'ils se sont fait prendre c'est parce qu'ils ont fait des erreurs, que s'ils étaient des vrais « pros » cela ne se produirait pas. Ils se font ridiculiser par les institutions, et par les copains qui ne se font pas prendre.

Leur situation psychologique s'aggrave, les conduit éventuellement à essayer de se rattraper en faisant un coup d'éclat encore plus fort à leur retour.

Si cette politique-là est certainement utile et indispensable, je pense qu'elle ne peut pas du tout suffire.

Une politique éducative très forte est absolument indispensable. Elle consiste à cadrer les élèves de façon très ferme, à leur montrer les limites, et en même temps à leur proposer des stratégies de valorisation forte, pour qu'ils puissent se construire une image d'eux-mêmes positive, afin de ne pas aller la chercher dans d'autres réseaux ou créneaux. Et là l'école est très défaillante.

Une école qui produit aussi massivement de l'échec scolaire que la mienne n'offre pas beaucoup de stratégies aux jeunes pour se valoriser. Je pense qu'on a collectivement une responsabilité.

Avec des jeunes qui ont un passé délinquant -l'un d'entre eux se faisait une gloire d'être passé 46 fois devant le juge- quand ils se disent qu'ils sont peut-être en train de gâcher leur vie, que les enseignants leur proposent des systèmes d'alliance pour qu'ils puissent s'en sortir, alors certains peuvent changer radicalement de position, et devenir des acteurs sociaux positifs, capables éventuellement d'aller chercher un copain dans la rue et de le ramener à l'école en disant « je connais une école où tu pourras peut-être t'en sortir ».

Il faut que l'école offre aujourd'hui des stratégies de réussite et de valorisation de façon massive.

Un chiffre pour finir, que je trouve terrifiant.

Dans mon collège, sur 140 élèves entrés en sixième il y a cinq ans, seulement deux ont eu la moyenne au brevet l'année dernière.

Une telle école ne peut pas se déclarer citoyenne et ne peut pas espérer que les enfants qui la fréquentent seront des citoyens.

M. Jacques GARDEN , proviseur à Vaulx-en-Velin.- Après le propos de ma collègue je me demande si je suis bien à ma place. J'ai presque le sentiment, tout en étant pourtant proviseur du lycée de Vaulx-en-Velin, d'être le chef d'un établissement de Neuilly.

Je ne veux pas tenir un discours angélique sur mon expérience, mais j'ose vous avouer que je suis dans une situation quand même un peu particulière.

Le lycée de Vaulx-en-Velin est neuf. Il a ouvert ses portes en septembre 1995.

Il a l'avantage d'accueillir seulement des élèves de seconde, il a pour mission de les préparer au baccalauréat d'enseignement général. Depuis la rentrée, nous avons 165 élèves, et 40 adultes. Donc, le contexte n'est pas le même.

Un message d'espoir peut-être. Même à Vaulx-en-Velin on peut vivre une scolarité dans des conditions tout à fait normales. J'espère que l'avenir ne me contredira pas.

Depuis la rentrée nous n'avons connu aucune dégradation, aucun incident, même mineur, entre les adultes et les élèves.

La création de cet établissement dans une ville aussi emblématique, comme l'a dit le sous-préfet, a été un grand message d'espoir pour la population jeune de la ville.

J'aurais tendance à dire que rien n'est désespéré. Il ne s'agit évidemment pas d'ériger dans tous les quartiers difficiles des bâtiments neufs pour répondre au problème posé.

Mais avec un certain nombre d'atouts mis entre les mains des élèves, ils sont capables de les respecter et de prendre conscience de l'effort consenti à leur égard.

Ce qui nous parait important depuis que nous avons ouvert, c'est qu'en cas de déviance il y ait sanction. La notion de droit doit être présente bien sûr, mais avec le souci d'une aide à l'amendement pour le fautif.

Il nous semble essentiel que ceci soit toujours présent dans notre esprit lorsque nous sommes amenés à sanctionner.

À une époque, « pacare » voulait dire pacifier en latin, puis maintenant payer. Selon moi la paix implique de payer, soit en cédant une parcelle de ses biens, soit par rapport aux élèves délinquants céder une partie de son capital narcissique.

Lorsque dans une sanction il n'y a pas cette notion de paiement, on passe à côté du résultat escompté, surtout pour les jeunes.

Ma collègue a beaucoup plus d'expérience que moi. Je préfère lui laisser la parole sur ce terrain.

Je suis assez attaché à l'adage canadien qui dit : « quant les derrières s'échauffent les oreilles se ferment ». Je vais essayer d'être court.

Par rapport à votre texte de loi, la notion de temps nous paraît très importante. Le jeune n'a pas du tout la même gestion du temps qu'un adulte. Dans toute décision il faut rapidité, quelle que soit sa nature.

M. Christian BONNET. - Quelle est la composition de l'établissement de Mme Pierrelee ? Combien y a-t-il de Français de souche, d'immigrés et de nationalités ?

Mme Marie-Danielle PIERRELEE.- Les nationalités n'ont pas beaucoup de sens, certaines sont représentées par de très petits nombres.

Il y a environ 20 % de Français d'origine métropolitaine, 50 % d'enfants d'origine maghrébine, qui vont devenir français, puisque leurs familles sont installées là depuis assez longtemps.

Il y a une immigration plus récente d'Afrique noire, avec des jeunes qui ont du mal à trouver leurs marques dans la société, et aussi des jeunes Français d'origine antillaise, qui ne vont pas très bien non plus et qui posent des problèmes spécifiques, les garçons en particulier.

Cinquante élèves posent de gros problèmes, six cents ont envie de travailler et sont empêchés de le faire, qu'ils soient d'origine française ou immigrée. Il ne faut pas l'oublier.

M. Robert PAGES .- Est-ce que le personnel enseignant de votre établissement est stable ou très mobile ?

Mme Marie-Danielle PIERRELEE. - Il est forcément assez mobile. Pour beaucoup ce sont des enseignants en début de carrière.

Ils arrivent avec de l'enthousiasme et l'envie d'agir. Il ne faut pas systématiquement penser que c'est mauvais, cela peut être bon s'ils sont épaulés ou encadrés.

Mais malheureusement, la tendance chez les enseignants dans les conditions actuelles est au repli sur l'instruction.

J'entends beaucoup dire « on n'est pas la mère, l'assistante sociale, l'éducateur, on est là pour faire le programme ».

C'est vrai, mais à ne pas vouloir se donner les moyens de faire passer un message, on arrive à un discours qui tourne à vide puisque les enfants n'apprennent pas, et les adultes ne veulent pas se sentir responsables d'eux, mais seulement du programme.

M. le Président.- D'autres questions ?

M. Michel RUFIN.- Je voudrais m'adresser à messieurs les commissaires de police.

Un rapport récent d'un syndicat de policiers laissait apparaître que la délinquance juvénile augmente notablement.

Je crois me souvenir qu'entre 1993 et 1994 il s'agissait de 15 %, et entre 1994 et 1995 de 20 %.

Certains de mes interlocuteurs, sans les contester, m'ont dit que ces chiffres étaient dus au fait que vous aviez augmenté votre activité, autrement dit le nombre des plaintes portées devant les Parquets.

Est-ce exact ? Ou au contraire les faits portés devant les Parquets sont-ils sensiblement les mêmes, ou est-ce uniquement la délinquance qui augmente ?

M. Roland MAUCOURANT. - Effectivement une partie des statistiques peut être engendrée par une activité plus grande de la part des services de police. C'est ainsi qu'on peut arrêter, si on met en place des dispositifs adaptés, un plus grand nombre de dealers dans certains quartiers.

C'est le cas dans le XVIIIème arrondissement en ce moment, mais cela correspond à une volonté d'éradiquer un phénomène pour rendre la vie supportable pour les habitants.

On n'est pas esclave des statistiques, mais elles reflètent le travail fourni et traduisent une importance grandissante de la mise en cause des mineurs délinquants.

Les policiers, lorsqu'ils font une police d'intervention et agissent dans les quartiers, sont confrontés à des mineurs auteurs qu'ils interpellent.

Les habitants nous demandent d'intervenir sous le sceau de l'urgence, et là nous mettons au jour des mises en cause de délinquants mineurs.

Une autre part est celle de la police d'investigation, qui correspond à la mise en oeuvre d'une police plus élaborée, qui cherche à confondre des délinquants en faisant des surveillances plus difficiles, délicates.

Je voudrais aussi répondre à la question de la pratique policière tendant à évincer le plaignant pour avoir des statistiques minorées et ainsi une meilleure image auprès de la hiérarchie.

Ce fut longtemps le reproche fait à l'Éducation Nationale, on fait l'autruche, on dissimule un bilan qui serait négatif.

Or je vous assure que les instructions données tendent à inciter les victimes à se signaler.

Les violences avec arme donnent lieu, à de rares exceptions près, à des plaintes en bonne et due forme, et à une réaction policière qui réside en une enquête permettant de confondre les auteurs.

M. Michel RUFIN.- Je voudrais m'adresser à Mme Pierrelee.

Ce qui m'a le plus scandalisé, c'est quand vous avez dit que les élèves étaient obligés d'acheter leur protection. Il s'agit d'un acte de banditisme. Je suis absolument horrifié que des enfants soient contraints d'acheter leur liberté et leur tranquillité.

Mme Marie-Danielle PIERRELEE.- On n'accepte pas, mais ce sont des phénomènes très peu visibles, ils sont cachés aussi bien par les auteurs que par les victimes. Celles-ci se sentent particulièrement humiliées.

Il faut arriver à créer un climat de confiance suffisant pour que cela émerge. Bien sûr quand c'est le cas cela s'arrête.

M. Michel RUFIN.- Je comprends mal que les aînés ne réagissent pas contre ce phénomène.

M. Charles de CUTTOLI. - C'est la loi de la jungle.

M. le Président.- Il nous reste à remercier les intervenants.

Les contraintes d'horaires nous obligent à mettre fin à notre échange.

(La séance est suspendue à 13 h 20.)

(La séance reprend à 16 heures 15 en présence de M. René MONORY, Président du Sénat).

M. Jacques LARCHÉ, président.- Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Garde des sceaux, je vous remercie de votre présence.

Nous avons jugé nécessaire de consacrer le maximum de temps possible à un certain nombre d'auditions sur le problème de la délinquance juvénile. Il s'agit d'un sujet sur lequel nous allons beaucoup discuter sur la base du rapport que le Premier ministre avait demandé à notre collègue Michel Rufin de bien vouloir préparer, sur la base du texte que vous soumettez, Monsieur le Garde des sceaux, à la délibération du Parlement.

Il y a d'abord une sorte d'accord général sur la gravité croissante de la délinquance juvénile. Ceux que nous avons entendus ce matin -et qui étaient des hommes et des femmes de terrain- nous ont dit toute l'ampleur du problème.

Au-delà de cette constatation, la nécessité apparaît d'apporter une réponse judiciaire, l'idée étant qu'il ne peut y avoir de délit ni d'atteinte à la loi qui ne déclenche, d'une manière ou d'une autre, une réponse de la justice.

Comment cette réponse judiciaire doit-elle être apportée ? Une idée intéressante, qui dépasse le droit, a été notée : cette réponse n'est évidemment pas simplement destinée à protéger l'ordre social. Elle est avant tout, destinée à aider le mineur dans la restructuration qu'il doit rechercher, à le rééduquer.

Nous avons entendu des avocats, des juges des enfants, des magistrats du parquet, des fonctionnaires de police, des membres du corps préfectoral et du corps enseignant, qui nous ont donné un aperçu inquiétant des situations auxquelles ils sont confrontés.

Reste à examiner la loi qui nous vient de l'Assemblée nationale, et à apporter les quelques corrections qui nous paraîtront nécessaires, car autant il est apparu souhaitable d'accroître la rapidité de la réponse judiciaire, autant il nous est apparu nécessaire d'éviter que la rapidité de cette réponse ne revienne sur ce que l'ordonnance de 1945 avait de prémonitoire -et ce n'est certes pas le but du projet de loi qui nous est soumis. On a parlé d'une vieille dame, mais dont la jeunesse a été dans le même temps soulignée.

Voilà les quelques lignes directrices qui se sont dégagées. Peut-être M. le président du Sénat souhaite-t-il intervenir dans l'immédiat...

M. René MONORY, Président du Sénat - Monsieur le Président, je n'ai pas à intervenir dans le débat. Je ne suis pas suffisamment juriste pour le faire. Juste un mot pour vous remercier de votre initiative d'auditions publiques. Nous sommes maintenant remarquablement bien installés au Sénat pour le faire, et je crois que votre commission des Lois et vous-même avez toujours témoigné, dans le domaine juridique, d'une certaine avance, qui a souvent placé le Sénat en première ligne sur des sujets difficiles.

Une fois de plus, vous démontrez vos qualités et votre ambition de faire un bon travail. C'est ce que je voulais dire, en vous remerciant, ainsi que M. Toubon, qui va apporter sa contribution à ce débat, et en remerciant également les gens qui participent à ces auditions. Je ne voulais pas passer sous silence le travail que vous faites dans cette maison, qui est important et remarquable d'imagination et de prospective !

M. le Président - Monsieur le Président, je vous remercie de ces paroles, auxquelles la commission tout entière sera extrêmement sensible.

Je salue la présence parmi nous de notre ami Léon Jozeau-Marigné, qui a si longtemps présidé à nos travaux. Je tenais à lui dire le plaisir que nous éprouvons à le retrouver à cet instant parmi nous !

Monsieur le Ministre, vous avez la parole...

M. JACQUES TOUBON - GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE

M. Jacques TOUBON, Garde des Sceaux, ministre de la justice - Monsieur le Président, j'ai été également très heureux en arrivant dans cette salle de retrouver Léon Jozeau-Marigné et dont le nom évoque beaucoup de souvenirs de travail commun en tant que parlementaire.

Je voudrais simplement dire, en tant que ministre de la justice, quelles sont les intentions du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale il y a quelques semaines, et qui va, au milieu du mois de mai, venir en séance publique devant la Haute Assemblée.

J'insisterai également sur les actions que nous souhaitons conduire, qu'elles relèvent de la loi ou non, pour essayer de prévenir et de juguler la délinquance des mineurs.

Le point de départ de ce travail, que j'ai entrepris dès mon arrivée à la chancellerie, est naturellement la constatation, qui n'est pas seulement statistique, que la délinquance des mineurs connaît une évolution préoccupante. Elle se développe d'ailleurs au moment même où on constate un certain plafonnement de l'évolution de la délinquance en général.

Je crois que cette augmentation de la délinquance des mineurs est une des manifestations les plus claires de la fracture sociale et d'une perte d'une partie de la cohésion de notre société.

L'actualité récente en a encore donné la preuve, et on a beaucoup parlé il y a quelques semaines, des violences dans les établissements scolaires, dont ont été victimes aussi bien les élèves que les professeurs. J'ai été sensible au fait que, dans le cadre de vos auditions publiques, vous ayez tenu à faire déposer devant vous des responsables d'établissements scolaires. C'est en effet une des dimensions essentielles du problème...

On constate non seulement une augmentation et une aggravation des faits délictueux commis par des mineurs, mais également un rajeunissement des auteurs de ces actes, qui sont souvent des enfants très jeunes, déscolarisés, issus de milieux familiaux complètement désagrégés, et qui, en fait, échappent très largement à tous les dispositifs d'insertion existants.

J'ajoute que cette situation nourrit chez un certain nombre de ces mineurs un sentiment d'impunité, qui est propice à la réitération ou à la récidive, et qui est bien entendu un élément du sentiment d'insécurité qu'éprouve une bonne partie de la population, notamment celle des grandes agglomérations urbaines.

C'est pourquoi le Gouvernement a conçu un plan d'action dans ce domaine, qui s'inscrit lui-même dans le cadre plus vaste du pacte de relance pour la ville, dont l'objectif est de renforcer l'efficacité de la justice pénale des mineurs.

Parallèlement, comme vous l'avez souligné, Monsieur le Président, je me préoccupe plus généralement de l'évolution de la protection judiciaire de la jeunesse, de sa situation, des problèmes qu'elle peut connaître et des remèdes qu'on peut lui apporter. C'est pour cela que le Gouvernement a confié au sénateur Michel Rufin, rapporteur de ce projet de loi, une mission qui le conduira d'ici quelques mois à remettre au Gouvernement un rapport sur l'état des lieux de la PJJ, ses modes de prise en charge actuels, leur évolution et leur éventuelle modification.

Il est clair en effet que l'aspect pénal constitue l'une des données de la question, mais que c'est plus globalement qu'il faut considérer le problème des jeunes en difficulté, qu'ils soient délinquants ou simplement menacés.

J'ajoute que cet objectif de renforcement de l'efficacité de la justice pénale des mineurs ne doit en aucune façon remettre en cause la dimension éducative -je dirais même le "primat éducatif- qui fait la spécificité de la justice des mineurs, du droit pénal des mineurs en particulier, par rapport au droit commun, et que je considère pour ma part comme essentiel.

Il est clair que ce caractère éducatif ne doit pas non plus exclure que nous puissions agir avec une plus grande fermeté lorsque c'est nécessaire. C'est donc dans cette perspective d'équilibre que le pacte de relance pour la ville a prévu un ensemble cohérent de nouvelles réponses judiciaires en matière de délinquance des mineurs.

Trois objectifs pour l'ensemble de ces actions, dont un seul -le premier- exige des modifications législatives. En effet, accélérer le cours de la justice pénale des mineurs nécessite une modification de l'ordonnance de 1945. C'est le texte qui est en cours de discussion... Le second objectif consiste à diversifier les réponses éducatives. Ceci peut se faire en dehors de la loi, mais c'est intimement lié à l'ensemble du dispositif. Enfin, renforcer la cohérence des actions de prévention de la délinquance juvénile ne relève pas non plus de la loi.

Tout d'abord, la première décision du pacte de relance pour la ville, c'est la création de 50 unités à encadrement éducatif renforcé, dont 20 verront le jour pour la rentrée 1996. Ce sont des structures de petite dimension destinées à accueillir quatre ou cinq jeunes délinquants ou en très grande difficulté, avec autant d'éducateurs que de jeunes.

Ces unités permettront une prise en charge individualisée, contraignante, ce qui veut dire exigeante -comme toute action d'éducation, elle comporte des exigences- et une prise en charge continue des mineurs accueillis, afin de créer pour eux une rupture significative avec leur mode de vie habituel.

Elles fonctionneront non seulement avec des éducateurs, mais également avec des équipes pluridisciplinaires permettant l'accompagnement éducatif, le suivi psychologique et l'insertion sociale et professionnelle.

Le placement dans ces UEER sera décidé pour une période déterminée sur décision judiciaire. Le mineur délinquant fera l'objet d'un soutien éducatif, avec un double objectif : tout d'abord, lui apprendre la discipline grâce à une attention plus grande des adultes, et à un contrôle plus appuyé de leur part, mais aussi le mettre dans une dynamique d'activité.

C'est pourquoi un projet d'insertion sera élaboré avec lui, en s'appuyant sur des supports pédagogiques : remise à niveau sur le plan scolaire, dépistage puis travail sur la situation éventuelle d'illettrisme, préparation d'une formation professionnelle.

Ces activités, tout en lui apportant des atouts nouveaux pour se réinsérer, le mettront en condition d'acquérir -c'est probablement là la chose la plus importante- de nouveaux rythmes de vie : suivre des horaires réguliers, apprendre à repérer et à organiser les divers moments d'une journée -le temps de travail, du repas, celui des loisirs- toutes choses qui, souvent, ne lui ont jamais été apprises dans sa première enfance.

Ces activités lui permettront également d'être confronté à des règles élémentaires de la vie sociale : être à l'heure, respecter l'adulte, apprendre à recevoir des critiques sans y répondre automatiquement par la violence.

Ce nouveau mode de vie fera l'objet d'un contrat passé avec les éducateurs, qui auront des objectifs à tenir et des règles à respecter. Tout manquement sera immédiatement signalé au magistrat qui aura placé le jeune, avec si nécessaire des sanctions à la clé.

Voilà ce que sont les unités à encadrement éducatif renforcé, naturellement très éloignées de la caricature qui en a été complaisamment faite !

En second lieu, le pacte de relance pour la ville prévoit la mise en place d'une cellule d'information centralisant les capacités disponibles dans les foyers et les structures d'accueil pour jeunes en danger et mineurs délinquants. Cette cellule permettra de renseigner les magistrats en temps réel sur les possibilités de placement des mineurs. Elle facilitera notamment la recherche de lieux d'accueil, dès lors qu'il s'avérera indispensable qu'après son arrestation et sa comparution devant le juge des enfants, le jeune délinquant ne reparte pas immédiatement sur son quartier et ne soit pas non plus mis en détention provisoire dans un quartier des mineurs.

Outre la diversification des solutions éducatives adaptées à la délinquance juvénile telles qu'elles se présentent aujourd'hui, le pacte de relance pour la ville prévoit de renforcer la cohérence des actions de prévention de la délinquance juvénile, qui sont multiples, de tous horizons, de diverses administrations, et, jusqu'à maintenant, mal coordonnées et peu cohérentes.

À cet égard, les préfets seront appelés à compléter les plans départementaux de sécurité par des plans départementaux de prévention de la délinquance, permettant de coordonner les actions financées par l'État, par les conseils généraux et par les communes, et de recentrer ces actions, notamment sur une prévention spécialisée, à destination des jeunes les plus fragiles et les plus en difficulté.

Par ailleurs, des conventions sur le signalement des mineurs, conclues entre des juridictions et des services de l'aide sociale à l'enfance, ont été expérimentées par certains tribunaux et par certains conseils généraux. Elles ont pour objet de clarifier les compétences respectives des services de l'aide sociale à l'enfance et de la justice en matière de protection de l'enfance en danger. Elles permettent, en outre, un meilleur échange d'informations sur les situations de mineurs en difficulté entre les services relevant des conseils généraux et ceux relevant du ministère de la justice.

Aussi, ai-je décidé, le 12 mars dernier, d'adresser aux juridictions une circulaire qui préconise le développement et, si possible, la généralisation de ces conventions entre l'ASE et les juridictions.

De manière identique, dans le même état d'esprit, des conventions conclues entre les parquets, la PJJ et les établissements scolaires ont été expérimentées dans certains départements. Elles permettent, d'une part, d'apporter sans délai une réponse aux faits délictueux commis en milieu scolaire et, d'autre part, de signaler l'absentéisme scolaire, qui, dans certains cas, peut entraîner une situation de danger pour un mineur et justifier l'ouverture d'une procédure d'assistance éducative.

Là encore, j'ai décidé, conjointement avec le ministre de l'éducation nationale, de rédiger une circulaire commune afin de préconiser le développement de ces conventions tripartites.

Voilà pour le dispositif non-législatif, à l'intérieur du pacte de relance pour la ville.

Par ailleurs, la rapidité étant l'une des principales conditions de l'efficacité de la réponse judiciaire, l'objet du projet de loi en discussion devant la Haute Assemblée est d'accélérer chaque fois que possible le cours de la procédure.

En effet, en l'état actuel du droit, même lorsque les faits sont établis et que la personnalité du mineur est connue -notamment en raison de poursuites antérieures dont il a pu faire l'objet- le juge des enfants est toujours tenu de procéder à une instruction préalable. Cette exigence retarde souvent, sans aucun profit pour le mineur, le jour du jugement.

Afin d'assouplir le dispositif, j'ai décidé d'introduire dans l'ordonnance du 2 février 1945 deux séries de dispositions nouvelles...

Tout d'abord, s'agissant des affaires présentant un moindre degré de gravité, le texte propose de rendre plus efficace la procédure de convocation par officier de police judiciaire, qui a été instituée pour l'enfance délinquante par la loi du 8 février 1995, en instaurant la convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement.

En vertu du nouveau texte, la convocation par OPJ permettra de saisir le juge des enfants non seulement en vue de la mise en examen du mineur -comme c'est le cas depuis la loi du 8 février 1995- mais également aux fins de jugement en chambre du conseil.

Le procureur de la République pourra ainsi demander aux enquêteurs de la police judiciaire de convoquer le mineur dès l'issue de l'enquête devant le juge des enfants, pour que celui-ci statue sans attendre sur sa culpabilité et prononce une mesure éducative, telle que l'admonestation, la remise à parents, ou la médiation-réparation.

À cette même audience, le juge des enfants pourra également statuer immédiatement sur les dommages et intérêts dus à la victime, qui aura été également convoquée, afin de permettre son indemnisation dans les meilleurs délais.

Le juge pourra décider de procéder, dans le cadre de cette procédure, à la césure du jugement, en se prononçant uniquement sur la culpabilité, sur les dommages-intérêts pour la victime, et en renvoyant sa décision sur les mesures éducatives. Cette décision sur les mesures devra intervenir dans un délai que nous avions initialement fixé à quatre mois, et que la commission des Lois de l'Assemblée nationale a porté à six mois, ce qui a été voté avec l'accord du Gouvernement.

S'il estime l'affaire trop complexe s'agissant des faits ou de la personnalité du mineur, le juge pourra également utiliser la procédure classique et ouvrir une instruction.

Bien entendu, la procédure de convocation par OPJ aux fins de jugement, tout comme la comparution à délai rapproché, ne pourra être utilisée qu'à la condition que le mineur soit assisté par un avocat et que le service éducatif auprès du tribunal ait préalablement donné son avis.

Parallèlement, comme l'a souhaité la commission des Lois de l'Assemblée nationale et comme celle-ci l'a décidé, les parents, le tuteur, la personne qui a la garde du mineur ou son représentant, devront systématiquement être convoqués pour être entendus par le juge. Ce n'était pas prévu dans le texte d'origine mais sous-entendu, et cela a été mis noir sur blanc par l'Assemblée nationale.

S'agissant des délits d'une plus grande gravité et pour les mineurs fortement ancrés dans une situation de délinquance, le projet de loi propose d'instituer la procédure de comparution à délai rapproché. Une telle procédure pourra être mise en oeuvre lorsque deux conditions seront réunies. D'une part, les faits en cause devront être de nature correctionnelle et ne nécessiter aucune investigation particulière. D'autre part, la personnalité et l'environnement familial du mineur devront être connus, en raison des investigations déjà accomplies sur ce point à l'occasion d'une autre procédure. Par définition, il s'agit d'un mineur réitérant ou récidiviste.

Cette procédure donnera la faculté au procureur de la République, lorsqu'il déférera un mineur devant le juge des enfants pour sa mise en examen, -si les deux conditions que je viens d'énoncer sont remplies- de demander à ce magistrat de fixer l'audience de jugement dans son cabinet, ou devant un tribunal pour enfants, dans un délai d'un à trois mois.

Toutefois, si le juge ainsi saisi par le parquet estime que les investigations concernant la personnalité du mineur déjà réalisées sont insuffisantes et qu'il est nécessaire de procéder à une instruction, il rendra une ordonnance motivée, refusant de faire droit aux réquisitions du parquet. Ce dernier pourra alors, s'il le souhaite, interjeter appel de cette ordonnance devant le président de la chambre spéciale des mineurs de la cour d'appel, qui tranchera en définitive.

Par ailleurs, dans les cas les plus graves et pour les mineurs âgés de plus de seize ans, le procureur de la République pourra requérir, en même temps que la procédure à délai rapproché, le placement en détention du mineur jusqu'à sa comparution devant le tribunal.

Au moment de rendre sa décision, le tribunal pour enfants pourra, s'il condamne le mineur à une peine ferme, y compris pour les mineurs de treize à seize ans, ordonner l'exécution provisoire de la peine.

Ainsi, dans les cas les plus graves -et notamment à l'égard des mineurs multirécidivistes ou multi-réitérants- la nouvelle procédure de comparution à délai rapproché permettra une répression rapide et ferme.

Enfin, il se peut qu'aucun des modes de saisine n'ait été utilisé lors de l'ouverture de la procédure. Il se peut également qu'en dépit la demande du Parquet aux fins de jugement rapide, le juge des enfants ait décidé de suivre la voie de l'instruction préalable. C'est pourquoi le projet de loi donne en dernier lieu la possibilité au parquet de demander l'accélération du déroulement des procédures, en lui permettant de requérir du juge des enfants, à tout moment d'une procédure déjà en cours, de fixer l'audience de jugement en cabinet ou devant le tribunal, dans un délai d'un à trois mois.

Dans les mêmes conditions, le juge peut répondre par une ordonnance qui sera le cas échéant soumise par le parquet à l'appel devant le président de la chambre spéciale des mineurs de la Cour d'appel. Ceci montre bien qu'en toute hypothèse, c'est un juge du siège qui prendra la décision relative à la date et au délai, ce juge du siège, président de la chambre spéciale des mineurs, étant par définition un spécialiste de la jeunesse et de l'enfance délinquante.

Ce projet est bien entendu à certains égards très limité, et certains députés s'en sont étonnés lors de la discussion à l'Assemblée nationale, en demandant où était la grande réforme de l'ordonnance de 1945, dont on parle depuis dix ou vingt ans. J'ai souvenir de rapports parlementaires de 1982 sur ce sujet, qui n'ont eu aucune suite... Ce projet est limité certes, mais, pour autant, extrêmement ambitieux, puisqu'à peu de choses près, c'est la première fois que, depuis cinquante-et-un ans, on va faire évoluer la législation spécifique des mineurs contenue dans l'ordonnance du 2 février 1945 !

Si je le fais, c'est parce que je veux tout à la fois respecter les principes fondamentaux de l'ordonnance, les droits de la défense, mais aussi opérer un renforcement notable et nécessaire de l'efficacité de la justice pénale des mineurs, qui s'inscrit dans le cadre plus général d'une relance de la politique pour la ville.

Contrairement à ce que beaucoup ont pu dire, aucun des principes -et en particulier le primat éducatif- n'est remis en cause par le projet que je présente, pas plus que les prérogatives du juge des enfants. Ces dispositions, combinées avec celles qui ne relèvent pas de la loi, permettront à l'institution judiciaire de répondre à la délinquance juvénile telle qu'elle se présente aujourd'hui, par une réaction sociale rapide et proportionnée, et retrouvera ainsi sa véritable dimension de rappel à la loi, tant à l'égard des délinquants que des victimes.

Chacun doit être aujourd'hui bien conscient de l'enjeu pour notre société de cette réforme limitée et pourtant d'une grande portée. Cet enjeu est en quelque sorte -au sens propre- historique. Si l'application des principes essentiels de l'ordonnance de 1945 ne permet pas d'atteindre de meilleurs résultats, à titre préventif ou répressif, il faut être conscient que ces principes eux-mêmes seront un jour ou l'autre remis en cause par l'opinion publique ou par les élus, notamment parlementaires. On risque ainsi de voir écarter le caractère propre de la législation des mineurs au profit d'une banalisation sécuritaire...

Ce que je propose, c'est justement d'éviter ce qui nous menacerait ainsi, parce que ce que je propose permet de maintenir l'équilibre, respecte totalement l'esprit de la loi pénale spécifique applicable aux mineurs, mais peut contribuer à lui rendre l'efficacité qui seule en assurera la pérennité.

S'opposer à cette réforme très limitée, très adaptée, notamment par excès idéologique, c'est en fait jouer à quitte ou double avec l'ordonnance de 1945, et, pour ma part, je m'y refuse ! Je veux qu'on continue à l'appliquer, et c'est même un honneur pour la justice et la France que de disposer de cet instrument particulier pour les mineurs.

Pour autant, je refuse avec autant de conviction les propositions revenant sur les acquis du droit des mineurs, dont je voudrais rappeler qu'il a souvent présagé et précédé l'évolution de l'ensemble de notre législation. J'en veux pour preuve que c'est dans cette réforme législative que, pour la première fois en France, nous allons introduire dans notre code de procédure pénale ce que l'on appelle la césure pénale. Je suis sûr que c'est une procédure qui se développera un jour ailleurs que dans la justice des mineurs !

Je sais qu'en proposant ce texte, le Gouvernement s'expose naturellement à des critiques faciles, mais je suis également convaincu que la pire des irresponsabilités, la pire des démissions serait de vouloir maintenir intégralement comme des tabous les dispositions qui existent, et laisser dans notre pays se propager le sentiment que la justice ne sert à rien ! La justice, dans ce domaine comme dans d'autres, c'est plus qu'une institution fondamentale de l'État, c'est plus que l'autorité judiciaire : chacun sait fort bien que c'est le meilleur et le plus sûr lien de la société. Je ne voudrais pas qu'à trop souvent l'oublier, on mette en cause ce qui fait une partie de la cohésion sociale dans notre pays, c'est-à-dire le lien de confiance entre les générations !

M. le Président - La parole est à Monsieur le rapporteur...

M. Michel RUFIN, rapporteur - Monsieur le ministre, ne peut-on imaginer une césure pénale devant le tribunal pour enfants, compte tenu des limites de l'ajournement ?

Par ailleurs, est-il vraiment nécessaire de prévoir un appel du parquet en cas de refus du juge des enfants de recourir à la comparution à délai rapproché ?

M. le ministre - Tout d'abord, rien n'interdit, si l'on veut aller plus loin dans la réforme, d'introduire la procédure de la césure au niveau du tribunal, comme devant le juge. J'ai proposé cette réforme de manière prudente. Si des amendements parlementaires allaient dans le sens que vous dites, je n'y verrais aucun inconvénient. Je suis depuis très longtemps convaincu que l'un des progrès de la procédure pénale française passe par toutes les formes possibles de césure et par bien des formes de justice pénale et de juridiction.

D'autre part, s'il est nécessaire, dans un certain nombre de circonstances, et dans des cas peu nombreux mais significatifs, de faire en sorte qu'il puisse y avoir une décision du juge à délai rapproché, il faut bien que quelqu'un d'autre que le juge -en l'occurrence le président de la chambre spéciale de la Cour d'appel- tranche sur le point de savoir qui, du parquet ou du juge, a raison. Il n'y a là rien de plus respectueux des procédures normales. Si l'on interdisait aux procureurs de faire appel, il est vraisemblable que ceux-ci n'utiliseraient cette procédure que de manière exceptionnelle, sachant qu'ils peuvent se retrouver devant une difficulté.

L'essentiel est de bien délimiter les circonstances, de les entourer de toutes les garanties, la première étant naturellement qu'un juge du siège tranche, et la seconde qu'il y ait avis préalable du SEAT, en présence des avocats et de l'ensemble des intéressés. À partir de là, je ne vois vraiment pas en quoi la rapidité met en cause le primat éducatif. En revanche, je vois très bien en quoi les procédures actuelles, qui se perdent dans les sables, mettent en cause le primat éducatif, puisque le mineur ne comprend pas la décision prise à son égard plusieurs mois -si ce n'est plusieurs années- après la commission des faits !

De ce point de vue, je n'ai aucun doute ! Je n'en aurais que si cette procédure était en contravention avec les principes mêmes de notre droit. Or, je ne vois pas ce qu'il y a d'exorbitant à demander à un juge du siège du niveau de la Cour d'appel de bien vouloir trancher, comme c'est le cas bien souvent, entre le parquet et la première instance.

M. Robert PAGÈS - Monsieur le Garde des sceaux, j'ai entendu de nombreux intervenants dresser un constat inquiétant du développement de la délinquance juvénile. Je ne la nie pas. Cependant, je mettrai un bémol quant à la situation rouennaise, qu'a décrite ce matin le procureur Schmit ! Je rassure l'ensemble de nos amis : l'agglomération rouennaise est encore un lieu où l'on peut vivre dans les conditions assez agréables malgré tout !

J'ai également entendu des analyses pertinentes sur les raisons profondes du développement de cette délinquance juvénile : chômage, précarité de l'emploi, familles désunies... Tout cela est vrai, et je partage dans l'ensemble cette analyse. Toutefois, bien que je ne sois pas un spécialiste de ces questions, puisque j'ai été instituteur dans une ZEP avant d'être sénateur, je n'ai pas entendu réclamer davantage de législation dans ce domaine ! Il m'a semblé que, pour l'essentiel, l'ordonnance de 1945 offrait un très grand nombre de possibilités légales de répondre aux problèmes sur le terrain, quotidiennement.

Au contraire, j'ai cru comprendre que ce qui gêne considérablement, c'est l'insuffisance de moyens dans le domaine de l'action éducative, l'insuffisance du nombre de juges des enfants...

Dans ces conditions, à côté de cette réforme -que je ne crois pas utile-pouvez-vous nous parler des moyens supplémentaires qui pourraient éventuellement accompagner la réforme que vous proposez ?

M. le ministre - Tout d'abord, j'attire votre attention sur le fait que 99 % de la législation reste inchangée !

S'agissant des moyens, en 1977, il y avait à la PJJ plus de 3.100 lits d'hébergement. En 1996, il y en a environ 1.400 seulement -y compris les 150 créés depuis le début de 1995. Quant aux emplois, ils ont constamment diminué, sauf en 1995 et 1996, époque à laquelle on en a créé cent par an. J'en ai par ailleurs débloqué 90, qui étaient gelés, en 1995.

En tant que Garde des Sceaux, je m'intéresse aux mineurs en difficulté, délinquants ou non. J'y consacre une part considérable de mon temps. J'y ai accordé une priorité budgétaire, administrative, législative et je ne laisserai personne dire que la situation que j'ai trouvée me permet de réaliser le travail que les autres n'ont pas fait ! Je le fais car je crois qu'il n'y a probablement rien de plus important dans la mission qui est la mienne.

La justice, depuis 1945, a toujours été obligée de prendre en compte et de réparer ce que le fonctionnement de la société a créé, et vous avez raison de dire que, si aujourd'hui nous sommes confrontés à une situation difficile, c'est parce que l'état de la société française est particulièrement dégradé.

Mon rôle, du fait de l'héritage que j'ai trouvé et de la dégradation actuelle de la société, est d'essayer de trouver les moyens, en respectant les principes, qui me permettent de faire face aux difficultés des jeunes. Je crois que, dans le cadre du programme pluriannuel de la justice, que j'applique scrupuleusement, nous faisons plutôt des progrès. Ceux-ci sont trop lents, j'en suis conscient, mais c'est une priorité, et dans l'ensemble du service public de la justice, il ne me paraît pas y avoir à long terme d'investissement plus important !

M. le Président - Monsieur le Garde des sceaux, il ne faut pas vous tromper sur le sens de l'intervention de notre collègue Robert Pagès. Il ne s'agit pas de savoir s'il faut ou non faire la réforme -c'est un problème d'appréciation générale- mais si l'application insuffisante de l'ordonnance de 1945 résulte en l'état actuel d'une lacune des textes ou d'une insuffisance de moyens ... Quelle est donc la voie à choisir en priorité ? Est-ce l'augmentation immédiate des moyens ou l'amélioration du texte ? Peut-être les deux voies peuvent-elles d'ailleurs être suivies de façon concomitante, mais nous avons le souvenir de réformes touchant à des domaines importants, dont on a constaté qu'elles n'étaient pas applicables parce que les moyens ne suivaient pas ! Cela donnait l'impression que la réforme de la justice butait sur certains moyens matériels.

Nous sommes suffisamment conscients de l'importance de ce que vous nous proposez pour ne pas vouloir nous heurter, à terme plus ou moins lointain, à une difficulté de cet ordre !

M. le ministre - Il est clair que les différentes décisions, d'ordre législatif ou non, ne peuvent être mises en oeuvre qu'accompagnées de moyens supplémentaires. C'est pour cela que, pour la mise en place des unités à encadrement éducatif renforcé, le Premier ministre a décidé, dès 1996, d'allouer au ministère de la justice cinquante emplois d'éducateurs supplémentaires.

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT - Les séances de la commission, lorsqu'elles sont publiques et télévisées, ont des avantages et des inconvénients : nous avons entendu ce matin des gens de terrain, qui connaissent bien la situation et qui nous ont appris, en même temps qu'à beaucoup de téléspectateurs, des choses importantes qu'il est bon que l'on sache, à propos du phénomène de société que constitue le développement de la délinquance juvénile, qui ne laisse personne indifférent.

Par contre, l'audition du ministre, à laquelle nous procédons traditionnellement lorsqu'il y a un projet de loi, ne doit pas tourner à je ne sais quelle campagne électorale ou à je ne sais quel éloge de la politique du ministre ou même du Gouvernement -encore que c'est surtout à celui du ministre auquel on ait assisté !

Quand on parle de l'héritage, c'est de la politique politicienne. Ce n'est pas le lieu mais, le Garde des Sceaux ayant parlé pendant une heure, nous pouvons bien rappeler qu'entre 1986 et 1988, on a assisté à un gel complet des crédits de la protection de la jeunesse, sous prétexte de je ne sais quel audit ! On n'est pas là pour cela, mais pour constater une situation, rechercher les solutions et savoir s'il y a lieu d'en retenir ou non, d'amender ou non un projet de loi dont nous sommes saisis...

Concernant ce projet de loi, le garde des sceaux m'a paru être un poète : il a inventé la césure, et nous a dit que c'était une réforme historique, quitte à dire ensuite que ce texte était somme toute modeste. Cela existe depuis longtemps, et en particulier depuis que l'ajournement a été mis à la disposition des magistrats ! Tous les tribunaux peuvent -et tout le monde le sait ici- ajourner ou statuer sur la culpabilité et ne pas statuer immédiatement sur la peine !

Au contraire, pour la première fois, vous voulez obliger les tribunaux à juger dans un délai donné. Jusqu'à présent, les tribunaux ont toujours eu la possibilité, s'ils estiment qu'il y va de l'intérêt de la cause, de renvoyer les débats. On en discutera bien entendu dans l'hémicycle...

La vraie question est de savoir si votre loi sert à quelque chose ou si elle n'est qu'un coup d'épée dans l'eau ! En effet, il suffit que vous donniez instruction à vos parquets de citer devant les juges pour enfants ou les tribunaux pour enfants aux dates qu'ils choisiront ! Il est possible de le faire, comme pour toutes les juridictions : il n'y a pas besoin d'une loi pour cela !

M. le ministre - Puisque vous êtes à la télévision, dites au moins la vérité !

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT - J'ai presque terminé !

M. le ministre -... Vous êtes avocat, je ne le suis pas : vous êtes en principe plus compétent que moi !

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT - J'ai presque terminé, Monsieur le Garde des Sceaux !

M. le ministre -... C'est le juge pour enfants qui a seul le pouvoir de fixer la date de l'audience !

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT - Deux de vos procureurs sont pourtant venus ce matin nous dire exactement le contraire ! Je pourrais me tromper : tout le monde est faillible. Vous l'oubliez souvent, moi, jamais !

M. le ministre - En l'occurrence, vous êtes en train de l'oublier, car vous vous êtes trompé ! Article 8 de l'ordonnance de 1945...

Selon les termes mêmes, l'ajournement de peine n'est pas la césure. Par ailleurs, l'ajournement de peine n'est pas possible en chambre du conseil. C'est pourquoi nous avons introduit la césure devant la chambre du conseil. Enfin, il y a dans votre dénégation sur la fixation des délais quelque chose de contradictoire : d'un côté, vous dites qu'il ne faut pas forcer le juge à décider au moment où il ne veut pas ; de l'autre, vous prétendez qu'on peut le faire, et vous affirmez que le juge décidera ce qu'il veut : c'est exactement ce que je vous dis !

Le parquet fera une demande à laquelle le juge répondra par oui ou par non. S'il répond négativement, la Cour d'appel tranchera ; si la Cour d'appel prétend que le juge doit juger, il jugera et décidera ce qu'il veut, y compris de renvoyer ! Encore une fois, le pouvoir du juge du siège reste intégral !

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT - L'article 8 ne dit rien de tel ! Il dit qu'il peut renvoyer le mineur devant le tribunal pour enfants ou le juge d'instruction, mais non que la date ne peut être fixée par le parquet !

Un intervenant - Je suis juge des enfants. Puis-je intervenir ?

M. le Président - Il n'est pas d'habitude que le public intervienne... Nous avons deux problèmes de droit à vérifier, et c'est le travail de la commission : la comparaison possible entre l'ajournement et la césure...

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT - Il n'y a pas que l'ajournement !

M. le Président - Vous avez demandé au Garde des Sceaux qu'il ne vous interrompe pas : puis-je vous adresser la même demande ? Vous aurez certainement la courtoisie de m'obéir...

M. Charles de CUTTOLI - Monsieur le Président, les débats doivent être réservés aux membres de la commission ou aux invités. Nous ne pouvons débattre avec la salle !

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT - Il s'agit d'invités, mon cher collègue : si vous aviez été là ce matin, vous le sauriez !

M. Charles de CUTTOLI - Je ne vous y ai pas vu en fin de matinée, en tout cas !

M. le Président - Pour le moment, nous avons deux problèmes de droit, que nous examinerons dans le détail : d'une part, la comparaison entre l'ajournement et la césure, et, d'autre part, comme l'opinion en a été émise ce matin, le fait que le juge des enfants fixe librement la date de l'audience, coutume sur laquelle il paraîtrait difficile de revenir...

M. le ministre - Le 9ème et le 10ème alinéas de l'article 8 montrent la latitude totale qui est celle du juge pour enfants. C'est si vrai que l'un des reproches que l'association des magistrats chargés de la jeunesse, dans les documents qu'elle m'a adressés, fait à mon projet de réforme, est que, désormais, le parquet va pouvoir intervenir !

M. Robert BADINTER - Monsieur le Président, je me serais gardé d'intervenir si, comme l'a rappelé éloquemment mon ami Dreyfus-Schmidt, cette séance ne dépassait pas largement l'enceinte habituelle de la commission.

J'ai entendu le garde des sceaux expliquer combien son inventaire était douloureux. Je voudrais tout de même, ayant conservé quelque mémoire, rappeler la séance de l'Assemblée nationale du 12 novembre 1981, à laquelle j'avais le privilège d'avoir présent M. Toubon, et citer mes propres paroles : "Pour l'éducation surveillée, 350 emplois nouveaux s'ajouteront aux 300 créés au mois d'août. C'est le véritable bond en avant du budget. En un an, nous aurons créé autant d'emplois qu'au cours des quatre années précédentes. Les crédits de fonctionnement augmenteront de 20 %, les crédits d'équipement de 35 %, les autorisations de programme de 21 %. Il faut aussi noter la mise en place de nouvelles équipes éducatives dans neuf tribunaux, la création de seize centres d'orientation et d'actions éducatives pour assurer l'orientation des jeunes". Ce n'est qu'un rappel, mais vous m'aurez un instant permis de me souvenir du temps passé...

M. le ministre - Je voudrais simplement demander à M. Badinter de ne pas se sentir visé chaque fois que j'évoque mes prédécesseurs et de me dire combien de créations de postes il y a eu entre 1988 et 1992...

M. Robert BADINTER - À cette époque, mon attention était plus attirée par l'ordre juridique que par les moyens. Je rappelle simplement ce que j'avais laissé à mon départ !

M. le ministre - C'est pour cela, Monsieur l'ancien Garde des Sceaux, que je ne personnalise jamais les critiques que je fais !

M. Robert BADINTER - Je rappelle simplement les faits. Un effort sans précédent avait été réalisé dans ce domaine !

M. le Président - Messieurs, arrêtons-nous dans cette remontée dans le temps !

M. le ministre - Je suis en tout cas très honoré de faire presque aussi bien que vous, Monsieur Badinter !

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT - Vous avez mal compté -ou mal entendu !

M. le Président - Monsieur le Garde des Sceaux, merci...

La parole est maintenant aux personnels de la protection judiciaire de la jeunesse.

PERSONNELS DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

M. Max LONGERON - Directeur régional de la protection judiciaire de la jeunesse de la région Ile-de-France

M. Bernard CASSAGNABERE - Éducateur au Havre

Mme Marie-Claude DAUPHANT - Éducatrice à Grenoble

M. Bernard CASSAGNABÈRE , éducateur au Havre - Tout d'abord, c'est avec surprise que j'ai appris que j'allais, en compagnie d'autres collègues, m'exprimer devant vous en tant que personnel de la PJJ.

Cela dit, le poids risque d'être lourd, puisque j'arrive d'un gros SEAT, celui du Havre, où nous n'avons pratiquement que des mesures pénales, c'est-à-dire presque tout le champ pénal relatif à l'ordonnance de 1945...

De plus, j'ai la particularité d'être un éducateur qui se pique d'aimer le droit, d'y passer beaucoup de temps et de l'étudier pour le plaisir à l'université. En outre, je ne suis pas un pur produit de la PJJ, puisque j'ai longtemps exercé au sein de l'éducation nationale, dans une zone d'éducation prioritaire, en tant qu'instituteur spécialisé. Ne soyez donc pas surpris si, dans mes propos, se mêlent des bribes de droit et des rappels à mes souvenirs pédagogiques...

Au Havre comme ailleurs, la délinquance a changé, tout comme a évolué le regard porté sur elle. Effectivement, il n'est qu'à lire la presse ces derniers temps pour s'apercevoir que le constat de ce matin est valable au Havre, puisqu'on y brûle des voitures, on y attaque des professeurs, des pompiers, etc.

Cela dit, si je suis d'accord avec ce constat, je voudrais préciser que les éducateurs, au Havre, ont le plus souvent face à eux des mineurs qui ne se posent pas en termes de refus de l'orthodoxie des normes, mais des jeunes tellement « non-intégrés » qu'ils méconnaissent toute autorité, fût-elle morale, politique, religieuse, familiale ou symbolique.

Un éducateur a fait une étude très précise sur les mineurs suivis par le SEAT du Havre et a noté que 80 % vivaient dans des familles dont le père était absent -divorce, enfant naturel, décès- ou manquant -statut de père déchu, à cause du chômage, de l'alcoolisme, ou du conflit de culture pour les enfants d'origine maghrébine et, de plus en plus, noire africaine...

Il est aussi notable que le plus grand nombre de mineurs que l'on suit ont un très faible niveau scolaire. Pour la première fois depuis quatre ans, nous suivons deux mineurs qui ont le niveau bac. La plupart sont à peine du niveau du CE 2-CM 1, et sont souvent à la limite de l'illettrisme. Quand on travaille avec eux, c'est pour leur faire passer le CFG, certificat de fin d'études générales qui reconnaît aux jeunes une qualification minimum -savoir à peu près lire, s'exprimer et faire trois des quatre opérations...

En même temps, la perception a changé, puisqu'on est directement passé de l'adolescence et de l'enfance à un nouveau statut, mal défini, celui de "jeunes", concept flou qui semble se confondre avec l'adolescence, mais recouvre un groupe social qui s'étendrait au-delà de la majorité, jusqu'à 25 ans environ.

C'est ce qu'on a pu constater lors de la consultation "Faites agir vos idées !", où il était accordé aux jeunes un pouvoir réel, puisqu'il était écrit : "Le Gouvernement tiendra compte de vos réponses"... Une frontière symbolique a donc été abolie, puisqu'on passe directement du statut d'enfance qui se tait à celui de jeunes qui semblent avoir une certaine forme de responsabilité reconnue.

L'adolescence étant moins balisée, les éléments symboliques qui marquaient le passage de la rupture avec les parents ont disparu. C'est pour cela, selon moi, que beaucoup de jeunes sont perdus et organisent de nouveaux rites de passage, face à des parents de plus en plus absents ou manquants.

De plus, il faut reconnaître que, dans ce contexte, l'avènement d'instruments juridiques nouveaux, comme la Convention Internationale pour les Droits de l'Enfant, troublent l'image. Même si la CIDE n'est prise en compte que partiellement mais néanmoins dans une large mesure par le droit français, je ne trouve pas choquant, mais plutôt lucide, lorsque plus de 30 % des enfants sont issus de familles monoparentales et que le taux de chômage y est supérieur à 45 %, d'envisager que certains parents et adultes considèrent que les droits des enfants les libèrent de certaines de leurs obligations.

C'est peut-être pour cela que je ne vais pas toujours aller dans le sens des éducateurs... Le mineur délinquant est alors considéré comme ayant de plus en plus de droits, mais aussi de plus en plus de responsabilités, face à la société et face au juge. Dans la relation triangulaire "enfants-famille-État", le mineur délinquant risque d'être une victime des avancées de ses droits et d'être mis très rapidement en face de la contradiction "protection-responsabilité", contenue dans la CIDE.

Face à cela, beaucoup exigent une réponse ferme et que le rappel des contraintes soit fort. Cette aspiration n'est pas sans ambiguïté, puisqu'elle consacre une demande de transfert de la responsabilité de l'entourage éducatif -parents, enseignants, éducateurs- vers le droit et le juge, exprimant ainsi une grande inquiétude de la part de l'ensemble de la société.

Il était envisageable de traiter une délinquance liée à des troubles graves, pathologiques. Il était facile d'accepter une délinquance classique et initiatique liée à l'adolescence. Il est plus délicat de traiter une délinquance que l'on a qualifiée "d'exclusion", finalement plus effrayante, que de faire face à des jeunes qui n'ont plus aucun repère et qui mettent à mal tous les nôtres !

Le projet de loi qui nous est présenté peut-il répondre aux questions que les éducateurs se posent, au Havre comme ailleurs ? L'exposé des motifs cerne bien la situation. Pourtant, pour une grande part, le projet peut sembler inutile au regard des buts poursuivis et peut avoir également des conséquences néfastes...

S'il existe une partie intéressante dans ce projet, c'est bien pour moi la césure pénale. Au regard de la convocation par OPJ, elle constitue un progrès. Cependant, étant aussi un ancien pédagogue, il me semble regrettable que le parquet n'y soit pas associé. En effet, il faut que les jeunes comprennent que la fonction du juge n'est pas la même que celle du procureur. À vouloir tout confondre, on est en train de passer à côté de quelque chose de symbolique, et donc d'important au vu des repères dont manquent ces jeunes...

Par ailleurs, pour moi, l'impunité est mythifiée. Comment ne pas noter que le chiffre des mineurs incarcérés est en augmentation depuis trois ans ? 2.744 en 1993, contre 3.199 en 1995... Pourquoi ne pas dire que depuis le début de l'année, dans certaines cours d'appel, il y a eu pratiquement autant de mineurs incarcérés que pour toute l'année 1995 ? Pourquoi ne pas dire non plus que les circulaires de 1991 et de 1994 concernant les mineurs détenus sont très rarement appliquées ? Les prisons deviennent des États de non-droit, et ce n'est pas concevable ! L'incarcération existe, mais dans des conditions qui la rendent inacceptable !

Au Havre, les mineurs incarcérés sont parfois davantage punis que les majeurs incarcérés, puisque ces derniers peuvent voir leur famille, l'incarcération se faisant au Havre, alors que l'incarcération des mineurs se faisant à Rouen, les jeunes Havrais ne voient que très rarement leur famille ! Pourtant, la volonté de créer des quartiers de mineurs est intéressante...

Que dire encore de la durée des détentions provisoires, qui s'allonge ? Pourquoi ne pas signaler que l'application conjuguée des articles 9 et 11 de l'ordonnance de 1945, d'une part, et des articles 179 et 181 du code de procédure pénale, d'autre part, permettent de rallonger la détention provisoire d'un mineur dont le dossier est renvoyé par un juge d'instruction devant le tribunal pour enfants ? Le mineur peut ainsi rester incarcéré deux mois supplémentaires !

Ces pratiques s'étendent et le mineur se trouve de plus en plus confronté à des détentions longues. Il serait d'ailleurs intéressant que l'on rende inapplicables aux mineurs en détention provisoire les articles 179 et 181 du code de procédure pénale.

Le mythe est pourtant parfois encouragé par d'autres pratiques. Je ne pense pas que l'impunité doive être la règle. Il faut savoir que plus de 54 % des dossiers concernant des mineurs sont classés sans suite, alors que nous sommes nombreux à être persuadés que les actes commis sont révélateurs d'un malaise et, souvent, d'une nécessité de prise en charge. De même, il nous faut nous battre sur le terrain -au Havre comme ailleurs- pour persuader les enseignants de porter plainte en cas de délit à l'intérieur des collèges, et pour les convaincre que la loi et son application sont le signe des valeurs républicaines et démocratiques que l'enseignement est chargé de transmettre ! Cela évolue très rapidement, mais il a fallu se battre...

On peut aussi dire que dans certains quartiers, le refus de la prise de plainte dans certains commissariats complètement débordés existe aussi. C'est d'autant plus dramatique que, dans ces quartiers, c'est un véritable acte de courage que de porter plainte !

Il faut dire aussi -bien que ce soit rare- qu'il existe encore des endroits où la dynamique de 1958 a fait oublier le pénal. Parfois, les juges des enfants ont du mal à prendre en compte l'ordonnance de 1945...

Cependant, la rédaction actuelle de l'ordonnance du 2 février 1945 contient pour moi des éléments de réponse au problème. À son arrivée à la Chancellerie, M. Toubon avait déclaré qu'il fallait utiliser toute la palette des textes existant avant d'envisager une quelconque modification législative. Je suis persuadé qu'il avait raison ! Pourquoi n'utilise-t-on pas plus souvent les déferrements au parquet ? Cette présentation marque une rupture de la dérive délinquante. C'est un acte symbolique et un rappel de la loi ! C'est actuellement possible dans l'ordonnance de 1945... Pourquoi ne l'utilise-t-on plus que lorsque cela se traduit par une détention provisoire ?

Or, la répression semble s'accroître. On sait pourtant que la prison n'est pas curative et qu'elle n'empêche pas la récidive.

À l'inverse, la non-application de la présentation au parquet ou la non-application rapide de la présentation par OPJ donne au mineur, qui peut être conduit à la récidive, le sentiment de l'impunité.

Tout cela pourrait être évité par l'application des articles 5 et 12 de l'ordonnance de 1945. Si ce n'est pas le cas, c'est par lassitude et par manque de moyens. Il est vrai que cela nécessite une mise en place au niveau des parquets, des juges des enfants et des SEAT, ainsi qu'un investissement extraordinaire, d'autant que les placements imposés fonctionnent de moins en moins... Toutefois, quand les juges sont là depuis un certain temps, les délais sont bons ! Là encore, je pense que l'ordonnance de 1945 contient en elle-même des possibilités de régler le problème de l'impunité.

Par ailleurs, pour moi, éducateur, la loi doit être un outil pédagogique avant d'être un outil répressif. La loi est un moyen de normalisation sociale : elle aide à la construction de l'individu. Beaucoup de philosophes l'ont écrit, des psychologues et des psychanalystes l'ont répété depuis longtemps, et l'ordonnance du 2 février 1945 le permet. Le Doyen Carbonnier a écrit en 1979, dans son « Essai sur les lois » : "La loi a vocation à s'adresser aux usagers plutôt qu'aux techniciens de justice". En fait, il semble que les réformes proposées s'adressent plus aux techniciens de justice -juges et procureurs- qu'aux mineurs.

Les promoteurs de l'ordonnance de 1945 n'avaient pas pensé un seul moment que l'ordonnance pouvait résorber le phénomène de la délinquance juvénile. Il s'agissait d'individualiser la réponse éducative aux mineurs délinquants. Or, si on accroit le rôle du parquet, on va transformer la loi en en faisant un outil de politique pénale. Je ne suis pas contre la politique pénale, mais il faut bien dire qu'on prend le chemin d'un retournement de l'ordonnance de 1945 !

Cela a aussi ses nécessités, cependant on risque de connaître un accroissement de l'incarcération des mineurs, dont le nombre est déjà en augmentation. Si on rapproche le délai de jugement, de plus en plus de mineurs n'auront pas le temps de prouver qu'ils ont été capables d'évoluer. À plus forte raison s'ils sont détenus, on les mettra dans les plus mauvaises conditions lorsqu'ils passeront devant le tribunal.

Je crois donc qu'il faut supprimer l'application des prolongements possibles de la détention des mineurs lorsque le dossier est transmis par un juge d'instruction. Je trouve affligeant qu'un mineur ne sache pas quel droit lui est donné. Est-ce le droit des majeurs ? Si son dossier est chez un juge des enfants, cela représente un mois plus un mois, ou quatre mois plus quatre mois ; si son dossier est chez un juge d'instruction, c'est le droit des majeurs, avec un risque de rester deux mois de plus. C'est un cri du coeur....

M. le président - Je vous remercie. La parole est à Mme Marie-Claude Dauphant, éducatrice à Grenoble...

Mme Marie-Claude Dauphant , éducatrice à Grenoble.- Depuis ce matin, j'ai assisté à un large tour d'horizon, complet, et d'une grande tenue.

Je voudrais tout d'abord lever un quiproquo... Monsieur le Présidait, vous avez précisé que la commission allait entendre des éducateurs de rue. Or, je suis entrée à l'éducation surveillée pour être précisément éducatrice de rue, mais ce n'est pas ce que nous faisons. J'espère que ma présentation vous permettra de le comprendre...

J'exerce mes fonctions au Centre d'Action Éducative de Grenoble, et j'interviens concomitamment dans le registre de l'assistance éducative et dans le registre pénal. Dans ce cadre, j'exerce plus particulièrement ce que j'appellerai des "mesures d'aide contrainte", dont je trouve qu'elles ont leur intérêt.

Je n'évoquerai pas les mérites de cet acte fondateur essentiel qu'est l'ordonnance de 1945, n'étant pas technicienne du droit. Si nombreux sont ceux qui, ces temps-ci, ont vanté ses mérites, qu'on pourrait presque oublier que ses visées humanistes étaient souvent contredites par son application concrète dans certains lieux d'accueil !

En tout cas, en 1969, lorsque je suis entrée à l'éducation surveillée, il y avait encore beaucoup à faire pour que ce pari de l'éducabilité prenne corps, L'éducation surveillée ne s'était pas encore totalement dépouillée de son vêtement carcéral. L'uniforme et le rasage de cheveux avaient encore cours dans certains lieux d'hébergement.

Je me souviens de cet élan qui nous portait à imaginer d'autres prises en charge, que nous espérions plus efficaces et plus respectueuses de l'être humain, dans de petites structures de quinze à vingt jeunes. Rappelons qu'à l'époque, la majorité était à 21 ans et que, souvent, c'étaient de jeunes gaillards !

Nous tournions alors le dos aux maisons de redressement. 1968 nous avait apporté une autre idée de l'éducation, imprégnée il est vrai du slogan : "il est interdit d'interdire". Depuis, nos institutions sont traversées par d'autres pratiques. D'un excès à l'autre, nous avons, me semble-t-il, trouvé l'équilibre qui nous permet tout à la fois d'aller à la rencontre de l'adolescent, même s'il ne l'a pas souhaité de prime abord, d'entendre sa souffrance et de l'aider à se responsabiliser.

Mais il s'agit d'un équilibre difficile à tenir, précaire. C'est sans doute pour cette raison qu'une grande attention est portée à tout remaniement de l'ordonnance de 1945, et que, chaque fois, surgit la crainte qu'elle puisse nous entraîner vers une politique sécuritaire.

Pourtant, dès 1951, ce texte recevait un premier toilettage. Bien d'autres tentatives -même si elles n'ont pas toutes abouti- ont suivi. C'est pourquoi, a priori, je ne trouve pas choquant que l'ouvrage soit remis une fois de plus sur le métier.

Il n'empêche que cette hâte, cette urgence pour ainsi dire, ont surpris. En effet, en 1995, Monsieur le Garde des Sceaux, vous vous engagiez à travailler -selon vos propres termes- "à textes constants". De surcroît, ce projet est déposé devant le Parlement sans que soient attendus les résultats de la mission confiée à M. le sénateur Rufin.

J'ajouterai que les statistiques mises en avant par le rapport des commissaires de police, et très largement reprises, semblent contredites par les travaux du centre de recherche sociologique sur le droit des institutions pénales, qui évoquent une stabilité de la délinquance des mineurs.

En revanche, on peut s'inquiéter de la nature de ces délits, de la violence qui les accompagne et de l'âge précoce de leurs auteurs. De plus, nous ne faisons peut-être pas suffisamment de distinctions entre les mineurs et les jeunes, classe d'âge qui tend à s'étendre : où s'arrête la post-adolescence ?

Nous ne différencions pas suffisamment non plus les comportements qui peuvent être incriminés des incivilités, que Sébastien Rocher, chercheur au CNRS, définit comme "une gamme de désordres généralement considérés comme mineurs, d'autant qu'ils ne font pas souvent de victimes nominatives. Nous avons tous à l'esprit les plaintes des habitants des grands quartiers -nuisances sonores, dégradations diverses, insultes, etc. Rien ne se passe", ajoute M. Rocher, "... ou si peu. C'est plutôt un climat qui règne, un marquage de territoire".

Quant à l'impunité dont bénéficieraient ces mineurs, j'ai toutes raisons de douter, d'après ma propre pratique, qu'elle soit si répandue. Le taux de détention s'accroît, la durée de la détention s'allonge, et les sanctions pénales augmentent au regard des mesures éducatives. Je connais des jeunes pour qui la fonction pénale se double de surcroît d'une autre sanction... Je vous parlerai de cette jeune fille qui, condamnée parce qu'elle avait porté un coup de couteau à l'une de ses camarades lors d'une bagarre, ne trouve pas actuellement de place à l'école, alors qu'elle est à peine âgée de quinze ans et qui lui reste un an et demi à faire, bien que cet événement se soit passé en dehors du circuit scolaire et que les investigations psychologiques et psychiatriques soient plutôt bonnes. D'ailleurs, elle n'a été condamnée qu'à une liberté surveillée...

La défense des mineurs, bien qu'elle ait évolué depuis 1993, me semble devoir progresser encore. D'ailleurs, je suis étonnée du nombre de jeunes qui ne connaissent pas la place que peut prendre l'avocat. Nous nous appliquons à leur expliquer. Je pense par ailleurs qu'il est nécessaire qu'il y ait un tiers entre le juge des enfants et le jeune. Cette place me semble avant tout être celle de la défense.

Je ne reviendrai pas sur ce que mon collègue a dit à propos d'institution scolaire. Je me réjouirai plutôt de la convention qui va avoir lieu entre le parquet, la protection judiciaire de la jeunesse et l'éducation nationale.

Pour en terminer, je dirai que, malheureusement, la perte de l'esprit civique me semble bien répandue -et dans tous les milieux. Elle n'appartient pas qu'aux jeunes ! Quels modèles sommes-nous pour nos jeunes ?

Ces précautions étant prises, venons-en aux objectifs assignés à la réforme... Lors de sa présentation à l'Assemblée nationale, le Garde des Sceaux expliquait qu'il s'agissait de parvenir à une meilleure rapidité et efficacité de la réponse judiciaire à la délinquance des mineurs. Raccourcir le délai entre le délit et la comparution devant l'autorité judiciaire me semble un souci ancien et constant de nombre d'éducateurs de la PJJ.

Nous savons bien que lorsqu'il s'écoule un temps trop long entre le délit et la comparution devant l'autorité judiciaire, voire entre le délit et son jugement, le jeune ne comprend pas, ou comprend mal ce qui se passe. Si, en 1946, comme l'a noté M. Chazal, il fallait, dans la Seine, compter six semaines pour qu'un jeune soit jugé en audience de cabinet, et deux mois en tribunal des enfants, j'ai vu -il est vrai il y a longtemps : depuis, les choses se sont bien améliorées sur Grenoble- ce délai culminer à trois ans !

Pour autant, je ne peux manquer de signaler qu'un des premiers remèdes à mettre en oeuvre contre ces lenteurs serait de donner davantage de moyens. Je connais trop bien les cabinets des juges des enfants, surchargés...

Un effort serait également à faire pour les personnels de secrétariat, les greffes : ce sont eux qui assurent la transition des informations. Il n'est pas rare en effet qu'entre le moment où l'ordonnance est prise et celui où elle arrive dans nos institutions, un mois à un mois et demi se soit écoulé. De surcroît, ce n'est pas sans remords ni sentiment de culpabilité que nous sommes parfois amenés à les mettre en attente.

Cela dit, le projet de réforme contient, de mon point de vue, des aspects positifs. Il en est ainsi de la césure du procès pénal. Reconnaître la culpabilité rapidement ne va pas à l'encontre d'un travail éducatif, bien au contraire sans doute ! Ce premier rappel à la loi ouvre la possibilité d'un travail éducatif.

Mais, comme il l'a été rappelé ce matin, l'extension de la césure au niveau du tribunal pour enfants rendrait possible un travail préparatoire au jugement. Je me permettrai de suggérer dans ce cadre un large emploi de la liberté surveillée préjudicielle. C'est une mesure qui a ma faveur, d'une part parce qu'elle permet un double emploi, celui de donner des informations au juge des enfants, mais aussi celui d'aller jusqu'au moment du jugement, c'est-à-dire accompagner ce jeune, l'aider à réfléchir, l'amener à se responsabiliser, éventuellement l'aider à envisager une réparation...

Je donnerai deux exemples où, malheureusement, cette liberté surveillée préjudicielle n'est pas intervenue.

Le premier exemple concerne un jeune, qui, violeur de sa petite soeur, a été l'objet d'investigations, qui sont terminées depuis bien longtemps. Il n'est toujours pas jugé. Il le sera, je pense, en septembre. Le délai sera d'un an environ, ce qui, en soi, n'est pas énorme, mais il se trouve que cela place la famille dans une fragilité extraordinaire, et qu'on va sans doute arriver à une scission complète de celle-ci.

Qui plus est, ce garçon a été décrit par les experts comme un pervers, et il y a lieu de craindre qu'il mette encore sa petite soeur en danger, puisqu'il rentre chez lui tous les week-ends, étant en internat scolaire. Je pense qu'une mesure de liberté surveillée aurait permis d'aider ce jeune, de sécuriser cette petite fille, et d'aider les parents à vivre cette grande difficulté -la mère dit qu'elle a engendré une monstre...

Le deuxième exemple est celui de cette jeune fille dont je parlais tout à l'heure, qui a le sentiment d'avoir gâché sa vie. Je pense que nous allons pouvoir rattraper les choses, mais il me semble que s'il y avait eu une liberté surveillée préjudicielle, il n'y aurait jamais eu rupture de la scolarité, et tout eût été plus facile, sans compter que cette jeune fille -enfermée chez elle par ses parents, qui, eux aussi, ont appliqué à leur manière une sanction- était très proche de la tentative de suicide...

De même, l'amendement adopté par l'Assemblée nationale, qui permet d'informer les parents de l'évolution de la procédure, me semble aller dans le sens d'une responsabilisation souhaitable. Que penser en effet de ces mineurs mis en examen ou sanctionnés pour avoir conduit sans permis la voiture d'un de leurs parents en présence de celui-ci ? Que penser de ces parents qui ne voient pas que leur fils revient avec une nouvelle paire de baskets coûteuse, ou qui ne s'émeuvent pas du matériel entreposé dans leur cave ?

Pourtant, là encore, il convient d'être prudent. Certaines familles, qui touchent le RMI, peuvent difficilement se présenter à chaque audience du TGI lorsque celui-ci n'est pas proche de leur domicile. De surcroît, on ne naît pas parent, on le devient, on apprend à le devenir, et ces parents-là méritent aussi une aide. On ne peut pas seulement les renvoyer à leurs responsabilités.

En ce qui concerne la convocation par officier de police judiciaire, bien qu'elle soit déjà en place, je ne peux pour l'instant formuler un point de vue critique en partant de ma pratique. Il me semble cependant que sa mise en oeuvre permettrait que ne soient pas classés sans suite une multitude de dossiers ! En effet, bien que la plus grande partie des mineurs -plus de 70 % je crois- ne commettent pas de deuxième délit, un certain nombre d'entre eux ne seraient pas venus réinterroger la justice par le mode de l'infraction s'ils avaient pu avoir une réponse rapide !

Je voudrais terminer en évoquant ma pratique, qui n'est pas celle d'une grande ville. J'interviens dans un secteur rural. Or, la carte du RMI se juxtapose parfaitement à la carte de nos interventions.

Certes, la justice ne peut pas remédier à tous les maux de la société, mais c'est pourquoi, pour moi, la première des urgences est de d'abord s'occuper de nos jeunes, de leur insertion dans le monde professionnel, dans le monde tout coule, afin qu'ils puissent -alors que la majorité est fixée à 18 ans- prendre leurs responsabilités, avoir un logement, un travail...

M. le Président - Je vous remercie. La parole est à M. Max Longeron, directeur régional de la PJJ de la région Ile-de-France...

M. Max LONGERON - En tant que directeur régional d'Ile-de-France, je ne ferai pas une analyse du projet de texte modificatif de l'ordonnance du 2 février 1945, mais je dirai comment, à partir de ce projet, en faisant des projections sur le fonctionnement des services et les équipements, on peut prévoir un certain nombre de propositions nécessaires.

Pourquoi y a-t-il aujourd'hui un projet de modification de l'ordonnance de 1945 ? L'élément central semble être le fait que les juges ne décident plus au titre de 1945, en tout cas pas en ce qui concerne l'action éducative.

Le second élément est le sentiment d'impunité. Les élus locaux affirment que seuls quelques jeunes créent l'ensemble des perturbations, et qu'il suffirait de résoudre cette situation pour régler l'ensemble des problèmes...

Parallèlement, le rapport d'un syndicat de commissaires de police va tout à fait dans le même sens, et accuse la justice et les éducateurs de ne plus traiter la délinquance des mineurs. D'où la nécessité d'intervenir, et le ministre de la justice, comme c'est son rôle, fait une proposition pour résoudre cette crise de société, qui fait que, depuis une vingtaine d'années -et j'utiliserai l'image d'un balancier- l'ensemble du traitement des mineurs se fait au civil.

Aujourd'hui, ce qui caractérise en grande partie ces mineurs en déshérence et ces délinquants réitérants, c'est le fait de n'avoir pas rencontré un adulte responsable. Or, les premiers responsables sont les parents. Je ne reviendrai pas sur la responsabilité primordiale de la famille dans ce domaine...

En second lieu, des institutions ont été mises progressivement en place pour aider les parents à prendre ces responsabilités. Il existe deux "circuits" : le circuit civil -la prévention- et le circuit pénal, où intervient depuis quelques années une transformation de la manière d'aborder les problèmes.

Depuis la décentralisation en 1986, les conseils généraux, les collectivités, ont en charge tout ce qui relève de la prévention spécialisée. Or, nous nous sommes rendu compte -et le préfet de la région Ile-de-France m'a chargé d'une mission sur ce thème- que sur l'ensemble des contrats de ville de l'Ile-de-France, très peu de lignes concernent la prévention spécialisée.

Concernant le circuit pénal, on a tendance à penser que celui-ci commence au tribunal. Or, le premier maillon de la chaîne pénale, c'est la police. En Ile-de-France, jusqu'à ces dernières années, il existait une institution policière spécialisée dans l'approche des mineurs délinquants. Il s'agissait des brigades départementales de police, rattachées aux directeurs départementaux de la sécurité publique.

Ces brigades ont totalement disparu en Ile-de-France, qui, sur une population totale de 13 millions d'habitants, compte pourtant près de 4 millions de jeunes de 0 à 19 ans. Or, la police a transformé les brigades des mineurs pour s'occuper des mineurs en danger et, depuis la loi de 1989, des enfants maltraités, et i1 n'y a plus d'organisation, avec des personnels volontaires, qualifiés, permanents, pour le traitement de la délinquance des mineurs. En fait, toute une population de mineurs délinquants échappe ainsi à la justice !

On ne peut bien évidemment que souhaiter que cette impunité cesse et que la responsabilité des mineurs soit véritablement prise en compte. De ce point de vue, le projet de modification de l'ordonnance de 1945 peut tenter de répondre à cette attente de la société...

La PJJ d'Ile-de-France, depuis 1945, a toujours trouvé des réponses adaptées à la société. C'est son rôle, mais les besoins sont aujourd'hui énormes. Rien que pour l'Ile-de-France, 75.000 jeunes par an environ sont suivis par l'ensemble des services de la PJJ, secteurs public et associatif habilité compris.

Ce n'est donc pas la PJJ qui va pouvoir répondre à l'ensemble des difficultés résultant de la délinquance ou du mal-être profond des adolescents. Que doit donc faire la PJJ, dont l'un des fondements premiers est l'intervention, et dont l'une des légitimités est l'ordonnance de 1945 ? ... Nous constatons aujourd'hui qu'aucune institution, à elle seule, ne peut trouver de réponse. Cette première constatation doit devenir un postulat.

Ces jeunes étant dans des situations fort complexes, il n'existe pas de solution simple. Prétendre le contraire, c'est avoir une vue très courte de la manière dont il faut répondre. Une des solutions enclenchées aujourd'hui est la mise en commun des solutions des uns et des autres, tout en sauvegardant la personnalité de chaque réponse, sous forme de classes-relais, montage entre les services de la PJJ et le ministère de l'éducation nationale.

Les classes-relais ont été inventées par l'éducation surveillée il y a plus de dix ans. Aujourd'hui, cette idée est reprise pour en faire une solution véritablement reconnue et appuyée par l'éducation nationale, qui dispose de moyens très importants.

Des conventions ont également été prises dans le secteur de la santé et dans les milieux psychiatriques. On sait en effet que beaucoup de ces adolescents réitérants ont à la fois des troubles du comportement, parfois de la personnalité.

Une des réponses est la délinquance, mais ils ont aussi d'autres types de réponses, qui doivent être prises en compte en même temps, voire alternativement, ce qui correspond totalement à l'esprit de l'ordonnance de 1945.

J'en viens maintenant plus directement aux incidences des articles 8-1, 8-2 et 8-3 que le projet de loi prévoit d'insérer dans l'ordonnance. C'est déjà le cas en Ile-de-France avec le traitement direct, mais il va être demandé de plus en plus d'interventions aux services éducatifs auprès des tribunaux. On a vu qu'ils devraient intervenir à des moments différents de la procédure. On peut donc imaginer que les interventions demandées au SEAT vont être multipliées par un nombre que l'on imagine mal...

Ce n'est pas qu'un problème de moyens. Le directeur régional de la PJJ ne peut que se tourner vers son administration pour demander des moyens. Cela peut toucher aussi au fondement même de l'intervention des éducateurs : à partir du moment où ils ne pourraient plus réfléchir pédagogiquement à la situation du mineur, ils seraient instrumentalisés et deviendraient de simples chercheurs de placements. On peut alors craindre qu'il n'y ait très rapidement plus besoin d'être éducateur pour pouvoir faire ce travail.

En second lieu, il faudra bien évidemment que les mesures de liberté surveillée préjudicielle -ou autres- puissent être prises en charge par d'autres éducateurs que ceux du tribunal. C'est déjà le cas aujourd'hui, d'une manière relativement minime. Cela peut le devenir de manière prioritaire, auquel cas les services de l'action éducative répartis dans les départements devront prendre ces mesures en charge. Serait-ce au détriment des mesures prises au titre de l'assistance éducative ? Il faut y réfléchir... Est-ce que cela risque d'occasionner un transfert de charges sur les conseils généraux ? C'est une question qu'il faut se poser dès aujourd'hui...

Il me semble qu'il existe des éléments très positifs dans ce projet de loi : importance de la responsabilisation des parents par rapport aux mineurs qui commettent des délits, place de la défense -et, dans ce domaine, il y a encore énormément de progrès à faire- et place de la victime qui, il faut bien le dire, est récente dans la justice des mineurs et surtout dans l'intervention éducative.

Depuis la rentrée de septembre-octobre 1995, on assiste, dans plus de la moitié des départements d'Ile-de-France, à une remontée spectaculaire des mesures ordonnées par les juges des enfants au titre de l'ordonnance du 2 février 1945, comme s'il y avait anticipation sur le projet de loi de la part des juges. Je ne sais s'il y a corrélation, mais on constate dans le même temps une montée importante de l'incarcération des mineurs : en effet, il n'y a jamais eu autant de mineurs incarcérés en Ile-de-France que ces jours-ci...

Par ailleurs, le nombre des mineurs incarcérés dans le cadre d'une procédure criminelle est de l'ordre d'une centaine, à un jour donné dans les quatre maisons d'arrêt d'Ile-de-France. N'y a-t-il pas en fait aujourd'hui une "criminalisation" de certaines procédures, pour permettre l'incarcération des mineurs de moins de seize ans, alors qu'il y aura à nouveau correctionnalisation devant le tribunal ? Il convient d'y être attentif, car si c'était le cas, cela pourrait avoir des conséquences éducatives dramatiques...

D'autre part, pour près des deux-tiers des mineurs de moins de seize ans, l'entrée dans la délinquance se fait directement par le crime, alors qu'ils étaient jusque là inconnus de tous les services sociaux, de police ou de justice. C'est un phénomène sur lequel il faudra continuer de se penche .... Dans ce domaine, la PJJ travaille en collaboration étroite avec les services pénitentiaires. Or, en Ile-de-France, seule une des quatre maisons d'arrêt -celle de Fleury-Mérogis- possède un véritable quartier pour les mineurs. Dans les trois autres, les mineurs sont incarcérés dans des conditions qui ne sont parfois même pas conformes à la loi et qui n'apportent malheureusement pas garanties éducatives minimum.

Je veux terminer en disant que l'incarcération n'est jamais un aboutissement, mais un passage, et il faut toujours penser, lorsqu'un mineur incarcéré, non au moment où il entre en prison, mais au moment où sortir !

M. le Président - Merci. La parole est au rapporteur...

M. le rapporteur - Je voudrais rassurer Mme Dauphant. Effectivement, j'ai été chargé par le Gouvernement d'une mission, qui a un double objectif, dans une première partie : tout d'abord, faire la mise a plat toute la législation qui couvre la protection judiciaire de la jeunesse ; en second lieu, "mener des analyses et des réflexions qui, grâce a l'implication des personnels de la PJJ, doit permettre de trouver les moyens de répondre au défi que représentent les difficultés croissantes rencontrées par une importante partie de la jeunesse, à un moment où celle-ci doit prioritairement être associée à la restauration du pacte républicain". Ce sont les extraits intégraux de la lettre de M. le Premier ministre...

Cette mission n'a toutefois rien à voir avec le rapport dont m'a chargé la commission des Lois concernant le projet de loi relatif à 1'ordonnance du 2 février 1945 sur la délinquance juvénile.

Il y a donc coordination parfaite, puisqu'il s'agit d'une complémentarité de la mission qui m'est confiée par le Gouvernement et du rapport dont le président de la commission des Lois et ses membres ont bien voulu me charger, concernant la délinquance juvénile et 1 application de l'ordonnance de 1945.

Par ailleurs, M. Longeron s'inquiète de la remontée spectaculaire des condamnations des jeunes délinquants, du nombre et de l'âge des mineurs, et du fait que ceux-ci tombent rapidement dans le crime. N'y a-t-il pas opposition entre la première partie de vos réflexions et la seconde, à propos de la montée de la délinquance, et notamment des crimes perpétrés par les jeunes délinquants ?

À travers les statistiques que j'ai pu réunir, votre réponse me permettrait une étude spéciale, et j'aurais voulu que vous me confirmiez plus précisément votre pensée sur ces deux points...

M. Max LONGERON - Les mineurs n'arrivent pas plus vite au crime. Un peu moins des deux-tiers, sur la centaine de mineurs incarcérés sur procédure criminelle en Ile-de-France, le sont pour un premier délit. Or, lorsqu'on veut s'attaquer à l'impunité des mineurs réitérants, on ne touche pas à cette catégorie...

Concernant le premier volet de votre question, les chiffres montrent effectivement une progression très importante de l'incarcération des mineurs en Ile-de-France : pour certains tribunaux, elle est de l'ordre de 300 % en deux ans...

M. le Président - Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention...

(La séance est levée à 18 heures 30).

ANNEXES

DOCUMENTATION REMISE PAR MADAME MARIE-DANIELLE PIERRELÉE, PRINCIPAL DU COLLÈGE GARCIA LORCA À SAINT-DENIS

Quels élèves avons-nous au collège ?

Le Collège Garcia Lorca et les collèges "ordinaires"

L'ensemble des catégories correspond à Garcia Lorca et les parties grisées sont celles que l'on rencontre dans la majorité des collèges.

La présence, sur les marges, d'élèves très atypiques, n'entraîne pas seulement une difficulté à gérer ces élèves particulièrement problématiques. Elle modifie tout l'équilibre et les comportements de l'ensemble des élèves. Les interactions entre les différentes catégories sont essentielles à comprendre pour définir une stratégie et réagir.

Le respect

Le respect est un thème central dans les discours des jeunes mais il recouvre de concepts très différents et la polysémie même du mot ne nous aide pas à clarifier notion auprès des jeunes.

Quoi de commun entre les différents sens du mot dans les expressions suivantes ?

- Tenir en respect

- Se faire respecter

- Être respecté

- Respecter

- Avoir le respect (expression très employée par les parents)

- Inspirer du respect

- Avoir droit au respect....

Les professeurs estiment qu'ils ont droit au respect. Ils l'estiment d'une façon générale, en toutes circonstances, même si... Ils laissent donc croire qu'il n'y a pas de relation entre le fait d'être respecté et le fait d'être respectable, que c'est leur position qui leur confère ce droit. Demandent-ils le respect ? ou la soumission ?

Pour beaucoup d'élèves, être respecté, c'est pouvoir obtenir la soumission des autres.

Les élèves du groupe A tiennent tout le monde en respect . Gare à celui qui ne donnerait pas des gages ostensibles de soumission.

Les élèves du groupe B exigent d'être respectés parce qu'ils ne le sont pas "naturellement" comme ceux du groupe A. Ils sont donc particulièrement sensibles tout comportement d un autre élève qui pourrait laisser croire qu'il cherche à rivaliser avec eux. Ils passent beaucoup de temps à exiger des excuses Si les autres n'obtempèrent pas, ils risquent des coups sévères. Les élèves du groupe B ne veulent pas être mis à 1'amende par qui que ce soit mais ils l'affirment justement parce que cela ne <illisible< pas de soi comme c'est le cas pour les élèves du groupe A.

Les élèves du groupe C sont généralement respectés par le plus grand nombre. Ils peuvent aussi être soumis à des pressions des groupes A et B mais ils sont peu sensibles à 1'insulte parce qu'ils ont généralement assez confiance en eux.

Les élèves du groupe D sont souvent menacés, insultés, humiliés par les autres. Ils en souffrent mais n'ont pas de stratégie pour y échapper. Ils se plaignent dans des espaces où la parole leur est donnée mais ils font comme si les menaces étaient inéluctables, émanaient d'un lieu inaccessible. Par contre, ils se rebellent vigoureusement s'ils sont insultés par des élèves qui appartiennent à la même catégorie qu'eux ou par des élèves du groupe E. Ils ne protestent que s'ils n'ont pas peur.

Les élèves du groupe E attirent sur eux toutes les humiliations : celles des élèves de tous les groupes, celles des professeurs, celles de leurs compagnons d'infortune de la catégorie E. Tout est bon pour s'acharner sur quelqu'un qui serait ainsi moins respectable que soi... Quand ils essaient de se défendre, ils sont généralement perdants. Comme ils sont souvent poussés à bout, ils commettent des actes incompréhensibles et désespérés.

Catégorie A : Les rebelles

qui tiennent en respect le plus grand nombre,

qui sont assurés de l'impunité

et qui peuvent mettre n'importe qui à l'amende

Une minorité d'élèves actifs, intelligents et vifs, en position de pouvoir, qui se sentent assez invulnérables. Sur la cité, ils bénéficient de la protection non-dite des grands frères; au collège, ils prolongent cette position de façon larvée et cherchent à occuper toutes les positions de pouvoir, y compris institutionnelles. Ils monopolisent par exemple un grand nombre de sièges de délégués de classe. Ils connaissent leurs "droits" et les revendiquent haut et fort.

Ce sont eux qui pratiquent le plus souvent le racket. Ils seront aussi les premiers petits dealers de haschich. Ils sont dans de petits trafics et ont un bon sens du "business".

Ils connaissent très bien les institutions et s'en servent à leur profit exclusif. Ils "cassent les jambes" de ceux qui voudraient rivaliser avec eux s'ils ne sont pas légitimes (parce qu'ils ne sont pas dans l'orbite des mêmes groupes sur la cité). Les victimes ne se plaignent jamais et vont jusqu'à les disculper "spontanément" quand on ne leur demande rien... Personne n'ose s'attaquer à eux. Ce sont ceux-là qui se font porter leurs sacs par les autres.

Souvent les professeurs admettent qu'ils ne leur disent plus rien, parce que cela conduit immédiatement au conflit et que tout enseignement devient alors impossible; ou alors, les enseignants craignent les représailles. Ce sont des jeunes qui vivent clairement dans la délinquance. Ils peuvent se présenter eux mêmes comme "la racaille".

Effectif : au total, pas plus de 10 élèves dans l'établissement, surtout des garçons.

Objectif : Tenir le terrain et affirmer sa suprématie

Terrain de valorisation : la capacité à n'obéir à personne; la violence physique, les bonnes notes à l'école - acquises par tous les moyens -, le fait d'être délégué.

Points d'appui : une grande facilité à parler, à embrouiller, la force physique, le système d'alliance sur la cité. Leurs mères qui les protègent contre la violence du père et les excusent souvent de toutes leurs transgressions.

Fragilité : l'élève dans cette position craindra surtout un rival, aussi légitime que lui, appartenant éventuellement à une bande adverse.

Reconnaissent l'autorité de quelques grands; des parents quelquefois, surtout dans le cas des pères violents.

Ont autorité sur : tous les autres élèves, sauf ceux de la même catégorie plus âgés.

Catégorie B : Les candidats à l'impunité,

qui cherchent à se faire respecter

qui ne se font pas mettre à l'amende

Il s'agit d'une minorité d'élèves qui prennent les premiers pour modèles. Ils n'ont pas la même légitimité et doivent donc donner des gages aux précédents. En même temps, ils sont moins sûrs d'eux et craignent davantage la répression de l'institution. Les enseignants s'en prennent plus facilement à eux qu'aux rebelles en cas de transgression. Ils sont donc davantage punis que les premiers, et ils savent crier à l'injustice.

Pour faire leurs preuves, ils s'attaquent à des cibles qui leur paraissent plus accessibles : les élèves paumés (Catégorie E), les filles, les professeurs les plus fragiles. Ils sont un peu plus facilement dénoncés par les victimes.

Se faire élire délégué est une des premières manoeuvres possibles quand on n'a pas de rival plus fort dans la classe...

Effectif : Peut-être 20 à 25 élèves sur l'établissement, encore surtout des garçons
mais davantage de filles que dans la catégorie A.

Objectif : Se faire reconnaître comme un vrai chef et accéder à l'impunité.

Terrain de valorisation : La violence, les insultes, les menaces sur les groupes faibles (D et E).

Points d'appui : une protection toujours à négocier des membres du groupe A ; la capacité à parler, à embrouiller...

Fragilité : une certaine sensibilité aux menaces de l'institution, la possibilité de se faire lâcher par les plus forts.

Reconnaissent l'autorité des élèves rebelles; essaient de se faire reconnaître par les grands de la cité; ils craignent également leurs grands frères. Ils ont une certaine réserve en présence des profs qui ont l'expérience de ce genre d'élèves.

Ont autorité sur : les élèves les plus fragiles (D et E), les filles, les plus jeunes, les moins forts physiquement...

Catégorie C : Les élèves positifs

qui sont respectés

que l'on ne mettrait pas à l'amende

Il s'agit encore d'une minorité d'élèves qui ont envie de réussir au collège et qui y Prennent une part active. Ce sont des élèves qui s'entraînent à l'autonomie et qui sont des forces de proposition. Ils souhaitent souvent se faire élire comme délégué de classe et y parviennent s'il n'y a pas en face ceux de la première ou de la seconde catégorie. Ils proposent des actions; ils font des critiques, parfois un peu maladroitement, ce qui les conduits à être parfois mal considérés par certains professeurs... Ils sont prêts à passer aux actes et à s'engager si les aide un tout petit peu...

Effectif : 25 à 30 élèves sur le collège, souvent des filles, en plus grand nombre dans les classes de 6è-5è qu'en 4è-3è.

Objectif : Réussir à l'école et s'y plaire.

Terrain de valorisation : Les initiatives, la capacité à parler, la capacité à réaliser des actions collectives.

Points d'appui : La reconnaissance des adultes et des élèves de la catégorie D, rarement des autres. Une grande solidité psychologique.

Fragilité : Ils sont la cible des plus durs. Ils peuvent être aussi mal perçus par les professeurs quand ils critiquent des dysfonctionnements.

Reconnaissent l'autorité des adultes en général. Par rapport aux élèves du groupe A, ils essaient de garder une neutralité la plus distante possible. Ils n'hésitent pas, par contre à critiquer publiquement les élèves du groupe B.

Ont autorité sur une grande partie des autres élèves dans le domaine scolaire (catégorie B, D et E). À l'extérieur du collège, ils doivent être très prudents. C'est à l'extérieur que les plus durs essaieront de les piéger car à l'intérieur du collège ils ont beaucoup d'alliés.

Catégorie D : les élèves "ordinaires"

qui ne veulent pas d'histoire

mais qui peuvent être mis à l'amende, insultés et frappés

Ce sont eux qui représentent la masse des élèves du collège. Ils ont envie de faire des études, d'aller au lycée, même s'ils ne sont pas très brillants. Ils aspirent surtout à être tranquilles. Ce n'est pas souvent le cas car ils servent d'objet d'entraînement pour les autres, ceux qui veulent jouer aux durs et qui ont besoin de le prouver. Ils sont donc régulièrement frappés, insultés, volés. Ils n'osent généralement rien dire et ne semblent pas avoir une grande confiance dans les adultes pour les protéger. Ils se précipiteront même pour "défendre" un délinquant accusé et lui fournir un alibi, espérant sans doute par là s'acheter un peu de tranquillité. Ils sont souvent l'objet de pressions, surtout quand ils sont d'assez bons élèves.

Ils doivent donner des gages de soumission aux professeurs parce qu'ils veulent réussir leurs études mais aussi aux voyous parce qu'ils ne veulent pas d'histoire... Ils ont donc des attitudes diverses en fonction de celui qui est en face d'eux, professeur ou élève, agressif envers les uns, agréable avec les autres.... Ils n'hésiteront pas à dénoncer un élève un peu fragile (catégorie E), même injustement, pour protéger un "voyou". De même, ils pourront participer à un chahut dans le cours d'un professeur plus fragile alors qu'ils auront un comportement irréprochable avec un autre.

Effectifs : le plus grand nombre des élèves, plus de 80 % très certainement, filles et garçons.

Objectif : Ne pas avoir d'histoires ; Avoir si possible des bonnes notes.

Terrain de valorisation : divers selon les cas: la réussite dans telle ou telle matière, les vêtements, un walkman....

Points d'appui : Selon les cas, une bonne réussite scolaire, de l'argent, des aptitudes sportives....

Fragilité : L'incapacité à s'affirmer devant les deux premières catégories, le sentiment d'abandon quand ils sont agressés, la peur, assez peu d'aptitude au mensonge.

Reconnaissent l'autorité des adultes (parents et professeurs) en général, des deux premiers groupes (A et B).

Ont autorité sur la dernière catégorie. (E)

Catégorie E : Les paumés, les victimes désignées

Ceux qui ont toujours des histoires

qui sont toujours mis à l'amende, insultés, frappés

qui ne cherchent qu'à survivre

Ces élèves sont les plus en difficulté de tous. Pour des raisons diverses (peu de moyens intellectuels, physique particulier, élève d'une famille mal considérée dans la cité, d'une famille considérée comme ennemie des rebelles : enfants de concierge par exemple) ils sont la cible préférée des plus agressifs. Insultes, coups gratuits, vols.... Comme ils sont les plus faibles, tous ceux qui veulent faire leurs preuves s'essaient sur eux à frapper. Les élèves qui ne veulent pas d'histoire les utilisent parfois pour donner des gages à ceux qui leur font peur et les frappent également, les accusent injustement. Ces élèves ne sont pas vraiment dans des conditions leur permettant de travailler : leurs résultats scolaires sont mauvais et ils deviennent aussi la cible des professeurs...

Pour se défendre, ils ont des stratégies changeantes, quelquefois difficilement compréhensibles : Ils cherchent à éviter ceux qui leur font peur en arrivant en retard (pour ne pas les croiser sur le chemin) ou en ne venant pas du tout à l'école les jours ou ils sentent une très grosse menace. Ils cherchent parfois à se rebeller et essaient de frapper. En présence de l'adulte qui intervient, ils n'ont jamais le beau rôle : ils se débrouillent moins bien que la plupart de leurs agresseurs avec le langage. Ils ne peuvent pas compter sur leur famille pour les défendre. Ils peuvent facilement se replier sur eux-mêmes, et consommer des produits psycho actifs (des médicaments des parents à la drogue en circulation sur la cité - ce qui accroît leur dépendance aux petits dealers du groupe A)

Ce sont eux qui n'auront pas de quoi manger à midi; C'est parmi eux que l'on retrouve des jeunes qui font des tentatives de suicide...

Effectifs : une vingtaine d'élèves sur le collège.

Objectif : Survivre et se protéger autant que possible.

Terrain de valorisation : ???? Ils cherchent à se faire respecter parce qu'ils sont sans cesse humiliés par tout le monde. Cela les conduit à insulter, à menacer (sans passer à l'acte le plus souvent).

Points d'appui : ????

Fragilité : Une grande fragilité psychologique, le manque d'amis, une extrême solitude, des difficultés familiales qui viennent se cumuler. Ils n'ont aucun lieu où se sentir réellement en sécurité.

Reconnaissent l'autorité de tout le monde (adultes, parents, élèves A et B surtout) mais ils paraissent souvent dans un autre monde; leur mode de vie est tellement limite que les normes reconnues par les autres ne leur paraissent pas bien importantes.

N'ont autorité sur personne . Dans les moments de très grande révolte ils accomplissent des actions suicidaires, ils lancent des bagarres dont ils ne peuvent pas sortir.

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