AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des Affaires sociales a toujours choisi d'effectuer des missions d'information dans des pays étrangers qui, bien qu'ayant une culture, des traditions et des systèmes sociaux spécifiques, sont confrontés à des défis comparables à ceux qui caractérisent la situation française.

L'étude des solutions retenues, des réformes entreprises par ces pays guide, ou du moins éclaire, le travail du législateur.

Au cours des dernières années, des délégations de votre commission se sont ainsi rendues au Japon pour étudier les systèmes de retraites, en Suède pour mieux connaître le cadre des relations du travail, et à deux reprises aux Etats-Unis, une première fois pour étudier la réforme du système de santé et une seconde pour mieux comprendre les conditions du développement des nouvelles thérapies génique et cellulaire.

Il y a deux ans, une mission d'information a également été organisée au Danemark pour étudier un système de santé très différent du nôtre, mais aux performances réelles en termes de maîtrise des dépenses.

C'est dans cette tradition que votre commission a décidé de consacrer une mission d'information à l'organisation du système de soins et à l'évolution des dépenses de santé en Espagne.

Elle a eu notamment pour objet d'étudier les conditions de la décentralisation de la gestion du système de santé, les réformes tendant à renforcer l'autonomie de gestion des établissements de santé ainsi que la politique du médicament.

La mission s'est déroulée du 13 au 18 septembre 1999.

Composition de la délégation

- M. Jean Delaneau, président, RI, sénateur d'Indre-et-Loire,

- M. François Autain, questeur, Soc, sénateur de Loire-Atlantique,

- M. Charles Descours, RPR, sénateur de l'Isère,

- M. Claude Huriet, questeur, UC, sénateur de Meurthe-et-Moselle,

- M. Henri Le Breton, UC, sénateur du Morbihan,

- M. Dominique Leclerc, RPR, sénateur d'Indre-et-Loire,

- Mme Gisèle Printz, Soc, sénateur de Moselle.

Compte tenu de l'organisation administrative décentralisée de l'Espagne, cette mission s'est déroulée en deux étapes.

La première, à Madrid, a eu pour objet d'étudier tant le mode de gestion centralisé du système de santé pour les dix communautés autonomes qui n'ont pas encore fait l'objet d'un transfert de compétences en matière de santé, que la coordination opérée par l'Etat entre les politiques de santé conduites par les sept communautés autonomes qui disposent de la compétence sanitaire.

La seconde étape de la mission s'est déroulée en Catalogne, une des sept communautés disposant de compétences sanitaires. Elle a eu pour objet l'étude des spécificités de l'organisation sanitaire et de la politique de santé dans une communauté dite " historique ".

La délégation souhaite exprimer ses remerciements les plus vifs, non seulement aux personnalités qui lui ont accordé des entretiens, mais aussi à M. Patrick Leclercq, Ambassadeur de France en Espagne qui, malgré un emploi du temps très chargé en raison de la préparation de la visite de M. Jacques Chirac, Président de la République, a chaleureusement accueilli la délégation et a prévu, à son attention, un programme de travail de grande qualité.

Elle remercie également M. Thierry Vanberk Hoven, Ministre conseiller, pour son accueil, M. Jacques Pé, Conseiller pour les affaires sociales et M. Nicolas Eybalin, Premier conseiller, qui ont apporté un concours efficace et constant à l'organisation et au bon déroulement de la mission d'information.

La délégation remercie vivement aussi M. Pierre Charasse, Consul général à Barcelone, qui a organisé nos rencontres dans cette ville et l'y a très aimablement accueillie.

La délégation souhaite également remercier M. Carlos de Benavides y Salas, Ambassadeur d'Espagne en France, qui a apporté un concours efficace à l'organisation de la mission.

I. UN ACCÈS AUX SOINS UNIVERSEL, QUASI GRATUIT ET DÉSORMAIS FINANCÉ PAR L'IMPÔT.

L'Espagne, avec un peu plus de 39 millions d'habitants, dispose d'un PIB par habitant sensiblement inférieur à celui de la France (13.900 euros, contre 18.900 euros à parité de pouvoir d'achat).

Mais deux statistiques attirent l'attention :

- d'une part, la part du PIB consacrée à la santé est inférieure à celle de la France (7,4 % contre 9,9 %) ;

- d'autre part, -et même si elle ne dépend pas que de la qualité du système de santé-, l'espérance de vie à la naissance des Espagnols est voisine, si ce n'est supérieure, à celle des Français : 74,4 ans contre 74,1 ans en France pour les hommes, 81,6 ans contre 82 ans en France pour les femmes.

En outre, l'Espagne se caractérise par la quasi-gratuité de la santé pour tous les résidents.

L'ensemble de ces caractéristiques conduit à s'interroger sur l'organisation, la gestion, et la qualité du système de santé espagnol.

A. TOUS LES ESPAGNOLS BÉNÉFICIENT DE LA COUVERTURE MALADIE

L'universalisation du droit à la santé s'est réalisée progressivement en Espagne, à partir de la loi du 4 décembre 1942 instituant un système de sécurité sociale obligatoire qui couvrait à l'origine 22 % de la population.

En 1962, 49,5 % de la population bénéficiaient de la couverture maladie.

La Constitution espagnole de 1978, en son article 43, est venue consacrer un droit universel à la santé que l'Etat est chargé de mettre en oeuvre.

A l'heure actuelle, environ 99,5 % de la population résidente disposent d'une carte santé ouvrant droit au système public de santé, les quelque 0,5 % restant étant des personnes qui ont choisi de n'avoir recours qu'à l'offre de soins privée et n'ont pas demandé de carte.

La protection maladie est assurée par la sécurité sociale pour l'immense majorité des Espagnols (93 %), par des mutuelles pour les fonctionnaires des administrations centrales, les militaires et magistrats (environ 5 % de la population) et par l'Assistance publique pour environ 2 % des Espagnols.

Elle bénéficie aux personnes actives, aux pensionnés, aux bénéficiaires de prestations sociales, aux personnes ne disposant pas de ressources suffisantes, ainsi qu'à leurs ayants droit.

Cette protection s'exprime exclusivement par des prestations en nature : il n'y a pas de remboursement de dépenses, mais accès à un service public de soins. L'accès à l'offre privée n'est pas pris en charge, sauf lorsqu'il résulte de conventions passées entre le public et le privé, notamment en vue de réduire les listes d'attente hospitalières ou, par exemple, en cas d'urgence vitale.

Il faut toutefois noter que 13 % environ des citoyens espagnols, notamment des fonctionnaires, ont choisi de souscrire une assurance privée de santé qui leur ouvre le droit de s'adresser au système privé de santé, notamment aux cliniques privées. Les taux d'adhésion aux assurance privées sont plus élevés dans certaines régions riches de l'Espagne, comme le Pays basque ou la Catalogne.

B. L'ACCÈS AU SYSTÈME NATIONAL DE SANTÉ EST PRESQUE GRATUIT

La couverture maladie s'exprime, en Espagne, par un droit d'accès gratuit au système public de santé, c'est-à-dire à la médecine générale, à la médecine spécialisée et à l'hôpital.

Le tiers payant est généralisé, et il n'y a de ticket modérateur, que pour certaines dépenses pharmaceutiques :

- tout d'abord, seuls les médicaments ne figurant pas sur une " liste négative " sont pris en charge par le système ;

- les médicaments sont délivrés gratuitement à l'hôpital, ou pour certaines personnes âgées de plus de 65 ans ou invalides ;

- un ticket modérateur de 40 % existe dans les autres cas ; il est de 30 % pour les mutuelles de fonctionnaires. En outre, pour les médicaments délivrés aux malades atteints d'une maladie chronique, le ticket modérateur est réduit à 10 % et il est plafonné.

La dépense de santé en Espagne est donc essentiellement une dépense publique.

Le système national de santé auquel donne accès la couverture médicale est organisé par une institution publique, l'INSALUD, placée sous la double tutelle du ministère de la santé et de la consommation et du ministère du travail et de la sécurité sociale.

Au sein de l'INSALUD, comme dans les communautés autonomes compétentes en matière de santé, l'organisation du système de santé espagnol est une organisation de type administratif : le territoire est découpé en " aires de santé " , puis en " zones de santé " au sein desquelles existe au moins un centre de soins primaires qui constitue le " gatekeeper " du système. L'accès aux soins est réalisé au sein des aires et zones de santé.

Il existe 2.488 zones de santé, qui couvrent chacune 20 à 30.000 personnes. Les aires de santé, au nombre de 126, couvrent environ 250.000 personnes : chacune comporte au moins un hôpital et deux centres de consultations externes.

Les centres de soins primaires délivrent des soins infirmiers, de médecins généralistes, de pédiatres et de chirurgiens-dentistes, qui orientent ensuite, si nécessaire, le patient vers des consultations spécialisées.

Les " soins hospitaliers ", en Espagne, concernent l'ensemble de la médecine spécialisée, ambulatoire ou hospitalière. Il existe 787 hôpitaux, comprenant 168.000 lits, soit une offre hospitalière inférieure à l'offre française : la France compte en effet 8,95 lits pour 1.000 habitants, contre 4,23 en Espagne.

L'offre de soins privée, non prise en charge par le système de couverture publique, ne représente pas pour autant une part insignifiante au sein du système de santé espagnol : si les malades s'adressent, dans l'immense majorité des cas, aux centres de soins primaires pour leurs consultations de médecine générale, la médecine privée réalise le quart des consultations de médecine spécialisée.

C. LE FINANCEMENT REPOSE DÉSORMAIS EXCLUSIVEMENT SUR L'IMPÔT

Les modalités du financement du système de santé ont profondément évolué depuis les dix dernières années en Espagne, dans un contexte de forte croissance des dépenses.

Jusqu'en 1988, le système était majoritairement financé par les cotisations sociales payées par les entreprises dans le cadre de la sécurité sociale : l'Etat ne finançait ainsi à cette date que 25,15 % des dépenses et les autres financeurs 5,25 %. 69,6 % des dépenses étaient ainsi pris en charge par la sécurité sociale.

Un progressif basculement des cotisations sociales vers l'impôt a été opéré, en vue de distinguer, d'une part, les dépenses de protection sociale de type assurantielles, comme les retraites, et, d'autre part, les dépenses de solidarité au premier rang desquelles figurent les dépenses de santé. Ce basculement, compte tenu des besoins de financement du système de retraites, ne s'est toutefois pas accompagné d'une baisse des cotisations sociales.

En 1995, le financement du système de santé était majoritairement assuré par l'Etat, à hauteur de 77,35 %, la sécurité sociale ne finançant plus que 20,37 % des dépenses et les autres financeurs 2,28 %.

En 1999, le basculement est quasi complet : l'Etat assume 98,44 % des dépenses, la sécurité sociale n'en finance plus, seule demeurant la catégorie marginale des autres financeurs avec 1,56 % des dépenses.

Evolution du financement de l'Insalud

Source : Généralité de Catalogne

Les dépenses sociales constituent désormais, avec plus de la moitié du budget de l'Etat, le poste de dépenses publiques le plus élevé. En leur sein, les dépenses publiques de santé, qui s'élèvent à 4.000 milliards de pesetas, soit 164 milliards de francs, représentent 12,9 % du budget général de l'Etat. Ce pourcentage est deux fois inférieur à celui des dépenses de retraites.

Dépense sociale du budget de l'Etat (1999)

Budget général de l'Etat : 1.276 milliards de francs

Dépense sociale : 720 milliards de francs

dont dépense en santé : 164 milliards de francs

Source : Généralité de Catalogne

L'essentiel de la dépense budgétaire est affecté au financement de l'offre de soins : l'administration centrale de la santé et les actions publiques relatives à la santé (coordination, relations internationales...) représentent en effet moins d'un point de ces dépenses.

Comme l'illustre le tableau suivant, l'offre publique de soins est diversifiée : elle comprend aussi bien la médecine générale ou spécialisée que l'hôpital. En ce qui concerne la nature de l'offre, il faut noter, à côté des grands postes de dépenses que constituent l'INSALUD ou les services de santé gérés par les Communautés autonomes, les hôpitaux militaires, la médecine maritime, l'assistance sanitaire du mutualisme administratif et celle du mutualisme patronal.

Structure de la dépense de santé dans le budget de l'Etat (1999)

(millions de pesetas)

Montant

%

4.1 - Santé

4.1.1. Administration générale de la santé

29.555.329

0,72

4.1.1.A. Direction des services généraux de santé

28.773.207

0,70

4.1.1.B Formation de santé publique et administration sanitaire

782.122

0,02

4.1.2. Hôpitaux, services de soins et centres de santé

4.087.579.083

99,15

4.1.2.B Hôpitaux militaires

43.445.834

1,05

4.1.2.H. Centre de soins primaires, Insalud gestion directe

561.235.435

13,61

4.1.2.I.Médecine spécialisée, Insalud gestion directe

920.443.675

22,33

4.1.2.J. Médecine maritime

2.227.342

0,05

4.1.2.K. Dépenses de santé gérées par les communauté autonomes

2.243.740.784

54,43

4.1.2.L. Dépenses de santé - Mutualisme administratif

216.004.994

5,24

4.1.2.M. Dépenses de santé (soins primaires) - Mutualisme patronal

70.166.100

1,70

4.1.2.N. Dépenses de santé (médecine spécialisée) - Mutualisme

30.126.774

0,73

4.1.2.P. Planification des services sanitaires

188.145

0,01

4.1.3. Actions publiques relatives à la santé

5.690.188

0,13

4.1.3.B. Offre et usage rationnel des médicaments et biens de santé

1.794.145

0,04

4.1.3.C. Action internationale et coordination générale de la santé

3.896.043

0,09

Total

4.122.824.600

100,0

Source : Presupuesto Insalud 1999 - Ministère de la santé et de la consommation

Dépenses du système de santé (1999)
Classification fonctionnelle

Source : Presupuesto Insalud 1999 - Ministère de la santé et de la consommation

D. LES DÉPENSES DE SANTÉ, QUI REPRÉSENTENT UNE PART MODESTE DU PIB, CONNAISSENT CEPENDANT UNE TRÈS FORTE CROISSANCE

Les Espagnols consacrent à la santé (dépenses publiques et privées) une part du PIB inférieure à la moyenne européenne, et très sensiblement inférieure à celle qui est constatée en France.

En effet, alors que la moyenne européenne se situe à 7,9 % du PIB, l'Espagne ne dépense que 7,4 % de son produit intérieur brut à la santé. Ce chiffre est de 9,9 % en France, soit 2,5 points de PIB de plus. Avec un PIB de 8.564 milliards de francs en 1998 dans notre pays, l'application d'un taux de dépenses sanitaires de 7,7 % correspondrait ainsi à des dépenses inférieures de 214 milliards de francs à celles qui ont effectivement été constatées au cours de cette année.

Dépenses totales de santé en pourcentage du PIB (1997)

Source : Généralité de Catalogne

Au cours des dix dernières années, l'évolution des dépenses publiques de santé en Espagne a cependant été très rapide : les dépenses inscrites au budget initial de l'Etat sont ainsi passées, entre 1988 et 1999, de 1.350 à 4.046 milliards de pesetas.

Certes, si l'on tient compte du décalage entre crédits inscrits au budget et dépenses exécutées, la progression est un peu moindre : les dépenses exécutées en 1998 ont été de 3.910 milliards de pesetas, contre 1.497 en 1988, soit une progression réelle de 160 % en dix ans.

L'écart entre crédits inscrits au budget initial et dépenses exécutées témoigne du faible degré de maîtrise de l'évolution des dépenses. Il traduit peut-être aussi une volonté de susciter, par des effets d'annonce, des comportements de maîtrise de la part des offreurs et des consommateurs de soins.

Cet écart, qui s'est réduit à partir de 1995, a été massif au cours de la première moitié des années 1990 : il s'est ainsi élevé, en 1992, à 19 % des crédits initialement ouverts.

De fait, pour 1993, le montant des crédits ouverts, soit 2.671 milliards de pesetas, a été inférieur aux dépenses réellement constatées pour 1992 , qui se sont élevées à 2.845 milliards de pesetas. Comme il est rare, dans les pays développés, que les dépenses de santé baissent d'une année sur l'autre, les dépenses constatées en 1993 ont bien entendu été supérieures aux crédits inscrits : elles se sont en effet élevées à 2.991 milliards de pesetas.

Depuis 1995, l'effort de l'Espagne dans le cadre de la préparation de l'entrée dans l'euro s'est traduit par un taux plus modeste de progression des dépenses, ainsi que par des écarts significativement plus faibles entre crédits inscrits au budget initial et dépenses exécutées.

Le meilleure performance, de ce double point de vue, a été réalisée en 1997, avec 3.561 milliards de pesetas de crédits ouverts en début d'année et 3.591 milliards de pesetas dépensées, et un taux réel de progression des dépenses de 1,8 % seulement.

En 1998, l'écart entre prévisions et réalisations a représenté une centaine de milliards de pesetas et le taux de progression annuel et réel des dépenses, bien qu'en décroissance par rapport à celui du début des années 1990, demeure élevé : il s'est élevé a 8,8 %.

Dépenses de santé - budget de l'Etat
Evolution des crédits ouverts et des dépenses exécutées (1988-1999)

Source : Presupuesto Insalud 1999 - Ministère de la santé et de la consommation

Pour 1999, le budget initial de la santé a retenu un taux de progression des dépenses de 6 % par rapport à 1998.

Les facteurs explicatifs de l'augmentation des dépenses en Espagne ne sont pas très différents de ceux qui sont constatés dans les autres pays de l'Union européenne : amélioration du niveau de vie et augmentation corrélative des besoins d'accès au système de santé, vieillissement de la population, amélioration des techniques médicales et, comme dans d'autres pays à prix du médicament administré, élévation du prix moyen des médicaments.

La progression des dépenses de santé en Espagne au cours des dernières années a été beaucoup plus rapide que celle du PIB, passant de 5,7 % du PIB au début des années 80 à 7,9 % en 1997, dont 6 % du PIB de dépenses publiques de santé.

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