EXAMEN DU RAPPORT

La Délégation a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du mercredi 26 mars 1997.

Mme Danièle Pourtaud a tout d'abord rappelé que deux conceptions de l'égalité coexistaient en Europe, l'une ayant pour objet la réalisation de l'égalité en droit, l'autre tendant à privilégier l'égalité en fait. La France, jusqu'à présent, a toujours défendu une égalité de droits entre hommes et femmes. D'autres Etats, en particulier ceux de l'Europe du Nord, ont en revanche considéré que l'égalité en droit était insuffisante pour assurer une égalité de fait. C'est pourquoi ils ont mis en place des politiques d'action positive qui ont pu prendre la forme de quotas, par exemple à l'embauche. La Communauté, quant à elle, a eu plutôt tendance à vouloir réaliser l'égalité de fait, comme en témoignent les directives adoptées en cette matière et la jurisprudence de la Cour de Justice. Néanmoins, un arrêt récent a semblé limiter la portée des décisions antérieures.

Le rapporteur a ensuite souligné que le principe d'égalité était inscrit dans l'article 119 du traité instituant la Communauté européenne, mais que cet article ne traitait que de l'égalité des rémunérations. Le Conseil des ministres a adopté plusieurs directives afin d'étendre le champ d'application du principe d'égalité entre hommes et femmes. Ces directives concernent par exemple l'accès à l'emploi, à la formation professionnelle et les conditions de travail, les régimes professionnels de sécurité sociale, la sécurité et la santé des travailleuses enceintes... Par ailleurs, la Communauté européenne a mis en oeuvre, à partir de 1982, des programmes d'action communautaire pour l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Le quatrième de ces programmes a été adopté en décembre 1995.

Mme Danièle Pourtaud a ensuite observé que la Cour de justice des Communautés avait, dans bien des domaines, fait progresser l'égalité entre hommes et femmes, par exemple par sa jurisprudence en matière de lutte contre les discriminations. En revanche, certains arrêts de la Cour ont été plus contestés parce qu'ils ont donné l'impression d'aller à l'encontre du progrès social. C'est par exemple le cas de l'arrêt sur le travail de nuit des femmes dans l'industrie. La Cour a estimé que l'interdiction de travail de nuit pour les femmes ne visait pas à protéger les femmes de risques qui leur sont spécifiques et était donc contraire au principe d'égalité. Cet arrêt a pu choquer en France, dans la mesure où cette mesure de protection est admise depuis longtemps et considérée comme un acquis social.

Le rapporteur a indiqué que la Cour avait rendu d'autres arrêts contestés dans le domaine de l'égalité des rémunérations. Elle a par exemple estimé en 1990 que les pensions de retraite versées par les fonds professionnels ou par les régimes de retraite complémentaire constituaient des éléments de rémunération et que toute disposition relative à ces pensions qui ne respectait pas le principe d'égalité était contraire au Traité. Or, bien souvent, ces pensions étaient versées plus tôt aux femmes qu'aux hommes et ces arrêts ont donné le sentiment d'aller à l'encontre de l'intérêt des femmes. A la suite de ces affaires, les Etats membres ont inscrit dans l'accord sur la politique sociale une disposition complétant l'article 119 sur l'égalité des rémunérations afin que les Etats puissent maintenir ou adopter " des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par les femmes ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle ". De son côté, le Sénat a adopté, en 1996, une résolution demandant que le traité soit modifié lors de la Conférence intergouvernementale pour que les Etats membres puissent maintenir dans leur droit social des avantages spécifiques accordés aux femmes en matière de pensions de retraite, de conditions de travail et de congés.

Mme Danièle Pourtaud a ensuite présenté la proposition d'acte communautaire E 713 relative à la charge de la preuve dans les affaires de discrimination fondée sur le sexe. Elle a observé que le but de ce texte était de faire en sorte que la preuve de la discrimination ne soit pas entièrement à la charge de la personne qui s'estime discriminée, dans la mesure où cette preuve est très difficile à apporter. La Cour de Justice a rendu de nombreux arrêts dans cette matière et a estimé qu'il pouvait parfois être nécessaire de faire peser la charge de la preuve sur l'employeur, faute de quoi le salarié serait privé de tout moyen efficace de faire respecter le principe d'égalité. La Commission européenne propose donc un texte, qui tendrait à mettre à la charge de l'employeur la preuve qu'il n'y a pas eu violation du principe d'égalité, dès lors que la personne qui s'estime lésée a apporté des éléments de fait qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination.

Le rapporteur a précisé que le Conseil des ministres avait déjà examiné ce texte et devrait l'adopter rapidement lorsque le Parlement européen se sera prononcé. Elle a précisé qu'il existait un large accord des Etats membres sur cette proposition de directive et que ce texte était respectueux de la subsidiarité, dans la mesure où il prévoit un aménagement de la charge de la preuve, tout en autorisant les Etats qui le souhaiteraient à aller plus loin et à opérer un renversement complet de la charge de la preuve. Le rapporteur a alors indiqué qu'en France, le code du travail était déjà plutôt favorable aux salariés, mais que certains articles devraient néanmoins probablement être modifiés pour être rendus pleinement compatibles avec la directive.

Mme Danièle Pourtaud a ensuite présenté la proposition d'acte communautaire E 639 visant à modifier la directive communautaire de 1976 sur l'égalité en matière d'accès à l'emploi. Elle a souligné que cette proposition concernait le délicat problème des actions positives en faveur des femmes et a rappelé qu'il existait un article de la directive faisant référence à d'éventuelles actions positives. Mais, en 1995, la Cour de Justice a condamné une loi d'un Land allemand, en estimant qu'elle était contraire au principe d'égalité. Cette loi prévoyait que, dans les services publics, lors du recrutement et lors de l'affectation à un emploi dans un grade plus élevé, les femmes ayant une qualification égale à celle de leurs concurrents masculins devaient être prises en considération en priorité lorsqu'elles étaient sous-représentées. La Cour a estimé que cette loi dépassait les limites de l'article de la directive.

Le rapporteur a précisé que la Commission européenne avait alors publié une communication, dans laquelle elle estimait que la Cour n'avait condamné la loi du Land de Brême que parce qu'elle prévoyait un régime automatique de quota sans qu'on puisse prendre en compte les circonstances particulières. La Commission a ensuite décidé de proposer une modification de la directive de 1976, afin d'autoriser plus explicitement les actions positives lorsqu'elles permettent de prendre en compte les circonstances particulières de chaque cas.

Mme Danièle Pourtaud a estimé que cette proposition était juridiquement singulière. La Commission estime, en effet, que la Cour n'a pas condamné certaines formes d'action positive, mais elle propose néanmoins de les inscrire explicitement dans la directive. Un tel comportement risque de conduire à recopier les arrêts de la Cour dans les textes législatifs, ce qui ne paraît pas être une bonne méthode. Par ailleurs, la Commission a une interprétation de l'arrêt de la Cour de Justice qui n'est pas unanimement partagée. Certains estiment que la Cour a rendu un arrêt de principe hostile à toutes les formes d'action positive. Dans ces conditions, la proposition de directive de la Commission ne résoudra pas le problème.

Le rapporteur, soulignant que le Conseil de l'Union européenne était hostile à cette proposition d'acte communautaire et que le Parlement européen avait décidé d'attendre la fin de la Conférence intergouvernementale pour se prononcer, a estimé que la proposition de directive était prématurée et que le renforcement du principe d'égalité entre hommes et femmes passait peut-être davantage par une modification du Traité sur l'Union européenne.

Mme Danièle Pourtaud a alors rappelé que la présidence irlandaise de l'Union européenne avait formulé, dans le projet de traité qu'elle a présenté en décembre dernier, plusieurs propositions afin que le principe d'égalité soit mieux pris en compte. Elle a proposé en premier lieu d'inscrire l'égalité entre hommes et femmes parmi les objectifs et actions prévus par le Traité. Ce principe serait donc inscrit dans les articles 2 et 3 du nouveau Traité. Elle a proposé également de modifier l'article 119 sur l'égalité en matière de rémunérations. Actuellement, cet article prévoit une " égalité des rémunérations... pour un même travail ". La présidence irlandaise a suggéré que cette formule soit remplacée par " égalité des rémunérations... pour un travail de même valeur ".

La présidence irlandaise a en outre proposé d'ajouter deux nouveaux alinéas à l'article 119. L'un permettrait au Conseil de prendre, à la majorité qualifiée, des mesures visant à appliquer le principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes. L'autre autoriserait les Etats à prendre certaines mesures prévoyant des avantages spécifiques en faveur des femmes. Il s'agit de la reprise de la disposition inscrite dans l'accord social que j'ai évoqué tout à l'heure. Enfin la présidence irlandaise a proposé de faire référence dans le Traité à la notion de " sexe sous-représenté " plutôt que d'évoquer exclusivement les femmes.

Mme Danièle Pourtaud a estimé que les propositions de la présidence irlandaise constituaient une bonne base de négociation. Elle a indiqué que l'inscription du principe de l'égalité parmi les objectifs de la Communauté serait une bonne chose, dans la mesure où elle pourrait permettre que ce principe soit mieux pris en compte dans les différentes politiques de la Communauté. A propos de l'article 119, le rapporteur a fait valoir qu'il serait sans doute préférable de créer un nouvel article, dans la mesure où les nouveaux alinéas proposés ne concerneront pas uniquement l'égalité de rémunérations. Elle a estimé que le premier alinéa proposé faciliterait l'action communautaire en matière d'égalité, mais que cet alinéa ne devrait pas être utilisé pour imposer aux Etats membres d'adopter des mesures d'action positive, dans la mesure où il existe des traditions et des législations très différentes entre les différents Etats sur cette question. A propos du deuxième alinéa, qui tend à autoriser les Etats membres à prendre certaines mesures spécifiques en faveur des femmes, Mme Danièle Pourtaud, rapporteur, a indiqué qu'il était difficile de savoir quels types d'avantages spécifiques pourraient être concernés par ce texte et a rappelé que le Sénat, dans une résolution, avait souhaité qu'on introduise dans le Traité une disposition autorisant des mesures spécifiques pour les femmes en matière de pensions de retraite, de congés et de conditions de travail. Le rapporteur a alors souligné que les avantages spécifiques évoqués dans le texte de la présidence irlandaise ne semblaient pas couvrir les actions positives. Elle a estimé nécessaire d'autoriser ce type d'actions dans la mesure où certains Etats membres, comme l'Allemagne ou les pays nordiques, se sont dotés de législations dans ce domaine, et ont parfois inscrit ces actions positives dans leurs constitutions. Elle a souligné qu'il ne s'agissait naturellement pas d'imposer aux Etats de mettre en oeuvre des actions positives, mais de les autoriser à le faire s'ils le souhaitent, conformément au principe de subsidiarité.

Mme Danièle Pourtaud a alors proposé deux rédactions d'un nouvel alinéa qui autoriserait les actions positives en faveur des femmes, en précisant que la première résultait d'une recommandation du Conseil, la seconde d'un arrêt de la Cour de justice de 1988 :

- Le présent Traité ne peut empêcher un Etat membre de conduire " une politique d'action positive destinée à éliminer les inégalités de fait dont les femmes sont l'objet dans la vie professionnelle ainsi qu'à promouvoir la mixité dans l'emploi " ;

- Le présent Traité ne peut empêcher un Etat membre d'adopter ou de maintenir " des mesures qui, tout en étant discriminatoires selon leurs apparences, visent effectivement à éliminer ou à réduire les inégalités de fait pouvant exister dans la réalité de la vie sociale ".

Au cours du débat qui a suivi, M. Alain Richard a tout d'abord évoqué la condamnation par la Cour de Justice de la loi du Land de Brême sur les actions positives en faveur des femmes. Il a estimé qu'en considérant qu'une " réglementation nationale qui garantit la priorité absolue et inconditionnelle aux femmes lors d'une nomination ou promotion " allait au-delà de l'exception au principe d'égalité prévue par la directive de 1976, la Cour de justice était parfaitement dans son rôle, qui consiste à interpréter le droit communautaire. Il en a déduit qu'il n'existait aucune nécessité de modifier la directive de 1976 à la suite de cet arrêt. Il a observé que le Conseil constitutionnel avait rendu des décisions semblables à propos du principe d'égalité, en faisant valoir qu'il était possible de déroger à ce principe à condition qu'un objectif d'intérêt général soit en cause et que l'atteinte à l'égalité ne soit pas disproportionnée par rapport à l'objectif à atteindre.

M. Alain Richard s'est ensuite déclaré largement en accord avec les propositions de modification du Traité formulées par le rapporteur. Il s'est toutefois demandé si le renvoi au principe de subsidiarité en matière d'actions positives constituait une solution pleinement satisfaisante. Il a exprimé la crainte que certains Etats utilisent cette liberté de conduire des politiques d'action positive pour prendre des dispositions qui conduiraient indirectement à remettre en cause le principe de non-discrimination entre les ressortissants communautaires, dans la mesure où ces dispositions s'appliqueraient à toutes les personnes physiques et morales installées sur le territoire de ces Etats. Il a exprimé le souhait que l'éventuelle inscription dans le Traité d'une disposition autorisant les Etats à conduire des politiques d'action positive n'ait pas de répercussions sur les autres Etats n'ayant pas fait ce choix.

Mme Danièle Pourtaud a alors proposé de mentionner cette réserve dans la conclusion de son rapport d'information et a souligné qu'elle avait cherché à dégager des propositions qui éviteraient que la Communauté puisse imposer aux Etats d'adopter des mesures d'action positive.

M. Daniel Millaud a évoqué l'hypothèse de la candidature de pays musulmans à l'entrée dans l'Union européenne. Il s'est interrogé sur les conséquences à cet égard de l'inscription de l'égalité entre hommes et femmes parmi les objectifs de la Communauté.

Mme Danièle Pourtaud a alors observé que l'Union imposait aux nouveaux adhérents le respect d'un certain nombre de principes démocratiques. Elle a fait valoir que, historiquement, les progrès dans la démocratie s'accompagnaient de progrès dans l'égalité entre hommes et femmes et en a déduit que le principe d'égalité ne constituerait vraisemblablement pas un problème en soi si des pays musulmans venaient à déposer leur candidature pour adhérer à l'Union européenne.

M. Alain Richard a évoqué les deux propositions de rédaction formulées par le rapporteur en vue d'autoriser les Etats à conduire une politique d'action positive. Il s'est déclaré très favorable à la proposition issue de la recommandation du Conseil de 1984 en observant qu'elle laissait une marge d'interprétation au juge. Il a souligné que la seconde rédaction était très contraignante pour le juge et permettrait en fait aux Etats d'utiliser, éventuellement à d'autres fins, cette disposition. Il a estimé qu'il était nécessaire que le juge puisse conserver un certain pouvoir, afin d'éviter qu'un Etat puisse utiliser cet article pour adopter des mesures visant en fait à pénaliser les ressortissants des autres pays de l'Union européenne.

Mme Danièle Pourtaud s'est déclaré en accord avec M. Alain Richard et a proposé de retenir la formulation issue de la recommandation du Conseil de 1984.

La délégation a alors adopté le rapport d'information ainsi modifié.

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