II. LA RECHERCHE D'UNE PLUS GRANDE EFFICACITÉ DANS LE CADRE DES PROCÉDURES INTERGOUVERNEMENTALES POUR LA COOPÉRATION POLICIÈRE ET JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE

A. UN ÉLARGISSEMENT LIMITÉ DU CHAMP DE COOPÉRATION

Des objectifs inchangés

L'objectif du troisième pilier -la mise en place d'un "niveau élevé de protection"- n'a pas été modifié, même s'il fait une mention spécifique à la nécessaire prévention du racisme et de la xénophobie et à la lutte contre la traite d'êtres humains et les crimes contre les enfants (art. 29). La rédaction traduit la préoccupation des Quinze à l'égard d'actes criminels recouverts, dans le traité de Maastricht, sous la formule plus générale de "formes graves de la criminalité internationale"- auxquelles l'actualité récente a conféré, hélas, une singulière acuité.

Trois instruments ont été mis au service de cet objectif : la coopération entre les forces de l'ordre et les douanes des différents Etats membres, la coopération entre les autorités judiciaires et, enfin, le rapprochement "en tant que de besoin" des règles du droit pénal des Etats membres.

1. La coopération policière et le développement des activités d'Europol

Le traité de Maastricht avait déjà posé le principe d'une coopération policière. Sur ce point, les négociateurs ont seulement détaillé les domaines de cette coopération. Ils ont, en revanche, davantage innové pour les compétences d'Europol.

a) Des méthodes de coopération marquées par le choix de la technicité

Le traité d'Amsterdam permet de mieux ordonner et d'encadrer une coopération policière qui a connu de nombreux développements au cours des dernières années.

Sans doute le champ ouvert à la coopération policière demeure-t-il très large puisqu'il couvre la prévention et la détection des infractions pénales et l'ensemble des enquêtes dans ce domaine. Toutefois, il précise mieux les méthodes fondées sur trois instruments privilégiés (art. 30 § 1) :

- la collecte, l'échange et le traitement d'informations ;

- les échanges d'officiers de liaison et les initiatives conjointes pour l'utilisation des documents et la recherche en criminalistique ;

- l'évaluation en commun de techniques d'enquête particulières.

L'énoncé de ces méthodes n'est pas indifférent, il traduit la place prépondérante accordée au traitement et à l'analyse scientifique des données par des criminologues. La quête d'une plus grande technicité rencontre une faveur certaine dans certains pays, en Allemagne et aux Pays Bas notamment ; les pays latins tendent à privilégier, pour leur part, les contacts personnels et la lente infiltration des milieux.

• Enfin, les négociateurs ont ouvert la possibilité pour les autorités d'un Etat membre d'intervenir sur le territoire d'une autre partie avec leur accord et dans les conditions et les limites fixées par une décision du Conseil (art. 32). Le traité reprend ainsi une faculté déjà reconnue dans le cadre de la Convention d'application de Schengen de 1990 à travers le droit de suite (droit pour les agents des Etats parties de poursuivre leur observation sur le territoire d'un autre Etat partie) et le droit de poursuite (droit de continuer sur le territoire d'une autre Partie la poursuite des personnes prises en flagrant délit de commission d'infractions déterminées). Cette nouvelle disposition permet ainsi de rattacher à une base juridique les dispositions de la convention de Schengen. Par ailleurs, elle rend possible l'intervention d'équipes conjointes sur le territoire de plusieurs Etats membres.

b) Un rôle renforcé pour Europol

La coopération policière a pour instrument privilégié l'Office européen de police.le traité d'Amsterdam confirme cette orientation.

Il invite en effet le Conseil, dans un délai de cinq ans , à étendre les compétences de cet organisme à travers une triple série de mesures (art. 30 § 2) :

- la possibilité pour Europol d' appuyer la mise en oeuvre d'activités spécifiques d'enquêtes conduites par les autorités compétentes des Etats membres, y compris des actions opérationnelles d'équipes conjointes comprenant des représentants d'Europol ;

- la possibilité pour Europol de demander aux autorités compétentes des Etats membres de mener et de coordonner leurs enquêtes dans des affaires précises ;

- la capacité pour Europol de développer des compétences spécialisées au service des Etats membres pour les enquêtes conduites sur la criminalité organisée.

En outre, le Conseil doit favoriser le rapprochement entre magistrats et enquêteurs et permettre la mise en place d'un réseau de recherche, de documentation et de statistiques sur la criminalité transfrontalière.

L'élargissement des compétences d'Europol soulève deux incertitudes :

- Les procédures de ratification de l'accord fondateur d'Europol, signé le 26 juillet 1995, n'ont été conduites à leur terme par tous les pays signataires que très récemment. La Convention entrera en vigueur le ler octobre 1998 seulement. Seule l' Unité drogue Europol (UDE), créée par un accord ministériel du 2 juin 1993, fonctionne aujourd'hui avec des compétences, il est vrai très proches des attributions d'Europol. Dans ces conditions, n'est-il pas prématuré d'ajouter de nouvelles missions à un organisme qui n'a pas encore pu faire valoir tous ses mérites ?

- Cette question revêt d'autant plus d'acuité que l'élargissement des compétences d'Europol ne porte pas sur des aspects mineurs. Ne conduira-t-il pas en effet, à travers, d'une part, la présence de représentants d'Europol au sein d'équipes conjointes et, d'autre part, le pouvoir reconnu à cet organisme de demander aux Etats membres de conduire des enquêtes sur des sujets précis, à conférer à Europol une compétence opérationnelle ? Or, la convention avait précisément borné les attributions d'Europol à la collecte, l'analyse et l'échange d'informations.

Une interprétation rigoureuse des compétences d'Europol apparaît nécessaire . L'intervention d'Europol dans le cadre d'équipes conjointes doit se limiter à l'analyse d'informations sur les filières et la mise à disposition de données collectives par Europol.

En outre, les risques éventuels pour la souveraineté des Etats paraissent bornés par deux garde-fous :

- les "autorités compétentes" des Etats membres constituent un point de passage obligé pour la coopération policière : elles pourraient bloquer le cas échéant toute initiative jugée inopportune ;

- au delà, l'extension des attributions d'Europol reste subordonnée à une décision du Conseil appelé, en la matière, à se prononcer à l'unanimité. L'expérience montrera peut-être l'intérêt de développer le rôle d'Europol et de lui conférer de véritables compétences opérationnelles. Dans ce cas, une modification de la convention qui régit Europol s'avérera de toute façon nécessaire.

Enfin, une déclaration (n° 7) de la Conférence prévoit que les actions dans le domaine de la coopération plénière sont soumises à un contrôle juridictionnel approprié par les autorités nationales compétentes conformément aux règles applicables dans chaque Etat membre.

2. Aucune avancée notable pour la coopération judiciaire

a) Un champ d'action aux contours mieux précisés

Comme pour la coopération policière,le traité d'Amsterdam n'apporte pas de novation importante dans le domaine de la coopération judiciaire et se borne à détailler les volets privilégiés de cette coopération (art. 31) :

- procédure et exécution des décisions ;

- extradition entre Etats membres.

Toutefois comment espérer une coopération judiciaire efficace sans rapprochement des législations des Etats membres ? Le traité se contente dans ce domaine d'une approche minimaliste .

La coopération judiciaire dont le principe avait été posé parle traité de Maastricht, a marqué le pas au cours des dernières années. Elle rencontre deux obstacles principaux. En premier lieu, dans ce domaine, la plupart des décisions relèvent du législateur, voire dans certains pays du pouvoir constituant ; dès lors, les Etats ont dû recourir à l'instrument des conventions, prévu par le troisième pilier. Cependant, les ratifications requièrent une procédure souvent longue. Aussi bien, aucune convention -en matière d'extradition, de protection des intérêts financiers des Communautés ou de corruption- n'a pu entrer en vigueur.

Les impératifs institutionnels n'expliquent pas, seuls, cette situation ; le rapprochement des législations rencontre en effet un second obstacle, plus profond sans doute : les divisions des partenaires sur des sujets qui mettent en jeu des cultures et des conceptions de la société profondément différentes.

b) Un rapprochement des législations sous un angle minimaliste

Le traité envisage de façon très prudente un rapprochement des législations.

En effet, il vise à instaurer des règles minimales . En outre, ces dernières concernent un domaine délimité aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue .

Enfin, cette harmonisation, comme l'indique une déclaration (n° 8) jointe à l'accord, n'a pas pour effet d'obliger un Etat membre dont le système judiciaire ne prévoit pas de peine minimale de les adopter .

Cette déclaration ne traduit pas seulement les réticences des Quinze à s'engager sur le voies de l'harmonisation. Elle répond aussi à une préoccupation française d'ordre juridique : le nouveau code pénal français, entré en vigueur le 1er mars 1996, a supprimé la notion de minima dans la définition des peines ; le rapprochement des législations ne devrait donc pas avoir pour effet de réintroduire en France le principe des peines minimales.

La prudence des négociateurs s'explique surtout par les divergences des Etats membres sur des questions essentielles telles que la politique à conduire en matière de toxicomanie. Ce point constitue, on le sait, un sujet de désaccord profond entre la France et les Pays-Bas. Ce pays tolère la consommation de cannabis pour usage personnel dans les points de vente appelés "coffee-shops". Certes, les efforts pour rapprocher les points de vue n'ont pas été vains. Ainsi, une action commune sur le rapprochement des législations et des pratiques en matière de lutte contre la toxicomanie et le trafic illicite de drogue, proposée par la France, a été adoptée par le Conseil européen de Dublin. Elle prévoit plusieurs actions concrètes contre la toxicomanie. Rapprochement ne signifie pas toutefois harmonisation ; il est ainsi douteux que les Pays-Bas reviennent sur la dépénalisation du fait de la possession de drogues douces pour consommation personnelle.

Le rapprochement des législations ne risque-t-il pas de rester lettre morte ? L'expérience, certes, n'invite pas à l'optimisme. Cependant,le traité d'Amsterdam trace un nouveau cadre plus favorable à une dynamique de rapprochement. En effet, la mise en place d'un socle commun de règles en matière pénale participe de la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice dont les éléments relèvent du premier pilier. Dès lors, au moment où le Conseil sera appelé, après un délai de cinq ans, à se prononcer à l'unanimité sur le passage à la majorité qualifiée et à la codécision pour tout ou partie des domaines couverts par le titre IV du traité communautaire, le Conseil pourrait légitimement prendre en compte l'état de l'harmonisation en matière pénale. La France pourrait dès lors conditionner son accord à des progrès dans ce domaine.

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