VI - LE DIAGNOSTIC PRÉNATAL

Les dispositions consacrées par la loi de 1994 au diagnostic prénatal (DPN) tiennent pour l'essentiel en deux articles qui ont pour objet d'en préciser la finalité et d'en organiser la pratique. On rappellera brièvement la problématique dans laquelle s'inscrit cet acte médical.

Le DPN permet, à l'occasion du suivi des grossesses exposées à des risques particulièrement élevés d'anomalie foetale ou de maladie génétique, de confirmer ou d'écarter la présence de ces anomalies ou maladies au moyen de techniques invasives telles que l'amniocentèse (prélèvement de liquide amniotique), la choriocentèse (prélèvement de trophoblaste, préfiguration du placenta) ou l'analyse du sang foetal.

Les progrès des thérapies étant plus lents que ceux des techniques de DPN, celui-ci se trouve placé, selon l'expression de Frédéric SALAT-BAROUX , au coeur d'un " triangle tragique " en termes éthique et social : le DPN permet de détecter malformations et maladies ; l'égalité de chacun devant la médecine requiert le remboursement de ces examens ; faute de possibilité de traitement, le DPN ne peut conduire qu'à une interruption de grossesse pour motif thérapeutique.

Le caractère invasif du DPN et les risques auxquels il expose la mère et l'enfant à naître justifient que sa mise en oeuvre soit subordonnée à un certain nombre de conditions, que le Groupe des conseillers pour l'éthique de la biotechnologie de la Commission européenne a énumérées dans son avis du 20 février 1996 :

o le recours au DPN doit reposer sur le consentement libre et éclairé de la femme et du couple concerné. Aucun test ne doit être imposé par la loi ni par les services de santé publique ;

o un conseil génétique de qualité doit être fourni avant aussi bien qu'après le test ;

o le DPN suppose des services sociaux et médicaux de qualité, un personnel qualifié, des équipements appropriés et des techniques fiables.

Ces conditions se trouvaient déjà posées dans la rédaction que la loi de 1994 a donnée à l'article L 162-16 du Code de la santé publique, qu'est venu préciser le décret du 6 mai 1995.

1. Consentement éclairé et conseil génétique

Si l'article L 162-16 n'impose pas explicitement l'information de la femme enceinte sur les risques inhérents aux prélèvements et son consentement préalable, celui-ci pouvait cependant se déduire du principe d'inviolabilité du corps humain inscrit par la loi n° 653 dans l'article 16-3 du Code civil. Le décret a comblé cette lacune en organisant la consultation médicale de conseil génétique qui doit fournir cette information à la patiente et lui permettre d'évaluer, pour l'enfant à naître, le risque d'être atteint d'une maladie d'une particulière gravité compte tenu des antécédents familiaux ou des constatations médicales effectuées au cours de la grossesse.

- S'agissant de la consultation de conseil génétique , on ne doit pas sous-estimer les efforts qui restent à faire pour trouver des spécialistes en nombre suffisant. Le professeur MUNNICH  a souligné l'hétérogénéité des niveaux de compétence dans le domaine de la génétique qui crée des inégalités entre les centres et une injustice devant la maladie génétique. Le poids des spécialités traditionnelles entrave la mise en place de ces centres.

De son côté, le professeur GOOSSENS observe que les dispositions régissant le DPN restent marquées par une " vision historique de la génétique " , très liée à la pédiatrie, qui ne prend pas suffisamment en compte les bouleversements apportés par la génétique moléculaire et les techniques modernes d'investigation foetale (notamment d'imagerie) depuis le début des années 80. Le débat s'est retrouvé au stade de l'élaboration des décrets d'application, les obstétriciens et les échographistes insistant, face aux généticiens pédiatriques, sur la nécessité -qui n'a pas été admise- de resituer le DPN dans le contexte de la médecine foetale et de prendre en considération son caractère pluridisciplinaire. Si la consultation préalable de conseil génétique est assurément utile, elle devrait, pour le professeur GOOSSENS, être associée à celle du spécialiste de la pathologie en cause. De plus en plus de maladies ont une origine génétique reconnue : généticiens et spécialistes doivent donc travailler ensemble dans des consultations jointes .

- Echographie et DPN : le rôle que sont amenés à jouer, pour la mise en oeuvre du DPN, les examens échographiques habituellement pratiqués dans le cadre de la surveillance médicale de la grossesse ne va pas sans poser quelques problèmes au regard de l'application du principe de consentement éclairé.

Le professeur Marie-Louise BRIARD a en effet indiqué  que l'échographie pratiquée à douze semaines d'aménorrhée permet, par la mesure de l'épaisseur du pli nucal du foetus, de détecter un risque de trisomie 21 dont la confirmation sera recherchée par l'établissement d'un caryotype. 7 à 8 % d'anomalies chromosomiques sont ainsi diagnostiquées chez les sujets présentant une malformation à l'échographie. Or, comme l'a fait remarquer le professeur SCHWEITZER , les patientes perçoivent ces échographies comme une vérification de la bonne croissance foetale et non comme un dépistage systématique de malformations pour lequel leur consentement n'a pas été sollicité. Compte tenu du développement de ces pratiques, dont l'opportunité médicale n'est pas ici en cause, ne conviendrait-il pas de fixer précisément les modalités de l'information qui doit être dispensée avant leur mise en oeuvre ?

2. Les établissements et laboratoires autorisés à pratiquer les examens de DPN

Aux termes de la loi, les autorisations sont accordées pour cinq ans, après avis de la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal et du Comité national de l'organisation sanitaire et sociale. Les établissements déjà titulaires d'une autorisation devaient présenter une nouvelle demande dans les six mois suivant la publication des décrets.

403 dossiers ont été soumis, au cours de l'année 1996 à l'examen de la CNMBRDP ; ils ont donné lieu à 253 avis favorables et à 248 autorisations ministérielles se décomposant comme suit :

o biochimie34

o maladies infectieuses43

o cytogénétique72

o génétique moléculaire41

o hématologie3

o immunologie4

o marqueurs sériques maternels51

(cette activité étant soumise à indice de carte sanitaire)

Dans son premier rapport, la CNMBRDP souligne les conséquences de la politique de budget global des hôpitaux publics sur l'organisation de ces tests de DPN, particulièrement pour ceux soumis à carte sanitaire. Un nombre important de ces actes très spécialisés ne peut être réalisé que dans un très petit nombre de laboratoires du fait de l'expertise requise ; ces mêmes actes ne sont de qualité que si le volume d'activité est suffisant. Or ces laboratoires peuvent être contraints, pour des raisons budgétaires, de refuser des prélèvements extérieurs et de ne plus assurer les examens qui recouvrent, outre les DPN, toutes les études familiales nécessaires pour étayer les conseils génétiques.

Ces observations rejoignent celles du professeur MUNNICH soulignant que le système du budget global ne favorise pas les disciplines innovantes, ce qui aboutit à des disparités considérables d'une région à l'autre. Pour autant, il admet qu'on ne peut multiplier les centres de génétique car il y a un problème de masse critique (documentation, accès, équipement du laboratoire). La meilleure solution consiste donc à limiter le nombre des centres tout en organisant des consultations avancées.

Se pose enfin un problème que l'on retrouve d'une façon générale pour la mise en place et le fonctionnement des structures d'AMP : l'évaluation des établissements candidats à l'agrément impose une visite des sites et une expertise menée par des spécialistes, toutes choses qui, de l'avis du professeur GOOSSENS, sont impossibles actuellement.

La CNMBRDP reconnaît elle-même dans son rapport pour 1996 que " l'évaluation intermédiaire reste à construire avec des moyens limités " , mais pourra s'appuyer notamment sur les rapports d'activité des centres prévus par l'article L 184-2 du Code de la santé publique. Elle souligne d'autre part qu'aucun contrôle de qualité n'a été mis en oeuvre pour les activités biologiques de DPN, en particulier la cytogénétique. " Ceci [lui] semble préjudiciable pour les patients et prive la commission d'éléments de jugement importants pour rendre les avis qui lui sont demandés. L'expérience d'autres pays européens pourrait être mise à profit pour instaurer un tel contrôle en France ."

Ne serait-il pas nécessaire, comme le souhaite René FRYDMAN, d'établir un bilan détaillé du diagnostic prénatal, puisque cet acte médical est régulièrement pratiqué en France depuis 25 ans, en faisant apparaître le nombre de faux positifs (conduisant à un avortement injustifié) et de faux négatifs (aboutissant à la naissance d'un enfant handicapé) ?

Ce devrait être, entre autres, le rôle des centres pluridisciplinaires créés par l'article L 162-16 et sur lesquels aucune appréciation ne peut être portée car, en raison de la parution tardive du décret d'application (28 mai 1997), l'examen des dossiers d'agrément était toujours en cours à la CNMBRDP au moment de la rédaction de ce rapport.

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