V - L'EMBRYON IN VITRO : AMBIGUÏTÉS JURIDIQUES ET ATTENTES SCIENTIFIQUES

Comment favoriser la recherche indispensable au progrès médical tout en sauvegardant le principe du " respect de l'être humain dès le commencement de sa vie " ? Cette question, qui fut au centre des débats relatifs à la protection de l'embryon, lors de l'élaboration de la loi de 1994, se retrouvera posée à l'occasion de sa révision car elle n'a reçu, il y a cinq ans, qu'une réponse imparfaite dont bon nombre des personnalités que nous avons auditionnées ont critiqué l'insuffisante clarté. Soulignant l'ambiguïté du compromis auquel s'est arrêté le Parlement, MM. François STASSE et Frédéric SALAT-BAROUX ont pu y voir une " malfaçon législative " . Selon eux, la question aujourd'hui posée est de savoir s'il est préférable de se cantonner dans cette situation floue ou d'adopter une position plus nettement tranchée. C'est là un vrai problème de fond dès lors que l'on est sur la voie, dans les pays où l'expérimentation est autorisée, de découvertes fondamentales touchant la multiplication cellulaire qui trouveront des applications décisives, notamment en cancérologie .

Le législateur français peut-il ignorer cet environnement international et s'en tenir à un protectionnisme juridique, qui se révèle parfois illusoire ? La vocation de ce rapport n'est pas, sur ce point comme sur d'autres, de prendre position mais d'éclairer la réflexion en mettant en évidence les aspects de la loi qui posent problème et en rendant compte des critiques et suggestions qui nous ont été présentées par nos divers interlocuteurs.

1. L'embryon in vitro et la loi de 1994

1.1. L'embryon hors des catégories du droit en l'absence d'un statut explicite

Alors que le Conseil d'Etat, par deux arrêts du 21 décembre 1990, avait traité l'embryon humain comme une personne ayant droit à la vie au sens de l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, les amendements allant dans le même sens ont été écartés lors des débats de 1994, afin d'éviter qu'une reconnaissance juridique aussi explicite ne conduise à une remise en cause de la loi du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse. Faute d'une définition sur laquelle un accord semblerait difficile , l'embryon in vitro se trouve donc dépourvu d'une personnalité juridique sur la portée de laquelle on peut, il est vrai, s'interroger. " Plaider pour une personnalité juridique accrochée à un sujet de droit sans droit peut s'avérer dangereux car cela reviendrait à créer une catégorie de sous-personnes, de sous-sujets de droit. Ce serait le retour à une situation disparue depuis l'abolition de l'esclavage. "

Ne reconnaissant pas à l'embryon la qualité de sujet de droit, le législateur a néanmoins voulu assurer sa protection en énonçant, dans l'article 16 du Code civil, que " la loi [...] garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie " , affirmation qui reprend, sous une forme plus protectrice (" sa vie " et non " la vie "), le principe énoncé dans la loi de 1975. Mais la portée de cette règle a été sensiblement relativisée par la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994. Répondant au grief fait aux dispositions de la loi qui autorisent la destruction des embryons conçus avant sa promulgation, le Conseil a posé que le législateur avait " estimé que le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie n'était pas applicable aux embryons fécondés in vitro " et jugé que le choix ainsi fait relevait du pouvoir d'appréciation du législateur.

Ainsi que le souligne un commentateur, le constat est que le législateur de 1994, en s'abstenant de préciser de façon explicite comment l'embryon humain doit être traité, n'a guère contribué à clarifier son statut. Il n'exclut nullement l'embryon, fût-il in vitro, du champ d'application du principe du respect de l'être humain dès le commencement de sa vie. Cependant, le Conseil constitutionnel lui reconnaît le pouvoir d'appliquer cette exclusion à l'embryon in vitro .

Dès lors, le statut de l'embryon se déduit indirectement des limites posées par la loi à son utilisation : " législation vide de symbole " pour un commentateur critique qui souligne que " la loi est limitée à un encadrement gestionnaire et utilitaire qui procède par renvoi massif au corps médical " , ou " quasi-statut " selon l'expression déjà citée de M. SALAT-BAROUX.

1.2. Un statut implicite déduit d'un certain nombre de règles protectrices

Les principaux éléments de ce statut sont rappelés par le Conseil d'Etat dans son rapport public de 1998 :

o un embryon ne peut être conçu in vitro que dans le cadre et selon les finalités d'une assistance médicale à la procréation telle que définie à l'article L 152-2 du Code de la santé publique (article L 152-3) ;

o un embryon humain ne peut être conçu ni utilisé à des fins commerciales ou industrielles (article L 152-7) ;

o un embryon ne peut être conçu in vitro à des fins d'étude, de recherche ou d'expérimentation ;

o toute expérimentation sur l'embryon est interdite (article L 152-8).

Deux dispositions viennent tempérer cette dernière interdiction :

o l'autorisation du diagnostic préimplantatoire, forme spécifique d'investigation sur l'embryon destinée à prévenir la survenance chez un enfant d'une maladie génétique d'une particulière gravité et pouvant conduire à la destruction de l'embryon (article L 162-17) ;

o la possibilité de mener à titre exceptionnel des études sur les embryons d'un couple avec son accord (article L 152-8 alinéa 3).

La portée de cette disposition et ses modalités d'application, précisées par le décret du 27 mai 1997, ont suscité nombre d'interrogations et de critiques dont il convient de rendre compte.

1.3. L'embryon et la recherche : la difficile interprétation de l'article L 152-8 du Code de la santé publique

Une première distinction a pu être établie par les commentateurs quant à la portée de cet article :

o les études et expérimentations sur l'embryon in utero relèvent de la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, la mère se trouvant, dans ce cas, directement impliquée ;

o les études conduites sur l'embryon in vitro sont régies par l'alinéa 3 de l'article L 152-8.

Ces études, menées après l'accord du couple, doivent avoir une finalité médicale et ne peuvent porter atteinte à l'embryon. Elles ne peuvent être entreprises qu'après avis conforme de la CNMBRDP.

La position adoptée par le législateur se fonde donc sur une distinction entre l'expérimentation, interdite parce qu'elle peut porter atteinte à l'intégrité de l'embryon, et l'étude, notion dont le contenu n'est pas facile à cerner :

o S'agit-il d'une simple observation ? Son utilité risque d'être limitée pour les progrès de la médecine embryonnaire.

o S'agit-il d'une investigation ? Dans ce cas, le prélèvement de cellules qui en résulte peut porter atteinte à l'intégrité de l'embryon.

Le décret a précisé que portent atteinte à l'intégrité de l'embryon les études qui ont pour objet ou qui risquent d'avoir pour effet de modifier son patrimoine génétique ou d' altérer ses capacités de développement . Cette précision est dans la logique de la loi qui, contrairement à l'avis du CCNE du 15 décembre 1986, ne distingue pas entre embryons destinés à être transplantés et ceux pour lesquels la transplantation ne peut être envisagée. Notons à ce propos que dans l'avis qu'il a rendu public le 23 novembre 1998 sur les aspects éthiques de la recherche impliquant l'utilisation d'embryons humains, le Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne estime artificielle la distinction qui serait opérée entre les recherches impliquant la destruction de l'embryon et celles qui préserveraient l'embryon afin de conduire à la naissance d'un bébé. " En effet, en l'état actuel des connaissances et des techniques, l'implantation, dans l'utérus, d'un embryon ayant fait l'objet préalablement d'une recherche et qui est donc susceptible d'être endommagé, constituerait un risque éthiquement inacceptable " . A suivre cette analyse, la notion d'étude ne portant pas atteinte à l'embryon exclut donc tout acte invasif et ne correspond évidemment pas à l'attente des praticiens.

Quant à la finalité médicale des études, la définition qu'en donne le décret est double :

o présenter un avantage direct pour l'embryon concerné, notamment en vue d'accroître les chances de réussite de son implantation ;

o contribuer à l'amélioration des techniques d'AMP, notamment par le développement des connaissances sur la physiologie et la pathologie de la reproduction humaine.

Finalité thérapeutique pour les uns, visées cognitives pour les autres, là encore, les interprétations divergent sur le contenu de la loi et soulignent la nécessité d'une remise sur le métier pour mettre fin à ce que Mme NEIRINCK qualifie de " clair-obscur législatif ".

On citera pour conclure sur ce point le commentaire livré par le professeur Axel KAHN : le législateur a voulu rendre la recherche possible sans en banaliser l'objet. Ce compromis est générateur de redoutables incertitudes. La pire des situations, pour un biologiste, est que naisse de son action un enfant handicapé. Or la loi actuelle, en interdisant toute recherche sur l'embryon qui nuirait à son développement, conduit précisément à cette situation puisque la seule façon de respecter cette obligation est de laisser le développement se poursuivre quelles que soient les anomalies dont ce projet d'être humain est porteur .

Dernière contradiction de la loi, celle-ci protège l'intégrité de l'embryon dans le cadre de la recherche mais autorise par ailleurs la destruction, dans un délai de cinq ans, des embryons surnuméraires créés avant sa promulgation. On verra plus loin que certains en tirent argument pour que soit admise l'expérimentation sur ces embryons conservés et voués à la destruction. On se bornera à constater que le législateur se trouvera confronté, lors de la révision, à une situation inchangée sur le plan des principes et aggravée sur le plan pratique puisqu'il devra statuer sur le sort des milliers d'embryons conçus depuis la promulgation de la loi et abandonnés, la procédure d'accueil par un autre couple, seule possibilité alternative à leur disparition, n'ayant pas été jusqu'ici mise en oeuvre et ne pouvant, en tout état de cause, résoudre le devenir que d'un très petit nombre d'entre eux.

La publication tardive, en mai 1997, du décret d'application de l'article L 152-8 limite, sur ce point, la portée du travail d'évaluation. La CNMBRDP, dont l'avis conforme est requis préalablement à l'autorisation des études, a considéré que le texte s'appliquait aux recherches non invasives et aux embryons morts, à ceux dont le développement s'est arrêté ou que l'on peut qualifier de " non viables " . Six projets d'études lui avaient été soumis à la fin de l'année 1998. Un seul d'entre eux posait problème dans la mesure où il s'agissait d'une demande, en vue de la mise au point des techniques de diagnostic préimplantatoire, sur un embryon triploïde mais toujours en développement.

1.4. Le diagnostic préimplantatoire sur l'embryon in vitro : une mise en pratique retardée

Après en avoir envisagé l'interdiction, le législateur de 1994 n'avait autorisé le diagnostic préimplantatoire qu'à titre exceptionnel et en soumettant sa mise en oeuvre à des conditions très strictes fixées par l'article L 162-17 du Code de la santé publique :

o attestation, par un médecin exerçant dans un centre de diagnostic prénatal pluridisciplinaire, que le couple risque de donner naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique d'une particulière gravité et reconnue comme incurable au moment du diagnostic ;

o identification préalable, chez l'un des parents, des anomalies responsables d'une telle maladie ;

o consentement écrit des deux membres du couple ;

o finalité du diagnostic orienté exclusivement vers la recherche de l'affection et les moyens de la prévenir et de la traiter.

Les commentateurs, et notamment M. Jean MICHAUD , n'ont pas manqué de souligner la contradiction existant entre les cas où le DPI peut être pratiqué et l'objectif curatif qui lui est assigné. N'est-on pas amené, dans ces conditions, à considérer que la prévention ne peut aboutir qu'à l'élimination des embryons considérés comme anormaux ?

Quant à sa mise en oeuvre, l'Académie nationale de médecine, dès 1995, a souligné les " ambiguïtés concernant les interprétations de la loi " : les équipes françaises désireuses de s'engager dans la voie du DPI revendiquaient en effet la possibilité d'effectuer des études préalables sur des embryons en vue d'augmenter la fiabilité de ce diagnostic et de vérifier son innocuité au regard du développement ultérieur de ces embryons. Mais ce rapport ne précisait pas si ces études préalables à la mise en oeuvre (plus routinière) du diagnostic préimplantatoire porteraient ou non atteinte aux embryons qui en seraient l'objet. La doctrine élaborée provisoirement par le CNMBRDPP a consisté, on l'a vu plus haut, à limiter les études invasives à des embryons non viables, donc insusceptibles d'un transfert.

Compte tenu de la parution très tardive du décret d'application (24 mars 1998), la mise en place des centres de DPI n'en est encore qu'au stade de l'agrément. En raison du faible nombre de DPI prévus (entre 150 et 400 par an), on s'orienterait vers un très petit nombre de structures associant des centres d'AMP et des laboratoires de génétique moléculaire. Se pose à cet égard le problème de la formation et de l'évaluation des praticiens, les experts en matière de prélèvement embryonnaire étant, actuellement, très peu nombreux dans notre pays.

En l'état actuel des textes, le DPI peut être mis en oeuvre, selon le professeur Marie-Louise BRIARD, dans deux types de situation  :

o celle d'un couple stérile contraint de faire appel à l'AMP et, par ailleurs, exposé à la naissance d'un enfant atteint d'une maladie génétique ;

o celle d'un couple fécond ne voulant pas renouveler un dépistage prénatal, qui devra alors se soumettre à une FIV avec un taux de succès limité.

L'intérêt du DPI est, dans les deux cas, de permettre le dépistage précoce de l'anomalie et d'éviter une interruption de grossesse.

Le professeur FRYDMAN a évoqué le diagnostic préconceptionnel, déjà pratiqué dans divers pays sur le globule polaire, cellule émise par l'ovocyte eu cours de la méiose. Cette pratique permettrait de contourner l'interdiction légale du DPI sur les embryons d'une femme exposée, en raison de son âge, au risque de trisomie 21. Il devrait donc être reconnu et encadré par la loi .

Se plaçant dans une vision plus prospective -et plus alarmante-, Jacques TESTART  a souligné le risque d'eugénisme, selon lui difficilement évitable, auquel expose le DPI. Employé aujourd'hui pour prévenir la transmission d'une anomalie génétique ou chromosomique, il pourrait être ultérieurement utilisé afin de détecter chez l'embryon, aussi précisément que chez l'adulte, les prédispositions génétiques à la survenance d'une maladie ou au développement d'une infirmité. Dans cette perspective, il sera tentant de créer, pour un couple donné, un nombre élevé d'embryons permettant de pratiquer la sélection aboutissant au " meilleur " embryon. Celui-ci pourrait alors être cloné en plusieurs exemplaires pour parer aux risques de transplantation infructueuse.

Pour Jacques TESTART, le législateur français arrive probablement trop tard pour enrayer une évolution qui bouleverse la notion même d'humanité et se trouve à un stade déjà plus avancé dans d'autres pays (Grande-Bretagne, Espagne). Des barrières peuvent néanmoins être posées en n'autorisant le DPI que sur une seule mutation génétique et sur les anomalies chromosomiques ayant de très graves conséquences. La recherche du sexe en tant que tel devrait être proscrite en tout état de cause.

2. Le débat relatif à l'élargissement de la recherche sur l'embryon : positions françaises, européennes et étrangères

Il ne nous appartient pas, dans le cadre de ce rapport d'évaluation, de trancher une question qui divise philosophes, chercheurs et praticiens. La diversité des opinions qui s'expriment en France à ce sujet se retrouve dans les solutions adoptées ou envisagées hors de nos frontières et complique l'élaboration d'une position commune, tant à l'échelon européen que dans un cadre international plus large (UNESCO, ONU).

On présentera les arguments qui alimentent un débat complexe sans sacrifier la clarté à l'exhaustivité afin de préparer la réflexion du Parlement qui devra nécessairement prendre position sur cette question controversée lors de la prochaine révision.

2.1. Les positions françaises

Une summa divisio peut être établie entre une approche stricte fondée sur le " respect de la vie dès son origine " et une approche qui s'appuie sur une " personnification différée " de l'embryon liée aux différentes étapes du développement biologique.

2.1.1. " Le respect de la vie dès son origine "

Cette conception a été développée par le professeur MATTEI lors de son audition. Selon lui, " on ne peut légiférer sans des références strictes et précises que l'embryon ne peut fournir puisqu'il n'est qu'un moment d'une vie. La vie elle-même peut, en revanche, être définie : elle commence à la fécondation et c'est très précisément la définition sur laquelle se fondait déjà la loi de 1975 relative à l'IVG " .

M. MATTEI réfute l'argument " opportuniste " tiré de l'existence d'embryons surnuméraires voués en tout état de cause à la destruction. Il rappelle que la conservation de ces embryons a été acceptée en 1994 pour tenir compte d'une situation de fait et dans la perspective, jugée proche à l'époque, de la congélation des ovocytes qui ne soulève pas les mêmes problèmes éthiques. Mais cette cryoconservation constitue un premier pas vers la réification de l'embryon et cette dérive serait accentuée de façon inacceptable par l'admission de la recherche dans cette hypothèse.

Il rejoint à cet égard l'opinion réservée émise sur l'avis n° 53 du CCNE : " L'attitude la plus respectueuse de l'humanité, mystérieusement mais réellement présente dans l'embryon, serait d'arrêter la congélation malheureusement entreprise. De même qu'il convient de savoir arrêter un acharnement médical disproportionné sur une personne en fin de vie, de même il convient de laisser mourir des embryons de leur mort naturelle si le couple qui en avait demandé la congélation ne souhaite plus les garder. " Mieux vaut, pour la dignité de l'embryon assimilé à la personne humaine, la mort " naturelle " résultant de l'arrêt de la conservation que l'instrumentalisation.

Dans la logique de cette conception, il n'est pas plus acceptable d'admettre la recherche sur les embryons " anormaux " et privés de viabilité que sur un malade incurable et voué à une mort prochaine.

2.1.2. " La personnification différée "

La distinction fondée sur le degré de développement de l'embryon a été, on le sait, utilisée par les Britanniques pour autoriser l'expérimentation pendant les quatorze premiers jours de l'embryogenèse. Elle s'appuie sur le fait que jusqu'à ce stade, le " préembryon " peut se diviser et donner naissance à deux individus ; il n'est donc pas un être, par essence et par définition unique.

Si le professeur Axel KAHN juge cette séparation artificielle et préfère parler d'une " dignité croissante " de l'embryon au fil de la multiplication cellulaire, plusieurs de nos interlocuteurs, sans adhérer à la solution britannique, ont néanmoins insisté sur l'utilité de certaines distinctions clarificatrices.

Jacques TESTART juge nécessaire de déterminer ce qui n'est pas encore un embryon et entre donc sans restriction dans le champ de la recherche, à savoir les gamètes et le zygote, stade d'interaction gamétique précédant la fusion des noyaux qui constitue le " moment zéro " du développement embryonnaire .

René FRYDMAN sépare deux réalités distinctes :

o celle de l'embryon " préimplantatoire " ou blastocyste, qui peut être cultivé in vitro jusqu'au 7 ème jour, période au cours de laquelle les cellules conservent un caractère totipotent et où diverses évolutions, allant de la division gémellaire à l'apparition d'une tumeur trophoblastique, peuvent se manifester ;

o celle de l'embryon proprement dit, qui correspond à l'établissement d'un lien avec la mère par l'implantation dans l'utérus .

Dans la phase préimplantatoire précédant la gastrulation, où il ne constitue, selon Jacques SAMARUT, qu'une " grappe de cellules " , l'embryon présente un intérêt primordial pour le chercheur. En effet, le modèle animal n'est pas ici transposable dans la mesure où le passage de la phase où l'embryon vit sur les réserves de l'ovocyte à celle où il se développe sur ses ressources propres ne se fait pas au même moment chez la souris et chez l'homme. Ce franchissement pourrait constituer le critère de partage entre recherche autorisée et recherche interdite. Les cellules indifférenciées -donc totipotentes- isolables dans ce premier état sont porteuses d'avancées thérapeutiques que l'on retrouvera décrites dans l'avis n° 53 du CCNE, analysé plus loin.

On voit donc ici la thèse de la personnification différée venir à l'appui de l'intérêt de la recherche.

Une fois posée cette distinction entre le blastocyste " désacralisé " et l'embryon " stricto sensu " qui devrait seul bénéficier de toutes les protections garanties à la personne humaine, peuvent être envisagées, selon les tenants de cette thèse, trois types de situation qui légitiment elles-mêmes des interventions médicales variables dans leur nature et leur finalité.

- Le cas des embryons non viables :

Les embryons qui sont jugés intransférables en raison des anomalies manifestes dont ils sont affectés sont, dans la pratique actuelle, immédiatement détruits. Ils représentent, selon le professeur JOUANNET, 20 % des embryons conçus in vitro. L'étude, s'apparentant ici à une autopsie à des fins scientifiques, doit pouvoir être pratiquée sans restrictions (points de vue concordants des professeurs JOUANNET, TESTART, FRYDMAN et SÈLE). C'est d'ailleurs, comme on l'a déjà indiqué, la ligne déjà suivie par le CNMBRDP qui a autorisé quatre demandes de ce type destinées au perfectionnement de la technique du DPI. L'Académie de médecine souhaite cependant que soient définis l'état de mort et celui de non-viabilité de l'embryon, légitimant son utilisation à des fins de recherche ou l'arrêt de sa conservation (avis du 23 juin 1998).

- Le cas de l'embryon abandonné :

Les partisans de la libéralisation des règles en vigueur sont unanimes pour proscrire la création d'embryons à des fins spécifiques de recherche . En revanche, soulignent-ils, il n'y a aucune raison de soustraire l'embryon à la recherche dès lors que le projet parental est abandonné, que les géniteurs ont donné leur accord et que l'alternative se réduit, soit à la destruction pure et simple de l'embryon, soit à une expérimentation préalable à cette destruction. René FRYDMAN estime qu'elle devrait être autorisée, sous réserve que la loi précise que les études à caractère invasif ne peuvent s'appliquer qu'à des embryons non transférés. Des couples consultés en 1986 sur le sort à donner à leur embryon abandonné se partageaient, en proportions égales, entre trois solutions : don à un autre couple, recherche et destruction . Quant à Jacques TESTART, il met l'accent sur les finalités de cette recherche qui devraient être soumises à une expertise éthique systématique, cette exigence lui apparaissant beaucoup plus fondamentale que la définition du matériel biologique susceptible d'être étudié. Cette expertise pourrait être confiée au CCNE ou à une instance équivalente mais non à la CNMBRDP qui, en l'état actuel de sa composition et de ses moyens, n'a pas vocation à remplir une telle mission.

- Le cas de l'embryon inscrit dans un projet parental :

On se trouve ici dans l'hypothèse des recherches à bénéfice individuel direct dont le DPI constitue d'ores et déjà l'une des applications. L'intégrité de l'embryon devant être respectée pour ne pas compromettre ses chances d'implantation, elles devraient porter principalement sur son environnement (la mise au point des milieux de culture). Le professeur FRYDMAN souligne cependant l'intérêt d'études invasives permettant de progresser dans la voie de la fécondation d'ovocytes soumis à congélation. Dans ce cas, l'étude pourrait être subordonnée :

o à une évaluation scientifique, confiée par exemple à l'INSERM, afin de vérifier la pertinence de l'étude ;

o à une évaluation éthique du CCNE garantissant la régularité de sa mise en oeuvre, en ce qui concerne notamment le recueil du consentement du couple concerné.

2.1.3. Les orientations tracées par le Comité consultatif national d'éthique

Dans l'avis n° 53 qu'il a émis le 11 mars 1997 " sur la constitution de collections de cellules embryonnaires humaines et leur utilisation à des fins thérapeutiques et scientifiques " et auquel il se réfère dans celui du 25 juin 1998 relatif à la révision des lois de bioéthique, le CCNE apporte une caution assez nette aux partisans de la recherche sur les embryons surnuméraires.

Cet infléchissement de la position du CCNE est motivé par les perspectives thérapeutiques que laissent entrevoir la constitution et l'utilisation de cellules souches embryonnaires (" Embryonic stem cells ") qui, cultivées ex vivo, peuvent conserver leur totipotence ou se différencier en cellules précurseurs des différents tissus somatiques, en fonction des artifices expérimentaux utilisés.

La création prochaine de ces lignées de cellules va ouvrir des champs d'application immenses, " un accroissement des connaissances sur les mécanismes de la différenciation cellulaire ou de la tumorisation " et " la création de larges quantités de cellules différenciées qui pourraient être utilisées comme greffes pour traiter différentes maladies, par exemple des maladies du sang, du système immunitaire, du système nerveux ou du muscle " . Le CCNE évoque incidemment à ce propos les problèmes éthiques que soulèverait le transfert des noyaux de ces cellules dans des ovocytes énucléés, ouvrant une possibilité de clonage déjà réalisé chez les mammifères domestiques.

" De telles cellules souches humaines, équivalentes à des cellules ES de souris, n'existent pas encore aujourd'hui mais plusieurs laboratoires dans le monde, hors de France, travaillent à leur établissement . De ce fait, le CCNE considère de sa mission de faire d'ores et déjà des recommandations sur les conditions de leur établissement et de leur utilisation éventuels. " Ces recommandations tiennent en six points :

o limiter l'utilisation à des fins de recherche aux seuls embryons congelés provenant de dons de couples qui, par écrit, auraient abandonné leur projet parental et décidé l'arrêt de la conservation ;

o exclure la conception d'embryons humains à des fins de recherche ;

o interdire le recueil, par lavage utérin, d'embryons conçus in vivo en vue d'établir des lignées cellulaires ;

o circonscrire l'utilisation des cellules souches embryonnaires à des activités de recherche fondamentale ou à des recherches thérapeutiques ;

o interdire toute utilisation des cellules ES dans le but de créer plusieurs embryons humains au génome identique ;

o proscrire le commerce des cellules en cause, qu'elles soient obtenues en France ou qu'elles proviennent de l'étranger.

Certains commentateurs n'ont pas manqué de souligner l'évolution que marquait cet avis dans la position du CCNE sur l'embryon comme " sujet-objet " de recherche. Dans l'avis du 15 décembre 1986, le comité prenait en considération une situation de fait plutôt regrettable -l'existence d'embryons surnuméraires- et admettait les recherches comme une nécessité acceptable si elles permettaient précisément de mettre au point des techniques évitant d'avoir à congeler ces embryons. Raisonnant aujourd'hui face à une législation préétablie, il constate dans son rapport préliminaire que " toute recherche sur la constitution de ces lignées cellulaires est impossible dans le cadre de l'article L 152-8 du Code de la santé publique puisqu'il faut obtenir des cellules d'un blastocyste éventuellement maintenu en culture ex vivo au-delà de la période d'implantation " . Cette constatation n'est pas reprise dans le corps même de l'avis mais influe sur sa portée. " En somme " , a pu écrire un commentateur, " en passant sous silence la question des cultures d'embryons, en ne mettant en évidence que les données concernant les ressources cellulaires, en demandant de légaliser la disponibilité de l'embryon pour des recherches étrangères au domaine de la fertilité et de la procréation, l'avis n° 53 produit -qu'il le veuille ou non- un effet de représentation de l'embryon comme simple agrégat cellulaire. "

En outre, la voie suggérée ne contribue pas à limiter le nombre des embryons congelés car, si la loi devait consacrer la position du comité, il serait encore plus utile de concevoir in vitro des embryons en surnombre pour qu'après épuisement du projet parental, il en restât quelques-uns disponibles pour la recherche .

2.2. Positions étrangères, européennes et internationales : des approches très diversifiées

2.2.1. La diversité des approches étrangères

Sans entrer dans une analyse détaillée pour laquelle on renverra à l'avis adopté, le 23 novembre 1998, par le Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies, on peut considérer que les différentes législations s'ordonnent autour de deux grandes conceptions de l'embryon et, par conséquent, de la protection juridique dont il doit bénéficier :

o dans la première, l'embryon n'est pas un être humain et ne mérite donc qu'une protection limitée ;

o dans la seconde, l'embryon jouit du " statut moral " de tout être humain et doit donc bénéficier à ce titre d'une protection étendue.

- Se rattachent à la première conception les pays de common law (Angleterre, Etats-Unis, Australie, Canada) qui " suivent une démarche pragmatique dans laquelle l'embryon in vitro est traité pour l'essentiel comme une entité dont le sort dépend de la volonté des donneurs de gamètes dont l'embryon est issu. En outre, l'embryon est vu comme un organisme potentiellement utile pour la recherche médicale. Bien qu'aucun statut ne soit attribué à l'embryon, son sort ressemble donc plus à celui d'une chose, à traiter, certes, avec des égards spéciaux, qu'à celui d'une personne " .

Ainsi le Royaume-Uni (United Kingdom's Fertilization and Embryology Act, 1990) autorise-t-il la recherche et la création d'embryons à cet effet sous quatre conditions : elle doit être limitée au 14 ème jour de développement, autorisée par la HFEA (Autorité de la fécondation et de l'embryologie humaine), poursuivre des visées thérapeutiques et diagnostiques et ne pas aboutir au transfert des embryons étudiés .

Aux Etats-Unis, la création d'embryons pour la recherche est autorisée " à condition que la valeur de la recherche projetée soit indiscutable et qu'elle ne puisse être menée à bien autrement " , mais une loi de 1994 a interdit le financement de cette recherche sur fonds fédéraux. Les travaux qui ont abouti en 1998 à la culture de cellules souches pluripotentes à partir, soit d'embryons surnuméraires, soit de cellules germinales prélevées après interruption de grossesse sur un foetus, avaient été menés à bien grâce au soutien d'une firme privée. La communauté scientifique demandait ces derniers mois la modification de cette loi qui, selon Arthur CAPLAN, directeur du Centre de bioéthique de l'Université de Pennsylvanie, " ne fait qu'interdire dans le public ce qu'elle autorise dans le privé " . La réponse est venue, le 19 janvier 1999, du professeur Harold VARMUS, directeur des Instituts nationaux de santé (NIH), qui a annoncé l'affectation prochaine de crédits fédéraux à la recherche sur les cellules embryonnaires pluripotentes. Devant la Commission consultative d'éthique mise en place par le président CLINTON, le professeur VARMUS a fait valoir que ces cellules pluripotentes qui ont la capacité de se différencier, sous l'influence de facteurs biologiques et chimiques, en cellules appartenant aux trois types de tissus (endoderme, ectoderme, mésoderme) ne peuvent, à la différence des cellules totipotentes, développer un embryon conduisant à la naissance d'un être humain. La loi fédérale ne s'opposerait donc pas au financement public de ce type de recherche.

On notera par ailleurs qu'en Belgique, bien que ce pays n'appartienne pas à la sphère de la common law, un avant projet de loi envisage la création d'embryons utilisables par la recherche avec l'accord des donneurs lorsque l'objectif de cette recherche ne peut pas être atteint, " ni effectivement, ni scientifiquement " , par l'utilisation d'embryons surnuméraires.

- La seconde conception, très restrictive, voire prohibitive, à l'égard de la recherche inspire les législations norvégienne et allemande . La loi allemande du 13 décembre 1990 protège l'embryon dès sa conception. Elle interdit la constitution de banques d'embryons et rend obligatoire le transfert à l'utérus maternel de tous les embryons obtenus qui ne peuvent être plus de trois dans un même cycle. Sont également interdits explicitement la sélection du sexe, la fécondation post mortem, le clonage et la création de chimères et d'hybrides.

Dans ce contexte, alors que les groupes parlementaires CDU, CSU et FDP (120 signataires) avaient invité, au début de 1998, le gouvernement fédéral à signer la Convention européenne de bioéthique, dans la mesure où serait ainsi garantie une contribution active à l'amélioration des dispositions controversées, 160 députés ont adopté une motion intergroupes hostile à la ratification compte tenu, notamment, de l'imprécision des dispositions concernant la protection des embryons.

2.2.2. La difficulté d'une position européenne commune

- La Convention du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la biomédecine , adoptée en novembre 1996 et signée, pour l'heure, par 22 Etats sur 40, n'a pas abordé la question du statut de l'embryon. En l'absence d'un consensus concernant les recherches, elle a renvoyé aux Etats le soin de les réglementer. Son article 18 dispose simplement : " Lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l'embryon ; la constitution d'embryons humains aux fins de recherche est interdite. " La non-interdiction de la recherche a conduit l'Allemagne et la Pologne à s'abstenir.

Ce texte doit en principe être complété par un protocole additionnel relatif à la protection de l'embryon. Plusieurs réunions exploratoires ont déjà été tenues mais on peut s'interroger sur les délais et les conditions dans lesquels une position commune pourrait être arrêtée.

- L'avis du Groupe européen d'éthique pour les sciences et les technologies humaines (23 novembre 1998)

Cet avis a été sollicité par la Commission européenne à la suite de l'amendement déposé par le Parlement européen (dans le cadre de l'adoption du 5 ème programme-cadre de recherche) qui tend à interdire tout financement communautaire de la recherche sur les embryons qui implique la destruction de ceux-ci. Il tient en deux points :

o l'attribution d'aides financières européennes en faveur des recherches menées dans les pays où elles sont autorisées (Danemark, Espagne, Royaume-Uni, Suède et, dans une certaine mesure, la France) ne doit pas être exclue eu égard " au respect du pluralisme des cultures et des approches éthiques en Europe, qui se traduit en particulier par une extrême diversité des réglementations nationales " ;

o ce financement doit être subordonné à " de strictes conditions juridiques et éthiques " . Les projets devront se conformer à l'ensemble des exigences requises par les réglementations nationales, aux principes éthiques fondamentaux communs à l'Europe (respect de la vie humaine dès son commencement et du consentement des femmes ou des couples géniteurs des embryons pouvant être utilisés en vue de recherche).

Les membres du GEE estiment, par ailleurs, urgent que les projets candidats à un financement communautaire fassent l'objet, au préalable, d'une appréciation systématique de nature non seulement scientifique mais éthique de la part d'experts indépendants.

2.2.3. L'absence d'une prise de position, même non contraignante, à l'échelon international

La déclaration sur le génome humain et les droits de l'homme adoptée le 9 décembre 1998 par l'Assemblée générale des Nations-Unies ne comporte aucune disposition touchant l'éthique de la recherche sur l'embryon humain.

" Nous savons tous que si nous avions voulu que la déclaration traite explicitement de ce sujet, nous ne serions parvenus à aucun accord et la déclaration n'aurait jamais vu le jour. La recherche sur l'embryon humain suscite des oppositions majeures parce qu'il s'agit très clairement d'un sujet fondamental, ontologique. On observe d'ailleurs qu'aucun consensus n'est possible au sein même de l'Union européenne. "

Cette conjoncture internationale n'incite guère à l'optimisme sur les chances, ici comme ailleurs, d'une harmonisation mondiale des points de vue.

3. Quelle alternative pour le législateur ?

Le compromis élaboré en 1994 est aujourd'hui l'objet de nombreuses critiques. Sans revêtir dans le débat la robe de la défense, on observera que le Parlement, conscient de ces imperfections, s'était précisément fixé un nouveau rendez-vous pour réexaminer le problème après quelques années de mise à l'épreuve. L'application de la loi ayant été retardée pour des raisons qui ne sont pas purement fortuites, la pratique ne peut venir au secours de la réflexion qui doit néanmoins tenir compte des avancées scientifiques intervenues en ce domaine. Si, comme le soutient une opinion dominante, cette partie du texte doit être remaniée, deux options paraissent envisageables.

- La première consiste à refuser toute transaction avec le principe du respect de la vie dès son origine. Dans cette optique, la recherche, à condition qu'elle se conforme à l'ensemble des règles protectrices de la personne, peut s'appliquer aux gamètes. Aucune étude invasive et sans bénéfice direct pour l'enfant à naître ne saurait, en revanche, être menée sur un ovocyte fécondé.

On ne tranchera pas ici le point de savoir si l'expérimentation ainsi circonscrite pourrait s'étendre au zygote avant la fusion des noyaux. Il paraît clair, en tout état de cause, qu'elle exclurait les embryons morts ou non viables ainsi que les embryons abandonnés. La destruction de ces derniers devrait donc être explicitement prévue après accord des couples concernés. Pour parer au renouvellement d'une telle situation, il serait nécessaire, à l'instar de la législation allemande, de limiter strictement le nombre des embryons conçus in vitro quelles que soient, d'un cas à l'autre, les chances d'implantation des embryons transférés.

Cette solution est, en raison même de sa rigueur, d'une application assez aisée. Elle soulève, cependant, une question importante qu'elle laisse sans réponse : sera-t-il possible d'accepter, dans un avenir proche, le bénéfice des recherches menées hors de nos frontières selon des modalités que notre propre législation aura prohibées ?

- La seconde conduit à rechercher une traduction juridique de la " personnalité différée " qui permette de concilier, dans sa finalité, l'intérêt de la personne à naître et celui de la personne déjà née. La notion de bénéfice indirect admise par le Comité consultatif national d'éthique en 1986 ouvrait la voie en ce domaine et son avis de juin 1998 qui se réfère à l'utilité thérapeutique des cellules embryonnaires élargit encore la perspective. Dans cette hypothèse, une distinction, à laquelle le législateur de 1994 s'était refusé, doit être faite entre deux catégories d'embryons :

o ceux qui sont destinés à un projet parental ne doivent être l'objet que d'interventions pratiquées dans leur intérêt direct et insusceptibles de porter atteinte à leur développement. On retrouverait ici, sous réserve de quelques assouplissements très limités, le cadre protecteur tracé par la loi de 1994 ;

o ceux qui n'ont pas vocation à être transférés pourraient, jusqu'à un stade (7 ème ou 14 ème jour) qui reste à déterminer, faire l'objet d'expérimentations visant, soit à améliorer les techniques d'AMP, soit à mettre en oeuvre les cultures de cellules souches promises à un grand avenir thérapeutique. Toute création d'embryon à des fins exclusives de recherche demeurant proscrite, ces expérimentations et prélèvements ne pourraient s'appliquer qu'aux embryons surnuméraires existants, après accord de leurs géniteurs. Pour éviter de nouvelles dérives, le nombre des embryons fécondés in vitro dans le cadre d'un projet parental devrait être strictement contrôlé, voire limité par la loi elle-même.

Il serait par ailleurs nécessaire de permettre le jeu de la clause de conscience pour les médecins qui refuseraient de mener des recherches allant au delà de l'intérêt direct de l'enfant à naître.

Cette alternative esquissée à grands traits nous paraît résumer les choix qui s'offrent aujourd'hui au législateur. Cela dit, le progrès scientifique pourrait bien la frapper de caducité dans les années à venir.

S'agissant, tout d'abord, de l'assistance médicale à la procréation, une situation nouvelle sera créée par la mise au point, annoncée maintenant comme prochaine, des techniques de congélation des ovocytes ou des fragments ovariens qui résoudra, de facto, le délicat problème des embryons surnuméraires.

D'autre part, les récentes découvertes américaines ont abouti à l'établissement de lignées continues de cellules pluripotentes. Celles-ci, à la différence des cellules totipotentes, sont insusceptibles d'évoluer vers la constitution d'un être humain ; elles peuvent être obtenues à partir de prélèvements qui ne sont pas nécessairement d'origine embryonnaire. Ces découvertes peuvent conduire à une modification du cadre éthique dans lequel s'inscrira le développement de la thérapie cellulaire.

Face à ces perspectives, le réexamen périodique des normes législatives constitue une précaution que le Parlement sera sans doute amené à renouveler lors de la prochaine révision. Mais il ne devra pas, parallèlement, faire l'économie d'une réflexion sur l'indispensable harmonisation juridique à laquelle les pays développés et, principalement, les membres de l'Union européenne, devraient s'efforcer de parvenir en ces domaines. L'occasion lui en sera fournie notamment par la ratification de la Convention européenne de biomédecine signée à Oviedo en 1996.

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