II. UNE RATIFICATION SOUS CONDITIONS

Après avoir été signé par les Quinze le 2 octobre 1997, le traité d'Amsterdam entrera en vigueur lorsque les procédures de ratification auront été conduites à leur terme dans tous les Etats membres de l'Union européenne 20( * ) .

Pour la France, la procédure de ratification soulève trois questions successives et autant de préalables à résoudre : la constitutionnalité du traité, le choix de la procédure de ratification -référendaire ou parlementaire- et enfin, en dernière instance, la décision d'autoriser la ratification.

Si les deux premières questions sont en voie d'être tranchées, la dernière demeure indécise. Parce qu'elle intéresse au premier chef le Parlement, elle retiendra toute l'attention de votre rapporteur.

Le préalable constitutionnel

A la suite d'une saisine conjointe du Président de la République et du Premier ministre sur la base de l'article 54 de notre Constitution, le Conseil constitutionnel a jugé indispensable une révision de la Constitution avant la ratification par la France du traité d'Amsterdam.

En effet, le Conseil constitutionnel a estimé que la plupart des dispositions du traité d'Amsterdam relatives à la libre circulation des personnes (visas, asile, immigration et franchissement des frontières - articles 62 § 1 et 2, 63 § 1 à 4, 67 § 2 et 4) portaient atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale dans la mesure où elles prévoient :

- le passage au vote à la majorité qualifiée, à l'issue d'une période de cinq ans, même s'il résulte d'une décision du Conseil à l'unanimité, pour la définition des règles relatives à l'asile, à l'immigration et au franchissement des frontières intérieures des Etats membres par des ressortissants des pays tiers ;

- le passage automatique à la majorité qualifiée pour les procédures et conditions de délivrance des visas de court séjour et les règles applicables en matière de visas uniformes.

Selon le Conseil Constitutionnel, la première de ces procédures dépasse le champ de l'habilitation prévu par l'article 88-2 de la constitution pour le transfert des compétences lié à l'entrée en vigueur du traité de Maastricht. En outre, elle aura pour effet d'organiser le passage à la règle de l'unanimité sans que soit nécessaire, le moment venu, aucun acte de ratification ou d'approbation nationale. La seconde procédure, quant à elle, propose une "modalité nouvelle de transfert de compétences dans des domaines où est en cause la souveraineté nationale".

Dans ces conditions, une révision de la Constitution a été jugée indispensable.

Elle devrait intervenir au cours du second semestre de l'année 1998 à la suite d'une décision adoptée par le Congrès.

Il faut espérer, dans le cadre de la réforme constitutionnelle, que le débat n'inverse pas les termes des difficultés soulevées par le traité d'Amsterdam en se polarisant sur les quelques avancées de ce texte -les transferts de souveraineté, d'ailleurs limités- pour négliger le problème essentiel : l'absence de réforme institutionnelle .

La procédure parlementaire, privilégiée pour la ratification du traité

La procédure référendaire paraît aujourd'hui écartée. Deux facteurs ont joué dans ce sens.

Dans le cadre d'une démocratie représentative, le Parlement doit pleinement jouer son rôle dans les grandes étapes de la construction européenne.

Les citoyens ont déjà approuvé au moment du référendum sur le traité de Maastricht de 1992 des transferts de souveraineté sur des questions essentielles. Les évolutions décidées à Amsterdam s'inscrivent dans le prolongement des modifications apportées par le traité de Maastricht tout en revêtant une moindre ampleur : elles ne justifient donc pas l'organisation d'un nouveau référendum.

En bonne logique, il appartiendra donc au Parlement de se prononcer sur l'autorisation de ratifier le traité d'Amsterdam.

Le choix du Parlement : résolution ou article additionnel ?

Respectueux de la compétence traditionnelle reconnue au gouvernement dans le domaine de la politique étrangère, notre système institutionnel ne laisse en principe au Parlement d'autre choix que d'accepter ou de rejeter l'autorisation de ratification. Or, cette alternative ne paraît guère satisfaisante pour le traité d'Amsterdam.

Un rejet en effet ne serait pas justifié au regard des avancées positives apportées par le traité d'Amsterdam dans plusieurs domaines. En outre, il risquerait d'ouvrir une grave crise sans aucune garantie de provoquer le choc nécessaire à même de décider nos partenaires à discuter d'un projet plus ambitieux. En revanche, un tel rejet présenterait le risque réel de remettre en cause les quelques acquis indéniables obtenus par la Conférence intergouvernementale.

Faut-il pour autant approuver le traité en l'état ? Une telle position reviendrait à accepter l'élargissement de l'Union sans aucune assurance d'obtenir la réforme institutionnelle préalable. Le traité en effet n'apporte aucun progrès réel sur les questions institutionnelles et il ne garantit pas davantage qu'une réforme se concrétisera avant la mise en oeuvre du processus d'élargissement. Certes, la politique du pire reste toujours possible : les dysfonctionnements d'une Union élargie à 20 membres pourraient entraîner de tels blocages que la réforme institutionnelle apparaîtrait alors comme la seule issue possible. Mais une telle situation peut conduire de façon encore plus assurée les Etats membres à se résigner à la dilution du projet européen sous la forme d'une vaste zone de libre-échange. Une telle perspective apparaît inacceptable et le pari trop risqué.

La réforme institutionnelle doit constituer le préalable à l'élargissement. Le Parlement ne peut approuver l'autorisation de ratifier le traité d'Amsterdam sans obtenir de garantie sur la positon du gouvernement sur ce point. Certes, la France au moment de la signature du traité, a rappelé dans une déclaration commune avec la Belgique et l'Italie la nécessité de renforcer les institutions avant la conclusion des premières négociations d'adhésion. Cependant, un tel engagement présentera une portée plus grande s'il se trouve réaffirmé dans le cadre même de la procédure de ratification : il traduira alors en effet la volonté nationale exprimée par les représentants du peuple français. Il apparaît donc nécessaire d'associer le Parlement au souhait formulé par le gouvernement français d'obtenir une réforme institutionnelle préalable à l'élargissement de l'Union.

Comment procéder ? La voie apparaît excessivement étroite dans la mesure où le Parlement ne dispose pas, en principe, du droit d'amender un projet de loi tendant à autoriser la ratification d'un accord international. Cependant, plusieurs formules ont été avancées, certaines peuvent être retenues.

L'exclusion, dans la pratique institutionnelle, du droit d'amendement

En la matière, les dispositions du règlement de l'Assemblée nationale sont sans équivoque :

"Lorsque l'Assemblée est saisie d'un projet de loi autorisant la ratification d'un traité ou l'approbation d'un accord international non soumis à la ratification, il n'est pas voté sur les articles contenus dans ces actes et il ne peut être présenté d'amendement" (art. 128 alinéa 1). La formulation du règlement du Sénat n'exclut pas explicitement la possibilité d'amendements : "Lorsque le Sénat est saisi d'un projet de loi tendant à autoriser la ratification d'un traité conclu avec une puissance étrangère, il n'est pas voté sur les articles de ce traité, mais seulement sur le projet de loi tendant à autoriser la ratification". (art. 47).

Si la tentation a existé de tirer parti de l'ouverture ainsi faite, le Gouvernement a régulièrement opposé l'irrecevabilité aux amendements présentés dans le cadre d'un projet de loi autorisant la ratification d'un traité. Le cas s'est présenté à plusieurs reprises. Ainsi, au moment de l'examen du traité franco-allemand du 22 juin 1963, M. Jean Lecanuet avait souhaité déposer un amendement faisant référence au pacte atlantique -à l'instar de l'amendement d'inspiration "atlantiste" adopté par le Bundestag et le Bundesrat. Le secrétaire d'Etat aux affaires étrangères avait alors opposé l'irrecevabilité et le président Monnerville avait alors constaté que "rien, ni dans l'article 41 de la Constitution qui définit les matières constituant le domaine de la loi, ni dans l'article 53 qui concerne la ratification des traités internationaux ne permet de considérer que l'amendement par son texte, entre dans le domaine de la loi". La même interprétation prévalut notamment lors de l'examen, le 23 juin 1977, d'un amendement au projet de loi approuvant la décision du Conseil des Communautés européennes relative à l'élection des représentants à l'Assemblée des communautés européennes au suffrage universel.

Le droit d'amendement apparaissant exclu, sinon dans son principe, du moins dans la pratique institutionnelle, le Parlement dispose-t-il d'autres moyens pour affirmer dans le cadre de la procédure de ratification la nécessité d'une réforme institutionnelle ? Deux formules ont été avancées et méritent l'examen : le vote d'une résolution, l'adoption d'un article additionnel.

Le vote d'une résolution

Une résolution a vocation à exprimer une volonté politique. Elle n'a toutefois pas d'effet juridiquement contraignant. Ainsi elle pourrait constituer un cadre adapté à l'expression, par le Parlement, de l'importance du préalable institutionnel sans remettre en cause toutefois les prérogatives reconnues à l'exécutif dans le domaine de la politique étrangère. Cette formule a été brillamment défendue par M. Pierre Fauchon dans un rapport de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne 21( * ) .

Dans la situation actuelle de notre droit, le Parlement ne peut voter des résolutions sauf dans les cas prévus par les textes constitutionnels et organiques. Cette interdiction ne résulte pas de la lettre même de notre constitution mais d'une décision du Conseil constitutionnel de 1959. L'Assemblée nationale et le Sénat ont tiré les conséquences de cette décision dans leurs règlements respectifs et posé le principe de l'irrecevabilité des résolutions parlementaires.

C'est pourquoi M. Pierre Fauchon a proposé une réforme du règlement du Sénat permettant aux sénateurs de présenter des résolutions "en liaison avec l'examen d'un projet ou d'une proposition de loi relevant de l'article 53 de la Constitution". Cette formule présenterait deux avantages, le premier de nature circonstancielle, le second, plus général :

- elle donnerait au Sénat le moyen d'exprimer ses préoccupations sur les perspectives institutionnelles au moment de l'examen du traité d'Amsterdam ;

- elle permettrait dans la perspective de la revalorisation du rôle du Parlement, de donner aux parlementaires une plus grande marge d'action dans un domaine -les traités ou accords internationaux- où leur initiative apparaît étroitement circonscrite.

Cependant, la formule des résolutions présente aussi une triple incertitude.

- Le choix de la méthode pour cette extension des pouvoirs des parlementaires : une réforme du règlement du Sénat risque de se heurter à la censure du Conseil constitutionnel dont rien ne permet de préjuger un renversement de jurisprudence. En outre, elle aura pour effet de permettre au Sénat, seul, d'adopter des résolutions alors qu'une telle faculté devrait, bien sûr bénéficier également à l'Assemblée.

Dès lors, un tel aménagement des compétences parlementaires trouverait mieux sa place dans une réforme constitutionnelle -perspective qu'envisage d'ailleurs aussi M. Pierre Fauchon.

- Le champ d'application des résolutions : sans doute conviendrait-il d'étendre la possibilité de présenter des résolutions, au-delà des textes présentés en vertu de l'article 53 de la Constitution, à l'ensemble des projets ou propositions de loi. En effet, comme le relève d'ailleurs notre collègue, une telle évolution permettrait de mieux séparer les mesures dotées de réels effets juridiques des simples dispositions déclaratoires aujourd'hui souvent confondues dans les textes de loi, faute pour le Parlement de pouvoir exprimer des intentions politiques par des moyens plus adaptés et dans un cadre juridique plus adéquat. En outre, il y aurait quelque paradoxe à permettre l'adoption de résolutions en matière de politique étrangère et à la prohiber dans le domaine des affaires intérieures qui relèvent, de manière plus approfondie, du champ des compétences parlementaires.

- Une résolution n'engage que la représentation nationale. En effet, la résolution non seulement ne présente pas d'effets contraignants mais elle constitue avant tout l'expression de la volonté politique du Parlement sans engager de quelque façon le gouvernement. Dans le domaine de la politique étrangère où les prérogatives se concentrent entre les mains de l'exécutif, cette limitation apparaît fâcheuse. En particulier, au regard des enjeux soulevés par le traité d'Amsterdam, la portée d'une résolution pourra paraître insuffisante et l'on ne discerne pas très bien quelle notable plus-value apporterait la résolution par rapport aux travaux de notre Commission et au débat en séance publique lors de l'examen d'un projet de loi de ratification.

Ce dernier argument plaide pour une autre formule, l'introduction d'un article additionnel au projet de loi de ratification.

Un article additionnel au projet de loi : la formule la plus adaptée pour rappeler le préalable institutionnel .

Cette formule, dont l'idée revient à M. Valéry Giscard d'Estaing, présente un avantage décisif.

En effet l'article additionnel a force de loi. Dès lors il engage le gouvernement vis-à-vis du Parlement auquel il sera tenu de rendre compte des efforts entrepris pour ouvrir le chantier de la réforme institutionnelle. Mais il conforterait aussi la position de notre gouvernement vis-à-vis de nos partenaires pour obtenir l'ouverture d'une nouvelle réflexion dans le domaine institutionnel.

Certes, un tel article additionnel devrait être introduit par le gouvernement , compte tenu des prérogatives limitées du Parlement en la matière. En outre, ni l'Assemblée, ni le Sénat ne pourraient, en principe, amender un éventuel article 2 au projet de loi de ratification. Cependant, la possibilité donnée au Parlement de se prononcer par un vote sur un tel article conférerait à celui-ci valeur politique au moins équivalente à celle de la résolution et une valeur juridique certainement supérieure. L'article additionnel devrait, du reste, être élaboré en étroite concertation avec le Parlement.

Enfin, la formule de l'article additionnel ne soulève pas de difficultés au regard de nos principes constitutionnels ; elle peut d'ailleurs se prévaloir du précédent représenté par l'introduction d'un article 2 dans la loi de 1977 portant ratification de l'élection du Parlement européen au suffrage universel.

Quelle forme pourrait revêtir un tel article additionnel ? Il devrait, pour votre rapporteur, reprendre les termes de la déclaration commune de la Belgique, de la France et de l'Italie et poser pour principe le renforcement des institutions comme une condition indispensable de la conclusion des premières négociations d'adhésion. Aller au-delà risquerait de lier à l'excès notre gouvernement, alors même que le succès de la négociation dépendra sans doute de la souplesse des solutions qui pourront être trouvées. Redisons le, l'article additionnel a surtout vocation à conforter la position du gouvernement français vis-à-vis de nos partenaires tout en l'engageant à l'égard de la représentation nationale.

S'il serait illusoire, et sans doute contreproductif, de figer les positions de la France dans le marbre de la loi, il revient cependant au Parlement de participer à la réflexion dans le domaine de la réforme institutionnelle et de guider le gouvernement dans les orientations qui pourraient être prises. Un rapport d'information constitue précisément le cadre privilégié pour l'expression de telles orientations. Aussi votre rapporteur souhaiterait-il maintenant évoquer les principes qui devraient inspirer la réforme institutionnelle nécessaire.

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