2. La proximité, source d'efficacité et de démocratie

Le principe de subsidiarité va donc plus loin qu'une simple réaction contre un excès de réglementation : sinon, il se confondrait d'ailleurs avec le principe de proportionnalité. Son véritable intérêt est d'introduire un double souci d'efficacité et de démocratie, en réponse au double déficit que la construction européenne est susceptible de receler dans ces domaines.

a) Le souci d'efficacité

Dès lors qu'une " taille critique " est atteinte, on peut estimer que, d'une manière générale, plus l'échelon de décision et de gestion est éloigné du " terrain ", et plus l'action a de chances d'être inadaptée, mal appliquée et de donner lieu à des fraudes. L'échelon communautaire doit donc être réputé a priori moins efficace que l'échelon national, et c'est seulement lorsque l'échelon communautaire est seul à même de réaliser un objectif qu'il doit en recevoir la pleine responsabilité.

Ainsi, bien que le transfert de compétences vers la Communauté dans un grand nombre de domaines soit souvent paré des couleurs de l'efficience et de la modernité, et que s'y opposer passe fréquemment pour témoigner d'un esprit frileux, voire rétrograde, il n'est en réalité nullement rationnel de multiplier les compétences de la Communauté. Celle-ci est principalement organisée pour prendre des décisions contraignantes s'appliquant uniformément à tous ses Etats membres. Il est rationnel qu'elle intervienne lorsque ce type de mesure est indispensable : mais si tel n'est pas le cas, son intervention a toutes les chances d'être moins efficace que l'action des Etats membres, s'exerçant soit individuellement, soit par coopération entre les Etats intéressés.

Une mesure communautaire uniforme passe presque toujours par la recherche d'un compromis où certains Etats membres tentent d'obtenir des avantages particuliers auxquels ils ne pourraient prétendre en l'absence de mesure communautaire (de telle sorte que, pour chaque projet, il existe toujours des Etats membres ayant intérêt à préconiser le passage par l'échelon communautaire). Il en résulte des procédures souvent lourdes, parfois coûteuses, avec le risque d'une efficacité moindre par rapport à la coopération entre Etats. Ainsi, la mise en oeuvre des nombreux programmes communautaires de recherche est-elle en partie gouvernée par la recherche d'une répartition équilibrée des subventions entre les Etats membres : il est donc de l'intérêt des Etats bénéficiaires nets des transferts ou dont les institutions de recherche sont comparativement les moins performantes de passer par une procédure communautaire plutôt que par une formule souple de coopération, mais le résultat du détour par la Communauté a toutes les chances d'entraîner une perte d'efficacité au regard de l'objectif poursuivi.

En outre, la diversité des situations et des traditions nationales au sein de l'Union européenne fait qu'une formule bien adaptée aux réalités de certains pays membres peut l'être beaucoup moins dans le cas de certains autres. Une solution uniforme risque d'être une solution moyenne qui ne convient réellement à aucun pays. Ce risque devient plus grand à chaque élargissement et la perpective de l'adhésion de dix Etats d'Europe centrale et orientale ne pourra que l'accroître encore. Plus l'Union comptera d'Etats membres, et plus la législation communautaire, dans les domaines autres que les prescriptions destinées au bon fonctionnement du marché unique, devra se limiter au strict nécessaire.

Enfin, une gestion de programmes d'action éloignée du " terrain " présente des risques non négligeables d'emploi sous-optimal des fonds publics.

De nombreux programmes communautaires font la part belle à des dépenses d'études et des colloques dont l'utilité ne semble pas proportionnelle au coût, et au financement de " projets pilotes " dont les critères de choix paraissent obscurs. L'évaluation des résultats, lorsqu'elle existe, est souvent confiée à des cabinets spécialisés, certes juridiquement indépendants, mais dont les commandes de la Commission européenne peuvent représenter une part significative des activités, ce qui ne les pousse pas à faire preuve d'intransigeance dans la critique.

Certains programmes dotés de moyens importants, notamment ceux mis en oeuvre dans le cadre des fonds structurels donnent lieu, quant à eux, à des phénomènes de " course aux subventions " où l'objectif, pour les bénéficiaires, d'obtenir une partie des crédits, et pour la Commission, de parvenir à dépenser ceux-ci, semble parfois l'emporter sur l'impératif d'employer les fonds publics dans un but d'utilité générale et en fonction de besoins réels. Au demeurant, on peut se demander si la quête permanente de subventions qui a tendance à caractériser de ce fait l'action locale est un facteur de qualité de la vie civique.

A l'inverse, un échelon de gestion plus proche du " terrain " est mieux à même de s'assurer de la pertinence d'une action, tout en étant plus aisément identifiable comme responsable de son succès ou de son échec, ce qui l'incite à se montrer plus soucieux de la valeur des résultats. En prescrivant de ne pas gérer à l'échelon communautaire ce qui peut l'être par les Etats membres ou par la coopération entre ceux-ci, l'idée de subsidiarité rejoint ainsi l'impératif d'efficacité.

En même temps, cette idée n'exclut nullement un renforcement du rôle et des moyens d'action de l'Union dans les domaines où les Etats membres ont particulièrement intérêt à exercer en commun leurs compétences ; on peut même penser qu'elle peut indirectement favoriser une telle évolution : renonçant à se mêler de tout, l'Union ne s'acquitterait - elle pas d'autant mieux des missions qu'elle seule peut valablement remplir ? Ne gagnerait-elle pas, à tous égards, en crédibilité ? Tocqueville relevait que les actes fédéraux, dans les Etats-Unis tels qu'il les observait, étaient " rares, mais importants ". Tout en faisant la part de l'évolution des sociétés depuis un siècle et demi, n'y aurait-il pas là une orientation à retenir ?

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