M. Régis de CREPY
Maire de la Ferté-Loupière
Me Jacques COMBRET
Notaire

M. de CREPY. - Je voudrais faire deux propos liminaires.

Tout d'abord, je me sens un peu le canard de l'assemblée. Je pense être à peu près le seul non juriste. J'ai une vague teinture de mes études en faculté de droit, mais je n'ai pas exercé le métier. Par rapport à tout ce que j'ai pu entendre jusqu'ici, je me sens non pas complexé, du tout, je sens, au contraire, que j'ai une responsabilité différente : celle d'apporter un éclairage un peu extérieur, un éclairage de témoignage.

Je viens ici en tant que maire de France, au nom de l'association, mais je ne peux pas représenter, dans les propos que je vais tenir, l'association car celle-ci ne s'est pas encore prononcée sur les sujets qui vous occupent. Je ferai donc un témoignage.

Pour ce faire, j'ai pensé utile de vous planter le décor pour savoir quelles sont les observations que je peux avoir autour de moi dans mon expérience de maire.

Je suis maire depuis quelques années, dans une commune rurale de 650 habitants située dans la région de Bourgogne, qui fait beaucoup parler d'elle en ce moment, et en particulier, à la Ferté-Loupière, département de l'Yonne. Le prélèvement fiscal est de 1,2 MF. Vous voyez que c'est faible. C'est une population bien entendu rurale, mais plus seulement agricole. Les liens avec l'agriculture, qu'ils soient en population active ou non active ne sont plus que de 20 à 30 % seulement. Quand on parle de rural, on ne parle plus nécessairement du milieu agricole. Ceci doit être très clair. Il ne faut pas confondre l'agriculture et le milieu rural, encore que l'agriculture ait sa force et toute sa raison d'être dans le milieu rural, mais les choses évoluent.

A titre indicatif, nous avons une population qui a beaucoup décru au cours de ces dernières années. Entre les deux recensements de 1982 et 1990, il y a eu une baisse de 14 % dans ma commune. Depuis 1989, 1990, il y a une reprise très nette de la démographie, à telle enseigne, par exemple, que les effectifs de l'école de la commune sont en progression de 30 %. Bien que la population des plus de 70 ans ait progressé très largement, de nouveaux ménages sont arrivés et nous avons un rajeunissement assez général de la population.

Voilà ce que je voulais vous dire en ce qui concerne le terrain sur lequel j'exerce.

En préparant l'intervention que je fais à l'instant, j'ai demandé à l'école de me donner une indication sur les enfants et leur vie avec leurs parents biologiques. La réponse a été la suivante : seulement 50 % des enfants scolarisés dans ce milieu rural vivent avec leurs deux parents biologiques. Le milieu rural n'est donc plus tellement distinct du milieu urbain. Je voulais insister sur cet aspect avant de vous faire quelques observations, à titre de témoignage, sur ce qu'un maire peut ressentir par rapport aux problèmes évoqués ici.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais quand même rappeler les deux fonctions principales du maire. Je m'excuse, Messieurs les sénateurs qui, pour la plupart d'entre vous, êtes maires, je pense que ce que je vais dire est parfaitement inutile, mais je m'adresse au-delà de vous-mêmes. Ce qui me m'apparaît comme tout à fait fondamental dans la fonction du maire, est tout d'abord d'être, comme tout homme politique -car le maire est un politique au sens général et originel du terme...

M. BONNET. - Au sens noble.

M. de CREPY. - Je n'ai pas dit "noble", c'est vous qui le dites. Le rôle fondamental du maire est tout d'abord de mettre en perspective concrète, pour une population, son devenir. Il me semble que c'est la fonction principale. Elle se renforce dans l'époque que nous vivons.

La deuxième fonction, tout aussi importante, est d'être un lien, un médiateur, entre tous les éléments d'une population. Nous le vivons particulièrement bien et de façon très riche, en milieu rural, où nous n'avons pas du tout les mêmes problèmes politiques qu'en milieu urbain. Par politique, j'entends la politique politicienne.

Voilà, me semble-t-il, les deux fonctions majeures du maire qui peut être entrepreneur -et il doit l'être à notre époque-, agent social, etc. Les deux fonctions principales du maire sont donc la mise en perspective de l'avenir de la population, et le fait d'être médiateur au sein des composantes de cette population, au service de tous.

C'est par rapport à ces deux facteurs de réaction fondamentaux que je vais me situer dans les propos qui vous intéressent et que je vais aborder, non pas sur le fond, puisque je ne suis pas juriste, et que je ne voudrais pas compléter des informations et des jugements qui ont été apportés ici. Je voudrais plutôt m'interroger devant vous.

Ensuite, j'essaierai de vous donner quelques recommandations. C'est peut-être mon réflexe de conseiller économique qui prend le devant.

La première des questions, un peu candide, est la suivante : pourquoi diable met-on dans les grandes urgences -je ne parle pas de vous, Messieurs les sénateurs, qui avez raison de suivre les problématiques au jour le jour- le problème de la vie à deux ou de la réforme du divorce sur le plan de sa désinstitutionalisation judiciaire ?

Par rapport aux problèmes de société que nous vivons actuellement et par rapport à l'activité brûlante que nous vivons, y a-t-il véritablement une urgence telle qu'il faille saisir les capacités de réflexion du corps législatif sur ces deux thèmes, certes importants, mais enfin, permettez-moi de le dire, qui ne sont pas d'une telle urgence, me semble-t-il.

La deuxième question, plus prosaïque, est la suivante : si l'on réforme et que l'on prévoit un statut qui va améliorer financièrement -parce que tout se traduit d'une façon ou d'une autre par des aspects financiers, il ne faut pas se leurrer, qui va payer cette réforme ? Là encore, quelles sont les priorités ?

C'est à la fois candide et prosaïque, mais ce sont tout de même des réalités.

Est-on certain que l'on pourra hiérarchiser ces priorités ?

J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt, ce matin, l'intervention du M. le Professeur Hauser. A bien des égards, j'étais d'accord avec ce qu'il a pu nous dire. A bien des égards, mais pas à tous. Quand il a dit notamment que depuis fort longtemps, on avait pris des mesures de politique familiale qui apparaissaient dramatiques et qu'il ne s'est produit aucun cataclysme, permettez-moi de vous dire qu'en aucun cas je ne peux accepter cela quand on voit ce qui se passe dans la famille. Il faut dire que la famille a une capacité de résistance formidable. Mais il faut voir le taux de nuptialité en France. Je vous faisais état de la répartition des enfants de ma commune dans mon école : 50 % qui ne peuvent hélas pas vivre avec leurs deux parents génétiques. Il y a de quoi s'interroger sur la vitalité et l'explosion sociale dues au fait que la famille a très sérieusement évolué, sans doute dans des formes tout à fait acceptables et adaptables, mais on ne peut pas dire que ces différentes mesures qui ont été prises sont allées dans le sens de la préservation de la famille institutionnelle, telle qu'elle existait à l'époque. C'est selon moi une aberration.

Quand on dit que si l'on crée un statut nouveau, que ce soit pour le divorce ou pour la vie à deux, ce statut devrait bien entendu avoir une incidence sur l'évolution de la famille, je ne comprends alors pas bien la contradiction évoquée dans les deux termes du discours. En effet, on dit d'une part, que cela n'a rien produit et que, d'autre part, cela ne peut pas ne pas produire.

Voilà des questionnements qui, au départ, me mettent sur la réserve. Quand je vois cela depuis mes fonctions de maire dont j'évoquais tout à l'heure les deux aspects principaux -la mise en perspective, la médiation-, comment peut-on concevoir qu'un même maire qui a pour fonction essentielle de provoquer et de maintenir l'unité sociale pourrait à la fois consacrer des mariages par sa présence et accepter et officialiser le divorce ? Je dirai qu'il y a là un antagonisme qui me paraît difficile à gérer.

Quand on est mêlé à la vie quotidienne de sa population, et que l'on voit toutes les implications que peuvent avoir ces relations parents/enfants, on vit une histoire en tant que maire. On ne peut pas être en abstraction et vivre un instant donné. On vit dans la durée avec une population donnée.

Ensuite, comment faire pour déjudiciariser ? Est-ce que le maire doit avoir une compétence nécessaire pour examiner, avec le recul et la compétence nécessaires, toutes les relations entre les époux qui se séparent et leurs enfants car on ne divorce pas de ses enfants ? Je vois mal le maire intervenir à ce niveau. Il faudra donc trouver une compétence. Or, je ne vois pas beaucoup de compétences, en dehors du milieu judiciaire, pour exercer ce rôle.

On aurait pu imaginer que le maire reçoive d'un côté, un certificat du juge de la famille prouvant que les problèmes relationnels parents/enfants sont réglés, et, d'un autre côté, un certificat du notaire prouvant que les problèmes patrimoniaux sont réglés. Le maire, ainsi, n'aurait plus qu'à acter que tous les problèmes sont réglés. Je ne crois pas que cela simplifie considérablement la démarche. En tous les cas, on revient sur le dilemme que je vous posais au départ : comment un maire peut-il en même temps unir et désunir une même population dans la durée ? Cela me paraît difficile.

Quant au problème de la vie à deux, cela a été clairement dit, si le maire, et donc la commune, aide, favorise, une institution qui, d'une façon ou d'une autre, va venir en concurrence avec l'institution familiale au sens général du terme, et, il faut se dire que la loi de Gresham s'appliquera. La loi de Gresham -je me permets de la rappeler au-delà de vous mêmes, Messieurs les juristes- est celle de l'économiste qui parlait de la fausse monnaie qui chassait la bonne. C'est vrai dans tous les domaines de la vie. A partir du moment où l'on met un produit factice par rapport à un produit originel plus coûteux, plus exigeant, c'est le produit factice qui l'emporte. Il ne faut pas ensuite s'étonner de voir le mariage perdre de son intérêt.

Je voudrais ensuite vous faire part d'une troisième interrogation. Puis j'en viendrai à mes recommandations.

Quand on voit la difficulté de notre cohésion sociale, les difficultés de la vie démocratique, et quand on sait quelle part ont les deux institutions majeures que sont la mairie, le maire et la commune d'une part, et la famille, d'autre part, -selon les sondages, la famille est la première valeur, et le maire est probablement la deuxième valeur- pourquoi est-ce que ces deux institutions fondamentales, à la base de notre fonctionnement démocratique, seraient subitement remises en discussion ou chamboulées dans leur fonctionnement ? Il y a là problème.

Est-ce un fait de la pensée unique ? Est-ce un fait de la volonté populaire ?

Je voudrais à ce propos vous rappeler trois propos que j'ai tirés de mon agenda et qui m'ont été donnés ces derniers temps par des éléments de ma population.

Le premier d'entre eux est le suivant : " Ce que nous entendons tous les jours à la radio, Monsieur le maire, croyez-vous que c'est indispensable ? Cela fait 50 ans. Nous aussi, nous avons été déportés et résistants".

Deuxième propos, de Marcel : "De toutes façons, ils trichent tous : les politiques comme les autres".

Troisième propos, plus optimiste celui-là, de Catherine, 25 ans : "Monsieur le maire, j'espère que vous êtes libre le 18 juillet. Nous aimerions nous marier".

Je tire cela de mon agenda. Cela montre la situation concrète dans laquelle nous vivons. Je vous disais tout à l'heure mon interrogation première, très candide : pourquoi cette urgence ? Je constate en effet un décalage très important et je dis : attention. Jean-François Kahn nous a bien parlé récemment de la pensée unique, et il y a peut-être lieu de tenir compte de ses propos qui nous intéressent tous, quel que soit le bord auquel nous appartenons.

J'en terminerai avec quelques recommandations. Tout d'abord, une recommandation sur le sens des mots. Quand on parle de la vie à deux, on parle beaucoup de solidarité. De quoi s'agit-il réellement ? Est-ce vraiment de la solidarité ? Est-ce que le mariage, la famille, les liens de parents à enfants sont bien dans le même contexte ? Est-ce que l'on a le terme devant soi ? La solidarité est avant tout de faire fi du présent pour aider son frère, peut-être espérer en retour, mais ce n'est en tous les cas pas une affaire de court terme.

La deuxième recommandation sur laquelle je suis déjà intervenu, est la dualité et la gradualité des statuts. On nous dit que pour arriver à des situations exigeantes et difficiles à tenir, il faut passer par des stades intermédiaires. Là, l'expérience nous montre que c'est totalement faux. A partir du moment où le niveau d'exigence est abaissé dans une population donnée, on s'en tient là et on ne veut pas aller plus loin parce que c'est trop difficile. Ce sera réservé à quelques privilégiés qui auront la possibilité de faire toujours des progrès, mais en toute équité, le raisonnement est faux.

La dernière recommandation que je me permettrai de vous faire, messieurs les sénateurs -et je dirai qu'elle est superflue parce que vous êtes la Haute assemblée, vous êtes les sages de notre corps législatif- est d'insister sur la prudence politique, la vertu de juger dans le terme, la vertu de prévoir le bien commun, bien entendu dans le plus court terme possible, mais aussi dans le plus long terme. Cela me paraît fondamental.

Je vous l'ai dit, selon moi, le mariage, la famille, en admettant qu'on puisse y arriver, est quand même une communauté d'amour et de vie, une communauté d'amour et de vie qui s'engage dans le futur et qui correspond à l'aspiration fondamentale de la plupart des jeunes. "Je t'aimerai toujours", c'est toujours d'actualité. Pourquoi aider à ne pas tenir cet engagement ? Je ne parle pas de l'impossibilité de le tenir et d'essayer ensuite de trouver des remèdes à cette incapacité. Mais essayons quand même de réserver à nos jeunes un avenir et de leur permettre de penser qu'il est toujours possible d'être heureux.

Pour terminer, à titre de conclusion, je me permettrai de vous citer un ouvrage que vous avez probablement lu, les uns et les autres. Il est d'Emmanuel Todd, démographe et sociologue : "Toute croyance collective est une structure d'éternité qui permet au groupe de se perpétuer au-delà de la vie individuelle. Le déclin des croyances collectives, parce qu'il isole l'individu dans sa peur, révèle sa fragilité essentielle et la renforce. L'individu alors, est ramené à son intolérable. Or, les croyances collectives conduisent au long terme, sinon c'est le court terme qui prime et l'intolérance".

Voilà le témoignage que je souhaitais vous apporter.

M.  LARCHÉ, Président. - Merci, Monsieur le maire. Je suis persuadé que nous avons tous été très sensibles à la qualité de votre intervention.

J'ai compris que vous ne souhaitiez pas acquérir dans l'immédiat de nouvelles tâches ou, plus exactement, que vous n'étiez pas particulièrement demandeur pour exercer ce à quoi peut-être certains auraient songé.

Je vous indique malgré tout la préoccupation qui est la nôtre. Il ne s'agit pas de céder à la mode et de légiférer dans l'immédiat. Nous sommes au stade de la réflexion, comme nous en avons souvent menées sur un certain nombre de problèmes. Le moment venu, soyez bien assuré que ce que nous aurons entendu aujourd'hui et jusqu'à ce jour -et je vous englobe dans cet ensemble- sera pour nous d'un profit considérable.

Je note cependant un étonnement qui m'est tout à fait personnel. J'ai également des communes rurales : dans mon canton, dix-neuf communes qui ont moins de 2.000 habitants. Je me suis amusé, si j'ose dire, à étudier ce problème que vous avez vérifié. A 80 kilomètres de Paris, la situation est infiniment plus satisfaisante. La très grande majorité des enfants vit dans la famille parentale normale. C'est un état de fait. Or, nous sommes voisins, puisque vous êtes de l'Yonne et que je suis de Seine-et-Marne. Le problème qui m'étonne et qui m'inquiète est que dans une collectivité aussi peu nombreuse, les chiffres soient ceux que vous indiquiez. Ils sont révélateurs d'une évolution.

M. JOLIBOIS. - Monsieur le maire, je vous ai écouté avec intérêt. Vous vous êtes exprimé, vous l'avez dit, comme citoyen et comme maire de la Ferté-Loupière. Je tenais à vous charger d'un message, si vous le voulez bien, puisque vous venez de la part de l'Association des maires et que, je le suppose, vous avez été invité comme représentant de cet organisme.

Nous recevons périodiquement des avis de l'Association des maires lorsque l'on se propose de donner de nouvelles tâches aux maires ou lorsqu'on se propose de leur en retirer. Je suis personnellement Président de l'Association des maires de mon département qui regroupe d'ailleurs la totalité des maires du département. C'est l'un des 14 départements où l'Association des maires de France est très vivante. Je me permets de vous charger de manière pressante de dire que je ne comprendrais pas que l'Association des maires, en tant qu'institution, ne se prononce pas sur les deux points sur lesquels se pose l'éventualité de donner des fonctions à un maire.

Le premier point est la possible intervention -je ne sais trop encore laquelle-, soit du point de vue de l'état civil, soit du point de vue de la réception des consentements. Plusieurs formes sont envisageables pour ces fameux contrats ou pactes dont nous examinons en ce moment la probabilité ou l'utilité.

Le deuxième point sur lequel nous pouvons être amenés à intervenir est la "municipalisation" des divorces. Est-ce que ce seraient seulement nos bureaux qui auraient à intervenir ? Ils interviennent déjà puisque nous sommes destinataires des extraits de jugements qui nous sont envoyés pour faire la transcription sur les registres de l'état civil. Mais veut-on aller plus loin et nous donner d'autres fonctions ?

J'estime que dans ces deux cas, il est non seulement intéressant mais nécessaire que l'Association des maires de France se prononce.

M. de CREPY. - Je réponds à la dernière question : dont acte.

M. JOLIBOIS. - Parfait. Merci.

M. de CREPY. - A vos deux questions, Monsieur le président, je vous répondrai que je me suis sans doute mal exprimé. Quand j'ai fait mon introduction sur les forces externes qui s'exerçaient pour donner une priorité, j'ai bien exclu le travail que vous faisiez ici car il me paraît bien normal que vous vous préoccupiez de tout ce qui se passe. Je faisais beaucoup plus allusion aux forces externes et non pas du tout aux travaux de la commission. Je croyais avoir été clair sur ce point.

Vous m'interrogez sur la réalité de mes statistiques.

M.  LARCHÉ, Président. - Je n'ai pas mis en doute leur réalité.

M. de CREPY. - Le monde rural n'est pas si différent du monde urbain. C'est simplement ce que je voulais signaler. Ce que j'avais à dire se situe par rapport à une observation dans un milieu qui est globalement celui de la France.

M. le Président. - Avec cette accentuation d'une modification de la ruralité.

M. de CREPY. - Tout à fait.

M.  LARCHÉ, Président. - Monsieur le Maire, il me reste à vous remercier de votre participation à nos travaux.

Je vais donner la parole à Me Combret, notaire à Rodez.

Me. COMBRET. - Merci, Monsieur le Président. Au nom du notariat, je suis là pour vous dire que nous sommes très heureux que vous ayez souhaité nous entendre. Avec le retard que nous avons pris parce que les débats étaient riches, nous arrivons à un moment où il faut éviter les redites. J'adapterai donc mon exposé, encore que sur un certain nombre de points, le notariat souhaitait donner un avis. Ce sont des points dont nous n'avons pas parlé aujourd'hui. Nous avons beaucoup parlé, jusqu'à présent, des familles en difficulté, des familles en rupture, mais il y a aussi celles que nous rencontrons tous les jours : les familles heureuses, les familles qui donnent, les familles qui se marient, les familles qui ont des problèmes dans leur vie de tous les jours, mais qui se règlent à l'amiable. Tout cela compose, avec le reste, le droit de la famille, qui est l'un des principaux piliers de l'activité des 7.500 notaires de France et de leur 40.000 collaborateurs.

Depuis toujours, par notre fonction, nous avons ce rôle traditionnel de conseiller des familles. Je crois aussi profondément que pour la plupart d'entre nous, c'est à la fois le plus lourd à assumer, et le plus gratifiant, tant sur le plan personnel que professionnel.

Nous avons aussi la chance d'avoir une implantation dans toute la France, non seulement dans les grands centres, mais aussi dans les plus petits villages. Nous sommes la seule profession juridique à avoir cette chance. Chaque jour, ces familles unies ou ces familles déchirées, ces familles éclatées ou ces familles recomposées, ces familles dans la joie ou ces familles dans la peine, nous les rencontrons. Mais nous rencontrons aussi des personnes sans famille, des personnes qui sont en rupture totale avec les familles.

Cela nous apprend donc à nous méfier des positions tranchées, des condamnations hâtives, face à telle ou telle situation douloureuse, ou face à telle situation en dehors des normes traditionnelles.

Cela nous permet aussi de voir, quand nous échangeons entre nous, qu'à l'intérieur de notre pays, des traditions restent très présentes. On n'aborde pas toujours de la même manière la question du régime matrimonial ou des transmissions sucessorales selon la région où l'on habite. Dans telle région, on sera plus communautaire, dans telle autre, plus séparatiste. Dans telle région, on sera pour l'égalité absolue entre les enfants, dans telle autre, on utilisera les possibilités maximum pour avantager un enfant par rapport à un autre, notamment dans la région dont je suis originaire, en zone rurale, afin d'éviter un morcellement de propriété.

Bien entendu, nous ne sommes pas du tout pour que le droit ne bouge pas. Ce serait contraire à tout ce que nous vivons tous les jours. Nous sommes bien conscients que ce droit de la famille doit évoluer, mais dans un certain contexte, c'est-à-dire en ayant une vision globale.

Je reprendrai rapidement quelques points qui ont été au centre des discussions depuis ce matin, parfois parce qu'on a parlé de nous et qu'il ne me paraît pas anormal que nous donnions éventuellement notre position. J'ai entendu tout à l'heure une intervention qui ne me paraissait pas tout à fait traduire notre sentiment, notamment à propos du divorce par consentement mutuel.

Ensuite, j'essaierai de vous faire part de quelques-unes de nos préoccupations dans le cadre de la réflexion que nous menons, puisque les notaires de France ont décidé de choisir comme sujet, en 1999, pour leur congrès "Demain, la famille". Ils l'ont choisi il y a déjà plus d'un an, à un moment où il n'y avait eu ni changement de gouvernement ni élections. Le hasard de la vie veut que nous soyons en pleine actualité.

Quelques remarques rapides sur tout ce qui concerne les contrats d'union sociale, Pactes d'Intérêt Commun ou autres. Du fait que nous rencontrons dans la vie de tous les jours des personnes non mariées, homosexuelles ou pas, nous pouvons apporter deux témoignages.

Le premier est que, très sincèrement, la demande d'un contrat spécifique chez les concubins est largement minoritaire. Il faut rappeler que cette situation existe depuis des années, tout comme les problèmes, et qu'il a bien fallu essayer de les résoudre. C'est ce que ne nous faisons chaque jour, nous et d'autres professionnels du droit. Nous essayons de répondre à des préoccupations, de résoudre certaines difficultés, et nous avons un certain nombre d'instruments juridiques. Il est vrai qu'il existe des freins, il faut le reconnaître, surtout fiscaux, et quelques freins sociaux, mais il ne faut peut-être pas, à l'aune de ces quelques difficultés, vouloir tout bouleverser.

Ces points qui posent problème et concernent pour l'essentiel des couples qui ne peuvent pas se marier, comme les homosexuels, méritent attention et réflexion. On ne peut pas rejeter toutes les propositions faites à ce sujet. Dans l'état actuel de la réflexion du notariat, la proposition du Pacte d'Intérêt Commun avancée par la commission Droit et Justice, présidée par le Professeur Hauser, est pour l'heure la seule solution qui, si le Législateur devait poursuivre et retenir cette idée, soit éventuellement acceptable avec, nous ne le cachons pas, un grand nombre de réserves. En l'état actuel, ne connaissant ni le volet fiscal ni le volet social de ce projet, il me paraît prématuré d'aller plus loin dans notre avis.

Sur le divorce, je citerai simplement un point à propos de la prestation compensatoire et en lien avec le récent texte qui a été voté ici. Il est vrai que ce dont nous souffrons le plus, nous, notaires, c'est, à l'occasion des successions, le problème de la prestation compensatoire transmise aux héritiers. Il est certain que nous sommes à fond favorables à une capitalisation automatique au moment du décès et que le capital soit déductible au moment de la déclaration de succession au titre du passif. C'est selon nous la seule solution pour arriver à en sortir au point de vue pratique.

Concernant la déjudiciarisation, là aussi, je crois que l'on peut être très clair. La réaction d'un syndicat professionnel, qui a bien entendu tout à fait la possibilité de s'exprimer, a pu laisser croire que nous étions favorables à ce divorce administratif et, pourquoi pas, que nous étions prêts à proposer nos services. La position de l'immense majorité du notariat est tout autre : oui pour une simplification de certaines procédures, notamment dans le divorce pour consentement mutuel quand il n'y a pas d'enfant ou un faible patrimoine ; non à un divorce constaté par M. le maire.

Je disais tout à l'heure que nous étions sur l'ensemble du territoire. Nous vivons à côté de tous ces maires de ces petites communes. Je suis d'un département de 260.000 habitants avec 310 communes. Beaucoup de communes ont moins de 100 habitants. Ces maires qui ont des structures quasiment nulles ou qui ont un secrétariat quelques jours par semaine, auraient une tâche de plus. On constate actuellement que de plus en plus d'élus se découragent face aux responsabilités que l'on fait peser sur eux. Si c'est pour créer des services administratifs supplémentaires, nous avons trop de connaissance et de respect pour toutes les qualités des juges pour ne pas penser qu'il n'y a vraiment qu'eux qui sont les plus aptes à ce type de travail. Je crois que cela doit rester le travail des juges.

De la même manière, pour ce qui concerne le rôle de l'avocat dans toutes ces procédures, nous n'entendons pas nous substituer à l'avocat. Là encore, l'avocat a une mission.

Sur le terrain, dans la plupart de nos villes de province où se trouvent des petits barreaux, des petites chambres des notaires, les relations sont bonnes et complémentaires. Nous arrivons ensemble, à côté des autres professionnels du droit et de la justice, à essayer de faire du mieux possible notre travail.

On a parlé tout à l'heure, à l'occasion d'un échange entre un sénateur et un magistrat, des frais, du coût de l'avocat et du notaire. Je voudrais à ce sujet rappeler quelques points.

Premièrement, s'il n'y a rien ou pas de patrimoine, il n'y a en général pas de notaire, et si l'on a fait appel à un notaire, le coût du notaire étant lié à la valeur du patrimoine, il n'y a pratiquement pas de coût.

Deuxièmement, dans les frais de notaire, quand il y a des frais, il y a éventuellement la rémunération du notaire, mais aussi la part fiscale. Si l'on parle par exemple, au niveau des entreprises commerciales, des problèmes de plus-values liés à une attribution d'un fonds de commerce à l'un ou l'autre des époux qui entraîne une fiscalisation, il y a peut-être des progrès à faire et l'on peut réfléchir à propos de ces frais.

Troisièmement, lorsqu'il y a un dossier où les personnes ont un patrimoine mais pas de revenu, il y a aussi pour nous l'aide juridictionnelle qui se limite, pour ce qui concerne la rémunération du notaire proprement dite, à 430 F. Quand les notaires se font rémunérer en fonction de l'actif, la rémunération fixée par l'Etat est de 0,825 %, c'est-à-dire de 825 F pour 100.000 F.

Dernier point : la médiation. Sans mélanger médiation et conciliation, si demain, tout ce qui est médiation évolue, il nous semble que tous les professionnels ne peuvent pas tout faire. On ne va surtout pas s'intituler médiateur, mais dans le cadre d'un travail de conciliation, dans tout ce qui pourrait évoluer au niveau judiciaire et qui ferait que l'on liquiderait plus en amont, nous pensons que pour le règlement des effets patrimoniaux, notre technicité, notre compétence, notre expérience, doivent servir à côté des autres professionnels du droit.

Voilà ce que je voulais dire par rapport à ce qui a été dit au cours de cette journée.

Je voudrais à présent situer mon intervention dans le cadre de la réflexion que nous menons depuis un an pour vous faire part de quelques autres aspects.

Nous avons donc intitulé notre congrès de l'an prochain : "Demain, la famille". Nous avons retenu quatre axes.

Le premier est le suivant : "Demain, la famille. Quel concept ?" C'est à l'occasion de cette première question que nous réfléchirons, notamment sur tout ce qui peut être le mariage, l'union libre, etc.

Nous souhaitons cependant apporter un éclairage particulier sur une question qui nous préoccupe de plus en plus tous les jours, à savoir les ménages binationaux et les ménages d'origine étrangère installés en France qui, éventuellement, par une religion différente, ont des traditions différentes. Ces gens viennent nous voir et règlent, par exemple, une succession, respectent notre droit français, mais revenus chez eux, il arrivera que l'on demande à la demoiselle de céder la moitié de sa part parce que c'est la tradition. Il faut prendre conscience de l'existence, au sein de notre communauté, d'une grande diversité, non seulement au niveau des traditions, mais aussi par toute la richesse de notre population française. Actuellement, des problèmes nouveaux naissent que l'on ne peut pas ignorer. Nous allons essayer d'y réfléchir.

Un deuxième axe dont nous avons peu parlé aujourd'hui : Demain, la famille. Quelle solidarité ? Quelle responsabilité ? Nous souhaitons faire porter notre réflexion, et vous soumettre éventuellement demain nos avis, sur d'une part, tout ce qui tourne autour du problème des obligations alimentaires, envers les enfants, mais aussi des enfants envers les parents. Je vais en venir aux grands-parents. Depuis ce matin, nous n'avons pas parlé une seule fois des personnes âgées, du vieillissement de la population, et de tous les problèmes que cela entraîne actuellement. Nous ne pouvons pas les ignorer si nous parlons de la famille dans son ensemble.

Nous allons également réfléchir à une certaine inaptitude face à un accroissement de la population âgée et très âgée, de ce quatrième ou cinquième âge. Nous allons réfléchir à une certaine inadaptation des régimes actuels de tutelle ou de curatelle. Nous rencontrons des personnes âgées qui commencent à être perdues dans leurs papiers. Elles viennent nous voir et nous disent : "Qu'est-ce que je peux prévoir si, demain, je ne m'en sors pas ? Ou bien je resterai comme cela et je me ferai peut-être avoir par quelqu'un de peu scrupuleux, ou bien, un jour, couperet, et parfois curatelle, souvent tutelle, et je ne suis plus rien".

Il peut y avoir une place pour d'autres formules, tel que le mandat pour inaptitude, toute une série de formules où l'on peut, de son vivant, essayer de programmer ce qui se passera après. C'est un élément de réflexion, une porte que nous ouvrons.

Dans le cadre de notre troisième axe "la famille, les ruptures", nous essaierons d'envisager toutes les ruptures et non pas seulement celle du couple : les problèmes posés par des ruptures entre parents et enfants, des ruptures entre les fratries qui ont parfois des conséquences graves dans des règlements patrimoniaux.

Enfin, dernier axe, "Demain, la famille. Quelle transmission ?" On a parlé de remettre sur le chantier la réforme du droit des successions. C'est indispensable. Ces dernières années, on a fait des projets, des discussions sans fin ont eu lieu à propos des droits du conjoint survivant. On ne rouvrira sans doute pas le débat là-dessus. Il appartient maintenant au Législateur de trancher, ceci dit, en le situant dans un droit de la famille réformé dans son ensemble. N'oublions pas que si l'on touche au régime patrimonial, cela peut avoir un impact sur le droit des successions, si l'on touche au droit des successions, cela peut avoir un impact sur les régimes matrimoniaux, et ainsi de suite.

Il faut prendre en compte ces familles recomposées, ces double ou triple mariages, ces enfants issus de plusieurs lits, etc.

Il y a sans doute quelques réformes à faire au niveau du droit des successions, d'une succession non préparée, je n'y reviendrai pas, mais il y a l'anticipation successorale. Ces dernières années, toutes les réformes que vous avez votées ont eu pour but de favoriser les transmissions anticipées. Elles ont été encouragées par des avantages fiscaux. Elles se justifient aussi parce qu'aujourd'hui, nous réglons les successions de gens de 90 ans, dont les enfants en ont 70, sont eux-mêmes à la retraite, n'ont plus de besoins, et où les petits-enfants ont 40 ans. Est-ce que notre droit est adapté à ce type de situation ? Est-ce que la prohibition des pactes sur succession future ne mérite pas qu'il y ait, de nouveau, demain, une certaine réflexion ?

Ne faut-il pas non plus que l'on se repose la question d'une plus grande souplesse quand on essaie de régler les affaires de son vivant, lorsque l'on a des enfants issus de trois lits, un patrimoine mélangé ? Nous avons des contraintes, des difficultés, et là encore, sans proposer aujourd'hui de solution, sans avoir de position tranchée, nous disons que puisque l'on parle du droit de la famille, de la famille en général, ce sont aussi des questions qu'il faut soulever.

Nous sommes pour une évolution du droit de la famille et pour une étude globale, mais nous avons le temps, il ne faut pas de décisions prises sous la pression. S'il y a des sujets d'actualité, comme les contrats d'union civile et sociale ou le Pacte d'Intérêt Commun qui font beaucoup parler et intéressent la presse, c'est naturel car il y a un problème réel. Rappelons-nous, pardonnez-moi de le dire ainsi, qu'après tout, il y a une Gay Pride chaque année, et que si l'on n'a pas réglé le problème avant celle du mois de juin, nous traiterons peut-être de ces problèmes avant celle de l'an prochain ou dans deux ans, mais dans le cadre d'une réforme globale du droit de la famille.

Voilà le sens de l'intervention et du message que souhaitaient vous faire passer les notaires de France.

Je vous remercie, Monsieur le Président.

M.  LARCHÉ, Président. - Merci, Maître.

Nous avons été très sensibles à l'accent que vous avez mis sur la nécessité d'une réforme extraordinairement difficile du droit des successions, compte tenu de l'évolution de la famille, de la longévité et de l'existence de ces familles recomposées qui sont parties prenantes de la succession.

Nous avons très souvent demandé cette réflexion à la Chancellerie. Je ne me dissimule pas les difficultés auxquelles les services, les Gardes des sceaux successifs ont pu se heurter. Dans l'ordre des priorités, je ne suis pas loin, personnellement, de partager le sentiment que vous n'avez peut-être pas exprimé totalement mais que j'ai cru deviner : c'est peut-être dans le droit actuel et dans les situations juridiques actuelles que nous connaissons, l'un des domaines dans lesquels on devrait porter l'attention en priorité. Avant de légiférer sur le PIC dont on nous parle, si on légiférait sur le droit des successions, cela me semblerait peut-être une manière de répondre à nos problèmes de société qui correspondrait davantage aux exigences que nous pouvons rencontrer.

Nous avons bien noté que les notaires connaissent l'immense majorité des maires de France. Vous avez parlé de Rodez. La Seine-et-Marne qui a 1.200.000 habitants a 514 communes, dont 410 ont moins de 2.000 habitants. Je vois mal nos 410 maires intervenir dans des domaines de ce genre.

M. JOLIBOIS. - C'est vrai dans quasiment tous les départements.

M.  LARCHÉ, Président. - C'est une idée qui a été lancée. Elle retombera d'elle même le moment venu.

Je vous remercie infiniment.

Avant que Mme Guigou ne vienne, je voudrais vous faire part de mon étonnement de ce que je lis dans la presse aujourd'hui : " " Le Sénat rivalise avec le Gouvernement sur le droit de la famille". Il est dit que nous agacerions la Chancellerie. Pourquoi agacerions-nous la Chancellerie ? Je ne le sais pas. De plus, on y dit que j'ai pressé Mme Guigou de venir. Si elle n'avait pas voulu venir, elle aurait été dans une situation de liberté absolue.

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