B. UNE DÉRIVE BUDGÉTAIRE CONTINUE

Les crédits alloués à l'enseignement scolaire, et à l'éducation nationale dans son ensemble, sont ainsi considérables. La nation lui consacre un effort sans précédent et en augmentation constante. Aucun autre département ministériel n'a fait l'objet, depuis 10 ans, d'une telle sollicitude budgétaire.

Pourtant, cet effort n'est pas stabilisé et, en raison de la nature même de ce budget, ne peut l'être. La croissance ininterrompue des crédits de l'enseignement scolaire peut être qualifiée de dérive parce qu'elle est insuffisamment contrôlée et que les marges de manoeuvre n'ont pas été utilisées. L'équilibre des finances publiques risque, à terme, d'en pâtir.

Votre commission d'enquête juge dès lors indispensable d'instituer un débat parlementaire portant sur la politique d'éducation qui aurait lieu chaque année avant la discussion du projet de loi de finances.

1. La rigidité du budget de l'éducation nationale

L'inquiétude suscitée par l'évolution budgétaire de notre système éducatif tient en grande partie à la très forte rigidité de ce budget, qui ne laisse que peu de marges de manoeuvre en cas de conjoncture économique favorable. Du reste, la croissance a été relativement soutenue en 1998 mais les crédits alloués à l'école ont fortement progressé. Il convient de souligner que cette progression est en grande partie automatique en raison du poids, et de l'évolution par nature haussière, des dépenses de rémunérations des personnels.

a) Le poids des dépenses de personnels

Le budget de l'enseignement scolaire est avant tout un budget de rémunérations. Environ 96 % des crédits alloués à l'enseignement scolaire sont destinés à rémunérer les différentes catégories de personnels, ce qui représente dans la loi de finances pour 1999 environ 280 milliards de francs.

Les dépenses d'intervention sont réduites à la portion congrue, sans parler des dépenses en capital qui, pourtant, engagent l'avenir. Ces dernières représentent 754,16 millions de francs sur un budget de près de 300 milliards de francs, soit 0,25 %.

Avec le temps, ces spécificités se sont encore accentuées. Il est ainsi intéressant de comparer la structure du budget de l'enseignement scolaire en 1985, soit la dernière année avant la décentralisation, et celle de la loi de finances pour 1998.



La part des rémunérations, déjà considérablement élevée en 1985, s'est accrue et est passée de 91,3 % à cette époque à 96,09 % en 1998. Le fonctionnement proprement-dit a vu ses dotations passer de 4,6 % à 2,01 % de l'ensemble, tandis que la part consacrée aux interventions est ramenée de 4,2 % à 1,65 %. Enfin, et surtout, les dépenses en capital se sont réduites de 2,9 % à 0,25 % du total.

Le budget de l'enseignement scolaire apparaît ainsi atypique par rapport à ceux des autres départements ministériels.

Les crédits alloués aux rémunérations, au ministère de l'emploi et de la solidarité, ne représentent par exemple que 3,3 % du budget de ce département ministériel.

Jamais ces crédits de rémunérations n'atteignent, dans les autres ministères, la proportion de ceux de l'éducation nationale.

Les rémunérations représentent 16,3 % des crédits de l'équipement, 56 % de ceux de la défense, et même 85,9 % de ceux des finances, soit 10 points de moins que l'enseignement scolaire.

b) L'importance des services votés

L'article 33 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances dispose que " les services votés représentent le minimum de dotations que le gouvernement juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement ".

Traditionnellement, les services votés représentent toujours une part considérable, supérieure à 90 %, des crédits d'un département ministériel. Mais la rigidité de la dépense publique est plus grande encore à l'éducation nationale, en raison, précisément, du poids des dépenses de personnels.

Ainsi, dans la loi de finances initiale pour 1999, les services votés s'élèvent à 292,20 milliards de francs, soit plus de 98 % de l'ensemble des crédits.

c) La faiblesse des mesures nouvelles

De manière corrélative, les dépenses nouvelles sont extrêmement réduites. La première prérogative du Parlement, héritée de l'histoire, est le vote du budget.

En fait, ce pouvoir fondamental est fortement contraint par le poids des services votés. La marge de manoeuvre d'un budget comme celui de l'éducation nationale ne porte que sur quelques milliards de francs.

Dans la loi de finances initiale pour 1999, les mesures nouvelles s'établissent à 5,54 milliards de francs, soit 1,86 % de l'ensemble des crédits.

Il convient de noter que, alors que le budget de l'enseignement scolaire augmente de 11,8 milliards de francs de 1998 à 1999, les mesures nouvelles ne représentent qu'à peine la moitié de cette progression. Le reste, soit la hausse complémentaire de 6,3 milliards de francs, résulte de la progression automatique des crédits de rémunérations. D'ailleurs, 3,6 milliards de francs de mesures nouvelles représentent également des crédits de personnels, les moyens véritablement nouveaux s'élevant à 1,9 milliard de francs.

Votre commission d'enquête se demande, dès lors, si la véritable priorité du gouvernement n'est pas, plutôt, la rémunération des fonctionnaires.

d) Les spécificités de la préparation du budget de l'éducation nationale

La préparation du budget de l'éducation nationale obéit aux mêmes règles que pour celle du budget des autres ministères. Elle présente toutefois un certain nombre de caractéristiques particulières.

En premier lieu, les conférences techniques du début de l'année, qui ont notamment pour objet de déterminer le montant des services votés, revêtent une importance particulière pour deux raisons.

D'une part, le coût des mesures nouvelles concernant les enseignants est prévu dans la loi de finances en tiers d'année, parce qu'elles prennent effet à la rentrée de l'année en cours, soit au 1 er septembre. Il convient donc de prendre en compte dans le projet de loi de finances en préparation les extensions en année pleine de ces mesures. Par exemple, le montant des extensions en année pleine s'établit à 816 millions de francs dans la loi de finances pour 1999. Ce point est essentiel dans le cas du budget de l'éducation nationale : une mesure nouvelle concernant les enseignants pèse pour un tiers dans le budget de l'année où cette mesure prend effet, et pour les deux tiers dans le budget de l'année suivante.

D'autre part, la mesure du paramètre glissement-vieillesse-technicité (GVT) et les moyens de financement envisageables sont également examinés lors de ces conférences. Il convient alors de prévoir un abondement des crédits initiaux s'ils se révèlent insuffisants.

En deuxième lieu, de nombreux sujets " remontent " à l'arbitrage du secrétaire d'Etat au budget, du ministre de l'économie et des finances, puis du Premier ministre. Les conférences budgétaires de première phase, et même de seconde phase, se traduisent ainsi, la plupart du temps, par un dossier d'arbitrages assez lourd, sur le schéma d'emplois en particulier.

Enfin, la direction du budget cherche à assurer la cohérence de la répartition des moyens sur le territoire, du calibrage des concours et des créations et suppressions d'emplois prévues dans le projet de loi de finances.

Traditionnellement, la séquence des arbitrages est la suivante. Les créations et suppressions d'emplois sont arbitrées aux mois de juin et juillet. La répartition des moyens sur le territoire pour la prochaine rentrée est effectuée aux mois de novembre et décembre. Le calibrage des concours de l'année suivante est arbitré au printemps de cette année-là. Or, il existe normalement un lien mathématique entre ces trois décisions : les emplois budgétaires inscrits dans le projet de loi de finances contraignent normalement le calibrage des concours, duquel dépendent directement les moyens disponibles pour être répartis sur le territoire.

Il est donc essentiel pour la direction du budget que le calibrage des concours soit arbitré en même temps que les créations et suppressions d'emplois du projet de loi de finances, et en cohérence avec lui. Les moyens disponibles pour la détermination de la carte scolaire s'en déduisent.

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