8. Politiques spatiales européennes - Interventions de M. Jean-François LE GRAND, sénateur (RPR), Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc) et M. Claude BIRRAUX, député (UDF) (Mardi 23 septembre)

Ce rapport de l'Assemblée sur les activités de l'Agence spatiale européenne (ESA), le premier depuis 1992, s'intéresse aussi pour la première fois aux programmes spatiaux de la Russie Il dresse également un bilan des retombées industrielles et économiques de la recherche spatiale et examine les moyens de renforcer la coopération internationale en ce domaine.

Selon le rapporteur, quarante années d'investissements massifs ont donné à l'Europe une infrastructure spatiale cohérente et opérationnelle qui débouche sur un grand nombre d'applications, depuis l'observation traditionnelle du climat et de l'environnement jusqu'à l'utilisation prospective des données satellitaires pour le maintien de la paix et la gestion des catastrophes naturelles. Les programmes d'application spatiale représentent plus de 80 % des activités de l'ESA ; le programme spatial russe, réaménagé depuis 1992, se concentre désormais sur les applications civiles. La Russie est à l'origine de près des deux tiers des vaisseaux spatiaux lancés dans le monde et 65 % de sa flotte civile sur orbite est utilisée à des fins de communication et de radiodiffusion ainsi que de surveillance géologique et environnementale.

Les agences spatiales coûtent en moyenne 200 milliards de dollars par an mais rapportent sous forme de bénéfices directs environ 500 milliards de dollars ; en outre, pour 100 unités payées par l'ESA à l'industrie européenne, environ 300 unités en moyenne vont à des entreprises sous forme de gains indirects. Il est donc probable que les forces du marché seront prêtes à prendre le contrôle de l'investissement des programmes spatiaux, mais un retrait brusque de l'engagement de l'Etat serait une erreur grave ; la recherche spatiale, par exemple, qui a récemment subi des coupes budgétaires, a besoin d'être relancée. Mais l'engagement du marché modifiera le rôle des agences spatiales. En effet, leurs projets devront être plus étroitement liés à des applications pratiques et les usagers potentiels devront être associés beaucoup plus tôt à la conception des projets.

Avec l'internationalisation croissante des programmes spatiaux, la coordination en ce domaine reste insuffisante ; le rapport propose donc des mesures destinées à la renforcer. Les ambitions de l'exploration spatiale et la concurrence du marché entraînent l'Europe vers un engagement global plus actif, qui passe notamment par un renforcement des liens entre l'ESA et la Russie. Les programmes spatiaux européens peuvent retirer un grand profit de cet engagement du double point de vue de l'innovation technologique et de l'amélioration de leur compétitivité.

M. Jean-François LE GRAND, sénateur (RPR), intervient dans le débat en ces termes :

" Monsieur le Président, mes chers Collègues, je suis heureux que notre Assemblée ait inscrit à son ordre du jour ce débat sur les politiques spatiales européennes et je tiens, d'entrée de jeu, à féliciter M. Lorenzi pour la qualité de son rapport.

Il me semble, en effet, tout à fait opportun d'envisager aujourd'hui les développements techniques et économiques et les coopérations nécessaires sous l'angle des industries civiles.

Je l'apprécie d'autant plus que j'ai moi-même présenté un rapport devant l'Assemblée de l'Union de l'Europe occidentale sur l'utilisation de moyens satellitaires dans la prévention et la gestion des risques majeurs.

Nos collègues membres de l'Assemblée de l'UEO ont bien voulu adopter ce rapport à l'unanimité en juin dernier.

L'une des mesures recommandée portait sur le développement d'usages civils des technologies spatiales pour en permettre le développement optimal, par exemple la surveillance des risques tels que séismes, éruptions volcaniques, inondations, cyclones, ouragans ou encore incendies de forêt.

La même recommandation invitait à développer également parmi les usages civils des technologies spatiales, la protection de l'environnement et la prévention des risques technologiques - prévention dont l'urgence nous a été révélée en Europe avec des catastrophes comme celle de Seveso, survenue en 1976, ou plus grave encore, celle de Tchernobyl.

Afin de pouvoir gérer les risques de façon adéquate, les utilisateurs intéressés, les ministères de l'environnement, les agences gouvernementales ou encore les institutions européennes ont besoin d'une information fiable en temps utile et lisible par tous.

L'étude de l'agence spatiale européenne montre que le retour aux technologies spatiales peut compléter efficacement d'autres sources d'information.

Cinq technologies ont d'ailleurs fait l'objet de cette étude : la météorologie, le recueil de données et la localisation, la navigation, les télécommunications et l'observation de la Terre depuis l'espace, qu'il s'agisse d'images optiques ou de radar.

En ce qui concerne les quatre premières technologies, il existe déjà des systèmes spatiaux complètement opérationnels et répondant pleinement aux besoins des utilisateurs ; ces systèmes se trouvent en Europe, Russie comprise.

Sans entrer plus avant dans le détail, un consortium conduit par Nuova Telespazio a établi, en septembre 1996, les besoins précis des utilisateurs par rapport à chaque phénomène pris en compte.

Les systèmes spatiaux en projet doivent apporter à la fois une amélioration des performances et une réduction des coûts opérationnels.

Il y a obligation de rechercher les synergies puisque nous nous trouvons tous dans une situation où les charges financières et budgétaires de nos pays nous amènent à gérer plus scrupuleusement que jamais les dépenses publiques et donc à exploiter au mieux les ressources et les moyens disponibles.

Il nous faudra aussi veiller à ce que les moyens mis en oeuvre évitent les distorsions de concurrence de la nature entre les USA et l'Europe de celles que nous connaissons par exemple en matière de constructions aéronautiques - distorsions de concurrence qui, compte tenu des nouvelles règles de l'organisation mondiale du commerce, pénalisent les entreprises européennes.

Enfin, dans le même temps, nous nous devons de ne rien abandonner aux Américains. J'ai été très sensible aux propos tenus tout à l'heure par M. le directeur général de l'Agence spatiale européenne sur le sujet : il s'agit d'un formidable enjeu économique, mais d'un enjeu culturel tout aussi important. Sous réserve que l'Europe ait réellement envie d'abandonner aux Américains leur american way of life , il lui faudra se battre pour que le mode culturel européen continue de vivre.

C'est dans cet état d'esprit que je voterai les recommandations du rapport. "

Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc), prend la parole à son tour en ces termes :

" Je félicite M. le rapporteur et je reviens sur le propos de M. Rodota qui évoquait les relations Europe/Etats-Unis en même temps que les défis lancés. Le dernier est la fusion de Boeing et de Douglas.

Avec la commission technique et aérospatiale de l'UEO, nous étions aux Etats-Unis au mois de juillet. Nous avons appris, le 30 juillet, que la commission autorisait la fusion entre Boeing et Douglas sous conditions et obligations. Or, comme nous avons vécu au coeur de ce problème pendant plusieurs jours, aussi bien au Pentagone qu'à Seattle chez Boeing, nous pouvons témoigner de l'ambiance qui régnait et dire combien l'indifférence des Américains était grande par rapport à nos avis, combien leur arrogance était parfois dérangeante et leur puissance évidente.

Quelques chiffres qui situent bien le rapport des forces. Le chiffre d'affaires de Boeing-Douglas après la fusion s'élèverait à environ 48 millions de dollars ; dans le même temps, le chiffre d'affaires de Aérospatiale France, de British aerospace et de Dasa réunis représenterait environ 10 milliards de dollars. Voilà où se situe la réalité. Il y a là une menace évidente pour l'Europe. Elle se situe à trois niveaux : les contrats d'exclusivité avec trois compagnies américaines ; les brevets, les licences et leur accès ; et surtout, les aides, les subventions du Pentagone à l'activité militaire, c'est-à-dire à Douglas, avec possibilité de transfert de ces fonds au sein du groupe vers la construction civile.

Dans ces conditions, la fusion était à la fois une menace pour l'Europe et pour Airbus. Elle ouvrait une réelle guerre économique. L'Europe a su, dans une fermeté qui nous a peut-être surpris, mais qui nous a, en même temps fait plaisir, affirmer à l'unanimité une certaine cohésion - mais un instant seulement ! Brutalement, il y a eu, semble-t-il, revirement de Bruxelles et, sans vote et sans débat, la commission a autorisé l'acquisition de Douglas par Boeing.

Boeing semble avoir offert certains engagements s'agissant d'une levée partielle des contrats, mais n'a pas renoncé pour autant aux 244 avions inclus dans des contrats déjà signés. Les Américains ont ouvert l'accès à certains brevets, à certaines licences ; ils ont promis d'isoler des fonds militaires de Douglas à l'intérieur du groupe. Ces engagements sont-ils donc suffisants ? A l'évidence non pour certains commissaires qui ont formulé beaucoup de réserves. Le risque existe-t-il toujours, malgré la vigilance de la commission ? Fort probablement. Boeing détient 70 % du marché aérospatial, 84 % de la flotte mondiale, 90 % du marché des avions de transport et le quasi monopole sur les avions de cent places.

Quoi que l'on dise, il y a atteinte au droit de la concurrence et danger pour Airbus. Il faut donc réagir.

J'exprime deux souhaits. Premièrement que la commission désormais ne soit pas plus exigeante pour les entreprises européennes qu'elle ne l'a été pour les entreprises américaines. Deuxièmement, qu'une telle stratégie européenne et offensive se mette en place. A l'évidence, il n'y a de place que pour un seul avionneur civil et militaire. Cela implique une restructuration de l'industrie. En France, elle suppose, par exemple, le rapprochement de Dassault et de Aérospatiale. Toutefois, il ne s'agit que d'une simple composante du système. Par contre et sûrement, il convient de rapprocher les partenaires qui participent à la construction d'Airbus. Là est l'essentiel ! "

M. Claude BIRRAUX, député (UDF), intervient dans le débat de la façon suivante :

" Je voudrais tout d'abord féliciter notre collègue M. Lorenzi pour la qualité de son rapport.

L'Europe, grâce aux investissements réalisés depuis une trentaine d'années, obtient de bons résultats dans le domaine spatial. On pense évidemment aux succès du programme Ariane qui devrait effectuer ce soir son centième lancement.

L'Europe maîtrise ainsi 60 % du marché commercial du lancement. Elle dispose de complexes techniques comme l'Agence spatiale européenne, ainsi que d'opérateurs de satellites tout à fait compétitifs comme Eutelsat et Astra.

Le paysage spatial est toutefois dominé par les Etats-Unis qui consacrent 0,35% de leur produit intérieur brut - 30 milliards de dollars en 1997, répartis équitablement entre civil et militaire - soit cinq fois plus que l'Europe. L'Europe investit de manière dispersée : la France 0,11 % du PIB, l'Allemagne 0,056 %, l'Italie 0,048 %, la Grande-Bretagne 0,026 %.

Je souhaiterais mettre l'accent sur quelques points qui me semblent importants.

En dépit de ces succès européens, on ne peut que constater, au regard de la partie applicative, un certain nombre de faiblesses et je rejoins l'avis de notre rapporteur.

Je regrette ainsi que l'Europe ne soit pas davantage présente dans un secteur aussi prometteur que l'observation de la terre. Un certain nombre de services d'intérêt général comme les prévisions des catastrophes naturelles ou l'observation de l'évolution des sols en découlent. Il me semble fort souhaitable que ce domaine entre dans les programmes obligatoires de l'ESA.

Concernant les lanceurs, la mise en service d'Ariane 5 est primordiale, et aucune erreur n'est désormais permise.

Il importe aussi qu'Ariane 5 soit optimisée pour la dominante du marché, les satellites en orbite géostationnaire, et réponde à la concurrence des lanceurs américains Atlas 2 AR et Delta 3.

L'Europe doit prendre garde à ne pas se laisser distancer par les Etats-Unis et le Japon dans le domaine des lanceurs réutilisables. Se pose également le problème de l'élargissement de la gamme des lanceurs pour s'adapter au marché. Pour le moment, en dehors de l'alliance entre la Russie et la France qui a permis la commercialisation du lanceur Soyouz, l'Europe se montre hésitante sur la stratégie à adopter.

Les succès passés et les parts de marché gagnées ne doivent pas altérer notre lucidité pour affronter les défis de l'avenir. Nous devons avoir conscience que nous sommes entrés dans l'ère de la domestication de l'espace et de son exploitation croissante par l'homme.

Des enjeux nouveaux, liés aux nouvelles technologies de l'information et de la communication ou à l'observation précise de la terre, justifient une politique européenne ambitieuse, volontariste et coordonnée.

En l'absence d'une homogénéité suffisante, l'Europe souffre de difficultés d'adaptation à la donne géopolitique et géostratégique, entre autre à cause de ses efforts trop peu coordonnés de recherche. De plus, elle ne bénéficie pas, comme les Etats-Unis, des avantages touchant à la fois au civil et à la défense.

Elle doit se livrer à une réflexion stratégique pour savoir comment conforter, valoriser ses acquis et répondre aux besoins croissants des utilisateurs de l'espace.

En une phrase et en résumé, à la structure multiétatique et aux programmes à la carte, ne convient-il pas de substituer une structure européenne qui rassemble et les compétences et les fonds budgétaires pour une synergie porteuse d'ambitions partagées ?

N'est-ce pas là une question très liée à la construction de l'Europe politique et à ses incidences socio-économiques ? La réponse politique est entre les mains des décideurs politiques et d'eux seuls. "

La recommandation 1341, figurant dans le rapport 7875, amendée, est adoptée à l'unanimité.

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