Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée

HAENEL (Hubert)

RAPPORT D'INFORMATION 513 (97-98) - COMMISSION DES FINANCES

Table des matières






N° 513

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 18 juin 1998

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le classement sans suite ,

Par M. Hubert HAENEL,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Christian Poncelet, président ; Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini, René Régnault, vice-présidents ; Emmanuel Hamel, Gérard Miquel, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Alain Lambert, rapporteur général ; Philippe Adnot, Bernard Angels, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy Cabanel, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Henri Torre, René Trégouët.

Justice.

INTRODUCTION

La commission des finances a demandé au rapporteur spécial des crédits de la justice, M. Hubert Haenel , d'effectuer un contrôle, sur pièces et sur place, sur le classement des plaintes et des procès-verbaux par les Parquets, ses causes et ses conséquences.

En effet, chaque année, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances, la commission des finances du Sénat regrette l'insuffisance des crédits mis à la disposition du ministère de la justice. Ainsi, ils s'élèvent à 23,9 milliards de francs en 1998 alors qu'un budget de 35 milliards de francs serait nécessaire pour que ce service public fonctionne correctement. Cette mission de contrôle avait donc pour objectif de constater les conséquences concrètes de l'insuffisance des moyens sur l'activité des juridictions et, notamment, sur celle du Parquet.

La publicité donnée à cette enquête a eu pour effet, alors que la question des classements apparaissait jusqu'à présent comme un sujet tabou, d'inciter certains procureurs à consacrer leur discours d'audience solennelle de la rentrée judiciaire 1998 à ce sujet.

Pour autant, le ton de ces discours a varié fortement d'une juridiction à l'autre. Ainsi certains procureurs se sont-ils efforcés de relativiser le classement sans suite et de prouver que le classement pour opportunité intervenait uniquement en cas de réelle justification.

Or, le pourcentage élevé de classements pour raison d'opportunité (entre 25 et 40%) et les disparités de taux observées selon les juridictions, ainsi que le sentiment d'une partie croissante de la population de l'absence de réponse judiciaire au traitement de la délinquance, contredisent ces discours.

Cette distorsion entre le discours officiel et la réalité, telle qu'elle est perçue par les justiciables, a conduit votre rapporteur à examiner de manière approfondie tout le processus de la " chaîne pénale ", du dépôt de la plainte à l'exécution des peines, en passant par les phases d'enquête, de poursuite et de jugement.

Il a ainsi pu constater que le classement, c'est à dire l'absence de suite donnée à une infraction est loin de résulter de la seule volonté du Parquet, mais peut également procéder de l'attitude de la victime, des moyens des services de police et de gendarmerie, voire des administrations tenues de dénoncer les infractions au Parquet, conformément à l'article 40 alinéa 2 du code de procédure pénale.

Votre rapporteur s'est également attaché à rechercher les véritables motifs des classements sans suite et s'est donc penché sur le principe de " l'opportunité des poursuites " prévu par les dispositions de l'alinéa 1 de l'article 40 du code de procédure pénale, aux termes duquel le procureur de la République, lorsqu'une infraction à la loi pénale est constituée, " apprécie la suite à lui donner " et a donc le choix entre exercer l'action publique et poursuivre l'auteur devant la juridiction compétente, ou classer la procédure, même si l'auteur de l'infraction est connu.

Or, votre rapporteur a été obligé de constater que si le classement sans suite résulte souvent d'une analyse au cas par cas de chaque situation, il s'explique également par la nécessité, faute de moyens suffisants à la disposition du Parquet, du Siège, des services de constatations et d'enquête et de ceux chargés de l'exécution de " gérer des stocks et des flux ". Certains " parquetiers " nous ont en effet indiqué qu'il n'y avait pas d'autres moyens de gérer les dossiers qui s'accumulent. " On fait ce que l'on peut quand l'armoire est pleine " nous a déclaré un procureur de la République. La notion d'inopportunité des poursuites devient alors très extensive et masque en réalité le classement sec .

Pour l'essentiel, les causes des classements sans réelles justifications en droit et en opportunité sont ainsi liées à un manque de moyens. Toutefois, le classement sans suite résulte également d'un manque de volonté provoqué par le découragement et la lassitude des services concernés par le traitement de la délinquance. De l'aveu même de certains magistrats, la psychologie de certains d'entre eux n'est pas étrangère non plus à ce phénomène qui disqualifie certains vols et autres atteintes aux biens voire aux personnes en de simples " incivilités ". D'aucuns hésiteraient même à trouver un intérêt social ou thérapeutique à la poursuite et à la condamnation. En outre, il faut également prendre en compte les appréciations diverses, voire divergentes, que les uns et les autres, pour de multiples raisons psychologiques, éthiques ou politiques, ou simplement liées à l'âge ou à l'origine sociale peuvent porter sur l'ordre public dans ses dimensions économique, sociale, écologique.

Or, comme l'a fait remarquer le procureur général de la Cour d'Appel de Colmar, M  Olivier Dropet , lors de l'audience de rentrée de janvier 1998 consacrée au problème du taux élevé de classements sans suite, " une situation de cette sorte est perverse, nuisible et dangereuse. La possibilité de passer à travers les mailles du filet de la répression ne peut qu'encourager les auteurs d'infractions à persévérer dans la voie délictueuse, les personnes et les biens de nos concitoyens ne sont plus suffisamment protégés, le sentiment d'insécurité se développe en se nourrissant d'exemples concrets, les services de police et de gendarmerie, constatant que leur action n'est pas vraiment relayée par celle de la justice risquent de se démobiliser, enfin un terreau favorable est fourni à des idéologies malsaines . "

Votre rapporteur s'est donc attaché, à partir de l'observation de certaines expériences locales à élaborer des pistes de réflexion pour améliorer le fonctionnement de la chaîne de traitement de la délinquance et réduire le taux de classement sans suite.

Nos concitoyens sont en effet en droit, d'une part, d'exiger des institutions qui assurent la paix publique, la sûreté des personnes et des biens, qu'elles soient efficaces et remplissent leur mission et, d'autre part, d'attendre que l'ordre républicain soit respecté, que l'Etat de droit s'applique à toutes les personnes, à toutes les situations et tous les territoires. " La sûreté est le premier droit de l'Homme et le premier devoir de l'Etat ".

Le travail de votre rapporteur n'a pas toujours été facilité du fait de la méconnaissance par certaines administrations centrales des dispositions de l'ordonnance du 30 décembre 1958 sur les pouvoirs de contrôle des commissions du Parlement.

Cependant, votre rapporteur tient à souligner la coopération spontanée et très précieuse de tous les procureurs généraux et de tous les procureurs de la République sollicités par votre rapporteur (et particulièrement ceux de Colmar, Lyon, Toulouse, Aix-en-Provence et Rouen), de la direction générale de la gendarmerie nationale et des unités visitées (notamment celles des Groupements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et du Val d'Oise), ainsi que des services de la direction générale de la police nationale et de la préfecture de police de Paris.

Au cours de ses investigations, votre rapporteur n'a pas pu, faute de moyens, approfondir certains aspects du phénomène analysé qui mériteraient des compléments d'enquête ou de contrôle. Il souhaite qu'ils soient entrepris à l'initiative du Sénat, mais aussi du gouvernement.

Votre rapporteur tient à rappeler qu'au-delà des discours partisans et politiciens, l'objectif de ce rapport a été d'apporter une contribution du Sénat au travail en profondeur accompli depuis plusieurs années pour trouver les moyens et les méthodes les plus appropriés pour prévenir et lutter contre la délinquance.

Par ailleurs, il faut se demander ce qu'il adviendrait si, dotés de moyens accrus et de méthodes renouvelées, les services de police et de gendarmerie devenaient plus efficaces et réduisaient le taux de classement sans suite des procès-verbaux dans lesquels les auteurs ne sont pas identifiés (ou encore nommés couramment les plaintes contre X). La justice serait-elle capable en l'état actuel de ses moyens, de ses méthodes et de ses procédures de traiter cette délinquance ? Votre rapporteur en doute fort.

La méconnaissance de la criminalité réelle, ce qu'il convient d'appeler le chiffre noir de la délinquance , tient d'abord à l'attitude de la victime qui découlera le plus souvent de l'utilité ou de l'inutilité de porter plainte. La victime peut avoir peur des représailles, ce qui est de plus en plus fréquent. Elle peut aussi avoir connaissance de la banalisation des faits par les services d'enquête ou le Parquet. Face à la délinquance quotidienne, les justiciables adoptent une attitude de plus en plus désabusée. Le bon déroulement de l'enquête se heurte également au manque de civisme et à l'indifférence ambiante qui se traduisent par le refus de témoigner, de se faire connaître, etc...

Les conséquences de cet état de fait et de cet état d'esprit sont graves et multiples : tentation de se faire justice, développement des milices privées, montée du phénomène " loi du Talion ", multiplication des sociétés de gardiennage, fichiers occultes tenus par les victimes de vols à l'étalage dans les grands magasins, etc...

En outre, les dépôts de plaintes avec constitution de partie civile tendent à se multiplier, de même que les lettres anonymes adressées au Parquet.

Par ailleurs, le fort taux de classement sans suite est responsable de la démoralisation et de la démobilisation des services d'enquête de la police nationale et de la gendarmerie.

Enfin, et même si, aux dires des Parquets, le nombre de classements secs est à la baisse, il témoigne du défaut de traitement de la primo délinquance des mineurs puisque le fait que l'auteur de l'infraction soit un mineur constitue précisément un motif fréquent de classement.

De l'avis même de nombre des personnes interrogées par votre rapporteur, la plupart des textes en vigueur permettraient de trouver les solutions appropriées à de très nombreuses situations. Selon un procureur général, un magistrat attentif, plein de bon sens et disposant d'une certaine expérience, fait preuve du discernement nécessaire pour mettre en oeuvre efficacement et de façon adaptée l'action publique. Une telle remarque pose donc le problème du recrutement, de la formation et de la carrière des magistrats.

Votre rapporteur tient également à souligner que le débat sur le classement des affaires se focalise à tort sur le Parquet, alors que celui-ci ne constitue qu'un maillon de la chaîne de traitement de la délinquance (appelée communément " chaîne pénale "). En amont, les administrations, les services de police et de gendarmerie jouent un rôle essentiel dans le classement des affaires puisque ce sont eux qui transmettent les plaintes aux Parquets : c'est donc à leur niveau que s'effectuent les premiers choix de classer ou, au contraire, de poursuivre. En aval, la décision de poursuite du Parquet ne sera suivie d'effet que si l'affaire est jugée dans des délais raisonnables et si la peine est correctement exécutée. La solidité de la chaîne se mesure donc à la résistance du maillon le plus faible. Si un dysfonctionnement apparaît dans l'un des services concernés, tout le traitement de la délinquance sera perturbé. En outre, toute amélioration apportée au niveau d'un maillon sans tenir compte de ses répercussions sur l'ensemble de la chaîne pénale est vouée à l'échec.

L'enquête menée par votre rapporteur conduit à poser une question grave : l'Etat français a t-il les moyens de traiter la délinquance quels qu'en soient les formes, les lieux, les auteurs et de faire respecter la loi pénale censée être égale pour tous ? La loi est le premier facteur de cohésion et d'intégration sociale. Pourtant, sommes-nous suffisamment bien organisés et faisons-nous usage des bonnes méthodes pour éradiquer ce fléau grandissant qui met à mal les fondements mêmes de notre société ?

Nos concitoyens ont trop souvent le sentiment que la règle commune, celle qui garantit la sécurité des personnes et des biens n'est plus respectée, que notre société a perdu la notion de " ligne jaune ", qu'une infraction dûment constatée, alors même que l'auteur présumé a été identifié , n'a pas de suite judiciaire. Un sentiment d'inégalité, d'impunité et d'insécurité s'ensuit inévitablement.

Pour simplifier et au risque de forcer le trait, trop de nos concitoyens ont le sentiment que le fonctionnement de la justice pénale se résume ainsi : il y a d'un côté ceux qui lui échappent parce qu'ils sont puissants sur le plan politique, administratif, économique ou social (membres du gouvernement, hauts fonctionnaires, élus, chefs d'entreprise...) et de l'autre, ceux qui lui échappent également parce qu'ils vivent en bande dans des quartiers difficiles, ou encore sont mineurs, marginaux, étrangers, etc. Entre ces deux catégories, il y a ceux qui " trinquent ", les victimes du système, ceux qui vivent normalement et pour lesquels la loi pénale est implacable : ceux qui ne peuvent se faire rendre justice parce que la justice est débordée, sourde, inaccessible, déroutante, invisible, illisible.

Votre rapporteur est conscient que le travail qu'il a effectué ne pourra pas seul modifier le sentiment d'incompréhension et d'exaspération croissante de l'opinion publique vis-à-vis de la justice. Il espère toutefois que ce rapport apportera sa pierre au long travail de réhabilitation de la justice et que les propositions qu'il contient seront non seulement examinées attentivement par tous les services concernés par le traitement de la délinquance, mais également mises en oeuvre.

I. UNE PROCÉDURE STRICTEMENT ENCADRÉE PAR LA LOI

En application de l'article 40 du code de procédure pénale, " le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner. Il avise le plaignant du classement de l'affaire ainsi que la victime lorsque celle-ci est identifiée. "

Le procureur de la République centralise donc les plaintes qui lui sont adressées directement ou qui sont préalablement déposées auprès des services de police ou de gendarmerie. Il recueille par ailleurs de toutes les autorités publiques les renseignements ou procès-verbaux relatifs à des crimes et délits dont elles peuvent avoir connaissance.

Sur la base des informations reçues ou complétées, le cas échéant, par les actes d'enquête effectués par les services compétents à leur initiative ou sur instruction du procureur, ce magistrat dispose de l'alternative légale que constitue la décision de poursuite ou la décision de classement. 1( * )

La poursuite consiste à mettre en mouvement l'action publique pour saisir une juridiction d'instruction ou, directement, une juridiction de jugement.

Le classement constitue une décision qui, à l'inverse, met fin à la procédure qui avait pu être initiée et entraîne le non exercice de l'action publique.


La décision de poursuite ou de classement repose sur deux critères cumulatifs : la légalité et l'opportunité.

A. LE CRITÈRE DE LÉGALITÉ

1. Les éléments objectifs de droit

Lorsqu'une infraction est portée à la connaissance du procureur, celui-ci doit vérifier si toutes les conditions juridiques sont réunies pour permettre la poursuite de cette infraction.

a) L'existence d'une infraction

Le procureur va d'abord rechercher si les faits qui lui sont présentés comme ayant un caractère pénal constituent réellement une infraction. En effet, les particuliers écrivent au Parquet pour lui signaler des situations très diverses, dont bon nombre ne constituent pas des infractions pénales. Ainsi, certains se plaignent du refus de la mairie de leur donner le logement social auquel ils pensent avoir droit, d'autres écrivent parce qu'ils estiment que leur procédure de divorce avance trop lentement... Si l'analyse juridique des faits révèle que les éléments constitutifs de l'infraction ne sont pas réunis, le classement s'impose, car toute décision de poursuite conduirait à une décision de relaxe de la part de la juridiction de jugement qui serait saisie.

b) La caractérisation de l'infraction

De nombreux classements sont également liés au fait que l'infraction évoquée dans la procédure initiale est insuffisamment caractérisée et donc susceptible de conduire à une poursuite débouchant sur une déclaration de culpabilité. La règle veut que le doute profite à l'accusé. S'il apparaît au substitut que le délinquant a toute chance d'être relaxé par le tribunal en raison de l'insuffisance des charges, force est pour lui de classer l'affaire sans suite. Une fois vérifié que les faits constituent une infraction, le magistrat doit déterminer s'il n'existe pas des obstacles juridiques empêchant le déclenchement des poursuites tels que :


l'amnistie ;


la prescription de l'action publique (elle est ainsi de trois ans pour les délits) ;


l'immunité familiale : la loi prévoit pour certaines infractions que, lorsque l'auteur est parent de la victime, des poursuites sont impossibles. Ainsi, le vol entre époux n'est pas reconnu ;


l'absence de plainte de la victime (ou le retrait de plainte) pour les infractions où la loi exige l'existence d'une plainte préalable pour exercer des poursuites ;


la mise en place d'une transaction administrative dans les domaines où la loi prévoit cette possibilité, comme, par exemple, en matière douanière ou de contributions indirectes ;


l'existence d'une irrégularité dans la procédure ;


l'irresponsabilité pénale de l'auteur, par suite notamment d'un trouble psychique ou de son état de légitime défense.

2. Les éléments objectifs de fait

Le Parquet, après avoir contrôlé que la situation qui lui a été signalée constitue une infraction à la loi pénale et qu'aucun obstacle juridique n'interdit la poursuite, procède à l'analyse des faits.

En effet, il ne suffit pas d'avoir constaté l'existence d'une infraction susceptible d'être poursuivie, il faut également pouvoir la mettre à la charge de celui qui l'a commise.


• La non-identification de l'auteur de l'infraction


D'un point de vue purement juridique, la poursuite peut être considérée comme possible dès l'instant où l'infraction a été constatée. On pourrait donc envisager une ouverture systématique d'information contre X, en espérant que les investigations menées sur commission rogatoire du juge d'instruction pourraient conduire à la découverte de l'auteur. Dans la réalité, cette hypothèse demeure marginale et réservée à des affaires criminelles (meurtres, hold-up...). En effet, on peut difficilement imaginer quelle investigation supplémentaire le magistrat pourrait prescrire que l'enquêteur n'aurait pas déjà pensé à effectuer. Dès lors, si la police ou la gendarmerie n'a pu élucider une affaire de vol, le Parquet n'a pas d'autre choix que d'en prendre acte : la plainte, dûment enregistrée, donne lieu à un classement immédiat par le Parquet au motif " auteur inconnu " ou " recherches infructueuses ".

B. LE CRITÈRE D'OPPORTUNITÉ

Le droit français donne au magistrat du Parquet le pouvoir de classer une procédure sans suite alors même que l'infraction existe et que son auteur est connu afin de lui permettre d'adapter sa décision aux situations au cas par cas.

Dans son discours de rentrée de janvier 1998 au Tribunal de grande instance de Colmar, le procureur de la République, M. René Pech , a distingué trois grands types de raisons.

a) Le classement lié à l'attitude de la victime

La victime a pu, par son propre comportement fautif, contribuer à la réalisation de l'infraction. C'est le cas du piéton qui traverse hors du passage protégé et qu'un automobiliste renverse.

La victime peut également retirer la plainte qu'elle a déposée, manifestant ainsi clairement son intention de ne voir aucune poursuite engagée contre l'auteur de l'infraction.

La plainte est également classée lorsque la victime se désintéresse de l'affaire : par exemple, si la police demande à la victime certaines précisions sur les circonstances de l'infraction et que celle-ci s'abstient délibérément de les faire connaître.

L'infraction n'est pas poursuivie lorsque la victime dépose plainte dans un but autre que répressif. C'est le cas lorsqu'un des époux en instance de divorce dépose plainte pour faux témoignage pour se procurer des éléments en vue de voir prononcer le divorce aux torts de l'autre. Il s'agit en fait d'un détournement de procédure.

b) Le classement lié à l'attitude du délinquant

Le magistrat prend en compte la personnalité du délinquant. Ainsi, lorsque l'intéressé présente un mental déficient ou est mineur ou très âgé, le magistrat aura tendance à classer l'affaire.

De même, si l'auteur de l'infraction a spontanément, de lui-même, remboursé la victime, le magistrat ne poursuivra pas.

c) Le classement lié au caractère relativement minime du trouble de l'ordre public occasionné par l'infraction

Traditionnellement, les magistrats du Parquet ne prennent jamais l'initiative des poursuites en matière de diffamation et d'injures concernant les particuliers.

Il peut arriver que dans certaines situations, la répression serait plus nuisible à la paix sociale que l'impunité accordée au délinquant par le classement. Ainsi, en cas de coups et blessures entre époux, si les deux antagonistes se sont réconciliés, il peut être préférable de classer car une poursuite risquerait de cristalliser le différend et de l'envenimer.

Lors de son discours de rentrée judiciaire, le procureur général près la cour d'appel de Rouen, M. Christian Raysseguier , a estimé que les procédures classées en opportunité s'inscrivaient à peu près pour l'essentiel dans les cinq grandes catégories suivantes :

- vols à l'étalage pour un faible montant commis par un délinquant primaire ;

- infractions de faible gravité survenues dans le cadre familial ou dans un contexte de voisinage ;

- infractions mineures aux diverses réglementations administratives et qui sont régularisées ;

- infractions à la police des étrangers traitées sur un plan administratif ;

- usage occasionnel de cannabis.

Par ailleurs, il convient de distinguer entre l'opportunité donnée aux procureurs de poursuivre ou de classer les affaires et l'arbitraire.

Dans son discours à l'occasion de l'audience de rentrée en janvier 1998, M. Olivier Dropet , procureur général près la Cour d'appel de Colmar, précisait les limites qui encadrent le principe d'opportunité : " C ette faculté de classement accordée au procureur doit toutefois être utilisée avec réflexion et prudence et exige de sa part des références éthiques et morales lui évitant de tomber dans l'arbitraire ou la faiblesse, de donner libre cours à ses préjugés, voire même de se laisser emporter par la crainte ou l'amitié.

Il importe qu'en toute circonstance, le procureur de la République évite de donner le sentiment d'impunité au délinquant, le sentiment d'abandon à la victime et l'impression de laxisme à ses concitoyens
. "

En définitive, le pouvoir de classement des magistrats du Parquet tel qu'il est présenté dans les textes et décrit par les procureurs ne semble pas reposer sur des appréciations arbitraires de leur part, purement subjectives et personnelles, mais sur des données objectives. On pourrait donc en conclure que le classement sans suite constitue un pouvoir réaliste d'adaptation à certaines situations bien ciblées, utilisé de manière très marginale.

Pourtant, comme le fait remarquer le procureur général près la Cour d'appel de Colmar, M. Olivier Dropet , le sentiment prévaut qu' " insidieusement, lentement mais sûrement, l'exception, à savoir le classement sans suite pour opportunité, empiète sur la règle, c'est-à-dire l'exercice des poursuites pénales contre le délinquant.

En 1995, l'ensemble des Parquets de France a été destinataire de 2,2 millions de plaintes, dénonciations et procès-verbaux relatifs à des crimes, des délits et aux contraventions les plus graves et imputables à des personnes identifiées ; or, 1,450 million, soit 53% ont fait l'objet d'un classement sans suite, 553.000, soit un peu plus de 25% ont débouché sur un acte de poursuite, le surplus n'avait pas encore donné lieu à des orientations lorsque les statistiques ont été établies courant 1996. [...]

Certes, parmi ces classements, certains n'entrent pas dans nos préoccupations présentes car ils sont dus à l'inexistence de l'infraction dénoncée, à l'insuffisance des charges contre une personne déterminée ou à l'impossibilité procédurale d'engager des poursuites, mais une part importante, très importante, des classements décidés repose sur la notion d'inopportunité des poursuites et ce sont ceux-là qui posent problème car ils donnent l'impression que la Justice ne défend pas suffisamment l'intérêt général et l'ordre social, en un mot, qu'elle n'accomplit pas convenablement sa mission
. "

De telles remarques ont incité votre rapporteur à s'interroger sur la nature exacte du classement par opportunité. Ce type de classement sans suite apparaît cependant comme un phénomène difficile à cerner.

C. LA PRATIQUE DU CLASSEMENT DES AFFAIRES SANS SUITE EST DIFFICILE À CERNER

1. Le problème des statistiques

Au cours de la dernière décennie, le taux de classement sans suite a fortement progressé . En effet, il s'élevait à 69 % en 1987, puis a franchi la barre des 70 % à partir du début des années 80 pour atteindre 80 % en 1995.

A la lecture de ces chiffres bruts, on peut légitimement s'interroger sur la capacité de l'ensemble des services concernés de l'Etat et, notamment, de ceux de la justice française à donner une suite judiciaire aux infractions commises et sur la réalité de l'Etat de droit.

Pourtant, ces chiffres doivent être interprétés avec précaution car ils ne permettent pas d'appréhender la réalité du classement sans suite.

En effet, le principal dispositif statistique qui rend compte de l'activité annuelle des juridictions pénales n'est pas en mesure de produire d'information sur la nature des affaires dont sont saisies les Parquets ni sur les motifs des classements sans suite .

Selon la direction des affaires criminelles et des grâces, les carences du dispositif statistique sont principalement dues au fait qu'actuellement, chaque tribunal possède sa propre table de nature d'affaires et de motifs de classement. Ce manque d'uniformisation des statistiques interdit la production d'une statistique à partir d'extractions des données enregistrées dans les différentes applications informatiques des tribunaux.

En outre, comme le fait remarquer une étude sur le classement sans suite 2( * ) " le motif du classement est invoqué de façon parfois étrange par rapport au circuit de traitement ou au contenu du dossier. L'obligation (pour des besoins informatiques) de cocher un motif de classement sur un imprimé rend cette opération quelquefois artificielle, voire dénuée de tout fondement . "

Or, l'absence de statistiques nationales sur la nature des affaires dont sont saisis les Parquets et les motifs de classement sans suite interdit toute appréciation sur cette pratique car ne peuvent être distingués les classements " forcés " (notamment lorsqu'il n'existe pas d'infraction ou que l'auteur de cette dernière n'est pas identifié) et les classements d'opportunité.

Par ailleurs, ces statistiques ne permettent pas de connaître les différents motifs qui se cachent derrière les classements d'opportunité. En outre, la grille des motifs de classement ne tient pas compte des alternatives à la poursuite puisqu'elle les assimile à des mesures de classement sans tenir compte de " l'obligation de faire " imposée au prévenu, qui permet d'apporter une réponse judiciaire appropriée.

Ces mesures, qui se sont développées à partir du début des années 90, progressent régulièrement : de 37.649 en 1992, elles sont passées à 90.128 en 1996. Ce mode de traitement est donc loin d'être négligeable. A titre de comparaison, pour la même année, 43.671 affaires ont été orientées vers l'instruction.

L'étude précitée sur l'abandon des poursuites du Parquet est révélatrice : 36,4 % des dossiers qui comprenaient au moins une infraction et un auteur (et pour lesquels, en conséquence, des poursuites étaient envisageables) ont fait l'objet d'un règlement amiable ou d'une régularisation de la situation .

Ainsi, en incluant l'ensemble de ces procédures dans la masse des affaires faisant l'objet d'une orientation et d'une réponse pénale, on ramène le taux des affaires " auteur connu " classées sans suite en-dessous du seuil de 50 %.

L'expérience menée à Evreux du 7 octobre au 31 décembre 1997 a été particulièrement révélatrice. Au cours de cette période, le Parquet d'Evreux a traité 6.338 procédures et pris 991 décisions de poursuite.

Le rapport, simpliste, décisions de poursuite (991) sur affaires reçues par le Parquet (6.338) donne un taux de poursuite de 15,5 %, soit un taux de classement de 84,5 %. Il convient de signaler que, sur ces 6.338 procédures, 602 concernaient des affaires qui ne constituaient pas d'infraction. 43 procédures ont été affectées d'un motif juridique qui s'oppose à l'exercice de poursuites (solde : 5.693). Sur ces 5.693 infractions, 3.800 ont été classées pour défaut d'élucidation (solde : 1.893). 1.893 plaintes, procès-verbaux et dénonciations correspondaient donc à des infractions " poursuivables ".

602 classements ont été décidés pour inopportunité des poursuites, ce qui correspond à un taux de 32 %. On est donc loin des 80 %.

Sur les 1.291 infractions poursuivables restantes, 300 procédures ont fait l'objet d'une réponse alternative aux poursuites.

Le taux de réponse judiciaire sur les infractions poursuivables s'établit donc dans ce cas à 68 %, qu'il s'agisse d'une réponse alternative aux poursuites ou d'une poursuite.

Selon le directeur des affaires criminelles et des grâces, le taux de " classement sec " s'élèverait à 25 %.

Ce constat incite donc à relativiser les chiffres bruts de classement sans suite souvent utilisés pour critiquer l'action de la justice.

Pour autant, un tel taux ne peut être accepté sans justifications. Votre rapporteur s'est donc efforcé d'obtenir des magistrats des informations complémentaires. Or, il s'est heurté parfois et curieusement à des réticences de leur part.

Les alternatives à la poursuite

Les magistrats du Parquet disposent d'un pouvoir propre de prononcer des mesures qui s'apparentent par leur nature à des sanctions. En effet, même si les sanctions sont réservées exclusivement aux juges, les magistrats peuvent passer une sorte de contrat avec le délinquant : l'auteur de l'infraction accepte d'accomplir une obligation. En contrepartie, le Parquet s'engage auprès de l'intéressé à ne pas le renvoyer devant la juridiction pénale. Par ailleurs, l'article 6 du code de procédure pénale dispose que l'action publique " peut, en outre, s'éteindre par transaction lorsque la loi en dispose expressément ; il en est de même, en cas de retrait de plainte, lorsque celle-ci est une condition nécessaire à la poursuite ".

Il existe donc une alternative à la poursuite juridictionnelle, qui est utilisée pour les infractions de gravité limitée, quand il apparaît disproportionné de saisir le tribunal et alors que les capacités d'absorption de ce dernier sont limitées.

Si le délinquant exécute l'obligation mise à sa charge, le Parquet classera l'affaire. Toutefois, le classement a, en ce cas, une nature totalement différente des classements évoqués précédemment. En effet, il constitue une procédure pour parvenir à ce que le délinquant exécute une mesure équivalant à une sanction .

A cet égard, votre rapporteur reprend à son compte la position des procureurs de la République, qui estiment le terme de " classement conditionnel " utilisé pour désigner les sanctions ordonnées par le Parquet particulièrement inapproprié. Ce terme insiste sur l'aspect classement alors que l'originalité de la procédure réside dans l'obligation imposée au prévenu. Il serait donc plus exact de parler de " sanction-classement ".

Les sanctions-classements du Parquet peuvent revêtir différentes formes. Certaines de ces sanctions sont utilisées depuis longtemps par les magistrats du Parquet. La plupart sont cependant d'apparition récente.

Les sanctions-classements traditionnelles

C'est le cas de l'injonction adressée par le Parquet au délinquant de verser la somme d'argent dont le non-paiement constitue l'infraction, par exemple lorsque le parent ne règle pas à l'autre la pension alimentaire qu'il lui doit. Plutôt que de renvoyer le délinquant devant le tribunal, il paraît plus utile de l'amener à verser à la victime la somme dont il est redevable. Si l'auteur de l'infraction désintéresse effectivement sa victime, la saisine du tribunal perd l'essentiel de sa signification.

De même, en cas d'infraction à une réglementation administrative, par exemple le délit de construction sans permis, le Parquet, au lieu de déférer l'auteur de l'infraction devant le tribunal correctionnel, va lui prescrire d'obtenir un permis de construire de régularisation ou de mettre la construction en conformité.

Les sanctions-classements nouvelles


• Les médiations pénales


La médiation pénale prévue aux articles 41 et D. 15-1 à D. 15-8 du code de procédure pénale consiste en un accord négocié entre l'auteur de l'infraction et la victime, sous l'égide d'un médiateur désigné par le Parquet, en vue de parvenir à un arrangement au regard de l'infraction commise. Cet arrangement comprend le dédommagement financier du délit commis, mais il vise surtout à faire prendre conscience de son acte au délinquant.


• Les rappels à la loi


Pour les infractions de faible gravité, il est adressé au délinquant un " rappel à la loi ", c'est-à-dire que son attention est attirée solennellement sur la règle de droit enfreinte, qu'il reçoit une admonestation et qu'il est mis en demeure de ne pas recommencer.

Le rappel à la loi est notifié par une personne déléguée par le Parquet, qui tient une permanence hebdomadaire dans les locaux du tribunal, de façon à donner à cette mesure un caractère symbolique.

Les rappels à la loi (de même que les médiations pénales) interviennent dans le cadre du traitement en temps réel des infractions : le délinquant, lorsqu'il est interrogé sur l'infraction, se voit remettre aussitôt par l'enquêteur une convocation pour se présenter à bref délai devant le délégué du Parquet qui tient sa permanence dans les locaux du tribunal ou dans ceux de la maison de justice quand elle existe.

Pour les mineurs, les parents sont convoqués en même temps que leur enfant, de façon à responsabiliser les parents.


• Les stages


Cette mesure a été particulièrement développée par le Parquet de Colmar. Elle vise à procurer une formation et une sensibilisation aux risques induits par certains comportements sociaux ou professionnels afin de prévenir la réitération de l'infraction concernée. Selon certains procureurs de la République, ces stages ont un effet de prévention de la délinquance au moins aussi fort que le prononcé par le tribunal d'une peine d'amende ou d'une peine de prison avec sursis.

Ainsi, pour les petits délits de conduite en état alcoolique, le Parquet impartit à l'auteur de l'infraction de suivre un stage payant spécifique de deux jours, pour le sensibiliser aux conséquences de l'alcoolémie au volant, avec ensuite un suivi médical.

Pour les petits accidents de la circulation, il est enjoint au contrevenant de suivre le stage de récupération de points au lieu de comparaître devant le tribunal de police.

Outre leur aspect éducatif, ces stages comportent un aspect coercitif dans la mesure où, non seulement ils sont payants, mais l'auteur de l'infraction subit une perte de salaire durant les jours où il suit le stage.


• Mesures particulières pour le délit d'usage de stupéfiants


Pour les usagers de drogue dure, qui relèvent de la procédure de l'injonction thérapeutique, le dispositif a été renforcé depuis l'été 1997 de façon importante à Colmar.

Un correspondant unique de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales assure désormais le suivi des toxicomanes. Le premier contact de cet intervenant avec le toxicomane se déroule au tribunal, pour bien affirmer symboliquement la dimension judiciaire de l'injonction thérapeutique qui comporte, outre l'aspect médical, un volet psychologique et un volet social.


• Tâche d'intérêt public


Il est enjoint au délinquant d'effectuer une tâche bénévole au profit d'une collectivité publique ou d'une association poursuivant un but d'intérêt général, la durée de cette tâche variant entre quelques heures et un maximum de deux jours.

Cette mesure peut évoquer la peine de travail d'intérêt général. Elle en diffère cependant par son régime juridique et au regard de la brièveté de sa durée.

Le classement sans suite ainsi replacé dans le contexte de la décision d'un magistrat du Parquet ne constitue pas un simple archivage judiciaire mais permet de développer des alternatives aux poursuites pour traiter le " noyau dur " des infractions pénales, la délinquance traditionnelle, en particulier quand une victime est impliquée.

2. Un phénomène que certains magistrats ne reconnaissent parfois qu'avec réticence

Votre rapporteur avait dressé un questionnaire pour pouvoir déterminer dans quelle mesure les classements secs étaient liés à une insuffisance des moyens. Or, les réponses ont été peu explicites, même si la plupart des procureurs ont admis que le manque de personnel interdisait la poursuite de certaines affaires.

Ainsi, selon le procureur général près la Cour d'appel de Toulouse, M. Jean Volff , même s'il n'est pas possible d'évaluer de manière fiable le pourcentage des procès-verbaux classés par manque de moyens, il peut être estimé à 15 %. Par ailleurs, afin de pouvoir exercer pleinement les poursuites et assurer la charge supplémentaire résultant du traitement pénal de toutes les affaires élucidées, le Parquet de Toulouse aurait besoin de deux substituts supplémentaires et de cinq fonctionnaires de plus. Corrélativement, il lui faudrait pouvoir disposer de dix audiences supplémentaires par mois, ce qui lui permettrait de faire juger environ 1.400 affaires de plus par an.

Votre rapporteur ne peut que déplorer le manque de moyens à Toulouse et constate que cette pénurie en ressources humaines et matérielles est loin d'être une exception.

Ainsi, le procureur général près la Cour d'appel de Colmar, M. Olivier Dropet , reconnaît qu'environ 20 % des procédures classées sans suite et visant des personnes dénommées le sont par manque de moyens , c'est-à-dire que :

- d'une part, l'insuffisance des effectifs du Parquet ne permet pas de recourir plus souvent à la troisième voie : le choix des affaires est délicat, la mise en oeuvre de la mesure doit être surveillée... et cette procédure "prend du temps" ;

- d'autre part, l'insuffisance des effectifs des magistrats du siège affectés au service pénal contraint le Parquet à ne pas saisir le tribunal des faits qui mériteraient des poursuites. En effet, il peut apparaître vain de diligenter des poursuites pour des procédures que la juridiction n'aura pas les moyens humains ou matériels de traiter de façon efficace et dans un délai raisonnable.

D'autres procureurs ont tenu à démentir le fait que la surcharge de travail, qu'elle soit supportée par les magistrats du Parquet ou par ceux des juridictions de jugement, pourrait être considérée comme cause unique ou habituelle de classement.

Comme le constate le procureur général près la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, M Gabriel Bestard :

" Sauf dans des situations exceptionnelles ou ponctuelles (retards considérables dans l'audiencement d'affaires qui se trouvent à la limite de la prescription, promulgation d'une loi d'amnistie qui rendra vaines certaines poursuites envisagées...), les procureurs ne donnent pas, en effet, d'instructions explicites de classer lors d'opérations qui pourraient être qualifiées de "dégraissage".

En revanche, les chefs de Parquet se doivent de fixer des priorités (déterminées par types d'infractions, selon les besoins d'un moment ou d'un lieu, ou visant certains délinquants...) et il peut s'ensuivre, les moyens des juridictions n'étant pas extensibles, que le " reste " soit moins poursuivi...

Il apparaît dès lors très difficile de faire la part dans les classements dits d'opportunité, entre ce qui relève de l'utilisation préférentielle de la " troisième voie " ou simplement de l'opportunité, et ce qui résulte d'une insuffisance de moyens. "


Pourtant, il reconnaît par ailleurs qu' " il doit cependant être admis que des infractions qui pourraient donner lieu à poursuites n'en font pas l'objet, notamment parce que les Parquets savent que les tribunaux correctionnels ne sont pas en mesure de traiter plus d'affaires que celles dont ils sont déjà saisis."

Un tel discours révèle bien le malaise des Parquets qui reconnaissent difficilement classer certaines affaires qui pourraient être poursuivies, tout en admettant qu'en l'absence de moyens suffisants, ils sont obligés d'établir des priorités dans les poursuites...

D. UN PHÉNOMÈNE COMPLEXE DONT LA RESPONSABILITÉ N'INCOMBE PAS AU SEUL PARQUET

Votre rapporteur a pu constater que les taux de classement ne sont pas uniformes et varient non seulement selon la nature de l'affaire, mais également selon les tribunaux.

1. Une pratique très variable selon la nature des affaires

La montée en puissance des classements sans suite s'explique principalement par la forte progression du nombre d'infractions dont les auteurs n'ont pas été identifiés . Certes, dans les cas les plus graves, le procureur de la République peut soit demander aux services de police ou de gendarmerie de poursuivre leurs investigations dans le cadre d'une enquête préliminaire, soit d'ouvrir une information judiciaire. Toutefois, faute d'éléments exploitables par les enquêteurs, la grande majorité de ces procédures sont généralement classées sans suite. Votre rapporteur tient à rappeler que la moyenne du taux d'élucidation des affaires pénales se situait, en 1996, à 30 % et se caractérisait par une grande disparité selon la nature des affaires.

Ainsi, le taux d'élucidation moyen national pour l'ensemble des vols et recels dépassait à peine 14 % en 1996 et 10 % pour les cambriolages : en effet, dans ces cas là, le travail d'investigation est très difficile. En revanche, dans les domaines où l'enquête est plus aisée, les taux d'élucidation progressent. Il est ainsi de 76 % pour les infractions d'atteintes aux personnes.

Or, les procédures " auteur inconnu ", largement minoritaires en 1987 (37 % de l'ensemble des procédures transmises au Parquet) représentent près de la moitié du total des procédures à partir de 1991 et continuent de croître les années suivantes pour atteindre en 1996 leur niveau le plus élevé avec 61 %.
En 10 ans, la part des procédures " auteur inconnu " sur l'ensemble des procédures a quasiment doublé.

L'identification de l'auteur de l'infraction apparaît donc comme une condition nécessaire pour éviter le classement de l'affaire sans suite. Comme cette identification varie fortement selon la nature des affaires, les taux de classement sont très disparates.

Ainsi, l'ensemble des affaires intéressant la vie collective (ordre public, transports en commun, circulation...) sont les plus poursuivies, car le Parquet dispose alors de tous les éléments constitutifs, à savoir un auteur et une infraction dûment constatée par un service habilité. La recherche précitée sur l'abandon des poursuites chiffre le taux de classement des infractions dans les transports en commun à 19 % seulement.

En revanche, pour ce qui est de l'ensemble de la délinquance dite de " voie publique ", conglomérat d'infractions diverses qui représentent plus de 56 % de la délinquance totale, le taux de classement est beaucoup plus élevé. Il atteint même 95 % pour les affaires de vols aggravés
. Il faut à cet égard rappeler que le taux d'élucidation moyen national par les services de police et de gendarmerie pour l'ensemble des vols et des recels dépassait à peine pour 1996 14 %, 13 % pour l'ensemble des destructions et des dégradations de biens et 10 % pour les cambriolages 3( * ) ... Or, lorsque le Parquet reçoit une plainte contre X qui n'a pu être élucidée par les services de police ou de gendarmerie, il se voit contraint de classer l'affaire.

Pour autant, le niveau élevé de ces taux n'est pas acceptable. En effet, le développement du sentiment d'insécurité est étroitement lié à la progression de la délinquance dite " de voie publique " et à l'incapacité de la justice à donner une réponse judiciaire appropriée à ce type d'infraction. Face à ce défi, votre rapporteur s'inquiète de la résignation qui ressort des discours de rentrée judiciaire de certains procureurs qui donnent l'impression que le classement de certaines infractions et, en conséquence, l'impunité dont jouissent leurs auteurs ne peuvent recevoir de réponse judiciaire appropriée.

Votre rapporteur s'interroge sur cette tendance qui traduit le découragement de certains magistrats, mais évite également toute mise en cause de l'insuffisance des moyens octroyés aux différents services de l'Etat associés à la politique de lutte contre la délinquance ainsi que toute réflexion sur les méthodes de travail. En outre, le fait que pour un même type d'affaire, les taux de classement varient d'un tribunal à l'autre confirme votre rapporteur dans son idée qu'une politique volontariste permet de diminuer de manière significative les taux de classement sec.

La politique pénale des Parquets du ressort de la Cour d'appel de Lyon 4( * )

I - Sur les vols à l'étalage

Les Parquets sont en principe systématiquement avisés des vols à l'étalage par les services de police et de gendarmerie compétents ou par le biais de lettres plaintes émanant des magasins victimes.

Une homogénéité certaine est à relever dans les politiques pénales suivies par les sept Parquets du ressort de la Cour d'appel de Lyon :

- jusqu'à un préjudice d'environ 500 francs (300 francs pour le Parquet de Saint-Etienne, 200 francs pour le Parquet de Montbrison) et si l'auteur des faits n'est pas connu, le procès-verbal ou la lettre plainte est en principe classé sans suite. Un avertissement est toutefois, dans la plupart des cas, adressé à l'intéressé ;

- à partir du seuil de 500 francs, des poursuites sont engagées par le biais de convocation par officier de police judiciaire, citation directe, comparution immédiate, et le cas échéant, ouverture d'information si la complexité des faits le justifie.

Dans des vols de faibles montants, le Parquet de Lyon peut également orienter la procédure devant l'une des cinq maisons de justice du ressort pour une médiation-réparation et un rappel à la loi.

L'attention des Parquets du ressort a été attirée sur deux points :

1. La nécessité de tenir et d'actualiser précisément les précédents concernant ces affaires de vols à l'étalage. En cas de récidive ou de réitération de faits précédemment classés, des poursuites doivent être diligentées et éventuellement d'anciennes procédures ressorties.

2. Plusieurs affaires de vols d'alcool et de spiritueux, par pluralité d'auteurs (souvent des ressortissants d'Europe de l'Est) ont été constatées dans es grands magasins du ressort de la Cour. Des poursuites doivent être engagées à l'encontre des auteurs de ces faits, qui révèlent un trafic organisé.

II - Sur l'usage et la détention de stupéfiants

A l'exception de Lyon, les Parquets du ressort sont essentiellement concernés par des faits d'usage et de détention de cannabis ou de produits dérivés. Dans tous les cas, des procédures sont systématiquement effectuées et transmises au ministère public qui s'efforce de diversifier les réponses.

En dehors du trafic organisé, deux types de situation peuvent être distinguées :

1. Le simple usager

En principe, les Parquets du ressort n'engagent pas de poursuites lors de la première interpellation. L'intéressé est éventuellement convoqué dans les locaux de la Maison de justice et du droit pour un rappel à la loi.

Si l'usager relève de soins médicaux (ou s'il s'agit d'une consommation entraînant une forte dépendance : héroïne, LSD), une injonction thérapeutique lui est notifiée par un magistrat du Parquet après convocation par un officier de police judiciaire.

En cas d'usage répété, les précédents sont ressortis et les Parquets apprécient au cas par cas l'opportunité des poursuites.

2. L'usage et la détention de stupéfiants

Les critères retenus par les sept Parquets du ressort convergent pour distinguer la détention liée à la consommation personnelle et celle démontrant la revente :

jusqu'à 20 grammes de haschich ou résine de cannabis et 3 doses d'héroïne, la personne interpellée est considérée comme détenant des produits stupéfiants pour sa consommation personnelle ;

au-delà de ces seuils, des poursuites pour infraction à la législation sur les stupéfiants sont systématiquement engagées, les quantités saisies révélant un usage ou une détention en vue d'une revente.

En tout état de cause, en cas de consommation habituelle, l'attention des Parquets a été attirée sur la nécessité de vérifier les activités et les ressources de ces usagers.

En effet, dans le ressort de la Cour, les prix des produits stupéfiants sont les suivants :

- 1 gramme d'héroïne = 1.000 à 1.500 francs

- 1 gramme de cocaïne = 1.000 francs

- 1 comprimé d'ectasy = 100 à 200 francs.

L'approvisionnement en stupéfiant conduit très souvent l'usager à commettre d'autres infractions permettant le financement de sa consommation personnelle (vols, cambriolages, vols avec violence ou avec arme).

III - Sur les homicides ou blessures involontaires lors d'accidents de la circulation routière

Des poursuites sont systématiquement diligentées en cas :

- de blessures involontaires ou homicides involontaires sous l'emprise de l'alcool (une information est souvent ouverte et un mandat de dépôt fréquemment requis en cas de blessures graves ou a fortiori d'homicide involontaire) ;

- homicides involontaires ;

- pour les blessures involontaires inférieures à 3 mois, les Parquets apprécient au cas par cas, en fonction de la gravité de la faute.

Les procédures peuvent faire l'objet d'un classement, sauf relèvement d'infractions routières graves à l'encontre du contrevenant (non respect d'un stop, omission de s'arrêter à un feu rouge, franchissement d'une ligne continue...).

Les critères de politiques pénales précédemment évoqués ont été définis par les sept Parquets du ressort en raison de l'augmentation des procédures dressées et afin d'opérer des priorités dans les poursuites en vue d'éviter le blocage des juridictions de jugement.

2. Une pratique très variable selon les tribunaux

Le taux de classement sans suite varie également d'un tribunal à l'autre . Ainsi, dans le ressort de la Cour d'Appel de Toulouse, les six Parquets présentaient, en 1995, des taux de classement allant de 51 % à Saint-Gaudens à 93 % à Toulouse, en passant par 52 % à Castres, 62 % à Foix, 72 % à Albi et 73 % à Montauban.

Les données statistiques de la Cour d'appel de Lyon relèvent aussi de très fortes disparités. Ainsi, le taux de classement des plaintes et procès-verbaux reçus varient en 1996 de 60 % au Tribunal de grande instance de Belley à 88 % au Tribunal de grande instance de Lyon, en passant par 63 % à Montbrison, 72 % à Roanne, 73 % à Villefranche-sur-Saône, 75 % à Bourg-en-Bresse et 82 % à Saint-Etienne.

Une corrélation (imparfaite toutefois) s'établit entre la taille des Tribunaux de grande instance et la capacité à poursuivre : plus un tribunal est petit, plus il est en mesure de poursuivre.

Cette situation s'explique essentiellement par deux raisons :

- la première vient du taux beaucoup plus élevé d'élucidations dans les zones rurales que dans les zones urbaines.

En effet, la délinquance de voie publique est plus développée dans ces dernières et se traduit par la multiplication des plaintes contre X. Or, celles-ci sont systématiquement classées, faute d'auteur à poursuivre (elles représentent 51,8 % du total des plaintes).

Ainsi, sur le ressort de la Cour d'appel de Toulouse , les plaintes contre auteur connu se sont élevées à 44.678 sur un total de 92.653 en 1995, soit 48,2 %. Mais pour le seul Tribunal de grande instance de Toulouse, ces chiffres étaient respectivement de 28.764 et de 72.051, soit 39,9 % seulement.

- la seconde vient de ce que proportionnellement, les petits tribunaux ont plus de moyens pour faire face à un nombre d'affaires plus réduit ;

Ainsi, le Parquet de Toulouse, en raison de la capacité limitée d'évacuation des affaires par le tribunal correctionnel, réduit volontairement le nombre de poursuites qu'il pourrait exercer. En outre, il doit prendre en compte l'augmentation des stocks à l'audiencement, ce qui l'oblige parfois à classer sans suite des procédures pour lesquelles il avait initialement pris une décision de poursuite.

L'insuffisante capacité de jugement :
causes et conséquence

I. Les causes 5( * )

- En amont, la pénalisation de la législation est excessive. Presque tous les textes sont assortis d'un volet pénal, sans que la nécessité d'un tel volet ait été évaluée au préalable pour la bonne application de la loi. La multiplication des causes d'infraction n'est pas compensée par une augmentation à due concurrence des moyens des Parquets.

- L' inflation des affaires civiles tend à absorber de plus en plus d'audiences et de magistrats au détriment des affaires pénales. Cet "effet d'éviction" concerne toutefois exclusivement les tribunaux correctionnels.

L'augmentation du nombre d'affaires civiles tient à l'absence de filtrage de ces affaires, mais également, selon certains magistrats, à la forte pression des barreaux qui ont un intérêt financier à voir croître le nombre d'audiences des affaires civiles. En outre, au sein du corps de la magistrature, l'activité pénale est jugée moins prestigieuse que l'activité civile. En conséquence, beaucoup de magistrats sont guère enclins à choisir ce domaine et ne souhaitent pas se spécialiser dans l'activité pénale.

Or, l'instabilité dans la composition de certains tribunaux correctionnels conduit à une instabilité de la politique pénale au niveau des condamnations et ne permet pas de forger une jurisprudence pénale digne de ce nom.

- Par ailleurs, il revient au président du Tribunal de grande instance , après consultation de l'Assemblée générale, de fixer le nombre d'audiences correctionnelles . En conséquence, si ce dernier porte peu d'intérêt à l'activité pénale, le nombre d'audiences sera limité et ne permettra pas de juger toutes les affaires transmises par le Parquet. Ainsi, le président du Tribunal de grande instance de Lyon n'a pas hésité à affirmer à votre rapporteur qu'il n'était pas toujours en parfait accord avec la politique pénale en vigueur dans cette juridiction. Or, ces divergences tendent à se répercuter dans l'organisation des audiences.

Votre rapporteur estime que les moyens financiers du ministère de la justice devraient être concentrés sur l'activité pénale. En effet, la volonté affichée par les différents gouvernements de recentrer la justice sur ses missions régaliennes implique le rééquilibrage de ses actions sur le traitement de la délinquance.

- Il y a par ailleurs insuffisance globale du nombre d'audiences . Le procureur général près la Cour d'appel de Toulouse, M. Jean Volff , qualifie le phénomène de "catastrophe" pour le Tribunal de grande instance de Toulouse. Il considère à cet égard que l'instauration du juge unique n'a apporté aucun remède.

A Toulouse, par exemple, il existe trois chambres correctionnelles, quatre vice-présidents et pas d'assesseur. Parfois, les audiences sont renvoyées faute de président, ou doivent se tenir avec le renfort d'un avocat, ou encore durent interminablement sans parvenir à tout traiter.

Augmenter les "capacités" de jugement des tribunaux correctionnels

La capacité annuelle de jugement correctionnel des quatre Tribunaux de grande instance du ressort de la Cour d'appel de Colmar est la suivante :

- Strasbourg : 5.200 affaires,

- Mulhouse : 3.500 affaires,

- Colmar : 2.200 affaires,

- Saverne : 1.400 affaires.

Sans moyens supplémentaires, la capacité d'absorption des tribunaux correctionnels de ces quatre juridictions ne peut s'accroître, ce qui conduit nécessairement les Parquets à gérer des flux et des stocks et à faire usage des formes de classement inadmissible que sont le classement "gestion" et le classement "lassitude".

Selon les procureurs de ces quatre tribunaux, seuls des moyens supplémentaires permettraient d'absorber les classements sans suite "non justifiés".

Cette insuffisance globale de la capacité de jugement est toutefois contrastée en fonction de la taille des Parquets .

Les petits Parquets ont la possibilité de traiter le maximum d'affaires, alors que les gros doivent tenir compte de la capacité de jugement du Siège.

Les petits Parquets disposent d'une ou deux chambres (six à sept juges) et de deux ou trois magistrats (procureur et substituts). C'est le cas des tribunaux de grande instance de Foix, Saint-Gaudens et Albi.

Ils traitent toutes les affaires, y compris contre X, ou demandent des compléments d'enquête, et peuvent donc procéder à toutes les poursuites qu'ils jugent opportunes.

Ils se heurtent cependant à deux types de difficultés :

- le traitement des comparutions immédiates, à cause du petit nombre de magistrats du siège ;

- les contentieux de haute technicité, qui remontent nécessairement à la Cour d'appel.

Les gros Parquets tels que Toulouse ou Montauban cumulent au maximum les handicaps décrits ci-dessus et ne peuvent faire face qu'à une petite partie des poursuites qu'ils jugeraient nécessaires.

D'une manière générale, les Tribunaux de grande instance à une ou deux chambres rendent une justice, notamment pénale, mieux adaptée aux réalités de la délinquance. Ces constatations devraient conduire à relativiser les critiques récurrentes tendant, à l'occasion de la révision de la carte judiciaire, à la suppression de ces petites juridictions. 6( * )

II. La conséquence : le développement d'accords officieux sur certains types de contentieux donnant lieu à de nombreux délits

Des traitements pragmatiques, résultant d'accords officieux sont mis en oeuvre pour certains délits fréquents :



Pour les vols dans les grands magasins , les Parquets s'accordent avec les directions des magasins pour limiter les engagements de poursuite. Ainsi, avec des nuances selon les Parquets :

- les vols modestes ne font l'objet que de simples lettres aux procureurs de la République, qui les classent sans suite (sauf s'il s'agit de mineurs) ;

- en cas de récidive ou de comportement non coopératif du délinquant, il y a recours aux forces de l'ordre et établissement d'un procès-verbal sommaire signé par l'intéressé.

Ce seuil varie d'ailleurs d'une juridiction à l'autre. Ainsi, pour le vol dans les grands magasins, le Parquet net poursuit pas si le préjudice est inférieur à 1.000 francs à Strasbourg, 500 à Mulhouse, mais seulement 200 francs à Saverne.


Pour l'usage de stupéfiants , les simples usagers ne sont jamais poursuivis. Une procédure "simplifiée" est néanmoins ouverte pour tenter de remonter la filière.


Pour les accidents de la circulation , il y a ouverture d'une procédure simplifiée et classement par un fonctionnaire du Parquet s'il n'y a ni plainte, ni accident corporel grave. L'affaire n'est ressortie qu'en cas de réclamation.

Augmenter, redéployer et étoffer la capacité d'instruction
de certains Tribunaux de grande instance

La capacité pour les Parquets, dans les affaires lourdes et complexes (trafic de stupéfiants, affaires économico-financières), d'ouvrir une information est souvent limitée. Ainsi, au Tribunal de grande instance de Toulouse, les sept cabinets d'instruction ont chacun environ 120 dossiers en stock. En outre, un seul juge d'instruction sur les sept est spécialisé en matière financière : il ne peut donc faire face à l'afflux des dossiers.

Faute de moyens suffisants, le Parquet de Toulouse se trouve dans l'obligation de classer en dépit des conséquences dramatiques de ces classements sur la prévention de la délinquance et sur le développement du sentiment d'impunité chez certains délinquants.

Cet état de fait contribue à accentuer le sentiment d'injustice de l'opinion publique et ne fait qu'accentuer sa suspicion sur la protection dont bénéficieraient certains réseaux du monde financier et politico-économique...

Par ailleurs, les déclarations gouvernementales stigmatisant la lutte contre la corruption et le trafic de drogues apparaissent peu crédibles lorsque le Parquet n'a pas les moyens d'enquêter dans ces domaines.

Or, de telles disparités dans les taux de classement remettent en cause l'égalité des citoyens devant la loi puisqu'une affaire similaire aura plus de chance d'être classée dans une grosse juridiction que dans une plus petite . Un tel dysfonctionnement n'est pas acceptable. En revanche, il renforce le sentiment que le classement sans suite est, au moins en partie, lié à un manque de moyens dans les juridictions.

Toutefois, au-delà de la taille des tribunaux, les disparités dans les taux de classement sans suite sont également liées au mode de traitement des infractions par le Parquet.

Selon les informations données par le directeur des affaires criminelles et des grâces, M. Marc Moinard , alors que le taux de " classement sec " atteindrait 25 à 27 % dans les Parquets qui ont recours à la troisième voie, il serait de 40% dans les autres Parquets .

II. UN TAUX DE CLASSEMENT DES INFRACTIONS ÉLEVÉ ET QUI INTERVIENT A TOUS LES MAILLONS DE LA CHAÎNE PÉNALE

En théorie, c'est le Parquet qui est responsable de la décision de classement ou de poursuite des affaires. En réalité, ce dernier ne représente qu'un maillon dans la chaîne judiciaire. Ainsi, beaucoup d'affaires sont "classées" avant même d'avoir été examinées par le Parquet . En outre, dans certains cas, bien que le Parquet ait décidé de poursuivre, l'affaire sera en fait classée à cause du grippage de la procédure en aval.

A. LE CLASSEMENT DES AFFAIRES EN AMONT

L'article 40 du code de procédure pénale dispose que " le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner. Il avise le plaignant du classement de l'affaire ainsi que la victime lorsque celle-ci est identifiée. " Cela signifie donc que toutes les plaintes et procès-verbaux doivent lui être adressées (" je constate, je transmets ") et qu'il est chargé de les lire afin de trier celles qui seront classées et celles auxquelles une suite sera donnée.

La pratique est tout autre. D'une part, les Parquets ne sont pas saisis de toutes les infractions qui sont commises. D'autre part, une grande partie des plaintes et procès-verbaux n'atteignent pas les Parquets et sont directement triés en amont par des fonctionnaires.

1. La non-transmission des plaintes

Le découragement des plaintes

L'ambiance de défiance vis-à-vis de la capacité de la Justice à obtenir réparation pousse de nombreux citoyens victimes de petits délits à renoncer à porter plainte. Le sentiment confus que le délinquant ne sera pas retrouvé ou restera impuni et que l'infraction ne sera pas réparée est alors à l'oeuvre. Dans ce cas, il n'y a déclaration aux services compétents que si cette formalité est nécessaire pour déclencher une indemnisation par l'assurance.

Le refus de porter plainte peut également résulter de la peur des représailles . Ainsi, votre rapporteur a appris, lors de sa visite du groupement de gendarmerie départementale du Val d'Oise, que la mère d'une collégienne victime d'un viol avait refusé que sa fille soit entendue de peur de représailles de la part des auteurs en liberté.

A un second stade, les citoyens peuvent être découragés de porter plainte par les obstacles matériels auxquels ils se heurtent : l'officier de police judiciaire de permanence n'est pas toujours disponible (c'est parfois le cas la nuit), ou bien il renvoie la victime vers un autre commissariat. A ce stade, la demande faite au commissariat peut ne faire l'objet d'aucune mention, ou n'être inscrite que sur un registre dénommé "main courante".

On ne sait pas estimer le volume d'affaires en cause même si une étude du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales sur les classements policiers dans un commissariat parisien, parue en 1993, évaluait les affaires non transmises au Parquet à 20 %. Leur existence est révélée par les réclamations de plus en plus nombreuses que les justiciables envoient aux procureurs pour se plaindre de la manière dont ils ont été reçus par la police ou la gendarmerie.

Le chiffre noir de la délinquance :
l'opacité entre mythes et réalité

Chaque publication de statistiques sur la délinquance 7( * ) relance le débat sur " le chiffre noir de la délinquance ", les chiffres officiels étant accusés de sous-estimer l'ampleur de ce phénomène. En outre, les distorsions constatées entre les statistiques sur ce sujet du ministère de l'Intérieur d'une part et du ministère de la Justice, d'autre part, ne font que conforter le sentiment d'une vérité tronquée sur la délinquance. Pour mettre un terme à ces controverses, il convient donc d'affirmer l'impossibilité matérielle d'établir des statistiques exhaustives sur la délinquance et de reconnaître que les chiffres avancés ne constituent que des tendances qui peuvent parfois travestir volontairement ou non la réalité.

I. Les obstacles à l'établissement de statistiques exhaustives sur la délinquance

1. La réticence des victimes à déposer plainte


Certaines victimes peuvent renoncer à déposer plainte. Les raisons sont très variées :


peur des représailles


perte de confiance dans la police et dans la justice


méconnaissance des textes légaux

2. Le découragement des plaintes

Les citoyens peuvent être découragés de porter plainte dans les commissariats ou les gendarmeries, soit pour des raisons matérielles (la victime est renvoyée dans un autre commissariat ou l'officier judiciaire de permanence n'est pas disponible), soit parce qu'on leur fait comprendre que leur plainte n'aura aucune chance d'aboutir.

Combien sont celles, parmi les victimes, qui ne vont même pas porter plainte parce qu'elles ont à l'esprit un précédent personnel fâcheux : "cela ne sert à rien" ; "On perd son temps" ou parce que "s'il n'y a pas d'assurance, ce n'est pas la peine d'aller à la police" qui ne sert, parfois, qu'à délivrer une attestation.

Le classement sans suite commencerait dans les services de police et de gendarmerie. Le premier tri résulte de certaines formes de dissuasion du style : "on a plusieurs dizaines de cas comme le vôtre depuis ce matin" ; "Vous connaissez la justice, porter plainte ne vous servirait à rien" ; "On vous a volé votre voiture ici, porter plainte au commissariat de police ou à la gendarmerie de votre domicile" ; ou encore "A quoi bon porter plainte, la justice ne poursuit pas ou ne condamne pas".

Si une plainte n'est pas reçue, la démarche de la victime peut se traduire cependant par une inscription sur le registre de main courante pour la police nationale ou sur le carnet de déclarations de gendarmerie.

Les procureurs de la République ne peuvent, à ce stade, faute de temps et de moyens, exercer aucun contrôle sur les mains courantes ou les carnets de déclaration. Par ailleurs, comme le soutiennent d'aucuns, il existerait des directives verbales données aux services de police pour "réguler" par la dissuasion les statistiques officielles du ministère de l'Intérieur. Seule la création de commission d'enquête permettrait de vérifier la véracité de ces allégations souvent enregistrées au cours de la mission de votre rapporteur.

Les commandants de brigade aussi bien que les commissaires sont très réticents à reconnaître ce phénomène. Ainsi, ils affirment ne pas être influencés par les décisions prises par le Parquet lors de la réception des plaintes.

La réalité doit être nuancée. La réforme des commissariats parisiens a considérablement amélioré l'accueil du public et, en conséquence, encouragé les victimes à porter plainte. En revanche, on peut difficilement imaginer que les décisions du Parquet n'influencent pas l'attitude des policiers et des gendarmes face à la délinquance. Ainsi, on peut comprendre que ces derniers soient moins enclins à recueillir des plaintes et à élucider des affaires lorsqu'ils savent que ces dernières seront systématiquement classées sans suite par le Parquet.

A cet égard, votre rapporteur souhaiterait que les magistrats du Parquet mesurent les conséquences dommageables d'un classement sans suite sur la crédibilité de la police ou de la gendarmerie lorsque l'auteur de l'infraction est connu. Lors de son entretien avec le commissaire du premier arrondissement, M. Bernard Laithier , votre rapporteur a été informé de nombreux cas où l'auteur de l'infraction vient ensuite narguer le policier qui l'a interpellé. En outre, un tel classement ne peut que révolter la victime.

II. Les disparités constatées entre les statistiques du ministère de l'Intérieur et celles de la Chancellerie

Les statistiques du ministère de l'Intérieur et celles de la Chancellerie diffèrent car elles n'ont pas le même objet : alors que les premières comptabilisent les faits, les deuxièmes recensent les affaires. Or, certaines affaires peuvent comporter plusieurs infractions et la qualification judiciaire des faits peut être différente de celle des services de police et de gendarmerie. C'est pourquoi les chiffres présentés par le ministère de l'Intérieur sont plus élevés. Votre rapporteur tient toutefois à faire remarquer que ces distorsions nuisent à la lisibilité des statistiques sur la délinquance.

En conclusion, il apparaît donc que les chiffres sur la délinquance doivent être maniés avec précaution. Ceux-ci ne reflètent qu'une partie de ce phénomène complexe et ne représentent qu'une image et une tendance.

Ces propos doivent cependant être relativisés dans la mesure où la réforme des commissariats parisiens a amélioré l'accueil du public.


Jusqu'à présent, à Paris, les compétences de chaque commissariat étaient limitées à un certain secteur géographique. Si une personne se faisait voler son porte-monnaie, elle devait se rendre dans le commissariat de l'arrondissement où l'infraction avait été commise, même si ce dernier n'était pas le plus proche. En outre, les permanences étaient assurées par rotation le week-end, les victimes étaient donc obligées de chercher le commissariat ouvert avant de pouvoir porter plainte.

Désormais, le critère territorial a été abandonné : les commissariats sont dans l'obligation de prendre toutes les plaintes, à charge pour eux de les transmettre au commissariat compétent. En outre, pour accompagner cette réforme, les commissariats ont été dotés en matériel informatique tandis que des gardiens de la paix ont été recrutés.

Cette réforme s'est avérée efficace puisque le nombre de plaintes a crû, surtout de la part de personnes n'habitant pas la capitale.

En ce qui concerne les " mains courantes ", votre rapporteur tient à préciser qu'il s'agit d'une pratique essentiellement parisienne. Ainsi, alors que pour le commissariat du premier arrondissement, le taux de mains courantes s'élève à 21 % du total des procès-verbaux pour le mois de mars 1998, il est insignifiant au commissariat central de Mulhouse. Selon le commissaire du premier arrondissement, M. Bernard Laithier , le nombre assez élevé des mains courantes s'explique de trois manières :


d'une part, certains actes dénoncés par les plaignants ne constituent pas de véritable infraction caractérisée (bousculade, troubles de voisinage...) ;


d'autre part, certains plaignants ne souhaitent pas porter plainte dans l'immédiat mais veulent toutefois déposer dans le cas où l'incident se reproduirait ;


enfin, dans certains cas et, notamment, lorsque l'auteur de l'infraction est un mineur récidiviste, les policiers conseillent aux plaignants de consigner leurs dépositions dans le registre des mains courantes. En effet, une plainte contre un mineur a toutes les chances d'être classée. En revanche, la même plainte accompagnée de plusieurs dépositions en main courante dénonçant le même type d'infractions aura un caractère suffisamment grave pour inciter le procureur à poursuivre.

Le choix de la main courante résulte dans ce cas là d'une analyse réaliste de l'attitude du Parquet face à certains types de délinquance . Votre rapporteur ne peut cependant que s'interroger sur la pertinence de cette attitude. L'explosion inquiétante de la délinquance des mineurs devrait inciter le Parquet à concentrer toute son attention sur le traitement de la primo-délinquance. Or, l'exemple ci-dessus révèle, au moins dans certains Parquets, une attitude pour le moins permissive. A cet égard, M. Marc Moinard , lors de son entretien avec votre rapporteur, reconnaissait tout en le condamnant que 50 % des affaires impliquant des mineurs continuaient d'être classés.

En tout état de cause, il conviendrait de veiller à ce que la main courante ne soit pas substituée à l'établissement de procès-verbaux dès lors que les éléments constitutifs d'une infraction sont réunis.

Main courante et carnet de déclaration

La "main courante"

La "main courante" est un registre tenu par les policiers, sur lequel ils consignent les faits qui leur sont rapportés. Son objet est purement informatif. Elle n'a pas valeur de procès-verbal. Les Parquets peuvent y avoir ont accès et elle peut leur servir d'élément de preuves.

Dans le cas de violences conjugales par exemple, un premier fait peut n'être consigné qu'en main courante. En cas de renouvellement des violences, la première consignation peut servir de témoignage et alimenter un dépôt de plainte. La main courante peut être tenue par un gardien de la paix. Selon un procureur général, les plaignants ont plus de difficulté à déposer plainte à la police qu'à la gendarmerie, du fait d'une moindre disponibilité des officiers de police judiciaire. Cette moindre disponibilité serait liée à l'organisation du travail dans la police, dont le régime de récupération exigerait des effectifs plus importants pour disposer de davantage d'officiers de police judiciaire la nuit.

Le "carnet de déclaration"

Le "carnet de déclaration" est le registre de constats tenu par les gendarmes. Il a valeur de procès-verbal car le plaignant doit le signer. Il peut servir au magistrat si une partie conteste le procès-verbal dactylographié, afin de déceler d'éventuelles incohérences entre le procès-verbal et le carnet.

2. Les constats d'infraction par les administrations

Une autre zone d'ombre en amont des plaintes est constituée par la méconnaissance par les Parquets de la politique de constat d'infractions mise en oeuvre par les administrations qui en ont le pouvoir et par la probable mauvaise application de l'article 40 alinéa 2 du code de procédure pénale qui fait obligation à tout organe public de déférer des faits délictueux au procureur de la République. Or, tous ces faits délictueux ne sont pas dénoncés par certaines autorités constituées d'officiers publics ou de fonctionnaires qui, dans l'exercice de leurs fonctions, ont connaissance d'un crime ou d'un délit.

Le classement sans suite peut résulter de la non-transmission par les autres services de l'Etat ayant qualité pour constater les infractions relevant de leur domaine de compétence ; les services des douanes, de la répression des fraudes, la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales, les Directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, la Direction départementale de l'équipement, de l'inspection du travail, etc...

Les motifs sont multiples : volonté délibérée de ne pas saisir le Parquet et donc de traiter l'affaire à son niveau ; lassitude ("aucune poursuite ne sera engagée") ; surcroît de travail engendré par la rédaction de procès-verbaux et leur transmission en bonne et due forme.

Plusieurs cas de figure peuvent ainsi se présenter, qui expliquent cette situation :

- les interventions hiérarchiques qui interdisent les transmissions, bien que l'autorité administrative n'en ait pas légalement le pouvoir ;

- les compromis acceptés par les services déconcentrés , sans contrôle du Parquet (exemple fréquent : les infractions aux règles du permis de construire relevées par les Directions départementales de l'équipement) ;

- les courts-circuits juridiques au jugement d'opportunité des poursuites. Ainsi, même si cette compétence appartient au Parquet, elle peut être remise en cause par l'intervention en amont d'une administration dans le cadre d'une compétence qui lui est dévolue de droit. Ainsi :


les douanes ont le pouvoir de transiger. A Toulouse, les douanes se sont accordées avec les Parquets sur un barème de transactions (en fonction de la valeur du litige) qui leur sert pour choisir de déférer ou non des faits délictueux,


les infractions fiscales passent d'abord devant la commission des infractions fiscales, ce qui fait d'elle le véritable juge de l'opportunité des poursuites.

Ces tris en amont de la saisine du Parquet sont illégaux et malsains pour le respect de l'Etat de droit. Aucun service, quelles qu'en soient les raisons, ne peut s'octroyer ce pouvoir que la loi ne confère qu'à la seule autorité judiciaire. Le principe ne peut-être que celui-ci : "je constate une infraction, je transmets au Parquet".

En outre, permettre aux fonctionnaires de choisir la suite à donner à la constatation d'une infraction sans réel contrôle hiérarchique et sans contrôle possible de l'autorité judiciaire augmente les risques d'abus du principe d'opportunité des poursuites, voire de corruption.

Les officiers du ministère public

Outre les procureurs et leurs substituts, d'autres agents de l'Etat contribuent à la poursuite des infractions : ce sont les officiers du ministère public (OMP) près les tribunaux de police.

I. Leur statut

Les fonctions d'officiers du ministère public près le tribunal de police sont exercées, aux termes de l'article 45 du code de procédure pénale, par le commissaire de police. L'article 46 du même code prévoit qu'en cas d'empêchement du commissaire de police, le procureur général désigne, pour une année entière, un ou plusieurs remplaçants qu'il choisit parmi les commissaires de police et les commandants de police dans le ressort du Tribunal de grande instance.

Les article 47 et 48 du code de procédure pénale confèrent un pouvoir de désignation au procureur général dans le cas où il n'y a pas de commissaire de police et dans le cas où il y en a plusieurs.

II. Leur nombre

- 332 en province

- 1 titulaire et 5 suppléants à Paris.

Il s'agit de postes budgétaires relevant des crédits du ministère de l'Intérieur. Le ministère de la Justice assume cependant les dépenses de fonctionnement liées à l'activité des officiers du ministère public.

III. Le nombre de contraventions traitées annuellement (chiffres 1997)

En province


Audiences : 4.597

Amendes forfaitaires majorées : 6.732.611

Ordonnances pénales : 363.092

Affaires citées à l'audience : 197.902

A Paris

7.500.000 procès verbaux relatifs à la circulation

4.094.000 amendes forfaitaires majorées, auxquelles s'ajoutent 73.099 relatives à la RATP et 39.147 relatives à la SNCF représentant plus d'un milliard de francs.

Audiences : 985 (1 ère à 4 ème classe)

Ordonnances pénales : 86.750

Affaires citées à l'audience : 48.987

Tous les magistrats auditionnés ont soulevé le problème de l'application de l'article 40 alinéa 2 du code de procédure pénale dû principalement à des interprétations "diverses" des dispositions de cet alinéa. A plusieurs reprises, votre rapporteur a tenté de faire clarifier les interprétations en interpellant les ministres successifs de la Justice 8( * ) . En vain.

Ces hésitations et fins de non recevoir sur une question aussi essentielle pour le traitement efficace de la délinquance illustrent bien les difficultés rencontrées par l'Etat pour coordonner ses services et introduire un minimum de cohérence dans la démarche des administrations chargées de constater les infractions.

Cependant, récemment le nouveau Préfet de Corse, M. Bernard Bonnet , a fait usage des dispositions prévues à l'article 40 du code de la procédure pénale en saisissant la justice de toutes les infractions portées à sa connaissance par les différents services de l'Etat. Cette initiative illustre bien que la rétention d'informations par les autorités administratives s'apparente à des classements sans suite de fait.

3. Le classement effectué par les fonctionnaires

Comme le constate l'étude déjà citée sur l'abandon des poursuites, la première contrainte du Parquet est constituée par la masse que représente l'ensemble des affaires soumises à la juridiction. Par souci de gestion, l'utilisation du principe d'opportunité a été déléguée pour une large part (75 à 80 % des affaires) à des exécutants et non plus à des magistrats : les trois quarts des affaires sont simplement triés par le bureau d'ordre. La décision de classement n'existe même plus comme mesure administrative du Parquet mais est remplacée par un simple archivage des masses de procès-verbaux et de lettres qui arrivent au Parquet.

Ainsi, dès l'entrée au bureau d'ordre, les procédures établies contre X sont mises à part, sauf quelques rares cas. L'orientation future du dossier est donc totalement laissée à l'initiative des services qui établissent les procès-verbaux : le fait de transmettre une procédure contre X au Parquet équivaut à la vouer au classement sans suite.

Ce tri intervient, faut-il le rappeler, après le choix qui consiste à établir ou non un procès-verbal (la rédaction d'une main courante empêche la poursuite pénale de l'affaire puisque celle-ci reste inconnue au Parquet).

Par ailleurs, les statistiques nationales montrent que 42 % des affaires classées par l'ensemble des Parquets français lorsque l'auteur est inconnu sont simplement compostées : cela signifie qu'un numéro d'ordre leur est attribué mais que les identifiants de ces affaires ne sont pas enregistrés. Aucune affaire ne peut donc être retrouvée à l'aide de ce compostage qui n'a d'autre finalité que d'établir une statistique sur le nombre d'affaires entrées dans la juridiction.

Plusieurs filtres existent donc avant l'examen du procès-verbal ou de la plainte par le magistrat aussi bien au niveau de la police et de la gendarmerie qu'au niveau du bureau d'ordre, et ce alors qu'aucune de ces deux instances n'est en théorie habilitée à prendre ce genre de décision.

Il y aurait lieu d'évoquer ici une autre forme de classement sans suite à travers l'usage abusif du secret défense. A cet égard, votre rapporteur se félicite que le projet de loi instituant une commission consultative du secret de la défense nationale actuellement examiné par le Parlement puisse apporter une solution pour remédier à ces abus. En effet, ce texte prévoit qu'une autorité administrative indépendante puisse désormais se prononcer lorsqu'une procédure juridictionnelle se heurte au secret de la défense nationale. Cette autorité donnera un avis sur la déclassification et la communication au juge des informations couvertes par le secret.

B. LE CLASSEMENT DES AFFAIRES EN AVAL : L'EXÉCUTION DES PEINES

Lorsqu'une affaire a été traitée jusqu'au bout et jugée, il demeure une part de non justice liée à l'inexécution des peines .

1. L'exécution des peines d'amende

Les peines d'amende qui font systématiquement l'objet d'extraits adressés par le Parquet au trésorier payeur général ne sont que partiellement exécutées. Le Trésor public est chargé du recouvrement, mais les Parquets n'ont pas accès au contrôle de l'exécution et ne sont pas informés de celle-ci.

Or, le tableau ci-avant montre que les admissions en non-valeurs varient entre un et deux milliards de frands par an. Ainsi, le taux de paiement brut des amendes (qui inclut les annulations décidées par les juridictions et les admissions en non-valeurs), dont le titre de recouvrement a été émis en 1993, ne s'élevait qu'à 17,82 % en année n, 28,39 % en année n+1 et 29,97 % en année n+2. Ces chiffres traduisent la faible efficacité du système de recouvrement des amendes.

Il est vrai que le recouvrement des amendes et condamnations pécuniaires est, en règle générale, plus difficile que le recouvrement des autres produits du budget de l'Etat.

Les problèmes rencontrés dans ce genre de recouvrement peuvent être regroupés autour de deux idées principales :


En ce qui concerne toutes les décisions de justice prononcées par les juridictions , il faut que les comptables du Trésor puissent entreprendre rapidement leur mission de recouvrement.

Dans ce but, il faudrait privilégier la mise en place d'interfaces informatiques entre les greffes et les trésoreries, notamment en matière d'ordonnances pénales. Les services du ministère de la Justice ne les ont implantées que de façon encore limitée.

Par ailleurs, pour des infractions à la police des services publics de transports terrestres, le recouvrement est très souvent impossible par suite des noms et adresses relevés par les services verbalisateurs, ceux-ci n'ayant pas les moyens juridiques de procéder aux vérifications nécessaires en la matière. A cet égard, votre rapporteur propose de faciliter et rendre plus effective l'action des contrôleurs dans les transports publics en les autorisant à retenir les contrevenants qui refusent de décliner leur identité afin de pouvoir en rendre compte immédiatement à tout officier de police judiciaire qui pourra alors se faire présenter sur le champ le contrevenant.


En ce qui concerne plus particulièrement les amendes forfaitaires majorées prononcées pour des infractions au code de la route , les comptables du Trésor, constatant que les adresses extraites des fichiers des immatriculations des véhicules sont très souvent inexactes, sont obligés de procéder à la recherche de nouvelles adresses préalablement à toute tentative de recouvrement.

Dans l'hypothèse où les nouvelles adresses ne sont pas retrouvées, la procédure de l'opposition au transfert des certificats d'immatriculation, mise en place en 1997 dans une quarantaine de départements en application des articles L. 27-4 et L. 28 du code de la route, impose aux redevables de régler leurs amendes forfaitaires majorées afin d'obtenir les certificats de non-gage et de non-opposition avant toute mutation des cartes grises. Cette procédure permet d'exécuter des décisions de justice qui étaient jusqu'à présent irrécouvrables dès leur prise en charge A ce égard, votre rapporteur tient à signaler qu'un groupe de travail interministériel sur l'amélioration du recouvrement des amendes pénales a été mis en place depuis août 1995 , dont l'objectif est de fiabiliser l'identification des contrevenants et d'améliorer les procédures de recouvrement.

Les premiers travaux ont permis notamment de limiter les changements d'adresse de la carte grise à la seule préfecture, d'assouplir la procédure de saisie par déclaration à la préfecture des véhicules des contrevenants, d'étendre en 1997 la mise en place de la procédure d'opposition au transfert du certificat d'immatriculation des véhicules terrestres à moteur et de généraliser, en 1998, le paiement par chèque des amendes forfaitaires.

Les difficultés relevées dans l'exécution des peines d'amende sont également dues au fait qu'au-dessous d'un certain seuil, les amendes sont signifiées, mais ne sont pas recouvrées par contrainte si le contrevenant ne les acquitte pas. Votre rapporteur a pu constater que le taux de recouvrement variait sensiblement en fonction des montants mais également de la mobilité souvent volontaire des personnes condamnées à une amende. En effet, si ces derniers changent d'adresse, l'administration chargée du recouvrement n'engagera pas systématiquement d'action pour retrouver l'auteur de l'infraction.

Par exemple, en ce qui concerne le Tribunal de grande instance de Montbrison, toute amende de plus de 110 francs est mise en recouvrement. Il faut toutefois qu'elle soit supérieure à 330 francs pour que le recouvrement soit poursuivi jusqu'à la saisie, voire 1.500 francs pour les personnes domiciliées à l'extérieur du département. Le taux global de recouvrement (qui englobe les amendes forfaitaires majorées et les amendes de juridiction) a été de 52,3 % en 1994. Après réception du premier avertissement de paiement, environ 25 % des justiciables s'acquitteraient de leur amende mais ce taux serait de 33 % pour les personnes condamnées par les juridictions.

Un palliatif a été trouvé pour améliorer l'efficacité de l'exécution des peines d'amende par l'instauration du "jour-amende" 9( * ) . En cas de non recouvrement, le trésorier-payeur général est alors tenu de le signaler au Parquet qui délivre une réquisition d'incarcération.

Cette méthode est lourde, mais très efficace, car les personnes qui en font l'objet s'acquittent toujours de leurs amendes. Néanmoins, le "jour-amende" n'est pas entré dans les moeurs...

Les difficultés d'exécution des peines

Du fait de l'inexécution de certaines peines, de leur lenteur d'exécution ou de leur aménagement systématique, les sanctions prononcées par la justice perdent une grande partie de leur sens.

Or, pour être efficace, la peine doit être lisible pour l'auteur de l'infraction, pour la victime et pour l'opinion publique.

Il est notamment important de pouvoir indiquer au condamné la nature de la sanction qui lui a été infligée et la manière dont elle va être exécutée. Une peine "brouillée" par les difficultés d'exécution apporte une réponse insatisfaisante au condamné, à la victime et à la société. La peine prononcée à l'encontre du délinquant n'aura permis ni de sensibiliser ce dernier ni de le dissuader de recommencer. Pourtant, si le délinquant récidive, la justice sera rendue responsable, même si les responsabilités sont partagées.

C'est pourquoi votre rapporteur estime que tout condamné devrait, à la sortie de la salle d'audience, pouvoir être reçu par le juge de l'application des peines et un travailleur social du Comité de probation et d'assistance aux libérés.

Par ailleurs, la comparution immédiate à l'audience est certes un système où le jugement intervient rapidement. Toutefois, l'exécution immédiate de la peine n'a pu être préparée, voire aménagée. Il en résulte que trop souvent, le délinquant exécute effectivement la peine qui lui a été infligée sans avoir été incité à réfléchir sur l'infraction qu'il a commise et les conséquences de son acte. En revanche, s'il a séjourné en prison, il sera entré en contact avec le milieu criminogène, avec tous les risques de " contagion " que cela comporte.

En outre, votre rapporteur regrette que l'insuffisance des moyens des services de la protection judiciaire et de la jeunesse conduise à ne pas "traiter" réellement toute une série d'infractions dont les auteurs identifiés sont des mineurs.

Cette absence de réponse judiciaire revient à classer sans suite certaines formes de délinquance. Or, cette tendance remet en cause l'utilité du travail en amont des services d'enquête (gendarmerie, police), du Parquet des mineurs et du juge pour enfants dans la mesure où aucune suite concrète n'est donnée à l'infraction commise, constatée et traitée.

A cet égard, votre rapporteur s'inquiète de la diminution sensible des moyens de la protection judiciaire de la jeunesse dans le département de la Seine-Saint-Denis alors que la délinquance des mineurs ne cesse d'augmenter.

En 1989, le service comptait 223 éducateurs et personnels d'encadrement, ils ne sont plus que 184 en 1998. En conséquence et alors même que la demande de suivi des mineurs augmente, plus de 400 mesures éducatives décidées par le juge des enfants n'ont pas été exécutées. Or, l'opinion publique ne retient que ce résultat et en conclut à l'impuissance de la justice, alors même que tous les services en amont ont rempli leur mission convenablement, voire même amélioré leur efficacité.

Ainsi, dans ce département, le Parquet de Bobigny a instauré dès 1992 le traitement en temps réel des procédures pour faire face à la progression de la délinquance des mineurs. Cette réforme semble d'ailleurs avoir remobilisé les services de police puisque le nombre de jeunes délinquants signalés a sensiblement augmenté, prouvant en outre que le chiffre noir de la délinquance est une réalité.

Cet exemple concret confirme la nécessité d'une action globale et coordonnée entre tous les services concernés par le traitement de la délinquance pour éviter que les améliorations apportées dans un service soient remises en cause par les dysfonctionnements constatés dans un autre service.

2. L'exécution des peines de prison

Les peines de prison sont exécutées de manière très variable et l'on doit s'inquiéter d'une véritable inégalité devant l'exécution des sanctions prononcées.

En effet, le juge d'application des peines, conformément à l'article D49-1 du code de la procédure pénale, a pleine autorité pour l'exécution des peines. Il peut donc les moduler, les raccourcir, voire les supprimer en fonction de l'attitude du délinquant et de l'infraction qu'il a commise ainsi que de la situation carcérale de son ressort. Ainsi, les condamnations à moins de six mois de prison ferme par le Tribunal de grande instance de Lyon ne sont jamais exécutées en l'état.

Les juges d'application des peines disposent également de nombreux instruments pour atténuer les peines : possibilités de substitution des modalités d'exécution, de suspension ou de remise de peines, procédures dilatoires, etc.

En outre, pour les peines d'une durée inférieure à un an, le recours au juge d'application des peines (JAP) entraîne parfois un délai : celui-ci a un mois pour traiter l'extrait de jugement. En pratique, il y a une tolérance de deux mois, au-delà de laquelle le Parquet peut faire exécuter la peine lui-même.

Enfin, il peut arriver que la surcharge d'un service d'exécution des peines d'une juridiction enregistre des retard considérables dans la prise en compte effective des sanctions prononcées.

Le classement des affaires semble donc intervenir à chaque maillon de la chaîne pénale :

- dès que l'infraction a été commise, si la victime est fataliste, dissuadée, mal informée, etc...

- au moment de leur dépôt, si les plaintes sont enregistrées en "main courante" ou portées contre X ;

- au moment de leur réception par le bureau d'ordre.

Par ailleurs, même si l'affaire est poursuivie, elle risque de s'enliser au tribunal avant d'être jugée. Enfin, pour être effectif, le jugement devra être exécuté.

Or, on peut légitiment s'interroger si cette multiplication des "classements sans suite" à chaque étape de la procédure judiciaire ne reflète pas un dysfonctionnement grave des services de l'Etat.

En effet, l'impression retirée par votre rapporteur de l'ensemble des entretiens qu'il a eus avec les services de police, de gendarmerie et de la Chancellerie ainsi qu'avec de nombreux magistrats pourrait être caricaturée de la manière suivante : les services de police et de gendarmerie sont peu incités à recueillir les plaintes et à élucider les affaires car ils savent que ces dernières vont être classées sans suite. Le Parquet n'a pas intérêt à poursuivre car il sait que l'affaire ne sera pas jugée avant des mois, voire des années. Quant au juge du siège, même s'il apporte une réponse dans un délai raisonnable à l'affaire dont il est saisi, il sait que l'exécution du jugement est très incertaine.

Ces dysfonctionnements devraient inciter chaque intervenant à redéfinir son action en collaboration avec les autres services pour la rendre plus efficace. Certes, le manque de moyens et de personnel constitue un obstacle au fonctionnement régulier de la justice, mais il peut également inciter chaque partenaire à réfléchir sur les moyens de dépenser mieux, car autrement, les crédits mis à sa disposition.

Pourtant, votre rapporteur a eu le regret de constater que si certaines initiatives locales ont permis d'apporter, à moyens constants, une réponse judiciaire adaptée aux nouveaux phénomènes de délinquance à travers le traitement en temps réel et le développement de la troisième voie, les résistances ne sont pas négligeables.

III. LE CLASSEMENT SANS SUITE : UNE PROCÉDURE RÉVÉLATRICE DE L'INSUFFISANCE DES MOYENS DE LA JUSTICE ET DE SES PARTENAIRES MAIS SURTOUT DES DYSFONCTIONNEMENTS EXISTANT AUSSI BIEN À L'INTÉRIEUR DU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE QU'ENTRE LES SERVICES DE L'ÉTAT

Le constat paraît sévère mais il réaliste. Loin d'être une procédure inéluctable, le classement des affaires sans suite traduit les graves dysfonctionnements qui affectent d'une part le service public de la justice et, d'autre part, les relations de ce dernier avec les services de la police et de la gendarmerie . Certes, la politique pénale doit être adaptée aux moyens objectifs de la justice et ceux-ci s'avèrent insuffisants. Mais les résistances observées dans certains Parquets à l'introduction de nouvelles techniques de traitement des affaires ainsi que le manque de concertation entre les différents services de l'Etat sont en grande partie responsables des dysfonctionnements relatifs au traitement de la délinquance.

A. UN MANQUE DE MOYENS ÉVIDENT MAIS QUI PEUT ÊTRE POUR PARTIE COMPENSÉ PAR UNE NOUVELLE ORGANISATION DU TRAITEMENT DES AFFAIRES

Comme le soulignent tous les procureurs consultés par votre rapporteur, le manque de moyens de la justice ne constitue pas la seule cause du classement sans suite. Toutefois, tous reconnaissent qu'une partie des procédures classées sans suite et visant des personnes dénommées (estimées entre 15 et 20 %) pourrait être évitée si la justice bénéficiait de moyens adéquats.

Votre rapporteur s'interroge sur la réalité du chiffre avancé. Le taux de " classement sec " étant évalué à 25%, cela signifierait que seulement 5 à 10 % des classements seraient dus à des dysfonctionnements. Toutefois, en l'absence de statistiques, il lui faut s'en tenir aux remarques des magistrats.

1. Le manque de moyens...

Cette pénurie en ressources humaines et en matériel se ressent à trois niveaux : dans les commissariats et les gendarmeries, dans les Parquets et dans les instances de jugement.

a) Dans les commissariats et les gendarmeries

L'analyse du processus de classement révèle que les magistrats du Parquet dépendent étroitement, pour leur approvisionnement, du nombre et de la qualité des procès-verbaux établis par les services de la police nationale et de la gendarmerie. La multiplication des procédures contre X, due principalement à un manque de moyens, contraint les Parquets à jouer un rôle extrêmement passif d'enregistrement d'une matière première inutilisable.


• Le manque de personnel pour mener les poursuites


Faute de personnel en quantité suffisante, les fonctionnaires de police ou les militaires de gendarmerie sont contraints d'enregistrer les plaintes contre X sans possibilité d'ordonner le lancement d'une enquête. Or, il s'agit de la catégorie de classement sans suite la plus choquante pour l'opinion publique puisque 50 % des dossiers classés par les Parquets le sont pour ce motif.

Par ailleurs, votre rapporteur a également appris, lors de son entretien avec les procureurs du ressort de la Cour d'appel de Colmar, que les infractions complexes, notamment de nature financière, sont insuffisamment traitées faute de moyens. Trop peu de policiers ou de gendarmes sont affectés à ce type de criminalité, malgré une forte motivation, car il n'est pas possible de faire carrière en brigade financière ou en section de recherches. Il en résulte qu'en matière économique et financière, une enquête n'est engagée que pour des délits portant sur des montants d'au moins 500.000 francs.


• Le manque de personnel pour recevoir les plaintes


En outre, si les services de police et de gendarmerie apprécient le développement du traitement en temps réel, ils relèvent le transfert de charge que cette procédure introduit à leurs dépens à travers notamment la convocation par officier de police judiciaire et la vérification de la réalisation de la réparation.

La police nationale vient de modifier l'organisation de son travail pour, en quelque sorte, s'adapter au traitement en temps réel des procédures. Il existe désormais dans un commissariat un officier de quart, théoriquement responsable de la mise en oeuvre des moyens disponibles. Toutefois, cette réforme ne garantit nullement la bonne coordination des enquêtes et la fiabilité primordiale des compte-rendus faits aux magistrats des Parquets. La pratique met en évidence un important problème qualitatif s'agissant de la formation, de l'expérience et du contrôle effectif des agents de police judiciaire (APJ), qu'il s'agisse du recueil des plaintes, de l'analyse de la nécessité de l'enquête ou de la conduite de celle-ci. Cette question est essentielle et ne devrait pas être résolue par la dévalorisation objective de la qualification d'officier de police judiciaire (OPJ) qui pourrait résulter de la réforme envisagée par le ministère de l'Intérieur pour attribuer ladite qualification à certains gardiens de la Paix.

b) Dans les Parquets

Le rapport du ministère de la Justice déjà cité sur l'abandon des poursuites montre que plus des trois quarts des dossiers en provenance des services de police et de gendarmerie ne sont pas vus par un magistrat du Parquet mais sont directement traités par les fonctionnaires du bureau d'ordre. Cette proportion atteint 96 % des dossiers classés " auteur inconnu ". Ce dysfonctionnement est lié à l'insuffisance des effectifs du Parquet, alors même que leurs tâches ne cessent de s'accroître.


• Un Parquet en sous-effectif chronique


Tous les procureurs reconnaissent que, lorsque les classements sont motivés par l'absence d'identification de l'auteur de l'infraction ou de l'insuffisance des preuves recueillies, un meilleur contrôle de leur part leur permettrait de requérir plus souvent des compléments d'enquête, voire l'ouverture d'informations judiciaires dans les cas où les services de police et de gendarmerie ont mené des investigations qui pourraient être plus approfondies.

De manière plus générale, les magistrats du Parquet pourraient mieux effectuer leur travail si leurs effectifs étaient augmentés.

Votre rapporteur tient à souligner que dans beaucoup de Parquets, les effectifs ne sont même pas au complet, et ce depuis plusieurs mois, voire plusieurs années.

Ainsi, depuis l'été 1996, il existe un poste vacant de substitut à Belley et à Montbrison. Quant au Parquet du Tribunal de grande instance de Marseille, il est en sous-effectif depuis 1993!

L'enquête menée par l'Union syndicale des magistrats est éclairante. Sceptique devant le chiffre de 3% d'emplois vacants (soit 195 postes de magistrats) annoncé par la Chancellerie, l'USM a envoyé un questionnaire auprès de toutes les juridictions afin de comptabiliser le nombre de postes officiellement vacants et celui des postes vacants " de fait " 10( * ) . En ce qui concerne les Parquets, l'enquête précitée révèle que 86 postes seraient officiellement vacants et 36 de fait. Si les taux de vacance varient d'une juridiction à l'autre, ils atteignent 23,3% pour le Tribunal de grande instance de Nîmes et 19,1% pour celui de Colmar.

Globalement, 122 emplois de magistrats du Parquet sur 1345 ne sont pas pourvus dans toute la France , ce qui conduit à faire des substituts placés auprès des procureurs généraux de véritables outils de gestion.

Pourtant, alors que les Parquets ont à affronter des conditions de travail de plus en plus complexes et difficiles, leurs obligations ne font que s'accroître.


• Des tâches toujours plus variées


Hormis chaque décision qu'il leur faut prendre lorsqu'ils exercent une poursuite, les procureurs et les substituts doivent, dans leur seule activité pénale, suivre les procédures qu'ils ont engagées (notamment les dossiers d'instruction qui sont de plus en plus lourds), régler ces dossiers, préparer et prendre leurs réquisitions orales aux audiences, veiller à l'exécution des peines prononcées, participer aux commissions d'application des peines dans les établissements pénitentiaires...

En outre, ils doivent également de plus en plus participer à diverses instances qui ont notamment pour objet de prévenir ou mieux réprimer les infractions les plus courantes ou préoccupantes pour la sécurité publique : les conseils départementaux de sécurité, les comités restreints de lutte contre le travail illégal, les commissions de lutte contre la toxicomanie, les instances de concertations avec les responsables de l'Education nationale...

Les conséquences de l'insuffisance des moyens du ministère de la Justice : l'exemple de la lutte contre la délinquance économique et financière

La perception de la délinquance économique et financière par les institutions, les hommes politiques, les médias et les citoyens est sensiblement déformée : si l'on prend en considération la lecture de la presse, notamment à propos de ce qu'il est convenu de désigner sous le terme un peu vague des "affaires" le monde de l'entreprise, de la finance et de l'économie sera l'objet d'une chasse effrénée et certains n'hésitent pas à y voir une mesquine revanche des petits juges sur les puissants.

La réalité est bien différente.

En ce qui concerne les grosses affaires, la mise en place de sociétés écrans et de multiples places financières aux législations protectrices rendent en réalité particulièrement mal aisé le cheminement des enquêteurs à l'intérieur de ce maquis que l'entraide répressive internationale a bien du mal à pénétrer.

S'agissant de procédures moins sophistiquées, le paysage est non moins composite : en dépit de nombreuses réunions de travail et de sensibilisation, l'article 40 du code de procédure pénale demeure encore peu appliqué ou mal appliqué par les administrations : celles-ci ont souvent tendance à se réserver de larges pans d'appréciation d'une opportunité des poursuites en principe réservée aux Parquets. Les tribunaux de commerce, observateurs privilégiés des comportements des commerçants, notamment en cas de défaillance ou de difficultés de l'entreprise sont encore insuffisamment utilisés par les procureurs dans la perspective d'une politique d'action publique cohérente. Ainsi, dans un tribunal important comme celui de Lyon, l'effectif des magistrats du Parquet ne permet pas de participer aux audiences de sanction commerciale alors qu'une telle présence serait vivement souhaitée par tous.

En matière de marchés publics, les structures de la mission interministérielle des marchés et les chambres régionales des comptes effectuent un travail important et apprécié que les Parquets ont du mal à suivre faute de moyens.

En effet, notamment du fait de la décentralisation, de nombreuses sociétés d'économie mixte ou associations sont trop souvent utilisées dans des conditions irrégulières et favorisent des détournements de fonds.

Cette situation préoccupante en amont rend difficile pour les Parquets financiers la définition de politiques cohérentes et nuit en définitive à l'égalité des citoyens devant la loi en fonction des circonstances de temps et de lieu.

Or, le traitement des affaires économiques et financières accentue encore le risque d'une justice peu efficace en la matière : les services régionaux de police judiciaires naturellement compétents pour le traitement des affaires les plus lourdes sont en réalité débordés et en dépit de l'effort des Parquets pour ne les saisir que de dossiers significatifs, ne sont pas en mesure de les instruire dans des délais raisonnables.

La situation est encore plus préoccupante pour la moyenne délinquance économique et financière puisque les sûretés urbaines tout comme la gendarmerie nationale se sont largement désengagées. Même si la gendarmerie nationale paraît à nouveau soucieuse de former des militaires à ce type de procédures, les délais et la portée des investigations demeurent trop souvent aléatoires.

Enfin, dans nombre de juridictions (notamment à Lyon), les affaires économiques et financières se heurtent au goulot d'étranglement de l'audiencement. Il en résulte un allongement injustifiable des procédures allant parfois jusqu'à la limite de la prescription.

La situation de la justice en matière économique et financière est donc contrairement à une idée reçue très mauvaise : la création des pôles économiques et financiers voulue par le Garde des Sceaux va à l'évidence dans le bon sens dès lors qu'elle devrait permettre aux Parquets de s'appuyer sur des assistants spécialisés issus des différentes administrations économiques ou financières afin d'être aidés dans leur travail d'analyse. Cependant, sans renforcement substantiel des effectifs, les Parquets financiers continueront de rencontrer les plus grandes difficultés.

Il leur appartient en effet, outre le traitement proprement dit des procédures, d'animer et de stimuler l'activité de professions juridiques et judiciaires tels que les commissaires aux comptes, les administrateurs, les mandataires de justice, etc...

Définir une véritable politique judiciaire dans ce domaine crucial où bien des comportements demeurent longtemps occultes suppose que les procureurs spécialisés disposent de réels moyens pour connaître l'exacte ampleur du phénomène dans leur ressort . Cela passe donc par l'animation de véritables juridictions économiques et financières spécialisées au niveau de chaque Cour d'appel comme les textes des articles 704 et 705 du code de procédure pénale le prévoient. En effet, c'est seulement dans un périmètre suffisamment large qu'un procureur agissant en matière financière peut porter une appréciation juste de l'exacte gravité que revêt telle ou telle infraction à la législation sur les marchés ou à la vie commerciale. C'est également dans ce cadre que l'on peut espérer constituer de véritables sections spécialisées composées de magistrats ayant reçu une formation suffisante et satisfaisante.

C'est donc un véritable bouleversement qui doit être effectué en matière de lutte contre la délinquance économique et financière afin de permettre aux parquets de mieux connaître l'ampleur de celle-ci dans le ressort et de procéder à des choix d'action publique bien adaptés dans le cadre d'orientations de politique pénale clairement définies comme ils s'efforcent de le faire dans les autres secteurs de la délinquance.

Il faut également que les moyens en aval (police judiciaire, services d'enquête, audiencement...) soient adaptés en conséquence. Ainsi pourra s'exercer dans de bonnes conditions l'opportunité des poursuites et l'exacte appréciation qui incombe aux Parquets de la gravité des infractions qui lui sont soumises.

Sinon, la lutte contre la délinquance économique et financière continuera de s'avérer quelque peu chaotique dans sa perception et surtout mal adaptée à la définition et à la mise en oeuvre d'une politique pénale fondée d'abord sur la prévention et le cas échéant sur une juste répression.

c) Dans les instances de jugement

Le classement sans suite résulte aussi de la capacité de jugement, mais aussi d'instruction du Tribunal de grande instance.

Les capacités de jugement ne sont pas extensibles. Certains Parquets urbains renoncent à des poursuites parce que les délais de jugement s'allongeraient de manière considérable . Si les taux d'élucidation s'amélioraient, le Parquet puis le Siège seraient dans l'incapacité, faute de moyens, de prendre des décisions dans des délais raisonnables. Votre rapporteur a recueilli de nombreux témoignages qui allaient dans ce sens.

Ainsi, dans son discours lors de l'audience de rentrée en janvier 1998, le procureur général près la Cour d'appel de Colmar, M. Olivier Dropet , affirmait que trois raisons expliquaient le fort taux de classement :


" une approche nouvelle, par les magistrats de l'Ordre public, de l'acte de délinquance et de la personnalité des délinquants, une approche moins drastique, moins machinéenne donc plus compréhensive et plus indulgente ;


• la mise en oeuvre par le Parquet de techniques et de mesures dites alternatives à la poursuite qui ont pour objectif de faire précéder le classement sans suite d'une véritable réponse judiciaire ;


• l'impossibilité pour certaines juridictions de jugement, par le manque criant d'effectifs et de moyens, de statuer dans un délai raisonnable et dans des conditions normales sur l'ensemble des procédures pénales qu'il serait justifié de leur soumettre. Pour cette raison, les procureurs de la République sont contraints de classer, sans autre forme de procès, des délits dont les auteurs mériteraient amplement d'être déférés devant le tribunal ; c'est le classement-renoncement, le classement-résignation ; le procureur n'est plus l'instigateur et l'ordonnateur d'une politique pénale adaptée, il gère des flux et des stocks dans un sens contraire à ses aspirations et à l'intérêt public ; il devient en fait le magasinier de la Justice.
"


Les propos du secrétaire général de l'Union syndicale de la magistrature, M. Valéry Turcey 11( * ) sont également révélateurs : " Il suffirait, dites-vous, de retirer aux procureurs le droit d'apprécier l'opportunité des poursuites et de prévoir dans la loi que toutes les infractions signalées au Parquet seront effectivement soumises au juge... Hélas ! Les tribunaux correctionnels peinent à juger les quelques 420.000 affaires qui leur sont soumises chaque année. Que serait-ce, si les deux millions de procès-verbaux annuels (concernant des faits dont l'auteur est identifié) déferlaient, comme un raz-de-marée, devant les juridictions françaises ? Si l'on veut supprimer ce filtre -contestable mais efficace- qu'est l'appréciation de l'opportunité des poursuites, il faudrait multiplier par 5 le nombre de magistrats de siège. "

En outre, contrairement à ce qui peut être constaté en matière pénale, où les Parquets ont un important rôle de régulation de l'activité judiciaire, les affaires civiles sont enrôlées à la seule initiative des multiples personnes qui saisissent les juridictions de première instance, comme d'appel, sans se préoccuper de leur capacité " d'évacuation ". Il s'en suit que l'activité des magistrats du Siège et des fonctionnaires des greffes est de plus en plus absorbée par ces contentieux souvent au détriment de l'activité pénale.

Les statistiques des juridictions mettent ainsi en évidence d'une part une stagnation, voire une diminution du nombre des jugements rendus en matière pénale et, d'autre part, une augmentation, sensible d'année en année, des décisions prononcées en matière civile.

Certes, une augmentation de l'effectif des magistrats du Siège ne permettrait pas forcément de rétablir l'équilibre entre les affaires civiles et les affaires pénale, mais elle permettrait de tenir plus d'audience. Elle inciterait également les Parquets à exercer plus de poursuites lorsqu'ils sont amenés à classer des procédures sur lesquelles ils redoutent de ne pouvoir statuer dans un délai raisonnable ou qui entament le volume à réserver aux affaires considérées plus importantes ou prioritaires.

Votre rapporteur a également appris que les capacités d'audiencement des juridictions diminuent sous l'effet de deux facteurs :

- la multiplication des affaires complexes ;

- la généralisation de la défense des prévenus par le recours systématique à la commission d'office, qui conduit à un allongement des débats.

Parfois même, il arrive que pour "éponger" le stock d'affaires civiles en instance, le Président du Tribunal de grande instance après avis de l'assemblée générale diminue pendant un temps la capacité de jugement du Tribunal correctionnel.

Face à cette situation, les besoins en personnel sont criants. Ils se mesurent en manque de moyens, mais aussi, ce qui est inadmissible, en vacance de postes.

Ainsi, le Tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence n'a qu'une chambre correctionnelle. Il a rendu 4.250 jugements en 1997, le Parquet ayant enregistré la même année 81.400 procédures.

De même, le Tribunal de grande instance de Grasse, qui se trouve dans une situation comparable, n'a prononcé que 3.673 jugements correctionnels en 1997 alors qu'il lui faudrait en rendre environ 5.500 pour éviter un accroissement des stocks. Pour atteindre cet objectif, il lui faudrait une chambre correctionnelle supplémentaire.

Selon l'étude de l'Union syndicale de la magistrature précitée, 309 postes seraient vacants en ce qui concerne les magistrats du Siège. Le taux des postes vacants varie d'une juridiction à l'autre. Ainsi, il atteint 15,3% pour la Cour d'appel de Rouen et 13,5% pour les Tribunaux de Grande Instance de Douai et de Limoges.

L'augmentation souhaitable du nombre des audiences correctionnelles, et donc du nombre de décisions susceptibles d'être rendues en matière pénale implique que les greffes disposent de moyens supplémentaires pour audiencer les affaires et éditer les jugements ainsi que les pièces d'exécution. Cela supposerait la création et le redéploiement d'emplois de greffiers et d'agents de catégorie C. Votre rapporteur tient, à cet égard, à faire remarquer que la comparaison des chiffres de cette étude et de ceux de la Chancellerie confirme l'insuffisance des outils statistiques du ministère de la Justice.

Il faut également souligner que l'accroissement du nombre des affaires jugées par les tribunaux correctionnels entraînerait nécessairement une augmentation du nombre des appels . Or, la situation de certaines Cours d'appel est très difficile : ainsi, à titre d'exemple, dans la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, le nombre des affaires pendantes devant les chambres civiles, sociales et commerciales est considérable : plus de 57.000 procédures en stock au 31 décembre 1997 , alors que la capacité annuelle d'évacuation de ces contentieux par les chambres concernées est au mieux de l'ordre de 22.000 affaires . Il conviendrait dès lors de prévoir la formation d'une quatrième chambre des appels correctionnels, avec la création de postes de magistrats et de fonctionnaires indispensables à son fonctionnement.

2. ... qui pourrait être compensé par une amélioration de la procédure de traitement des affaires

Votre rapporteur, ainsi que ses prédécesseurs soulignent depuis des années l'insuffisance des moyens accordés à la justice et la nécessité d'adapter ses crédits à ses besoins pour lui permettre d'assurer correctement ses missions. A cet égard, il s'inquiète du découragement observé chez certains magistrats. En outre, il ne peut que s'opposer à l'attitude, observée au ministère de la Justice, qui vise à regretter le classement pour opportunité quantitative tout en le jugeant inévitable dans la mesure où les tribunaux correctionnels sont déjà surchargés. Ces derniers seraient donc incapables de juger le flux d'affaires nouveau qui découlerait de la poursuite systématique de toutes les infractions.

Ces classements sont donc doublement critiquables . D'une part, ils ne sont pas justifiés par l'opportunité, mais par la nécessité de tenir compte de la gestion des flux et de la capacité de jugement des juridictions. On assiste alors à un véritable détournement du rôle du Ministère public . D'autre part, la détermination du seuil de déclenchement des poursuites en fonction de l'encombrement du tribunal conduit à d'importantes disparités dans le traitement pénal contraires au principe d'égalité devant la loi . Selon les lieux où ils commettent leurs méfaits, les délinquants bénéficieront d'une impunité plus ou moins grande. Une menace réelle semble peser sur la réalité de l'Etat de droit dont on essaie de tempérer la gravité par la transformation des notions. Ainsi, certains comportements sont appelés des " incivilités " ou des " indélicatesses ", officiellement parce qu'ils sont infrapénaux. Pourtant, lorsque les " incivilités " ou les " indélicatesses " sont en réalité des vols, il y a abus de langage. De même, les quartiers dans lesquels les pompiers ne se rendent plus et la police ne fait plus que des apparitions limitées sont qualifiés de quartiers de moindre droit, alors que la situation est beaucoup plus grave : l'Etat n'est plus capable d'y faire régner la loi !

Face à la réalité, la justice a le devoir de s'adapter afin de mieux répondre aux attentes des citoyens.

En outre, la nécessité supposée du classement sans suite est contredite par la pratique de quelques Parquets qui démontrent qu'à droit et à moyens constants, par une politique volontariste, il est possible de réduire le taux de classement sans suite de manière notable, même si ces pratiques ont leurs limites. Deux procédures sont utilisées conjointement : le traitement en temps réel et les modes alternatifs de résolution des conflits.

Alors que les pratiques de certains Parquets ont peu évolué, la délinquance a connu des mutations profondes. D'une part, les statistiques révèlent un accroissement très fort de cette dernière et, d'autre part, sa structure a considérablement changé avec le développement de la toxicomanie, de la délinquance urbaine et de la corruption. Le décalage entre cette réalité et son appréhension judiciaire s'est donc accru : les citoyens attendent une réponse rapide et claire de la justice que celle-ci n'est pas capable d'apporter à cause de délais excessifs dans le traitement des dossiers et de l'engorgement des tribunaux correctionnels.

La mise en place du traitement en temps réel a pour objet de permettre une réponse pénale rapide, diversifiée et mieux adaptée à effectifs et moyens constants.

Le traitement en temps réel permet tout d'abord d'accélérer le processus de traitement des affaires . En effet, toute affaire élucidée, crime, délit ou contravention de 5 ème classe, doit faire l'objet d'un compte rendu téléphonique immédiat au Parquet par le service enquêteur. Dès le constat dressé par la police judiciaire ou la gendarmerie, le magistrat prend une décision : poursuites, mesure alternative aux poursuites, présentation de la personne, convocation de la personne par officier de police judiciaire...

Le traitement en temps réel permet par ailleurs d'apporter une réponse judiciaire mieux adaptée . Le chef du Parquet doit guider son action selon le principe de réalité. Si le choix de la voie procédurale doit tenir compte de la gravité des faits et de la personnalité de l'auteur, elle est aussi fonction de la capacité quantitative de jugement de la juridiction. En outre, certaines affaires n'ont pas besoin d'être renvoyées devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police. Pour éviter que la systématisation des signalements conduise à une multiplication des classements sans suite, les modes alternatifs de résolution des conflits doivent être privilégiés. Ainsi, au Tribunal de grande instance de Bobigny, 15.000 affaires sont jugées chaque année et 10.000 font l'objet de solutions alternatives, dont 7.200 concernant les majeurs.

La technique du traitement en temps réel présente donc de nombreux avantages :


• elle renforce les liens de coopération entre le Parquet et la police judiciaire, qui se place immédiatement sous son contrôle ;


• elle motive les services de police et de gendarmerie qui connaissent immédiatement les suites données à leurs interventions 12( * ) ;


• elle favorise un meilleur traitement de certaines enquêtes contre les auteurs non identifiés grâce à un suivi plus efficace des enquêtes par le Parquet ;


• elle améliore la qualité technique des procédures par le jeu des questions-réponses entre les services d'enquête et les magistrats du Parquet ;


• elle apporte aux citoyens une visibilité accrue de l'action de la justice à travers une réponse pénale plus rapide et mieux adaptée ;


• elle autorise un signalement systématique de toutes les affaires résolues ;


• elle incite à l'élaboration d'une politique pénale lisible à travers la définition des contentieux prioritaires et la détermination infraction par infraction de la conduite à tenir ;


• elle fait gagner beaucoup de temps aux audiences en réduisant massivement le nombre de défauts de présentation ;


• elle améliore le fonctionnement de la justice en obligeant tous les maillons de la chaîne pénale (services de police et de gendarmerie, Parquet, magistrats du Siège, juge d'application des peines) à travailler en concertation.

Le bureau des enquêtes du Tribunal de grande instance de Bobigny 13( * )

Composé de trois magistrats et d'un secrétariat, ce bureau a vocation, sur saisine de la cellule permanente, à adapter les techniques du traitement en temps réel aux :


affaires de droit pénal général nécessitant un suivi dans la durée ;


contentieux techniques : droit du travail, urbanisme, droit de l'environnement, etc. 110 à 120 dossiers de ce type sont gérés chaque mois.

La gestion matérielle des dossiers

Cette gestion est informatisée grâce à un logiciel avec fonction agenda.

Pour chaque affaire dont est saisi le bureau des enquêtes, le secrétariat :

- procède à l'enregistrement,

- ouvre une cote où sont classés les éléments fournis au magistrat qui a reçu l'information et les instructions qu'il a données, et ultérieurement les éléments recueillis au fur et à mesure de la poursuite de l'enquête,

- fait parvenir au chef du service chargé de l'enquête une fiche sur laquelle figurent le numéro de l'affaire, la confirmation de la saisine du bureau des enquêtes ou l'indication du magistrat spécialement désigné pour suivre le dossier avec le numéro d'appel téléphonique de son secrétariat,

- assure le suivi des diligences demandées par le chef du bureau des enquêtes,

- procède systématiquement à la recherche des précédents concernant les personnes paraissant impliquées,

- doit être en mesure à chaque appel téléphonique concernant une affaire d'orienter le deandeur sur le magistrat compétent et de fournir à celui-ci la cote correspondante.

Le déroulement de l'enquête

Le magistrat chargé de suivre l'affaire, en principe le responsable du bureau des enquêtes se comporte en directeur d'enquête. Il peut notamment :

- ordonner le recours aux articles 62 et 78 du code de procédure pénale,

- faire procéder ou autoriser l'officier de police judiciaire à faire procéder à tous examens techniques ou scientifiques utiles à la manifestation de la vérité,

- faire vérifier la situation matérielle et sociale du mis en cause. Le cas échéant le faire examiner par un médecin expert,

- procéder ou faire procéder à tous actes nécessaires à la recherche et à la manifestation de la vérité,

- procéder lui-même à l'audition du mis en cause ou de personnes susceptibles de fournir des renseignements,

- requérir la force publique.

Il peut demander à l'officier de police judiciaire ou à l'agent de police judiciaire de lui transmettre par télécopie telle ou telle pièce du dossier ou de se transporter à son cabinet avec les procès-verbaux établis pour être mieux informé, convenir d'une stratégie ou, en fin d'enquête, arrêter la décision la plus appropriée et en fixer les modalités d'application.

L'atteinte de l'objectif visé suppose que le bureau des enquêtes ou le magistrat spécialement désigné pour suivre l'affaire soit informé le cas échéant du changement d'officier de police judiciaire ou agent de police judiciaire. Il peut arriver, en effet, que l'enquêteur initialement saisi se trouve soit empêché, soit affecté à d'autres tâches pour des raisons relevant de la seule autorité du chef de service.

La procédure ne doit pas être clôturée sans un contact préalable avec le magistrat du bureau des enquêtes.

Or, malgré les avantages indéniables de la procédure du traitement en temps réel, trop peu de juridictions l'ont mis en place.

L'argument souvent invoqué pour justifier l'absence de recours au traitement en temps réel est le manque de moyens. Or, la mise en place de cette procédure dans les Parquets qui la pratiquent s'est faite à effectif constant de magistrats et de fonctionnaires . Certes, la systématisation des signalements entraîne pour les Parquets un alourdissement très sensible de la permanence téléphonique. Mais la surcharge de travail qui en résulte ne doit être que provisoire si l'organisation du Parquet est revue en tenant compte de cette réalité. En effet, le traitement en temps réel déplace le moment de l'intervention du magistrat du Parquet, il ne la complique pas. Il peut même aboutir à une simplification du travail de ce magistrat. C'est ainsi que l'échange téléphonique entre substitut et enquêteur permet d'aboutir à l'expédition d'une procédure complète sur laquelle une décision d'action publique aura été prise avant son envoi au Parquet.

En outre, le recours à la troisième voie n'entraîne pas de frais supplémentaires, les délégués au procureur étant rémunérés sur frais de justice.

Comment donc expliquer le peu de succès du traitement en temps réel et des alternatives aux poursuites alors ces deux procédures permettent de diminuer de manière notable le taux de classement sans suite ?

En réalité, les réticences constatées par votre rapporteur chez certains Parquets à introduire le traitement en temps réel mettent en lumière les dysfonctionnements du système pénal.

B. LES DYSFONCTIONNEMENTS RÉVÉLÉS PAR LE CLASSEMENT DES AFFAIRES SANS SUITE

Le système pénal français est fortement marqué par le corporatisme, le conservatisme et le cloisonnement de ses acteurs. Comme la réussite du traitement en temps réel repose sur une large coopération entre tous les maillons de la chaîne de traitement de la délinquance et une redéfinition des tâches de chacun, on mesure aussitôt les obstacles auxquels se heurte l'introduction de cette procédure...

1. La peur du changement

Les obstacles à l'introduction du traitement en temps réel sont essentiellement culturels. En effet, cette procédure exige une modification des méthodes de travail et une redéfinition des tâches de chacun. Certains magistrats ont donc du mal à l'accepter car sont remis en cause non seulement des habitudes, mais également des rapports de force.

La note écrite envoyée par un Procureur de la République à votre rapporteur relative aux voies alternatives aux poursuites et aux classements purs et simples est révélatrice : " ces nouveaux modes d'exercice de l'action pénale, encore méconnus et jusqu'à présent peu valorisés, intriguent certains puristes de la règle de droit. Il s'agit là d'une critique de fond de la part de ceux qui considèrent qu'un magistrat du parquet ne peut sans outre-passer ses prérogatives, sortir des frontières délimitées par les deux seules options : classer ou poursuivre. Partant de là, ils lui contestent la possibilité de prendre une mesure de classement différé, c'est-à-dire d'évaluer en perspective, et non plus en temps donné, les conséquences sociales d'une infraction qui pourront ultérieurement déterminer sa position quant à une éventuelle poursuite. Pour moi, ces critiques procèdent d'une conception excessivement étroite du champ d'action d'un Parquet, fondée sur la principe d'indisponibilité absolue de l'action pénale. Cette conception a prévalu jusqu'à une période relativement récente. Il n'est que se rappeler les réactions hostiles du corps judiciaire lors de la mise en application de la loi de 1970 offrant au ministère public le droit de prononcer une injonction thérapeutique en matière d'usage de drogue. Presque tous les magistrats récusaient alors cette approche trop universelle, trop ouverte, de l'opportunité des poursuites. Depuis, un formidable courant s'est développé qui a permis d'institutionnaliser ces derniers temps les démarches de prévention et de politiques pénales concertées et qui a incité les magistrats du ministère public à revoir les contours de leur mission. Il n'est pas question, bien entendu, de céder à quiconque la moindre parcelle de nos attributions légales, ni de transiger avec l'exercice de l'action publique qui ne se partage pas. Mais nous ne voulons pas pour autant nous priver de la possibilité d'agir un connaissance de cause dans la plénitude du pouvoir d'opportunité que nous confère la loi. C'est par le biais de ces classements inscrits dans les limites de ce que l'on appelle maintenant  "  la troisième voie " que nous retrouvons parfois le sens et l'intelligence de notre métier. "

Ainsi, derrière le scepticisme de certains magistrats du siège vis-à-vis du traitement en temps réel et du recours à la troisième voie se cache une opposition sourde à la perte de leur monopole en ce qui concerne le traitement de la délinquance . Certes, ils reconnaissent ne plus être en mesure d'augmenter les capacités de jugement de leurs tribunaux, mais ils admettent beaucoup plus difficilement le fait que les juridictions répressives ne sont pas destinées à traiter l'ensemble de la délinquance et que certains contentieux peuvent être réglés autrement que par le juge...

Certains magistrats du Parquet sont également très réticents au développement du traitement en temps réel qui bouleverse leur mode de fonctionnement et leur mission. Le Parquet était jusqu'à présent cantonné dans un rôle passif d'enregistrement des procès-verbaux et adaptait le traitement de ces derniers en fonction de la capacité de travail des juridictions de jugement. Avec l'introduction du traitement en temps réel, le Parquet doit réduire ses délais d'action pour traiter rapidement les affaires qui lui sont présentées et décider soit du déferrement de l'auteur de l'infraction auprès du tribunal compétent, soit de recourir à la troisième voie.

En outre, la mise en place du traitement en temps réel exige une implication du Parquet en amont de sa saisine. Il lui faut ainsi concevoir une politique pénale claire et homogène, qui définit les contentieux prioritaires en fonction de la délinquance locale et détermine infraction par infraction la conduite à tenir afin d'éviter des pratiques trop différentes entre substituts. Or, certains Parquets n'ont pas de politique pénale affichée et bien lisible pour leurs partenaires . En outre cette affirmation d'une politique pénale unique se heurte à la très grande marge de manoeuvre acquise par les substituts au fil des années... A cet égard, votre rapporteur souligne la nécessité d'un rappel solennel du pouvoir hiérarchique d'une part du procureur de la République sur les substituts et, d'autre part, du procureur général sur les procureurs de la République pour uniformiser la politique pénale et clarifier ses enjeux aux yeux des autres intervenants.

2. Le manque de coopération entre les services

L'efficacité du traitement en temps réel repose sur une forte coopération entre tous les services :


Entre les services d'enquête et le Parquet


Un véritable travail d'équipe doit se développer entre les substituts et les services enquêteurs. La fiabilité de l'entretien téléphonique implique, de la part de l'enquêteur, un compte-rendu précis des faits et des charges et un effort d'anticipation sur les éléments à transmettre au magistrat selon l'infraction concernée. Quant au magistrat, il doit diriger l'enquête de manière effective, donner des instructions claires, motivées et vérifier les procédures dont le mis en cause a pu faire déjà l'objet.

A cet égard, votre rapporteur ne peut qu'encourager la mise en place d'un bureau des enquêtes qui assure le suivi et la relance des investigations.

La réussite de cette coopération dépend de deux facteurs : la concertation entre les chefs de service (directeurs départementaux de la sécurité publique, directeurs de la sûreté départementale, commandants de groupements, commissaires de police, commandants de compagnie et le Parquet) et une campagne de sensibilisation sur le terrain.


Entre le Parquet et le Siège


Le traitement en temps réel va de pair avec le renforcement des relations de travail entre le Siège et le Parquet. En effet, il ne sert à rien d'instaurer le temps réel pour les poursuites si les affaires ne sont pas jugées dans un délai assez proche. Le Parquet doit donc négocier avec le Président du tribunal l'aménagement de l'audiencement afin de disposer de plages d'audience suffisamment proches de la date de commission des faits. Cela suppose d'évaluer la capacité quantitative de jugement de la juridiction, d'apurer les stocks, de veiller à ne pas surcharger les audiences (le recours à la troisième voie est un moyen pour y parvenir), de gérer le planning des audiences de façon à insérer les dossiers complexes dans les mêmes délais que les autres dossiers (il faut éviter que les contentieux de masse absorbent toutes les capacités de la juridiction), enfin, d'associer les avocats par la délivrance des copies de procès-verbaux le plus rapidement possible.

Exemple de tableau d'activité d'un tribunal correctionnel (Evreux) 14( * )

Ce tableau précise, sur une période de quatre mois, (du 1er septembre au 31 décembre 1995) :


• le nombre de jugements rendus, ainsi que la part respective des procédures rapides et des procédures traditionnelles,


• le nombre de médiations.


Nombre de jugements rendus

663

Nombre d'audiences

48

Procédures rapides

 

Procédures traditionnelles

 


Comparution Immédiate (CI)

34


Citation Directe (CD)

169


• Convocation par procès-verbal

2


• Ordonnance de Renvoi (ORTC)

55


Convocation par un Officier de Police Judiciaire (COPJ)

338


Audience sur Requête (ARQ)


Ajournement


Intérêt Civil (IC)

)

) 65
)

TOTAL

Soit

374

57 %

TOTAL

Soit

289

43 %

Médiations

58


Entre le Parquet et les responsables de l'exécution des peines


En effet, la phase d'exécution fait souvent l'objet de retards peu justifiés. En outre, certains dossiers ne sont pas traités alors même qu'il s'agit de dossiers jugés, pour lesquels ne joue plus le principe d'opportunité. Là encore, une plus grande concertation entre le Parquet d'une part, les juges d'application des peines et les trésoriers payeurs généraux d'autre part doit permettre de trouver des solutions et d'éviter tout retard dans le déroulement du processus pénal.


Entre le Parquet et les autres partenaires officiels responsables de la lutte contre la délinquance


Les grandes lignes de l'action publique sont définies par le Garde des Sceaux et ont vocation à être reprises au niveau local par les Parquets. Pour autant, ces derniers n'ont pas le monopole de la politique pénale. Le ministère de l'Intérieur, le ministère de la Défense, le ministère des Affaires sociales, le ministère de l'Environnement, le ministère de l'Economie et des Finances etc. développent également une politique pénale pour les secteurs dont ils ont la charge. Une étroite coopération est donc nécessaire avec le Parquet pour éviter l'élaboration de politiques divergentes.

Cette coopération est particulièrement nécessaire entre la Chancellerie d'une part et les ministères de l'Intérieur et de la Défense d'autre part. En effet, le code de la procédure pénale prévoit que la police judiciaire est exercée sous la direction du procureur de la République. Mais elle est également soumise à la tutelle hiérarchique des ministères de l'Intérieur et de la Défense . Cette double tutelle peut remettre en cause le bon fonctionnement des missions et des enquêtes de police par l'intervention du ministère de l'Intérieur , via l'autorité hiérarchique qu'il exerce sur l'ensemble des membres de la police 15( * ) .

Maintien de l'ordre et police judiciaire

Confrontation sur le terrain

A plusieurs reprises, à l'occasion d'actions de maintien et de rétablissement de l'ordre des préfets et des procureurs, ont été confrontées à la difficulté suivante : lorsqu'une manifestation dégénère, lorsque des voitures brûlent, lorsque des installations ferroviaires sont saccagées, faut-il privilégier le maintien de l'ordre ou la constatation des infractions et l'arrestation de leurs auteurs ?

Cette question se pose car ces deux actions, en obéissant à des logiques différentes et en étant exercées par deux autorités distinctes, peuvent être antagonistes.

Lorsqu'il y a violence sur les personnes et dégradations de biens, le procureur de la République a le devoir de mettre en mouvement l'action publique, donc de "poursuivre" afin de ne pas laisser sans suite judiciaire ce type de délinquance. Toutefois, privilégier la constatation des infractions, l'arrestation des auteurs et la poursuite de ces derniers devant les juridictions pénales sans tenir compte de l'ambiance régnant sur les lieux du drame peut nuire au maintien de l'ordre public.

En effet, les esprits sont "échauffés", surtout lorsque le délit est imputable à un membre d'une bande et qu'en conséquence, l'esprit de solidarité joue en faveur du délinquant. L'arrestation de ce dernier alors que la tension avec les forces de l'ordre reste forte peut provoquer des réactions violentes de la part de certains jeunes.

Le préfet, lui, est responsable du maintien et du rétablissement de l'ordre public. Toutefois, privilégier le retour au calme, notamment en renonçant temporairement à l'arrestation des délinquants, peut provoquer un sentiment d'injustice chez la victime et ses proches et risque d'être considéré comme du laxisme par l'opinion publique.

Il existe donc bien un risque potentiel d'affrontement entre la logique de l'action publique et celle du rétablissement de l'ordre, risque encore accru par le fait que chacune de ces logiques est exercée par une autorité distincte, respectivement le procureur de la République et le préfet.

Or, l'absence d'un arbitrage extérieur ou d'une coopération suffisante entre les deux représentants de l'Etat, tous deux détenteurs d'une partie du pouvoir régalien, à savoir la police judiciaire d'une part et la police administrative d'autre part, conduit à des tensions qui sont ressenties par l'opinion publique à travers une couverture médiatique souvent excessive comme autant de dysfonctionnements de l'Etat, jugé incapable de faire face à ce genre de situation.

Pourtant, des solutions existent, mais elles exigent auparavant de mettre fin à l'ambiguïté des relations entre les préfets et les procureurs de la République afin d'assurer le bon fonctionnement des institutions et le respect de l'Etat de droit.

A cet égard, votre rapporteur a proposé à plusieurs reprises de créer une mission d'information ou une commission d'enquête sur ce sujet.

En outre, il est impératif de rappeler que la logique d'un ministère ne doit jamais prévaloir sur la logique de l'Etat. Ainsi, le maintien de l'ordre public doit être une priorité . En effet, l'arrestation et la poursuite de délinquants ne peuvent s'effectuer correctement dans une situation troublée, susceptible d'engendrer des réactions intempestives et donc contraires à l'idéal de justice.

Le Gouvernement, conscient des difficultés de coordination interministérielle dans le domaine de la sécurité intérieure, vient de créer un conseil national de la sécurité intérieure. Toutefois, il est urgent d'instaurer une structure départementale de crise performante et opérationnelle pour traiter de manière efficace les problèmes actuels de la délinquance urbaine qui menace dangereusement la cohésion du pays.

Votre rapporteur souhaite également insister sur la nécessité de mettre fin à l'édulcoration des termes servant à désigner les infractions. En effet, l'absence de qualification précise des infractions a deux effets pervers : d'une part, il n'existe plus de démarcation nette entre ce qui est autorisé et ce qui est interdit par la loi et, d'autre part, les peines infligées aux délinquants ne peuvent plus remplir leur double rôle de sanction et de prise de conscience par ces derniers de leur action.

Ce risque d'interférence est d'autant plus grand que les logiques des deux ministères sont différentes. La Chancellerie, à travers le procureur, va s'attacher à faire avancer l'affaire et à trouver le plus rapidement possible les auteurs de l'infraction. Le ministère de l'Intérieur, via le directeur départemental de la sécurité publique, va se soucier du maintien ou, le cas échéant, du rétablissement de l'ordre. Or, ces deux logiques peuvent être antagonistes : dans certaines affaires, notamment celles qui impliquent plusieurs habitants d'une cité à problèmes, alors que le souci d'arrêter les auteurs des méfaits incite à une action rapide de la police, la volonté d'éviter une poussée de la violence incite à attendre le retour au calme pour intervenir et arrêter les suspects. Les actions doivent donc être coordonnées pour éviter les erreurs.

Par ailleurs, les maires, ainsi que leurs adjoints, en tant qu'officiers de police judiciaire en application de l'article 16-1 er du code de procédure pénale, sont directement concernés par le développement de la délinquance puisque c'est en grande partie sur leur capacité à l'enrayer que les citoyens les jugent. Ils ont donc intérêt à travailler en concertation avec le Parquet ainsi qu'avec les services de police et de gendarmerie. Pourtant, leur attitude vis-à-vis des magistrats (et parfois vice-versa) est plutôt ambiguë, mélange d'attentes très fortes et de méfiance. Il paraît donc indispensable de développer les contacts entre élus, magistrats, forces de police et de gendarmerie pour éviter les malentendus réciproques et renforcer leur coopération.

Les initiatives locales

Une meilleure coopération avec les maires est possible. Des initiatives locales qui mériteraient d'être mieux connues le prouvent.

Ainsi, dans le Val d'Oise, à l'initiative du procureur de la République de Pontoise, un secrétariat permanent chargé des relations avec les élus locaux avait été mis en place. Cinq zones de délinquance avaient été délimitées et le procureur réunissait une fois par trimestre les maires des communes les plus importantes pour examiner avec eux la situation de la délinquance dans la zone considérée. Cette initiative intéressante n'a pas été poursuivie faute de moyens, alors qu'elle aurait dû susciter l'intérêt de la Chancellerie.

Dans le Haut-Rhin, à la suite notamment des critiques formulées par certains maires au cours de la campagne électorale sénatoriale de 1995, le commandant du groupement de gendarmerie a proposé au préfet un dispositif de concertation permanent. Ont ainsi été expérimentées des structures de prévention de la délinquance en zone gendarmerie à un double niveau :

- la création de groupes de prévention dans chaque circonscription de brigade de gendarmerie réunissant le conseiller général, les maires, le commandant de compagnie et de la brigade de gendarmerie territorialement compétent ;

- l'instauration de conseils de prévention compétents pour une zone adaptée à l'organisation territoriale de la gendarmerie qui réunissent autour du sous-préfet, le procureur, les parlementaires, les conseillers généraux, etc... 16( * )

Enfin, les Parquets ont intérêt à associer les associations d'aide aux victimes à leur travail pour améliorer la prise en charge de la victime et utiliser de manière accrue les solutions alternatives au procès.

L'efficacité du traitement en temps réel repose donc sur une étroite concertation entre tous les acteurs de la chaîne pénale.

Or, votre rapporteur a pu constater que la concertation entre les différents services de l'Etat faisait parfois défaut. En outre, des conflits de personnes peuvent ruiner toute tentative d'une meilleure synergie entre les services.


Ainsi, votre rapporteur a pu relever que les rapports entre le Parquet d'une part et les policiers et les gendarmes d'autre part ressemblaient parfois plus à des relations de féodalité qu'à des relations fondées sur la coopération et la transparence. Certains policiers et certains gendarmes se sont plaints de l'absence de lisibilité de la politique pénale des Parquets et de l'absence de concertation pour développer une stratégie de lutte contre la délinquance . Ils ont par ailleurs regretté l'absence de retour d'informations sur le devenir des procédures transmises aux Parquets . Ils ont également souligné certains dysfonctionnements dans la gestion et le suivi des affaires. Certains Parquets renvoient ainsi les particuliers au commissariat pour retrouver le numéro du procès-verbal de leurs affaires !

Certes, ces dysfonctionnements ne doivent pas être généralisés, mais ils montrent les obstacles psychologiques auxquels se heurtent les tentatives d'une plus grande coopération entre les Parquets et la police ainsi que la gendarmerie. En effet, celle-ci ne peut être efficace que si le Parquet accepte de revoir ses relations avec ces derniers dans le sens d'une plus grande transparence et réciproquement. Cela implique que le Parquet informe la police et la gendarmerie des grandes lignes de sa politique pénale et, notamment, du devenir des procédures qui leur ont été transmises.

A cet égard, votre rapporteur ne peut qu'encourager cette tendance dans la mesure où le Parquet est un service de l'Etat dont le pouvoir d'opportunité ne doit pas le conduire à être au-dessus de tout contrôle.


De mauvaises relations entre le Parquet et le Siège peuvent également paralyser la procédure du traitement en temps réel . En effet, si le Président du tribunal refuse de fixer un nombre d'audiences suffisant, les délais de jugement s'accumuleront et feront perdre tout son intérêt au traitement en temps réel pour les affaires qui doivent être jugées. Or, cette " capacité de nuisance " est utilisée par certains présidents qui estiment avoir un droit de regard sur la politique pénale et sont opposés à celle pratiquée par le Parquet.

Votre rapporteur ne peut que déplorer ces situations. Il s'étonne en outre que, lorsque la paralysie de la procédure pénale est liée à la personnalité d'un magistrat, la Chancellerie soit très réticente à invoquer l'intérêt du service pour mettre un terme à cette situation, notamment par la mutation du magistrat responsable du dysfonctionnement.

Notes d'ambiance

Les relations sont souvent complexes, parfois difficiles mais aussi ambiguës entre les services de police judiciaire et les Parquets."

Il est difficile de mesurer la réalité que recouvrent certaines critiques voilées des uns envers les autres. Cependant, il nous est apparu nécessaire de les relever afin de les porter à la connaissance des autorités compétentes pour qu'elles puissent mesurer le contenu et l'ampleur des observations entendues trop souvent au cours des visites, rencontres et entretiens.

Ces remarques reflètent une certaine incompréhension entre les différents services de l'Etat chargés de la lutte contre la délinquance et nuisent à la solidité, donc à l'efficacité de l'ensemble de la chaîne pénale.
Voici quelques exemples de propos recueillis au cours d'entretiens :

"On pourrait récupérer les jeunes si on leur faisait payer la facture tout de suite."

"Nous sommes en première ligne, nous devons tenter d'expliquer la réponse judiciaire ou la non réponse, recevoir en direct l'incompréhension des victimes, voire leur révolte."

"La banalisation de la délinquance crée un sentiment d'insécurité."

"Il y a une disproportion entre les pénalités théoriques attachées à certaines infractions, par exemple le vol, les agressions, etc. et ce qui se passe réellement au moment de la condamnation. Les gens ne comprennent pas."

"Trop de victimes ont le sentiment que le classement réel ou supposé d'une infraction dont elles ont été victimes est scandaleux, inadmissible alors que lorsqu'elles sont prises pour défaut de ceinture ou stationnement interdit, souvent par le même gendarme qui leur a notifié le classement, elles sont immédiatement et sans discussion sanctionnées."

"Les gens ont le sentiment que les procédures en matière de police de la route visant les honnêtes gens sont, elles, suivies d'effets alors que les petits voyous courent toujours."

"Pour les parents des jeunes délinquants, l'argent, c'est la valeur de base de notre société, c'est là qu'il faut frapper."

"On nous qualifie d'auxiliaires de justice, nous sommes parfois traités comme des bonnes à tout faire, voire même des supplétifs."

"Il arrive parfois que les relations avec certains procureurs ou substituts soient de nature féodale."

"La victime veut toujours savoir à quoi sert la paperasserie et ce qui va se passer."

"Les Parquets ne dialoguent pas assez avec nous ou pas du tout pour la mise en place du temps réel, pour l'évaluation, pour l'évolution et l'amélioration du système actuel."

"Le temps réel est une charge supplémentaire, un véritable transfert de charges du budget de la Justice au budget de l'Intérieur ou à celui de la Défense."

"Le temps consacré par les gendarmes à la procédure du traitement en temps réel est important, sans compter les responsabilités supplémentaires, par exemple la rédaction d'une convocation par officier de police judiciaire peut prendre entre un quart d'heure et une demi-heure."

"Nous n'avons jamais de la part des magistrats de retour sur le devenir de notre travail."

"Nous ne savons pas ce que deviennent nos procédures, d'où le sentiment que nous avons fait notre travail, mais que les délinquants restent impunis".

"Les réunions d'officiers de police judiciaire organisées par les procureurs sont trop souvent formelles, à base de recadrages et remontrances, sans véritable souci de dialogue".

"Il est parfois difficile de joindre certains Parquets à certaines heures : téléphone encombré, attente parfois longue, pas de permanence le midi, mauvais accueil de certains substituts dérangés la nuit alors qu'ils sont de permanence".

"On met la victime dans un système de médiation où elle se retrouve parfois dans la situation d'accusé".

"Les maisons de justice sont ressenties par certaines victimes comme des parodies de justice".

"Nous n'avons pas toujours connaissance de la politique pénale du Parquet".

"Il est impensable, pour certains "parquetiers", d'expliquer, ne serait-ce que par souci pédagogique, certains classements. Ce serait, pour eux, remettre en cause l'indépendance dont ils sont bardés".

IV. LES AMÉLIORATIONS POSSIBLES

Ces constatations ont conduit votre rapporteur à réfléchir aux solutions qui permettraient d'enrayer les dysfonctionnements précités et de diminuer le taux de classement.

A. L'AUGMENTATION DES MOYENS

Certes, la mission menée par votre rapporteur sur le classement des affaires sans suite conduit à relativiser la responsabilité du manque de moyens dans les dysfonctionnements de la justice puisque, à moyens constants, certaines juridictions parviennent à lutter de manière beaucoup plus efficace contre la délinquance que d'autres grâce à une nouvelle organisation des méthodes de travail.

Pour autant, le manque de moyens financiers et humains constitue la cause principale du dysfonctionnement de la justice et votre rapporteur ne peut qu'en déplorer l'insuffisance.

L'enquête de l'Union syndicale de la magistrature précitée est révélatrice : 431 postes seraient vacants dans les juridictions, soit 7,4% de l'ensemble des postes.

Comme le soulignait, lors de son discours de rentrée en janvier 1998 le procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Strasbourg, M. Edmond Stenger , " le Parquet de Strasbourg dispose depuis douze ans maintenant des mêmes effectifs : 13 magistrats. Pourtant, la délinquance a bien évolué. A l'époque, en 1983, moins de 40.000 procédures étaient adressées et enregistrées au bureau d'ordre du Parquet. Que de réformes depuis cette date, que de contraintes nouvelles, que de sollicitations à participer à ceci ou à cela ! 17( * ) "

Le gouvernement actuel semble avoir pris conscience de ce déficit puisqu'il a annoncé un plan d'urgence pour la justice. En vue de réduire les délais de traitement des litiges et le stock des affaires en instance devant les cours et les tribunaux judiciaires, le gouvernement propose le recrutement exceptionnel de 100 magistrats en 1998 et de 100 supplémentaires en 1999. En outre, devraient être également recrutés 50 conseillers en service extraordinaire, 44 greffiers en chef, 240 greffiers et 450 agents de catégorie C.

Votre rapporteur se félicite de ces mesures tout en insistant sur la nécessité pour la Chancellerie de développer une véritable politique des ressources humaines afin d'anticiper les départs au sein de chaque juridiction pour éviter les vacances de postes.

B. L'AMÉLIORATION DES STATISTIQUES

La mission de contrôle menée par votre rapporteur a révélé les défaillances de l'outil statistique à la disposition de la Chancellerie , aussi bien en ce qui concerne la gestion du personnel qu'en ce qui concerne la délinquance et les motifs de classement sans suite .

Les statistiques relatives à la délinquance sont ainsi incapables de fournir un véritable tableau de bord sur l'évolution de cette dernière, si bien que les Parquets sont contraints de travailler sur les résultats obtenus par les policiers et les gendarmes. A cet égard, certains Parquets ont fait remarquer à votre rapporteur que les statistiques policières connaissent chaque année des modifications dans leurs définitions sans concertation avec la Chancellerie, ce qui rend difficile le suivi de l'évolution de la délinquance d'une année sur l'autre dans certains domaines.

Par ailleurs, il serait indispensable d'améliorer la grille des motifs de classement sans suite en la complétant et en l'harmonisant. La recherche précitée sur l'abandon des poursuites constate que " le motif du classement est invoqué de façon parfois étrange par rapport au circuit de traitement ou au contenu du dossier. L'obligation (pour des besoins informatiques) de cocher un motif de classement sur un imprimé rend cette opération quelquefois artificielle, voire dénuée de tout fondement . " A cet égard, votre rapporteur tient à signaler que certains procureurs de la République demandent à leurs substituts de ne pas utiliser certains codes de la Chancellerie qui leur semblent trop vagues ou ambigüs, comme " laissé à suivre " ou " divers ".

L'étude poursuit : " l'impression globale tirée de l'étude du fonctionnement du Parquet se confirme : les pratiques en matière de classement ne correspondent pas à un traitement standardisé mais à des habitudes propres à chaque section, voire à chaque substitut ou greffier . "

Selon le procureur de la République du Tribunal de grande instance de Colmar, M. René Pech , la nouvelle grille des motifs de classements sans suite mise en place par la Chancellerie en décembre 1997 constitue une avancée très importante. Elle ne permet cependant pas de rajouter des sous catégories pour avoir une vision plus fine des classements. Ainsi, cette nomenclature nationale ne permet pas de distinguer suffisamment toutes les procédures qui relèvent du domaine des alternatives aux classements. C'est pourquoi ce procureur a ajouté aux 20 codes existants, définis par la Chancellerie, 12 codes additionnels.

Liste des codes de classemen t


Codes existants

Codes additionnels

1.

Auteur inconnu

51.

Obligation de faire par OPJ

2.

Pas d'infraction

52.

Obligation de faire par délégué du PR ou PR

3.

Non caractérisé

53.

Classement malgré échec de l'obligation

4.

Poursuite innoportune

54.

Avertissement par lettre

5.

Laissé à suivre

55.

Admonestation verbale par OPJ

6.

Carence du plaignant

56.

Admonestation verbale par délégué PR

7.

Amnistie

57.

Sanction non judiciaire

8.

Retrait de plainte

58.

Eloignement administratif

9.

Action publique éteinte

59.

Régularisation : arrangement spontané

10.

Plaignant désintéressé

60.

Autre classement nécessaire

11.

Transaction administrative

62.

Obligation de faire par substitut

12.

Affaire purement civile

63.

Admonestation verbale

13.

Immunité

 
 

14.

Classement sous condition

 
 

15.

Médiation pénale

 
 

16.

Injonction thérapeutique

 
 

17.

Diffamation et injure

 
 

18.

Recherches infructueuses

 
 

19.

Etat mental de l'auteur

 
 

20.

Divers

 
 

En outre, les motifs définis nationalement par la Chancellerie appellent certains commentaires :

- le motif n °5 " laissé à suivre " paraît particulièrement ambigu et guère différent du motif n °4 " poursuites inopportunes ";

- le motif n °20 " divers " paraît très critiquable en tant qu'il risque de donner matière à toutes les imprécisions possibles ;

- le motif n °3 " non caractérisé " s'avère également très vague.

Votre rapporteur doit toutefois reconnaître que la Chancellerie a tenu compte des remarques des Parquets et qu'elle a récemment engagé une réforme de la statistique pénale. Cette réforme a pour objectif de permettre à l'institution judiciaire de produire des données quantitatives, mais également qualitatives afin d'analyser l'évolution de la délinquance, les réponses judiciaires et les manières d'opérer des tribunaux.

S'agissant de la phase "Parquet", il sera possible de connaître :


l'origine de la saisine
(police, gendarmerie, autres administrations, particuliers...) permettant ainsi de faire le lien avec les statistiques des autres partenaires et renseigner plus aisément ces derniers sur la suite réservée à leurs procédures ;


la nature des affaires reçues par les Parquets
afin d'évaluer le volume des affaires non pénales. Jusqu'à présent, ces dernières qui n'étaient pas identifiables et qui ne pouvaient juridiquement faire l'objet de poursuite valable, étaient nécessairement classées sans suite et venaient artificiellement s'ajouter aux procédures de nature pénale classées sans suite ;


les motifs de classement
afin de quantifier les affaires classées sans suite par grande catégorie : classement pour motifs juridiques (absence d'infraction, infraction insuffisamment caractérisée, prescription, amnistie...), classement pour poursuite inopportune (désistement du plaignant, préjudice ou trouble peu important...), classement après réussite d'une procédure alternative (médiation, rappel à la loi...) et, enfin, classement pour non-identification de l'auteur.

Il sera donc possible de calculer, au plan national mais également tribunal par tribunal, des taux :


d'infractions juridiquement constituées dans les procédures


de classement des infractions pour défaut d'élucidation


de classement sur les infractions poursuivables


de réponse judiciaire sur les infractions poursuivables

Par ailleurs, on pourra croiser la nature des affaires avec le type de motif de classement sans suite.

Il faut également préciser que deux nouveaux domaines seront couverts par le champ de la statistique : l'exécution des peines et les délais de traitement.

En ce qui concerne l'exécution des peines , il sera possible d'évaluer des taux de mise à exécution selon le type de peine prononcée (amende, emprisonnement ferme, emprisonnement avec sursis...) ; la nature de la condamnation (contradictoire, contradictoire à signifier, défaut...) ainsi que le type d'infraction.

En ce qui concerne les délais de traitement , les informations disponibles à ce jour sont quasi inexistantes, alors que l'institution judiciaire est très souvent interpellée sur cette question. C'est pourquoi il est prévu que pour les affaires terminées et quel que soit le type de procédure choisi, on pourra calculer un délai moyen de traitement et de réponse par le Parquet en utilisant les dates des faits, du procès-verbal, de l'enregistrement de la procédure et des principales décisions prises.

Votre rapporteur ne peut qu'approuver cette réforme qui devrait contribuer à une meilleure information sur l'activité des Parquets. Cette plus grande transparence devrait en outre accélérer la réforme des modes de travail dans les Parquets .

En effet, les statistiques devraient révéler de grandes disparités aussi bien dans le taux de classement sans suite que dans les délais de traitement des affaires. Les Parquets les moins productifs seront donc incités à s'inspirer des méthodes de travail des Parquets les plus performants. La réforme des statistiques devrait donc conduire à une plus grande circulation des informations, notamment sur les initiatives locales et, à moyen terme, à
une uniformisation des méthodes de travail dans le sens d'un meilleur traitement de la délinquance.

C. UNE PLUS GRANDE CLARIFICATION DES DÉCISIONS DE CLASSEMENT ET LA POSSIBILITÉ D'UN RECOURS

Il serait hautement souhaitable de modifier les pratiques du classement pour permettre une plus grande clarification des décisions de classement, de leur motivation et des formes de leur notification aux victimes . Jusqu'à présent, les décisions de classement sans suite leur sont notifiées selon une lettre-type très succincte, établie nationalement par la Chancellerie.

Votre rapporteur juge cependant ce texte insuffisant dans la mesure où il ne tient pas compte de la Commission d'indemnisation des victimes, de la clarté de l'explication au plaignant de ses droits, de la précision sur le motif du classement et de l'indication des adresses des services locaux d'aide aux victimes. C'est pourquoi votre rapporteur recommande que ces lettres soient plus personnalisées, plus complètes et qu'elles orientent la victime, le cas échéant, vers d'autres démarches.

Par ailleurs, elles devront comporter une véritable motivation : ainsi, elles ne devront pas se contenter d'indiquer que le classement est prononcé par opportunité, mais devront être précisées les raisons caractérisant cette opportunité . Votre rapporteur se félicite d'ailleurs que certains Parquets aient déjà tiré les conséquences de ces préoccupations et aient pris l'initiative de rédiger des lettres-types pour chaque motif de classement sans suite. Il faudrait maintenant veiller à ce que cette pratique soit généralisée à l'ensemble des Parquets.

A juste titre, plusieurs procureurs de la République estiment que cette évolution doit constituer un contrepoids nécessaire au pouvoir de classement du Parquet . Par ailleurs, une telle motivation du classement participe à l'idée que, si aucune suite judiciaire n'est apportée par le Parquet, celui-ci donne cependant une réponse véritable à la plainte de la victime.

En outre, la motivation du classement devrait à la fois faciliter les recours contre les décisions de classement tout en les limitant, puisque les recours déposés afin de connaître les causes du classement n'auront plus lieu d'être.

A cet égard, votre rapporteur voudrait faire part de sa réserve concernant le projet de loi de la Chancellerie visant à instaurer un recours contre les classements sans suite. En effet, la procédure choisie est extrêmement lourde : le recours est adressé au procureur général qui peut alors enjoindre le procureur de la République d'engager des poursuites. Si ce dernier refuse, le requérant doit alors saisir la commission des recours, composée de magistrats du Siège et du Parquet des différentes Cours d'appel situées dans leur ressort. La commission statue par une décision motivée qui est notifiée au procureur de la République, au procureur général et au requérant. En outre, cette procédure risque de créer des conflits en faisant intervenir des magistrats du Siège dans un domaine qui est de la compétence exclusive des magistrats du Parquet.

C'est pourquoi votre rapporteur estime que cette procédure doit être oubliée au profit d'une procédure beaucoup plus simple et qui existe déjà dans les faits : lorsqu'un plaignant n'est pas d'accord avec la décision de classement du procureur de la République, il écrit au procureur général qui demande à ce dernier un complément d'information et, le cas échéant, l'enjoint de poursuivre. Si ce dernier refuse, le procureur général dispose de moyens, notamment disciplinaires, pour forcer le procureur à poursuivre.

Votre rapporteur tient à faire remarquer que ce cas de figure est extrêmement rare et que, dans la plupart des cas, la demande d'information de la part du procureur général conduit soit à confirmer la décision du Parquet, soit révèle une erreur que le procureur de la République est le premier à reconnaître.

D. LE DÉVELOPPEMENT DU TRAITEMENT EN TEMPS RÉEL ET DE LA TROISIÈME VOIE

Votre rapporteur ne peut qu'encourager le développement du traitement en temps réel. Ce nouveau mode dynamique de traitement des affaires implique une saisine immédiate des magistrats du Parquet dès l'interpellation de l'auteur d'une infraction pénale par les officiers de police judiciaire. Il permet d'apporter des réponses rapides et diversifiées aux actes de délinquance. Il ne saurait cependant dispenser d'un suivi des procédures complexes qui nécessitent un traitement des affaires plus classique.

Ainsi, sur un total de 1.949 décisions rendues par le tribunal correctionnel d'Evreux, la convocation du mis en cause à l'issue de la garde à vue par un officier ou un agent de police judiciaire représente 1.200 affaires, soit 62,5 %, reléguant au second rang la citation directe par le ministère public (28,5 %) qui était le mode habituel de saisine des juridictions il y a quelques années, le solde représentant la saisine du tribunal par l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction.

Cette évolution se traduit par une accélération des procédures lorsque les poursuites sont exercées, mais également par une exécution effective et rapide des sanctions , spécialement des peines de substitution tel que le travail d'intérêt général.

Cependant, le traitement en temps réel ne doit pas être un élément d'un système de vase communiquant qui conduirait à paraître traiter la délinquance de manière immédiate tandis que les procédures ordinaires (enquêtes préliminaires, citations directes et informations) subiraient des retard considérables. Le traitement en temps réel "revivifie" l'action publique mais, à moyens constants, l'énergie qu'il réclame peut conduire les enquêteurs et les magistrats à traiter moins bien les dossiers complexes.

Le second intérêt majeur du traitement en temps réel est de favoriser le recours à des réponses alternatives aux poursuites. En effet, la médiation pénale, le classement de la procédure assortie d'une condition par exemple de remboursement, le simple rappel à la loi ou l'avertissement constituent dans de nombreux cas des mesures beaucoup plus significatives que des poursuites, à la fois pour l'auteur et pour la victime, dès lors qu'elles sont mises en oeuvre dans un temps aussi proche que possible de l'infraction.

Ces modes non juridictionnels de traitement des affaires qui ne peuvent bien sûr pas être étendus à des faits d'une certaine gravité, comportent une dimension essentiellement éducative visant à modifier le comportement du mis en cause en l'incitant notamment à réparer les conséquences de l'infraction . Ils contribuent à la prévention de la récidive qui est un objectif primordial de sécurité.

En outre, la troisième voie permet de pallier la capacité limitée de production de jugement de l'institution judiciaire tout en mettant la justice pénale à la disposition des justiciables...

La troisième voie a cependant aussi ses limites : en effet, son usage peut être dévoyé. C'est le cas lorsque le Président du tribunal de grande instance est "malthusien". Il faut aussi éviter à tout prix que des jugements correctionnels deviennent des médiations faute de capacité de jugement. La troisième voie est en effet inadaptée à la nature ou à la gravité de certaines infractions.

E. L'EXTENSION DE LA PROCÉDURE SIMPLIFIÉE ET L'INTRODUCTION DE L'ORDONNANCE PÉNALE

Comme le fait remarquer le procureur général près la Cour d'appel de Toulouse, M. Jean Volff , dans sa chronique sur l'injonction pénale 18( * ) , l'organisation des audiences est le principal goulot d'étranglement auquel se heurte la justice pénale. " Sauf à augmenter considérablement le nombre de magistrats de l'ordre judiciaire, ce qui poserait des problèmes de statut, de recrutement, de formation et de financement, il ne paraît plus possible de multiplier le nombre des audiences correctionnelles, ni d'en charger davantage les rôles. Or dans le même temps le flux des délits constatés chaque année ne cesse de croître. Le ministère public n'a donc pour seule ressource, s'il veut éviter l'encombrement des tribunaux correctionnels et l'allongement des délais de jugement, que de multiplier les classements d'opportunité . "

Certes, il existe déjà une procédure qui permet d'éviter l'audiencement : c'est la " procédure simplifiée ". Introduite dans le droit pénal français par la loi n °72-5 du 3 janvier 1972 (codifiée par les articles 524 à 528-2 du code de procédure pénale), c'est une procédure de jugement, écrite et non contradictoire, engagée par des réquisitions du ministère public, suivie d'une ordonnance établie par un juge du siège, notifiée enfin par le greffe à la personne en cause.

Conformément à l'article 524 du code de procédure pénale, toute contravention de police, même commise en état de récidive, peut être soumise à la procédure simplifiée.

Toutefois , son domaine mériterait d'être étendu à des délits de faible gravité limitativement énumérés et non contestés au cours de l'enquête par la personne mise en cause comme les contraventions de 5 ème classe et les délits routiers . C'est ce qu'avait tenté de faire le gouvernement, dans le cadre du plan pluriannuel pour la justice, en présentant un texte sur la transaction pénale. Ce texte, largement modifié par le Parlement, a toutefois été censuré par le Conseil constitutionnel qui a estimé que certaines dispositions étaient susceptibles de porter atteinte à la liberté individuelle. Pour autant, sa décision ne condamne pas le principe de la transaction pénale dont on pourrait élargir le domaine.

Votre rapporteur tient à rappeler la proposition du procureur général près la Cour d'appel de Toulouse, M. Jean Volff , qui consiste à instaurer une procédure rapide pour traiter les affaires dont les faits sont reconnus (ce qui correspond à 70 % des affaires dont l'auteur est connu) par extension au domaine correctionnel de l'ordonnance pénale , en vue de prononcer trois types de peines :

- les amendes (jusqu'à un niveau élevé) ;

- les suspensions de permis de conduire ;

- certaines peines restrictives de droits.

Trente à quarante pour cent des affaires pourraient être traitées de cette manière.

A cet égard, votre rapporteur constate que l'avant projet de loi sur la réforme de la justice tente de réintroduire l'ordonnance pénale en permettant au procureur de la République de proposer, à titre de compensation judiciaire, pour un certain nombre de délits et lorsque la personne est majeure et a reconnu avoir commis un de ces délits :


soit de verser une indemnité compensatrice au Trésor public dont le montant ne peut excéder 10.000 francs ;


soit de se dessaisir au profit de l'Etat de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou qui en est le produit ;


soit de remettre au greffe du Parquet du Tribunal de grande instance son permis de construire ou son permis de chasser, pour une période de quatre mois maximum ;


soit d'effectuer au profit de la collectivité un travail non rémunéré pour une durée de 60 heures maximum.

F. LA DÉPÉNALISATION DE CERTAINES INFRACTIONS

Parce que les instances traditionnelles de règlement des petits conflits disparaissent peu à peu, la justice pénale est de plus en plus sollicitée pour traiter de cas qui ne relèvent pas véritablement de sa compétence ou qui sont à la limite de celle-ci.

En outre, la vie sociale tend à être de plus en plus pénalisée. L'article de M. Roland Kessous 19( * ) résume bien cette situation. Alors que le droit pénal devrait voir son champ d'action se rétrécir au profit du droit civil, du droit des affaires, de droit des assurances etc, un nombre croissant de projets ou propositions de lois et de textes réglementaires sont assortis de sanctions pénales en cas d'inexécution. Or, " la plupart des peines ne sont pas appliquées, les Parquets les ignorent même et ce qui devrait être une garantie pour l'application des lois devient un facteur d'affaiblissement de la norme ".

C'est pourquoi il est urgent de limiter au maximum les références aux sanctions pénales. Un premier pas a été accompli avec la dépénalisation des chèques impayés. Il faut accentuer cette tendance afin de recentrer, à moyens constants, les magistrats du Parquet sur le noyau dur de la délinquance, en les dégageant ainsi de contentieux secondaires qui peuvent être traités par d'autres administrations. C'est par exemple le cas des infractions à la coordination des transports.

G. LA DÉFINITION D'UNE POLITIQUE PÉNALE

A plusieurs reprises, le gouvernement a esquissé une politique de lutte contre la délinquance 20( * ) , notamment à travers l'intervention de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, Garde des Sceaux, devant l'Assemblée nationale le 15 janvier 1998 et devant le Sénat le 22 janvier 1998. Cette approche reste cependant, comme ce fut le cas sous les précédents gouvernement, très sectorielle.

Or, une politique de lutte contre le délinquance ne peut être qu'interministérielle et reposer sur un rapport annuel d'évaluation remis au Parlement suivi d'un débat. En ce qui concerne le volet judiciaire de cette politique, les conclusions du rapport de la commission 21( * ) présidée par M. Pierre Truche , ont insisté sur la nécessité d'initier une véritable politique d'action publique en matière judiciaire :

" La notion d'égale application de la loi dans l'acte de poursuivre et de juger implique une autre notion relativement nouvelle, au moins dans sa formulation : la nécessité d'une "politique d'action publique".

Cette notion pratiquement absente des codes a pour objet d'inscrire le traitement individuel des contentieux (opportunité des poursuites) dans un cadre d'ensemble visant à une application cohérente de la loi, en fixant des priorités compte tenu des circonstances et en veillant au respect de l'égalité entre les citoyens.

La tradition française situe la définition de cette politique à trois niveaux : national (ministère de la Justice), régional (procureur général) ou local (procureur de la République, y compris en concertation avec divers partenaires dans les comités de prévention de la délinquance dans l'élaboration et le suivi des plans départementaux de sécurité)... "


Il est donc indispensable d'introduire dans notre code de l'organisation judiciaire cette notion de politique pénale. L'action publique pourrait être définie comme étant la recherche et la définition des conditions dans lesquelles l'application de la loi doit être engagée de manière coordonnée entre plusieurs autorités, compte tenu des circonstances et dans le respect de l'égalité entre les citoyens.

Ceci suppose avant tout un travail interministériel, réalisé sous l'autorité du Premier ministre et coordonné par le Garde des sceaux afin que les différents ministères apportent leur contribution à la définition de cette politique d'action publique et y intègrent dans les meilleurs conditions leurs politiques propres, qui sont aujourd'hui menées de façon trop autonome.

Dans son discours à l'audience de rentrée de la Cour de Cassation (9 janvier 1998), en présence du Président de la République, le procureur général, M.  Jean-François Burgelin , en écho aux réflexions actuelles sur le rôle des Parquets et la notion d'ordre public, a esquissé une nouvelle définition de cette notion :

"Voix de la société auprès des tribunaux, il revient en effet au Parquet de contribuer, par le ministère de la parole et de l'écrit, d'une part à la défense des bases culturelles sur lesquelles est fondée notre vie collective, mais aussi, d'autre part, à l'évolution des esprits.

Défendre nos bases culturelles, c'est prendre et faire prendre en considération l'Etat, nos institutions et les personnes...

Institution d'Etat lui-même, le Parquet a pour premier devoir de participer de toutes ses forces à l'unité et à la sûreté de cet Etat. Terrorisme, criminalité organisée, corruption et violences de toute nature sont les objets essentiels de ce combat sans cesse recommencé.

Sa deuxième tâche est la défense de l'organisation institutionnelle de notre société. C'est la plus ardue, peut-être, à une époque où individualisme, hédonisme et dérision minent, rongent la famille, la spiritualité, le désintéressement et la rigueur. Il faut, pour ce faire, que le ministère public soit bien convaincu que la Nation française n'est pas une simple addition d'individus vivant sur le même territoire, mais une collectivité vivante qui plonge ses racines dans les profondeurs de notre histoire et notre géographie. Nos institutions en sont les fruits : à nous de les protéger, serait-ce sous les ricanements des esprits qui toujours nient !

Au Parquet enfin, conformément aux principes énoncés dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de prendre en considération l'individu, dans sa liberté, sa dignité, et en particulier dans sa faiblesse. Le rôle du Parquet dans la défense des faibles est traditionnel. L'être faible, c'est celui que les circonstances de la vie mettent en état d'infériorité sociale : qu'il soit enfant, détenu ou handicapé notamment.

S'y ajoute l'attention qui doit être portée aux personnes que l'âge et la maladie rendent dépendants ou que la misère des temps laisse sans travail, sans ressource et sans toit.

Mais le Parquet doit contribuer également, disais-je, à l'évolution des esprits. C'est en cela qu'il peut participer aux réformes en cours.

Il s'agit, en fait, de prendre en compte une nouvelle acception de la notion d'ordre public, trop souvent confondue, jusqu'à présent, avec celle d'immobilisme et de refus de la nouveauté...

... Au total, l'ordre public contemporain inclut désormais des dimensions sociales, économiques et internationales que les deux mille magistrats du Parquet de notre pays se doivent de prendre quotidiennement en compte, avec un double souci de maintien d'un certain ordre et de nécessaires évolutions.

Exercice bien difficile, que leur seule compétence juridique ne permet pas d'assurer sans risques d'insuffisance ou d'inadaptation.

Il est nécessaire que l'Etat, seul dépositaire de la légitimité républicaine, assure le contrôle de cet exercice. Comme le rappelait il y a quatre ans, dans un colloque qui se déroulait au Conseil d'Etat, le Premier ministre de l'époque, "dans une société démocratique, c'est l'Etat qui est garant de l'état de droit".

L'indépendance du procureur doit s'entendre comme une nécessité à l'égard des pressions qui pourraient s'exercer sur lui. Elle ne l'autorise pas à mettre en cause, par la mise en pratique de conceptions toutes personnelles, la loi de la Nation et ce que j'appelais les bases culturelles de notre vie collective.

Des membres du Parquet, nos concitoyens sont en droit d'attendre qu'ils fassent preuve de compétence, d'une éthique irréprochable, de culture et de caractère. Les pouvoirs publics y veillent, sous votre haute autorité, monsieur le Président, et sous le contrôle disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature.

La mission du Parquet, c'est d'expliquer aux juges et aux citoyens, procès après procès, ce qu'exige une bonne application de la loi et quelles sont les évolutions souhaitables.

D'accusateur public, qu'il était, le Parquet contemporain devient, de plus en plus souvent, acteur pédagogique, avocat de la société, avocat de la loi, avocat du progrès social.

Evolution profonde dont, je crois, chacun peut se réjouir, puisqu'elle sous-tend à la fois une éthique de conviction quant aux principes fondateurs de la démocratie républicaine et une éthique de responsabilité par une application de ces principes qui tienne compte des profondes inégalités de notre tissu social.. . "


Que peut donc être une politique d'action publique déclinée par chaque procureur de la République en fonction du contexte local ?

Dans son discours d'installation du 23 avril 1998 , M. Jean Pierre Dintilhac , procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Paris, apporte une réponse à cette question.

" Je considère que trois formes de délinquance doivent être prioritairement concernées par l'action pénale, la violence, la corruption et toutes les formes de discrimination.

La violence, tout d'abord ; elle constitue la négation même du droit puisqu'elle a pour objet, et trop souvent pour effet, de substituer à la régulation des relations humaines, par des règles démocratiquement adoptées, la brutalité de la loi du plus fort.

Qu'il s'agisse des actes de terrorisme, forme la plus extrême et la plus insupportable, ou des formes malheureusement plus quotidiennes, toute violence, physique ou sexuelle, est d'autant plus mal ressentie que nos concitoyens aspirent, dans leur très grande majorité, à un mode de régulation des conflits par l'arbitrage, la transaction et la médiation.

La violence doit donc, conformément à la volonté du législateur et à celle du gouvernement être poursuivie et sanctionnée avec célérité et fermeté.

La corruption est une forme de criminalité qui menace toute société qui la laisse impunément se développer, surtout lorsqu'elle provient de collusions politico-affairistes.

L'exigence d'une morale publique, dont chacun ressent la nécessité, implique d'abord que l'exemple de la vertu soit donné par ceux qui exercent des responsabilités.

Aussi, la lutte contre la corruption et la criminalité organisée ne doit être entravée par quelque prétexte que ce soit, surtout lorsque la corruption est le fait de détenteurs de l'autorité publique ou de ceux qui exercent un pouvoir économique, financier, ou social.

Ma troisième priorité porte sur les infractions qui constituent des mesures de discrimination .

Un des grands progrès de notre humanité a consisté à prohiber toutes les formes de discrimination.

Ces infractions rejoignent la violence et, au cours de l'histoire, les violence les plus extrêmes, les plus intolérables, ont toujours été liées à des idéologies fondées sur des discriminations.

Lutter contre ces comportements est donc une nécessité, non seulement parce que toute discrimination, qu'elle soit fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou philosophiques, l'origine nationale ou sociale, les préférences sexuelles, la fortune ou la naissance, constitue une infraction, mais aussi parce que ces atteintes au principe fondamental selon lequel tous les êtres humains naissent et demeurent égaux en dignité et en droits provoquent la rupture des fibres même du tissu social.

La nécessité de mener, prioritairement et de front, la lutte contre les violences, les corruptions et les discriminations confère à la justice, et à tous ceux qui concourent à son action, une place éminente au sein des institutions de la République puisque c'est par son intervention que sont rappelées à tous les règles communes.

Si la justice ne peut assurer le bonheur des hommes, elle doit contribuer à préserver la paix sociale ou, tout au moins, à la rétablir lorsqu'elle est troublée.

Cette fonction impose en tout premier lieu aux magistrats, mais aussi aux fonctionnaires de justice, et à tous ceux qui contribuent à l'action judiciaire, une exigence vis-à-vis d'eux même. Moins encore que la femme de César, celui qui participe à la fonction de justice ne doit être soupçonné.

Le respect dû à la justice doit également se traduire par l'exécution effective des décisions rendues . Aussi, je serai attentif à ce que toutes les condamnations, qu'elles portent sur des peines d'emprisonnement ou sur de simples amendes contraventionnelles, soient bien exécutées.

Il revient à la justice, en appliquant avec fermeté et humanité les règles du droit pénal, d'assurer l'équilibre entre, d'une part, la préservation des fondements culturels essentiels au maintien de l'identité nationale et, d'autre part, les transformations indispensables à notre temps. Elle doit pour cela, ainsi que nous y invitait M. le Procureur Général près la Cour de cassation, à l'audience de rentrée du 9 janvier dernier, s'adapter à l'évolution des esprits, et, je le cite, "prendre en compte une nouvelle acception de la notion d'ordre public, trop souvent confondue, jusqu'à présent, avec celle d'immobilisme et de refus de la nouveauté"..."


Votre rapporteur propose donc que chaque année, les procureurs généraux, les procureurs de la République et les avocats généraux des juridictions procèdent à une évaluation et aux ajustements nécessaires de la politique d'action publique appliquée dans le ressort de leurs juridictions. Ce serait l'occasion de mettre en exergue les difficultés rencontrées dans l'exercice de cette mission.

LES PROPOSITIONS

A. LES MESURES POUR AMÉLIORER L'OUTIL STATISTIQUE ET INFORMATIQUE

- Créer un outil statistique performant permettant de connaître, pour chaque juridiction, la nature des affaires dont sont saisis les Parquets, l'origine des saisines, les motifs de classement et les délais de traitement des affaires ;

- Informatiser les mains courantes afin de pouvoir faire des recoupements sur les agissements de certains délinquants ;

- Informatiser les enregistrements par le bureau d'ordre des procès-verbaux et plaintes dont il est saisi pour faciliter leur gestion et éviter la perte de dossiers ;

- Mettre en place dans les départements des outils informatiques nécessaires pour créer un réseau entre les différentes administrations chargées de lutter contre la délinquance et les autorités judiciaires ;

- Mettre à la disposition des magistrats du Parquet un outil statistique précis et décentralisé sur le phénomène de la délinquance ;

- Développer un outil statistique pour identifier les causes structurelles des mouvements collectifs de violence  et connaître la réalité de l'organisation, de la préméditation, de la récupération et de la manipulation de ces formes de la délinquance ;

- Créer une mission parlementaire afin d'évaluer au niveau local et national d'une part les pratiques de la troisième voie (médiation, administration, classement sous conditions) et, d'autre part, le traitement en temps réel des infractions ;

B. LES MESURES POUR RENFORCER LA COOPÉRATION ENTRE LES SERVICES ET AUGMENTER LA FLUIDITÉ DE L'INFORMATION

- Informer les services de police et de gendarmerie des suites données aux enquêtes par les Parquets, notamment en instituant un représentant désigné par le Parquet en lien avec les commissariats et pouvant répondre en temps réel aux demandes de renseignements des policiers. Le cas échéant, envoyer une copie de la date d'audience ;

- Instituer des séances de travail entre les procureurs, les directeurs de la sécurité publique et les commandements de groupements de gendarmerie nationale pour définir les grandes orientations de la politique pénale et assurer sa lisibilité auprès des services chargés de l'appliquer ;

- Mieux impliquer les fonctionnaires de police et les militaires de la gendarmerie dans la lutte contre la délinquance en multipliant les contacts avec les magistrats du Parquet afin que se crée un esprit d'équipe ;

- Etablir des bilans à intervalles réguliers sur le traitement en temps réel pour évaluer les méthodes de travail et régler les éventuels dysfonctionnements, notamment en ce qui concerne l'application des articles 12, 13, 41 et D1er du code de procédure pénale qui disposent que la police judiciaire est exercée " sous la direction du procureur de la République, sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre d'accusation " ;

- Renforcer les relations de travail entre le Parquet et le Siège afin de connaître précisément les capacités de jugement du Siège et de négocier avec lui l'aménagement des audiencements pour éviter l'enlisement des affaires traitées selon la procédure du traitement en temps réel ;

- Mettre en place un secrétariat permanent au sein du Parquet chargé des relations avec les élus locaux et organiser des relations à intervalles réguliers entre le Parquet et les maires sur la stratégie à adopter en matière de lutte contre la délinquance ;

- Mettre en oeuvre la politique pénale du gouvernement par des circulaires et directives interministérielles. Trop souvent les Préfets ne s'estiment pas liés dans ce domaine par une circulaire du seul ministre de la justice, de même que les procureurs généraux et les procureurs ne s'estiment pas liés par une circulaire du seul ministre de l'Intérieur. Il en est de même pour les autres services de l'état associés à la lutte contre la délinquance ;

C. LES MESURES POUR RENFORCER LE RÔLE ACTIF DU PARQUET DANS LA LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE

- S'assurer, de la part du procureur général, que la politique pénale définie par la Chancellerie est bien appliquée par tous les procureurs de la République du ressort de la Cour d'appel ;

- S'assurer, de la part du procureur de la République, que la politique pénale affichée ne fait pas l'objet d'interprétations divergentes de la part de ses substituts ;

- Accompagner toute nomination de procureur d'une lettre de mission précisant les objectifs à atteindre ;

- Utiliser de manière plus systématique les services d'inspection du ministère de la Justice pour s'assurer que les grandes orientations et les instructions du Garde des Sceaux sont prises en compte par l'ensemble des juridictions ;

- Elargir le champ d'application de la procédure simplifiée ;

- Systématiser le recours à la troisième voie chaque fois que son utilisation est possible ;

- Instaurer l'ordonnance pénale pour le traitement de toutes les contraventions et de certains délits ;

- Créer dans chaque Parquet des bureaux d'enquête pour gérer les affaires (enregistrement, classement des éléments fournis au magistrat et des instructions qu'il a données...) et suivre le déroulement de l'enquête (faire procéder à tous examens techniques utiles à la manifestations de la vérité, faire vérifier la situation sociale et matérielle du mis en cause...) ;

D. LES MESURES POUR RENDRE L'EXÉCUTION DES PEINES PLUS EFFECTIVE

- Etendre le recours au traitement en temps réel jusqu'au recouvrement des peines d'amendes ;

- Rationaliser le système de l'exécution des peines, notamment en ayant un suivi des disponibilités du Comité de Probation et d'Assistance aux Libérés (CPAL) en travaux d'intérêt général ; organiser avec le concours du comité précité des permanences à la sortie de l'audience pour permettre la prise en charge immédiate des condamnés ; saisir systématiquement le juge d'application des peines des situations des condamnés ayant à purger une ou plusieurs peines d'emprisonnement dont le total est inférieur ou égal à un an afin d'envisager des possibilités d'aménagement ; communiquer, dans les meilleurs délais les décisions pénales au service du casier judiciaire; transmettre à l'établissement pénitentiaire où est écroué le condamné les informations permettant une meilleure orientation du détenu ; accélérer la transmission des pièces d'un dossier à la Cour d'appel dès lors qu'un appel a été interjeté ;

- Développer la procédure du jour-amende pour renforcer l'exécution des peines d'amende ;

- Instaurer des relations régulières et concrètes entre le Parquet et le juge d'application des peines de façon à assurer l'exécution, dans les meilleurs délais, des sanctions prononcées ;

- Supprimer la pratique des seuils à partir desquels les amendes ne sont plus recouvrées ;

- Insérer dans l'article 133-4 du code pénal une disposition tendant à ne faire courir le délai de prescription pour les peines d'amende qu'à compter du premier acte de recouvrement.

E. LES MESURES POUR LUTTER CONTRE LA DÉLINQUANCE DES MINEURS

- Développer une politique pénale spécifique en direction de la primo-délinquance afin d'apporter une réponse judiciaire à toute infraction commise par une mineur ;

- Aménager le principe de l'irresponsabilité des mineurs pour pouvoir lutter efficacement contre l'explosion de la délinquance juvénile ;

- Mettre en place dans les écoles, collèges, lycées une formation civique sur la nécessité de règles communes pour le bon fonctionnement de la vie sociale ;

- Mettre fin à la banalisation du premier acte de délinquance ou à la banalisation de certaines formes de vols ou d'agressions ;

F. LE DÉVELOPPEMENT D'UNE NOUVELLE POLITIQUE PÉNALE

- Définir et mettre en oeuvre une politique globale de lutte contre la délinquance ;

- Prévoir chaque année devant l'Assemblée nationale et le Sénat un débat d'orientation sur la politique pénale du gouvernement, ce débat devant impliquer le ministre de l'Intérieur et celui de la Défense ;

- Introduire dans le code de procédure pénale la notion de " politique d'action publique " ;

- Etablir une politique pénale lisible pour les autres partenaires de la chaîne pénale ;

- Instaurer une loi de programmation de lutte contre la délinquance commune aux différents ministres concernés, notamment ceux de la justice, de l'Intérieur et de la Défense... ;

- Donner des directives interministérielles impératives (circulaires du Premier ministre) d'application des dispositions de l'article 40 alinéa 2 du code de procédure pénale par toutes les administrations ;

- Rendre publiques les directives et circulaires concernant la politique pénale et la conduite de l'action publique. La plupart en effet sont confidentielles ;

- Mettre en place des outils d'évaluation systématiques des politiques pénales ;

G. AUTRES MESURES

- Reconsidérer l'organisation de la justice sur le territoire national et expérimenter la départementalisation des Parquets dans certaines juridictions " pilotes " ;

- Lancer une réflexion sur le renforcement de chaque maillon de la chaîne du traitement de la délinquance à partir de trois principes : une meilleure organisation, des moyens supplémentaires et des méthodes rénovées puis expérimenter cette réforme dans quelques départements en donnant aux différents services de l'Etat les moyens financiers et humains nécessaires pour sa réussite ;

- En période de crise (violence dans les banlieues, prises d'otages,...), mettre sur pied une cellule de crise afin de suivre en temps réel l'évolution des situations, définir les responsabilités de chacun et prévenir ou régler les éventuels conflits entre autorités administratives et autorités judiciaires. Faire ensuite un bilan des réponses apportées au traitement de la situation de crise ;

- Instaurer dans chaque juridiction un service d'information destiné à présenter et commenter la nature, l'ampleur et la portée des jugements ou arrêts pénaux ;

- Procéder à un toilettage de tous les textes législatifs et réglementaires comprenant une disposition pénale par le biais de la création d'une commission ad hoc du type commission de codification ;

- Restaurer la paix sociale par la reconquête de certains quartiers qualifiés pudiquement de " territoires de moindre droit " en s'inspirant de l'expérience menée en Seine Saint-Denis sous l'égide du procureur de la République de Bobigny, grâce aux Groupes Locaux de Traitement de la Délinquance, réunissant justice, police, maires et associations de quartier autour de projets de sécurisation et de prévention de la délinquance ;

- Etendre l'utilisation de la procédure de traitement en temps réel à toutes les juridictions et élargir son champ d'application à de nouvelles affaires (droit du travail, urbanisme, droit de l'environnement...) ;

- Confier l'audiencement des affaires pénales au Président de la juridiction, principalement dans les grandes juridictions. Dans le système en vigueur, l'une des parties, en l'occurrence le Parquet, peut choisir la formation qui jugera l'affaire ;

- Faciliter et rendre plus effective l'action des contrôleurs dans les transports publics en les autorisant à retenir les contrevenants qui refusent de décliner leur identité afin de pouvoir en rendre compte immédiatement à tout officier de police judiciaire qui pourra alors se faire présenter sur le champ le contrevenant ;

- Développer une véritable politique de communication au sein du ministère de la justice afin de privilégier l'information objective et complète du public et de lutter contre la tendance au sensationnalisme de certains médias ;

- Simplifier et renforcer la coopération entre les autorités judiciaires des Etats membres de l'Union Européenne ;

- Créer, au niveau de l'Union Européenne, une catégorie d'infractions identiques permettant d'appréhender dans les mêmes termes les auteurs d'infractions économiques et financières, idem pour le domaine du trafic de drogues, etc.

LISTE DES AUDITIONS, ENTRETIENS
ET CONTRIBUTIONS ÉCRITES

JUSTICE

- Pierre TRUCHE, Premier Président de la Cour de Cassation

- Jean-François BURGELIN, Procureur général près la Cour de Cassation,

- Claude JORDA, Ancien Procureur près la Cour d'Appel de Paris

- Christian VIGOUROUX, Directeur de cabinet du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice

- Marc MOINARD, Directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la Justice

- François FALLETTI, Procureur général près la Cour d'Appel de Lyon

- Olivier DROPET, Procureur général près la Cour d'Appel de Colmar

- Jean VOLFF, Procureur général près la Cour d'Appel de Toulouse

- Christian RAYSSEGUIER, Procureur général près la Cour d'Appel de Rouen

- Jean-Marie COULON, Président du Tribunal de Grande Instance de Paris

- Jean-Christophe ERARD, Conseiller chargé des relations avec le Parlement auprès du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice

- Jean-François BEYNEL, Conseiller chargé de la politique pénale et d'exécution des peines, des grâces et de la libération conditionnelle auprès du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice

- Gabriel BESTARD, Procureur général près la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence

- Jean BERKANI, Procureur de la République d'Evreux

- Nicole MAESTRACCI, Conseiller à la Cour d'Appel de Paris, déléguée à l'application des peines

- Francis FRECHEDE, Procureur de la République de Toulouse

- Jean-Paul SIMONNOT, Procureur de la République de Bobigny

- Pierre MOREAU, Premier substitut du Tribunal de Grande Instance de Bobigny

- Patrick BEAU, Substitut général près la Cour d'Appel de Colmar

Les procureurs du ressort de la Cour d'Appel de Lyon :

- Christian HASSENFRATZ (Lyon)

- Françoise PICCOT (Bourg en Bresse)

- Franck TAISNE (Belley)

- Laure BOURREL (Montbrison)

- Alain VERCIER (Saint-Etienne)

Les membres du Parquet général près la Cour d'Appel de Lyon :

- Jean-Olivier VIOUT, Premier avocat général

- Christian CADIOT, Substitut général

- Philippe COURROYE, Substitut général

Les procureurs du ressort de la Cour d'Appel de Colmar :

- Edmond STENGER, Procureur de la République de Strasbourg

- René PECH, Procureur de la République de Colmar

- Madeleine SIMONCELLO, Procureur de la République de Saverne

- Michel SENTHILLE, Procureur de la république de Mulhouse

GENDARMERIE

- Bernard PREVOST, Directeur général

- Général d'Armée Yves CAPDEPONT, ancien Major général

- Colonel Loïc CORMIER, Chef du bureau Police judiciaire à la Direction générale

- Colonel Claude MEYER, Commandant la Légion de Gendarmerie Départementale d'Alsace

- Lieutenant-Colonel Michel COMMUN, Commandant le Groupement de gendarmerie du Haut-Rhin

- Capitaine Michel BALLAND, Commandant la Compagnie de Thann

- Capitaine Denis LORANG, Commandant la Compagnie d'Altkirch

- Lieutenant-Colonel Guy LEBORGNE, Commandant le Groupement de Gendarmerie du Val d'Oise

- Chef d'escadron Roland BLANCHET, Commandant la Compagnie de Cergy-Pontoise

- Adjudant-Chef Claude MATHEY, Commandant la Brigade de Cernay et les gendarmes de la Brigade

- Adjudant Pierre BOECKLER, Commandant la Brigade d'Illfurth et les gendarmes de la Brigade

- Lieutenant Yves LACOINTE, Commandant la Bridade de Jouy le Moutier et les gendarmes de la Brigade

POLICE NATIONALE

- Alain QUEANT, Conseiller technique au cabinet du Préfet de Police de Paris, coordinateur à la sous-direction de la police judiciaire, commissaire divisionnaire

- Pierre CAVIN, Sous-directeur de la police judiciaire à la Préfecture de Police de Paris

- Bernard LAITHIER, Commissaire principal - commissariat des Halles du 1 er arrondissement de Paris

- Jean-Luc FAIVRE, Directeur départemental de la sécurité publique du Bas-Rhin, commissaire central de Strasbourg, commissaire divisionnaire

- Jean GUILLOT, Directeur départemental de la sécurité publique du Haut-Rhin, commissaire divisionnaire

- Didier CHRISTINI, Commissaire principal, chef du Service d'investigation et de Recherche (S.I.R.) de Mulhouse

- André-Michel VENTRE, Secrétaire Général du Syndicat des commissaires de police

MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES

- Fernand EGEA, Administrateur civil, chef du bureau C2 de la direction de la comptabilité publique

- Georges BERTHELOT, Trésorier payeur général de l'Ain

- Gérard SCRIBOT, Trésorier payeur général de l'Oise

- Vincent LOUVET, Trésorier payeur général de Seine-Saint-Denis

- Claude PICARD, trésorier payeur général du Haut-Rhin

- Bernard THOYER, Trésorier payeur général du Bas-Rhin

- Bernard GOSSELIN, Trésorier payeur général de l'Aisne

SNCF

- Paul MINGASSON, secrétaire général.



1 La suppression du critère de l'opportunité conduirait à poursuivre sans discernement toute infraction constituée sans évaluer la gravité, les circonstances de sa commission ou les traits de personnalité de son auteur. Un tel système implique des moyens en hommes considérables et conduit bien souvent, d'après l'expérience des pays qui le pratiquent, à rédiger des décisions où l'on explique sous forme légale qu'il était inopportun de poursuivre ou de condamner. Le maniement éclairé du pouvoir d'opportunité va de pair avec la qualité de magistrat reconnue aux procureurs.

2 Cf "L'abandon des poursuites par le Parquet" de Bruno Aubusson de Cavarlay, René Lévy et Laurence Simmat-Durand dans le "Bulletin d'information du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales", mai 1990 III.2

3 Cf discours de M. Christian Raysseguier , procureur général près la Cour d'appel de Rouen, lors de l'audience solennelle de rentrée judiciaire.

4 Cf entretien avec le procureur général près la Cour d'appel de Lyon, M. François Falletti.

5 Cf. "La République pénalisée" d'Antoine Garapon et de Denis Salas, Hachette, collection questions d'actualité, 1996

6 Cf. Rapport établi en 1994 par le comité de réorganisation et de déconcentration du ministère de la justice, présidé par M. Jean-François Carrez (octobre 1993) sur la carte judiciaire.

7 Cf communiqué du ministère de l'Intérieur du 26 mars 1997 : "depuis le début de l'année, la criminalité et la délinquance constatées en France par les services de police et de la gendarmerie nationales enregistrent une nouvelle baisse sensible de 4,08 % par rapport à la même période de 1996. La délinquance sur la voie publique est en diminution de 5,41 % depuis le début de l'année. Cette baisse confirme celle déjà enregistrée au cours des deux dernières années qui était de l'ordre de 10 %. Ces chiffres sont le résultat de l'action efficace et déterminée de l'ensemble des personnels qui concourent à la sécurité intérieure et des réformes engagées depuis deux ans, notamment celle concernant l'organisation et le fonctionnement de la police nationale."

8 Lors de son intervention au Sénat au cours du débat sur le budget de la justice le 7 décembre 1994 (Journal Officiel, page 6925), votre rapporteur, après avoir rappelé les termes de l'article 40 du code de procédure pénale, avait posé la question suivante : "les services de police spécialisés, tels que les renseignements généraux, la direction de la surveillance du territoire ou l'ancienne police de l'air et des frontières, les préfets et sous-préfets, les chambres régionales des comptes à l'occasion d'un contrôle des comptes ou de légalité sont-ils tenus d'appliquer les dispositions légales que je viens de rappeler ? Il avait demandé en outre, si, d'une part, il était envisagé de "modifier les dispositions de l'article 40 pour les assortir de sanctions" et d'autre part, si "en attendant cette modification législative, c'est-à-dire dans l'immédiat, il était envisagé de "rappeler, par exemple par le biais d'une circulaire conjointe des ministères de la Justice, de l'Intérieur, du Budget et de la Fonction publique, l'existence de cet article et l'obligation qui y est attachée". Au cours du même débat (Journal Officiel, page 6942), le ministre de la Justice Pierre Méhaignerie avait répondu : "En ce qui concerne l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, j'envisage de proposer au Premier Ministre de diffuser une circulaire destinée à rappeler aux administrations ce principe fondamental pour le bon fonctionnement des diverses institutions". Les questions écrites qui s'en sont suivies pour rappeler au ministre les engagements pris ont donné lieu à des réponses tardives et évasives. Ainsi, le 2 février 1995 (Journal Officiel page 236 question écrite n° 9616), votre rapporteur a reposé pour la première fois ces deux questions. Après plusieurs relances (question écrite n° 10456 du Journal Officiel du 23 février 1995, page 672 ; question écrite n° 11174 du Journal Officiel du 15 juin 1995, page 1228 ; question écrite n° 11175 du Journal Officiel du 15 juin 1995, page 1228), le Ministre a répondu (Journal Officiel du 10 août 1995, page 1592) qu'il avait pris bonne note de l'engagement de son prédécesseur d'élaborer une circulaire interministérielle rappelant les dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale. Il a informé l'honorable parlementaire qu'une réflexion préalable était actuellement menée par la Chancellerie. Enfin, le ministre précisait que "les dispositions de l'article 40 du code de la procédure pénale, sont de portée générale et ont vocation à s'appliquer à toutes les personnes énumérées dans la question écrite, dès lors que la connaissance de l'infraction a été acquise dans l'exercice de leurs fonctions. Il ajoutait que ce texte, bien que faisant actuellement l'objet d'une étude par les services de la chancellerie, n'avait pas donné lieu à la publication d'une circulaire interministérielle (Journal Officiel du 28 septembre 1995, page 1859 ; Journal Officiel du 5 octobre 1995 page 1904 ; Journal Officiel du 11 janvier 1996, page 66). La dernière question écrite sur le sujet est restée jusqu'ici sans
réponse (n° 4848 du 11 décembre 1997 page 3431).

9 Le juge prononce une sanction sous la forme d'un nombre de jours (de prison potentielle) affectés d'un taux d'amende. En cas de non paiement de l'amende, le condamné doit exécuter un emprisonnement égal à la moitié du nombre de sous-amendes prononcés.

10 La première catégorie correspond strictement à la constatation de la non occupation d'un poste budgétaire. La seconde prend en compte l'effectif réel de la juridiction, déduction faite des divers congés, mises à disposition et décharges d'activité.

11 Cf intervention au congrès du Syndicat des Commissaires et Hauts fonctionnaires de Police Nationale le 2 mars 1998.

12 Le 26 janvier 1998, dans son discours sur l'évolution de la délinquance en France en 1997, M. Claude Guéant , directeur général de la police nationale, rappelait : " si le taux d'élucidation des infractions pour l'ensemble des services s'établit à 29,47%, soit un niveau proche de 1996, je tiens cependant à souligner l'augmentation du taux d'élucidation des affaires judiciaires de 25% en quatre ans dans les zones de sécurité publiques. La mise en place dans un certain nombre de circonscriptions de sécurité publique d'un service de quart destiné à traiter en temps réel le judiciaire apparaît à cet égard avoir joué un rôle déterminant . "

13 Cf "Le traitement en temps réel des procédures pénales dans les TGI à six chambres et plus", memento pratique du ministère de la Justice, mars 1996.

14 Cf  "Le traitement en temps réel des procédures pénales dans les TGI à deux chambres", memento pratique du ministère de la Justice, octobre 1995, page 26.

15 A plusieurs reprises votre rapporteur a tenté d'obtenir du Gouvernement ou du Parlement la mise à plat des règles, us et coutumes qui régissent les relations entre les Parquets et les services de police judiciaire afin de les clarifier et de les simplifier, et de mettre fin à certaines ambiguïtés qui suscitent régulièrement des conflits dans certaines affaires "sensibles" (Cf. Sénat n° 63 session ordinaire de 1996-1997, proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête chargée d'examiner les modalités d'organisation et les conditions de fonctionnement des services de police et de gendarmerie dans leurs missions de police judiciaire et de vérifier l'application, par ces services, des dispositions du code de procédure pénale concernant la direction, le contrôle et la surveillance de la police judiciaire). Cette question toujours d'actualité est toujours sans réponse.

16 Cf annexe relative à la note de présentation sur la création de structures de prévention de la délinquance en zone gendarmerie, préfecture du Haut-Rhin

17 En 1995, le nombre de procès-verbaux enregistrés au bureau d'ordre s'élevait à 82.598.

18 Cf Jean Volff : "Un coup pour rien ! L'injonction pénale et le Conseil constitutionnel", dans Chronique du recueil Dalloz Sirey, 1995.

19 Cf Roland Kessous : "Les relations du politique et du judiciaire" dans "Après-demain", octobre -novembre 1997.

20 Cf document d'orientation : une réforme pour la justice (29 octobre 1997)

21 Cf rapport de la commission de réflexion sur la justice, juillet 1997, collection des rapports officiels.

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