D. LES ORIENTATIONS STRATÉGIQUES

A l'origine des propositions du rapporteur, il y a d'abord un diagnostic : aussi irritants soient-ils, les handicaps qui s'accumulent au détriment de la compétitivité du marché français, pèsent moins lourds que des facteurs structurels, qu'ils soient économiques ou culturels :

• la France est moins riche, son économie moins dynamique que celle des États-Unis, son système juridique et fiscal moins favorable à l'initiative que celui des pays anglo-saxon - et partant ses grandes fortunes moins fréquentes et en général trop anciennes, pour que le marché français développe une demande interne, suffisamment forte pour garder notre patrimoine et même en attirer en provenance de l'extérieur ;

• la France n'est plus le pays phare de la culture mondiale ; elle ne peut plus prétendre avoir le monde à ses pieds, comme cela était le cas jusqu'au début des années cinquante.

Il y a dans le déclin de la France sur le marché de l'art, un ensemble de raisons structurelles que la fiscalité et des réglementations figées sur le passé ont renforcées. Les aurait-on modifiées, que la face du monde de l'art n'en aurait pas été changée pour autant.

Indépendamment même des facteurs culturels et des rapports de puissance économique, les tendances lourdes comme la préférence pour la réglementation et la méfiance vis-à-vis de l'initiative, constituent des handicaps pour les opérateurs français, au moins aussi lourds que la fiscalité ou une réglementation par trop tatillonne.

Le rapporteur tire les conséquences de cette conception dans l'articulation de ses réflexions où il distingue nettement ce qui dépend de l'État français, de ce qui doit être négocié notamment avec Bruxelles, où la marge de manoeuvre est naturellement plus étroite.

Reprendre le refrain que l'on entend de toutes parts, sur le thème " vous étiez les meilleurs ", il ne tient qu'à vous de le redevenir, au prix de quelques impôts en moins, c'est oublier que l'histoire a un sens et que certaines lésions sont largement irréversibles, surtout s'il n'y a, on peut le regretter, ni mobilisation des citoyens ni volonté politique fortes pour une cause pourtant d'intérêt national.

1. Tenir compte de la marge de manoeuvre restreinte en matière de charges

L'un et l'autre de ces dossiers, particulièrement irritants pour les professionnels du marché de l'art sont difficiles à résoudre, en dépit de la faiblesse des enjeux financiers. L'un et l'autre se heurtent à l'inertie des positions de principe et à la vitesse acquise de la machine communautaire.

a) Le blocage communautaire sur la TVA

L'affaire s'insère dans une négociation globale au niveau communautaire où chaque modification se négocie avec tout les états membres, ce qui accroît l'inertie du système.

(1) La TVA entrave-t-elle la vente de biens importés ?

On peut rappeler que la 7 ème directive concernant les oeuvres d'art et les biens d'occasion - aujourd'hui intégrée à la 6 ème directive - est entrée en vigueur au 1 er janvier 1995. Le régime communautaire prévoit que le taux réduit de TVA est applicable aux importations d'oeuvres d'art, d'antiquités et d'objets de collection. En pratique les taux applicables vont de 5,5 % en France à 25 % au Danemark.

La Grande-Bretagne a obtenu de pouvoir utiliser un taux réduit de 2,5% jusqu'au 30 juin 1999.

En fait, en dépit de la pression britannique, la commission paraît déterminée à ne pas prolonger ce régime dérogatoire.

Se fondant sur la possibilité pour le commerce d'utiliser le régime de l'importation temporaire la Commission estime que la TVA à l'importation ne constitue pas une gêne pour le développement du marché communautaire en général et britannique en particulier.

Le régime de l'importation temporaire est un système particulièrement commode pour les maisons de vente aux enchères. Ce régime autorise l'importation temporaire d'objet d'art en vue de leur vente éventuelle pendant une durée de deux ans sans que la TVA soit exigée le paiement de la TVA au moment de l'importation. L'avantage de ce régime tient à ce que si les biens sont destinés à être réexportés par la suite hors de la communauté, la TVA ne sera pas due, sauf sur les honoraires du commissaire-priseur qui sont soumis au taux normal 71( * ) .

En Grande-Bretagne, le valeur totale des biens importés sous ce régime entre 1995 et 1998, a été multiplié par 13 entre 1995 et 1998, au point qu'à peu près tous les objets d'art mis en vente en relèvent. La commission estime que plus de 50 % des objets d'art ainsi importés restent ensuite dans la Communauté.

Et c'est cette observation d'ailleurs ambivalente, qui a permis à la Commission d'estimer que la TVA à l'importation n'était pas une gêne pour la Grande-Bretagne.

Les importations d'objets d'art au Royaume-Uni, exception faite des importations temporaires, sont tombées de 992 millions d'euros en 1994 (lorsqu'elles étaient exonérées de la TVA) à 776 millions d'euros en 1995, lorsque la TVA a été introduite, et à 624 millions d'euros en 1997. Ce passage de l'importation définitive à l'importation temporaire est dû à l'avantage en matière de trésorerie que présente le régime temporaire, et qui provient du report de l'exigibilité de la taxe, qui serait normalement due à l'introduction des biens sur le territoire communautaire.

Source Fédération britannique du marché de l'art

Bref, la commission n'a relevé " aucun indice laissant supposer que la TVA avait une incidence importante sur la compétitivité du marché communautaire de l'art par rapport aux marchés de l'art des pays tiers. La Commission considère, par conséquent, que l'adoption de la directive 94/5/CE n'a pas eu d'incidence déterminante sur le marché communautaire de l'art et que toute proposition législative en la matière est superflue. "

La Commission estime que le cadre législatif en vigueur est suffisant pour garantir la prospérité future du marché communautaire de l'art et que les distorsions actuelles entre les États membres seront considérablement atténuées après le 30juin 1999. Par conséquent, la Commission n'envisage pas de proposer une modification des dispositions relatives à l'application de la TVA aux objets d'art

Le rapporteur ne peut, comme l'ont fait MM. Aicardi et Chandernagor, que constater que le mécanisme même de la TVA "procède d'une mauvaise compréhension du marché de l'art ": à la différence des marchés de biens et de services, c'est l'exportation qui appauvrit et l'importation qui enrichit.

Il ne peut que constater également que, malgré la modicité des sommes en cause, le Gouvernement semble, sinon attaché au principe même de l'imposition des oeuvres d'art à la TVA, du moins peu désireux de se battre pour ce qui ne lui semble que des produits de luxe et non des produits de première nécessité.

Pourtant, comme l'avait souligné M. André Chandernagor, la France a tout intérêt à faire alliance avec la Grande-Bretagne sur ce sujet car ce sont les deux seuls pays de l'Union Européenne à avoir un marché ouvert sur l'extérieur.

De toute façon, le navire communautaire est lancé et il faudrait une volonté politique affirmée pour espérer l'arrêter, surtout si la commission refuse de prolonger le régime dérogatoire dont bénéficie la Grande-Bretagne jusqu'au 30 juin 1999.

Telle est la raison pour laquelle le rapporteur préfère ne pas placer trop d'espoir dans une suppression d'une taxe qui, si elle était décidée, constituerait un nouvel exemple de course au moins-disant fiscal, dont le ministère des finances, qui est maître de la négociation, ne veut pas relancer.

b) L'incontestable droit de suite

Pour l'instant, le droit de suite constitue un handicap pour la France dans sa compétition avec Londres.

La situation pourrait évoluer avec l'adoption d'une directive européenne en cours d'élaboration . En dépit du caractère dégressif des droits prévu dans l'état actuel du projet, la Grande-Bretagne continue de s'y opposer avec la dernière énergie dans la mesure où elle y voit une cause d'accélération du déplacement du marché de l'art du XX ème siècle vers les Etats-Unis et peut-être, en Europe, vers la Suisse.

Les Anglais ont ainsi refusé le projet présenté au Conseil " marché intérieur " du 25 février dernier , qui prévoyait un taux de droit de suite variable selon le prix de vente des oeuvres: 4% jusqu'à 50.000 euros, 3% de 50.000 à 200.000 euros et 1% au-dessus de 200.000 euros. Le délai de mise en oeuvre serait de 2 ans. Ils ont également refusé le compromis proposé par l'Allemagne prévoyant une extension du délai de mise en oeuvre à 4 ans et surtout un taux réduit à 0,5% pour les oeuvres d'un prix supérieur à 500.000 euros.

Le sentiment du rapporteur est que le compromis en cours d'élaboration à Bruxelles entre la Commission et le Conseil, est un moindre mal, surtout si l'on adopte la proposition de la présidence allemande d'un taux à 0,5 % pour la tranche la plus élevée au-delà de 500 000 euros .

A ce niveau, les effets de délocalisation vers les États-Unis seraient restreints, notamment parce que le surcoût de la taxe, qui est due par le vendeur, pourrait même être prise en charge par la maison de vente aux enchères.

L'effet de délocalisation vers New-York pourrait ainsi rester relativement limité du moins au regard des facteurs structurels économiques et culturels, qui tendent à déplacer le marché de l'art contemporain vers les États-Unis.

En outre, s'il se confirme, l'exonération des premières transactions assorti d'un seuil relativement élevé, est de nature à soulager les galeries, qui actuellement ne le payent pas .

En outre, le rapporteur ne serait pas hostile
, compte tenu notamment des éléments d'information qu'il a rassemblés sur la situation sociale précaire des artistes, à ce que les produits du droit de suite viennent, pour une petite part , alimenter la sécurité sociale des artistes et retrouve en partie la vocation sociale qui fut la sienne à l'origine .



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