XIII. SÉANCE DU MARDI 7 JANVIER 1997

A. AUDITION DE M. PIERRE LOUISOT, PRÉSIDENT DU CONSEIL D'ADMINISTRATION DU CENTRE NATIONAL D'ÉTUDES ET DE RECOMMANDATIONS SUR LA NUTRITION ET L'ALIMENTATION (CNERNA)

M. Charles DESCOURS, président - Monsieur, j'aimerais que vous redéfinissiez le CNERNA, vos fonctions à l'Université de Lyon et que vous nous disiez ce que vous pensez de la nutrition et de l'alimentation, sujets aujourd'hui à la mode.

M. Pierre LOUISOT - Je suis professeur de biochimie, biologie moléculaire à la faculté de médecine de Lyon I. Je dirige une unité de recherche de l'INSERM à Lyon, centrée sur le métabolisme intermédiaire.

Je suis chef du service biochimie de l'hôpital de cardiologie de Lyon. Je suis également président de la section Alimentation et Nutrition du Conseil supérieur d'hygiène publique de France. Je préside le Conseil national du cancer.

Je suis depuis quelques mois président du conseil d'administration de l'INSERM et président du conseil d'administration du CNERNA.

Je préside l'Institut français pour la Nutrition. Ce n'est pas un organisme d'Etat mais c'est un interface entre les milieux industriels agro-alimentaires et le milieu scientifique. C'est un outil très précieux. J'ai succédé à M. Pierre Boyer que vous connaissez. C'est un des rares endroits où l'interface est organisée.

En matière de nutrition et d'alimentation, il y a un problème majeur, celui des allégations de santé. Nous nous trouvons devant une situation ambiguë et nous allons avoir des problèmes à moyen terme.

Il y a deux catégories d'allégations de santé :

- les allégations sérieuses et fondées : très rares ;

- les allégations peu sérieuses et peu fondées qui sont relativement fréquentes et diffusées par tous les moyens des médias.

Actuellement, je pense que le consommateur est trompé régulièrement par des informations médiatisées sans aucun fondement, qui viennent le plus souvent d'entreprises dont la déontologie n'est pas le point fort.

N'importe qui revendique n'importe quoi à propos de n'importe quel produit sans être le moins du monde inquiété sauf par la DGCCRF qui passe beaucoup de temps à courir après ces petites sociétés qui inventent des allégations de toute sorte. C'est insaisissable. Cela envahit le marché. Ces gens ne se contentent pas d'envahir le marché, ils ont des revendications précises sans justification scientifique, et n'ont pas envie d'en avoir.

Le deuxième problème, c'est celui des grandes sociétés qui voudraient revendiquer sur le plan scientifique et qui sont prêtes à y mettre le prix, à condition qu'on leur donne le droit de revendiquer de manière substantielle.

Il y a déjà eu des petits problèmes. Ces sociétés sont très surveillées, sont à même de fournir les preuves scientifiques de ce qu'elles avancent, bien que cela soit difficile et coûteux, à condition qu'on leur accorde des revendications fortes.

La situation de ces entreprises et de la science nutritionnelle en France est délicate, car s'il n'y a pas de recherche nutritionnelle financée par les entreprises, l'Etat ne parviendra pas à satisfaire à la demande.

Nous avions créé les centres de recherche en nutrition, il y a quelques années : l'idée était de créer des équipements lourds groupant dans un même ensemble des lits hospitaliers pour des malades et des sujets sains pour les observer sous l'angle métabolique avec des méthodes non invasives. C'est-à-dire la RMN, les isotopes stables... des moyens permettant d'appliquer à l'homme la physiologie traditionnelle connue chez l'animal.

Ce sont des méthodes sécurisantes, j'y reviendrai.

Les entreprises qui, en coordination avec les services publics de recherche, sont capables de financer de telles opérations, sont rares mais aptes à le faire.

Il y a des débats dans les instances internationales sur ce sujet ; ils ne sont pas très clairs car ces débats sont dominés par la FAO, l'OMC, c'est-à-dire des structures dépendantes de l'ONU.

Or, sur les 184 pays appartenant au Codex alimentarus , plus de 100 ne nourrissent pas leurs habitants sur les 80 restants, moins de 5 sont capables ;de faire de la recherche nutritionnelle de haut niveau.

Par conséquent, on comprend très bien que ce problème ne soit pas une des préoccupations fondamentales au niveau international.

Actuellement, je sens des difficultés au niveau des industriels et la France, comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon... sont hésitants. C'est l'avenir de la recherche nutritionnelle qui est en cause.

Des maisons comme Nestlé, ont un budget annuel identique à celui de l'INSERM, soit 2,5 milliards de francs. Elles veulent présenter sur le marché des produits de qualité, vérifiés, structurés, car elles jouent leur réputation.

Nos trois centres de recherche en nutrition humaine en France sont l'image du centre de Lausanne mais a minima . L'idée est la même.

Les allégations conditionnent en grande partie l'avenir de la recherche nutritionnelle en France. On peut distinguer trois niveaux : par exemple, si je prends le calcium :

- le niveau analytique : vous revendiquez qu'il y a du calcium dans le fromage, c'est un problème analytique et non une revendication ;

- vous revendiquez en deuxième étape que ce calcium est bon pour la croissance osseuse. Déjà vous vous engagez vers une procédure qui est celle de la reconnaissance d'une activité physiologique traditionnelle ;

- " le calcium protège contre l'ostéoporose " c'est déjà un engagement médical.

Actuellement, tout le monde est d'accord pour laisser tout dire lorsqu'il s'agit du premier niveau ; sur l'aspect physiologique, c'est déjà plus délicat, quant à l'aspect maladie, personne n'est d'accord pour le faire.

Il y a des positions nationales et internationales qui vont devoir être prises. Nous sommes dans une situation inégale avec d'un côté des petites sociétés qui disent n'importe quoi et de l'autre des grandes sociétés qui se sentent brimées à l'heure actuelle parce qu'elles ne peuvent pas s'exprimer.

Nous avons eu un premier exemple, au Conseil supérieur d'hygiène publique, celui des fructo-ligo-saccharides qui sont des préparations ligo-saccharides, extraites par les sucriers qui revendiquaient une première allégation : avoir un effet bifidogène. Cela veut dire, par les méthodes traditionnelles du contrôle microbiologique, donner un certain nombre de ces substances fructo-ligo-saccharidiques à un volontaire sain, pendant tant de jours, à raison de tant par jour, et constater si oui ou non le nombre de ces bacilles bifides augmentent. Cela a été vérifié par des méthodes incontestables. Mais est-ce que cela a un intérêt médical ? Je n'en sais strictement rien du tout et eux non plus. J'ai proposé à la section qu'on leur accorde l'effet bifidogène. Si on n'avait pas donné à Beghin-Say un premier label de reconnaissance d'un effet scientifiquement prouvé, le directeur scientifique était prêt à continuer mais pas le directeur financier. Vous voyez la difficulté.

M. Charles DESCOURS, Président - Pouvez-vous nous parler davantage des pathologies et de la nutrition ?

M. Claude HURIET, rapporteur - Notre demande concerne davantage la sécurité des produits.

M. Pierre LOUISOT - La sécurité des produits est influencée par la notion de liste positive ; c'est-à-dire que tout ce qui n'est pas explicitement autorisé est interdit ; c'est la loi. Si vous voulez mettre un additif, un exhausteur d'arôme... ou bien il figure sur une liste acceptée soit par l'Etat français, soit par la CEE ; si telle n'est pas la situation vous déposez devant le Conseil supérieur d'hygiène publique de France un dossier d'habilitation. Ce n'est pas un dossier d'AMM, mais c'est la même idée, il doit développer un argumentaire sécuritaire (toxicologie, mutagenèse, cancérogenèse). Le Conseil donne un avis consultatif positif ou négatif, la décision revenant à la DGCCRF qui suit à 100 % l'avis de la section du Conseil supérieur d'hygiène publique.

Ces dossiers concernent des additifs, des nouvelles méthodes de préparation (ex. : préparation d'enzymes), les produits qui sont fabriqués par les organismes génétiquement modifiés. Nous voyons systématiquement les dossiers lorsqu'il y a une incidence éventuelle sur la nutrition. C'est assez fréquent actuellement.

M. Charles DESCOURS, Président - Qu'en est-il du maïs transgénique ? Je crois que la Communauté européenne a pris une décision récemment.

M. Pierre LOUISOT - Oui, une autorisation d'importation pour les produits issus du génie génétique. Il y a une commission du génie biomoléculaire avec laquelle nous travaillons et on nous fait passer les dossiers dès qu'il y a risque de modification de la consubtantialité. Cela n'alourdit pas le dispositif mais cela conduit des gens à examiner un dossier sécurité en vision de nutritionniste et non seulement de généticien. Je crois que la méthodologie est positive.

La section " nutrition-alimentation " du conseil se réunit tous les mois et a systématiquement une quinzaine de dossiers à examiner.

M. Charles DESCOURS, président - Vous pensez que les procédures en place sont satisfaisantes ?

M. Pierre LOUISOT - Oui, la manière de faire est bonne. Ce que l'on peut discuter -mais ce n'est peut-être pas à moi à dire cela- c'est la structure proprement dite. La section alimentation-nutrition du Conseil supérieur est un des éléments fondamentaux du système ; il y a une autre commission, la CEDAP pour les aliments particuliers, qui travaille en étroite collaboration avec le conseil. On peut s'économiser des structures.

Je serais tout à fait favorable à la création d'une Agence de l'alimentation ou de l'aliment comme il y a une Agence du médicament.

M. Charles DESCOURS, président - Vous travaillez avec le réseau national de santé publique ?

M. Pierre LOUISOT - Oui, parce que c'est lui qui fait la lettre d'autorisation. Le Conseil supérieur d'hygiène publique a trois tutelles : les finances, l'agriculture et la santé. Le secrétariat est assuré par la Direction générale de la santé. Il y a dans le conseil des représentants des trois ministères et l'arbitrage se fait assez facilement, je dois dire.

Il y a une petite compétition entre les trois ministères sur la tutelle de la commission destinée à l'alimentation particulière, plutôt sous la coupe du ministère des finances. Il y a des différences d'appréciation dans les dossiers parfois.

M. Charles DESCOURS, président - Il nous a semblé qu'il y avait presque une ignorance du travail du voisin...

M. Pierre LOUISOT - ... dans le cadre de la sécurité alimentaire ce n'est pas le cas, je dois le dire très honnêtement, car toutes les décisions importantes sont prises à la section alimentation-nutrition du Conseil.

Il y a aussi le bureau de la vérification publicitaire qui est impliqué dans la publicité agro-alimentaire et donc dans les allégations santé dont je vous parlais tout à l'heure.

Si le président du BVP, celui de la CEDAP et celui du Conseil supérieur de l'hygiène publique étaient des ennemis notoires qui voulaient se nuire, ce serait la guerre à longueur de journée.

Cela dit, politiquement, je pense que c'est quand même un problème. Je ne crois pas à la bonne marche des structures qui repose uniquement sur la bonne volonté des hommes.

Il vaudrait mieux mettre en place une structure unitaire avec une administration cohérente et solide de nature pluri-ministérielle. Mais ce système à trois volets me paraît porteur de difficultés. Je pense à une Agence de l'alimentation humaine car l'alimentation animale a des problèmes spécifiques quoique...

M. Charles DESCOURS, président - Dans le dossier de la vache folle, il y a un problème d'alimentation animale.

M. Pierre LOUISOT - Tout à fait, et nous aurons peut-être des problèmes avec les antibiotiques donnés aux animaux. Je pense qu'il y a une mission sur le sujet. Quand on donne des antibiotiques dont on retrouve des traces dans la viande, tout cela pour faire grossir l'animal, il y a une certaine dérive. On pourrait effectivement prendre l'alimentation animale mais je ne sais pas comment le prendrait le ministère de l'agriculture.

La force de ce système, c'est que nous sommes tous consultatifs. La décision appartient aux politiques. Encore une fois je sens qu'il y a un risque à faire fonctionner ensemble des structures qui ne se justifient pas sur le fond.

M. Claude HURIET, rapporteur - Les trois organismes dont vous parlez ont les mêmes tutelles ?

M. Pierre LOUISOT - Les mêmes tutelles, oui. Le visa PP est plutôt centré sur le ministère de la santé.

Je vous donne un exemple de son rôle. Nestlé a eu des ennuis avec le LC1, yaourt défendant l'immunité ; l'entreprise a fait une publicité consistant à dire : " cette variété de yaourt renforce les défenses de l'organisme ". Dans certaines publicités avancées, ils avaient ajouté " immunitaires " ; quand vous dites que vous renforcez les défenses de l'organisme, cela veut dire quoi ? Que vous vous musclez ?...

M. Charles DESCOURS, président - C'est la même chose pour le yaourt Bio ? Une charmante jeune femme nous explique que son transit intestinal va bien...

M. Pierre LOUISOT - ... personne ne l'a prouvé. Cela fait partie des revendications nutritionnelles que l'on avance comme cela, parce que c'est sympathique.

M. Charles DESCOURS, président - Et c'est autorisé ?

M. Pierre LOUISOT - C'est autorisé par le visa PP, le problème est de savoir où l'on s'arrête.

M. Claude HURIET, rapporteur - Mon collègue de Nancy, Gérard Debry, m'a fait passer un rapport adopté par l'Académie de médecine, sur ce genre de problèmes des produits diététiques. Il était très offensif, mais il s'est retrouvé isolé.

M. Pierre LOUISOT - Tout à fait. Je le connais bien et je partage totalement son analyse. Le problème est de savoir où on s'arrête.

Les textes actuels ne sont pas très clairs. Toute revendication publicitaire passe devant le visa PP.

M. Charles DESCOURS, président - Et les produits et méthodes présentés comme bénéfiques pour la santé, c'est dans cette catégorie là ?

M. Pierre LOUISOT - Non, les produits ne passent devant personne. D'ailleurs, le LC1 quand Nestlé l'a lancé, n'était passé devant personne. C'est parce que la campagne de publicité avançait un renforcement des défenses immunitaires de l'organisme que M. Babusiaux l'a fait passer devant le visa PP.

M. Claude HURIET, rapporteur - Que dit l'Europe là-dessus ?

M. Pierre LOUISOT - Elle ne dit rien. Il y a un " joyeux " désordre actuellement en Europe et nous en sommes partiellement victimes.

La législation européenne est très souple dans ce domaine : dès qu'un produit est accepté par un pays de la CEE, il a le droit de se vendre sans aucune difficulté à tous les autres pays, sauf si le pays qui n'en veut pas, apporte la preuve de la toxicité.

Actuellement, nous avons un problème avec le Ferovital des belges. C'est une boisson contenant de l'acide ascorbique avec un sel de fer. Or, tous les chimistes savent que pour générer des radicaux libres, il y a très peu de systèmes qui fonctionnent in vitro, sauf celui-là. Au moment où on accuse les radicaux libres d'être à l'origine du cancer, et de nombreuses maladies de vieillissement, on ne peut pas laisser circuler librement ce produit dans la population française.

La Belgique ayant autorisé cette boisson, le fabricant a diffusé partout en Europe et a trouvé que le Conseil supérieur d'hygiène publique était sévère. Nous sommes en procès devant la Cour de justice européenne sur le produit Ferovital.

On va avoir les mêmes problèmes avec les Premix. Ce sont des produits excitants que l'on met sur le marché avec là un souci de tromperie. C'est vrai que pour la Hollande " Narco-Etat ", 50 mg de caféïne en plus ce n'est pas un problème. Mais en France nous avons fait la preuve de leur dangerosité. C'est un gros dossier scientifique pour les rapporteurs, dans le même esprit que l'AMM. Je trouve que c'est scandaleux car c'est inciter les jeunes à boire.

M. Claude HURIET, rapporteur - Les experts auxquels vous faites appel qui sont-ils ?

Je cherche ce qu'il peut y avoir comme rapprochement fonctionnel en terme de méthodologie. Je pars de l'idée d'un Institut national de sécurité sanitaire des produits thérapeutiques. Derrière cet habillage, il y a les agences telles qu'elles existent, et des agences telles qu'elles n'existent pas.

Si on veut éviter que cela soit seulement une juxtaposition, il faut trouver la valeur ajoutée, la fertilisation croisée.

Si les experts et les méthodes auxquels vous avez recours sont proches de ceux de l'Agence française du médicament, l'Agence française du sang, ... cela nous donne des éléments concrets.

Quels sont les experts, leurs moyens, les structures auxquelles ils appartiennent ?

M. Pierre LOUISOT - Ces experts viennent du corps hospitalo-universitaire, des facultés de médecine, pharmacie, sciences, de l'INSERM, du CNRS et de l'INRA. Vu du côté des industriels de l'agro-alimentaire, ils perçoivent très mal d'être assimilés aux médicaments.

M. Charles DESCOURS, président - En effet, ils ne veulent pas que la Santé s'en mêle.

M. Pierre LOUISOT - Leur peur la plus terrible c'est effectivement le ministère de la santé.

M. Charles DESCOURS, président - Sont-ils conscients qu'il y a un lien entre la santé et l'alimentation ?

M. Pierre LOUISOT - Ils voudraient bien qu'il y ait un lien évident, et c'est pour cela qu'ils s'intéressent tant aux allégations santé. Mais ils ne sont pas sûrs que cela soit porteur si on les assimile aux médicaments.

M. Charles DESCOURS, président - Je ne pense pas qu'au côté positif.

M. Pierre LOUISOT - Ils ne veulent pas être assimilés aux médicaments. Certains vous disent que trois instances c'est bien parce que ça permet de naviguer (Conseil national d'hygiène publique, la CEDAP, le visa PP).

M. Charles DESCOURS, président - Le Conseil national s'occupe-t-il aussi des cosmétiques ?

M. Pierre LOUISOT - Quand ils sont en rapport avec la peau, mais pratiquement pas. En tout cas, pas à la section alimentation, sauf en cas de toxicité.

M. Claude HURIET, rapporteur - En cas de problème, comment cela se passe-t-il ? Etes-vous saisi ?

M. Pierre LOUISOT - Nous sommes saisis et nous remettons régulièrement des avis, des voeux sur tel ou tel problème sur demande ou de notre propre initiative. Cela représente environ 1/3 de l'activité du Conseil. Parfois, c'est l'administration qui nous sollicite : par exemple, lorsqu'il s'est agi d'éliminer un certain nombre de produits dans la crise de la vache folle.

On nous soumet tous les décrets et arrêtés en matière d'alimentation.

M. Charles DESCOURS, président - Sur la vache folle, on nous a dit qu'il ne fallait pas croire que seul M. Dormont (CEA) travaillait sur la vache folle.

M. Pierre LOUISOT - C'est le contraire : le seul endroit où l'on s'est occupé de la vache folle, c'est dans le service des armées, chez Dormont.

M. Charles DESCOURS, président - Pourquoi les grands organismes comme l'INSERM, le CNRS ne se saisissent pas ? Ce qui nous inquiète, c'est de comprendre quelle est l'étincelle qui a manqué pour qu'on se saisisse officiellement de ce problème et savoir s'il y a un risque ou non de transmission chez l'homme.

M. Pierre LOUISOT - L'épidémie de la vache folle est, je pense, venue comme l'épidémie du Sida, comme un phénomène dominé plutôt par les médias que par la science.

Quand l'épizootie est née en Angleterre, il y a eu un mauvais raisonnement. La tremblante du mouton reconnue depuis le XVIIème siècle n'a jamais contaminé, à ce qu'on sache, le moindre humain. Par conséquent, l'ESB ne devait pas ouvrir non plus cette possibilité.

Ce ne sont pas les scientifiques qui ont été saisis dans cette affaire : interrogés il y a cinq ans, l'INSERM, le CNRS, n'auraient pas pu répondre sur ce sujet. Les rapports de prospectives de ces organismes sont très nets.

La panique n'est venue que d'un article de mauvaise qualité du " Lancet " dont la conclusion malheureuse a été de dire, on ne sait rien, donc la seule chance possible et évocatrice, c'est que cela soit venu du boeuf. Ce qui est d'une légèreté incroyable parce que l'on ne sait toujours rien.

La seule encéphalopathie connue c'était le Kourov, dans une tribu de Nouvelle-Guinée, aux moeurs anthropophagiques. En supprimant le cannibalisme rituel, on a supprimé la maladie.

En matière de vache folle, je pense qu'aucun scientifique raisonnable ne peut dire quelque chose de raisonnable. Nous sommes peut-être à la veille d'une catastrophe avec une multiplication majeure des cas de Creutzfeld-Jakob ; comme ce sont des maladies extrêmement longues ; on n'en sait rien.

La virologie depuis 20 ans a été négligée : la grippe, on n'y connaît rien, la polio a été réglée, l'hépatite A était embêtante mais ne traumatisait pas les foules, l'herpès n'est pas un problème majeur, la variole, il y a la vaccination.

Il a fallu l'épidémie de Sida, qui heureusement n'est pas contagieux, pour déceler un problème en virologie.

L'épidémie de vache folle est née d'un mauvais papier, au mauvais moment, qui a réveillé d'un coup dix ans de non inquiétude.

Je doute de la grande qualité de la recherche anglaise. Les anglais ont laissé couver ce problème. Les agriculteurs prétendent que s'il n'y a pas de problème, il ne faut pas s'exciter en ce moment. Mais c'est un pari que l'on fait sur l'avenir.

Les prions ne correspondent pas à ce qu'on enseigne à la faculté de médecine et de sciences depuis des années.

Ce que je crains c'est que nous n'ayons pas de vraies informations de si tôt, en particulier dans les modes de transmission traditionnels. En effet, si on démontre que l'on peut transmettre la maladie par une injection intracérébrale du prion chez le primate, cela n'a pas d'intérêt, nous ne consommons pas le beefsteack par le cerveau. Tout ce que les scientifiques doivent faire de préférence en ce moment, c'est se taire et travailler.

Sur la vache folle, mon sentiment actuel c'est une grande inquiétude face à une évolution des choses qui nous échappe totalement : ou on va vers une multiplication fondamentale des cas de maladie en Europe dans l'avenir, ou ça va se finir dans l'absurdité la plus totale.

M. Claude HURIET, rapporteur - Comme on ne sait pas, a-t-on eu raison de prendre toutes ces mesures drastiques d'abattage... ?

M. Pierre LOUISOT - Si on avait pris ces mesures un peu plus tôt, surtout en Angleterre où il existait des fermes regroupant les bêtes malades et où les agriculteurs ont mis sur le marché des bêtes malades en toute connaissance de cause, il y aurait moins de problèmes.

On voit comment un problème mal structuré sur le plan scientifique, considéré d'abord comme inexistant, s'est révélé tout d'un coup porteur d'un effet de masse à l'issue d'un simple papier du " Lancet ".

On a eu de la chance avec la maladie de la vache folle et des équarrissages. Depuis trente ans, c'est payé sur le cinquième quartier, avec la vente des farines... Si on n'avait pas financé par des moyens locaux ou régionaux l'équarrissage, on allait courir le risque de l'enfouissement sauvage avec des risques de résurgence du charbon, de salmonellose qui avaient disparu grâce à l'équarrissage. Heureusement, le monde politique a sagement reconnu nécessaires les règles du jeu de l'équarrissage. Il faut se méfier des effets pervers.

M. Charles DESCOURS, président - Merci beaucoup.

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