II. DES MISSIONS DE PLUS EN PLUS EXIGEANTES

Les missions fiscales de la DGI lourdes d'enjeux quantitatifs ont évolué dans le sens d'une complexification de type plus qualitatif.

L'évolution économique et celle de la matière fiscale ont engendré de nouvelles exigences.

L'attente des différents " partenaires " de la DGI s'est ajoutée à ce phénomène pour renforcer la pression subie à l'occasion de l'administration de l'impôt.

A. LES ÉVOLUTIONS ÉCONOMIQUES ET DE LA MATIÈRE FISCALE, SOURCES DE NOUVELLES TENSIONS

Le contexte de l'exercice des missions fiscales de la DGI a profondément changé sous l'effet des évolutions économiques en cours et des changements structurels agissant sur la matière fiscale.

Ces réalités nouvelles qui continuent de se développer prennent principalement trois visages : la déréglementation, l'internationalisation et la sophistication.

Elles s'appuient sur des modifications juridiques et sur l'essor des nouvelles technologies qu'il s'agisse de l'informatique ou des progrès de l'ingénierie financière et fiscale.

Ces changements de contexte modifient la charge de travail des services en la rendant plus complexe.

C'est évidemment à l'occasion du repérage des comportements frauduleux que s'exprime le mieux ce surcroît de difficultés.

L'internationalisation de la fraude fiscale en constitue un premier exemple. Dans ce domaine, le cas de la TVA intra-communautaire a fait l'objet d'inquiétudes particulières.

Autrefois perçue par la douane à l'occasion du passage transfrontalier, la TVA intra-communautaire est désormais perçue par la DGI. Les produits sont admis en suspension de taxe puisque les contrôles aux frontières ont été supprimés.

Les entreprises acheteuses ou vendeuses produisent une déclaration périodique et les redevables acquittent la TVA intra-communautaire dans les mêmes conditions que la taxe interne.

Conformément à l'article 93 de la loi de finances pour 1996, le Gouvernement avait remis au Parlement en juin de cette année un rapport sur l'évolution de la taxe sur la valeur ajoutée depuis la mise en place du marché unique.

Le rapport concluait que : " la mobilisation de l'administration a permis d'effectuer dans de bonnes conditions le passage au régime instauré depuis 1993. Face à l'apparition de mécanismes de fraude potentiels plus diversifiés, un effort important a été consacré pour réaliser des contrôles ciblés et dissuasifs qui ont permis de préserver les ressources collectées par l'Etat. L'utilisation de nouveaux outils comme l'exercice du droit d'enquête ou l'étude des données de recoupement communautaires a été efficace ".

Il ajoutait : "enfin, les actions qui seront menées à l'avenir constituent un enjeu important...Pour intensifier la coopération entre la douane et la DGI un plan d'action commun est mis en place : il devra permettre de mieux exploiter les informations dont les administrations financières disposent déjà. Il facilitera également les opérations de détection et de contrôle au moment où, après les premières années de mise en place du dispositif, les vérificateurs pourront réaliser des investigations sur plusieurs années concernées par la TVA intra-communautaire."

On ne peut énoncer plus clairement les charges nouvelles engendrées par les déréglementations et l'internationalisation des opérations intra-communautaires.

Elles proviennent d'abord d'un accroissement des risques de fraude.

En exagérant ses déclarations d'acquisitions intra-communautaires, un redevable se constitue des droits à déduction fictifs. Il paiera ainsi plus de TVA intra-communautaire qu'il ne devrait mais acquittera moins de TVA nette interne que normalement.

En sous-évaluant ses acquisitions intra-communautaires, le redevable peut :

- soit nourrir un circuit économique occulte, et, dans ce cas, les montants de TVA intra-communautaire et de TVA nette sont réduits à proportion des droits éludés par ce moyen ;

- soit éviter des paiements de TVA non déductibles dans l'hypothèse où, du fait de son activité, de son statut ou de sa qualité d'utilisateur final, les facultés de déduction seraient fermées. Dans cette hypothèse, le montant de la TVA intra-communautaire est seul affecté.

Ces "tentations" correspondent aux trois types de fraude que le passage au nouveau régime de TVA intra-communautaire a rendu plus aisé à réaliser :

Les entreprises peuvent effectuer des acquisitions intra-communautaires sans les déclarer.

Le montant brut des droits éludés est alors égal à la dissimulation pratiquée. Mais le montant net est plus incertain.

Cette pratique n'a en effet de conséquences financières pour le Trésor que si le chiffre d'affaires de l'entreprise n'est pas correctement déclaré ou dans l'hypothèse où les droits à déduction de l'entreprise seraient inférieurs au montant de la TVA à laquelle elle serait assujettie sur ses achats intra-communautaires.

Les entreprises françaises peuvent déclarer des livraisons intra-communautaires fictives

Le Trésor est lésé à hauteur de la TVA éludée sur des ventes internes ainsi masquées.

Des circuits frauduleux plus sophistiqués peuvent être utilisés

Le rapport déposé par le Gouvernement citait par exemple le cas des "carrousels".

" Une entreprise française éphémère (A) peut établir des factures avec TVA vers une autre société française (B) qui à son tour revend les biens, sous forme de livraison intra-communautaire exonérée, à une entreprise (C) située dans un autre Etat-membre. Si l'ensemble du circuit est fictif, l'auteur de la fraude peut en tirer un bénéfice substantiel : en fait, aucune marchandise n'est réellement échangée.

En effet, l'entreprise (A) disparaît rapidement sans reverser la TVA figurant sur les factures qu'elle a émises. En revanche la société (B) demande à l'Etat le remboursement du crédit de TVA constitué grâce à ses achats et livraisons exonérées fictifs ".

Dans cette hypothèse, la disparition des contrôles physiques aux frontières ôte la possibilité de contrôler la réalité de l'exportation réelle du bien.

Mais, l'alourdissement des charges provient aussi de l'accroissement des difficultés d'identification des fraudes .

Dans le nouveau système de TVA, l'on passe d'un mécanisme de contrôle à partir des flux à un mécanisme de contrôle à partir des contribuables. Or, le développement des entreprises à courte durée de vie et la sophistication des montages juridiques compliquant à l'extrême l'identification du contribuable sont en la matière un défi permanent.

Ces mêmes difficultés se retrouvent face à la libération des mouvements internationaux de capitaux des biens et des personnes qui a multiplié les occasions d'échapper aux cadres strictement nationaux.

Les revenus et les facteurs peuvent pour certains se déplacer instantanément et sans même évoquer le développement des paradis fiscaux, ce seul phénomène met en jeu l'efficacité de l'action des administrations fiscales nationales.

Dans ce contexte, les services de la DGI sont engagés dans une course permanente dont l'enjeu est leur capacité de réaction.

Cette course implique de nouvelles charges dont la quantification ne peut être entièrement précisée mais qui se traduisent qualitativement par un renforcement des difficultés d'exercice des missions .

Les exigences en matière de coopération internationale ont considérablement augmenté. Cela se traduit d'abord par une " explosion des demandes d'assistance administrative " selon les termes employés par le chef d'une brigade de contrôle fiscale rencontré par votre rapporteur, explosion qui est fortement consommatrice de temps. Mais, cela débouche aussi sur une difficulté substantielle et supplémentaire à exercer des contrôles que la législation enferme pour des raisons protectrices évidentes dans des délais stricts.

A côté du renforcement de la coopération internationale s'imposent aussi de plus en plus les nécessités de liaisons entre les services administratifs nationaux. Là aussi des surcroîts de charge en résultent sans même évoquer les difficultés de leur mise en oeuvre concrète. S'agissant de ces dernières, s'il est possible de les concevoir lorsque la collaboration concerne des ministères différents, elles sont nettement moins admissibles lorsqu'elles naissent au sein du ministère des finances.

B. LES EXIGENCES DES " PARTENAIRES " DE LA DGI, SOURCES DE NOUVELLES PRESSIONS

Confrontés à des évolutions économiques et technologiques qui alourdissent leurs charges, les services de la DGI doivent en outre satisfaire les exigences en constant accroissement de leurs " partenaires " naturels, l'Etat et les contribuables.

1. Les exigences de l'Etat

S'agissant des exigences de l'Etat, elles prennent essentiellement leur source dans le renforcement des contraintes entourant la gestion des finances publiques. Les difficultés suscitées par l'ampleur des déficits publics et par l'accroissement de la dette publique ont engendré un accroissement du niveau de performances demandées aux services mais ont aussi fait naître un objectif de plus en plus affirmé d'efficience.

Sous le premier aspect, les standards d'efficacité de la gestion de l'impôt ont été rehaussés en termes de rendement mais aussi de rapidité des encaissements. Les indicateurs utilisés pour piloter le réseau -v. infra- en témoignent de même que les objectifs assignés. Ainsi en allait-il déjà dans le cadre des orientations nationales fixées en mars 1996 qui traduisaient les priorités fixées aux services et notamment :

"  le maintien des résultats acquis en particulier en matière d'accélération des travaux d'assiette ;

la lutte contre la défaillance fiscale en effaçant les écarts entre la réalité et les fichiers ;

lutter contre les nouveaux risques de fraudes.

Ainsi en va-t-il encore dans le cadre du récent contrat d'objectifs et de moyens conclu entre la DGI et la direction du budget qui énonce comme priorités de :

- faire progresser le respect spontané des obligations déclaratives en gérant rigoureusement le système déclaratif, en réagissant sans délai aux défaillances de toutes natures et en développant des actions de contrôle efficaces et dissuasives, l'amélioration de l'accomplissement volontaire des obligations fiscales par les contribuables devant être mesurée par les indicateurs suivants :

Mission

Mesure

1997

1998

Objectif 2002

Assiette

- taux de respect spontané des échéances déclaratives en matière de TVA

86,5 %

87,6 %

90 %

Recouvrement

- coefficient de paiement à l'échéance

95,9 %

96,2 %

Entre 96,7 % et 97,5 % en fonction de l'évolution de la conjoncture économique


Assiette

- taux de retardataires TVA de + de 6 mois

5,5 %

4,2 %

3 %

- taux de retardataires en déclarations de résultats BIC/BNC/IS au 31/12

nd

9,1 %

3 %

Recouvrement

- taux de couverture des charges de l'exercice

97,7 %

98 %

98,5 %

- renforcer la qualité du contrôle fiscal en renforçant l'efficacité dans la lutte contre les fraudes les plus graves et pénalement répréhensibles, en recouvrant mieux les impositions de sa compétence suite à contrôle fiscal et en assurant un meilleur contrôle des dossiers à forts enjeux, les résultats étant suivis à partir des indicateurs suivants :

Mission

Mesure

1997

1998

Objectif 2002

- taux de poursuites pénales engagées (plaintes pour fraude fiscale, escroquerie et opposition à fonctions) suite à contrôle fiscal

1,82

1,85

1,90 à 1,95

Contrôle

- taux net de recouvrement DGI des impositions suite à contrôle fiscal en N + 2

-

74,33 %

80 %

- taux de contrôle des dossiers à forts enjeux (> 1 MF) sur 3 ans

nd

nd

100 %

A ces exigences d'efficacité qui restent pour l'heure dans leur définition, du strict ressort national mais pourraient dans le futur faire l'objet d'un contrôle communautaire tant les enjeux en matière de concurrences des systèmes apparaissent forts, s'est ajouté de plus en plus explicitement un objectif d'efficience.

Censés réaliser des gains d'efficacité, les services sont également priés d'atteindre des objectifs de réduction du coût des missions. Cette dernière démarche trouve une consécration dans l'affichage dans le contrat d'objectifs et de moyens susmentionné d'objectifs d'amélioration de la productivité et de diminution du coût de gestion des impôts les plus onéreux -v. infra.

Ces exigences renforcées ont alourdi les charges des services qui ont dû, en outre faire, face à des changements de méthode parfois un peu erratiques. Ainsi en est-il allé de façon particulièrement illustrative dans le domaine des travaux d'assiette avec une série d'allers - retours entre les centres des impôts et les centres régionaux informatiques de la charge de saisie des déclarations, série que l'introduction annoncée de la " déclaration express " -v. infra- devrait prolonger.

Il ne faut enfin pas dissimuler la complexification et la volatilité de la législation fiscale qui rend totalement illusoire sa maîtrise par les agents et engendre des coûts de formation récurrents à l'utilité incertaine compte tenu de l'instabilité des normes. La situation atteint un véritable paroxysme avec des impôts, comme la taxe sur les logements vacants, dont les coûts d'administration sont susceptibles d'excéder le rendement. Un objectif raisonnable de simplification des règles fiscales doit être poursuivi.

2. Les exigences des contribuables

L'alourdissement, la diversification et l'instabilité des prélèvements obligatoires, les mutations économiques et sociales avec tout à la fois l'intensification des phénomènes de concurrence et la dégradation de la situation économique de nombre d'agents -entreprises et ménages- confrontés à la volatilité de leurs situations, l'amélioration d'ensemble de la culture économique et fiscale, tous ces phénomènes ont fait le lit d'une mutation au terme de laquelle l'administré -voire le client- a remplacé de plus en plus l'assujetti.

L'accroissement des exigences financières de la puissance publique a, quant à elle, provoqué des contreparties naturelles avec l'adoption de mesures de protection des contribuables qui compliquent les conditions d'administration de l'impôt.

Bref, les exigences pratiques des contribuables se sont accrues.

Ces phénomènes ne sont pas sans conséquences pour les services.

De façon significative, l'un des agents rencontrés par votre rapporteur a pu faire état de la très forte augmentation des saisines des commissions départementales -chargées d'instruire les demandes des contribuables- en la jugeant fortement consommatrice de temps.

De la même manière, la fréquentation des centres des impôts ou des services de recouvrement est riche d'enseignements sur les difficultés concrètes issues des demandes contribuables.

Un indicateur plus objectif, l'évolution des demandes gracieuses des contribuables, ne dément pas ces observations de terrain.

Evolution des demandes gracieuses (1989-1997)

Impôts directs

Droits d'enregistrement

TCA

Total

1989

352.256

49.965

147.062

549.283

1990

401.931

58.009

198.436

658.376

1991

385.092

58.273

187.806

631.171

1992

411.511

52.105

192.263

655.879

1993

496.723

50.735

222.006

769.464

1994

560.428

45.225

198.712

804.365

1995

587.924

44.233

221.271

853.428

1996

675.330

47.980

268.255

991.565

1997

731.493

48.048

263.709

1.043.250

Source : Comité du contentieux fiscal, douanier et des changes. Rapport 1998 à l'intention du gouvernement et du Parlement.

Le total des demandes gracieuses a presque doublé en huit ans s'accroissant à un rythme annuel moyen supérieur à 8 %.

Dans ces conditions, l'administration s'est assignée à elle même l'objectif de mieux satisfaire les exigences des administrés. Elle s'est engagée à :

- mieux accueillir les usagers en respectant les cinq standards de qualité suivants : réception sur rendez-vous, pas d'appel téléphonique sans suite, envoi des formulaires à domicile, systématisation des réponses d'attente quand une expertise est nécessaire et levée de l'anonymat, aussi bien dans les correspondances que lors de l'accueil.

- traiter mieux et plus rapidement les dossiers des usagers en accélérant la délivrance des renseignements en matière foncier et en diminuant les délais de réponse aux réclamations, ce dernier objectif étant mesuré comme suit :

Mission

Mesure

1997

1998

Objectif 2002

Assiette

- % de réponse aux réclamations des particuliers dans le délai d'un mois en matière d'impôt sur le revenu et de taxe d'habitation

87,7

87,7

90 %

CHAPITRE II :

Un contexte administratif complexe

Les services territoriaux de la DGI exercent leurs missions dans un contexte administratif complexe et à certains égards paradoxal.

La complexité d'abord. Elle provient du découpage des missions fiscales entre la DGI et d'autres administrations, et tout particulièrement d'un partage de rôles sans vraies justifications avec la direction générale de la comptabilité publique (DGCP) dont les questions qu'il pose sont exposées plus avant.

Mais, elle est aussi interne à la DGI elle-même et naît d'un empilement de structures centrales et locales aux fonctions certes spécialisées mais dont les interventions sont susceptibles de se chevaucher. L'organisation administrative de la DGI trahit à cet égard la double logique d'action qui l'anime, sa territorialisation mais aussi sa spécialisation fonctionnelle .

Le paradoxe ensuite. Il conduit à relever la coexistence d'une affirmation forte du principe hiérarchique destiné à assurer la cohérence de l'action des services et d'une délégation de compétences qui prend parfois une assez grande ampleur. Il conduit aussi à souligner la force avec laquelle est affirmée la dimension de service public de la DGI et une réelle incapacité à rendre compte. Ces paradoxes semblent être l'expression des limites auxquelles se heurte l'animation d'un réseau de service public dans le cadre des modes traditionnels d'administration à la française.

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