3. LES LEÇONS POUR LE FONCTIONNEMENT DE L'UEM
L'analyse
des conséquences des ajustements macro-économiques sur le
marché du travail pour l'UEM repose sur des comportements moyens
estimés au cours des années 90. On peut se demander s'il est
pertinent d'en inférer le fonctionnement futur de l'UEM. Nous abordons
ici cette question, inhérente à toute étude
économétrique, en revenant sur la décennie 90, puis en
décrivant le changement de régime que constitue la mise en place
de l'union monétaire et le rôle que peut jouer le marché du
travail.
Il ressort de ce rapport que les espoirs mis dans les réformes du
marché du travail pour accroître la flexibilité des
salaires et de l'emploi, et ainsi améliorer le fonctionnement de l'UEM
ne sont pas solidement fondés sur le plan empirique, et que les effets
attendus au niveau macro-économiques sont probablement
surestimés. Il existe même une présomption forte que les
pays dont les marchés du travail présentent des
caractéristiques moyennes au niveau de l'UE (
Allemagne
,
Italie
et dans une moindre mesure la
France
) soient ceux dans
lesquels les ajustements des salaires et de l'emploi sont les plus forts.
D'autres voies d'amélioration de la flexibilité que la
déréglementation des marchés du travail peuvent être
envisagées, notamment l'accroissement de la mobilité de la main
d'oeuvre au sein et entre les pays de l'UE.
I. 3.1 QUE PEUT-ON INFÉRER DES RÉSULTATS PRÉCÉDENTS POUR L'UEM ?
A. 3.1.1 PARTICULARITÉS DES ANNÉES 90
Les
années 90 ont été particulières à de
nombreux points de vue. Bien sûr toutes les décennies ont leurs
singularités, mais il est important de les rappeler et de chercher
à en tirer les conséquences lorsque les estimations
économétriques sont utilisées pour inférer ce que
sera la décennie suivante. Il nous semble utile de dégager deux
éléments : les réformes du marché du travail
et la volonté de satisfaire les critères de convergence du
traité de Maastricht.
Les réformes des marchés du travail des pays de l'UE ont
été importantes au cours des 15 dernières années.
Elles ont généralement visé à
déréglementer ces marchés en décentralisant les
négociations salariales, en permettant l'utilisation de contrats de
travail plus flexibles, et en diminuant la générosité des
systèmes d'indemnisation du chômage (voir Partie I). Si les
réformes ont été propres à chaque pays, à
chaque modèle, elles visaient toutes un même objectif : la
baisse du taux de chômage. Dans la mesure où ces réformes
cherchent à accroître la concurrence sur le marché du
travail, la sensibilité des salaires au déséquilibre entre
l'offre et la demande de travail doit théoriquement augmenter. Ainsi,
les réformes entreprises au cours de la décennie 90 ou dont les
effets se sont faits sentir pour la première fois au cours de cette
période, ont pu biaiser nos estimations d'équations de salaires
dans le sens d'une sous-estimation de la flexibilité salariale.
Certaines réformes, comme le recours accru aux CDD ou aux contrats
à temps partiel moins bien protégés par la
législation, ont pu également augmenter la vitesse d'ajustement
de l'emploi sur la période. C'est peut-être le cas en
France
, aux
Pays-Bas
, en
Italie
et en Espagne par exemple.
Une autre source de biais dans nos estimations est le contexte particulier de
politique économique qui a résulté de la
réunification allemande et de la perspective du lancement de l'euro
à la fin de la décennie 90. La réunification allemande a
constitué l'événement économique majeur de la
décennie 90 pour les pays de l'UE. Elle a profondément
modifié les politiques monétaires des pays de l'UE. Compte tenu
de l'asymétrie du SME, dont le point central était
l'
Allemagne
, les pays qui ont réussi maintenir leur parité
fixe vis-à-vis du deutschmark ont dû accepter une hausse des taux
d'intérêt complètement inadaptée à leur
situation économique propre. Les pays qui n'ont pas poursuivi cette
stratégie ont connu des dépréciations de leur taux de
change au début des années 90, mais leurs conditions
monétaires ont été globalement plus conformes à
leurs situations économiques. Les turbulences monétaires ont
alors conduit à des trajectoires de croissance très
différentes. Le
Royaume-Uni
est entré dans une phase de
croissance soutenue grâce à des taux d'intérêt
réels bas et à la reprise de l'activité aux Etats-Unis.
Les pays ayant maintenu leur parité fixe ont connu une forte
récession puis une croissance hésitante jusqu'en 1996. Enfin,
l'
Italie
semble avoir profité de l'occasion pour mettre en place
des réformes du marché du travail incontournables pour participer
à une union monétaire, notamment la suppression en 1991 des
mécanismes automatiques d'indexation des salaires nominaux sur les prix
afin de permettre la convergence de l'inflation italienne vers la moyenne de
l'UE. L'Italie a également mis en place des accords sur la
maîtrise des salaires et l'organisation des négociations
salariales. L'augmentation moins rapide des salaires réels relativement
à la productivité du travail à la suite de la
dépréciation de lire en 1992 résulte au moins en partie de
ces accords. Dès lors, l'augmentation de la sensibilité des
salaires réels au taux de chômage peut venir de la
stratégie de désinflation mise en place par les gouvernements
italiens et les partenaires sociaux dans le but de satisfaire les
critères de convergence du traité de Maastricht.
On voit ici que certaines réformes du marché du travail ont
été entreprises dans le but de satisfaire les critères de
Maastricht et de faire partie du premier groupe de pays adoptant une monnaie
unique. De nombreux pays ont conclu au cours des années 90 des plans
nationaux afin de satisfaire cet objectif. C'est le cas de l'
Italie,
de
l'Irlande, de la Finlande, et du Portugal. Il est clair que le consensus
national sur lequel ont pu être construits de tels accords était
lié à la volonté collective de ne pas rester en marge de
l'union monétaire. Il est alors légitime de craindre que de tels
arrangements ne soient pas aussi facilement mis en place une fois en UEM. Il
nous semble toutefois que cette période de convergence a
également été une période d'apprentissage et
d'adaptation à l'UEM.