EXAMEN EN DELEGATION

La délégation s'est réunie le 20 novembre 1997, sous la présidence de M. Jacques Genton , pour l'examen du présent rapport.

M. Nicolas About a rappelé que la décision de principe concernant l'élargissement de l'Union aux pays associés d'Europe centrale et orientale (PAECO) avait été prise à Copenhague, en juin 1993, par le Conseil européen qui avait en même temps décidé que les pays candidats devraient répondre à certains critères : des institutions démocratiques stables, l'existence d'une économie de marché viable, la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union, la capacité à assumer les obligations de l'Union, et notamment de souscrire aux objectifs de l'union politique, économique et monétaire.

Le Conseil européen, a-t-il ajouté, a ultérieurement décidé que les négociations d'adhésion s'ouvriraient six mois après la conclusion de la Conférence intergouvernementale. Les pays candidats sont tout d'abord les dix pays associés d'Europe centrale et orientale : la Bulgarie, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie. la Slovénie. Ces dix pays sont tous signataires d'" accords européens " avec l'Union, qui prévoient une libéralisation progressive des échanges et une aide financière dans le cadre du programme PHARE. La onzième candidature est celle de Chypre ; des négociations vont s'ouvrir avec ce pays, mais son adhésion suppose de trouver une solution au problème politique de la division de l'île en deux zones, dont l'une est occupée par la Turquie. Enfin, la douzième candidature est celle de la Turquie : très ancienne, elle n'est cependant toujours pas d'actualité pour des raisons politiques, économiques et démographiques.

Après avoir indiqué que toute adhésion à l'Union supposait l'unanimité des Etats membres, l'avis conforme du Parlement européen et l'approbation de chaque parlement national, M. Nicolas About a rappelé que la Commission européenne avait rendu dès cet été son avis sur les différentes demandes d'adhésion. Ses conclusions, a-t-il précisé, sont les suivantes :

- la Commission propose d'ouvrir des négociations avec cinq PAECO sur dix : l'Estonie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovénie ; elle précise que la situation des autres PAECO sera réexaminée chaque année ;

- la Commission rappelle que la décision d'ouvrir des négociations avec Chypre a déjà été prise par le Conseil européen ;

- tout en réaffirmant l'" éligibilité " de la Turquie à l'adhésion à l'Union européenne, la Commission ne propose pas d'ouvrir des négociations d'adhésion avec ce pays ;

- enfin, la Commission propose la mise en place d'une " Conférence européenne " réunissant les Etats membres de l'Union et tous les pays européens ayant vocation à adhérer à l'Union et liés à elle par un accord d'association, dans le but de " procéder à des consultations sur un large éventail de questions qui se posent dans les domaines de la PESC et de la coopération judiciaire et policière. "

M. Nicolas About a estimé que la Commission avait certes sélectionné les cinq pays les plus aptes à adhérer, mais que le choix de la différenciation ne paraissait pas parfaitement étayé. La Commission elle-même, a-t-il poursuivi, reconnaît qu'aucun des pays ne remplit véritablement les critères économiques d'une adhésion. Si elle retient cependant certaines candidatures, c'est qu'elle se place " en tendance ". Or, si l'on adopte une attitude de type prospectif, il est difficile de tracer une frontière nette entre certains des pays acceptés et certains des pays refusés.

Par ailleurs, a-t-il ajouté, le choix de retenir cinq pays seulement parmi les dix pays de l'Est candidats présente de graves inconvénients. Certes, la Commission européenne s'est démarquée de l'OTAN en retenant les candidatures de l'Estonie et de la Slovénie, et pas seulement celles de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque. Mais sa logique reste celle d'une sélectivité pouvant conduire à la formation de nouveaux clivages en Europe. Une telle approche risque d'avoir des effets négatifs. Dans les pays du " deuxième groupe ", les populations qui ont subi d'importants sacrifices en raison du processus de restructuration économique risquent de considérer que ces efforts ont été consentis en vain, ce qui pourrait entraîner des conséquences politiques dommageables. Du point de vue économique, l'écart risque de se creuser, au lieu de se réduire, entre les deux groupes de pays, car les pays engagés dans les négociations d'adhésion auront des chances bien plus grandes d'attirer les investissements directs étrangers et seront appelés en pratique à bénéficier d'aides plus importantes de la part de l'Union, tandis que le processus de restructuration risque de se trouver freiné dans les pays du " deuxième groupe ". On peut craindre dès lors que l'approche sélective de la Commission ne conduise à la séparation durable des pays candidats en deux ensemble distincts. Or, la raison d'être de l'élargissement à l'Est est principalement politique : une démarche qui crée de nouvelles lignes de partage paraît donc inadaptée. Mieux vaudrait, a-t-il conclu sur ce point, ouvrir des négociations avec tous les PAECO, étant entendu qu'elle dureraient beaucoup plus longtemps avec certains pays qu'avec d'autres : de cette manière, serait évitée l'apparition d'une coupure politique entre les pays candidats. L'aboutissement des négociations dépendrait ensuite, au cas par cas, du plein respect des critères de Copenhague.

Puis M. Nicolas About a estimé que l'approche retenue par la Commission européenne présentait également l'inconvénient de ne pas favoriser la réforme institutionnelle qui reste à accomplir dans la perspective de l'élargissement, compte tenu de la carence du traité d'Amsterdam dans ce domaine. Le protocole sur les institutions annexé à ce traité permet, a-t-il souligné, d'élargir l'Union jusqu'à ce qu'elle compte vingt membres tout en ne procédant qu'à une révision institutionnelle minimale. Or, la proposition de la Commission européenne d'engager, dans un premier temps, les négociations d'élargissement avec cinq PAECO seulement semble s'inscrire dans un tel schéma. Mais comment une Union de vingt membres, où le poids des " petits " pays serait plus grand qu'aujourd'hui, pourrait-elle réussir la réforme qui n'a pu être mebée à bien à Amsterdam ? A l'inverse, a-t-il ajouté, l'ouverture de négociations d'adhésion avec tous les pays candidats -ce qui n'impliquerait pas de conclure ces négociations à la hâte et au même moment pour tous les pays- mettrait au premier plan l'exigence de réforme institutionnelle.

Concluant son propos, M. Nicolas About a estimé qu'une ouverture simultanée des négociations avec tous les PAECO serait la solution comportant au total le moins de conséquences négatives, et en même temps la plus favorable à la réalisation d'une réforme institutionnelle permettant à une Union élargie de conserver son efficacité.

M. Denis Badré , après avoir exprimé son intérêt pour la démarche du rapporteur, a formulé la crainte que, après avoir longtemps affirmé que l'élargissement supposait une réforme institutionnelle et que tous les pays candidats devaient figurer sur la ligne de départ, la France n'accepte insidieusement de s'engager dans un schéma opposé. Puis il a évoqué les principaux dossiers de l'élargissement. Celui-ci, a-t-il souligné, doit s'effectuer sans aggravation de la charge budgétaire, qui a atteint le " seuil de tolérance " dans le cas de certains pays contributeurs. La réforme de la PAC, a-t-il poursuivi, est présentée dans un contexte favorable de cours mondiaux élevés ; l'intégration des agricultures des PAECO ne pose pas de problème économique et financier insurmontable, puisque les prix agricoles, dans ces pays, se trouvent en-dessous des cours mondiaux ; le problème principal semble être plutôt le respect des normes sanitaires. La réforme de la politique de cohésion, a-t-il ajouté, constitue un enjeu plus lourd ; elle impose une réflexion sur ce qui peut être renationalisé et ce qui doit continuer à relever de l'Union au titre de l'effort de cohésion.

M. Michel Barnier a souhaité compléter les observations du rapporteur sur le degré de préparation de certains pays : la Pologne, a-t-il souligné, dont le poids dans l'Union élargie sera important, a encore d'importantes adaptations à accomplir dans certains domaines ; en revanche, la Hongrie et surtout la Slovénie sont très proches de la capacité à s'intégrer à l'Union. Puis il a estimé nécessaire que le Parlement français manifeste clairement sa volonté, dès le débat de ratification du traité d'Amsterdam, de ne pas accepter de nouvelle adhésion sans une réforme institutionnelle préalable. Il ne s'agit pas, a-t-il ajouté, de bloquer les négociations d'adhésion ; celle-ci seront longues et laissent un délai suffisant pour procéder à une réforme dont les termes sont bien connus : une Commission resserrée, une extension du vote à la majorité qualifiée, une nouvelle pondération des votes. En réalité, il existe une large majorité parmi les Etats membres en faveur de l'élargissement, tandis que seule une minorité d'entre eux veut une révision institutionnelle. Il convient donc de placer les Etats membres favorables à l'élargissement devant leurs responsablités, en leur indiquant clairement qu'il ne peut y avoir d'élargissement sans réforme.

M. Nicolas About demandant comment il serait possible de formuler cette conditionnalité sans pour autant sembler méconnaître les aspirations légitimes des PAECO à adhérer à l'Union, M. Michel Barnier a estimé qu'une solution pourrait être trouvée à l'occasion du débat de ratification du traité d'Amsterdam. Puis il a exprimé son attachement au projet de " Conférence européenne ", d'origine française.

M. Christian de La Malène a mis l'accent sur le lien entre les différents problèmes que sont l'élargissement, la révision institutionnelle, la réforme du financement de l'Union, les réformes de la PAC et des fonds structurels. Des négociations concernant ce groupe de problèmes ne pourront être bien conduites qu'en dégageant des priorités : chercher à gagner sur tout serait se condamner à ne gagner sur rien. La révision institutionnelle doit-elle être la priorité de la France ? Cela aurait nécessairement un coût dans les autres domaines de la négociation.

Puis, il a souligné la portée historique du processus d'élargissement, face à laquelle la demande de réforme institutionnelle risque de ne pas peser lourd. Il s'est demandé dans quelle mesure la menace de bloquer l'élargissement au nom de l'approfondissement pouvait être crédible. Concluant son propos, il a à son tour regretté que des négociations d'élargissement ne s'ouvrent pas avec tous les pays candidats : la Commission européenne, a-t-il estimé, a préféré pouvoir mettre en avant un groupe de pays, pour s'en servir comme d'un levier dans son entreprise de réforme de la PAC et des fonds structurels.

M. Michel Barnier est intervenu pour réaffirmer l'importance centrale des questions institutionnelles, qui conditionnent le fonctionnement de toutes les politiques communes.

M. Michel Caldaguès a estimé que les institutions communautaires avaient considérablement tardé à prendre la mesure des conséquences de la fin de la guerre froide, et que l'approche sélective adoptée par la Commission européenne témoignait de la persistance de cette myopie. Distinguer deux groupes dans les pays candidats, a-t-il estimé, est une erreur politique. La France commettrait une erreur du même ordre, a-t-il poursuivi, en prétendant subordonner à une réforme institutionnelle la mise en oeuvre de l'élargissement : on ne peut dire à des pays émergeant de quarante années de domination soviétique que leur candidature ne peut être acceptée parce que les tentatives de réformer les institutions de l'Union n'aboutissent pas. Mieux vaut, a-t-il conclu, aborder la question de la réforme institutionnelle avec plus de prudence et de souplesse.

M. James Bordas a regretté que l'approche de la Commission européenne conduise à reporter les difficultés et finalement à entretenir une incertitude préjudiciable aux pays candidats. Il a souligné la nécessité d'adresser aux pays candidats un message clair, de nature à leur redonner confiance, et a souhaité que la délégation prenne position en ce sens.

M. Robert Badinter a estimé que l'élargissement était déjà fait dans les esprits. Son principe étant acquis, il paraît peu réaliste de vouloir faire de la révision des institutions une condition stricte de toute nouvelle adhésion. Le choix de la Commission européenne de ne retenir que certains pays, a-t-il poursuivi, peut sans doute paraître discutable : il en est ainsi pour tout examen de passage ; mais, là également, on a le sentiment que, dans les esprits, les jeux sont déjà faits. L'Union, a-t-il conclu, dispose d'un délai pour réaliser la réforme institutionnelle : la France doit chercher à le mettre à profit, en présentant cette réforme non comme un préalable pouvant compromettre l'élargissement, mais plutôt comme une exigence de raison.

M. Denis Badré , évoquant un entretien récent avec le président du parlement lituanien, a souligné que la séparation des pays candidats en deux groupes aurait des conséquences économiques négatives sur les pays du " deuxième groupe ", qui seraient délaissés par les investisseurs étrangers. Puis, reconnaissant que le processus d'élargissement était irréversible, il a estimé qu'il n'en était que plus nécessaire de réfléchir sur les moyens d'empêcher qu'il ne se traduise par une dilution de l'Union. Il a souhaité que la délégation organise un débat à ce sujet.

M. Nicolas About a, à son tour, souligné le caractère historique du processus d'élargissement et a estimé qu'il rendait d'autant plus discutable l'approche sélective de la Commission, la ligne de partage introduite au sein des Etats baltes paraissant à cet égard particulièrement critiquable.

M. Jacques Genton a souhaité qu'une question orale européenne avec débat sur l'élargissement soit inscrite au début de l'année prochaine à l'ordre du jour du Sénat. Puis, la délégation a décidé d'autoriser la publication du rapport d'information.

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