B. DES MESURES PARFOIS DIVERGENTES DANS LEURS OBJECTIFS ET POUVANT ÊTRE CONTRADICTOIRES

Ces différentes mesures peuvent être contradictoires entre elles. Si à de rares exceptions près les 52 mesures visant le logement lui ont été favorables, il n'en a pas toujours été de même des mesures ayant un autre but mais dont le logement pouvait constituer une partie de l'assiette. Ainsi, la fiscalité locale s'est globalement aggravée, de même que la TVA et l'impôt de solidarité sur la fortune.

On peut donner quatre exemples concrets de ces contradictions :


• Le plan de relance de mars 1993 comportait neuf mesures législatives favorables aux propriétaires-occupants et propriétaires-bailleurs. Pourtant, alors même qu'était réaffirmée la nécessité de réduire les droits de mutation à titre onéreux, le processus, engagé en 1992, de réduction échelonné du plafond des droits départementaux était retardé d'un an, à un moment où les transactions s'effondraient.


• Le collectif de l'été 1995 comportait pas moins de six mesures faisant partie d'un nouveau plan de relance du logement ; dont une réduction transitoire de 35 % des parts régionale et départementale des droits de mutation à titre onéreux. Mais ce collectif était accompagné d'un relèvement de deux points du taux normal de la TVA, dont l'effet sur le logement neuf ne pouvait pas être considéré comme négligeable 7 ( * ) .


• La loi de finances pour 1996 a sensiblement réduit le montant plafond de cotisation d'impôt sur le revenu permettant de bénéficier du plafonnement de la taxe d'habitation.


• Dans la période récente (premier collectif pour 1995, loi de finances pour 1996), l'impôt de solidarité sur la fortune, dont l'assiette est largement constituée de logements 8 ( * ) , a été relevé de 10% dans un premier temps, puis a perdu le bénéfice du double plafonnement par rapport au revenu.

C. DES MESURES QU'UN EFFORT D'ÉVALUATION AURAIT PERMIS D'APPRÉCIER AVEC DAVANTAGE DE JUSTESSE

Un effort d'évaluation objectif, faisant l'objet d'un consensus entre le Gouvernement et le Parlement, avant tout soucieux d'efficacité, aurait probablement permis d'éviter certaines erreurs dans ce foisonnement de mesures. On peut en prendre trois exemples particulièrement significatifs : les exonérations de revenus fonciers des logements vacants remis en location ; le délai de report d'imputation des déficits fonciers ; l'exonération des plus-values de cessions des OPCVM de capitalisation investis en titres de taux en cas de remploi dans le logement.

Ces trois exemples illustrent la précipitation et souvent le manque de cohérence qui caractérisent l'élaboration de la loi fiscale.

1. Les régimes d'exonération des revenus fonciers des logements vacants remis en location 9 ( * )

Il existe deux régimes d'incitation à la remise en location d'un logement vacant : le premier figure à l'article 15 ter du code général des impôts, le second à l'article 15 quater. Ces deux régimes consistent en une exonération de deux ans du revenu foncier des logements vacants remis en location, à certaines conditions.

Le premier régime était exclusivement destiné au monde rural et avait été créé par la loi de finances rectificative pour 1991 (article 16). Le second, plus avantageux, était une généralisation du premier par la loi de finances pour 1993 (article 91).

Les articles 15 ter et 15 quater du code général des impôts

L'avantage fiscal procuré par les articles 15 ter et 15 quater est le même : une exonération de deux ans du revenu foncier procuré par les logements vacants remis en location. Ils ne diffèrent que par leurs conditions d'application.


• Le dispositif de l'article 15 ter du code général des impôts exonère les revenus fonciers produits par les deux premières années d'un logement vacant, sous réserve du respect des six conditions principales suivantes :

- le logement doit être situé dans une commune de moins de 5.000 habitants ;

- la vacance doit avoir duré deux ans à la date d'entrée en vigueur du dispositif ;

- l'engagement de location, à titre de résidence principale, doit être souscrit pour neuf ans ;

- le loyer est plafonné ;

- les ressources du locataire sont plafonnées ;

- la location devait prendre effet avant le 1er juillet 1992 dans le dispositif initial.


• L'article 15 quater du code général des impôts constitue une généralisation de l'article 15 ter, avec des conditions fortement assouplies par rapport à ce dernier, et donc un avantage fiscal sensiblement supérieur.

En effet, l'article 15 quater modifie favorablement les six conditions ci-dessus énumérées pour l'article 15 ter :

- la condition de taille de la commune disparaît ;

- la vacance ne doit être que d'un an ;

- l'engagement de location, toujours à titre de résidence principale, ne doit être que de six ans ;

- le loyer n'est pas plafonné ;

- les ressources du locataire ne sont pas plafonnées ;

- la location devait prendre effet avant le 31 décembre 1993 dans le dispositif initial.

Il n'y a rien que de très habituel à cette juxtaposition : il n'est pas rare qu'au fil des lois de finances, un régime d'incitation fiscale initialement restrictif soit amélioré de manière à le rendre plus efficace. Il s'agit même d'un cas très fréquent, qui d'ailleurs illustre bien qu'un outil d'évaluation préalable permettait peut-être d'éviter ces modifications rapides en "calant" durablement les régimes fiscaux.

Plus étrange en revanche est le maintien en vigueur, de façon concurrente, de ces deux régimes, dont l'un est intégralement plus favorable que l'autre.

En effet, tandis que le projet de loi de finances pour 1995 proposait de prolonger les effets de l'article 15 quater jusqu'au 31 décembre 1995, le projet de loi d'orientation pour le développement et l'aménagement du territoire proposait la prolongation du régime de l'article 15 ter jusqu'au 1er juillet 1996. Ces deux mesures ont été votées, pratiquement simultanément.

Cette décision n'était motivée que par un effet d'affichage : l'article 15 ter étant exclusivement destiné au monde rural, sa réactivation prenait l'apparence d'une mesure en sa faveur. Mais le régime destiné aux communes de moins de 5.000 habitants est en fait moins favorable que le régime général, et risque d'égarer les contribuables.

Il devrait être prochainement mis fin à cette anomalie : les effets de l'article 15 ter expirent le 1er juillet 1996, et l'article 15 quater a été prorogé jusqu'au 31 décembre 1996 par la loi de finances pour 1996.

2. Le délai de report d'imputation du déficit foncier sur le revenu foncier des années postérieures

L'histoire récente du délai de report d'imputation du déficit foncier est également un bon exemple de ce qui pourrait être évité par une évaluation sereine des dispositifs fiscaux.

Le droit relatif aux déficits fonciers figure à l'article 156 du code général des impôts (1-3°).

La loi de finances rectificative du printemps 1993 a rétabli, à compter du 1er janvier 1993, l'imputation du déficit foncier sur le revenu global, interdite depuis la loi de finances initiale pour 1977. Ce rétablissement n'était que partiel, puisque le régime antérieur à 1977 permettait une imputation sans limitation, alors que le collectif de 1993 avait fixé un plafond de 50.000 francs, porté à 70.000 francs par la loi de finances pour 1995 (article 63).

Outre le relèvement du plafond, l'article 63 de la loi de finances pour 1995 avait homogénéisé le délai de report des déficits fonciers sur les revenus fonciers ultérieurs, en alignant celui des propriétés rurales (alors de 9 ans) sur celui des propriétés urbaines (5 ans).

Cette mesure était justifiée par l'intérêt relativement faible que revêtait un report de neuf ans, dès lors que le plafond d'imputation sur le revenu global (annuel) était relevé de 50.000 à 70.000 francs.

En effet, si la durée du délai de report pouvait avoir une grande importance lorsque les déficits fonciers n'étaient imputables que sur les revenus fonciers, elle devenait très secondaire dès lors que les déficits fonciers sont imputables sur le revenu global.

Seulement 8 % des contribuables qui déclarent un déficit foncier excèdent les 70.000 francs. Certes, cette poignée de contribuables déclare à elle seule 55 % de la masse des déficits fonciers 10 ( * ) , mais en définitive, le reliquat de déficits fonciers non imputés après cinq ans est très faible 11 ( * ) .

Mais paradoxalement, l'administration fiscale a appliqué un régime transitoire strictement inverse de celui voté en loi de finances. Par une instruction du 8 mars 1995, la direction générale des impôts décidait d'autoriser un report de neuf ans pour les déficits tant urbains que ruraux pour les années 1993 et 1994. Cette mesure de tempérament était justifiée par une difficulté à faire la distinction dans les revenus des propriétaires entre les deux types de déficit, dès lors que depuis 1993, ils peuvent être imputés en bloc sur le revenu global.

Selon cette instruction, le report devait être ramené à cinq ans pour les déficits constatés en 1995, conformément à la loi.

L'article 31 de la loi portant DDOEF de 1996 a tranché la difficulté : il a homogénéisé le délai de report entre les propriétés urbaines et rurales à un niveau plus favorable que celui qui prévalait pour les propriétés rurales avant 1995, soit dix ans. Il n'est plus nécessaire désormais de distinguer les deux catégories de revenu foncier pour ce report.

On peut observer que cette mesure s'applique aux déficits encore reportables après le 31 décembre 1995, c'est-à-dire ceux constatés depuis 1991. De la sorte, jamais le délai de cinq ans ne s'appliquera pour les propriétés rurales et, concrètement, tous les déficits fonciers imputables sur le revenu global à partir de l'imposition des revenus de 1993 bénéficient de la mesure.

Si une évaluation préalable du dispositif de l'article 63 de la loi de finances pour 1995 avait été menée, elle aurait permis d'éviter l'erreur commise sur le délai de report. Elle aurait aussi permis d'accepter les amendements de nos collègues, qui proposaient à l'époque de ne pas réduire le délai pour les propriétés rurales. Avec le recul, les motifs de ce refus paraissent bien fragiles.

3. L'exonération des plus-values de cession d'OPCVM de capitalisation investis en titres de taux en cas de réinvestissement dans le logement

L'histoire de l'exonération des plus-values de cession d'OPCVM de trésorerie ne contient pas d'erreurs, contrairement aux deux mesures précédentes. Mais elle constitue un bon exemple de la discontinuité, et même de la nature chaotique, de la loi fiscale : elle a fait l'objet de quatre dispositions législatives en moins de trois ans.

Cette mesure d'incitation, conçue pour avoir des vertus de relance rapide a pourtant été fréquemment reconduite, mais avec des ruptures. Malgré sa complexité d'utilisation pour le contribuable, son champ d'application s'est modifié dans un temps assez bref. Et, en définitive, on ne sait pas vraiment si elle sert à quelque chose.

Apparu dans la loi de finances pour 1994, ce dispositif, qui devait durer neuf mois, était destiné à faciliter la relance du marché du logement tout en favorisant le dégonflement des encours de Sicav de trésorerie, dont les taux d'intérêt étaient très élevés. Il consistait à exonérer d'impôt les plus-values de cessions des OPCVM de capitalisation investis en titres de taux, dès lors que ces cessions servaient à financer un investissement en logement.

Bien que la logique des mesures d'incitation réside partiellement dans leur courte durée, afin d'accélérer les décisions d'investissement, ce dispositif a été reconduit pour trois mois par la loi portant DDOEF de 1994 (jusqu'au 31 décembre 1994), puis une nouvelle fois pour six mois (jusqu'au 30 juin 1995) par la loi de finances pour 1995.

Ces décisions de prolongation ne se sont pas fondées sur la pertinence de la mesure. Bien que le contribuable doive formuler une demande expresse pour en bénéficier, ce qui aurait dû permettre d'établir une base statistique, les services fiscaux ne disposent pas des moyens de la constituer et de l'exploiter. De sorte qu'au 30 juin 1995, nul n'était capable de dire quelle avait été la contribution de cette mesure à la relance du marché du logement.

Le collectif de l'été 1995 ne l'avait pas reconduite, ce que votre commission n'avait d'ailleurs pas proposé. Outre que l'efficacité de la mesure n'avait pu être établie, le contexte avait changé : les taux d'intérêt à court terme étaient fortement décroissants et les OPCVM de trésorerie ne représentaient plus une même entrave au financement de l'économie qu'en 1993. De plus, l'effort financier en faveur du logement étant important, il ne paraissait pas raisonnable de l'accroître.

Pourtant, à la surprise des parlementaires qui avaient, en d'autres occasions, demandé la prolongation de la mesure au-delà du 30 juin 1995, le Gouvernement a proposé de la réactiver dans la loi portant DDOEF de 1996, en modifiant son champ d'application (extension aux grosses réparations et aux travaux de reconstruction ou d'agrandissement) et en supprimant le plafonnement à 600.000 francs pour une personne seule (1.200.000 francs pour un couple) qui prévalait auparavant. Une rupture de six mois est donc intervenue dans l'application de cette mesure.

Que peuvent penser les contribuables d'une telle évolution ? Que les mesures à durée limitée ont vocation à être reconduite ? Qu'il faut faire attention aux interruptions et attendre les reprises ? Comment peuvent-ils agir en connaissance de cause ? Ne risquent-ils pas de se tromper du fait de ces variations de durée, de champ d'application, de conditions ?

Alors même que l'efficacité intrinsèque de la mesure ne peut être établie dans des conditions normales d'application ; ce cheminement chaotique ne peut que lui nuire.

Une évaluation préalable aurait permis de conférer à la mesure les conditions, le champ d'application et la durée adéquats. Sa reconduction ou sa non-reconduction aurait été fondée sur des motifs rationnels, évitant les ruptures.

D'autres dispositifs ont connu ce même type d'évolution l'exonération du revenu foncier pour mise en location d'un logement vacant, l'exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit pour achat d'un logement neuf et, sur une plus longue période, la réduction d'impôt portant sur les intérêts d'emprunt pour acquisition de la résidence principale, ou le taux de la déduction forfaitaire sur le revenu foncier. Ce dernier dispositif, qui aurait dû être la stabilité même pour fonctionner convenablement, à connu une histoire propre à décourager n'importe quel propriétaire-bailleur 12 ( * ) .

* 7 Ce relèvement augmente de 16 000 francs le coût d'une habitation neuve de 800 000 francs.

* 8 44 % de l'assiette est composée d'immobilier, dont 15 % pour la résidence principale.

* 9 Voir le 1er encadré, mesures n° s 29, 30 et 43

* 10 Source : SLF 199-1.

* 11 3 % des déficits d'après l'Observatoire foncier et immobilier du crédit foncier de France (voir Infra - Chapitre II - B - 4)

* 12 Ce taux est passé de 30 % avant 1967 à 25 % en 1967, 20 % en 1978, 15 % en 1981, 10 % en 1989. 8 % en 1990, 10 % en 1993 puis 13 % en 1995

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