3. Séance du mardi 12 novembre 1996

La délégation a examiné le projet de rapport d'information de M. Xavier de Villepin sur la mise en place de l'euro .

Après avoir précisé les thèmes abordés par le rapport, M. Xavier de Villepin a indiqué que celui-ci était destiné à donner à tous les sénateurs les principaux éléments d'information au sujet des propositions d'actes communautaires E 719 et E 720, et qu'il ne prenait pas position au sujet de ces deux textes.

Le rapporteur a ensuite indiqué que la controverse au sujet du pacte de stabilité se poursuivait au sein du Conseil, notamment sur les " circonstances exceptionnelles " permettant à un Etat membre de ne pas encourir de sanctions financières alors qu'il ne respecte pas les dispositions du pacte. L'Allemagne souhaite en effet que la notion de " grave récession " soit définie précisément comme un recul du produit intérieur brut d'au moins 2 % pendant quatre trimestres de suite ou en moyenne annuelle.

Concluant son propos, il a souhaité que les propositions E 719 et E 720 soient examinées en temps utile par le Sénat dans le cadre de la procédure de l'article 88-4 de la Constitution. Il a rappelé qu'il avait dans ce but déposé, à titre personnel, une proposition de résolution dont la commission des Finances avait été saisie.

Ainsi qu'il avait été convenu précédemment , M. Robert Badinter a alors apporté certaines informations supplémentaires concernant la dénomination de la monnaie unique. Il semble, a-t-il indiqué, que l'on se trouve à cet égard dans une situation juridique sans précédent. Le terme " ECU " ou " Écu " a été retenu à l'origine car il renvoyait à la fois à un sigle britannique ( European currency unit ) et au nom d'une ancienne monnaie française, datant de Saint Louis. Dans la version française du traité, il est fait référence à l'" Écu ", qui apparaît dans de nombreux articles, et notamment à l'article 3 A (" la fixation irrévocable des taux de change conduisant à l'instauration d'une monnaie unique, l'Écu... ") et à l'article 109 L, paragraphe 4 (" le taux irrévocablement fixé auquel l'Écu remplace ces monnaies, et l'Écu sera une monnaie à part entière "). Dans cette optique, le mot " Écu " ne renvoie pas seulement à un instrument de compte, à une définition de la monnaie (au sens où le franc germinal se définissait par un certain poids d'or) : il apparaît aussi comme étant le nom de la monnaie elle-même (comme l'était alors le " franc"). Dans la version allemande du traité, c'est le mot " ECU " (en majuscules) qui est utilisé, et le gouvernement allemand estime qu'il renvoie seulement à une définition, sans être également le nom de la monnaie unique. La version anglaise, comme la version italienne, retiennent le même graphisme ; la version espagnole, qui retient le pluriel du mot " écus " (en minuscules), semble par là plus proche de la version française. On se trouve donc en présence de graphismes différents, alors que toutes les versions du traité font également foi. On notera toutefois que l'utilisation d'un sigle, dans l'ensemble des versions linguistiques du traité, est toujours précédé d'une référence à ce que le signe recouvre ( système européen de banques centrales, ci-après dénommé " SEBC " ou Banque centrale européenne centrale, ci-après dénommée " BCE " ou encore Institut monétaire européen, ci-après dénommé " IME ") alors que l'expression ECU, même lorsqu'elle figure en majuscules, ne fait l'objet d'aucune explication. De plus, les versions étrangères semblent mentionner le terme ECU comme s'il s'agissait de la dénomination de la monnaie unique (ainsi, par exemple, dans la version anglaise, " a single currency, the Ecu... ").

M. Robert Badinter a ensuite rappelé que le Conseil européen de Madrid, en décembre 1995, avait tranché en faveur de la thèse allemande, et décidé que le mot " écu ", dans le traité, devrait être considéré comme un " terme générique " renvoyant à une définition et ne constituant pas une dénomination. Cependant, a-t-il poursuivi, une décision du Conseil européen ne peut modifier un traité dûment ratifié. Si l'on admet que la dénomination " écu " résulte du traité, celui-ci doit être révisé pour que le nom de la monnaie unique soit l'" euro " : la proposition de règlement incluse dans la proposition d'acte communautaire E 720 ne peut être un instrument juridique adéquat.

M. Robert Badinter a ensuite indiqué qu'il avait procédé à des consultations juridiques sur le sujet. Il semble, a-t-il poursuivi, que l'argument le plus fort pour considérer que le traité retient le mot " Écu " comme nom de la monnaie unique figure dans le libellé de l'article 109 L, paragraphe 4 : " Le jour de l'entrée en vigueur de la troisième phase, le Conseil (...) arrête les taux de conversion auxquels leurs monnaies sont irrévocablement fixées et le taux irrévocablement fixé auquel l'Écu remplace ces monnaies, et l'Écu sera une monnaie à part entière ". Ce texte indique très précisément que l'" Écu ", dès l'entrée en vigueur de la troisième phase de l'UEM, sera " une monnaie à part entière ". Or, que signifie le passage à la troisième phase, sinon la disparition de l'Écu comme instrument de compte, puisque, après cette date, il ne fait plus référence à un panier de monnaies ? Le mot "Écu " s'appliquant à la monnaie unique dans la troisième phase de l'UEM ne semble donc pas pouvoir jouer d'autre fonction que celle du nom de la monnaie unique.

M. Robert Badinter a alors exprimé la crainte que cette incertitude ne puisse être utilisée par des adversaires de la monnaie unique, en servant de fondement à un recours devant la Cour de justice des Communautés européennes, soit directement, soit par la voie d'une question préjudicielle. Mettant en avant un souci de sécurité juridique, il a donc souhaité que la Conférence intergouvernementale consacre l'appellation " euro ", tout en indiquant que, à titre personnel, il aurait préféré que l'on gardât l'appellation " écu ".

M. Christian de La Malène s'est étonné que les Etats membres aient ratifié des traités qui ne sont pas exactement identiques, et non un même traité. Il s'est demandé si la Cour de Justice se reconnaîtrait compétente pour un tel litige.

M. Robert Badinter a précisé que seul le graphisme distinguait les différentes versions. Mais, a-t-il poursuivi, la proposition E 720 tranche, quant à elle, d'une manière uniforme et devrait s'appliquer à tous les Etats membres : on peut dès lors se demander comment elle pourrait être compatible avec toutes les versions du traité.

M. Jacques Habert a estimé que la proposition E 720 n'apportait pas de garanties suffisantes de sécurité juridique et qu'il était donc souhaitable que le problème soit réglé par la Conférence intergouvernementale.

M. Jacques Genton a confirmé que le Conseil européen, tout en étant l'instance européenne la plus élevée, ne disposait pas du pouvoir de modifier les traités.

M. Pierre Fauchon , tout en exprimant une certaine nostalgie pour le mot " Écu ", a souligné que la construction européenne était une action politique de portée historique. En l'occurrence, a-t-il poursuivi, l'essentiel est la volonté politique de se doter d'une monnaie unique, la question de l'appellation étant secondaire. Il n'est pas porté atteinte à la volonté des signataires puisque la modification de la dénomination s'est faite avec l'accord de tous. Au demeurant, un recours est impossible puisque, au Conseil européen de Madrid, un accord unanime s'est dégagé entre les Etats. Si un recours avait été possible, a-t-il ajouté, il aurait de toute manière suffi d'appliquer le principe " pas de nullité sans grief " ou bien de considérer la décision du Conseil européen comme un " acte de gouvernement " insusceptible de recours. Concluant son propos, il a estimé que la controverse sur le pacte de stabilité était plus grave et plus inquiétante que celle sur le nom de la monnaie unique.

M. Robert Badinter a précisé qu'il ne s'agissait pas d'une question de nullité accessoire, mais d'une question de compétence : or la Cour de Justice est particulièrement attentive aux questions de compétences. Peut-on modifier le traité -à supposer que l'introduction du nom " euro " en soit bien une modification- sur la base de son article 235, alors que la Cour de Justice a récemment affirmé, dans un avis rendu en 1996, que cet article ne pouvait être employé dans ce but ? Il a ajouté que, de toute manière, la question du changement de nom de la monnaie ne pouvait être considérée comme mineure.

M. Yves Guéna s'est déclaré d'accord avec M. Pierre Fauchon pour ne pas accorder une grande importance au nom de la future monnaie unique, mais a estimé que le problème ne pouvait être réglé de manière définitive que par la Conférence intergouvernementale, l'article 235 du traité ne pouvant constituer une base suffisante. Que le traité sur l'Union européenne ait été adopté par référendum, a-t-il souligné, n'empêche pas de le modifier par la voie parlementaire.

M. Denis Badré , tout en convenant que l'élément politique devait primer, a souligné que cette primauté devait s'exercer dans des conditions juridiques incontestables. Il convient, a-t-il poursuivi, de suivre une procédure rigoureuse pour la mise en place de la monnaie unique, en veillant dans un souci de sécurité juridique à faire disparaître, autant que possible, tous les éléments de flou et d'incertitude qui pourraient subsister. Il est souhaitable de préciser comment la décision du Conseil sur la liste des Etats participants s'articulera avec le contrôle du Parlement allemand. Il est également nécessaire de bien préciser la répartition des compétences entre les formations plénières du Conseil et celles composées seulement des Etats participant à la monnaie unique.

M. Jacques Genton a estimé que les débats de la commission des Finances, puis de la séance publique, pourraient permettre de dissiper les zones d'ombre.

M. Christian de La Malène a souhaité que la délégation soit associée à l'examen des textes et que celui-ci comporte une procédure écrite permettant d'obtenir du Gouvernement des réponses écrites. Il s'est par ailleurs interrogé sur le rôle du Parlement européen dans la procédure d'adoption de ces textes.

M. Xavier de Villepin a souligné que la commission des Finances pourrait s'appuyer sur les travaux de la délégation et a estimé que l'essentiel était de permettre l'expression du Parlement sur ces propositions importantes et, sur certains points, controversées.

M. Christian de La Malène a estimé que l'article 88-4 de la Constitution avait précisément été introduit dans ce but.

Puis la délégation a décidé, à l'unanimité, d'autoriser la publication du rapport d'information assorti du compte rendu de ses travaux.

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