II. LES CONDITIONS DE LA POLITIQUE FISCALE DU PARC LOCATIF PRIVÉ : L'ÉTUDE DE L'OBSERVATOIRE FONCIER ET IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER DE FRANCE

Pour le groupe de travail, les chercheurs de l'Observatoire foncier et immobilier ont abordé trois thèmes de recherche : la comparaison du coût pour la collectivité du parc locatif privé et du parc public ; l'estimation du coût des principales dépenses fiscales ; la faisabilité d'une évaluation des modifications de comportement induites par la fiscalité.

A. LA COMPARAISON DU COÛT BUDGÉTAIRE DU PARC LOCATIF PUBLIC ET DU PARC LOCATIF PRIVÉ, POUR DES NIVEAUX DE LOYERS ÉQUIVALENTS (LE MODÈLE OFICRIL)

Le premier thème de recherche demandé par le groupe de travail portait sur une comparaison du coût pour les finances publiques du parc locatif privé et du parc locatif public, pour chercher à quelles conditions il serait possible aux investisseurs privés d'intervenir dans les secteurs intermédiaire et social.

Dans ce but, l'Observatoire foncier et immobilier (OFI) du Crédit foncier de France a conçu un outil d'évaluation de l'incidence financière des aides au logement locatif privé (directes ou fiscales).

Cet outil, baptisé OFICRIL, est un programme qui permet d'évaluer la rentabilité pour l'investisseur, et le coût pour les administrations publiques, d'une opération locative. Celle-ci peut être financée par plusieurs types de prêts (prêts aidés, conventionnés ou du secteur concurrentiel) et sous différents régimes fiscaux (régime général, Quilès-Méhaignerie, Super-Quilès, bénéfices industriels et commerciaux, amortissement Périssol).

L'Observatoire foncier et immobilier a réalisé diverses simulations, visant à répondre à la question posée. Utilisant l'outil mis à sa disposition, le groupe de travail a de son côté cherché à établir des éléments de comparaison du nouveau régime d'amortissement avec les systèmes existants.

Toutefois, il n'a pas été possible d'effectuer une comparaison du coût global pour la collectivité des deux formes de parc locatif.

Comparaison des coûts du secteur public et du secteur privé

Il est difficile de mettre en place une méthode quantitative et a fortiori microéconomique pour étudier les écarts de coûts entre le financement public et le financement privé du parc social. Les offices d'HLM bénéficient d'une exonération fiscale quasi totale qui leur permet de produire des logements avec des marges beaucoup plus faibles que celles des investisseurs privés. De plus, ce sont souvent des structures lourdes génératrices d'une production importante qui autorise les péréquations. En effet, grâce à cet effet de masse, les organismes d'HLM peuvent produire à perte certaines opérations insuffisamment subventionnées, compensées par des opérations bénéficiaires plus anciennes, ou mieux subventionnées.

Il est également difficile d'évaluer les avantages financiers ou en nature octroyés par les collectivités locales pour inciter les opérateurs sociaux à produire dans les secteurs déficitaires. Ainsi, il n'est pas rare qu'une commune cède à titre gratuit un terrain à un organisme d'HLM en vue de la construction de logements sociaux.

C'est pourquoi les calculs effectués reposent sur une hypothèse simple : l'effort de la collectivité est calculé sur la base du seul dispositif d'aide (directe ou fiscale) voté par le Parlement (à l'exception des surcharges foncières qui ne sont ni générales, ni fixes). Une telle approche vise à faire apparaître le coût global implicite de production du logement social, sans s'interroger sur la nature du financement.

Afin d'éviter les rentes de situation d'une part, et permettre la production de logements à loyers réduits (y compris sur les marchés les plus tendus) d'autre part, l'aide publique apportée aux investisseurs privés doit être modulée en fonction des rendements espérés. Or, ces derniers dépendent du niveau des prix immobiliers, variable d'une région à l'autre, du type de prêt utilisé (financement libre ou aidé) ainsi que de la fiscalité applicable.

Cette étude cherche dès lors à illustrer un principe simple : la fixation de l'aide accordée à l'investisseur en proportion de l'effort consenti en matière de loyer, apprécié par référence au loyer de marché.

L'exemple de l'agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH) et des conditions d'attribution de ses subventions sur Paris et départements limitrophes, constitue une excellente illustration de l'adaptation des règles au contexte des marchés. Les instructions de l'agence prévoient trois régimes différents :

- le loyer est librement fixé par le propriétaire dans le cadre de la loi du 6 juillet 1989. Le taux de subvention appliqué est de 25 % ;

- le loyer est fixé à un niveau intermédiaire entre le loyer libre ou de marché et le loyer dit conventionné (très social). Le taux applicable est alors de 40 %. L'instruction prévoit que ce loyer "doit correspondre à une différence significative de l'ordre de 20 % par rapport au loyer réellement pratiqué pour des logements comparables" ;

-le loyer fait l'objet d'une convention entre le propriétaire et l'État ouvrant droit à l'aide personnalisée au logement (APL). Le loyer est fixé en référence au loyer des logements financés à l'aide d'un prêt locatif aidé (PLA) 51 ( * ) . Le taux de subvention applicable est de 50 %.

Une graduation est ainsi réalisée entre l'aide et l'effort consenti en termes de loyer. Si le loyer (le rendement locatif brut) est faible, l'aide est forte et inversement.

Ce premier thème, pour le seul logement locatif acquis par des personnes physiques, se veut une contribution à la définition des conditions de faisabilité financière d'un tel dispositif. Il ne saurait prétendre à une approche globale. D'autres dimensions, sociologiques, administratives, budgétaires, devraient être étudiées et intégrées. Néanmoins il apparaît de la plus grande importance de s'attacher à définir les contours financiers d'une réforme susceptible de permettre aux ménages d'investir dans le logement, tout en cherchant à traduire dans les faits les soucis sociaux des pouvoirs publics.

1. Problématique

Une interrogation centrale guide la démarche : comment concilier exigence de rentabilité et loyers modérés, sachant que le loyer de marché et la rentabilité qui lui est associée sont la référence obligatoire pour un investisseur ?

Plus précisément, l'investisseur privé exige un certain niveau de rendement en contrepartie des risques 52 ( * ) supportés dans l'opération locative. Ce niveau s'apprécie généralement par le taux de rendement brut, rapport entre loyer brut annuel et prix de revient de l'opération.

Plus le marché immobilier est tendu, moins en théorie il présente de risques et plus le taux de rendement brut est faible. Inversement, pour un marché locatif atone, le taux de rendement brut est élevé, afin de tenir compte d'un niveau de risque plus élevé (risque d'inoccupation, dépréciation du bien, vente difficile).

Il convient de souligner que ces taux de rendements bruts correspondent à une réalité et sont directement observés sur le marché. Ainsi, à dire d'expert, ces taux s'inscrivent pour des constructions neuves dans une fourchette de 6 à 7 % dans les marchés tendus et de 7 à 8 % dans les zones les moins recherchées. Il s'agit bien évidemment de valeurs moyennes ne reflétant pas la réalité de tous les marchés immobiliers français, qui restent très contrastés. De plus, en fonction des différentes périodes du cycle, des ajustements temporaires plus ou moins marqués peuvent avoir lieu.

La rentabilité ou l'intérêt financier global d'une opération n'est toutefois pas conditionnée seulement par le niveau de loyer de l'opération, mais aussi par le taux de plus-value. Le taux de rentabilité sera alors égal au rapport (loyer + plus-value)/valeur du bien.

Toutefois, il faut considérer que la plus-value ne constitue un "revenu" que dans l'éventualité d'une réalisation du bien. La période récente, en particulier en région parisienne ou sur la côte d'Azur, atteste néanmoins que l'anticipation de plus-values importantes influe sur les décisions des investisseurs et peut même les conduire à accepter des taux de rendement beaucoup plus modestes que ceux normalement exigés par le marché.

Ceci posé, l'étude retiendra les fourchettes de taux de rentabilité évoqués ci-dessus et distinguera cinq types de marchés immobiliers représentatifs de la structure d'ensemble des marchés immobiliers français. La prise en compte des gains liés aux plus-values interviendra par l'intermédiaire d'une vente fictive en fin de période de détention (cf infra : calcul de la valeur actuelle nette-VAN). Les calculs effectués intègrent également les effets liés à la fiscalité, aux conditions de financement et aux variables macro-économiques d'environnement (inflation, taux d'intérêt, etc.).

2. Hypothèses de travail et situation du marché actuel

Le marché immobilier français a été segmenté en cinq marchés notés M1 à M5. Cette segmentation repose sur l'observation des prix relevés par le corps des experts du Crédit foncier de France à l'occasion de l'enquête annuelle qu'il diligente.

a) Les cinq marchés


marché M1

Marché atone, d'une faible densité démographique et présentant une demande stationnaire. Il s'agit principalement des zones rurales et de petites agglomérations de province.

Les prix de revient des opérations neuves sont faibles du fait notamment de valeurs foncières très basses. Les loyers du secteur privé sont également faibles et proches de ceux du secteur social.


• marché M2

Marché immobilier caractérisant les grandes agglomérations de province présentant un marché soutenu mais progressant faiblement. Les prix de revient et les loyers sont naturellement plus élevés que dans le cas précédent mais le taux de rentabilité correspondant est plus faible du fait d'un risque immobilier plus atténué.


• marché M3

Marché correspondant à celui des agglomérations de la bordure méditerranéenne et de 1 ; grande couronne parisienne, caractérisé par des loyers et des prix de revient élevés sans pour autant atteindre les niveaux parisiens. Le taux de rentabilité n'est que très légèrement plus faible que dans le cas précédent.


• marché M4

Marché immobilier de la petite couronne parisienne, relativement tendu avec des valeurs élevées et donc des risques faibles. Taux de rentabilité faible.


• marché M5

Marché de Paris, très tendu sans être spéculatif, caractérisé par des prix de revient nettement supérieurs à la moyenne nationale et des rentabilités attendues plus faibles du fait d'une fluidité supérieure du marché.

Le zonage PLA

Pour l'application des différents paramètres applicables aux prêts locatifs aidés, (plafonds de prix, de loyer, de ressources et d'aide personnelle), les communes sont classées en 3 zones ; auxquelles s'ajoute une sous-zone.

Zone 1 :

- communes de l'agglomération parisienne,

- communes des villes nouvelles d'Ile-de-France.

Zone I bis :

- On distingue au sein de la zone 1, une zone centrale dite zone I bis qui regroupe Paris et les 29 communes proches suivantes :

Aubervilliers, Bagnolet, Boulogne-Billancourt, Charenton-le-Pont, Clichy, Fontenay-sous-Bois, Gentilly, Issy-les-Moulineaux, Ivry-sur-Seine, Joinville-le-Pont, Le Kremlin-Bicêtre, Les Lilas, Le Pré-Saint-Gervais, Levallois-Perret, Malakoff, Montreuil, Montrouge, Neuilly-sur-Seine, Nogent-sur-Marne, Pantin, Puteaux, Saint-Cloud, Saint-Denis, Saint-Mandé, Saint-Maurice, Saint-Ouen, Suresnes, Vanves, Vincennes.

Zone 2 :

- communes des agglomérations et communautés urbaines de plus de 100.000 habitants,

- communes des villes nouvelles situées hors d'Ile-de-France.

Zone 3 :

Le reste du territoire national, à l'exclusion des départements d'Outre-mer.

Les cinq marchés (Ml à M5) caractérisés par les chercheurs du Crédit foncier correspondent, grosso modo, au zonage PLA selon le tableau de correspondance suivant :

- M1 = zone 3

- M2 = zone 2

- M3 = zone 1

- M4 et m5 = zone 1 bis

Le tableau suivant présente une fourchette des valeurs locatives pour chaque type de marché.

Les loyers en France

(francs par m2 habitable et par mois

Source Enquête annuelle du Crédit foncier de France

À partir de cette typologie de marché, les chercheurs de l'observatoire foncier et immobilier ont calibré financièrement une opération locative de caractéristiques physiques semblables pour chacune des configurations retenues.

Sur le marché Ml, une opération neuve qui pourrait se situer dans la ville de Saint-Brieuc (Côtes d'Armor) présenterait les caractéristiques suivantes.

Il s'agit d'un logement de 3 pièces d'une surface de 68 m 2 dont le prix de revient est de 4.500 francs/m 2 habitable.

Le loyer de marché s'établit aux alentours de 30 francs/m 2 habitable/mois, soit un taux de rendement brut espéré de :

Sur le marché M2, la même opération à Lyon présentera un prix de revient de 8.077 francs/m 2 habitable et se louera à 50 francs/m 2 habitable par mois.

Le taux de rendement brut correspondant est de 7,43 %.

Sur le marché M3, à Nice, le même logement se vendra au prix de 12.250 francs/m 2 pour un loyer mensuel de 70 francs, soit un taux de rendement brut de 6,86 %.

Sur le marché M4, à Boulogne-Billancourt, le même bien, à un prix de 15.867 francs/m 2 , un loyer mensuel de 85 francs/m 2 , soit un taux de rendement brut de 6,43 %.

Enfin, sur le marché M5, à Paris, cet appartement de 68 m 2 sera vendu au prix de 20.000 francs/m 2 , pour un loyer mensuel de 100 francs/m 2 , soit un taux de rendement brut de 6 %.

Toutes ces valeurs ne sont qu'indicatives de moyennes et pourraient être modulées en fonction des localisations précises.

Pour chaque cas de figure, il a été établi un budget d'exploitation prévisionnel à partir des différentes statistiques disponibles. Ainsi, pour les opérations PLA, l'OFI s'est appuyé sur les données fournies par l'Union nationale des fédérations d'organismes d'HLM (UNFOHLM). Celle-ci dispose notamment des chiffres moyens pris en compte pour simuler l'exploitation prévisionnelle et calculer le loyer d'équilibre d'une opération financée par un PLA de la Caisse des dépôts et consignations (PLA-CDC).

Hypothèses de calcul du budget d'exploitation prévisionnel

Prix de revient : cf marchés Ml à M5

Surface habitable : 68 m 2

Durée de détention du bien : 30 ans

Loyer : cf marchés M1 à M5

Frais de gestion et d'entretien (par année) 53 ( * ) : 3.696 francs

Taxe foncière sur la propriété bâtie : 3.080 francs

Taux d'actualisation : 7,5 %

Taux d'inflation : 2 %

Taux de progression des charges et des loyers : 2 %

Profil de l'investisseur : couple avec deux enfants ayant des revenus

annuels de 750.000 francs (avant abattement de 10 et 20 %)

Sur la base de ces hypothèses, il est possible de calculer la rentabilité de chaque opération pour chacun des cas de figure envisagés (différents financements, régimes fiscaux, localisations...).

L'indicateur de rentabilité utilisé est le taux de rentabilité interne (TRI) après impôt. Ce dernier indique le rendement des seuls fonds propres après remboursement d'emprunt et après impôt 54 ( * ) . Le calcul du TRI intègre également la valeur nette de revente (après déduction du capital restant dû et après déduction de l'impôt dû au titre des plus-values).

b) Les cinq types de financement

Les types de financement étudiés sont les suivants : PLA-CDC, PLA du Crédit foncier (PLA-CFF), prêt locatif intermédiaire (PLI) 2 , prêt conventionné locatif (PCL), prêt du secteur concurrentiel. Les caractéristiques suivantes ont été retenues.

Il s'agit d'hypothèses de travail utilisées dans le cadre de l'étude

c) Les quatre régimes fiscaux

À chacun de ces financements sont associés quatre types de régimes fiscaux 55 ( * ) .

Les principales caractéristiques actuelles des quatre régimes sont les suivantes :

Régime général : les avantages fiscaux accordés sous ce régime sont :

- taux de déduction forfaitaire : 13 %

- plafond de déduction des déficits fonciers (hors charges d'emprunt) : 70.000 francs.

Régime Quilès-Méhaignerie :

- taux majoré de déduction forfaitaire pendant dix ans : 25 % (puis
13 % à partir de la onzième année) ;

-réduction d'impôt de 10 % calculée sur le prix de revient du logement dans la limite de :

300.000 francs pour les célibataires, veufs et divorcés, soit maximum 30.000 francs,

600.000 francs pour les couples, soit maximum 60.000 francs.

Régime Super Quilès :

- taux majoré de déduction forfaitaire pendant dix ans : 25 % (puis 13 % à partir de la onzième année) ;

- réduction d'impôt de 15 % calculée sur le prix de revient du logement dans la limite de :

400.000 francs pour les célibataires, veufs et divorcés, soit maximum : 60.000 francs ;

800.000 francs pour les couples, soit maximum 120.000 francs.

Pour l'octroi de la réduction d'impôt de 15 %, les montants des loyers et les ressources des locataires ne doivent pas excéder certains plafonds (loyer maximum de 67,4 francs/m 2 habitable/mois en Ile-de-France et 48 francs dans les autres régions).

Régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) :

Les loyers sont traités comme bénéfices industriels et commerciaux. Les biens immobiliers peuvent être amortis (pour la seule partie bâtiment). L'imposition des plus-values est fondée sur le calcul de la plus ou moins-value brute obtenue par différence entre le prix de cession et la valeur nette ou résiduelle comptable (fraction non amortie du bien), elle-même égale à la différence entre le prix d'acquisition et la somme des amortissements pratiqués.

d) Les résultats

Le tableau suivant présente les TRI après impôt calculés pour les cinq opérations, suivant les différents types de financement et de régimes fiscaux.

PLA CFF : prêt locatif aidé du Crédit foncier de France

PLA CDC ou PLA HLM prêt locatif aidé de la Caisse des dépôts et consignations

PLI : prêt locatif intermédiaire

PCL : prêt conventionné locatif

Prêt libre : prêt du secteur concurrentiel

RG : régime fiscal de droit commun

QM : régime Quilès-Méhaignerie

SQ régime Super-Quilès

BIC : régime des bénéfices industriels et commerciaux

TRI : taux de rentabilité interne

La valeur "0" correspond aux cas pour lesquels les TRI sont négatifs ou nuls. C'est le cas de prêts PLA sur les marchés M3, M4 et M5 dans l'hypothèse ou l'organisme ou l'investisseur ne bénéficient pas de subventions pour surcharge foncière. L'octroi possible de dérogations substantielles pour le PLA CFF ne suffit pas à assurer aux propriétaires, toutes choses égales par ailleurs, une rentabilité significativement positive.

Le constat est le même en PCL et en PLI sur les marchés M3, M4 et M5 pour les hypothèses retenues de loyers de marché. Le plafonnement légal des loyers ne permet pas, sauf aide supplémentaire, d'atteindre un niveau de rentabilité positif. Enfin, le plafonnement des loyers en cas de régime Super-Quilès et de financement libre conduit à un constat similaire.

Le tableau ci-dessus permet également de constater que lorsque les loyers libres dépassent de peu les plafonds des loyers réglementés, comme c'est le cas sur le marché Ml, les opérations financées en PLA présentent les plus forts rendements, en particulier en régime

Quilès-Méhaignerie (6,5 %) et Super-Quilès (6,7 %). Puis successivement par ordre décroissant, on trouve les rendements obtenus avec des financements libres en régime QM (6,11 %) et SQ (6,3 %). Une opération HLM financée en PLA CDC obtient sur le même marché M1 un taux de rentabilité interne de 14,5 % grâce à la subvention accordée pour ce type d'opérations. Un tel niveau de rentabilité constituerait une rente de situation qui ne serait guère équitable eu égard aux taux de rentabilité constatés dans le secteur privé. En réalité, sur de tels marchés, les organismes d'HLM appliquent des loyers nettement inférieurs aux loyers plafonds, ces derniers étant trop proches voire supérieurs aux loyers de marché. Il est de plus douteux que les plus-values réelles soient identiques pour une même opération quel que soit le type de financement et d'opération. La fixation du prix de location des opérations HLM ne peut enfin être appréciée en fonction de la seule opération mais doit intégrer des contraintes telles que la péréquation entre les loyers.

Sur le marché M2, l'écart entre loyers de marchés et loyers réglementés est plus grand. Par conséquent, les financements PLA perdent de leur attrait, même dans le cas du PLA HLM subventionné. On peut rappeler que la subvention d'État dans le cas d'un PLA CDC est égale à 12,7 % du prix de revient dans la limite de 90 % du prix de référence. Ce calcul de subvention fondé uniquement sur le prix de revient ne tient pas compte de l'écart entre loyers libres et réglementés. Or, cet écart obère lourdement la rentabilité de l'opération.

Enfin, sur les marchés M3, M4 et M5, seuls les prêts du secteur libre permettent d'atteindre des rendements acceptables, du fait du non plafonnement des loyers.

3. Le calibrage de l'aide de l'État

En partant d'une matrice marchés/produits telle qu'elle existe aujourd'hui, il est possible de mieux cibler l'aide budgétaire nécessaire pour favoriser les investissements privés dans le secteur locatif social.

Si l'on part de l'hypothèse que le principal critère de sélection des opportunités d'investissement est celui du taux de rentabilité interne, il est alors possible de déterminer le montant de l'incitation financière nécessaire à l'équilibre financier de l'opération par référence aux niveaux obtenus en secteur libre.

En effet, le coût d'une subvention accordée à un investisseur privé peut être calibrée en fixant un taux de rentabilité attendu au plus égal au taux de rentabilité de marché. Pour un meilleur partage des risques entre l'État et les investisseurs privés, il serait raisonnable d'envisager des montants d'aide correspondant à l'obtention d'une rentabilité égale à 75 % de celle d'une opération en secteur libre sous le régime fiscal de droit commun. Il s'agit bien entendu d'une hypothèse de travail, qui peut être redéfinie à la baisse pour respecter des contraintes budgétaires éventuelles, ou à la hausse pour favoriser davantage la mobilisation de l'investissement privé.

Ainsi, dans le cas de l'opération de Nice, le loyer de marché de 70 francs/m 2 permet d'atteindre un TRI-régime général de 5,01 %, tout à fait acceptable eu égard aux rendements obtenus sur d'autres marchés immobiliers ou de placement. En appliquant un loyer social de 29 francs/m 2 (plafond PLA en zone 2), l'opération n'est plus rentable et ne peut intéresser un investisseur privé. On peut calculer le montant de la subvention nécessaire pour assurer à un investisseur une rentabilité égale à 3,76 % (soit 75 % de 5,01) alors même que le loyer reste fixé à 29 francs/m 2 .

Pour cela, plusieurs moyens techniques peuvent être utilisés :

- une subvention versée une fois pour toute à l'entrée (subvention "flat");

- une bonification de taux d'intérêt,

- une modulation de la durée de conventionnement,

- une modulation du taux de la déduction forfaitaire,

- une modulation du taux de réduction d'impôt,

- ou encore, une modulation du plafond d'imputation des déficits (en excluant ou non les intérêts d'emprunt de l'assiette d'imposition).

Dans le cadre de cette étude, les experts du Crédit foncier se sont cantonnés au calibrage de la subvention "flat" en prenant l'exemple du marché M3 56 ( * ) . Quatre niveaux de loyers sociaux ont été testés : 29 francs, 35 francs, 50 francs et 55 francs. Ces loyers sont très largement inférieurs aux loyers du secteur libre sur ce marché.

Pour chacun de ces quatre niveaux de loyers ont été envisagées les formules de financement en PLA, PLI et prêt du secteur concurrentiel. Sont obtenus ainsi douze scénarios pour lesquels il a été procédé à l'évaluation de la subvention nécessaire exprimée en pourcentage du coût de l'opération pour atteindre une rentabilité égale à 75 % de celle du secteur libre 57 ( * ) .

Une représentation graphique de la variation du montant de la subvention flat dans le cas du PLI et pour différents régimes fiscaux permet d'illustrer les effets comparés de la fiscalité et du niveau des plafonds de loyers. Elle met en lumière le caractère fortement dégressif de la subvention pour un franc de loyer supplémentaire. Ainsi, il est quasiment indifférent au rendement financier de fixer le loyer réglementé à 29 francs/m 2 et d'accroître le bénéfice du régime Super-Quilès ou de fixer un loyer réglementé de 35 francs sans autre avantage fiscal que le régime de droit commun. Dans les deux cas, l'équilibre financier est obtenu par un taux de subvention de 17 % du coût de l'opération. À l'inverse, pour les loyers de 50 et 55 francs, proches des loyers de marché, des rentes de situation apparaissent pour certains types de financement.

Pour des loyers réglementés de 35 francs : un accroissement des loyers de 6 francs (de 29 francs à 35 francs par m 2 et par mois) réduit de quinze points en moyenne la subvention d'équilibre. Le taux de subvention varie dans une large fourchette, comprise entre 5,5 et 51,4 % suivant le type de financement.

Pour des loyers réglementés de 50 francs, des rentes de situation 58 ( * ) apparaissent pour des opérations financées en PLA-CFF. L'aide "indûment" octroyée en fonction du seul critère de rentabilité s'échelonne entre 2,2 % et 10,8 % du coût de l'opération. Dans de telles situations, une aide de l'État s'avère moins nécessaire. Au contraire, l'équité pousse à envisager les possibilités de réduire cette rente de situation. L'analyse d'un tel système de péréquation pourrait |_faire l'objet d'une étude plus approfondie fondée par exemple sur la variation des paramètres fiscaux.

Pour les loyers réglementés de 55 francs, les rentes de situation s'accentuent : dans le cas d'un financement en PLA sous le régime Quilès-Méhaignerie, l'aide "superflue" représente 17 % du coût de l'opération. En revanche, une aide est toujours nécessaire pour un financement en secteur concurrentiel, à hauteur de 20 % du coût de l'opération.

Au total, la réalisation des deux objectifs fixés (loyer social et rentabilité) pour l'univers considéré conduit à des taux de subvention qui s'échelonnent de 0,6 % à 59,3 % alors même que les aides à la pierre ou fiscales ne sont pas ou peu modulées dans le système actuel. Il serait du plus grand intérêt de s'interroger sur la possibilité d'une mise en oeuvre opérationnelle de la modulation.

Une généralisation de l'approche consistant à moduler les aides en fonction du loyer de marché et du loyer réglementé sous contrainte d'une rentabilité minimale peut s'envisager par approximation linéaire du calcul de l'aide nécessaire (et suffisante). En d'autres termes, il est possible de déterminer, pour un niveau de loyer social donné et pour chaque type de financement envisagé, le taux de subvention d'équilibre assurant un taux de rentabilité interne (TRI) égal à 75 % (ou toute autre valeur) du TRI obtenu dans le secteur privé avec un financement libre (pour un régime fiscal donné).

4. Les principes du calibrage des produits de prêts "subventionnés" en fonction des niveaux de loyers sociaux choisis et de la rentabilité attendue

Une méthode simple d'approximation linéaire pour réaliser cette modulation est présentée ci-après pour le cas d'une opération sur le marché M3 et pour le seul prêt PLA. Bien évidemment, cette méthode peut être généralisée pour toutes les combinaisons marchés/produits. À titre d'illustration, les calculs effectués sont présentés pour quatre types de fiscalité en PLA : PLA-régime général, PLA-Quilès Méhaignerie, PLA-Super Quilès et PLA BIC.

Le simple usage d'équations linéaires permet déjà une approximation suffisante d'un calibrage efficace.

Les équations sont alors de la forme :

Y = aX + b

où X représente le montant de loyer recherché en secteur social,

Y : le taux de subvention correspondant à ce loyer et permettant d'atteindre un certain
niveau de TRI (75 % du TRI obtenu en secteur libre),

a et b, les constantes.

Le tableau suivant représente les équations obtenues.

Montant de subvention pour 100 francs de coût d'opération et équations d'équilibre d'une opération financée en PLA et pour quatre niveaux de loyers réglementés

Par une telle méthode, il est possible de déterminer le loyer d'équilibre, à conditions données, pour lequel il n'est plus nécessaire de subventionner, ou inversement de déterminer le taux de subvention nécessaire Pour atteindre le niveau de rendement recherché pour un loyer du secteur social donné.

Il est également possible de faire varier le niveau de loyer d'équilibre en fonction des taux de rendement désirés.

À titre d'exemple, le tableau ci-après donne pour le cas du PLA CFF-RG, le taux de subvention nécessaire pour plusieurs niveaux de loyers et de taux de rendement attendus.

Montant de subvention nécessaire pour 100 francs de coût d'opération suivant les TRI attendus

Dans une telle optique, l'État ne laisserait pas les investisseurs privés assumer seuls tous les risques. En d'autres termes, si les opérations sont déficitaires, l'État supplée pour la majeure partie. Inversement, si l'évolution de la conjoncture et des environnements de marché confère aux investisseurs le bénéfice de rendements élevés, le relèvement de certaines taxations permet d'opérer les réajustements appropriés. Cette péréquation permet à l'État de minimiser les dépenses budgétaires tout en assurant les investisseurs privés, grâce à une solidarité bien calibrée, de pouvoir arbitrer en termes de localisation ou de financement sur une même base budgétaire.

La difficulté réside évidemment dans la possibilité d'apprécier les conditions concrètes et précises de rentabilité des opérations privées sur le secteur considéré (bassin d'habitat, commune ou plus utilement quartier ou secteur considérés). Une telle approche exigerait le développement d'observatoires locaux à l'instar de ce qui se fait en Allemagne ou de l'expérience développée depuis de nombreuses années par l'Observatoire des loyers de l'agglomération parisienne (OLAP) sur Paris et les communes limitrophes.

5. Un exemple d'évaluation réalisée à l'aide du modèle OFICRIL : le nouveau régime d'amortissement

Le modèle OFICRIL est installé à la commission des Finances du Sénat. Pour les besoins de leur étude, les experts du Crédit foncier ont étudié les volumes de subventions nécessaires pour parvenir à une certaine rentabilité.

Il est possible de faire de même avec les régimes fiscaux.

Le groupe de travail a ainsi réalisé une évaluation du nouveau régime d'amortissement dit "Périssol" 59 ( * ) en examinant l'intérêt objectif pour le contribuable (et le coût budgétaire) d'une opération donnée selon deux comparaisons : le nouveau régime par rapport au système Quilès-Méhaignerie ; le nouveau traitement relatif du parc locatif ancien.

a) Comparaison entre amortissement Périssol et régime Quilès-Méhaignerie

Les trois principaux éléments du régime d'amortissement

1) Déduction forfaitaire : 6 %

2) Amortissement : déduction fiscale de 80 % du coût de l'investissement à raison de


• 10 % par an sur 4 ans


• puis 2 % par an sur 20 ans.

3) Plafond d'imputation du déficit foncier sur le revenu global : 100.000 francs.

Par rapport au régime général des revenus fonciers, le système Quilès-Méhaignerie permet d'augmenter le rendement des opérations locatives d'un à deux points selon le niveau du revenu du ménage et la taille des opérations.

Par rapport au système Quilès-Méhaignerie, le nouveau régime d'amortissement peut permettre d'augmenter le rendement des mêmes opérations de plus de deux points.

On considère un logement de 65 m 2 acquis neuf par un couple marié ayant deux enfants à charge, non titulaire d'autres revenus fonciers. Le couple finance l'acquisition à l'aide d'un emprunt représentant 80 % de l'opération, d'un taux d'intérêt de 8 %. Le rendement brut procuré par le loyer est de 6 %
• On fait l'hypothèse que le couple revend son bien au bout de 10 ans.

En fonction de la taille de l'opération et du niveau de revenu du couple, le taux de rentabilité interne obtenu varie selon le graphique suivant :

Source : OFI

Si l'on suppose maintenant que le taux de rendement brut du loyer n'est pas constant, mais que le loyer initial est de 70 F/m 2 /mois et qu'il augmente de 2 %/an (soit l'objectif d'inflation à moyen terme de la Banque de France), on obtient les résultats suivants :

Source : Modèle OFICR1L

OFI - c ommission des Finances du Sénat

Le coût budgétaire actualisé de l'opération décrite ci-dessus dans le cadre de ce régime, peut se comparer avec le régime Quilès-Méhaignerie selon le tableau suivant (en francs) :

Si l'on considère une opération de 340.000 francs, taille proche de la moyenne des opérations constatées dans le régime Quilès-Méhaignerie, effectuée par un ménage de 4 personnes disposant d'un revenu annuel de 700.000 francs, on constate que le coût budgétaire total est supérieur de 24 % dans le nouveau régime.

b) Le nouveau traitement relatif du logement ancien

Le logement locatif ancien, imposé selon le régime général des revenus fonciers, se retrouve relativement pénalisé par rapport à la situation antérieure, puisqu'il ne bénéficie que d'une mesure nouvelle dont on a vu l'intérêt relativement réduit : l'allongement de 5 à 10 ans du délai de report d'imputation des déficits fonciers.

Si l'on considère la même opération que précédemment dont la seule variante serait le caractère neuf ou ancien du logement, on obtient les différences de TRI suivantes (pour une opération de 600.000 francs) :

Pour maintenir une différence de traitement analogue à celle qui prévalait avant la création du régime Périssol (différence avec le régime Quilès-Méhaignerie), il serait nécessaire de pratiquer un amortissement de 5 % de la valeur du bien les 4 premières années (le reste du régime étant inchangé).

Il est donc évident que le nouveau système, d'effet incitatif puissant, accuse la distorsion dénoncée par le rapport Ducamin entre le logement locatif neuf et le logement locatif ancien.

La différence de coût budgétaire actualisé pour la même opération, entre le régime actuel des revenus fonciers et un régime d'amortissement de 5 % sur les quatre premières années s'établirait selon le graphique suivant :

À l'issue de cette première partie de la recherche, les statisticiens du Crédit foncier concluant qu'il est envisageable de moduler les aides afin d'en obtenir une meilleure répartition par un jeu de péréquation.

En évaluant le nouveau système d'amortissement, le groupe de travail aboutit à une conclusion analogue : l'absence de modulation des aides crée des distorsions très importantes. L'écart d'effort budgétaire consenti entre le logement locatif neuf et le logement locatif ancien, déjà important, se creuse considérablement. Il n'est pas possible, pour rattraper cet écart, d'effectuer un effort du même ordre en faveur du logement ancien : réduire la distorsion passerait probablement par une révision des avantages dévolus au neuf.

Mais pour affiner ces résultats, l'OFI estime qu'il est nécessaire de développer des outils complémentaires : une étude macroéconomique pour apprécier les marges de manoeuvre à effort public constant. Pour tenir compte des différences de localisation, il faudrait mettre en place une base de références catégorielles (type d'opérations) et géographiques.

* 51 La circulaire du 30 octobre 1991, n° 91-77, autorise les préfets des départements cités à fixer le loyer maximum des conventions dans la limite de 155 % des loyers applicables aux logements fixés en PLA

* 52 Au sens large, c'est-à-dire comprenant la mobilisation du capital, la liquidité, la qualité du bien, du locataire, etc... ainsi que l'appréciation raisonnée ou subjective des avantages et inconvénients des placements alternatifs.

* 53 L'hypothèse retenue est que les frais de gestion et d'entretien, ainsi que la taxe foncière sur les propriétés bâties sont proches sur les cinq marchés.

* 54 Le TRI est le taux d'actualisation des flux issus de l'investissement qui égalise la valeur de ces flux et le montant investi par lequel la valeur actuelle nette d'un investissement est égale à zéro. Cela signifie donc :

Investissement = emprunt - charges de remboursements actualisées + produits locatifs après impôts actualisés + valeurs de revente actualisées

I : montant de l'investissement

E : montant de l'emprunt

CF : revenu net après impôt hors charges de financement

R : charge de remboursement des crédits (nette d'incidence fiscale)

n : durée de détention

VR : valeur résiduelle du bien à l'année n (nette d'impôts).

PLI avant la réforme intervenue en mars 1996

* 55 Les PLA CDC ne sont pas concernés par la variable fiscale, car destinés pour la plupart aux organismes d'HLM qui ne sont pas imposés. Par ailleurs, le régime de l'amortissement Périssol n'existait pas au moment de l'étude.

* 56 Mais le modèle OFICR1L permet d'effectuer une analyse du même type sur les régimes fiscaux.

* 57 On raisonne ici toutes choses égales par ailleurs, en particulier à taux de plus-value et de croissance identique.

* 58 Pour la localisation considérée, à savoir le marché M3

* 59 Pour approfondir cet aspect, voir 1'"Observateur de l'immobilier" n° 33 - "Les outils de la relance de l'investissement locatif"

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