Mission en Indonésie

VILLEPIN (Xavier de) ; BIDARD-REYDET (Danielle) ; ALLONCLE (Michel) ; BOYER (André) ; DEMERLIAT (Jean-Pierre) ; DULAIT (André)

RAPPORT D'INFORMATION 457 (97-98) - COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES

Table des matières






N° 457

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 27 mai 1998

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée en Indonésie du 11 au 18 avril 1998,

Par M. Xavier de VILLEPIN, Mme Danielle BIDARD-REYDET,

MM. Michel ALLONCLE, André BOYER,

Jean-Pierre DEMERLIAT et André DULAIT,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, Charles-Henri de Cossé-Brissac, vice-présidents ; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, André Gaspard, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, André Rouvière, André Vallet.

Asie du Sud-Est. - Indonésie.

Mesdames, Messieurs,

Du 11 au 18 avril 1998, une délégation de votre commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées s'est rendue en Indonésie afin de s'informer sur la situation politique et économique de ce pays, affaibli par une grave crise monétaire et financière qui a provoqué une contestation politique et sociale de plus en plus vive, jusqu'à la démission du chef de l'Etat le 21 mai dernier.

Conduite par M. Xavier de Villepin, président, cette délégation était composée de Mme Danielle Bidard-Reydet et de MM. Michel Alloncle, André Boyer, Jean-Pierre Demerliat et André Dulait.

A l'occasion de ce déplacement, des contacts ont pu être établis avec les principales autorités politiques du pays, -notamment avec le général Soeharto, alors président de la République, M. Habibie, alors vice-président de la République et M. Ali Alatas, ministre des Affaires étrangères-, avec des parlementaires et des personnalités politiques de l'opposition ainsi qu'avec de nombreux représentants du monde économique et de la société civile indonésienne, notamment des étudiants. Ces échanges ont été complétés par plusieurs contacts avec la communauté et les sociétés françaises établies en Indonésie.

Le séjour de la délégation coïncidait également avec le déroulement d'une exposition sur les technologies françaises, associant plus de 80 entreprises de notre pays intéressées par le marché indonésien, qui a été inaugurée par M. Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur.

Immense archipel s'étendant sur 5 000 kilomètres de long, composé de plus de 17 000 îles, et peuplé de 200 millions d'habitants, l'Indonésie compte assurément parmi les grands pays du monde. Situé au 4e rang, après la Chine, l'Inde et les Etats-Unis, par sa population, c'est aussi le premier pays de l'Islam. Sa position géographique et son vaste espace maritime lui confèrent une importance géostratégique évidente, notamment par le contrôle des détroits entre l'océan Indien, la mer de Chine et le Pacifique. Le pétrole, le gaz naturel, les minerais, le caoutchouc, le riz, le café ou encore le bois issu de sa forêt sont quelques-unes des importantes ressources naturelles qui lui assurent un incontestable potentiel économique.

L'objet de la mission décidée par votre commission était de mieux comprendre l'évolution de ce pays, acteur majeur dans l'Asie du sud-est qui, après avoir connu plusieurs années de forte croissance et de développement économique, apparaît aujourd'hui comme l'un des foyers les plus aigus de la crise asiatique et voit par là même son mode d'organisation politique remis en cause. Il s'agissait aussi d'évaluer la situation régionale, au travers d'un pays qui constitue l'épine dorsale de l'Association des Nations de l'Asie du sud-est (ANSEA). Enfin, il était utile d'apprécier les perspectives des relations bilatérales franco-indonésiennes.

Sur place, la délégation a pu mesurer la vivacité de la contestation à l'encontre d'un régime marqué par l'imbrication étroite entre les intérêts économiques et le pouvoir politique. Elle s'est intéressée aux forces appelées à jouer un rôle dans l'évolution politique du pays, qu'il s'agisse de l'armée, de l'islam ou d'une opposition encore peu préparée à l'exercice du pouvoir.

Après avoir rappelé, dans une brève présentation générale, les données essentielles relatives à la géographie, l'histoire, le régime politique et l'économie indonésienne, le présent rapport abordera successivement la situation intérieure de l'Indonésie, marquée par une brutale remise en cause de son modèle économique et de son système politique, puis les implications de cette crise sur le rôle de l'Indonésie au niveau international et en Asie du sud-est ainsi que l'avenir des relations franco-indonésiennes encore très modestes.

La délégation tient enfin à exprimer sa plus vive gratitude à S. Exc. M. Gérard Cros, ambassadeur de France en Indonésie, ainsi qu'à l'ensemble de ses collaborateurs, pour leur compétence et leur disponibilité qui ont favorisé l'excellent déroulement des travaux de la délégation.

PRESENTATION GÉNÉRALE DE L'INDONÉSIE

Officiellement indépendante depuis 1949, la République indonésienne constitue le plus vaste archipel de la planète, composé de plus de 17 000 îles. Son territoire correspond très largement aux zones sur lesquelles les Hollandais, à partir du XVIIe siècle, ont progressivement étendu leur souveraineté pour former l'Empire des Indes néerlandaises. Avec 200 millions d'habitants, c'est le 4e pays du monde par sa population. Celle-ci est très inégalement répartie sur l'archipel, l'île de Java s'affirmant de très loin par son poids démographique, économique et politique. Le peuple indonésien est marqué par une forte diversité ethnique, linguistique et religieuse, bien que 90 % de la population se réclame de confession musulmane. Sur son vaste territoire, l'Indonésie dispose d'immenses ressources naturelles qui sont à la base de son développement économique. Sur le plan politique, l'Indonésie a vécu durant plus de trente ans sous le régime de l'Ordre nouveau, défini par le général Soeharto à partir de 1965.

. La naissance de l'Etat indonésien

Avant l'arrivée des premiers européens, au début du XVIe siècle, l'archipel indonésien se composait d'une multitude de royaumes et de principautés. Dans cet ensemble très composite, on trouvait à la fois des Etats côtiers, axés sur le commerce et la navigation, et des Etats de l'intérieur, représentatifs des civilisations agraires. Chacune des grandes îles de l'archipel était elle-même divisée en plusieurs Etats.

Arrivés au début du XVIe siècle, les Portugais, qui avaient établi plusieurs comptoirs dans l'archipel, ont été supplantés à partir du XVIIe siècle par les Hollandais, désireux de s'adjuger le monopole du commerce des épices au travers de la compagnie unie des Indes orientales.

Etablis en 1619 à Jakarta, qu'ils baptisèrent Batavia, les Hollandais vont durant tout le XVIIIe et le XIXe siècle, étendre progressivement leur souveraineté à l'ensemble de l'île de Java tout d'abord, puis à Sumatra, à une large partie de Bornéo, aux Célèbes, aux Moluques, aux îles de la Sonde et à la Nouvelle-Guinée occidentale, non sans que cette expansion ne se heurte à la résistance des populations et des souverains locaux. C'est donc la colonisation hollandaise qui a donné ses contours actuels à l'Etat indonésien, à l'exception toutefois de l'est de Timor, resté sous souveraineté portugaise jusqu'en 1976.

Après trois années d'occupation japonaise, de 1942 à la fin de la guerre, l'indépendance de l'Indonésie est proclamée le 17 août 1945 par le leader nationaliste Soekarno. Mais le retour des Hollandais et leur refus de reconnaître l'indépendance allaient entraîner quatre années de tensions et de conflits qui feront près de 100 000 morts. Après avoir tenté de susciter, dans plusieurs provinces, la création d'Etats indépendants, confédérés au sein des Etats Unis d'Indonésie, les Pays-Bas, sous la pression internationale et notamment celle des Etats-Unis, reconnaissaient l'indépendance de l'Indonésie le 27 décembre 1949.

Le nouvel Etat allait revendiquer la province d'Irian Jaya (Nouvelle-Guinée occidentale), restée provisoirement sous administration hollandaise. Après le lancement d'une opération militaire indonésienne, elle passa sous le contrôle de l'ONU en 1962 puis revint définitivement en 1963 à l'Indonésie, qui vit ainsi son territoire doté d'une 26e province.

Enfin, lorsque éclate la révolution portugaise en 1974 et que se produit un coup d'Etat indépendantiste au Timor oriental , l'Indonésie, qui convoitait ce territoire, l'envahit en décembre 1975. Le Timor oriental est officiellement déclaré 27e province de l'Indonésie en juillet 1976 mais ce "rattachement" n'a jamais été reconnu par la communauté internationale.

. Le plus vaste archipel de la planète, doté d'importantes ressources naturelles

S'étendant sur 5 000 km d'est en ouest et 2 000 km du nord au sud, l'archipel indonésien est le plus vaste du monde. D'après les résultats obtenus avec les techniques cartographiques récentes, il compte 17 508 îles, dont 6 000 environ sont habitées.

Les terres émergées représentent 1 919 000 km² et font de l'Indonésie le 15e pays au monde par sa superficie.

Son espace maritime a été porté à 5 900 000 km² depuis l'entrée en vigueur de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de Montego Bay qui a consacré la notion d'eaux archipélagiques. Ces dernières, qui s'avancent jusqu'aux côtes de la Malaisie et des Philippines et forment une pointe, au-delà des îles Natuna, en mer de Chine méridionale, représentent 2 900 000 km² et ont un statut comparable à celui des eaux territoriales (300 000 km²). A cela s'ajoutent 2 700 000 km² de zone économique exclusive.

L'Indonésie se situe au contact entre l'Océan Indien, l'Océan Pacifique et la mer de Chine méridionale. Elle commande donc les routes maritimes qui assurent les communications les plus directes entre ces zones et qui empruntent les détroits de Malacca, de Karimata, de la Sonde, de Lombok et de Macassar ou encore la mer de Timor et la mer des Moluques. C'est dire l'importance géostratégique de l'Indonésie pour les communications dans toute cette région du monde.

Sur ses vastes territoires, l'Indonésie dispose de ressources naturelles très importantes. Elle produit du pétrole et du gaz naturel et dispose de réserves conséquentes. Elle produit également du charbon. Les ressources minières sont également notables, principalement le cuivre (5e producteur mondial), l'étain (2e producteur mondial) et le nickel (5e producteur mondial), mais aussi l'or et l'argent. Sur le plan agricole, l'Indonésie bénéficie de sols fertiles. Elle est le 3e producteur mondial pour le riz, le 3e pour le café, le 4e pour le cacao, le 5e pour le thé et le 2e pour le caoutchouc naturel. Sa forêt, qui couvre près de 65 % du territoire, concentre de nombreuses espèces de bois tropicaux.

. La 4e population mondiale : vitalité démographique, disparité de peuplement et migrations intérieures

L'Indonésie compte aujourd'hui 200 millions d'habitants. C'est le 4e pays au monde après la Chine, l'Inde et les Etats-Unis. Cette population s'accroît au rythme de 1,6 % par an, ce qui se situe dans la moyenne des pays d'Asie. Pour un tiers, elle est composée de jeunes de moins de 15 ans.

La densité moyenne dépasse les 100 habitants au km² mais elle est très inégale selon les différentes îles de l'archipel.

Le tableau suivant, établi à partir du recensement de 1990, illustre ces différences de peuplement :


Iles

Superficie

Population

Java

6,9 %

60,0 %

Sumatra

24,7 %

20,3 %

Célèbes

9,9 %

7,0 %

Iles de la Sonde

4,6 %

5,7 %

Kalimantan

28,1 %

5,1 %

Moluques

3,9 %

1,0 %

Irian Jaya

22,0 %

0,9 %

Ainsi, sur les 200 millions d'habitants de l'Indonésie, près de 120 millions vivent à Java, où la densité moyenne avoisine 900 habitants au km². A Sumatra, où vivent 40 millions d'habitants, la densité n'est que de l'ordre de 80 habitants au km². Les Célèbes, les îles de la Sonde et Kalimantan comptent, pour chacune d'elles, un peu plus de 10 millions d'habitants, mais la densité qui est de 120 habitants au km² aux îles de la Sonde, est inférieure à 20 habitants au km² à Kalimantan. Enfin, les Moluques et l'Irian Jaya sont peu peuplées, leur population respective se situant autour de 2 millions d'habitants.

L'inégale répartition de la population entraîne deux phénomènes importants.

Le premier est l'incontestable prépondérance de Java, liée à son poids démographique, qui s'étend également au domaine économique et politique.

Le second, lié au surpeuplement de Java et, dans une moindre mesure de Bali, réside dans les transferts de population initiés dès le début du siècle par les Hollandais et poursuivis après l'indépendance sous l'appellation de transmigration. Depuis 1969, plus de 5,5 millions de personnes ont ainsi participé à ce vaste programme de colonisation agricole et se sont installées à Sumatra, à Kalimantan, aux Célèbes et en Irian Jaya. Censée atténuer les difficultés liées à la surpopulation rurale à Java et mettre en valeur les terres inexploitées des autres îles, cette politique n'a pas été sans difficultés, notamment quant à la cohabitation des colons et des populations traditionnelles.

. Le défi de l'unité indonésienne

Objectif premier des pères de l'indépendance indonésienne, l'unité de la République ne va pas de soi.

L'Indonésie compte plus de 300 groupes ethniques parlant tout autant de langues et de dialectes. Même au sein du groupe dominant, de souche malaise, on observe d'une île à l'autre de nombreuses différences dans les langues. Il en va de même des Mélanésiens qui peuplent l'est de l'archipel. Après l'indépendance, les autorités indonésiennes ont imposé une langue nationale, le bahasa indonesia , commune à l'ensemble du pays. Il faut également signaler l'importance de la minorité d'origine chinoise, qui ne représente 3 % de la population mais est très impliquée dans la vie économique et commerciale du pays. Selon les estimations, cette communauté détiendrait les trois quarts de la richesse nationale. Elle est fréquemment la cible de la vindicte populaire dans les périodes de crise, comme on l'a vu lors des événements récents.

Durant ces cinquante dernières années, l'unité de l'Indonésie n'a cessé d'être contestée par des revendications autonomistes ou indépendantistes émanant de diverses parties du pays.

Parmi ces foyers de conflits internes, on peut citer la province d'Aceh, à l'extrême nord de Sumatra, région de forte tradition musulmane qui s'est souvent heurtée au pouvoir central, et en dernier lieu lors d'une rébellion en 1990, ou les tensions et les heurts violents apparus à Kalimantan en 1997 entre les Dayak et les colons venus de Madura.

Les revendications indépendantistes sont fortes en Irian Jaya , qui a été annexé par l'Indonésie en 1962 et qui a été définitivement rattaché en 1969 après consultation des populations locales. Une lutte armée oppose toujours les forces indonésiennes et l'Organisation pour l'indépendance de la Papouasie.

Enfin, après avoir été annexée par la force en 1976, au prix de plusieurs dizaines de milliers de morts, la province du Timor oriental reste le théâtre d'affrontements entre les indépendantistes regroupés au sein du FRETILIN et l'armée indonésienne.

A la diversité ethnique s'ajoute la diversité religieuse. Dans un pays où il est obligatoire de décliner une appartenance religieuse, 88 % de la population se réclame de l'islam alors que l'on compte 9 % de chrétiens, principalement protestants, 2 % d'hindouistes et 1 % de bouddhistes, surtout chez les Chinois d'origine. L'idéologie nationale du Pancasila, définie lors de l'indépendance, professe le monothéisme sans pour autant privilégier l'islam et garantit le respect des religions minoritaires. On assiste cependant depuis quelques années à un renouveau de l'islam et de la pratique de la religion musulmane qui pourrait tendre à accentuer les clivages religieux dans la société indonésienne, ce qui n'est pas indifférent dans la mesure où les religions minoritaires sont essentiellement représentées dans l'est de l'archipel.

. L'ordre nouveau, régime politique de l'Indonésie depuis 1966

La démocratie parlementaire à l'occidentale n'entre guère dans la tradition politique de l'Indonésie.

La Constitution de 1945, qui dotait l'Indonésie d'une République unitaire a été suspendue en 1950 puis, après une brève expérience de régime parlementaire classique, a été rétablie et demeure toujours en vigueur aujourd'hui. Le Président Soekarno réoriente les institutions en 1957 en définissant la notion de "démocratie dirigée", assise sur le consensus et s'appuyant sur des "groupes fonctionnels", jugés plus représentatifs que les partis politiques traditionnels, mais se traduisant dans les faits, par un renforcement de l'exécutif. De cette époque date également la reconnaissance du rôle "socio-politique" de l'armée.

La période qui s'ensuit est marquée par une succession de troubles, en particulier à Sumatra et aux Célèbes et une tension de plus en plus vive entre l'armée et le parti communiste indonésien.

Le 30 septembre 1965, une tentative de coup d'Etat qui se traduit par l'assassinat du plusieurs chefs militaires, imputée au parti communiste, entraîne une vive réaction de l'armée, sous l'impulsion du général Soeharto, et une importante répression, qui a fait plusieurs centaines de milliers de victimes.

Soupçonné de complaisance envers les communistes, le Président Soekarno est contraint en 1966 de transférer l'essentiel des pouvoirs exécutifs au général Soeharto, qui interdit le parti communiste. Soekarno sera déposé par l'Assemblée du peuple en 1967, le général Soeharto devenant Président de la République en mars 1968.

Le nouveau régime, qui se reconnaît dans la notion d' "ordre nouveau" infléchit la politique indonésienne dans le sens d'un ralliement au bloc occidental et d'une libéralisation de l'économie, désormais ouverte aux investisseurs étrangers.

Tout en maintenant les institutions parlementaires, le nouveau régime regroupe autoritairement les partis politiques en trois formations et organise une vie politique étroitement encadrée, dans laquelle l'armée se voit reconnaître un rôle essentiel.

Le Président Soeharto a été réélu par l'Assemblée du peuple en 1973, 1978, 1983, 1988, 1993 et 1998, avant de démissionner, sous la pression d'une contestation de plus en plus vive, le 21 mai dernier et d'être remplacé, comme le prévoit la Constitution, par le Vice-Président, M. Habibie .

PREMIERE PARTIE -
LA SITUATION INTÉRIEURE DE L'INDONÉSIE : UN SYSTÈME POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE FRAGILISÉ

Il y a quelques mois encore, la plupart des observateurs saluaient les remarquables performances économiques de l'Indonésie qui, après plus d'un quart de siècle de forte croissance ininterrompue et d'élévation constante du niveau de vie, semblait en mesure de rejoindre les fameux "dragons" asiatiques. La stabilité politique du régime fondé par le général Soeharto apparaissait à la fois comme l'un des facteurs mais également l'une des conséquences de ce succès.

La tourmente provoquée par les événements monétaires de l'été 1997 a entraîné une brutale régression de l'économie indonésienne , qui est aujourd'hui beaucoup plus affectée que ses voisins par ce qu'il est convenu d'appeler la crise asiatique. Faillites, chômage, hausse vertigineuse du coût de la vie témoignent d'une profonde cassure dans les ressorts de l'économie du pays. Cette violente secousse a provoqué une remise en cause du système politique allant au-delà des mouvements sociaux animés par les étudiants ou des émeutes provoquées par les populations urbaines défavorisées pour toucher certaines fractions de la classe dirigeante, alors qu'à l'extérieur, le discrédit pesant sur le régime empêchait le retour de la confiance de la communauté internationale. La dégradation accélérée de la situation ne laissait au général Soeharto que l'issue d'une démission.

Face à cette situation, la "sortie de crise" est loin d'être évidente, sur le plan économique mais aussi en matière politique. A l'heure où le pays doit engager des réformes profondes et où il dépend largement de l'assistance financière internationale, la "transition" que semble engager le nouveau président demeure chargée d'incertitudes.

I. UN QUART DE SIÈCLE DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DANS LA STABILITÉ POLITIQUE

Le régime de l'Ordre nouveau, établi par le général Soeharto, a concentré le pouvoir entre les mains d'un exécutif fort et posé des limites étroites à l'action des forces politiques, en étouffant toute velléité d'opposition. L'Indonésie a ainsi connu une longue période de stabilité politique au cours de laquelle elle a mis en oeuvre avec constance un programme de développement économique qui a permis une croissance forte et régulière et un recul de la pauvreté.

A. UNE PRATIQUE AUTORITAIRE DU POUVOIR

Le Président Soekarno, avec son concept de "démocratie dirigée", avait dès la fin des années cinquante rompu avec le modèle parlementaire à l'occidentale pour mettre en place un système politique à ses yeux plus conforme à la culture et aux traditions indonésiennes, qui privilégieraient la négociation à l'affrontement, la recherche du consensus à l'application de la règle majoritaire, la représentation des intérêts économiques et sociaux au jeu des partis politiques.

A ces caractéristiques, l'Ordre nouveau en ajoutera deux autres, liées aux circonstances de son arrivée au pouvoir : un exécutif fort et une vie politique étroitement encadrée d'une part, un rôle accru dévolu aux forces armées d'autre part.

1. Un exécutif fort et une vie politique étroitement encadrée

Le cadre institutionnel indonésien repose toujours sur la Constitution du 18 août 1945 qui avait instauré la République et défini une idéologie nationale, le Pancasila, s'appuyant sur cinq principes constitutionnels :

. la croyance en un seul Dieu , qui implique la reconnaissance officielle de cinq religions monothéistes (islam, catholicisme, protestantisme, bouddhisme et hindouisme) sans privilégier l'islam, et garantit donc le respect des religions minoritaires,

. l' humanitarisme reposant sur la justice et la civilisation,

. l' unité de l'Indonésie ,

. la démocratie guidée par l'esprit de sagesse et de consensus,

. la justice sociale pour l'ensemble du peuple indonésien.

Ces principes constituent une idéologie officielle à laquelle toutes les organisations et les formations politiques sont tenues de se conformer.

La référence à la démocratie et à la souveraineté populaire se manifeste par les élections législatives , organisées tous les cinq ans pour le renouvellement de la Chambre des Représentants.

Si l'Indonésie n'avait pas connu de consultation électorale nationale depuis 1955, l'organisation des élections dans le régime de l'Ordre nouveau obéit pour sa part à des règles strictes, qui limitent sévèrement l'expression démocratique.

En premier lieu, seules participent aux élections les formations reconnues par la loi. Depuis la fusion forcée , dans un but de "simplification", de nombreux mouvements, les partis politiques autorisés sont au nombre de trois :

.
le GOLKAR, parti de gouvernement, s'apparente davantage à une organisation officielle qu'à un parti politique. Il fédère plusieurs dizaines de "groupes fonctionnels" représentant les organisations de défense et de sécurité, les professions, le syndicat des travailleurs indonésiens ou encore les coopératives. Les fonctionnaires sont également, ès qualités, membres du GOLKAR,

. le Parti de Unité pour le développement (PPP) a regroupé les quatre partis musulmans,

. le Parti Démocratique d'Indonésie (PDI) constitue le regroupement hétérogène des formations restantes. Autour du Parti national indonésien, formation historique de la lutte pour l'indépendance, il associe notamment les anciens partis catholique et protestant.

Le Parti communiste indonésien est quant à lui interdit depuis 1966.

Limités dans leur nombre, les partis indonésiens le sont également dans leur marge de manoeuvre. Seul le GOLKAR peut véritablement agir sur l'ensemble du territoire, les deux autres partis (le PPP et le PDI) devant restreindre leur présence au seul niveau du district et se voyant interdire toute activité militante dans les villages. D'autre part, le gouvernement a instauré un mécanisme de contrôle de la moralité politique des candidats aux élections qui permet, au sein de ces partis, de filtrer les candidatures.

Le régime sait par ailleurs user de la répression lorsqu'il se sent trop fortement mis en cause par certains mouvements ou dirigeants politiques. Cet arsenal législatif et judiciaire, et le souvenir de la répression qui a suivi l'arrivée du général Soeharto au pouvoir, contribuent à maintenir un climat de crainte qui neutralise de fait les velléités de contestation trop directe ou trop ouverte.

Dans ces conditions, le PPP et le PDI constituent une opposition "officielle", très surveillée et encadrée par le pouvoir. Ce dernier a par exemple fait pression pour l'éviction de la présidence du PDI de Mme Megawati Soekarnoputri, fille de l'ancien président Soekarno, jugée trop combative, lors d'un congrès extraordinaire organisé en juin 1996, et a obtenu son remplacement par une personnalité plus complaisante. Mme Megawati a été radiée de la liste des candidats autorisés à se présenter aux élections législatives de mai 1997.

Sur la base de ces règles, et compte tenu du contrôle de l'information, le Golkar a jusqu'à présent largement remporté les élections législatives auxquelles il a obtenu 62,8 % des voix en 1971, 62,1 % en 1977, 64 % en 1982, 73 % en 1987, 69 % en 1992 et 74 % en 1997.

Le parti musulman, le PPP, s'affirme comme la seconde force électorale du pays, avec un score qui est passé de 29 % en 1977 à 15 % en 1987, avant de remonter à 23 % en 1997.

Quant au PDI, après avoir stagné autour de 10 % des voix, il avait réalisé 15 % aux élections de 1992. L'éviction de sa présidence de Mme Megawati, fille du président Soekarno, en 1996, explique largement son très faible score (3 %) en 1997.

Le Golkar, formation vouée au soutien de l'action gouvernementale, domine donc très nettement les consultations électorales organisées depuis vingt-cinq ans.

Encore faut-il ajouter que sur 500 membres de la chambre des représentants , 425 seulement sont élus au suffrage universel (par scrutin proportionnel au niveau national), 75 étant choisis par le Président au sein des forces armées. Cette particularité a été justifiée par la nécessité d'associer les militaires, privés du droit de vote, à la vie politique du pays. Les forces armées constituent donc, aux côtés des trois organisations autorisées, le quatrième groupe parlementaire de la Chambre des Représentants.

Les décisions de la Chambre des Représentants sont prises à l'unanimité, après recherche du consensus. Cette pratique reflète la conception indonésienne de la démocratie, prônée par Soekarno et reprise par Soeharto, dans laquelle la notion d'opposition n'a guère sa place.

La plus haute autorité de l'Etat est l' Assemblée consultative du peuple. Elle est composée des membres de la Chambre des Représentants et de 500 délégués désignés par le chef de l'Etat pour représenter les intérêts des collectivités territoriales et des associations ou organisations sociales. Ce collège de 1 000 membres, dont 575 sont donc directement désignés par le chef de l'Etat, se réunit une fois tous les 5 ans et assure une double fonction :

- il élit le Président et le Vice-Président appelé éventuellement à le remplacer en cours de mandat,

- il se prononce sur les modifications de la Constitution et approuve les grandes lignes de la politique gouvernementale pour les cinq années à venir.

Le personnage dominant des institutions indonésiennes est bien entendu le Président de la République .

Chef du pouvoir exécutif, le Président de la République nomme et révoque les ministres, qui ne sont responsables que devant lui. L'Indonésie ne connaît pas la pratique du Conseil des Ministres, les ministres recevant directement leurs instructions du Président.

Le Président détient également des pouvoirs législatifs étendus qu'il exerce au travers de décrets ou de décisions présidentiels. Titulaire du pouvoir exécutif depuis 1966, le général Soeharto a été élu Président de la République en mars 1968 par l'Assemblée du peuple, qui avait une année auparavant déposé le Président Soekarno. Il a par la suite été réélu à six reprises, et en dernier lieu le 10 mars 1998, étant précisé qu'il était dans tous les cas le seul candidat en lice.

Elu par l'Assemblée consultative du peuple en même temps que le Président, le Vice-Président a pour principale vocation de remplacer le Président pour le restant du mandat en cas de décès ou de cessation de fonctions. Ici encore, la compétition entre plusieurs candidats n'est pas d'usage, le choix réel relevant du Président. M. Habibie, ancien ministre d'Etat pour la recherche et la technologie, a été élu vice-président le 11 mars dernier. Il est devenu chef de l'Etat le 21 mai 1998 à la suite de la démission du général Soeharto.

En résumé, le système politique indonésien se caractérise par une concentration des pouvoirs aux mains du Président qui dispose d'autre part des moyens constitutionnels de poser des limites très étroites à l'action des forces politiques.

Ce contrôle de l'exécutif s'exerce tout autant dans le domaine social, où les organisations syndicales ont également été encadrées, que dans celui de l'information : une organisation unique est seule habilitée à délivrer l'autorisation d'exercer la profession de journaliste.

Ainsi, tout en maintenant des institutions parlementaires et des élections et en reconnaissant un certain pluralisme, le régime de l'Ordre nouveau n'a-t-il laissé que de très faibles marges de manoeuvre à l'expression d'une quelconque opposition politique.

2. L'armée indonésienne au coeur du système politique

Depuis l'indépendance , l'armée n'a cessé de jouer un rôle clé dans le système politique indonésien , se portant garante de l'unité du pays et s'opposant aux tentatives d'instauration d'un Etat islamique.

Après l'échec de l'expérience libérale des années 1950-1957, les forces armées de la République d'Indonésie (ABRI), sous l'impulsion de leur chef d'état-major, le général Nasution, réclamèrent ouvertement la reconnaissance d'un rôle plus important dans l'appareil d'Etat, une "double fonction" sociale et politique autant que militaire. La période de la "démocratie guidée" qui s'ouvre en 1957, et qui est également marquée par une succession de troubles sociaux ou séparatistes entraînant l'application de la loi martiale, verra la satisfaction d'une partie des revendications des forces armées.

C'est à cette époque que l'armée se voit reconnaître, au même titre que les organisations économiques ou religieuses, la qualité de "groupe fonctionnel", avec les prérogatives politiques et institutionnelles qui s'y rattachent.

Dans un autre domaine, la nationalisation d'entreprises détenues par les Hollandais et transférées à l'armée, à partir de 1957, va s'accompagner de l'entrée de nombreux cadres militaires dans le secteur économique. L'armée se voit reconnaître, hors de la sphère militaire, un rôle dans le développement économique et social .

La prise de pouvoir par l'armée, en 1965, en réaction au coup d'Etat communiste permettra de consacrer la théorie de la "double fonction" des forces armées :

- fonction de sécurité et de défense , autant sinon plus orientée vers la menace interne que vers un agresseur extérieur,

- fonction socio-politique , qui justifie son implication dans des pans entiers de la vie civile et dans la direction politique de l'Etat.

L'armée indonésienne, placée sous l'autorité du chef de l'Etat, son commandant suprême, compte aujourd'hui environ 460 000 hommes. Le gouvernement indonésien donne la priorité au maintien de la cohésion nationale et de l'ordre public, qui entre dans les missions de l'armée, par rapport à une menace extérieure jugée secondaire. Aussi les crédits d'équipement sont-ils faibles, souvent mis en place au coup par coup pour satisfaire des besoins ponctuels, l'essentiel du budget étant consacré au fonctionnement.

Par ailleurs, les effectifs sont concentrés dans l'armée de terre et la police.

Avec 216 000 hommes, l'armée de terre s'appuie sur un maillage très serré du territoire, s'étendant jusqu'à l'échelle des villages. Elle comporte des unités d'élite bien entraînées, les forces spéciales d'intervention (KOPASSUS).

La police , avec 180 000 hommes, fait partie intégrante de l'armée et dispose en particulier de compétences et de matériels anti-émeutes étendus.

Comme on l'a signalé plus haut, l'armée dispose en tant que telle de 75 sièges sur les 500 que compte la Chambre des Représentants . Nombreux sont les membres des forces armées qui occupent des positions non militaires dans les ministères, dans l'administration territoriale ou dans les entreprises.

Par l'intermédiaire de ses coopératives, l'armée est impliquée dans la gestion de plusieurs secteurs de l'économie comme le transport maritime, les plantations, les mines, l'exploitation forestière ou le secteur bancaire.

De l'avis des observateurs, l'évolution récente du régime s'était cependant traduite par un relatif recul de l'influence des militaires dans la marche de la nation. Il s'agirait à la fois d'une conséquence du développement du pays, qui favorise l'émergence d'une nouvelle élite, et d'une volonté politique du chef de l'Etat, dont les liens avec l'armée se seraient distendus. Dans l'administration et les entreprises, des cadres civils ont pris désormais le pas sur des militaires. Au plan économique, les intérêts de l'armée ne pouvaient rivaliser avec les grands groupes privés qui se sont développés durant la période de croissance économique. La nomination, en mars dernier, d'un civil, M. Habibie, au poste de Vice-Président, jusqu'alors le plus souvent dévolu à un militaire, aurait constitué la dernière manifestation de ce phénomène qui a atténué, sans le remettre fondamentalement en cause, le poids considérable de l'armée dans la société indonésienne.

B. UNE LONGUE PÉRIODE DE CROISSANCE FORTE ET CONTINUE

Le programme de développement économique engagé par le régime du général Soeharto dès la fin des années soixante s'est appuyé sur une action volontariste de l'Etat et sur une importante aide étrangère. Vingt-cinq années plus tard, le décollage économique de l'Indonésie a suscité, jusqu'à il y a quelques mois, bien des appréciations élogieuses, alors qu'aux côtés de résultats flatteurs ont subsisté certaines zones d'ombre, annonciatrices des déboires futurs.

1. Une action volontariste en faveur du développement économique

L'autorité politique a incontestablement donné l'impulsion décisive à la mise en oeuvre du développement économique de l'Indonésie depuis la fin des années soixante, illustrant une conception dirigiste qui ne s'est guère atténuée au fil du temps. Avec méthode et constance, elle a défini des plans de développement à long terme, couvrant une période de vingt-cinq ans, eux-mêmes décomposés en cinq plans quinquennaux, assortis d'objectifs en termes d'investissements et de croissance.

Le premier plan à long terme a couvert la période 1969-1994. Un deuxième plan a été défini pour la période 1994-2019 et il a été amorcé par le 6e plan quinquennal 1994-1999.

Au travers de ces plans, trois orientations ont successivement été mises en oeuvre, avec des concours financiers extérieurs : la mise en valeur des ressources naturelles du pays , le développement d'une industrie nationale et enfin, l'ouverture à l'extérieur et l'insertion dans l'économie internationale .

L' aide extérieure a essentiellement transité par le groupe intergouvernemental sur l'Indonésie, devenu groupe consultatif sur l'Indonésie . Le Japon, les Etats-Unis et la Banque mondiale en sont les principaux bailleurs de fonds. Cette aide s'est maintenue à un haut niveau et représentait encore ces dernières années plus de cinq milliards de dollars par an.

L' ouverture aux investissements étrangers a été engagée par une loi de 1967. Il s'agissait essentiellement à l'époque de faire appel aux capitaux étrangers pour l'exploitation des ressources énergétiques et minières.

A partir de 1973, l'Etat a favorisé la création de joint-ventures entre partenaires étrangers et locaux afin de développer une industrie nationale, tournée vers la satisfaction des besoins du marché intérieur.

Enfin, les années 1980 voient se réduire les ressources tirées du pétrole, en raison de la chute des cours, imposant la nécessité d'une diversification de l'économie et le développement, toujours grâce à des capitaux étrangers, d'industries exportatrices, en particulier dans le textile, la transformation du bois, les produits alimentaires et la chimie.

Ainsi, à partir des années 1980, le développement économique, jusqu'alors marqué par l'emprise de l'Etat et un certain protectionnisme, s'oriente davantage vers la libéralisation de l'économie et l'ouverture aux marchés internationaux.

D'importantes réformes structurelles ont été engagées pour réviser le système fiscal, déréglementer le secteur financier, ce qui s'est traduit par un développement très rapide du réseau bancaire, lever un grand nombre de restrictions aux investissements étrangers, et réduire progressivement les protections tarifaires et non tarifaires, en particulier pour les produits en provenance de l'ASEAN. C'est ainsi qu'ont été abaissés, en mai 1995, les droits de douane sur 6 000 produits, ce qui a permis une réduction immédiate du taux tarifaire moyen, ramené de 19,5 % à 15 %. En ce qui concerne le régime préférentiel commun de l'ASEAN, l'objectif est de ramener le taux tarifaire moyen à 7 % en 2003.

Bien que se déroulant à un rythme plutôt lent, ce processus de déréglementation a été continu depuis quelques années, en grande partie à la suite d'orientations définies dans le cadre de l'ASEAN.

L'Indonésie est jusqu'à présent restée prudente en matière de privatisations , se limitant à ouvrir le capital de quelques entreprises publiques à des intérêts privés.

2. Des résultats flatteurs

Année après année, l'Indonésie a reçu les satisfecit des autorités internationales et des observateurs pour les résultats de sa politique économique. Ainsi, dans son rapport annuel 1997, le Fonds Monétaire International soulignait qu e "ces dernières années, l'Indonésie est parvenue à maintenir le rythme de développement économique impressionnant atteint dans les années 70 et 80 grâce à des réformes axées sur le marché". Il précisait que "les administrateurs ont félicité les autorités pour les résultats économiques de l'Indonésie au cours des dernières années, en particulier la réduction appréciable de la pauvreté et l'amélioration de nombreux indicateurs sociaux, ainsi que la moindre dépendance à l'égard des secteurs du pétrole et du gaz et la libéralisation d'importants secteurs de l'économie".

Dans le même esprit, la Banque Mondiale dans son rapport annuel sur l'Indonésie publié en juin 1997 soulignait la forte croissance, la modération de l'inflation, la vigueur des investissements, tant nationaux qu'étrangers, l'excédent des finances publiques, le haut niveau des réserves de change, autant de facteurs qui semblaient garantir de bons "fondamentaux " à l'économie indonésienne.

De fait, selon les chiffres cités par la Banque Mondiale, le taux de croissance annuel moyen qui était de 6,1 % sur la période 1980-1990 est passé à 7,6 % sur la période 1990-1995 .

L'effet premier de ce dynamisme de l'activité économique a été de permettre un recul spectaculaire de la pauvreté. La proportion des habitants vivant en dessous du seuil de pauvreté a été ramenée, selon la Banque Mondiale, de 56 % en 1970 à 15 % en 1990. Au début de l'année 1997, elle n'était plus que de 11 % d'après les autorités indonésiennes. Le PNB par habitant , qui était de 70 dollars en 1969, était de 970 dollars en 1995 et a franchi la barre symbolique du millier de dollars (1 125 dollars) en 1996. Les indicateurs sociaux tels que la mortalité infantile, l'espérance de vie, le taux de scolarisation, se sont considérablement améliorés durant la même période.

Parallèlement, l'Indonésie a atteint en 1984 son autosuffisance en riz , principal ingrédient du régime alimentaire indonésien, et elle est parvenue depuis lors à le maintenir malgré l'accroissement de la population.

En troisième lieu, l'Indonésie a entrepris avec succès la diversification de son économie, en réduisant sa dépendance à l'égard des exportations en pétrole et en gaz. Les ressources tirées des exportations d'hydrocarbures, qui représentaient 80 % des ressources en devises en 1969 et encore 75 % en 1980, n'en représentent qu'à peine plus de 20 % à l'heure actuelle. Ce recul est lié à la chute des cours, qui a réduit le volume des ressources pétrolières, mais également à la forte progression des autres activités, reflétant la transition d'une économie essentiellement fondée sur l'exploitation des ressources naturelles vers une économie créatrice de valeur ajoutée. Cette diversification a permis l'émergence de nouveaux secteurs tels que le textile, la transformation de bois (contreplaqué, pâte à papier, meubles) et du caoutchouc, le petit appareillage électrique, l'industrie de la chaussure ou encore les produits chimiques.

3. Les limites du décollage économique et les signes avant-coureurs de difficultés

La première limite du décollage économique de l'Indonésie réside dans la très inégale répartition des dividendes de la croissance , qu'il s'agisse d'une inégalité géographique, entre l'ouest de l'archipel, essentiellement Java, et les provinces orientales, qui demeurent assez largement à l'écart du processus de développement, on d'inégalités sociales, qui se sont creusées.

La deuxième limite tient aux goulets d'étranglement qui freinent les possibilités d'expansion : une sous-qualification de la population active , notamment en ce qui concerne les techniciens et les cadres intermédiaires, et un fort retard en matière d'infrastructures routières et ferroviaires et d'alimentation en eau et en électricité.

Enfin, l'importance de la corruption, à tous les niveaux, et le maintien, dans de multiples secteurs d'activités, de monopoles ou de privilèges peu justifiés faussent le jeu du marché et ne contribuent pas à assainir les structures de l'économie.

Au-delà de ces facteurs structurels, les bons résultats affichés par les indicateurs macroéconomiques ont quelque peu occulté les signes avant-coureurs de difficultés. Le développement non contrôlé du secteur bancaire a entraîné une expansion très rapide du crédit au secteur privé, pour le financement de projets ou d'entreprises ne présentant pas toujours les meilleures garanties de rentabilité. La dette extérieure du pays s'est rapidement accrue, dans des proportions encore plus fortes -et sous-estimées par les autorités financières du pays- pour le secteur privé que pour le secteur public.

Enfin, la détérioration de la balance des paiements courants, à partir de 1996, témoignait d'une dépendance persistante de l'économie indonésienne vis-à-vis de l'extérieur . L'épargne nationale, tant publique que privée, s'est en effet révélée très inférieure au niveau requis pour réaliser les investissements qui ont permis le développement économique. Le recours à l'emprunt extérieur demeure essentiel et pèse lourdement sur la dette extérieure, en accroissant sa composante à court terme.

II. UNE RUPTURE BRUTALE : DE LA CRISE ÉCONOMIQUE AU CHANGEMENT POLITIQUE

Enclenchée à l'été 1997 avec la chute de la roupie, la crise économique et financière s'est étendue à partir de janvier 1998 à tous les secteurs d'activité. Il s'agit d'une véritable rupture dans le cycle d'expansion continue qu'a connu l'Indonésie depuis près de trente ans et d'une régression sans précédent entraînant un appauvrissement brutal et immédiat du pays .

L'ampleur de la crise justifiait l'appel à l'aide internationale et en premier lieu au Fonds monétaire international. Mais les réticences des autorités indonésiennes à mettre en oeuvre certaines recommandations de la communauté internationale ont pleinement mis en lumière les imbrications étroites entre politique et économie en Indonésie.

Il était donc logique que les graves difficultés économiques se répercutent dans la sphère politique, d'autant que de longue date, l'année 1998, année du renouvellement présidentiel, avait été présentée comme sensible au regard de l'avenir du régime.

Venue de la communauté étudiante, renforcée par les victimes de la crise, la contestation politique a gagné des secteurs de plus en plus nombreux de la société indonésienne, le maintien du "système Soeharto" apparaissant désormais comme un obstacle au retour de la confiance internationale et au rétablissement de l'économie du pays.

A. UNE CRISE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE SANS PRÉCÉDENT

Par son ampleur et ses conséquences, la crise indonésienne dépasse de beaucoup les difficultés que rencontrent les autres pays de la région. Elle constitue la manifestation la plus aiguë et la plus spectaculaire de la crise asiatique en raison du recul brutal qu'elle inflige à une économie jusqu'alors réputée florissante.

1. L'enchaînement de la crise économique indonésienne

Amorcée par un effet de contagion de la crise monétaire asiatique, la crise indonésienne s'est amplifiée au fur et à mesure que se révélaient les faiblesses profondes de l'économie.

Ainsi, depuis l'été 1997, on assiste à une sorte de dynamique négative qui provoque une dégradation continue de la situation économique et financière.

L'origine de la crise est d'abord monétaire . La roupie indonésienne était depuis plus de dix ans ancrée au dollar, moyennant une dépréciation de 3 à 5% par an destinée à compenser le différentiel d'inflation. La crise monétaire thaïlandaise de juillet 1997 a mis en lumière, au delà de la dégradation des paiements extérieurs, les déséquilibres profonds affectant les systèmes économiques et financiers des pays de la région. A partir du mois d'août, la roupie indonésienne a elle aussi fait l'objet de très vives attaques spéculatives que les autorités, obligées de laisser flotter la devise, ont tenté de contrer, en consacrant près de 10 milliards de dollars de réserve de change à la défense de la monnaie et en imposant un relèvement drastique des taux d'intérêts.

Le rapport roupie indonésienne/dollar américain , qui était au début de l'année 1997 de 2 400 roupies pour un dollar, a franchi la barre des 3 000 en septembre 1997.

Dans un deuxième temps, au cours de l'automne 1997, les autorités indonésiennes ont tenté de retrouver la confiance de la communauté internationale, en élargissant les possibilités d'investissements étrangers, en gelant ou rééchelonnant des projets représentant une charge financière pour le secteur public et en faisant appel à l'assistance du Fonds monétaire international.

Cette réaction n'a pas eu les effets escomptés et dès le mois de décembre le rapport roupie/dollar dépassait les 4 000 pour terminer l'année à plus de 5 000. Malgré cette dépréciation de plus de 50 %, l'économie du pays a continué à bénéficier des acquis des premiers mois de 1997.

A partir de janvier 1998 , la crise s'est étendue à l'ensemble des sphères de l'économie .

Les doutes sur la capacité du régime à engager le programme de réforme du FMI, qui impliquait la remise en cause d'intérêts proches du pouvoir, la présentation d'un projet de budget 1998/1999 jugé irréaliste par ses prévisions de croissance et de taux de change, ont provoqué une seconde tourmente monétaire, le seuil de 10 000 roupies pour un dollar étant franchi le 8 janvier 1998. En cinq mois, la monnaie perdait ainsi les trois-quarts de sa valeur.

Depuis le début de l'année 1998, tous les efforts pour enrayer la crise monétaire ont été vains. Le général Soeharto a dû renoncer au projet, inspiré par un économiste américain, de "currency board" qui aurait conduit à une parité fixe entre le dollar et la roupie indonésienne. Un tel projet paraissait peu réaliste compte tenu des faibles réserves de change du pays et il a constitué un nouveau motif de conflit entre le gouvernement indonésien et les institutions financières internationales. Cet épisode n'a finalement contribué qu'à affaiblir la monnaie et alors que l'objectif était de ramener le dollar à un cours proche de 5 000 ou 6 000 roupies, le taux de change n'est guère passé en dessous de 8 000 roupies pour un dollar, avant de franchir à nouveau le seuil de 10 000 au mois de mai.

Les conséquences de la crise sont multiples.

Elles concernent tout d'abord la chute de l'activité économique, elle-même liée à plusieurs facteurs : l'effondrement du système bancaire indonésien et l'arrêt des financements étrangers, alors que les entreprises indonésiennes ne peuvent régler leurs dettes en devises, le niveau élevé des taux d'intérêt, le renchérissement des importations, qui pénalise l'industrie, y compris dans les activités exportatrices, la contraction de la demande intérieure qui provoque des effets très sensibles sur les secteurs de l'automobile et des transports, l'annulation ou le report de grands projets, notamment dans la construction.

La crise se manifeste également par une hyper-inflation qui dépassera très largement 50 % sur l'année 1998.

Elle se traduit par la multiplication des faillites de banques ou d'entreprises , prises en tenaille entre une dette en devises insupportable et un brutal arrêt de l'activité.

Elle entraîne des licenciements massifs, une montée du chômage et de la pauvreté .

Tous ces facteurs agissent les uns sur les autres pour entretenir une véritable spirale récessive .

A cette crise sévère s'ajoutent deux facteurs aggravants :

-
le faible cours du pétrole, alors que les recettes énergétiques assurent 20 % du financement du budget de l'Indonésie ;

- la sécheresse persistante, imputée au phénomène climatique El Niño, qui laisse entrevoir une production de riz inférieure à celle des deux dernières années et un déficit important. La difficulté de couvrir par ailleurs les besoins en blé, soja ou poudre de lait, réglés en devises, la hausse des denrées alimentaires de première nécessité et les effets de la crise sur le revenu des familles pourraient provoquer, dans certaines régions, une situation alimentaire critique.

2. Les causes profondes de la crise

Comme dans d'autres pays d'Asie, mais avec plus de relief encore, la crise indonésienne met en lumière le caractère fragile et souvent malsain des fondements de la forte expansion économique des dernières années.

Le développement incontrôlé du secteur bancaire, alors que l'absence de cadre réglementaire solide favorisait les pratiques imprudentes, voire frauduleuses, a permis de financer au delà du raisonnable des investissements à la rentabilité douteuse, que ce soit dans l'immobilier ou l'industrie. Le système bancaire s'est effondré sous l'effet de la crise monétaire. Seize banques ont été liquidées à l'automne et sept autres au printemps, plusieurs autres voyant leurs activités suspendues.

La croissance économique a également fait appel à un endettement extérieur considérable , lui aussi incontrôlé et d'ailleurs sous-estimé par les autorités indonésiennes. La réussite économique du pays et le maintien artificiel d'un taux de change ancré au dollar ont favorisé un endettement en devises excessif . La dette extérieure indonésienne est évaluée à 140 milliards de dollars, dont environ 65 milliards de dollars de dette publique (Etat et banques publiques) et 75 milliards de dollars de dette privée. En raison de la déficience des moyens de contrôle, cette dernière a été sous-estimée, les observateurs estimant que l'essentiel de la dette extérieure émanait de l'Etat indonésien. Le niveau élevé de la dette extérieure publique ne suscitait pas d'inquiétude, dans la mesure où il était stable, bien échelonné dans le temps et que l'Etat n'avait jamais été pris en défaut de paiement. Cette réalité a occulté l'emballement de la dette extérieure privée qui constitue pour l'essentiel une dette à court terme et porte sur des entreprises fragiles.

Les résultats flatteurs de l'économie indonésienne ont également masqué un manque de compétitivité et d'efficacité dû à l'opacité et au peu de transparence du système , qui entravaient le jeu des règles du marché. On touche ici aux imbrications étroites entre les dirigeants politiques et les milieux économiques, qui expliquent le maintien de monopoles ou de cartels disposant de rentes de situation liées à des concessions ou des privilèges divers, des droits de douane protecteurs pour certaines activités, une politique de crédit marquée par le favoritisme, et d'une manière générale, une tendance très forte à la corruption, au népotisme, à la collusion d'intérêts, qui allait bien souvent à l'encontre de la rationalité économique.

Enfin, dans les causes profondes de la crise, une mention particulière doit être faite au facteur politique , qui a pour une large part ruiné la confiance de la communauté internationale dans l'économie indonésienne. Dès le déclenchement de la crise à l'été 1997, il est apparu que les réformes structurelles annoncées par les autorités indonésiennes trouvaient leurs limites dans la préservation des intérêts de la famille du général Soeharto et de ses proches. Si une banque contrôlée par un fils du Président était fermée, ce dernier était autorisé quelques jours plus tard à en racheter une autre. De même, le gouvernement est-il revenu sur sa décision de reporter des grands projets d'infrastructures qui impliquaient des amis ou des enfants du Président. De fortes réticences sont également apparues face à la suppression, réclamée par le FMI, de privilèges réglementaires, fiscaux ou douaniers attribués à des proches, comme pour la voiture nationale Timor ou le monopole de commercialisation du clou de girofle. Il en va de même pour la suppression des cartels dans le secteur du papier, du ciment ou du contreplaqué.

A cet égard, la présence au sein du gouvernement formé au mois de mars de la propre fille du Président et du "roi du contreplaqué" Bob Hassan augurait mal de la volonté de mettre fin à ces pratiques, ce sentiment étant conforté à l'occasion du spectaculaire "bras de fer" opposant le régime au FMI.

Aussi, le régime, qui avait durant plusieurs décennies incarné la réussite économique, est-il apparu de plus en plus, en raison de son mode de gouvernement, comme un obstacle au rétablissement de la confiance internationale et un facteur d'aggravation de la situation économique.

B. L'AMPLIFICATION DE LA CONTESTATION POLITIQUE

La réélection à la présidence, pour un 7e mandat, du général Soeharto, l'accession de M. Habibie à la vice-présidence et la formation d'un nouveau gouvernement au mois de mars semblaient indiquer un "verrouillage" plus fort que jamais du système politique indonésien. Celui-ci n'a pas résisté à une contestation de plus en plus ouverte du "système Soeharto" qui ne laissait plus au Chef de l'Etat que l'issue de la démission.

1. Des apparences trompeuses : la réélection du général Soeharto et la mise en place d'un nouveau gouvernement

De l'avis de nombreux observateurs, l'année 1998 devait s'avérer particulièrement délicate, sur le plan politique, pour l'Indonésie, car elle devait conduire à poser clairement la question de la succession du général Soeharto, âgé de 76 ans, arrivant à l'échéance de son 6e mandat.

Déjà, la campagne électorale pour les élections législatives du mois de mai 1997 s'était caractérisée comme la plus violente de ces trente dernières années, avec près de 300 morts. Le score élevé du Golkar, le parti officiel, ne pouvait masquer une montée du mécontentement populaire qui n'avait pas hésité à se manifester sur le thème de la corruption ou des inégalités sociales.

A ces signes d'usure du pouvoir s'est ajouté l'effet de la crise économique , qui ne pouvait que renforcer la contestation de l'équipe dirigeante.

Toutefois, le général Soeharto est apparu plus imperméable que jamais aux turbulences politiques.

Alors que l'Indonésie s'enfonçait dans la crise, sa réélection par acclamation le 10 mars par l'Assemblée consultative du peuple est apparue une fois encore comme une formalité.

Le choix d'un civil, en l'occurrence le Dr Habibie, pour la vice-présidence, alors que le poste était occupé depuis plusieurs années par un militaire, apparaissait comme une marque d'affirmation de l'autorité présidentielle sur l'armée. En confiant cette responsabilité à un proche, il s'agissait également de montrer que le Président n'entendait pas se laisser déstabiliser par les attaques visant son entourage. Enfin, le choix d'un homme qui symbolisait le volontarisme industriel national, si critiqué par le FMI au nom du libéralisme, signifiait également que l'Indonésie ne voulait pas se laisser dicter sa conduite par l'étranger.

Le nouveau gouvernement portait également la marque du Président. Sa fille "Tutut" recevait le portefeuille des Affaires sociales tout en étant appelée à jouer un rôle réel beaucoup plus important. Certains observateurs envisageaient sa candidature à la présidence du Golkar, ce qui pouvait, à terme, la désigner en vue de la succession.

De même, des proches étaient nommés aux principaux postes de l'armée, tel le général Wiranto, ancien aide de camp du Président, au ministère de la défense, et le général Prabowo, gendre de Soeharto, à la tête des réserves stratégiques.

Une fois encore, le général Soeharto semblait renforcer son emprise sur le régime, en alliant une pratique autoritaire du pouvoir à un subtil jeu d'équilibre qui s'est appuyé successivement sur l'armée, l'islam et certains milieux d'affaires.

Mais la gravité de la crise économique allait faire perdre au pouvoir, aux yeux d'un nombre grandissant d'Indonésiens, sa légitimité politique et conduire à une contestation massive du "système Soeharto".

2. La contestation grandissante du "système Soeharto"

Pour beaucoup d'observateurs, la solidité et la stabilité du régime du général Soeharto tenaient à une sorte de consensus tacite aux termes duquel le développement économique et l'élévation rapide du niveau de vie avaient pour contrepartie l'acceptation du pouvoir en place, malgré son caractère autoritaire et son inclination pour la corruption ou le népotisme. Il faut d'ailleurs souligner que si les proches du Président ont particulièrement profité du décollage économique, c'est un ensemble très large de fonctionnaires ou d'entrepreneurs qui ont également tiré des dividendes du système, et qui avaient d'une certaine manière intérêt à son maintien.

Il est également reconnu que l'essentiel des intérêts financiers accumulés par la famille présidentielle, quel que soit le caractère contestable des méthodes utilisées pour les acquérir, proviennent d'investissements réalisés en Indonésie qui ont contribué au développement du pays.

De manière plus générale, on évoque volontiers la tradition javanaise de soumission à l'autorité établie , de déférence envers le détenteur du pouvoir, surtout s'il est âgé, de refus du conflit frontal.

La brutale remise en cause du développement économique a fait voler ce consensus en éclat.

La délégation de votre commission a été frappée, lors de ses rencontres avec des étudiants, de la vigueur de la contestation universitaire dans sa condamnation de l'exercice autoritaire du pouvoir et des liens entre pouvoir politique et intérêts économiques. Confinée dans un premier temps à l'enceinte des campus, sous contrôle étroit de l'armée, cette contestation s'est élargie à l'ensemble de la société.

La délégation a pu également constater que la presse , réputée docile et peu audacieuse, s'est fait l'écho de plus en plus ouvertement des revendications des étudiants , des aspirations aux réformes économiques et politiques et de la condamnation de la corruption, de la collusion et du népotisme, reprises sous l'acronyme "KKN".

Les ressorts de ce que l'on appelle sans détour "le système Soeharto", jusqu'alors allusivement évoqués, sont devenus très clairement dénoncés par les contestataires et reconnus par bon nombre de responsables politiques, économiques ou de la société civile.

Le "système Soeharto" se caractérise à la fois par l'ampleur considérable des intérêts économiques et financiers de la famille du Président et par la protection que leur accorde le pouvoir politique .

Chacun des six enfants du général Soeharto est en effet impliqué dans l'économie indonésienne, souvent en partenariat avec des hommes d'affaires indonésiens ou étrangers. La fille aînée du Président, "Tutut", intervient ainsi dans les autoroutes à péage, les infrastructures et l'audiovisuel, tout en ayant des participations dans le système bancaire. Parmi les fils de Soeharto, Sigit est présent dans le domaine bancaire, la pétrochimie et l'automobile, Bambang dans l'automobile, les télécommunications et le textile, Tommy dans le transport pétrolier et l'automobile. A vrai dire, peu de secteurs de l'économie indonésienne n'intéressent pas, de près ou de loin, la famille du général Soeharto.

Dans ces conditions, de multiples décisions gouvernementales ont fait apparaître la collusion entre pouvoir politique et intérêts familiaux .

On citera par exemple les protections tarifaires dont bénéficie la société pétrochimique détenue par Bambang, le monopole sur la vente du clou de girofle, élément essentiel dans la fabrication des cigarettes indonésiennes, dont bénéficie Tommy. Ce dernier avait également obtenu l'exemption des lourdes taxes qui frappent l'importation d'automobiles étrangères pour lancer en partenariat avec un constructeur sud-coréen et avec le soutien de banques publiques, la fabrication d'une automobile nationale, la "Timor".

Ce constat pourrait également être étendu à d'autres membres de la famille du général Soeharto, et à nombre de ses amis proches.

Aux yeux de l'opinion publique, l'enrichissement considérable de l'équipe dirigeante est devenu de moins en moins supportable à mesure que le pays s'enfonçait dans la crise. Par ailleurs, les pratiques de collusion allaient à l'encontre des aspirations des classes moyennes issues du développement économique, soucieuses d'une répartition plus équitable des fruits de la croissance et d'une plus grande égalité des chances.

L' amplification de la contestation a résulté de la conjugaison de trois facteurs :

- la généralisation des mouvements étudiants et leur expansion en dehors des campus avec le soutien des puissantes associations musulmanes, sans que l'armée, malgré quelques disparitions inexpliquées d'opposants qui lui sont imputées, n'intervienne,

- le développement des émeutes liées à la crise économique dans les grandes villes, qui dégénèrent en pillages prenant principalement pour cible la communauté chinoise, et qui contribuent à entretenir un climat de chaos,

- l'évolution de nombreux responsables politiques, militaires, économiques , qui prennent conscience de la dégradation accélérée de la situation et qui considèrent que le maintien du général Soeharto à la tête de l'Etat entraîne le pays dans le chaos et devient un obstacle majeur au retour de la confiance et au rétablissement de l'économie.

La généralsiation des désordres et des émeutes a fait basculer une large part de ces responsables qui avaient jusqu'alors campé dans un attentisme prudent, tout en reconnaissant, mais pas publiquement, la nécessité de réformes politiques.

A cet égard, la décision prise le 20 mai, sous la pression des étudiants, par le parti majoritaire, le Golkar, de demander une session extraordinaire de l'Assemblée consultative du peuple devant se prononcer sur la démission du Président et du Vice-Président, a été décisive.

Ainsi, le Parlement s'est-il affranchi de la tutelle que lui imposait l'exécutif, au point d'envisager la mise en oeuvre d'une procédure de destitution à l'encontre du Président. Pour éviter une telle issue, le général Soeharto présentait sa démission le 21 mai dernier , permettant au vice-président Habibie, d'accéder, selon les formes constitutionnelles, à la Présidence de la République.

III. L'INDONÉSIE APRÈS SOEHARTO : DE LOURDES HYPOTHÈQUES SUR L'ÉVOLUTION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE

La démission du général Soeharto sur fond de crise politique aiguë ouvre pour l'Indonésie une période d'incertitude, à la fois quant à la nature de la transition qui semble s'amorcer et quant aux perspectives d'une éventuelle alternance. Au plan économique, l'Indonésie paraît durablement affaiblie dans un environnement régional très dégradé.

A. UNE TRANSITION POLITIQUE CHARGÉE D'INCERTITUDES

La démission du général Soeharto, le 21 mai dernier, ne met en rien un point final à la crise qui secoue l'Indonésie depuis 9 mois. L'Indonésie entre dans une transition dont il est aujourd'hui difficile de mesurer l'ampleur et le rythme et qui appelle plusieurs questions :

- quelle est la marge de manoeuvre du nouveau président ?

- quelle peut être l'alternative au régime actuel ?

- va-t-on assister à une montée de l'islam, en tant que force politique ?

- quel rôle peut jouer l'armée dans les mois à venir ?

1. Quelle sera la marge de manoeuvre du nouveau pouvoir ?

Dès la démission du général Soeharto, le vice-président Habibie s'est vu transmettre, conformément à la Constitution, les pouvoirs présidentiels.

Ingénieur aéronautique de formation, ayant longtemps séjourné en Allemagne, le Dr Bacharuddin Jusuf Habibie, ministre de la recherche et de la technologie depuis 1988, apparaît comme le collaborateur le plus proche et le plus fidèle du général Soeharto. Musulman pratiquant, il a fondé avec l'appui de ce dernier, l'association des intellectuels musulmans (ICMI) en 1990, qui se veut le tenant d'un islam moderniste et réformiste. Sur le plan politique, il symbolise les projets ambitieux visant à doter l'Indonésie d'une industrie nationale de haute technologie, ce qui lui a valu de sévères critiques sur les dérives financières de tels projets.

Le nouveau gouvernement mis en place le 21 mai a repris l'ossature du cabinet précédent, en écartant toutefois les personnalités les plus proches du général Soeharto, tels sa fille Tutut ou l'homme d'affaires Bob Hasan, et en favorisant l'arrivée de ministres n'appartenant pas au parti officiel et issus du parti musulman (PPP) ou du parti démocratique indonésien (PDI). Ce nouveau gouvernement se caractérise également par le recours à un nombre important de "technocrates".

Le nouveau Chef de l'Etat, dans ses premières déclarations, s'est engagé sur la mise en chantier de réformes politiques, juridiques et économiques dont le contour reste cependant imprécis.

La question principale tient à l'organisation d'élections législatives anticipées , éventuellement suivies d'une nouvelle élection présidentielle. Il s'agit là d'une échéance déterminante pour l'évolution du pays dans la mesure où elle permettrait de trancher l'alternative suivante : une reconduction du parti au pouvoir qui pourrait faciliter le maintien du Président Habibie ou du moins de ceux qui l'entourent, ou un succès des forces d'opposition qui déboucherait sur la mise en place d'une nouvelle équipe dirigeante.

Pour l'heure, aucune de ces deux éventualités ne paraît s'imposer. Les conditions d'organisation d'une consultation électorale en 1999 font toujours l'objet de débats.

Il faut rappeler que les élections de 1997 s'étaient déroulées sous l'empire d'une législation limitant sévèrement l'expression du suffrage, seuls trois partis étaient autorisés, dont deux ne pouvaient en pratique mener campagne sur l'ensemble du territoire national.

Si l'organisation d'élections législatives, annoncée pour la fin de l'année 1999, peut satisfaire les aspirations d'une opinion publique avide de changement, encore faudra-t-il d'ici là, pour que ces élections aient un sens, modifier profondément la législation sur les partis politiques et la propagande électorale.

D'une manière plus générale, la marge de manoeuvre du nouveau Chef de l'Etat paraît étroite , limitée par la montée des oppositions et la gravité de la crise économique. Très lié au général Soeharto, il incarne la continuité et aucune des personnalités qui ont pris part à la contestation politique ou l'ont soutenue ne se sont ralliées à son gouvernement. Aussi devra-t-il satisfaire rapidement, par des actes concrets, les aspirations aux réformes d'une large partie de la population, faute de quoi l'instabilité politique pourrait à nouveau gagner le pays. Mais par ailleurs, l'Indonésie, aujourd'hui plus dépendante que jamais de la solidarité internationale, ne peut se permettre de nouveaux désordres politiques ou un vide du pouvoir, ce qui pourrait plaider en faveur d'une transition mesurée.

2. Existe-t-il des alternatives au régime actuel ?

Le contrôle étroit imposé par le général Soeharto sur la vie politique durant trente ans a étouffé toute velléité d'opposition et contrecarré l'émergence de mouvements organisés.

Les deux partis dits "d'opposition", c'est-à-dire le parti musulman (PPP) et le parti démocratique indonésien (PDI) ont été contenus dans des limites très strictes et ne se sont guère émancipés de la tutelle qu'exerçait le pouvoir à leur endroit. A aucun moment ces deux formations ne sont apparues en mesure de se poser en alternative crédible en cas de changement politique.

S'agissant de l' opposition extra-parlementaire , la délégation, lors de son séjour à Jakarta, a constaté qu'elle tardait à prendre le relais de la contestation estudiantine.

Mme Megawati Soekarnoputri, fille de l'ancien président Soekarno, a dû mener son combat en dehors de toute organisation politique depuis son éviction forcée, à l'instigation du pouvoir, de la présidence du parti démocratique indonésien. La délégation de votre commission a rencontré Mme Megawati et a constaté qu'elle jouissait d'une popularité réelle, et disposait de collaborateurs déterminés. Pour autant, ses moyens d'action demeurent limités.

La délégation a également rencontré les représentants de la Muhammadiyah , puissante organisation qui regroupe 28 millions de musulmans, dirigée par Amien Rais . Ce dernier a pris une part très active dans les événements, en multipliant les réunions au contact des étudiants. La délégation a pu constater que cette organisation s'était consacrée à l'élaboration d'un programme détaillé, en vue d'une éventuelle transition : les réformes politiques, la lutte contre la corruption et le népotisme, le démantèlement des monopoles ainsi que diverses propositions rejoignant celle du FMI en sont les principaux éléments.

Tout en annonçant son intention d'être candidat à la prochaine élection présidentielle, Amien Rais a adopté depuis le 21 mai une attitude temporisatrice , soucieuse de ne pas brusquer les étapes de la transition. Son organisation est apparue à la délégation comme l'une des seules forces constituées de nature à proposer, d'une manière relativement précise bien qu'embryonnaire, une alternative politique.

Il n'en demeure pas moins qu'au stade actuel, les forces d'opposition semblaient souffrir de plusieurs handicaps :

- leur dispersion, qui pourrait s'accroître encore si les partis politiques étaient désormais librement autorisés,

- et leur inexpérience du pouvoir à un moment où le relèvement du pays passe par la restauration de la confiance internationale.

3. Va-t-on vers l'émergence d'un islam politique ?

En se dotant en 1945 d'une idéologie nationale, le Pancasila, qui professe le monothéisme sans privilégier l'islam et garantit le respect des religions minoritaires, la République indonésienne dans ses fondements même, semble indissolublement liée à la neutralité religieuse.

Durant la première partie de sa présidence, le général Soeharto s'est appliqué à "dépolitiser" l'islam.

De fait, les puissantes organisations musulmanes se sont cantonnées à des fonctions sociales et éducatives, sans interférence avec la sphère politique.

La plus importante d'entre elles, le Nahdlatul Ulama , regroupe 35 millions de membres, surtout dans les zones rurales. Dirigé par un intellectuel modéré, Abdurrahman Wahid , il incarne un islam traditionaliste. Il intervient dans le secteur éducatif, avec notamment plusieurs milliers d'écoles coraniques, dans le secteur social, en matière de prévention nationale et infantile, ou encore dans le secteur économique, avec des coopératives et des banques de crédit rural.

La Muhammadiyah , dirigée par Amien Rais , a pour sa part été fondée en 1912, dans un objectif réformiste et moderniste. Elle s'apparente à un islam plus urbain, proche des classes moyennes, et se consacre elle aussi à des tâches caritatives et éducatives. Elle regrouperait 28 millions de membres.

Depuis le début des années 1980, on assiste à un renforcement progressif de l'influence politique de ces organisations et parallèlement, le régime Soeharto a cherché dans l'islam un nouvel appui pour consolider son assise, avec la création en 1990 par le Dr Habibie de l'association des intellectuels musulmans d'Indonésie (ICMI).

Cette montée de l'islam se manifeste à un double niveau.

Tout d'abord, les références à la religion se font de plus en plus fréquentes et nombreuses dans la vie politique et sociale. On observe un renouveau de la pratique religieuse , alors que le gouvernement a encouragé la construction de mosquées. L'observation des rites se fait plus rigoureuse, le port du foulard se généralise, y compris chez les jeunes, le pèlerinage à La Mecque attire chaque année un nombre grandissant de fidèles. Lors des échanges informels qu'elle a pu tenir avec de jeunes étudiants, la délégation de votre commission a ressenti l'importance du facteur religieux, d'autant que dans des universités où toute activité politique et syndicale était proscrite, les associations musulmanes s'avéraient les seuls lieux de réunion et d'échange pour les étudiants.

Cette tendance de fond se traduit également par une réapparition de l'islam sur la scène politique. On le voit par l'intérêt porté par le régime Soeharto à l'islam, potentiel allié politique, et le rôle de l'ICMI. On le voit également avec l'émergence d'Amien Rais et la participation active de la Muhammadiyah à la campagne de contestation du régime. Le Nahdlatul Ulama, souvent jugé plus proche du pouvoir, n'est pas resté à l'écart des événements et a lui aussi lancé des appels en faveur des réformes, contre la corruption et le népotisme. Ainsi l'islam semble-t-il s'affirmer comme un nouvel enjeu de la politique indonésienne, entraînant les acteurs de la vie politique dans une sorte de surenchère.

Cette évolution appelle deux questions complémentaires.

Tout d'abord , l'Indonésie peut-elle s'orienter vers le modèle d'une république islamique , qu'elle avait rejeté lors de l'indépendance ? Un tel scénario suscite des réserves au sein de l'armée et bien sûr dans les religions minoritaires. Elle pourrait également mettre en cause l'unité du pays, compte tenu de la forte proportion de non musulmans dans des îles de l'est de l'archipel. Pour autant, le facteur religieux parait appelé à jouer un rôle plus important dans la vie politique indonésienne .

Ensuite, existe-t-il un risque de développement du fondamentalisme intégriste ? Pour le moment, l'islamisme radical semble extrêmement minoritaire et réprouvé par les principaux dirigeants. Il est peu conforme aux traditions indonésiennes, qui ont façonné un islam tolérant et modéré. L'extrémisme s'est cependant manifesté à l'occasion d'attentats par le passé et dans une certaine mesure, les violences qui ont accompagné la campagne électorale de 1997 ont pu avoir un caractère religieux. Les organisations musulmanes sont toutefois traversées de tendances diverses, qui ne se retrouvent pas toujours dans les positions modérées des dirigeants principaux. Bien qu'aujourd'hui très minoritaire, l'extrémisme islamiste pourrait trouver un terreau favorable dans la crise économique, l'appauvrissement des masses et le désordre politique, en tirant argument de l'échec du modèle de développement à l'occidentale mis en oeuvre dans les trente dernières années.

4. Quel sera le rôle de l'armée dans l'évolution politique ?

Comme on l'a déjà souligné, l'armée joue un rôle politique de premier plan en Indonésie depuis 1945, et ce rôle s'est bien entendu accru avec l'arrivée au pouvoir du général Soeharto.

De tous les piliers du régime, l'armée est apparue comme le plus solide.

L'armée n'a pu enrayer la contestation politique, mais elle a conservé un certain contrôle de la situation. Elle a dans un premier temps contenu l'agitation étudiante au sein des campus, et lorsque celle-ci a gagné l'ensemble du territoire, elle a observé une certaine retenue, de manière à ne jamais totalement se couper des contestataires.

Lors de son séjour, la délégation a constaté que plusieurs chefs militaires avaient tenu à rappeler que l'armée constituait une émanation du peuple, dont elle était le protecteur naturel.

L'évacuation sans violence des étudiants qui occupaient le Parlement ou son souci du respect des formes constitutionnelles pour le départ du chef de l'Etat semblent montrer qu'elle se considère plus que jamais comme la garante de la République et de l'unité du pays.

Les déclarations du général Wiranto, ministre de la Défense et commandant en chef des forces armées, à propos du maintien de l'ordre et du nécessaire respect de la constitution, illustrent la volonté de l'armée de ne pas laisser dériver la transition politique en cours.

Certes, les événements récents ont également révélé les clivages qui traversent l'armée. On l'a vu avec le rôle controversé du général Prabowo, gendre de Soeharto et chef des réserves stratégiques. Mais on peut présumer que l'ordre public, l'intégrité et l'unité du pays constitueront pour l'armée des motifs d'intervention dans le cours des événements politiques.

B. UNE ÉCONOMIE TRÈS AFFAIBLIE DANS UN CONTEXTE RÉGIONAL DEGRADÉ

Mois après mois, l'économie indonésienne s'est enfoncée dans la crise et doit désormais affronter une récession sans précédent. Elle subit avec une acuité extrême une dégradation économique commune à tous les pays de la zone. Elle reste largement dépendante de l'aide internationale qui ne lui sera accordée qu'en contrepartie de profondes et difficiles réformes.

1. L'affaiblissement durable de l'économie indonésienne

Quelques mois après le déclenchement de la crise monétaire, en août 1997, puis de sa généralisation et de son amplification en janvier 1998, l'économie indonésienne paraît gravement et durablement affaiblie.

Aux facteurs qui entraînent la plupart des pays d'Asie dans la récession s'ajoutent des facteurs proprement nationaux.

En premier lieu, l'Indonésie se trouve au coeur d'une grave dépression qui touche toutes les économies de la région . Contrairement à certaines prévisions, les effets de la crise asiatique se prolongent et ce sont les structures de ces économies elles-mêmes qui sont en cause. La chute des marchés financiers et la dépréciation des devises s'accompagnent dans la plupart des pays de la zone d'une brutale récession.

Tout d'abord, l'afflux des financements qui avait permis un niveau d'investissement considérable, et sans doute excessif, est désormais stoppé. La prudence des investisseurs internationaux, le retrait des banques étrangères qui s'avèrent trop exposées dans la région et les difficultés des banques nationales conduisent à un arrêt du crédit qui amplifie les effets de la récession.

D'autre part, la relance des exportations sous l'effet des dépréciations monétaires, qui pouvait contribuer à une sortie de crise, ne s'est pas produite. Les industries exportatrices, souvent dépendantes de matières premières ou de produits intermédiaires importés, sont finalement plus pénalisées que favorisées par la dépréciation monétaire. Elles ne sont pas venues compenser la baisse de la demande intérieure.

Enfin, le haut niveau des échanges à l'intérieur de la zone asiatique a contribué à amplifier la crise, les pays s'entraînant mutuellement dans la récession du fait de leur interdépendance.

Dans cet environnement régional très défavorable, l'Indonésie paraît la plus touchée et durablement affaiblie.

Sur le plan macroéconomique, les prévisions déjà pessimistes établies en début d'année ont été revues à la baisse. Selon les autorités indonésiennes, la régression du PIB a atteint 8,5 % au premier trimestre et s'élèverait à 10 % sur l'ensemble de l'année. L'inflation devrait approcher voire dépasser les 50 %. Alors que les finances publiques indonésiennes étaient traditionnellement équilibrées, le déficit public prévu se monterait à 3,8 % du PIB.

Dans le cadre des discussions avec le FMI, une stabilisation de la roupie indonésienne au cours de 6 000 roupies pour un dollar à partir du second semestre était escomptée. Quand bien même cette hypothèse très optimiste se réaliserait, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui, elle signifierait une dépréciation de 60 % de la monnaie sur une année, ce qui demeure considérable et traduit un appauvrissement du pays.

La détérioration du tissu industriel n'a pas encore produit tous ses effets et le chômage, déjà en forte hausse depuis le début de l'année, devrait s'amplifier sous l'effet de nouveaux licenciements et de l'arrivée sur le marché du travail des jeunes générations. Bien qu'il soit difficile de disposer d'évaluations statistiques précises, en raison de l'importance du secteur informel, les services officiels estiment que le nombre de chômeurs pourrait atteindre 9 millions de personnes d'ici la fin de l'année 1998 , soit deux fois plus qu'en 1996. Encore ce chiffre peut-il apparaître comme une estimation basse. Par ailleurs, on estime qu'en raison de la croissance démographique l'Indonésie ne peut absorber les 2,7 millions de personnes qui se présentent chaque année sur le marché du travail qu'au prix d'une croissance supérieure à 5 % par an. La récession, si elle perdure, se traduira donc par une montée considérable du chômage.

Chômage et hausse des prix, en particulier pour les produits de première nécessité, provoquent un appauvrissement rapide de la population . En effet, si l'Indonésie a pu se prévaloir d'un revenu annuel par habitant supérieur à 1 000 dollars à partir de 1996, et d'un recul spectaculaire du pourcentage de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, il faut préciser qu'avant la crise 80 % de sa population disposait d'un revenu annuel moyen de 250 dollars seulement.

L'élévation du niveau de vie reste donc un acquis fragile que la récession risque de brutalement remettre en cause. On peut s'attendre, sous l'effet de la chute des revenus et de la hausse des prix, à une augmentation massive des situations de pauvreté.

2. Un redressement suspendu à la question des réformes économiques et de la dette privée

Alors que la plupart des pays asiatiques en crise ont rapidement réagi en engageant de profondes réformes économiques, l'Indonésie a pour sa part tardé à appliquer de telles mesures et a laissé se détériorer tant sa situation intérieure que la confiance extérieure.

Près de neuf mois après le déclenchement de la crise, deux questions majeures pour le redressement ne sont pas totalement éclaircies : la mise en oeuvre des réformes économiques et la renégociation de la dette privée.

L'absence de réaction rapide face à la crise a été manifeste en ce qui concerne le processus de réforme économique, sans doute en raison d'une prise de conscience tardive de la profondeur de la crise, mais aussi parce que de telles réformes mettaient en cause le fonctionnement même d'un système mêlant politique et économie.

Dès l'automne 1997, à la suite de l'appel à l'assistance financière du Fonds monétaire international, la question des réformes structurelles a été posée. Ces réformes concernaient l'assainissement du secteur bancaire, le report ou la suppression de certaines dépenses publiques d'investissement, la libéralisation du commerce international et des investissements étrangers et le démantèlement des monopoles. Il s'agissait à la fois de favoriser un fonctionnement plus transparent et plus compétitif de l'économie et de mettre fin à certains privilèges indus, instaurés au profit de quelques uns à l'abri de mesures protectionnistes ou dirigistes, au détriment de l'économie nationale.

C'est en contrepartie d'engagements de cette nature que le FMI avait mis au point, en octobre 1997, un programme d'intervention d'un montant total proche de 30 milliards de dollars , associant des aides multilatérales du FMI lui-même, de la Banque mondiale et de la Banque asiatique de développement, et des aides bilatérales du Japon, de Singapour, des Etats-Unis, de Brunei, de la Malaisie et de l'Australie. Dans ce cadre, une première tranche de 3 milliards de dollars a été versée dès le mois de novembre.

Très rapidement, un contentieux s'est créé entre les autorités indonésiennes et le FMI sur la mise en oeuvre effective de ce plan.

A la décharge du gouvernement indonésien, on doit souligner que certaines mesures préconisées par le FMI entraînaient des conséquences sociales sévères. Ainsi, la suppression des subventions à certains produits de consommation courante ne pouvait que provoquer une brutale hausse des prix et le démantèlement de certains monopoles de distribution risquait de créer de réelles difficultés dans l'approvisionnement des populations en produits de première nécessité, surtout dans les territoires les plus reculés de l'archipel.

Pour autant, d'autres mesures n'ont été différées ou atténuées que parce qu'elles touchaient des intérêts proches du Président et de sa famille. Il en allait ainsi de certains investissements publics, suspendus dans un premier temps, puis maintenus ensuite. C'était également le cas des privilèges fiscaux, douaniers ou de crédit accordés à la voiture nationale " Timor ", du monopole de la commercialisation du clou de girofle, de la dissolution des cartels du ciment, du papier et du contre-plaqué, ou encore des aides publiques au constructeur aéronautique IPTN.

La réticence des autorités indonésiennes dans l'application du plan de réforme a eu deux conséquences. La première, immédiate, s'est traduite par un véritable " bras de fer " avec le FMI qui, après avoir imposé un accord complémentaire le 15 janvier 1998, a suspendu le versement d'une deuxième tranche de 3 milliards de dollars en mars, avant que ne soit conclu, le 8 avril, un troisième accord. La seconde, tout aussi dommageable, touchait à la confiance de la communauté internationale en l'Indonésie, qui loin de se rétablir, a continué à s'effriter.

A l'heure où le nouveau Chef de l'Etat prenait ses fonctions, la question des réformes économiques était plus que jamais à l'ordre du jour. Ces réformes impliquent une remise en cause profonde du mode de fonctionnement de l'économie indonésienne et par ailleurs, elles ne seront pas sans conséquence sur la situation sociale. Elles ont été au coeur de la contestation politique qui a provoqué la démission du général Soeharto, sont attendues par la communauté internationale et conditionnent également le versement d'une assistance financière dont le pays a un besoin pressant.

Les premiers messages adressés par le Président Habibie semblent reconnaître l'urgence de ces réformes, mais on peut encore se demander si les fortes réticences apparues lors des derniers mois sont aujourd'hui réellement vaincues.

Le second point d'achoppement pour une éventuelle sortie de crise est celui de la dette extérieure privée .

Largement sous-estimée jusqu'à une date récente, elle se monterait à 70 milliards de dollars. Ici encore, le phénomène a été évalué tardivement et son traitement n'a guère avancé durant plusieurs mois. Les négociations engagées entre les banques créancières, les autorités indonésiennes et le FMI n'ont réellement débuté que le 15 avril. Après avoir écarté un règlement "à la mexicaine", dans lequel l'Etat se serait engagé à garantir aux débiteurs un taux fixe pour la conversion en roupie de leur dette libellée en dollar, les négociations se sont enlisées, laissant entrevoir aux établissements bancaires étrangers des pertes très importantes, dans une fourchette que les experts situaient entre 30% et 70%.

Un accord a finalement été conclu le 4 juin à Francfort. Il prévoit une restructuration sur huit ans de la dette extérieure des entreprises privées indonésiennes, avec un délai de grâce de trois ans pendant lequel les sociétés ne paieront que les intérêts. Le gouvernement indonésien créera une agence de restructuration de la dette indonésienne qui garantira aux débiteurs le montant de leur dette en roupies et qui assurera aux créanciers le remboursement en dollars.

Un rééchelonnement et également envisagé pour les dettes interbancaires indonésiennes.

Enfin, les banques internationales se sont engagées à reprendre les crédits nécessaires à l'exportation, avec la garantie de la banque d'Indonésie.

Cet accord était considéré comme susceptible de débloquer les financements internationaux du FMI et à la Banque mondiale.

Il ouvre une période de répit pour les entreprises privées débitrices tout en reportant sur l'Etat une partie du risque financier.

DEUXIÈME PARTIE -
LES IMPLICATIONS DE LA CRISE INDONÉSIENNE
SUR LE PLAN INTERNATIONAL
ET SUR LES RELATIONS FRANCO-INDONÉSIENNES

Les dernières décennies avaient vu une affirmation progressive de l'Indonésie sur la scène internationale .

Quatrième pays du monde par sa population, l'Indonésie entendait jouer un rôle diplomatique significatif, en particulier par son engagement dans le mouvement des non-alignés. Mais c'est essentiellement à l'échelle régionale qu'elle s'est révélée comme un acteur majeur, par son rôle très actif dans l'ASEAN.

L'émergence de l'Indonésie sur le plan international allait de pair avec le décollage économique du pays. La crise économique profonde que traverse le pays, alliée aux incertitudes politiques, conduit bien entendu à reconsidérer cette évolution, et au travers d'un certain affaiblissement de l'Indonésie au plan régional , ce sont de nouvelles interrogations sur l'avenir de l'Asie du sud-est et sur l'équilibre de l'ensemble de la zone qui apparaissent.

En ce qui concerne les relations franco-indonésiennes , la crise intervient au moment où celles-ci, encore modestes, prenaient leur essor. C'est sur le plan des échanges économiques que les répercussions négatives de la crise seront les plus fortes. Cette période difficile ne doit pas pour autant conduire la France à négliger un grand pays qui demeurera, quoi qu'il arrive, un acteur important dans l'ensemble asiatique.

I. UNE POLITIQUE EXTÉRIEURE CONFRONTÉE À UN ENVIRONNEMENT DÉFAVORABLE

Les efforts déployés durant ces dernières années par l'Indonésie pour mener une politique extérieure active au service de son rayonnement international viennent désormais se heurter à un environnement beaucoup moins favorable, tant au niveau mondial, où elle pouvait prétendre occuper une place de premier plan, qu'à l'échelle régionale où l'ASEAN, axe majeur de sa diplomatie, traverse une période de turbulences.

A. UNE POSITION FRAGILISÉE SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE

La crise politique et économique pourrait conduire l'Indonésie à revoir les ambitions qu'elle affichait sur la scène internationale, tout en ravivant le contentieux du Timor oriental, principal point de friction avec la communauté internationale.

1. Des ambitions diplomatiques qui pourraient être contrariées

Le rôle international de l'Indonésie s'est affirmé dès les années 1950, dans le cadre de la création du mouvement des non-alignés et de l'émergence des pays nouvellement indépendants. L'arrivée au pouvoir du général Soeharto allait consacrer la normalisation des relations avec les pays occidentaux mais aussi, dans un premier temps, un relatif effacement de la scène internationale.

A partir des années 1980, l'Indonésie a renoué avec des ambitions diplomatiques plus affirmées.

S'appuyant sur sa stabilité politique et sa relative réussite économique, l'Indonésie a pu revendiquer un rôle de premier plan, à la mesure de sa population de 200 millions d'habitants, de sa position stratégique en Asie et de son potentiel de développement.

Cette ambition s'est particulièrement déclarée en septembre 1997 lorsque devant l'Assemblée générale des Nations unies, le ministre des Affaires étrangères officialisait le souhait de l'Indonésie d'occuper à l'avenir un siège de membre permanent au Conseil de sécurité.

Reflet de cette ambition, la politique étrangère indonésienne s'est révélée active et indépendante. Elle s'articule autour de deux axes : la solidarité entre pays du sud dans un dialogue constructif avec les pays du nord d'une part, et la solidarité du monde musulman d'autre part.

En occupant la présidence du mouvement des non-alignés de 1992 à 1995 puis celle du groupe des 77 en 1997, l'Indonésie a pu conforter son assise auprès des pays du sud, en souhaitant porter ses efforts sur les questions économiques et en veillant à éviter une confrontation avec les pays du nord. Elle participe également au G15, groupe de pays du sud à l'économie émergente.

Elle est par ailleurs très impliquée dans l' Organisation de la Conférence islamique, dont elle a assuré la présidence ministérielle en 1997. Dans cette enceinte, elle s'est particulièrement engagée dans le soutien à la cause palestinienne et pour la mise en oeuvre des accords de Dayton en Bosnie. Elle montre ainsi qu'elle entend bien assurer son rôle de premier pays musulman du monde.

A l'évidence, la crise économique et politique actuelle a sérieusement ébranlé les fondements du crédit international de l'Indonésie et la contraindra, dans un premier temps, à limiter une action internationale qui allait en s'affirmant.

2. Vers une résurgence de la question du Timor oriental ?

La communauté internationale n'a jamais reconnu l'invasion puis l'annexion du Timor oriental par l'Indonésie et, pour l'ONU, le Portugal demeure la puissance administrative de ce territoire.

Alors que sur le terrain, où l'Indonésie maintient une forte présence militaire, les affrontements violents n'ont jamais cessé, et que la population timoraise -850 000 habitants essentiellement catholiques- est confrontée à une situation économique de plus en plus difficile , les négociations tripartites associant l'Indonésie, le Portugal et les Nations unies depuis 1984 n'ont guère progressé.

Le Portugal a jusqu'à présent posé comme préalable la reconnaissance du droit à l'autodétermination du Timor oriental alors que l'Indonésie subordonnait toute évolution du statut du territoire à la reconnaissance de son appartenance à l'ensemble indonésien.

Parallèlement ont été engagées, toujours sous l'égide des Nations unies, des rencontres "intra-timoraises" portant sur les aspects économiques, sociaux et culturels de la question timoraise et associant les Timorais exilés à l'étranger et ceux résidant en Indonésie.

La création, en avril dernier à Lisbonne, d'un "conseil national de la résistance nationale timoraise" qui entend rassembler l'ensemble des sensibilités timoraises de l'intérieur et de l'étranger, a été ressentie par Jakarta comme une initiative "court-circuitant" le dialogue engagé par les Nations unies.

Dans la province, la résistance armée organisée par le FRETILIN, mouvement indépendantiste qui avait pris le pouvoir en 1975, se manifeste par des actions sporadiques visant moins les forces indonésiennes que les Timorais jugés trop proches des autorités de Jakarta.

Avec un degré d'intensité variable, la question du Timor oriental revient périodiquement à l'ordre du jour et demeure l'un des handicaps majeurs de la diplomatie indonésienne et son principal point de friction avec les pays occidentaux, notamment avec l'Union européenne, qui a adopté une position commune sur ce sujet.

Au cours des années récentes, l'Indonésie s'est ainsi trouvée en difficulté face aux pressions internationales en faveur d'une évolution de la situation.

L'attribution, en 1996, du prix Nobel de la Paix à Mgr Belo, évêque timorais, et à M. Ramos Horta, porte-parole de la résistance en exil, a constitué pour l'Indonésie un sérieux revers. De même, la commission des droits de l'homme des Nations unies a-t-elle adopté en 1997 une résolution, coparrainée par l'Union européenne, sur ce point.

Longtemps au "point mort", la question du Timor oriental pourrait revenir au devant de la scène sous l'effet de la démission du général Soeharto, qui avive les espoirs de libéralisation du régime, et de l'accentuation de la pression internationale sur un pays affaibli. Celle-ci portera notamment sur la libération des prisonniers politiques, notamment M. Xanana Gusmao, ex-dirigeant du FRETILIN condamné à vingt ans de prison, et sur une évolution du statut du territoire vers une autonomie accrue.

Ici encore, le nouveau gouvernement devra opter entre des signes d'ouverture, tels que la reconnaissance d'une certaine autonomie de la province dans le cadre d'un statut spécial, et le risque, en cas de blocage persistant de la situation, d'une radicalisation de la jeunesse timoraise, fortement touchée par le chômage et la pauvreté, et de l'explosion d'un conflit latent depuis plusieurs années.

B. UN ACTEUR AMOINDRI EN ASIE DU SUD-EST

Depuis sa création en 1967, l'association des Nations du sud-est asiatique (ASEAN) constitue l'axe majeur de la politique extérieure indonésienne. Cette organisation, dans laquelle l'Indonésie a jusqu'ici joué un rôle pivot, ressent aujourd'hui les effets de la crise mais au-delà des turbulences qui affectent l'ASEAN, c'est la question du maintien de l'équilibre régional qui se pose.

1. La remise en cause du rôle de l'Indonésie dans l'ASEAN

Après avoir mis fin à la confrontation avec la Malaisie, l'Indonésie s'est résolument engagée, à partir de 1967 dans la création de l'ASEAN, laquelle comportait également la Thaïlande, les Philippines et Singapour parmi ses membres fondateurs. L'ASEAN s'est élargie au Brunei en 1984 et au Vietnam en 1995, puis au Laos et à la Birmanie en 1997. L'adhésion du Cambodge a été reportée à la suite de la crise politique de l'été 1997.

L'Indonésie a fait de l'ASEAN la priorité de sa politique étrangère et de fait, elle constitue l'épine dorsale de l'organisation. Elle a oeuvré pour son élargissement -y compris à la Birmanie, contestée en raison de son régime politique- et pour l'affirmation de son identité face aux principales puissances de la zone Asie-Pacifique. Elle a orienté l'ASEAN vers des objectifs de sécurité régionale, en particulier avec la création du Forum régional de sécurité (ARF) en 1993 et la signature d'un traité de dénucléarisation de l'Asie du sud-est en 1995.

Régie par des règles souples, qui se veulent respectueuses de la souveraineté des Etats et du principe de non-ingérence, l'ASEAN a permis à l'Indonésie d'affirmer sinon un leadership, du moins une position de tout premier plan sur la scène régionale, comme en a témoigné son implication dans le dossier cambodgien lors des accords de Paris en 1991, ou sa médiation réussie entre le gouvernement philippin et le front de libération national moro.

Par ailleurs, souhaitant développer une industrie exportatrice pour diversifier son économie, l'Indonésie a oeuvré en faveur de la création d'une zone de libre-échange (AFTA) au sein de l'ASEAN, dont le principe a été décidé en 1992 et qui devrait être effective en 2003. Cet engagement pour la libéralisation des échanges est cependant prudent. Après avoir soutenu des positions très ouvertes lors du sommet de l'APEC (coopération économique Asie-Pacifique qui regroupe l'ASEAN, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, le Canada, les Etats-Unis, le Mexique et d'autres pays riverains du Pacifique) à Bogor en 1994, elle s'est montrée plutôt réticente sur leurs modalités de mise en oeuvre.

La crise asiatique et les difficultés indonésiennes affectent aujourd'hui l'efficacité de l'ASEAN.

Plus active en matière de coopération politique que sur le plan économique, l'ASEAN n'a guère contribué à organiser une riposte concertée à la crise financière, même si certains de ses membres ont manifesté, sous forme d'engagement d'aide bilatérale, leur solidarité avec l'Indonésie. L'ampleur de la crise peut provoquer, entre ses membres, des sujets de friction, liés par exemple à des mouvements migratoires incontrôlés provoqués par l'appauvrissement des populations, comme ceux que l'on a constatés de Sumatra vers la Malaisie.

Le développement de feux de forêts à Kalimantan, dans la partie indonésienne de Bornéo, amplifiés par la sécheresse liée au phénomène climatique El Niño mais souvent provoqués par une déforestation sauvage et des pratiques peu encadrées, constitue également un sujet de conflit potentiel entre l'Indonésie, parfois jugée trop passive face à ces incendies, et ses voisins tels que la Malaisie et le Brunei, directement touchés par l'extension des incendies eux-mêmes et par les immenses nuages de fumée polluants qu'ils provoquent.

D'une manière plus générale, l'inégale capacité de réaction des différents pays de la zone face à la crise, mais aussi l'effacement du plus ancien Chef d'Etat, père fondateur de l'association, à savoir le général Soeharto, pourraient entraîner une profonde redéfinition de la hiérarchie entre les différents membres de l'ASEAN, au détriment de l'Indonésie et à l'avantage de pays qui ont mieux résisté aux turbulences économiques, comme la Malaisie.

2. Un regain d'inquiétude pour le stabilité régionale

La création, puis l'élargissement de l'ASEAN, a jeté les bases d'une entente politique qui joue un rôle positif pour la stabilité régionale.

Les différends ou les conflits potentiels entre pays membres ont pu être abordés dans le cadre d'un règlement amiable. Ainsi, après la fin de la confrontation entre l'Indonésie et la Malaisie, les contentieux territoriaux qui les opposaient ont-ils pu être traités de façon non conflictuelle, comme l'a montré par exemple la saisine de la Cour internationale de justice au sujet du différend sur les îles Ligitan et Sipadan.

Parallèlement, l'ASEAN a constitué un facteur d'équilibre dans les relations parfois difficiles entre les pays de la zone et la Chine.

Le principal foyer de tension se situe en mer de Chine du sud , zone stratégique pour les échanges économiques en Asie du sud-est, riche en réserves d'hydrocarbures et en ressources halieutiques.

La Chine a adopté en 1992 une loi maritime qui inclut dans le territoire chinois les îles Spratly et Paracel , également revendiquées par le Vietnam, Taïwan, les Philippines, Brunei et la Malaisie. De surcroît, elle revendique autour de ces îles une zone économique exclusive qui empiéterait sur l'archipel des Natuna , siège d'un important gisement gazier, qui appartient à l'Indonésie. Ainsi, au travers de ces prétentions, la Chine placerait sous sa souveraineté la plus grande partie de la mer de Chine du sud.

Ce contentieux n'a pu trouver de règlement dans le cadre de la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer, dont les parties font des interprétations divergentes. Il s'est traduit par une certaine escalade, chaque pays tentant d'affirmer sa souveraineté en installant sur des îles jusqu'alors souvent inoccupées des équipements militaires ou des bases de pêcheurs, et en délivrant des concessions d'exploration pétrolière.

L'ASEAN s'est jusqu'à présent révélée un cadre approprié pour faire face aux ambitions chinoises sans rompre pour autant le dialogue avec Pékin. Dans ce dispositif, l'Indonésie a rempli une fonction stabilisatrice.

Un effacement de l'Indonésie et un affaiblissement de l'ASEAN pourraient fragiliser cet équilibre précaire et raviver des tensions jusqu'alors contenues.

Même si les Etats concernés, y compris la Chine, donnent la priorité au règlement de leurs difficultés intérieures, la crise économique qui secoue la région et ses répercussions politiques ne peuvent qu'influer négativement sur le contentieux autour de la mer de Chine du sud.

A ce foyer de tension peuvent s'ajouter deux nouvelles sources d'inquiétudes.

La première concerne le risque de développement de la piraterie, des violences en mer et des trafics en tout genre, qui pourrait s'amplifier sous le double effet de la crise économique et d'une moindre capacité de l'Indonésie à jouer son rôle dans le contrôle et la surveillance des routes maritimes.

La seconde, aujourd'hui hypothétique, est liée aux interrogations sur l'évolution politique à moyen terme de l'Indonésie . Pays le plus important de la zone, elle a contribué à sa stabilité et à son développement en renonçant aux ambitions territoriales qu'elle affichait encore au début des années 1960. Cette ligne politique "pacifique" reste aujourd'hui d'actualité et ne semble en aucun cas remise en cause par les opposants au général Soeharto. En revanche, une poursuite de la dégradation de la situation politique indonésienne qui s'accompagnerait de dérives nationalistes pourrait, à moyen terme, susciter des craintes sur une modification de l'attitude du pays et le retour de tensions avec ses voisins.

II. LES RELATIONS FRANCO-INDONÉSIENNES EN ATTENTE D'UNE RELANCE

Au cours des années récentes, la France a cherché à renforcer notablement ses relations avec l'Indonésie, tant sur le plan politique qu'économique. La crise actuelle a bien entendu entravé cet objectif, qui demande désormais à être relancé.

A. LES RELATIONS POLITIQUES ET LA COOPÉRATION FRANCO-INDONÉSIENNE : UN PARTENARIAT MODESTE

Les relations franco-indonésiennes s'appuient sur certaines convergences politiques et sur de nombreuses actions de coopération.

1. Un dialogue politique conforté par de réelles convergences

Si l'Indonésie tend naturellement à privilégier ses relations avec les grands partenaires de la zone Asie-Pacifique, en particulier avec le Japon, l'Australie ou les Etats-Unis, non sans quelques tensions avec ces derniers, elle cherche également à développer ses contacts avec l'Union européenne.

Parmi les pays européens, l'Allemagne, pour des raisons économiques, et les Pays-Bas, pour des raisons historiques, entretiennent des relations étroites avec l'Indonésie. La France, pour sa part, a développé des relations qui s'appuient sur un certain nombre de convergences politiques .

Tout d'abord, les diplomaties française et indonésienne se sont trouvées côte-à-côte au sujet de la question cambodgienne , l'Indonésie ayant co-parrainé les accords de Paris de 1991. L'implication française sur ce dossier, mais aussi l'aide importante de la France au Cambodge sont approuvées par l'Indonésie.

D'autre part, l'Indonésie reconnaît et approuve un certain nombre de lignes de force de la diplomatie française, qu'il s'agisse de l'action en faveur de l'allégement de la dette des pays en développement ou du dossier du Proche-Orient, qu'elle suit avec une particulière attention au sein de l'Organisation de la conférence islamique.

Enfin, la France bénéficie aux yeux de l'Indonésie de son implication active dans l'institution des sommets Europe-Asie (ASEM). A cet égard, le sommet de Londres en avril dernier a été perçu très positivement, comme un témoignage de l'intérêt que l'Europe apporte à l'Asie et une reconnaissance des implications mondiales de la crise asiatique, dont le règlement ne se limitait pas aux seuls pays de la zone.

Aux côtés de ces points positifs, la question du Timor oriental, sur laquelle la France, comme les autres pays de l'Union européenne, soutient la position des Nations unies, demeure la seule ombre au tableau de relations par ailleurs confiantes.

C'est sur ces bases que se sont amplifiés, après 1994, les contacts ministériels entre les deux pays, soit lors de visites bilatérales, soit en marge des sommets de l'ASEM.

En dernier lieu, la visite à Jakarta, au mois d'avril, de M. Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à l'occasion d'une exposition sur les technologies françaises, a montré qu'au delà de ses difficultés actuelles, la France porte sur le long terme un intérêt à l'Indonésie et à son développement.

Cet intérêt se manifeste également par la candidature au forum régional de l'ASEAN sur la sécurité , l'ARF, créé en 1993 qui associe autour des neuf pays de l'ASEAN, la Chine, la Russie, les Etats-Unis, le Canada, le Japon, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Corée du sud, l'Inde et l'Union européenne, représentée par sa présidence. Ainsi que l'a confirmé le ministre des affaires étrangères, M. Alatas, à la délégation, l'examen des nouvelles demandes d'adhésion, dont celle de la France, est pour l'instant suspendu et reporté à moyen terme. La présence de l'Union européenne d'une part et le souhait de ne pas déséquilibrer l'ARF au détriment des pays de l'ASEAN d'autre part ont en effet jusqu'à présent été invoqués pour différer une candidature française, tout comme d'ailleurs la candidature britannique.

L'intervention de la crise économique et politique a quelque peu remis en cause les jalons que notre pays avait posés pour intensifier son dialogue avec l'Indonésie.

La délégation a constaté qu'au delà des marques d'attention portées à l'évolution de la situation du pays, la France avait quelque peu hésité à apporter une réponse claire à des demandes telles que l'octroi d'une aide humanitaire d'urgence, formulée par les autorités indonésiennes.

Certes, la France a souligné à juste titre la part qu'elle prend au financement des nombreuses actions multilatérales d'aide à l'Indonésie . Mais sans doute y aurait-il intérêt à ce que notre pays apparaisse désormais comme partenaire plus visible et plus présent.

2. Une coopération bilatérale perturbée par la crise

En affectant la capacité politique et financière de l'Indonésie de conduire des projets conjoints, la crise a freiné la mise en oeuvre d'une coopération bilatérale qui prenait son essor.

Sur le plan financier , la France s'est affirmée comme l'un des principaux donateurs à titre bilatéral, le troisième, loin derrière le Japon mais juste après l'Allemagne, avec une aide de près de 10 milliards de francs au cours dix dernières années. Ainsi, des protocoles financiers d'un montant important ont-ils été signés avec l'Indonésie chaque année depuis 1990, pour permettre, à l'aide de prêts à long terme du Trésor français l'achat d'équipement d'origine française ou le financement de projets de développement. En dernier lieu, deux protocoles financiers totalisant plus de 500 millions de francs ont été signés au mois de décembre 1997, pour le financement d'un navire océanographique, l'aménagement de voies de communication et des projets dans le secteur de la santé. Mais l'impossibilité financière, pour la partie indonésienne, de mettre en place les contreparties aux financements français rend hypothétique la mise en oeuvre de ces protocoles.

En matière culturelle, scientifique et technique , l'Indonésie est notre deuxième partenaire de l'ASEAN et le sixième d'Asie, avec une enveloppe de 26 millions de francs en 1997. La coopération comporte un important volet scientifique et technique, avec la formation de cadres de l'administration et de l'industrie. Plus de 3 000 boursiers ont ainsi été formés en France. Notre coopération s'appuie également sur la présence d'experts français dans les ministères techniques tels que l'industrie, le développement technologique et les transports.

Sur le plan culturel, quatre centres culturels sont implantés à Jakarta, Surabaya, Bandung et Yogyakarta et on compte par ailleurs 4 Alliances françaises implantées dans le pays. Ces établissements enseignent la langue française, qui occupe cependant une place très modeste en Indonésie. Ici encore, les difficultés liées aux cofinancements indonésiens contraindront à réviser dans l'immédiat les programmes de coopération culturelle, scientifique et technique.

Trois écoles françaises assurent l'enseignement des enfants d'expatriés : le lycée international français de Jakarta, qui relève du réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, et les écoles mises en place respectivement par Total et Dumez à Balikpapan et Padang.

Une mention particulière doit être faite au sujet du lycée international français de Jakarta qui, avant la crise, scolarisait plus de 550 élèves, essentiellement français puisque le lycée n'est pas autorisé à accueillir des Indonésiens. Le retour en France de familles expatriées en raison de la crise va entraîner pour la rentrée scolaire 1998 une chute des effectifs inscrits au lycée français qui provoque de multiples difficultés de gestion.

On doit également signaler, toujours sur le plan culturel et scientifique, l'existence d'un centre de documentation scientifique et technique chargé de diffuser les informations sur l'actualité scientifique française.

En matière de recherche, le CIRAD, dans le domaine des plantations, des forêts et des technologies agro-alimentaires, et l'ORSTOM dans des activités liées à l'agronomie ou à l'océanographie, sont présents en Indonésie.

En matière militaire , une coopération s'est développée sur la base d'un arrangement conclu en 1985 et sous la forme de visites, d'organisation d'escales et d'actions de formation. S'agissant des équipements, l'armée de terre a acquis auprès de GIAT Industries des véhicules de l'avant blindés (VAB) qui lui avaient été prêtés, dans un premier temps, au titre des opérations de maintien de la paix en ex-Yougoslavie. L'armée de l'air possède des hélicoptères Super-Puma fabriqués sous licence en Indonésie et des radars de défense aérienne ont été fournis par Thomson. Alors que l'Indonésie ne consacrait déjà qu'un budget réduit à ses dépenses d'équipement et que la concurrence entre fournisseurs était vive, la crise suspend, dans le court terme, les perspectives de poursuite de certaines coopérations engagées, en particulier pour la construction d'une base navale à Teluk Ratai, sur l'île de Sumatra.

B. UNE PRÉSENCE ÉCONOMIQUE LIMITÉE

Avec un peu plus de 2 000 immatriculés, et une population estimée à 800 personnes non immatriculées, la communauté française en Indonésie, concentrée pour plus des deux-tiers à Jakarta, reste très modeste. La crise économique pourrait en outre entraîner une diminution notable de ses effectifs.

Par ailleurs, la France ne représente moins de 2 % du stock d'investissement français en Indonésie et 2 à 3 % seulement des parts de marché.

1. Le faible niveau des investissements français en Indonésie

Avec environ 150 entreprises françaises présentes, dont plus de 40 entreprises implantées à un niveau significatif et 1 % du stock d'investissements étrangers , la présence française en Indonésie reste particulièrement modeste, si on la compare à celle constatée dans les pays voisins (sa part moyenne dans les investissements directs étrangers y dépasse le plus souvent 2 %) et des potentialités qui caractérisaient le marché indonésien avant la crise.

En dépit de la continuité et de l'importance de son aide bilatérale, la France n'occupe que le 15e rang mondial pour le montant cumulé des autorisations données par l'agence gouvernementale chargée de l'instruction des dossiers d'investissement, le BKPM, depuis 1967 et la part de la France (1 %) est très inférieure à celle de l'Allemagne (3%), des Pays-Bas (6,2 %) ou du Royaume-Uni (17,4 %).

Toutefois, ces statistiques ne tiennent pas compte des investissements effectués dans le domaine énergétique (les investissements réalisés par TOTAL se situent autour de 1 milliard de dollars) et dans le domaine financier (le cumul des investissements des Banques -BNP, Crédit Lyonnais et Société Générale principalement -représentant un montant supérieur à 200 millions de dollars).

Première entreprise française en Indonésie , Total y est implantée depuis 1968 . Dans le cadre d'un contrat de partage de production, elle est associée à la société publique indonésienne Pertamina. Elle se situe, pour la production, au 3e rang des opérateurs pétroliers étrangers après Caltex (partenariat Texaco Chevron) et Mobil. Alors que sa production de pétrole, après avoir culminé à la fin des années 1970, s'est aujourd'hui réduite et se stabilise, Total a fortement accru sa production de gaz qui devrait encore pratiquement doubler d'ici 2005, grâce à la mise en exploitation des gisements de Balikpapan , sur l'île de Bornéo.

La délégation de votre commission a pu mesurer l'ampleur des investissements réalisés par Total sur ce site et les perspectives prometteuses ouvertes à cette entreprise.

Outre les hydrocarbures et le secteur bancaire, la France est surtout représentée par des grands groupes dans des secteurs à forte intensité capitalistique : électricité, chimie, traitement des eaux, bâtiment et travaux publics (Groupe Alcatel-Alsthom, Groupe Schneider, Rhône-Poulenc, L'Oréal, Degrémont, Dumez, SAE...).

Des implantations récentes sont à noter dans le domaine des travaux publics (Groupe Bouygues), du tourisme (Groupe ACCOR), de l'agro-alimentaire (DANONE), de l'environnement (LYONNAISE DES EAUX et CIE GÉNÉRALE DES EAUX), de la chimie (AIR LIQUIDE), du ciment (LAFARGE COPPEE) et des assurances (AGF, AXA).

En outre, les entreprises françaises sont encore très peu présentes auprès des grands groupes locaux, financiers et industriels (notamment les groupes chinois qui constituent l'essentiel du secteur privé indonésien et possèdent les trois-quarts des actifs du pays). Les petites et moyennes entreprises sont également très peu présentes, souvent découragées par les démarches administratives ou commerciales ainsi que par les coûts d'approche élevés du marché.

En revanche, France Telecom et la Lyonnaise des Eaux ont pris l'initiative de concessions privées de services publics. La première concerne le réseau téléphonique de l'ensemble de l'île de Sumatra, la seconde la gestion de l'eau potable de la partie ouest de Jakarta.

D'autres groupes travaillaient sur des concessions semblables dans le domaine des transports ferroviaires (Générale des Eaux), des transports urbains (tramways de Surabaya et Medan avec GEC-Alsthom et Bandung avec CEGELEC), des aéroports (Dumez à Solo) ou des ponts entre l'île de Java et les îles voisines (avec Campenon-Bernard, Bouygues ou Dumez).

Certains de ces investissements (principalement la concession de France Telecom) et l'ensemble des projets en cours d'étude ont été remis en question au fil des huit derniers mois. On peut estimer que 2 à 3 années seront nécessaires pour envisager à nouveau des perspectives positives.

Aucune entreprise n'a décidé de cesser ses activités en Indonésie. La plupart ont réduit leurs charges, parfois fortement, notamment en rapatriant des collaborateurs expatriés ou même en licenciant des employés locaux mais l'objectif de chacune est de se préparer à une période de transition dans l'attente d'une nouvelle phase de croissance. Les banques ont cependant aujourd'hui quelques inquiétudes spécifiques, devant le risque d'une application stricte de la nouvelle législation leur faisant obligation d'un capital minimum de l'ordre de 100 millions de dollars. La plupart affirment, à ce stade, préférer fermer leurs établissements plutôt d'apporter des liquidités complémentaires.

Le souhait des entreprises françaises de renforcer, à moyen et à long terme, et malgré les difficultés actuelles, leur présence en Indonésie s'est illustré lors de l'exposition France High Tech, que la délégation a pu visiter, au cours de laquelle plus de 80 d'entre elles ont présenté leur offre technologique et industrielle.

2. Des échanges commerciaux en expansion

Les exportations françaises vers l'Indonésie ont connu au cours des dernières années une évolution erratique , fortement influencée par les fluctuations liées à l'exécution des grands contrats. Elles ont atteint un premier sommet en 1992 grâce à des livraisons d'Airbus, puis ont fortement décliné en 1993 et 1994, en dépit de livraisons exceptionnelles de produits énergétiques, avant d'enregistrer une reprise marquée en 1995, imputable à une forte progression de nos ventes de biens d'équipement professionnels (matériel électrique, électronique, construction aéronautique et navale).

En 1996 , les exportations françaises à destination de l'Indonésie ont atteint 6,5 milliards de francs et enregistré une progression de 26 %, un résultat encourageant qui devait toutefois beaucoup à la livraison en décembre de deux Airbus A330.

Ce sont de nouveau les livraisons aéronautiques (quatre Airbus A330 livrés entre janvier et avril) qui ont fait de l'année 1997 celle du record absolu d'exportations françaises à destination de l'Indonésie, avec 8,7 milliards de francs , soit une progression de 33 % par rapport à l'année précédente.

L'Indonésie était en 1997 notre 31e client , avec un courant d'exportation représentant 0,53 % de nos exportations totales. En faisant abstraction des livraisons aéronautiques de 1996 et 1997, nos exportations vers l'Indonésie ont progressé que de 3,4 % en 1996, et de 15,1 % en 1997, des chiffres qui sont la résultante d'évolutions disparates selon les secteurs. A l'instar de celles enregistrées d'une année sur l'autre, ces fluctuations sectorielles traduisent le manque de consolidation de nos courants d'affaires. Ce phénomène s'explique par une implantation encore insuffisante de nos entreprises mais également par la structure du marché d'importation indonésien (caractérisé par un marché des biens de consommation importés encore embryonnaire et par une composante biens d'équipements tributaire du caractère ponctuel des investissements productifs et des grands projets d'infrastructures).

De leur côté, les importations françaises en provenance d'Indonésie ont globalement stagné entre 1992 et 1995. Elles ont progressé de 13 % en 1996, puis de 17 % en 1997, où elles ont atteint un niveau record de 6 milliards de francs .

L'Indonésie était en 1997 notre 33e fournisseur , avec 0,39 % de nos importations totales. Les importations françaises en provenance d'Indonésie ont progressé de 17 % par rapport à 1996, un résultat qui témoigne d'une diversification de la structure de nos importations, qui affecte à des degrés divers l'ensemble des secteurs, mais également de la compétitivité croissante du tissu exportateur indonésien. Nos importations en provenance d'Indonésie demeurent fortement concentrées dans un nombre limité de secteurs, en premier lieu le textile et l'habillement (25,9 % du total), puis les produits agricoles et agro-alimentaires (16,5 %), la chaussure (13,8 %), les meubles (13,5 %), et l'électronique professionnelle et grand public (13,2 %). Parmi ces grands postes, les progressions les plus marquantes ont concerné l'électronique professionnelle (+ 35 %), et les meubles (+ 28 %), tandis que le textile-habillement et la chaussure ont tous deux progressé de 19 %.

L'excédent commercial de 2,6 milliards de francs et le taux de couverture de 144 % enregistrés en 1997 revêtent toutefois un caractère ponctuel. Une fois décomptés les échanges aéronautiques, les échanges bilatéraux étaient en réalité proches de l'équilibre, aussi bien en 1997 qu'en 1996.

Les exportations françaises vers l'Indonésie demeurent fortement tributaires de la mise en oeuvre de grands projets, en particulier dans les secteurs du matériel électrique et téléphonique. La crise économique se traduit par l'annulation ou le report d'un nombre grandissant de projets privés, dont les effets se feront d'autant plus sentir sur les flux d'importations que l'investissement étranger ne sera pas immédiatement en mesure de prendre le relais de l'investissement domestique. On peut s'attendre à une baisse d'au moins 10 % de l'ensemble des importations indonésiennes sur l'année 1998.

Cette évolution affectera d'autant plus les exportations françaises qu'aucune livraison d'Airbus ne prendra le relais, si bien que nos perspectives d'exportation à destination de l'Indonésie en 1998 se situent au mieux entre 5 et 5,5 milliards de francs, ce qui représenterait une baisse de 36 à 42 % par rapport aux chiffres de 1997. Cette estimation devra par ailleurs être ajustée à la baisse si aucun mécanisme fiable de financement des importations n'est mis en place à brève échéance.

CONCLUSION

Alors que l'année 1998 avait été annoncée comme une échéance politique importante pour l'Indonésie, avec la fin du 6e mandat présidentiel du général Soeharto, la crise économique brutale déclenchée à l'été 1997 est venue fortement ébranler un système politique qui semblait immuable.

Salué par l'ensemble de la communauté internationale, le développement économique continu du pays durant les trente dernières années apparaissait à la fois comme une conséquence et un facteur de la solidité d'un régime aux tendances autoritaires, dont la stabilité était l'objectif principal.

La crise économique a enclenché une logique rigoureusement inverse. La régression brutale de l'économie a été mise au débit d'un système qui, en raison de la collusion entre politique et économie et d'un manque de transparence de plus en plus ouvertement critiqué, est apparu comme un obstacle au redressement du pays.

A l'issue des événements qui ont conduit à la démission du général Soeharto, deux constatations peuvent être effectuées.

D'une part, l'avenir politique demeure incertain. L'Indonésie, dans sa situation actuelle, ne peut se permettre de sombrer dans le désordre politique mais pour autant, l'aspiration au changement qui s'est vivement manifestée dans les dernières semaines ne pourra se satisfaire d'évolutions marginales. Disposant d'une marge de manoeuvre réduite, le nouveau Chef de l'Etat devra gérer une transition délicate entre une pratique autoritaire du pouvoir et un régime permettant désormais l'expression de sensibilités jusqu'alors bridées. Des interrogations subsistent sur le rythme et l'ampleur de cette transition . Si elle demeure trop limitée, et que l'aspiration aux réformes n'est pas satisfaite, le risque est grand de voir la rue s'exprimer à nouveau. Si elle provoque l'effacement brutal des structures héritées du régime précédent, alors que les forces d'opposition ne paraissent pas totalement prêtes à assurer la relève du pouvoir, elle peut entraîner un vide politique propice à toutes les dérives.

Durant cette période incertaine, l'attention devra se porter sur deux acteurs particulièrement importants :

- l' islam , qui bénéficie d'un regain du sentiment religieux, se constitue rapidement en force politique et qui bien que traversé par des courants divers, ne remet pas pour l'instant en cause l'idéologie de Pancasila, fondement de la neutralité religieuse de la République. La crise économique et les désordres politiques font toutefois planer un risque réel d'émergence de tendances intégristes.

- l' armée , qui conserve un rôle fondamental et qui a montré qu'elle ne resterait pas indifférente à l'évolution politique du pays.

La deuxième constatation porte sur l'affaiblissement économique durable du pays. Comme ses voisins asiatiques, l'Indonésie est gravement touchée par une crise qui met en lumière les dérives financières de ces dernières années. Elle présente, avec un caractère accentué, tous les défauts d'économies qui ont artificiellement prospéré sur la base d'un financement aveugle des entreprises, en particulier dans l'immobilier, et de pratiques peu transparentes, finalement nocives pour la compétitivité sur le marché mondial. Elle est cependant plus sévèrement frappée que ses voisins dans les fondements même de son système économique. Ses performances économiques des dernières années s'appuyaient sur des bases fragiles et la brutale récession intervenue cette année peut faire replonger une large partie de la population dans la pauvreté. Alors que sur tous les fronts, les perspectives de sortie de crise paraissent lointaines et incertaines, et que la confiance internationale tarde à revenir, l'Indonésie semble avoir perdu pour plusieurs années son statut de futur "dragon" et pourrait risquer une dramatique "marche arrière" vers le sous-développement.

Ces deux constats relatifs à la situation politique et économique du pays débouchent sur une conséquence supplémentaire : l'affaiblissement de l'Indonésie sur la scène régionale où elle s'était affirmée comme un acteur de premier plan. S'il devait se confirmer durablement, il constituerait un facteur négatif pour la stabilité de la région.

Ce contexte défavorable ne doit pas pour autant conduire la France à renoncer aux efforts qu'elle avait entrepris au cours de ces dernières années pour tenter de devenir un partenaire plus important de l'Indonésie.

Si les perspectives économiques ne sont plus aujourd'hui les mêmes pour ses entreprises, l'Indonésie demeure par sa population, ses ressources et sa position stratégique le plus important pays de l'Asie du sud-est. Il ne peut rester à l'écart des préoccupations de la politique française en Asie.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées a entendu le présent compte rendu présenté par M. Xavier de Villepin, président, au cours de sa réunion du 27 mai 1998.

Après avoir indiqué les différents contacts établis par la délégation avec les autorités gouvernementales et parlementaires indonésiennes, ainsi qu'avec les personnalités de l'opposition, M. Xavier de Villepin, président, a rappelé les principales caractéristiques de l'Indonésie, archipel composé de 17.000 îles dont 6.000 habitées, s'étendant sur 5.000 km et qui constitue, avec 210 millions d'habitants, le quatrième pays du monde pour sa population. Il a souligné la grande diversité ethnique, religieuse et linguistique de l'Indonésie. Il a notamment précisé que 87 % des Indonésiens appartenaient à l'Islam et a mentionné le rôle de la minorité chinoise, qui représente 3 % de la population.

M. Xavier de Villepin, président , a ensuite présenté les traits dominants du régime politique fondé en 1965 par le général Soeharto, en soulignant le rôle central de l'armée dans le pays, l'imbrication entre les intérêts économiques et les dirigeants politiques, et la faiblesse de l'opposition, divisée entre les associations musulmanes et des personnalités comme Mme Megawati, fille de l'ancien président Soekarno.

Il a toutefois rappelé que, sous le régime du président Soeharto, l'Indonésie avait connu une longue période de fort développement économique, le revenu annuel moyen par habitant passant de quelque 70 dollars en 1969 à environ 1.000 dollars en 1996.

Abordant la crise économique déclenchée à l'été 1997, M. Xavier de Villepin, président, a rappelé qu'elle avait entraîné une chute vertigineuse de la roupie indonésienne et une forte inflation. Il a également souligné les difficultés des négociations engagées par l'Indonésie avec le Fonds monétaire international (FMI), notamment en ce qui concerne le démantèlement de certains monopoles et la suppression des subventions à certains produits de première nécessité, avant la conclusion d'un accord au mois d'avril.

M. Xavier de Villepin, président , a ensuite analysé l'enchaînement de la contestation politique qui a conduit, le 21 mai dernier, à la démission du général Soeharto, qui ne saurait cependant -a-t-il estimé- mettre un point final à la crise. Il a évoqué la personnalité du nouveau président, M. Habibie, ancien ministre de la recherche et de la technologie, très proche du général Soeharto, et envisagé deux hypothèses pour l'évolution politique du pays à savoir une période de transition conduisant à un processus électoral ou une poursuite de l'agitation qui pourrait favoriser l'émergence d'un islam politique.

M. Xavier de Villepin, président, a conclu en donnant des précisions sur les relations bilatérales franco-indonésiennes et sur la place de la France, qui détient 2 à 3 % des parts de marché en Indonésie. Il a souligné la forte diminution de la communauté française en raison des récents événements politiques, avec notamment pour conséquence une réduction des effectifs du lycée français qui entraînera une rentrée difficile.

M. André Boyer a évoqué l'incidence grave des phénomènes climatiques de sécheresse sur les mauvaises récoltes et l'appauvrissement de la population indonésienne et sur le développement des feux de forêt dans le pays.

M. André Dulait a souligné le rôle social important joué par les associations musulmanes et a relativisé les appréciations portées sur le contrôle de l'information en Indonésie, compte tenu de la relative liberté de ton de la presse locale.

Mme Danielle Bidard-Reydet a insisté sur la profonde volonté de réformes, tant politiques qu'économiques, des étudiants indonésiens, tout en soulignant les limites d'une alternative politique.

M. Michel Alloncle a observé que la contestation politique était surtout le fait des classes moyennes. Il a considéré que la sévérité du plan imposé par le FMI avait joué un rôle dans le développement de la contestation.

En réponse à M. Charles-Henri de Cossé-Brissac, M. Xavier de Villepin, président, a rappelé le rôle important joué par les Etats-Unis dans le départ du président Soeharto mais aussi toute l'attention qu'ils portent à une stabilisation politique dans un pays où leurs intérêts économiques sont particulièrement importants.

La commission a alors autorisé la publication du compte rendu de la mission sous la forme d'un rapport d'information.

ANNEXE -
COMPTE RENDU DES ENTRETIENS
ET DES VISITES DE LA DÉLÉGATION

La délégation de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées a séjourné en Indonésie du 11 au 18 avril 1998. Elle s'est successivement rendue à Yogyakarta, principale ville universitaire du pays, dans la capitale, Jakarta, où se sont déroulés la plupart des entretiens avec les personnalités indonésiennes, et à Balikpapan, sur l'île de Bornéo, centre des activités de Total, première entreprise française en Indonésie.

Ce programme, pour l'organisation duquel il convient de remercier une nouvelle fois S. Exc. M. Gérard Cros, ambassadeur de France à Jakarta, et l'ensemble de ses collaborateurs, ainsi que des responsables de la société Total Indonésie, aura permis à la délégation de recueillir dans un temps très court de très nombreuses informations sur les données actuelles de la situation politique, sociale et économique de l'Indonésie et sur ses relations avec la France.

En dépit des profonds changements intervenus dans le mois qui a suivi la visite de la délégation, et en premier lieu la démission du Chef de l'Etat, il paraît utile de rappeler ces différents contacts.

1. Les audiences du général Soeharto et de M. Habibie

M. Xavier de Villepin, président, a participé le 16 avril 1998 aux côtés de M. Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à un entretien avec M. Soeharto , alors président de la République indonésienne , puis avec M. Habibie, vice-président .

Au cours de cet entretien, le général Soeharto a analysé les conséquences de la crise monétaire et financière qui a brutalement interrompu plusieurs années de développement économique. Alors que l'Indonésie semblait disposer de "fondamentaux solides", qu'elle avait réduit l'inflation, accru considérablement le revenu par habitant, diversifié l'économie au delà du secteur des hydrocarbures et enregistré des excédents commerciaux, la dépréciation de la roupie, entraînant l'effondrement du secteur bancaire, avait selon lui anéanti plusieurs décennies d'efforts. Il a rappelé les nombreux atouts, notamment les ressources naturelles, dont dispose l'économie indonésienne pour sortir de la crise et évoqué les principaux axes retenus, dans cette perspective, par le gouvernement. Restant sur le terrain économique, il a essentiellement mentionné ses objectifs en matière de privatisations et d'infrastructures.

M. Habibie, alors vice-président, qui venait de participer à Londres au sommet Europe-Asie, a lui aussi essentiellement évoqué les aspects économiques de la crise indonésienne et en particulier la question des négociations en cours entre les entreprises indonésiennes et leurs créanciers, pour le règlement de la dette privée. A ce propos, il a précisé que l'Etat pourrait garantir aux sociétés débitrices un taux de change fixe pour faciliter leurs achats en dollars en vue de s'acquitter de leurs dettes.

2. Les entretiens au ministère des Affaires étrangères et au ministère de la Défense

Au cours d'un entretien qui s'est déroulé le 14 avril 1998 avec M. Ali Alatas, ministre des Affaires étrangères , qui a été reconduit à son poste dans le nouveau gouvernement, la délégation a pu évoquer les principales questions d'actualité intéressant l'Indonésie.

En ce qui concerne la récente signature d'un accord complémentaire avec le Fonds monétaire international, M. Alatas a fait valoir que le précédent accord ne prenait pas suffisamment en compte certaines réalités socio-économiques indonésiennes. Le nouvel accord témoignait pour sa part d'une approche plus réaliste, par exemple en prévoyant une démarche progressive pour le démantèlement de certaines subventions, ou surtout en permettant le maintien temporaire de certaines prérogatives du Bulog, l'agence gouvernementale chargée de l'approvisionnement en denrées alimentaires de base, cet organisme étant le seul à même de garantir une distribution des produits dans l'ensemble de l'archipel, y compris dans les zones les moins accessibles.

M. Alatas a précisé les besoins de l'Indonésie en matière d'aide alimentaire.

Il s'est félicité de la tenue du 2e sommet Europe-Asie à Londres, qui a montré que l'Europe était consciente des implications mondiales de la crise asiatique.

La délégation a également évoqué avec M. Alatas l'évolution de la stillation au Cambodge, domaine dans lequel la diplomatie indonésienne s'est beaucoup impliquée, et les relations entre l'Indonésie et la Chine.

Au ministère de la Défense, la délégation a rencontré, le 14 avril 1998, l'Amiral Sunardi, conseiller du ministre pour les affaires internationales, et le général Agus Widjaya, sous-chef d'état-major "Plans généraux" à l'état-major des armées.

Cette entrevue a permis de faire le point sur la coopération bilatérale franco-indonésienne dans le domaine de la défense, qu'il s'agisse du dialogue entre les deux armées sur les questions stratégiques ou de l'équipement de l'armée indonésienne. A cette occasion ont été évoqués les projets, actuellement suspendus, d'achat de véhicules tactiques et de réalisation d'une base navale à Sumatra.

L'amiral Sunardi a également abordé les questions de sécurité régionale. En ce qui concerne les tensions qui pourraient résulter des revendications territoriales en mer de Chine du Sud, seule véritable source de menace extérieure pour l'Indonésie, il a indiqué que des solutions étaient recherchées dans le cadre d'un dialogue entre l'ASEAN et la Chine, qui devait être considérée comme un acteur responsable, intéressé à la stabilité de la région. Le développement de la piraterie et du trafic de drogue est également une préoccupation commune aux pays de l'ASEAN.

La délégation a obtenu des précisions sur le forum régional de l'ASEAN sur la sécurité (ARF), enceinte informelle consacrée aux questions politico-militaires à laquelle participent les 9 pays de l'ASEAN et 10 "partenaires du dialogue", dont l'Union européenne. Les demandes d'admission au sein de l'ARF, dont celle de la France, sont actuellement en suspens, un moratoire de 5 ans ayant été décidé par les actuels participants.

Après avoir évoqué la signature du traité instaurant une zone exempte d'armes nucléaires en Asie du sud-est, l'amiral Sunardi a précisé que les pays concernés n'envisageaient pas d'instaurer un mécanisme de sécurité collective, mais faisaient confiance aux coopérations entre pays voisins pour garantir la stabilité de la région.

3. Les contacts au Parlement indonésien

La délégation a tout d'abord rencontré le 13 avril 1998 M. Syarwan Hamid, Vice-Président de la Chambre des représentants (M. Hamid, qui a appuyé la demande de démission du général Soeharto formulée par les étudiants, a été nommé ministre de l'Intérieur le 21 mai). Avec lui ont été abordés les développements de la crise économique et sociale que traverse l'Indonésie, et tout particulièrement la question des manifestations dans les universités. M. Hamid s'est déclaré soucieux de permettre le dialogue avec les étudiants.

La délégation a par ailleurs participé le 16 avril 1998 à une réunion de travail avec des membres des commissions en charge des affaires étrangères et de la défense à la Chambre des représentants . Cet échange de vues avec des députés issus des différents groupes parlementaires a porté sur les conséquences de la crise économique actuelle, pour le règlement de laquelle l'Indonésie attend une aide internationale, sur le problème de la dette extérieure privée, sur le dialogue avec les étudiants qui manifestent sur les campus, sur le fonctionnement de l'ASEAN et sur le rôle qu'y joue l'Indonésie.

4. Les autres rencontres avec des personnalités du monde politique et économique et des représentants de la société civile

La délégation a eu un long entretien le 13 avril 1998 avec M. Aburizal Bakrie, président de la Chambre de commerce et d'industrie indonésienne . M. Bakrie a rappelé le déclenchement, à partir de la Thaïlande, de la crise monétaire et financière qui a eu des conséquences particulièrement graves en Indonésie, au moment où celle-ci était frappée par une sécheresse persistante. Il a souligné que le récent accord complémentaire avec le FMI était plus satisfaisant que l'accord initial, notamment en permettant de garantir l'approvisionnement alimentaire du pays grâce à la confirmation du rôle du Bulog, l'agence nationale de distribution. Il a souligné l'effet positif du plan sur le cours de la roupie indonésienne. Il a cependant rappelé la situation difficile de beaucoup d'entreprises privées, confrontées à un fort endettement et à des taux d'intérêt élevés, le secteur du bâtiment et les petites et moyennes entreprises étant les plus affectés. Il a précisé que pour l'année fiscale 1997/1998, on prévoyait une croissance négative de 4 %. Il a souhaité, pour ce qui est de la dette privée, qu'un accord soit trouvé entre créanciers et entreprises débitrices, par un effort réciproque de chaque partie.

La délégation a tenu une réunion de travail le 14 avril 1998 au Centre d'études stratégiques et internationales (Center for strategic and international studies), organisme de recherche indépendant spécialisé dans les questions internationales.

Au cours de cette réunion, les membres de la délégation ont pu débattre, avec des chercheurs indonésiens, des spécificités de la crise économique en Indonésie, par rapport à celle qui frappe d'autres pays d'Asie, sur les aspirations d'une partie de la société indonésienne à une réforme politique et sur les orientations économiques préconisées par le FMI.

A ce propos, il a été souligné que le pouvoir politique avait favorisé la constitution de monopoles et la collusion d'intérêts aboutissant à mobiliser au profit d'un petit nombre une large part des résultats de la croissance économique. Aussi le redressement économique passait-il par une plus grande transparence et par l'application des réformes préconisées par le FMI.

La délégation a rencontré Mme Megawati Soekarnoputri , fille de l'ancien Président Soekarno, ancienne présidente du parti démocratique indonésien (PDI). Evincée en 1996 de la présidence du parti démocratique, Mme Megawati poursuit hors de tout cadre partisan son combat politique. Avec elle et ses principaux conseillers ont été évoquées les perspectives politiques après la réélection du président Soeharto, les conséquences possibles de la contestation étudiante, et les chances de constitution d'une réelle alternative politique au gouvernement actuel.

La délégation a ensuite tenu deux réunions de travail le 15 avril 1998 avec les deux principales organisations musulmanes .

Représentant un islam traditionnel, bien implanté dans les zones rurales, le Nahdlatul Ulama (NU) a été fondé en 1926 en vue de développer un enseignement musulman en Indonésie. Au travers de ses différentes structures, il rassemble 35 millions d'Indonésiens et entend privilégier un rôle culturel (écoles), social (aide aux démunis) et religieux. Attaché à l'idéologie du Pancasila, garante de la diversité religieuse en Indonésie, et à l'unité des pays, il s'est montré sensible aux revendications étudiantes pour une réforme politique et économique tout en souhaitant éviter une confrontation entre les étudiants et le gouvernement et en prônant le dialogue.

Seconde organisation musulmane, forte de 28 millions de membres, la Muhammadiyah, active dans l'éducation et la santé (hôpitaux), et plutôt implantée dans les zones urbaines, veut incarner un islam moderne. Son dirigeant, Amien Rais, est engagé dans une campagne politique très active en faveur de réformes et d'un changement du Chef de l'Etat. Les représentants de l'organisation ont confirmé à la délégation les vues de M. Amien Rais sur les profondes réformes économiques et politiques indispensables. Ils ont évoqué la campagne contre la corruption et le népotisme, le programme politique et économique préparé par un groupe d'experts et leur souhait de la mise en place, après le départ du général Soeharto, d'un directoire de 5 ou 6 personnes représentatives de l'opposition qui serait chargé de gérer la transition en l'attente de nouvelles élections.

Enfin, lors de son séjour à Yogyakarta, la délégation a pu s'entretenir avec des étudiants des mouvements de contestation qui se développent sur les campus universitaires. Elle a perçu, de la part de ces jeunes, une vive contestation du pouvoir politique actuel et une profonde aspiration à des réformes politiques et économiques. Elle a également évoqué avec les étudiants le rôle et l'influence des organisations musulmanes auprès des jeunes. Il est apparu que dans les universités où toute activité politique est proscrite, ces organisations religieuses offraient pour les jeunes le seul cadre de réunion et de réflexion.

5. Les contacts avec la communauté et les entreprises françaises

La délégation a rencontré de nombreux membres de la communauté française en Indonésie, et particulièrement les représentants des deux associations de Français d'Indonésie. Ces contacts ont été l'occasion d'évoquer la situation actuelle de l'Indonésie et les conséquences de la crise sur les entreprises et les ressortissants français. Une attention particulière a été portée au fonctionnement du lycée international français de Jakarta qui, entre autres difficultés, est confronté pour la prochaine rentrée scolaire à une baisse des effectifs liée au retour en métropole d'un nombre important d'expatriés.

La situation des entreprises françaises en Indonésie a été abordée au travers de trois contacts privilégiés :

. la participation de la délégation, aux côtés de M. Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à l'inauguration de l' exposition industrielle France High Tech , au cours de laquelle 82 entreprises françaises ont présenté leur offre technologique et industrielle et qui a accueilli plus de 15 000 visiteurs,

. une réunion de travail avec les représentants d'entreprises françaises du secteur de l'armement , au cours de laquelle ont été présentés les principaux résultats obtenus par ces entreprises dans les années récentes et les conséquences pour leur activité des difficultés économiques actuelles de l'Indonésie,

. des contacts, à Jakarta, avec la société Total Indonésie , et un déplacement à Balikpapan (Kalimantan), consacré à la visite des installations de production de cette société. Premier investisseur français en Indonésie, et troisième opérateur pétrolier étranger, la société Total y est présente depuis 1968 et exploite des gisements d'hydrocarbures dans le cadre d'un contrat de partage de production avec la société d'Etat Pertamina. Alors que la production pétrolière de Total a diminué, celle de gaz naturel devait continuer à augmenter fortement au cours des prochaines années. La délégation a pu visiter les sites de production du delta de la Mahakam, à Kalimantan, sur lequel sont situés ces importants gisements gaziers. Total Indonésie emploie près de 1 700 personnes, dont 10 % d'expatriés et 90 % de personnels indonésiens.


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