B. LE STATUT EST UN ÉLÉMENT DE RECONNAISSANCE DU RÔLE DE L'ÉLU ET UN INSTRUMENT D'ÉQUITÉ SOCIALE

La reconnaissance du rôle accru de l'élu local a justifié la mise en place d'une compensation raisonnable des charges liées au mandat ; cette compensation est nécessaire pour garantir l'égal accès de tous au mandat électif.

1. La nécessité d'une juste compensation des charges liées au mandat

a) Le nécessaire aménagement du principe de gratuité

Le principe de gratuité du mandat qui trouve son origine dans le souci de mettre l'accent sur le dévouement " naturel " de l'élu à la chose publique, a été également invoqué comme la preuve de son " désintéressement ".

Il doit reposer aujourd'hui sur la volonté d'éviter une " professionnalisation " du rôle d'élu local qui ne serait pas conforme à la tradition française qui met toujours l'accent sur le lien particulier entre la collectivité et l'élu qui la représente.

Comme l'a souligné M. Didier Lallement, directeur général des collectivités locales, lors de son audition, la France n'a jamais mis en place un système de " carrière de l'élu " visant à permettre, en quelque sorte, une " délocalisation " progressive de l'élu par son accession programmée à des mandats de plus en plus importants suivant un plan de carrière comparable à celui d'un cadre dans son secteur d'activité ou d'un haut fonctionnaire.

De même, il serait éloigné de nos conceptions que l'élu local, comme en Allemagne, puisse être à la fois responsable de l'exécutif et le chef des services administratifs de la collectivité qu'il dirige.

Le " métier " d'élu local n'est pas un métier comme les autres car il est fondé sur l'épreuve démocratique périodique de l'élection, qui est une source de légitimité, mais comporte aussi le risque d'un échec pour des raisons qui ne sont pas toujours liées à l'exercice du mandat.

Pour autant, le principe de gratuité doit être aménagé afin d'assurer la compensation la plus juste possible des charges croissantes qui pèsent sur les responsables des collectivités décentralisées.

De fait, le principe de gratuité fait aujourd'hui l'objet d'aménagements significatifs en termes d'indemnités, de garanties au titre du droit du travail, ou de protection sociale.

Cet aménagement devient une condition essentielle de l'activité de l'élu : assumer un mandat local ne doit plus être considéré comme un sacerdoce .

Comme le soulignait le président Poncelet le 20 novembre 1998 devant le 81 ème Congrès de l'AMF : " Cessons les tartuferies et remisons les hypocrisies qui consistent à faire croire que ce véritable " métier " peut reposer exclusivement sur la foi et le sens du sacrifice qui animent ceux qui l'exercent (...) la démocratie n'a-t-elle pas un prix ? "

L'exemple étranger montre que de nombreux pays européens sont soucieux de maintenir aux responsables des collectivités locales des éléments de statut qui leur apportent des garanties importantes.

b) L'exemple étranger

Dans les pays étrangers, européens notamment, les élus locaux bénéficient souvent de situations comparativement avantageuses par rapport à la France.

Dans des pays tels que l'Allemagne et les Pays-Bas, les fonctions électives locales ont été progressivement assimilées à des emplois à temps plein et rémunérées dans des conditions analogues aux salariés.

En Italie et en Espagne, le niveau des régimes indemnitaires se situe à des niveaux qui permettent aux élus d'abandonner temporairement leur activité professionnelle.

Le Service des Affaires européennes du Sénat a récemment fait réaliser une étude très riche sur le statut de l'élu local en Europe 20( * ) .

Celle-ci fait apparaître les points suivants. Les pays tels que l'Allemagne et l'Angleterre, dans lesquels l'exercice d'un mandat local est traditionnellement considéré comme une fonction bénévole, ont chacun mis en place des barèmes d'indemnité et ont prévu, de surcroît, des dispositions en matière de retraite et de retour à la vie professionnelle.

En revanche, des pays tels que le Danemark, l'Espagne, les Pays-Bas et le Portugal garantissent un statut assez complet aux élus locaux réputés exercer leur mandat à temps plein.

Dans ces pays, -dotés, il est vrai, de moins de collectivités locales que le nôtre-, les niveaux des rémunérations sont souvent plus importants qu'en France. Ainsi, au Danemark, les maires perçoivent-ils annuellement entre 360.000 francs et 500.000 francs selon l'importance de la commune. Le maire portugais reçoit une somme calculée en proportion du salaire du Président de la République et qui varie entre 16.000 francs et 22.000 francs par mois.

Aux Pays-Bas, la rémunération des élus s'étage entre 21.000 francs et 42.000 francs par mois selon l'importance de la commune.

Les pays concernés envisagent le retour à la vie professionnelle de l'élu soit par la réintégration dans le poste de travail (Espagne), soit par le versement d'une allocation spéciale de fin de mandat (Danemark, Pays-Bas, Portugal).

2. Le statut est une garantie de la diversité sociologique des élus

Faire de l'exercice du mandat un sacrifice, c'est prendre le risque de restreindre la diversité sociologique des élus.

Au fond, c'est retrouver l'esprit même du principe de gratuité que de permettre à chacun, quelle que soit sa profession, d'accomplir sa vocation au service du bien public.

De fait, les statistiques montrent des phénomènes préoccupants.

La répartition par catégories socioprofessionnelles des maires montre une sous-représentation des salariés du secteur privé , tandis que les fonctionnaires et les retraités sont plutôt sur-représentés. A l'issue des élections municipales de 1995, les agriculteurs représentaient 20 % du nombre total des maires, les salariés du secteur privé 16,6 %, les chefs d'entreprise et professions libérales 13 %, tandis que les agents de la fonction publique représentaient 19 % des maires et les retraités 30 %.

Or, à l'issue des élections municipales de 1989, 28,5 % des maires étaient agriculteurs, les salariés du secteur privé représentaient 14,6 % des maires, les chefs d'entreprise et professions libérales 15 %, les agents de la fonction publique 15,5 % et les retraités 23,7 %.

Ces éléments statistiques montrent la progression notable des retraités parmi les élus locaux. Ce constat doit être nuancé, considérant que les retraités ne représentent que 14,5 % des conseillers généraux et 9,4 % des conseillers régionaux.

Un autre phénomène est la faible féminisation des élus locaux qui s'élève à 7,5 % pour les maires. La féminisation est particulièrement restreinte dans les grandes communes et dans le sud de la France.

Une hausse est observée ces dernières années (2,8 % en 1983 et 6 % en 1989) qui devrait s'amplifier avec la mise en oeuvre des mesures tendant à favoriser l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électifs.

Il convient toutefois d'observer que 22 % des conseillers municipaux sont des femmes. Il est souvent souligné que les femmes présentes dans les conseils municipaux sont particulièrement assidues et actives.

Enfin, la proportion des cadres du secteur privé apparaît d'autant plus faible par rapport à celle des cadres du secteur public que la collectivité est importante : les cadres privés sont représentés à 12 % et 10 % dans les conseils généraux et les conseils régionaux alors que le taux des cadres de la fonction publique s'élève respectivement à 28 % et 22 % dans ces collectivités locales.

Le dispositif actuel ne permet donc pas à tous les citoyens de briguer un mandat en toute équité.

Si la loi du 3 février 1992 a représenté une avancée importante, elle semble aujourd'hui rattrapée par les contraintes et les charges qui pèsent sur les élus locaux.

Directement au contact des attentes et des besoins de leurs administrés, les élus locaux gèrent des collectivités décentralisées dans lesquelles l'importance des responsabilités va de pair avec le caractère très évolutif d'une réglementation souvent instable et toujours complexe.

Au demeurant, la charge de travail liée à la gestion n'est pas strictement proportionnelle à la taille des communes : les tâches demeurent importantes dans une commune moyenne du fait de l'homogénéité de la réglementation et de l'uniformisation des normes sur le territoire national.

Il ressort des réponses au questionnaire transmis aux élus alsaciens par la Présidence du Sénat en mars 1999, lors des Etats généraux de la Décentralisation, que les maires qui sont tentés de ne pas se représenter ou de démissionner soulignent, à 25 %, la difficulté de concilier la vie professionnelle et le mandat, ainsi que, à 21 %, " l'inadaptation du statut des élus ". C'est dire que la question du statut est au coeur du trouble que ressentent nombre de maires.

M. Daniel Hoeffel a présenté à la mission un projet de Livre Blanc sur la réforme du statut de l'élu, préparé par l'Association des Maires de France (AMF) en octobre 1999, qui présente de manière très pertinente divers éléments de réflexion. Votre rapporteur rend hommage à ce travail qui aura été très utile dans la réflexion sur la mission d'information.

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