C L'IMPACT DE LA FISCALITÉ SUR LE COMPORTEMENT DES AGENTS ÉCONOMIQUES : UN CHANTIER D'AVENIR

Le troisième thème proposé à la recherche de l'Observatoire foncier et immobilier était le plus ambitieux, le plus difficile et aussi le plus intéressant : mesurer l'impact des mesures fiscales sur les comportements.

En effet, les mesures incitatives ont pour objectif d'engendrer des comportements d'investissement ou de consommation. À l'inverse, les mesures à but de rendement fiscal doivent éviter les fuites d'assiettes. Outre leur objectif immédiat, on espère que les incitations auront un effet de levier fort sur l'économie ou que les augmentations de recettes n'auront pas d'effet récessif. Et au-delà de ces effets économiques, il est intéressant d'estimer la rétroaction budgétaire ex post de la mesure.

La connaissance des effets comportementaux de la fiscalité est donc un élément capital, qui devrait en principe précéder toute décision. Or, les connaissances dans ce domaine se révèlent extrêmement pauvres 96 ( * ) .

Un premier examen des expériences étrangères en matière de modèles permettant d'apprécier l'impact sur le comportement des agents économiques des différentes mesures fiscales et de leur incidences budgétaires a permis de constater qu'un modèle d'une nature proche est utilisé par l'administration publique américaine. Cette expérience a fait l'objet d'un article publié dans le "Journal of Housing Research" 97 ( * ) . Les principaux enseignements de ce modèle sont succinctement présentés ci-dessous. Il n'a pas été possible à ce stade de l'étude d'obtenir les spécifications précises du modèle de simulation ni les résultats des tests de validité de l'outil et de sensibilité des résultats.

Il apparaît néanmoins que pour la France, le développement d'un outil de simulation paraît envisageable, la principale interrogation portant sur la disponibilité des données statistiques nécessaires à alimentation du modèle.

1. Le cadre du modèle

L'objectif principal du modèle de micro-simulation est de tester les différentes options offertes à des investisseurs en logements locatifs et de calculer les coûts budgétaires évalués sur une période de vingt ans. Pour un régime d'aide donné, le modèle estime la dépense publique dont le calibrage est uniquement fonction de la demande émanant des investisseurs privés.

Il est donc possible pour différents scénarios d'associer évaluation des comportements de gestion du parc par les bailleurs (impact économique) et montant d'aide versé. Dans les faits, le ministère du logement utilise le modèle à la fois pour optimiser son budget courant et évaluer les dotations nécessaires en cas d'éventuelles modifications de la réglementation en vigueur, notamment pour les dispositions de nature fiscale.

Il s'agit d'un modèle de simulation "longitudinale" écrit en langage informatique Fortran (version 5). L'alimentation du modèle repose sur un échantillon représentatif de 570 immeubles. La base de données contient pour chaque immeuble un nombre important d'indicateurs relatifs à la gestion, à la nature de la propriété et à la situation du marché (en termes de loyers et de nature de marchés libres ou réglementés).

Par référence au dispositif courant (scénario de départ), le modèle évalue pour chaque scénario (modification du régime des aides et/ou fluctuations économiques), le changement de comportement sur cinq opérations ou variables :

- travaux à réaliser,

- vente,

- maintien de l'exploitation,

- changement de régime de loyer,

- risque de faillite.

Ces cinq éléments sont appréciés à la lumière d'un seul critère : la rentabilité.

Pour chaque scénario, le modèle calcule donc la rentabilité correspondante et opte pour la solution optimale. On en déduit alors un coût budgétaire (évaluation ex-post). La période d'observation est de vingt ans, avec des points intermédiaires tous les cinq ans. Dans ce but, le modèle paramètre l'évolution attendue des conditions économiques et des conditions d'emprunt pour la période étudiée sur la base de différents scénarios.

2. La structure du modèle

Le modèle comprend cinq modules :

l. Une base de données relatives aux conditions physiques et aux coûts d'exploitation et de financement de 570 immeubles supposés être représentatifs de la population totale. Ces informations collectées sont projetées sur une période donnée pouvant couvrir au maximum vingt ans.

2. Sont répertoriées dans un module spécifique toutes les options fiscales et réglementaires définies par les pouvoirs publics.

3. Le troisième module hiérarchise les différentes options en fonction de leurs rentabilités respectives pour toutes les options offertes aux propriétaires. Pour ce faire, il calcule après impôt et après paiement de la dette, la valeur actuelle nette de l'opération.

4. Le quatrième module permet de tester les régimes réglementaires ét udiés pour tel ou tel type d'immeuble en fonction des règles fiscales ap pliquées tant pour l'exploitation que pour la vente de l'immeuble.

5. Le cinquième module présente la situation locative de l'immeuble, elle-même déterminée par le régime en vigueur ou par les règles qui fixent le montant d'aide apporté aux locataires.

Les résultats sont obtenus par un mode itératif permettant de tester toutes les options possibles pour chaque immeuble.

Un cadrage macro-économique permet de chiffrer l'impact des mesures envisagées.

Ces résultats sont obtenus sur un horizon de vingt ans à partir de ``année 1990 permettant ainsi de suivre le cycle de vie de chaque immeuble.

3. Aperçu sur les limites du modèle

Le modèle ne prétend pas prendre en compte toutes les variétés de comportement des propriétaires, d'autant que ces comportements sont fortement influencés par les éléments conjoncturels. Par conséquent, l'hypothèse retenue est de considérer que les comportements actuels ne diffèrent pas dans le temps.

Le modèle suppose que les propriétaires ne se déterminent que par référence à la rentabilité ; or, des facteurs non financiers et pas nécessairement rationnels peuvent influencer la prise de décision. Par conséquent, il serait utile de déterminer par un mode probabiliste un éventail des options que le propriétaire est susceptible de choisir.

4. Quelles possibilités d'application en France ?

Le modèle américain suppose que le volume de l'investissement est une variable exogène. Il se contente de tester les conditions de gestion et de sortie des propriétaires en place. Il est clair que l'adaptation au contexte français d'un tel outil se devrait d'intégrer un module d'arbitrage de gestion de portefeuille permettant d'analyser l'investissement immobilier en concurrence avec l'ensemble des autres vecteurs de placement de l'épargne.

Afin de mener à bien ce projet, il serait également nécessaire de s'assurer de trois éléments :

- la disponibilité des données,

- la capacité à introduire l'analyse de portefeuille (arbitrage entre différentes formes d'investissement),

- la possibilité de tenir compte de la diversité géographique.

À contrario, la libéralisation des marchés, y compris dans le secteur du logement, va accroître la pertinence de modèles fondés sur la rationalité des comportements économiques.

Bien qu'étant, semble-t-il, un cas unique, l'existence de ce modèle démontre que les pouvoirs publics d'un pays peuvent être fondés, dès lors qu'ils pratiquent une politique active d'aide budgétaire et fiscale au logement, à chercher à anticiper les effets des différents scénarios qu'ils élaborent.

La France serait un terrain propice d'expérimentation. D'après l'OFI, l'élaboration d'un tel outil est possible, mais avec des moyens humains et matériels importants (qui ne sont pas estimés), le chemin à parcourir étant très long. Compte tenu du caractère constant de la politique du logement, l'investissement de départ serait probablement rentabilisé 98 ( * ) .

Une illustration théorique du problème de la répartition
entre effets-prix et effets-quantités :
la mesure des effets de la taxation du capital

À propos des effets de la fiscalité sur les comportements, votre groupe de travail a souhaité réfléchir de façon incidente (cela mériterait d'être approfondi) sur la répartition de la taxation assise sur la valeur des biens entre l'effet-prix et l'effet-quantité, répartition qui peut avoir une grande influence sur l'activité du marché.

Le problème posé, s'agissant de la taxation du capital, est celui de l'effet qu'elle aura sur le marché : se traduira-t-elle dans les prix des biens, ou aura-t-elle un effet sur les volumes de transaction ?

Le problème se pose en particulier avec les impôts qui frappent directement la valeur des biens au moment de la transaction, et notamment les droits de mutation à titre onéreux (DMTO).

On sait qu'il existe une relation entre la valeur des actifs et leur rendement, aux termes de laquelle les actifs de même nature (par exemple les obligations de durée et de signature identiques) ont le même rendement à un moment donné, parce qu'ils sont substituables entre eux, quel que soit le niveau de rémunération au moment de l'achat. Ainsi, lorsque les taux d'intérêt baissent, la valeur des obligations émises à un taux supérieur augmente et réciproquement.

Dans un monde où les actifs patrimoniaux sont pour une part substituables entre eux (on a vu à travers la fiscalité, que les différences de coûts et de rendements favorisaient les substitutions de statuts d'occupation ou de types d'actifs) ; le marché immobilier peut tendre à se comporter comme un autre marché de valeurs de rendement.

En conséquence, une variation de taxe influençant directement la valeur des biens telle que les droits de mutation à titre onéreux, peut ne pas se traduire par une variation des prix à due proportion. En effet, la baisse des droits augmente la rentabilité après impôt des biens en ayant bénéficié. Cette augmentation de rendement, par le jeu de l'ajustement précédemment observé, peut se traduire dans un second temps par une augmentation des prix. C'est pourquoi la variation des DMTO peut être absorbée par les prix.

À partir de ce constat, on peut comprendre que la baisse des droits de mutation n'entraîne pas nécessairement les augmentations espérées du volume des transactions dans une configuration donnée de marché. C'est, semble-t-il, ce qui se produit actuellement en France puisque les prix offerts ne paraissent pas baisser à due concurrence de la baisse des DMTO.

Cette réflexion théorique peut conduire à envisager le niveau français des DMTO selon une optique différente : non plus seulement comme un obstacle aux transactions, mais plutôt comme un obstacle au rendement de l'immobilier, et par conséquent à une incitation à l'arbitrage en faveur des autres placements.

Les droits restent trop élevés en France, mais il ne faut pas attendre de leur baisse une relance immédiate des transactions, contrairement à ce qu'on avait espéré à l'été 1995. Il faut en attendre un effet à plus long terme, de retour sur le marché des investisseurs ou des accédants.

* 96 C'est pourquoi la remarque lapidaire, figurant en note au bas de la page 22 du rapport du groupe de travail sur la réforme des prélèvements obligatoires" (31 mai 1996) et selon laquelle les réductions d'impôt sont inefficaces alors que les déductions du revenu imposable pourraient l'être, paraît manquer de fondements scientifiques.

* 97 Microsimulation modeling as a polity tool : application to housing and urban development (HUD) - insured multifamily rental housing". Volume 6, Issue I, 1995.

* 98 Pour mener à bien cette tâche, il conviendrait, outre d'approfondir les rares expériences étrangères identifiées, de mettre en place une équipe projet réunissant fiscalistes, économètres et experts du secteur à même de réaliser un tel outil.

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