PREMIÈRE PARTIE -
LE RISQUE DE PARALYSIE LIÉE AU STATU QUO INSTITUTIONNEL

La réforme des institutions constituait l'objectif le plus important de la Conférence intergouvernementale. Elle présentait deux volets essentiels : la recherche d'une plus grande efficacité -indispensable dans la perspective de l'élargissement et du risque de paralysie des processus de décision-, le renforcement de la légitimité démocratique de l'Union.

Les thèmes à l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale déclinaient cette double orientation sur différents modes. L'impératif d' efficacité appelait ainsi trois types d'aménagement :

- une réforme de la présidence de l'Union ,

- la réduction du nombre de commissaires ,

- une extension du vote à la majorité qualifiée .

Quant au souci de combler le déficit démocratique , il conduisait à favoriser :

- un renforcement du rôle du Parlement européen ,

- une meilleure association des parlements nationaux au processus normatif.

- une prise en compte plus effective de la subsidiarité destinée à rapprocher le processus de décision du citoyen ;

- une modification de la pondération des voix au sein du Conseil afin de mieux tenir compte de l'importance démographique des Etats.

Bien qu'inspirés par des priorités différentes, certains thèmes apparaissaient, dans la perspective d'un compromis, étroitement liés. Ainsi l'extension du vote à la majorité qualifiée avait pour contrepartie la repondération des voix au conseil.

Sur tous ces points, la Conférence intergouvernementale s'est soldée par un échec . En effet, dans bien des cas, les négociateurs n'ont tout simplement pu trancher entre des positions très divergentes et ont préféré reporter les décisions, dans le cadre d'un " protocole sur les institutions dans la perspective de l'élargissement de l'Union " -que votre rapporteur commentera dans ses conclusions-, à des échéances plus lointaines. Dans d'autres domaines comme les " coopérations renforcées ", les avancées s'apparentent à de faux-semblants. Enfin, la seule évolution réelle, le renforcement du Parlement européen, risque, par son isolement, de modifier l'équilibre institutionnel de l'Union.

I. UNE CAPACITÉ D'INITIATIVE ENTAMÉE

L'expérience des vingt dernières années le montre, la construction européenne a progressé grâce au rôle d'initiative joué par le couple Conseil-Commission. L'efficacité de l'Union européenne dépend en conséquence, pour une large part, de l'organisation de ces instances qui réunissent à la fois capacité d'initiative et de décision. Or, faute d'un consensus sur les améliorations à apporter dans ce domaine, la Conférence intergouvernementale a choisi de renforcer les institutions investies principalement d'un pouvoir de contrôle (les organes juridictionnels de l'Union) ou, surtout, d'une faculté d'empêcher (le Parlement européen).

Si l'extension de la procédure de codécision au bénéfice du Parlement européen ne soulève pas d'objection de principe, elle apparaît en revanche plus contestable dans un contexte marqué par le statu quo pour le Conseil et la Commission. Ce déséquilibre institutionnel risque en effet d'être source de blocages dans les années à venir.

A. UN MOTEUR INSTITUTIONNEL SANS FORCE ?

1. Le Conseil : une initiative politique menacée

a) Une organisation de la présidence inadaptée

L'efficacité du Conseil apparaît aujourd'hui entravée par l'organisation de la présidence du Conseil, soumise au principe d'une rotation tous les six mois, peu propice à la prise en charge des dossiers toujours plus complexes et au rôle d'impulsion qui revient à la présidence.

Les propositions n'ont pas manqué pour surmonter ces obstacles. Aucune n'a pu réunir l'accord des Quinze.

Les formules avancées pour la mise en place d'une présidence plus efficace comportent souvent, il est vrai, autant d'inconvénients que d'avantages : l'allongement de la durée du mandat entraînerait un espacement du tour de rôle pour chacun des Etats difficilement acceptable dans la perspective d'une Europe élargie ; l'association de plusieurs Etats au sein d'un collège présidentiel en place pour une période de douze mois, ne convainc pas davantage, faute de garantir la " visibilité " nécessaire à l'action de la présidence ; la fragmentation de la présidence par l'attribution à certains Etats membres d'une responsabilité éminente dans un domaine particulier encourt le même reproche.

b) Des aménagements d'une portée très limitée

Faute d'accord sur une réforme de la présidence, les aménagements retenus à Amsterdam présentent une portée très limitée et se bornent principalement à alléger quelque peu l'ordre du jour du Conseil.

• En effet, des décisions de pure procédure pourront désormais être prises par le Comité des représentants permanents (COREPER) dans les cas prévus par le règlement intérieur du Conseil (art. 207 § 1).

Le règlement intérieur, il faut le rappeler, est arrêté par le Conseil à la majorité simple.

Le Conseil pourra ainsi se décharger des décisions de procédures sur le COREPER, instance unique de préparation du Conseil.

La création d'un poste de secrétaire général adjoint désigné selon la même procédure que le secrétaire général du Conseil (décision unanime du Conseil) permettra de décharger celui-ci appelé à exercer les fonctions de Haut-représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (art. 207 § 3).

Dans les faits, le secrétaire général adjoint assurera l'essentiel des tâches aujourd'hui confiées au Secrétaire général du Conseil -en particulier l'assistance aux différents conseils.

• La mise en place de nouvelles règles de procédure en matière de transparence sera évoquée plus loin par votre rapporteur.

2. La Commission : une cohésion incertaine

Une composition inadaptée

Aujourd'hui, les grands Etats sont représentés au sein de la Commission par deux nationaux et les autres par un national. Jusqu'en 1995, la Commission comprenait 17 membres ; après l'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède, elle en compte aujourd'hui vingt. Cet effectif apparaît excessif. Mais qu'en sera-t-il lorsque l'Union passera à vingt ou vingt-cinq Etats-membres ? Les règles de la composition actuelle de la Commission présentent aujourd'hui au moins trois conséquences fâcheuses :

- elle fragilise encore davantage l'homogénéité d'un organisme que les pères fondateurs avaient souhaité indépendant des Etats-membres ;

- dès lors, elle complique le processus de décision dans la mesure où les différents commissaires peuvent parfois être tentés de se prononcer en fonction de considérations nationales ;

- enfin, elle conduit à un morcellement du rôle des commissaires peu conforme avec le souci d'efficacité ; votre rapporteur avait déjà relevé à titre d'exemple la dispersion des tâches pour les relations extérieures réparties entre quatre commissaires.

L'échec de la proposition française

C'est pourquoi la France avait défendu au cours de la Conférence intergouvernementale une réduction importante des effectifs de la Commission ramenés à 15 voire à 10 membres. Elle avait même indiqué qu'elle pourrait renoncer à être représentée par l'un de ses nationaux au sein de la Commission. Notre pays s'était acquis le soutien de Bonn comme en témoigne le double principe rappelé dans la lettre franco-allemande du 9 décembre 1996 :

- la composition de la Commission doit correspondre aux fonctions qui lui sont assignées ;

- elle doit compter de toute manière un nombre de commissaires inférieur à celui des Etats membres.

La proposition française avait pour double mérite de réaffirmer de façon radicale l'indépendance de la Commission tout en restaurant la cohérence de son action. Cette audace institutionnelle n'a, on le sait, pas réuni de consensus, l'Allemagne, elle-même, revenant, malgré les termes de la lettre commune avec la France, au principe d'un commissaire par Etat membre sur lequel il sera sans doute difficile de revenir.

Aussi, en l'absence d'une véritable réforme, les négociations se sont-elles satisfaites de quelques aménagements dont l'impact apparaît douteux.

a) Le rôle du président de la Commission : un renforcement symbolique

Faute d'une réduction du nombre de commissaires, le souci d'efficacité a conduit à renforcer le rôle du président de la Commission à travers trois nouvelles dispositions.

L'approbation de la désignation du président de la Commission par le Parlement européen -simplement consulté dans le système actuel (art. 214 § 2).

Destinée avant tout à renforcer l'influence du Parlement européen, cette mesure aura aussi pour effet de mieux asseoir l'autorité du président de la Commission.

L'accord du président -auparavant simplement consulté- pour la désignation des membres de la Commission (art. 214 § 2).

L'instance collégiale ainsi formée par le président et les autres membres de la Commission est ensuite soumise -comme c'est le cas aujourd'hui- à un vote d'approbation par le Parlement européen.

Le respect par la Commission des orientations politiques définies par son président (art. 219)

Enfin, une déclaration (n° 32) jointe au traité traduit un certain consensus pour confier au président de la Commission un large pouvoir discrétionnaire dans l'attribution des tâches au sein du collège, ainsi que dans tout remaniement de ces tâches en cours de mandat.

Ces aménagements concourent tous à un seul objectif : le renforcement de l'autorité d'un président . Le rôle joué dans la désignation des commissaires et dans la définition de la politique de la Commission lui donne les moyens de dépasser le statut de primus inter pares et de favoriser ainsi la cohésion de cette institution et sa capacité à délibérer.

b) Une rationalisation repoussée à une échéance plus lointaine

Les négociateurs ne sont pas parvenus à un accord sur une répartition plus efficace des attributions au sein de la Commission et la rationalisation du travail de cette institution.

Ils se sont bornés à prendre acte de l'intention de la Commission, dans la perspective de la constitution d'une nouvelle commission pour l'an 2000 2( * ) de préparer d'une part une réorganisation des tâches au sein du collège , et, d'autre part, une restructuration correspondante des services (déclaration n° 32) .

La réorganisation des tâches au sein du collège

Dans sa contribution à la Conférence intergouvernementale, la Commission s'était prononcée en faveur d'une organisation des tâches autour d'une dizaine de portefeuilles. Les commissaires non détenteurs d'un portefeuille se verraient confier des missions spécifiques ou des tâches d'appui. Le renouvellement de la Commission permettrait une alternance équitable entre titulaires de l'une ou l'autre de ces catégories. Enfin, tous les commissaires participeraient aux délibérations et aux votes du collège.

Une telle orientation pourrait se concrétiser sans difficulté de principe dans la mesure où il revient au collège des commissaires de se prononcer sur la répartition des portefeuilles et où la déclaration jointe au traité d'Amsterdam plaide pour une solution inspirée des propositions de la Commission à travers " une répartition optimale entre les portefeuilles traditionnels et les tâches particulières ".

Une telle évolution permettra-t-elle de mettre fin à l'inflation des directions générales liée au souci de confier à chaque commissaire un domaine d'action propre ? Il importe aujourd'hui de mettre fin au fractionnement excessif des services de la Commission dont les effets apparaissent très négatifs pour la cohérence de l'action communautaire.

Par ailleurs, la même déclaration prend position pour l'attribution d'une vice-présidence au commissaire en charge des relations extérieures .

L'intérêt d'une telle proposition ne paraît pas évident. Il existe déjà en effet aujourd'hui deux vice-présidents en charge des relations extérieures, M. Manuel Marin et Sir Leon Brittan. S'agit-il dès lors de concentrer la responsabilité des relations extérieures entre les mains d'un seul commissaire au risque d'en faire un concurrent du président de la Commission dont le traité a précisément cherché à renforcer le rôle ? Il est regrettable que la déclaration ait retenu ce seul élément du schéma -plus équilibré- proposé par la Commission dans lequel le vice-président pour les relations extérieures prenait place aux côtés de deux autres vice-présidents responsables de " l'économie et des finances " et des " politiques d'intégration et de l'intérêt des citoyens ".

Les modalités de l'exercice des compétences d'exécution conférées à la Commission restent en débat.

Une déclaration (n° 31) invite la Commission à présenter au Conseil, au plus tard à la fin de 1998, une proposition modifiant la décision du Conseil du 13 juillet 1987 fixant les conditions suivant lesquelles la Commission assure les compétences d'exécution qui lui sont conférées .

Sous une formulation assez technique se dissimule un enjeu politique relatif au partage des responsabilités entre le Conseil et la Commission.

En effet, la décision du 13 juillet 1987 (dite dans le jargon européen " décision de comitologie ") définit les conditions dans lesquelles la Commission applique les décisions dont le Conseil lui a confié l'exécution après leur adoption.

Comités " consultatifs ", de " gestion " ou encore de " réglementation " : tous ont en commun d'associer les représentants des Etats membres.

La Commission et le Parlement européen souhaitaient une modification de ce dispositif : la première pour obtenir un allégement de procédures jugé entraver l'exercice de ses compétences, le second pour obtenir d'être représenté lorsqu'il s'agit de définir les conditions de mise en oeuvre des mesures adoptées selon la procédure de codécision.

L'une et l'autre plaidaient pour l'application de la règle à la majorité qualifiée et de la procédure de codécision à la définition des procédures de mise en oeuvre des décisions du Conseil. Les Etats soucieux de conserver leurs prérogatives au niveau de l'exécution des décisions n'ont pas accepté d'évolution dans ce domaine. Reverront-ils leur position à la faveur d'une proposition de la Commission ? On peut en douter.

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