TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITIONS RELATIVES AUX DISPOSITIONS DU TRAITÉ D'AMSTERDAM

1. M. Laurent Cohen-Tanugi, avocat international : les dispositions du traité relatives aux questions institutionnelles

Le présent exposé porte sur les dispositions du traité d'Amsterdam relatives aux questions institutionnelles et aux "coopérations renforcées".

Ce sujet ne peut être appréhendé pertinemment sans un bref retour en arrière. La Conférence intergouvernementale (CIG) de 1996, qui a produit le traité d'Amsterdam, avait été initialement programmée par le traité de Maastricht en vue d'approfondir certains sujets laissés en suspens par ce traité, notamment en matière institutionnelle. Par la suite, les carences du traité de Maastricht dans les domaines de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et de la coopération judiciaire et policière ("troisième pilier"), la montée de l'euroscepticisme dans l'opinion, l'incapacité des Douze à réformer les institutions avant l'entrée de l'Autriche, de la Suède et de la Finlande, et enfin la perspective du grand élargissement vers l'Est, ont conduit à investir la CIG d'une triple mission, de nature largement institutionnelle :

- améliorer l'efficacité des politiques européennes, notamment dans les deuxième et troisième piliers ;

- combler le "déficit démocratique" ;

- enfin et surtout, reformer le système institutionnel de l'Union dans la perspective d'un élargissement à vingt-cinq, voire trente Etats membres.

Ce dernier objectif était largement considéré comme le plus important, notamment en France, où la réforme des institutions a toujours été un préalable indispensable à l'élargissement.

A mesure que s'amenuisaient les chances de parvenir à une réforme institutionnelle d'ensemble fut mis en avant, notamment par la France et l'Allemagne, le thème des "coopérations renforcées", destinées à permettre aux Etats souhaitant aller plus loin sur la voie de l'approfondissement de le faire sans se heurter à l'opposition des autres Etats membres. A défaut de réforme globale, les coopérations renforcées apparaissaient ainsi comme l'instrument susceptible de donner naissance à un "noyau dur" ou à une "avant-garde" de l'Union ayant vocation à entraîner l'ensemble, ou encore à une "Europe à géométrie variable".

A la lumière de ces objectifs, force est de constater que le traité d'Amsterdam a totalement failli à sa mission de réforme institutionnelle et grandement réduit la portée des coopérations renforcées. De surcroît, les Quinze ont arrêté dans un protocole annexé au traité un calendrier de réforme institutionnelle contradictoire avec l'objectif d'un renforcement des institutions préalable à l'élargissement vers l'Est.

I . L'apport du traité d'Amsterdam en matière institutionnelle et en matière de coopération renforcées

A. Dispositions institutionnelles


Comme on l'a exposé plus haut, la réforme des institutions de l'Union -nécessaire tant dans un souci d'approfondissement et d'efficacité plus grande des politiques existantes qu'en vue de compenser les effets dilutifs de l'élargissement-, a été totalement ignorée par le traité en raison de l'incapacité des Quinze à s'entendre sur des sujets hautement conflictuels.

Parmi les questions les plus importantes dans ce domaine figuraient sur l'agenda de la CIG :

- l'extension du vote à la majorité qualifiée au Conseil et de la procédure de codécision entre Conseil et Parlement européen ;

- la modification de la pondération des voix des Etats membres au Conseil, en vue de corriger le déséquilibre actuel en défaveur des grands Etats ;

- la réduction du nombre des commissaires ;

- la réforme de la présidence de l'Union ;

- l'assouplissement de la règle de l'unanimité aux fins de révision du traité ;

- l'association des Parlements nationaux au processus normatif ;

- la réforme des institutions juridictionnelles.

La plupart de ces sujets ont été ignorés ou traités a minima.

• Le Parlement européen est le principal bénéficiaire de la négociation, grâce à l'extension très significative du champ d'application de la procédure de codécision, qui se voit par ailleurs simplifiée (suppression de la troisième lecture). Le Parlement se voit par ailleurs reconnaître officiellement un droit d'investiture du Président de la Commission.

• La réforme de cette dernière se limite au droit accordé à son Président de désigner les commissaires en accord avec les Etats membres.

• La réforme de la présidence de l'Union -destinée à donner à celle-ci un "visage" dans la sphère internationale -s'est réduite à l'institution d'un "M. PESC" qui, contrairement au souhait français, sera un haut fonctionnaire en la personne du Secrétaire général du Conseil.

• Enfin, le rôle des Parlements nationaux n'est traité que dans un protocole annexe n'ajoutant pas grand chose à la situation existante.

Les questions fondamentales -généralisation de la majorité qualifiée, modification de la pondération des voix, réduction du nombre des commissaires- ont été une nouvelle fois différées aux termes d'un autre protocole sur lequel nous reviendrons dans la seconde partie de cet exposé.

B. Les coopérations renforcées

Comme on l'a indiqué, le thème des coopérations renforcées a progressivement été mis en avant comme une panacée, probablement en raison de son ambiguïté, qui le rendait compatible avec les conceptions fédéralistes du document Lamers/Schaüble de septembre 1994 (noyau dur), comme avec la problématique de la "flexibilité", voire de "l'Europe à la carte", chère aux conservateurs britanniques.

En raison de cette ambiguïté, les coopérations renforcées étaient loin de faire l'unanimité au sein des partisans de l'approfondissement de l'Union, en raison des risques qu'elles comportaient pour l'unité du système institutionnel et de l'alternative illusoire qu'elles procuraient à une réforme globale des institutions.

Les restrictions imposées par le traité d'Amsterdam à l'utilisation de ce nouvel instrument sont plus susceptibles d'apaiser ces inquiétudes que de satisfaire les espoirs de ceux qui y voyaient une solution miracle.

En effet, aux termes du traité, une "coopération renforcée" :

- doit concerner la majorité des Etats membres ;

- doit être décidée à la majorité qualifiée du Conseil, sur proposition exclusive de la Commission ;

- ne peut concerner la PESC -pourtant généralement considérée comme un domaine de prédilection pour ce type de coopération- pour laquelle a été institué le mécanisme de l'"abstention constructive" ;

- doit respecter la cohésion du Marché unique et des autres politiques de l'Union ;

- peut faire l'objet d'un veto de tout Etat membre arguant d'un "intérêt national important", avec pour effet l'évocation de la décision au niveau du Conseil européen statuant à l'unanimité.

On notera que cette dernière restriction contredit l'objectif originel des coopérations renforcées, à savoir la liberté d'aller plus loin à quelques-uns sans entrave des autres. Ce veto interdit également de considérer les coopérations renforcées comme l'instrument privilégié de l'approfondissement de l'union économique et monétaire.

Pour conclure sur ce terrain, un constat s'impose : les coopérations renforcées instituées à Amsterdam ne pallieront pas l'absence d'une réforme institutionnelle d'ensemble.

II. L'articulation entre réforme institutionnelle et élargissement

Après l'élargissement de 1995, réalisé à institutions constantes, avec des effets notables sur l'efficacité du fonctionnement du système, les Quinze s'étaient engagés à ne pas renouveler cette fuite en avant. Les négociations d'adhésion des six Etats sélectionnés par la Commission furent ainsi programmées dans un délai de six mois après la clôture de la CIG.

Force et de constater aujourd'hui que, non seulement ces négociations d'adhésion sont ouvertes en dépit de l'échec institutionnel de la CIG, mais surtout que les Quinze se sont entendus sur un calendrier qui repoussera de facto la réforme institutionnelle au-delà du processus d'élargissement, avec pour conséquence le risque très réel de rendre toute réforme impossible.

Aux termes de l'article premier du protocole sur les institutions dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne" annexé au traité d'Amsterdam; il est en effet prévu qu'à la date d'entrée en vigueur du prochain élargissement de l'Union, le nombre de commissaires sera réduit à un par Etat membre "à condition qu'à cette date la pondération des voix au sein du Conseil ait été modifiée (...)". Une telle réforme de la Commission est en elle-même problématique, en ce qu'elle n'en réduit que marginalement l'effectif tout en consacrant une certaine "nationalisation" d'une institution incarnant par excellence l'intérêt commun. Il est clair de surcroît qu'elle ne verra le jour que sous réserve d'un accord (à quinze ?) sur la pondération des voix au Conseil.

L'article second de ce protocole est encore plus problématique, qui reporte à "un an au moins avant que l'Union européenne ne compte plus de vingt Etats membres" la convocation de la prochaine conférence intergouvernementale destinée à procéder à une réforme d'ensemble des institutions.

Ceci signifie qu'en ratifiant ce protocole dans le cadre du traité d'Amsterdam, la France acceptera que l'Union accueille jusqu'à cinq nouveaux membres d'Europe centrale et orientale avant même qu'une conférence intergouvernementale n'ait été convoquée pour commencer à négocier -à vingt- une réforme des institutions et des processus de décision. Certains commentateurs relativisent la portée de cette disposition en misant sur l'adhésion simultanée des six Etats retenus pour le prochain élargissement -Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovénie, Estonie, Chypre-, et sur la longueur prévisible des négociations d'adhésion. Mais cette simultanéité n'est en rien garantie et, sans elle, c'est la paralysie institutionnelle et décisionnelle de l'Union qui se trouve juridiquement programmée.

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Idéalement, si l'on exclut un rejet "européen" du traité d'Amsterdam, la voie à suivre pour les Etats "réformateurs" appellerait une double démarche : écarter d'abord, selon une modalité juridique ou une autre, le protocole institutionnel du champ de la ratification, pour ne pas être lié par son calendrier ; initier ensuite, dès la tenue des élections allemandes, un processus non intergouvernemental de réflexion et de proposition sur l'avenir du projet politique européen et les conséquences qui en découlent, dans la perspective d'une union économique et monétaire relativement vaste et de l'élargissement vers l'Est.

La première étape prolongerait la Déclaration en ce sens annexée au traité par la France, l'Italie et la Belgique, dépourvue toutefois d'effet juridique. Par contraste avec le "non" danois à Maastricht, une réserve française sur la nouvelle fuite en avant institutionnelle arrêtée à Amsterdam aurait le triple avantage de porter sur un élément circonscrit et entièrement détachable du traité, d'être foncièrement "européenne", et d'adresser ainsi, sans crise majeure, un message clair aux diplomaties nationales quant au nécessaire rééquilibrage des progrès respectifs de l'élargissement et de l'approfondissement. La note ci-jointe démontre malheureusement qu'une telle voie est juridiquement étroite, et par voie de conséquence, politiquement difficile.

Cette situation rend d'autant plus nécessaire un travail préparatoire et indépendant sur l'avenir politico-institutionnel de l'Union, dans la lignée de ceux réalisés par les comités Spaak, Dooge et Delors, d'où sont issus, respectivement, le Marché commun, l'Acte unique et l'Union économique et monétaire. Une telle méthode, qui aurait dû être mise en oeuvre préalablement à la Conférence intergouvernementale de 1996, s'impose d'autant plus aujourd'hui que la négociation conclue à Amsterdam a révélé les points de rupture sur certains sujets sensibles, et que les Quinze sont peu susceptibles de les dépasser avant d'avoir tranché les conflits d'intérêts financiers et budgétaires liés à l'élargissement.

Ce travail urgent de restauration du sens de l'entreprise européenne aurait un triple objet :

- clarifier tout d'abord les options fondamentales qui s'offrent aux Européens quant à la nature et la finalité politiques de l'Union : construction d'une nouvelle entité politique démocratique à vocation de puissance mondiale, comme prétend le vouloir la France, instrument de pacification, d'organisation et de modernisation du continent européen conforme à la vision de l'Europe du Nord et depuis peu, semble-t-il, de l'Allemagne ; ou, entre les deux, l'hypothèse hybride, mais réaliste, d'un acteur économique et monétaire régional sans vocation politique ;

- expliciter les implications de ces choix en termes de répartition des compétences entre l'Union et ses Etats membres, de détermination des frontières géographiques de l'Union, d'articulation entre les différents sous-ensembles du système européen (Union élargie, UEM, "noyau dur" politique...) et de recomposition éventuelle de ces sous-ensembles ;

- recentrer le débat institutionnel sur ses enjeux essentiels, à savoir la survie du système communautaire dans une Union de plus de vingt Etats, laquelle passe notamment par l'institution d'un véritable exécutif européen, la généralisation de la majorité qualifiée au Conseil ainsi que par la révision des traités, et l'adaptation de la fonction juridictionnelle européenne. Le renforcement de l'efficacité des institutions communautaires dans une Union élargie s'impose au demeurant quelle que soit l'option retenue au plan de la nature et des finalités politiques de l'entreprise européenne : quand bien même la construction européenne verrait ses ambitions durablement réduites à la sphère économique et monétaire, la nécessité d'une refonte des institutions et des procédures de décision à la mesure des élargissements passés et à venir serait en effet tout aussi impérieuse.

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Je conclurai cet exposé en trois points :

- le traité d'Amsterdam est largement inadapté aux besoins de l'Union, tant du point de vue de l'approfondissement que de celui de l'élargissement ;

- il me paraît néanmoins devoir être ratifié à ce stade, en raison de ses apports dans certains domaines et afin d'éviter une crise européenne inutile, sous réserve toutefois du protocole institutionnel, contraire au calendrier souhaité par la France et à l'intérêt de l'Union sur une question fondamentale ;

- la réforme des institutions de l'Union doit être mise en chantier dès à présent à Quinze en vue d'une conclusion préalable au prochain élargissement, par l'institution d'un comité de réflexion et de proposition à caractère non-gouvernemental, méthode qui a fait ses preuves dans le passé.

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A la suite de son exposé, M. Laurent Cohen-Tanugi a répondu aux questions des commissaires

M. Jacques Genton a souligné la qualité de l'exposé qui venait d'être fait et a rappelé que, de retour d'une réunion à Londres de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), il avait pu mesurer l'insuffisance des dispositions adoptées à Amsterdam.

M. Christian de La Malène s'est inquiété du problème de la démocratisation des institutions européennes. Une réforme institutionnelle n'avait de sens, à ses yeux, que si elle permettait un progrès démocratique. Or, a-t-il déploré, l'Europe trouvait surtout des solutions technocratiques, et rien par exemple n'était fait pour renforcer les parlements nationaux. Poursuivre sur cette voie ne permettrait, selon lui, aucun progrès dans la construction européenne.

Pour M. Laurent Cohen-Tanugi, la notion de déficit démocratique comportait une réelle ambiguïté. Le problème ne concernait pas tant les pouvoirs du Parlement européen que, au sein de chaque Etat, les relations entre l'exécutif et le parlement national. Sur ce point, le traité d'Amsterdam n'apportait pas d'élément nouveau substantiel. Il importait que l'interpénétration croissante des politiques européennes dans la vie nationale nourrisse davantage les relations entre l'exécutif et le Parlement au sein de chaque Etat. De même, convenait-il de mieux expliciter la répartition des compétences entre l'Union européenne et les Etats membres qui apparaît à ce jour, selon M. Laurent Cohen-Tanugi, encore trop floue.

M. Claude Estier a déclaré partager l'analyse et les constats formulés par l'orateur. Bien que largement inadapté, le traité d'Amsterdam devait être ratifié, sauf à créer une grave crise européenne. Il a estimé difficile d'imaginer les modalités d'une ratification du traité sous condition. De même, si une réforme institutionnelle était engagée à quinze, quelles garanties aurions-nous que les partenaires de la France soient plus décidés qu'auparavant à aboutir ?

M. Laurent Cohen-Tanugi a confirmé que la pente naturelle allait plutôt dans le sens d'un élargissement sans réforme institutionnelle. Il a plaidé pour que le Parlement français formule une déclaration solennelle concernant le calendrier de la réforme institutionnelle par rapport à l'élargissement. Au demeurant, M. Laurent Cohen-Tanugi a estimé que la non-ratification du traité d'Amsterdam ne serait pas une catastrophe sur le fond, même si elle serait susceptible de générer une crise européenne. M. Claude Estier ayant fait valoir que la réforme constitutionnelle serait, en tout état de cause, l'occasion d'un débat, M. Laurent Cohen-Tanugi a fait observer que ce débat constitutionnel porterait davantage sur les transferts de souveraineté, au demeurant modestes, entraînés par le traité d'Amsterdam plutôt que sur la vraie question posée par le traité : est-il à la hauteur des enjeux ?

En réponse à M. Xavier de Villepin, président, M. Laurent Cohen-Tanugi a précisé qu'une réserve de la France, lors de la ratification du traité d'Amsterdam, pourrait stipuler qu'une réforme institutionnelle d'envergure soit réalisée à quinze, avant l'entrée en vigueur de tout prochain élargissement.

M. Pierre Biarnès a déclaré que, selon lui, il convenait de faire moins de juridisme et plus de politique. L'échec d'Amsterdam était, à ses yeux, la conséquence d'une incapacité politique à s'entendre avec l'Allemagne. L'approfondissement européen nécessitait, selon lui, un sursaut politique. M. Xavier de Villepin, président, s'est également interrogé sur l'implication de l'Allemagne dans la construction européenne, alors que ce pays se prépare à d'importantes échéances électorales.

M. Laurent Cohen-Tanugi a reconnu que, sur ce point, l'Allemagne constituait une inconnue pour l'avenir. Ce pays avait privilégié l'élargissement sur l'approfondissement institutionnel. L'attitude future de l'Allemagne dépendrait, en partie, des positions françaises. Il a relevé, à cet égard, le silence de la France après la publication du document "Lamers-Schaüble" qui exprimait des conceptions fédéralistes pour l'avenir de l'Europe. Enfin, M. Laurent Cohen-Tanugi a souligné l'importance du droit et des textes en matière européenne.

En réponse à M. Jacques Habert, M. Laurent Cohen-Tanugi a rappelé qu'il avait souvent, dans le passé, exprimé des doutes sur l'opportunité du processus d'élargissement en tant que réponse adaptée aux demandes des pays d'Europe centrale et orientale, rappelant notamment l'échec, selon lui regrettable, de l'idée de "Confédération européenne". Le risque d'une non-ratification du traité d'Amsterdam serait qu'elle soit interprétée comme un geste antieuropéen, alors qu'elle pourrait traduire simplement la non-conformité du traité aux enjeux fondamentaux de la construction européenne. Pour M. Laurent Cohen-Tanugi, la pire hypothèse serait que cette ratification intervienne sans un débat et une mise en garde sur la question institutionnelle.

Enfin, répondant à une observation de M. Xavier de Villepin, président, M. Laurent Cohen-Tanugi s'est dit sceptique quant à la pertinence des gains institutionnels obtenus par le Parlement européen. Il a cependant constaté que cette réforme pourrait permettre à ce Parlement de constituer un levier politique face à la Banque centrale européenne et donner matière à une meilleure politisation du débat européen.

Annexe 22( * ) :

note sur le statut juridique et les conditions de ratification des protocoles annexes aux traités communautaires

Le "protocole sur les institutions dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne" (ci-après le "protocole institutionnel") fait partie des protocoles annexés au traité sur l'Union européenne et aux traités instituant la CE, le CECA et l'Euratom.

L'article 14 du traité d'Amsterdam relatif à sa ratification et à son entrée en vigueur ne contient aucune disposition particulière concernant la ratification des protocoles. Il n'est pas non plus fait mention de cette question dans les dispositions équivalentes du traité de Rome (art. 247), de l'Acte unique européen (art. 33) ou du traité sur l'Union européenne (art. R). De façon plus générale, aucune disposition du traité d'Amsterdam ne précise le lien entre le traité lui-même et les protocoles qui figurent en annexe.

Toutefois, l'art. 239 du traité CE dispose que "les protocoles qui, du commun accord des Etats membres, seront annexés au présent traité en font partie intégrante."

Cette disposition est d'un usage fréquent dans les traités qui renvoient à diverses annexes ou protocoles des dispositions plus techniques pour alléger le texte principal sans pour autant vouloir leur donner une moindre portée juridique. Elle ne fait que reprendre un principe général du droit international illustré notamment par l'article 2 (1) de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 qui prévoit qu'un traité peut être "consigné dans un instrument unique ou dans deux ou plusieurs instruments connexes". Par l'insertion de l'article 239, les auteurs du traité CE ont voulu s'assurer que ses dispositions seraient interprétées et appliquées en relation avec les dispositions afférentes des protocoles annexés. 23( * )

Les protocoles annexés au traité CE se distinguent ainsi des "déclarations" qui ne font pas partie intégrante du traité, ce qui est normal car elles n'expriment que des déclarations d'intention et n'ont pas, en tant que telles, de valeur juridique contraignante.

L'article 239 CE ne renvoie pas à une liste prédéterminée et limitative de protocoles, mais s'applique à tous les protocoles annexés ultérieurement, notamment à l'occasion d'une révision du traité, sans que soit nécessaire une modification des termes de l'article 239 CE.

L'article 239 CE indique qu'il s'applique aux protocoles annexés au traité CE par un commun accord des Etats membres. On peut s'interroger sur la signification de cette précision. On pourrait soutenir que le commun accord renvoie à la ratification, ce qui signifierait que seuls les protocoles ratifiés par tous les Etats membres seraient annexés aux traité CE et en feraient partie intégrante. Les termes de l'article 239 CE nous semblent s'opposer à une telle interprétation. En effet, il ressort clairement des termes de l'article 239 CE -"les protocoles qui, du commun accord des Etats membres, seront annexés"- que le commun accord porte sur le fait d'annexer le protocole au traité. Dès le moment où un protocole est annexé au traité CE du commun accord des Etats membres, il en fait partie intégrante, sous réserve de sa ratification. Il doit donc recevoir le même traitement, notamment aux fins de ratification, que les dispositions révisant le traité CE ou le traité sur l'Union européenne.

Or, le protocole institutionnel, dans son introduction, stipule expressément que "les Hautes Parties contractantes ont adopté les dispositions ci-après, qui sont annexées au traité sur l'Union européenne et aux traités instituant les communautés européennes." Le protocole a donc bien été, d'un commun accord des 15 Etats membres, annexé au traité sur l'Union européenne et aux traités CE, CECA et Euratom. Si la France était en désaccord avec ce protocole, elle aurait pu faire état de sa réserve au moment de la signature du traité d'Amsterdam et obtenir l'accord des autres Etats membres pour pouvoir appliquer le traité sans être liée par le protocole 24( * ) . A défaut d'une telle réserve, le protocole a, pour la France comme pour les autres Etats membres, vocation à faire partie intégrante des traités CE et UE au même titre que les dispositions modificatives du traité d'Amsterdam.

Il doit donc normalement être traité aux fins de ratification de la même façon que les articles insérés dans le corps du traité d'Amsterdam.

Il en résulte qu'en ratifiant le traité d'Amsterdam, les Etats membres devraient aussi ratifier le protocole. Ainsi, une fois ratifié, le protocole possédera la même valeur juridique que le traité stricto sensu et sera justiciable du contrôle de la Cour de justice au même titre que les dispositions inscrites dans le traité.

Il nous semble donc découler de l'article 239 CE que le projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam devrait nécessairement inclure le protocole au même titre que les autres dispositions du traité d'Amsterdam stricto sensu. L'autorisation de ratifier le protocole ne paraît pas pouvoir faire l'objet d'un vote séparé. Si néanmoins le Gouvernement décidait de ne pas soumettre le protocole à l'autorisation de ratification, ou si le protocole, étant soumis à un vote séparé, faisait l'objet d'un vote négatif, et si finalement le protocole n'était donc pas ratifié par la France, tandis que le traité d'Amsterdam stricto sensu et les autres protocoles le seraient, deux solutions sont envisageables.

Premièrement, on pourrait imaginer que la France soit présumée avoir ratifié le protocole puisqu'il fait partie du traité CE sur l'Union européenne au même titre que les dispositions du traité d'Amsterdam revitalisant lesdits traités qui, elles, auront été ratifiées. Toutefois, la ratification étant par nature un acte discrétionnaire, elle ne saurait être présumée. Cette première possibilité semble donc pouvoir être écartée.

Deuxièmement, étant donné que le protocole institutionnel a vocation à faire partie des traités CE et UE comme les autres dispositions du traité d'Amsterdam, on pourrait considérer que si la France refusait de le ratifier, la ratification du traité d'Amsterdam en serait elle-même affectée. Dans ce cas la France devrait obtenir l'accord des autres Etats membres pour une dérogation spécifique lui permettant de ratifier le traité d'Amsterdam sans être liée par le protocole, dérogation semblable à celle obtenue par le Danemark en 1992 pour l'application des dispositions relatives à l'Union économique et monétaire à la suite de l'échec du premier référendum de ratification. Une telle dérogation serait toutefois sans effet sur la validité juridique du protocole et manquerait donc son objet.

La seule solution satisfaisante consisterait en définitive à considérer le protocole institutionnel comme suffisamment autonome et détachable par rapport au traité pour pouvoir être exclu du champ de la ratification, sans affecter la ratification du traité lui-même. Nous n'avons pas trouvé

de précédent direct à l'appui de cette position, qui offre donc à tout le moins matière à débat.

2. M. Jean-Louis Quermonne, directeur du pôle européen de l'Institut d'études politiques de Paris : les dispositions du traité relatives aux affaires intérieures et à la justice.

M. Jean-Louis Quermonne a tout d'abord rappelé le contexte dans lequel sont intervenues la réforme du troisième pilier et les dispositions tendant à la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, qui constituent, selon lui, un progrès par rapport au troisième pilier tel qu'il existait dans le traité de Maastricht, en dépit de l'excessive complexité du dispositif élaboré dans le cadre de la Conférence intergouvernementale. Cet espace de liberté, de sécurité et de justice créé par le traité d'Amsterdam, a poursuivi M. Jean-Louis Quermonne, constitue le prolongement des principes et des valeurs qui fondent l'Union européenne et qui, pour la première fois, font l'objet d'une référence aussi explicite dans un traité européen. M. Jean-Louis Quermonne a, à cet égard, cité les dispositions du futur article 8 du traité "consolidé", qui rappellent les principes de liberté, de démocratie, de respect des droits de l'Homme et de l'Etat de droit, communs aux Etats membres de l'Union européenne. Le fait que le respect de ces valeurs conditionne l'adhésion de tout nouvel Etat à l'Union européenne, et les sanctions prévues à l'encontre des Etats qui ne respecteraient pas ces principes illustraient, selon M. Jean-Louis Quermonne, l'importance des valeurs communes définies par le traité d'Amsterdam. Celui-ci permettait donc, a souligné M. Jean-Louis Quermonne, de compenser, dans une certaine mesure, le déficit démocratique constaté après l'adoption du traité de Maastricht.

Abordant ensuite les dispositions du traité d'Amsterdam relatives à la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, M. Jean-Louis Quermonne a relevé que cette réforme visait à répondre à une carence relative à la liberté de circulation des personnes, non encore pleinement effective dans l'espace européen, et aux craintes suscitées par le déficit sécuritaire observé en Europe en matière de grande criminalité, de trafic de drogues et de maltraitance des enfants notamment. Cette crainte a conduit, a observé M. Jean-Louis Quermonne, à souhaiter l'adoption de mesures européennes destinées à renforcer la sécurité intérieure des Etats.

M. Jean-Louis Quermonne a ensuite commenté les trois séries de dispositions du traité d'Amsterdam destinées à résoudre ces difficultés. La communautarisation partielle et progressive des mesures qui relevaient du troisième pilier s'appuyait sur l'incorporation au traité d'Amsterdam des mesures relatives aux politiques d'asile, au franchissement des frontières, à l'harmonisation des politiques d'immigration et à la coopération judiciaire en matière civile.

M. Jean-Louis Quermonne a distingué les dispositions pour lesquelles la communautarisation devait être immédiate -dès l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam- de celles qui seraient incorporées à l'ordre juridique communautaire à l'échéance de cinq ans après la mise en vigueur du traité. Il a souligné que les compétences de la Cour de justice des Communautés européennes ne s'étendraient pas aux mesures prises par les Etats pour assurer le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure. Puis il a commenté les exemptions consenties à l'Irlande, au Royaume-Uni et au Danemark dans ce domaine.

Le deuxième aspect de la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, a poursuivi M. Jean-Louis Quermonne, s'appuyait sur la rénovation du processus de décision intergouvernemental dans le cadre du troisième pilier qui, était désormais limité à la coopération policière et judiciaire en matière pénale, domaine dans lequel le Conseil continuerait à statuer à l'unanimité. M. Jean-Louis Quermonne a relevé l'innovation juridique que constituerait la possibilité de recourir à des "décisions-cadre", dénuées cependant d'effet direct dans l'ordre juridique des Etats.

Puis M. Jean-Louis Quermonne a abordé le "rapatriement" des accords de Schengen dans le traité d'Amsterdam, sous la forme d'une coopération renforcée, qui constitue le troisième aspect de la réforme tendant à la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice. Il a souligné la très grande complexité du dispositif ainsi mis en place, du fait de l'absence de concordance entre les quinze Etats membres de l'Union européenne et les quinze Etats Parties aux accords de Schengen (l'Islande et la Norvège étant associées à l'espace Schengen sans être membres de l'Union européenne).

Evaluant enfin la portée de la réforme du troisième pilier, M. Jean-Louis Quermonne a relevé l'"effroyable complexité" des dispositions adoptées dans le cadre du traité d'Amsterdam, rappelant la coexistence de sept protocoles additionnels, de dix-sept déclarations de la Conférence annexées à l'Acte final, et de quatre déclarations des Etats dont la Conférence a pris acte. La réforme constitue néanmoins, selon M. Jean-Louis Quermonne, un indiscutable progrès, dans lequel le couple franco-allemand a joué un rôle décisif. M. Jean-Louis Quermonne a également mentionné l'avancée que représente, selon lui, le renforcement d'Europol, appelé à devenir un organisme de coopération policière entre les Etats de l'Union européenne, sans constituer pour autant le "FBI européen" que le chancelier Kohl avait appelé de ses voeux. M. Jean-Louis Quermonne a ensuite estimé qu'un contrôle parlementaire et judiciaire sur Europol permettrait d'encadrer démocratiquement la coopération entre les polices européennes pour rendre plus efficaces les mesures de prévention et de répression qui seront prises dans ce cadre.

M. Jean-Louis Quermonne a alors conclu en soulignant l'importance, non seulement de la volonté politique des Etats, mais aussi de l'existence d'"institutions cohérentes et efficaces" pour favoriser la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice.

A l'issue de cet exposé, M. Jean-Louis Quermonne est revenu, à la demande de M. Xavier de Villepin, président, sur les risques liés aux exemptions définies à l'égard du Royaume-Uni, du Danemark et de l'Irlande. Il a fait observer que les exemptions accordées à ces trois pays étaient d'intensité variable, le Danemark étant lié par les accords de Schengen -à la différence de l'Irlande et de la Grande-Bretagne-, et étant habilité à appliquer au coup par coup les décisions prises dans le cadre de la réforme du troisième pilier. La complexité du système était donc poussée très loin, a relevé M. Jean-Louis Quermonne, indiquant que l'Irlande et la Grande-Bretagne pourraient de surcroît connaître des situations différentes au regard de l'espace de liberté, de sécurité et de justice européen.

M. Xavier de Villepin, président, s'étant interrogé sur les perspectives ouvertes aux coopérations renforcées et sur la portée des rapprochements éventuels des législations pénales, M. Jean-Louis Quermonne a cité, non seulement l'intégration de l'UEO dans l'Union européenne, mais aussi les coopérations renforcées prévues par le premier pilier en vue du prolongement de l'Union économique et monétaire (coordination des politiques fiscales, sociales, macroéconomiques ...), et surtout les coopérations renforcées prévues dans le cadre du troisième pilier (accords de Schengen, harmonisation des politiques pénales ...). A cet égard, M. Jean-Louis Quermonne a rappelé la demande exprimée par les magistrats signataires de "l'appel de Genève" en vue de la création d'un espace judiciaire européen.

M. Jacques Genton a alors rappelé que, dans le cadre de la 18ème session de la COSAC à Londres, la création d'un espace judiciaire européen et d'un ministère public européen avait été mise à l'étude, le Parlement européen ayant d'ailleurs exprimé certaines réticences sur ce point. M. Jean-Louis Quermonne a alors fait observer que le protocole sur les parlements nationaux intégré au traité d'Amsterdam conférait à la COSAC un rôle consultatif privilégié en matière de sécurité intérieure.

A la demande de M. Xavier de Villepin, président, M. Jean-Louis Quermonne a enfin évalué la portée du traité d'Amsterdam. Il a déploré l'incapacité des Chefs d'Etat et de Gouvernement à définir les contours de la réforme institutionnelle, cruciale dans la perspective de l'élargissement. Il a néanmoins estimé que la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice constituait une avancée certaine, que la réforme du troisième pilier revêtait une importance non négligeable, en raison de l'introduction éventuelle de la majorité qualifiée dans le cadre de la communautarisation, que la réforme du deuxième pilier constitue néanmoins un progrès, et que la COSAC pourrait devenir un organe de coopération interparlementaire efficace.

3. M. Philippe Moreau Defarges, conseiller des affaires étrangères, chargé de mission à l'Institut français des relations internationales (IFRI) : les dispositions du traité relatives à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC)

M. Philippe Moreau Defarges a d'abord relevé que la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) trouvait son origine dans le traité de Maastricht ; ce texte toutefois présentait une double ambiguïté liée, d'une part, à la volonté de fonder une politique commune sur la seule concertation et, d'autre part, à la formulation retenue dans le domaine de la défense par l'article J4 qui appelait à "la définition à terme d'une politique de défense commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune". Dans ce contexte, il a estimé que le traité d'Amsterdam ne pouvait apporter que des aménagements limités.

M. Philippe Moreau Defarges a toutefois relevé trois apports principaux :

- la mise en place d'un nouvel instrument avec les "stratégies communes" ;

- la création d'une fonction de "haut représentant" pour la PESC confiée en fait à un haut fonctionnaire, le secrétaire général du Conseil ;

- l'assouplissement des conditions de vote au sein du Conseil sous la forme de "l'abstention constructive", bien qu'un Etat puisse toujours se prévaloir d'un intérêt national majeur pour renvoyer une décision au Conseil européen, appelé dès lors à se prononcer à l'unanimité.

M. Philippe Moreau Defarges a considéré que la politique étrangère de l'Union européenne devait être appréciée dans le cadre d'une définition large de cette notion, entendue comme "l'ensemble des actions d'une entité lui permettant d'exister vis-à-vis de l'extérieur". Dans le domaine de la diplomatie au sens strict, qui ne constitue que l'un des volets de la politique étrangère, l'Union européenne, a estimé M. Philippe Moreau Defarges, se trouvait confrontée à trois difficultés principales : en premier lieu, la plupart des Etats européens aspiraient à un lien fort avec les Etats-Unis, pour garantir leur sécurité contre le risque de résurgence de menaces sur le vieux continent ; en second lieu, l'Europe connaissait encore des clivages, notamment entre les pays -comme la France et le Royaume-Uni- soucieux de conduire encore une politique de puissance mais incapables de s'entendre entre eux, et les Etats désireux de mettre l'accent sur la prospérité économique ; enfin, l'Europe apparaissait comme un acteur décisif de l'organisation des échanges -volet de la politique étrangère désormais essentiel-, comme l'a démontré la part prise par la Communauté dans les négociations relatives au GATT. En revanche, comme l'a souligné M. Philippe Moreau Defarges, l'Europe ne parvenait pas à exister par elle-même dans le domaine de la prévention et de la gestion des crises ; en effet, si certains Etats souhaitaient doter l'Europe d'une véritable force, d'autres estimaient préférable de demeurer dans le cadre exclusif de l'Alliance atlantique, afin de consacrer l'essentiel de leurs efforts à la compétition économique.

Enfin, d'après M. Philippe Moreau Defarges, l'action de l'Union européenne se jugera fondamentalement sur sa capacité à organiser sa périphérie (Europe centrale et Méditerranée) en zone de prospérité et de paix.

M. Philippe Moreau Defarges a ensuite répondu aux questions des commissaires.

Il a précisé à l'intention de M. Xavier de Villepin, président, qui s'interrogeait sur l'absence de l'Europe sur la scène du Proche-Orient, que les Etats-Unis constituaient un médiateur privilégié dans cette région, compte tenu de la nature de leurs relations avec Israël et des points d'appui dont disposait Washington dans le monde arabe. Il a souligné par ailleurs que, même si l'Union européenne accordait une aide conséquente aux Palestiniens, les Quinze demeuraient divisés sur la meilleure façon dont l'Europe pourrait intervenir sur cette question. Par ailleurs, à propos de Chypre et du Kosovo, où l'absence de l'Europe pouvait être encore une fois déplorée, il a souligné que la protection américaine sur le vieux continent répondait au souhait d'un certain nombre de nos partenaires, et en particulier de plusieurs pays d'Europe centrale et orientale appelés bientôt à rejoindre l'Union ; en conséquence, la remise en cause du rôle majeur de médiation joué par les Américains apparaissait difficile.

M. Philippe Moreau Defarges a également indiqué à M. Xavier de Villepin, président, qu'il doutait que le haut-représentant pour la PESC puisse évoluer en prenant une dimension plus politique ; dans ce domaine, la représentation de l'Union incombait principalement à la présidence du Conseil, qui n'était qu'"assistée" par le secrétaire général du Conseil. D'après M. Philippe Moreau Defarges, l'Union européenne constituait aujourd'hui une fédération qui ne disait pas son nom en raison de l'importance des compétences qui lui étaient attribuées, de la prise en compte d'une citoyenneté européenne, et enfin de la place dévolue désormais à la procédure de codécision associant le Parlement européen, le Conseil et la Commission.

M. Michel Caldaguès a alors souligné que la politique étrangère constituait l'attribut majeur de la souveraineté et que, dans ce domaine où le bilan des Quinze apparaissait modeste, l'Union européenne pouvait difficilement revendiquer le statut d'une fédération. M. Philippe Moreau Defarges a indiqué que, si l'Europe n'existait pas vraiment dans le domaine de la gestion des crises, elle jouait un rôle considérable sur la scène extérieure, à travers sa politique commerciale mais aussi la négociation des futures adhésions dans la perspective de l'élargissement de l'Union.

Il a également observé, à l'intention de M. Xavier de Villepin, président, que le rapprochement de l'Union de l'Europe occidentale et de l'Union européenne ne pourrait intervenir qu'au cas par cas, compte tenu de l'hostilité du Royaume-Uni et des réticences des Etats neutres membres de l'Union européenne ; dans ces conditions, l'Union européenne représentait une communauté de sécurité dans le sens, seulement, où elle favorisait la pacification des relations entre les Etats membres -une clause de sécurité collective propre à l'Union européenne étant aujourd'hui exclue.

M. Jean Arthuis a souligné que l'Union européenne avait beaucoup progressé lorsqu'elle s'était sentie menacée et que cette situation s'était principalement produite dans le domaine économique. Il s'est interrogé sur la représentation de l'Union européenne au sein des institutions internationales telles que le groupe des sept pays les plus industrialisés (G7). M. Philippe Moreau Defarges est convenu, avec M. Jean Arthuis que les Etats représentés au sein des instances internationales, telles que le fonds monétaire international, hésitaient à faire toute sa place à la Commission européenne. Il a rappelé alors la volonté de chaque Etat européen de conserver son siège au sein des différentes institutions internationales et en particulier au sein du Conseil de sécurité des Nations unies.

4. M. Jean-Marie Guéhenno, Conseiller-maître à la Cour des comptes, président du Conseil d'administration de l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense nationale) : les dispositions du traité relatives à la défense européenne

M. Jean-Marie Guéhenno a tout d'abord constaté que le traité d'Amsterdam avait maintenu la distinction, opérée par le traité de Maastricht, entre sécurité et défense, tout en traçant quelques perspectives non négligeables. Si la distinction entre sécurité et défense avait un sens à l'époque de la guerre froide, a rappelé M. Jean-Marie Guéhenno, quand on pouvait séparer la menace sur un territoire des autres types de menaces, ce clivage paraît moins pertinent aujourd'hui, l'usage de la force armée pouvant désormais être motivé par des préoccupations de sécurité sans nécessairement affecter la défense du territoire.

Commentant la prise en compte, dans le traité d'Amsterdam, des missions dites de Petersberg, M. Jean-Marie Guéhenno a jugé positive cette tentative de créer un espace d'action pour l'UEO, tout en faisant observer qu'une telle évolution intervenait à un moment où l'OTAN avait conforté sa position en matière de sécurité. Il a également mentionné les dispositions du traité d'Amsterdam tendant à amorcer l'idée de défense des frontières extérieures de l'Union européenne et il a relevé que le traité d'Amsterdam s'abstenait d'évoquer la notion d'assistance entre Etats, dans le souci, a-t-il estimé, de ménager les relations avec les Etats-Unis. En définitive, M. Jean-Marie Guéhenno a observé que le traité d'Amsterdam maintient, en matière de sécurité et de défense, une relative ambition sans parvenir à apporter, néanmoins, une solution aux questions posées par la défense européenne.

M. Jean-Marie Guéhenno a alors abordé les dispositions du traité d'Amsterdam relatives à l'Union de l'Europe occidentale (UEO). Il a noté que le traité prenait acte de l'élargissement de l'UEO, qui comptait désormais 28 Etats, et de l'existence de statuts très diversifiés -membres de plein droit, Etats associés, associés partenaires. M. Jean-Marie Guéhenno a souligné les inconvénients résultant, sur un plan opérationnel, de cette situation, le Conseil de l'UEO s'apparentant plus, selon lui, à la logique d'une assemblée multilatérale -type Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)- qu'à celle du conseil d'administration d'un organisme opérationnel. Il a estimé que les réunions conjointes prévues entre l'UEO et l'Organisation du traité de l'Atlantique-Nord (OTAN), ainsi qu'entre l'UEO et l'Union européenne, tout en constituant un progrès, relevaient d'exercices plus formels qu'opérationnels.

S'efforçant ensuite de préciser les modestes perspectives d'évolution ouvertes par le traité d'Amsterdam et susceptibles de bénéficier à la défense européenne, M. Jean-Marie Guéhenno a commenté :

- l'intérêt "pédagogique" qui pourrait résulter, selon lui, pour les pays neutres appartenant à l'UEO, des missions dites de Petersberg ;

- le progrès -certes limité- que permettrait la possibilité, pour le Conseil, de statuer à la majorité qualifiée en matière de "stratégies communes" ;

- M. Jean-Marie Guéhenno a estimé que la composition du comité politique ayant pour mission de conduire la politique extérieure et de sécurité commune -et réunissant jusqu'ici les directeurs politiques- n'étant plus précisée par le traité d'Amsterdam, il existe une possibilité d'évolution vers un comité composé de représentants permanents. Selon lui, une telle transformation améliorerait le dialogue entre les Etats et les instances de Bruxelles, et elle serait un élément positif dans la perspective de la création d'une véritable politique extérieure et de sécurité commune.

En dehors de ces quelques perspectives, M. Jean-Marie Guéhenno a relevé que les questions fondamentales qui se posaient dans le domaine de la défense restaient sans solution, qu'il s'agisse des questions relatives aux industries d'armement, des difficultés liées aux relations avec l'OTAN, ou des interrogations suscitées par les évolutions institutionnelles européennes. Sur le premier point, M. Jean-Marie Guéhenno a constaté les intérêts très divergents des treize Etats membres du GAEO (groupe armement de l'Europe occidentale), en fonction de l'importance variable des industries nationales d'armement. Il a relevé l'absence de consensus européen sur le chapitre des relations avec l'OTAN, notant la réticence des Etats, en période de restrictions budgétaires, à multiplier les contributions à des organismes qui pourraient paraître, à certains égards, redondants. Sur le plan institutionnel, enfin, M. Jean-Marie Guéhenno a jugé souhaitable de privilégier, dans le domaine des industries d'armement, le cadre de l'OCCAR (organe conjoint de coopération en matière d'armement) de préférence à celui du GAEO, et de rendre plus souples les structures de l'OTAN en exploitant pleinement les possibilités offertes par les GFIM (groupements de forces interarmées multinationales).

M. Jean-Marie Guéhenno a conclu en estimant que les Européens ne parviendront à se rapprocher en matière de défense que par des actions concrètes. Rappelant les expériences que constituaient le Corps européen, Eurofor et Euromarfor, il a estimé que les questions de fond posées par la défense européenne ne connaîtraient une issue favorable que si des missions accomplies en commun par les Européens permettaient de faire évoluer les mentalités. Dans cet esprit, il a estimé que les missions de Petersberg pourraient contribuer à donner un contour concret à la défense européenne.

A l'issue de cet exposé, M. André Dulait, soulignant la consistance modeste des dispositions du traité d'Amsterdam, s'est interrogé sur les chances et les moyens de parvenir à une politique européenne d'armement forte et cohérente, compte tenu des divergences qui opposent, sur ce point, les Etats membres de l'Union européenne.

M. Christian de La Malène a relevé le paradoxe qui, selon lui, caractérisait l'Europe de la défense, condition de l'existence de l'Europe, alors même que l'Europe de la défense était subordonnée au progrès de la construction européenne. M. Christian de La Malène a également souhaité connaître les perspectives ouvertes par la création d'un "haut représentant" pour la PESC (Politique étrangère et de sécurité commune).

M. Pierre Biarnès, soulignant l'intérêt que présenterait l'émergence d'une véritable coopération européenne en matière d'armement, en raison notamment d'avantages substantiels à attendre en termes de coût des matériels produits en coopération, a jugé indispensable de dépasser les querelles d'ordre institutionnel pour aborder des volets plus concrets de la construction européenne. Il a en particulier souhaité connaître les solutions envisagées, à ce stade, à l'égard du remplacement des matériels d'armement d'origine soviétique des nouveaux membres de l'OTAN et des candidats à l'Union européenne.

M. Maurice Lombard a alors relevé l'inconsistance des projets actuels de défense européenne, faute d'adversaire désigné comme au temps de la guerre froide. Il a estimé que le souci de recourir à la protection américaine constituait un obstacle aux progrès de la défense européenne, dont les objectifs économiques paraissent aujourd'hui jouer un rôle plus important que les objectifs strictement militaires.

M. Jacques Habert a souhaité savoir comment l'OCCAR, organisme actuellement essentiellement technique, pourrait devenir le noyau dur de la future politique européenne en matière d'armement.

M. Xavier de Villepin, président, s'est enfin interrogé sur l'incidence, selon lui décisive, des récents essais nucléaires pakistanais et indiens sur l'ensemble des questions de défense actuellement en suspens dans le monde.

M. Jean-Marie Guéhenno a ensuite répondu aux questions des commissaires.

Il a tout d'abord estimé que les essais nucléaires indiens et pakistanais attestaient la permanence de menaces dans le monde de l'après-guerre froide, et qu'ils montraient la pertinence du maintien d'un effort de défense important, même si la défense n'apparaît plus aujourd'hui comme un "projet mobilisateur". Constituant une manifestation des conséquences de la montée en puissance de la Chine, les essais nucléaires indiens et pakistanais portent atteinte aux progrès accomplis dans le domaine de la lutte contre la prolifération, tout en faisant de celle-ci un aspect essentiel de la sécurité internationale à venir.

En ce qui concerne le développement, selon lui souhaitable, du rôle de l'OCCAR, M. Jean-Marie Guéhenno a estimé que cette organisation demeurerait un "arrangement technique", dénuée de véritable portée tant qu'elle ne manifesterait pas son autorité sur quelques projets essentiels pour l'édification d'une Europe des industries de défense.

Il a également relevé que le traité d'Amsterdam s'était abstenu de trancher sur le profil du Haut représentant pour la PESC, notant que le rayonnement de l'institution dépendrait du poids politique de cette personnalité. M. Jean-Marie Guéhenno a enfin souhaité que soient affectés à l'unité de planification, chargée de la mise en oeuvre de la politique étrangère et de sécurité commune, des personnels d'horizons suffisamment variés pour que cette instance contribue effectivement à l'émergence d'une culture européenne qui intègre la défense comme un élément positif de la politique européenne.

5. M. Ronny Abraham, membre du Conseil d'Etat : les dispositions du traité relatives aux libertés publiques et aux droits fondamentaux.

M. Ronny Abraham a d'abord rappelé que la prise en compte, par le droit communautaire, des questions relatives aux libertés publiques et aux droits fondamentaux relevait de quatre catégories de normes juridiques qui avaient entre elles diverses interactions : le droit communautaire écrit (les traités originels) ; le droit communautaire non écrit constitué des principes généraux du droit communautaire contenus dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes(CJCE) ; les principes constitutionnels de chaque Etat membre ; enfin la convention européenne des droits de l'homme à laquelle sont parties les 15 Etats de l'Union et d'autres Etats non membres.

M. Ronny Abraham a présenté comme une lacune l'absence, dans les traités fondateurs, de "préambule" relatif à la protection des droits fondamentaux et des libertés publiques. Les institutions communautaires ne sont, de ce fait, pas astreintes, juridiquement, au respect de ces droits alors même que leurs capacités normatives se sont notablement étendues. C'est en réaction à cette lacune juridique que la CJCE a progressivement élaboré, à travers sa jurisprudence, les principes généraux du droit communautaire dont la valeur juridique est équivalente à celle des traités. Ainsi retrouve-t-on, depuis le début des années 1970, dans les principes généraux du droit communautaire de la CJCE, les grands principes protecteurs contenus dans les constitutions nationales. Ils reposent sur les traditions constitutionnelles communes et sur les instruments internationaux pertinents, à commencer par la convention européenne des droits de l'homme. Ces normes jurisprudentielles, qui s'imposent aux institutions communautaires comme aux Etats membres, ont d'ailleurs été consacrées par les traités européens à l'occasion de leurs aménagements successifs, notamment dans le cadre de l'Acte unique européen et du traité de Maastricht.

Au début des années 1980, a précisé M. Ronny Abraham, l'idée est née d'une adhésion de l'Union européenne, en tant que telle, à la convention européenne des droits de l'homme, afin de clarifier l'applicabilité des normes qu'elle édicte au droit communautaire dérivé. Cette adhésion se heurte à certaines difficultés d'ordre technique -l'adhésion d'une organisation internationale non étatique n'est pas prévue par la convention elle-même- et d'ordre juridique. Ainsi la CJCE a-t-elle estimé, dans un avis du 28 mars 1996, qu'une telle adhésion nécessiterait une révision préalable des traités européens et remettrait en cause les équilibres fondamentaux du système juridique européen. Surtout, la CJCE, a estimé M. Ronny Abraham, n'entendait pas se soumettre ainsi à une tutelle juridique de la Cour européenne des droits de l'homme.

Sur ce point, a indiqué M. Ronny Abraham, le traité d'Amsterdam, qui aurait pu être l'occasion de préparer cette adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'homme, n'a pas apporté d'élément nouveau. Il traduit ainsi le refus implicite des Etats membres de toute adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'homme.

Cette non-adhésion présente -a estimé M. Ronny Abraham- plusieurs inconvénients : en premier lieu, elle ouvre la voie à d'éventuelles divergences de jurisprudence entre la CJCE d'une part et la Cour européenne des droits de l'homme d'autre part ; en deuxième lieu, ces divergences mêmes peuvent placer les Etats membres dans des situations juridiquement insolubles : quelle attitude adopter à l'égard d'une directive, considérée par la CJCE comme conforme aux principes généraux du droit communautaire mais dont l'application par un Etat serait condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme saisie par un ressortissant de cet Etat ?

Cela étant, a reconnu M. Ronny Abraham, le fait de reconnaître à la Cour européenne des droits de l'homme le "dernier mot" en matière de respect des libertés publiques et des droits fondamentaux risquerait d'affecter la sécurité juridique, compte tenu des délais induits par les recours successifs aux différentes instances judiciaires compétentes.

Le traité d'Amsterdam, a précisé M. Ronny Abraham, apporte toutefois en matière de droits fondamentaux et de libertés publiques un aspect positif avec la reconnaissance de deux droits nouveaux des citoyens opposables aux institutions communautaires : l'accès aux documents administratifs émanant de la Commission, du Conseil et du Parlement européen (modification de l'article 255 du traité de Rome) ; et la protection des citoyens contre le traitement automatisé d'informations individuelles (modification de l'article 298 du traité de Rome).

Par ailleurs, a relevé M. Ronny Abraham, le nouvel article 7, ajouté par le traité d'Amsterdam au traité sur l'Union européenne, permet au Conseil de sanctionner une violation grave et persistante d'un droit fondamental ou d'une liberté publique par un Etat membre. La procédure prévue se déroule en deux temps : le Conseil peut tout d'abord constater à l'unanimité (moins la voix de l'Etat concerné) la violation grave et persistante d'un droit fondamental ; il peut ensuite, à la majorité qualifiée, sanctionner l'Etat fautif, par exemple en décidant de suspendre l'exercice par cet Etat de son droit de vote.

M. Ronny Abraham a ensuite répondu aux questions posées par les membres de la commission.

A l'attention de M. Jacques Genton, M. Ronny Abraham a relevé le caractère partiel du transfert opéré dans le traité d'Amsterdam du troisième pilier -affaires intérieures et justice-, relevant de la coopération intergouvernementale, vers le premier pilier, relevant des compétences communautaires. Le premier pilier avait en effet été élargi aux questions de visas, d'asile et d'immigration, laissant de côté la coopération policière et judiciaire en matière pénale. M. Ronny Abraham a d'ailleurs fait observer que ce transfert conduirait la CJCE à examiner davantage d'affaires concernant la protection des droits fondamentaux et des libertés publiques et la compatibilité, en la matière, du droit communautaire dérivé avec les principes généraux du droit communautaire. Dans ce contexte, a estimé M. Ronny Abraham, la constitution d'un espace judiciaire européen demeurait une perspective dont on se rapprochait sans pouvoir jamais l'atteindre.

Répondant à M. Xavier de Villepin, président, M. Ronny Abraham a fait observer que les pouvoirs de la CJCE étaient déjà très importants et que le traité de Maastricht les avait renforcés en contraignant les Etats à exécuter ses jugements.

S'agissant enfin des questions préjudicielles relatives à l'interprétation des textes communautaires entre les juridictions suprêmes de chaque Etat d'une part, et la CJCE d'autre part, M. Ronny Abraham a précisé à M. Xavier de Villepin, président, qu'après une phase initiale de réticence de la Cour de cassation et surtout du Conseil d'Etat, ces deux juridictions faisaient désormais une correcte application des dispositions de l'article 177 du traité de Rome, permettant ainsi une coopération satisfaisante entre le juge national et le juge communautaire.

6. M. Dominique Moïsi, directeur adjoint de l'IFRI (Institut français des relations internationales), rédacteur en chef de la revue "Politique étrangère" : les perspectives de l'Union européenne

M. Dominique Moïsi a souhaité évoquer, au-delà des termes du traité d'Amsterdam, les trois défis majeurs -souveraineté, identité et espace géographique- que devait désormais relever l'Union européenne dans un contexte international où la logique de la mondialisation a succédé à la confrontation liée à la période de la guerre froide.

Abordant en premier lieu le défi de la souveraineté, M. Dominique Moïsi a estimé que les Etats acceptent plus facilement des transferts de souveraineté dans des domaines comme la monnaie, où leur marge de manoeuvre est déjà réduite, qu'en matière de sécurité où ils cherchent en revanche à sauvegarder leurs prérogatives. Ainsi, d'après le directeur adjoint de l'IFRI, l'Europe apparaît comme une construction hybride dotée d'une triple dimension : fédérale pour la monnaie, intergouvernementale pour la politique étrangère et la sécurité, régionale enfin, au regard des importantes responsabilités dévolues à l'échelon infranational.

M. Dominique Moïsi a ensuite observé que l'identité pouvait désormais revêtir différentes formes et que cette évolution pouvait, à bien des égards, heurter un pays comme la France, dont l'histoire politique était marquée par le jacobinisme.

Le directeur adjoint de l'IFRI a enfin évoqué la notion d'espace géographique pour relever que l'Europe n'est pas encore assurée de ses limites et que des incertitudes pesaient en particulier sur les relations entre l'Union européenne, d'une part, la Russie et la Turquie, d'autre part.

Selon M. Dominique Moïsi, le triple défi que doit relever l'Union européenne apparaît d'autant plus complexe que le processus de construction européenne, au-delà de la mise en oeuvre de relations pacifiques entre les Etats européens, ne s'est pas réellement vu assigner de nouveaux objectifs communs. Le couple franco-allemand lui-même, même s'il constitue encore un moteur indispensable pour la construction européenne, montre cependant ses limites compte tenu notamment des réactions divergentes des deux pays vis-à-vis de la mondialisation, plus considérée comme un risque par la France que par l'Allemagne.

Le directeur adjoint de l'IFRI a observé en conclusion que la construction européenne bénéficiait encore de l'appui de la majorité de l'opinion -même si ce soutien apparaissait tiède et incertain- mais qu'elle suscitait en revanche les critiques d'une minorité de plus en plus résolue et inquiète des menaces qui affectaient l'identité nationale.

Un débat s'est ensuite instauré avec les commissaires.

M. Jacques Genton, après avoir exprimé les réticences que lui inspirait une vision trop dogmatique de la souveraineté, s'est réjoui de la dynamique, sur le processus de construction européenne, provoquée par la mise en place de l'euro. M. Dominique Moïsi a souscrit à ces propos, tout en soulignant la dimension nostalgique qui s'attachait encore à la défense de la souveraineté.

M. Xavier de Villepin, président, a alors interrogé le directeur adjoint de l'IFRI sur les conséquences prévisibles des prochaines élections allemandes pour la construction européenne. M. Dominique Moïsi a estimé qu'une Allemagne profondément différente émergerait sans doute des prochaines échéances électorales outre-Rhin ; tandis que les responsables allemands actuels avaient connu la deuxième guerre mondiale et avaient tiré de cette expérience la volonté politique de faire l'Europe, les nouvelles générations, appelées bientôt à occuper les responsabilités politiques, se sentiraient moins obligées par les liens du passé. Toutefois, d'après M. Dominique Moïsi, le retour à une Allemagne bismarckienne n'est plus envisageable, compte tenu de la force du fédéralisme dans ce pays ; en définitive, dans l'hypothèse d'une alternance, le nouveau Chancelier pourrait se montrer tout à la fois, à l'instar de l'actuel Premier ministre britannique, soucieux de l'intérêt national et plus pragmatique.

M. Dominique Moïsi a enfin précisé à l'attention de M. Xavier de Villepin, président, qu'une réforme institutionnelle apparaissait indispensable compte tenu du risque de paralysie qui résultait du mode de fonctionnement actuel de l'Union ; à cet égard, M. Dominique Moïsi a estimé que les prochains élargissements, quand ils se concrétiseront, pourraient provoquer, à la suite des blocages qui ne manqueront pas de se produire, la réforme indispensable.

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