II. PROMOUVOIR LA QUALITÉ ARCHITECTURALE

Votre groupe de travail a constaté à de nombreuses reprises que, si les règles relatives à la localisation des constructions sont appliquées de façon souvent rigoureuses dans les petites communes qui ne disposent pas de POS, de grands progrès restent à accomplir en matière d'insertion paysagère et de qualité architecturale des constructions nouvelles. L'amélioration de la qualité architecturale du bâti, tant en zone rurale qu'en zone urbaine, constitue un objectif essentiel de la politique urbanistique. Pour y parvenir, il serait souhaitable d'utiliser de façon plus efficace les compétences existantes, et notamment celles des Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) et des architectes des bâtiments de France (ABF).

A. REMÉDIER À LA SITUATION PLUS QU'ALARMANTE DES CAUE

Le statut des CAUE ou l'institutionnalisation de la précarité

En vertu de la loi sur l'architecture du 3 janvier 1977, les CAUE ont pour mission de développer l'information et la participation du public, la formation des intervenants dans le domaine de la construction, le conseil aux candidats à la construction et l'aide aux collectivités locales et aux administrations publiques. Le juge administratif leur a reconnu le statut d'organismes privés chargés d'un service public 49 ( * ) .

Les CAUE sont financés, à titre principal, par une taxe départementale perçue en complément de la taxe locale d'équipement sur la construction, la reconstruction et l'agrandissement des bâtiments de toute nature. Son taux, fixé par le département, est plafonné à 0,3 %. Le produit recouvré varie fortement selon les départements. Dépassant six millions de francs en 1996 dans les Bouches-du-Rhône, la Haute-Garonne ou le Nord, il n'était, en revanche, que de 354.000 francs en Lozère, 420.000 francs dans la Meuse et 507.000 francs dans le Gers la même année, alors que ces trois départements ont porté le taux de la taxe au plafond de 0,3 %.

Le financement accordé par l'Etat aux CAUE a, peu à peu, diminué. Il consiste en une subvention destinée à la rétribution d'architectes consultants. Les crédits affectés à cette fin sont passés de 4,1 millions de francs en 1995 à 3 millions de francs en 1999. Ils enregistrent une nouvelle baisse en 2000. Atteignant 2,8 millions de francs ils ne permettent plus de venir en aide qu'à 20 départements. Votre groupe de travail estime que l'Etat ne peut poursuivre son désengagement et doit venir en aide aux départements dotés de faibles ressources qui appliquent la taxe destinée au financement des CAUE au taux maximal.

De l'avis unanime, le rôle des CAUE est particulièrement important, notamment en zone rurale où ils apportent une aide importante aux petites communes. Ils éclairent, en amont des projets, la décision des maîtres d'ouvrage sans participer à la maîtrise d'oeuvre. Ils dispensent également leurs conseils gratuitement aux particuliers et ont, par conséquent, un rôle pédagogique essentiel . Cependant, les difficultés financières chroniques qu'ils subissent mettent en cause leur existence même.

Pour faire face à ces difficultés, certains CAUE ont conclu, avec des collectivités locales, des conventions assorties de contributions financières destinées à rétribuer des activités de formation. Cependant, une divergence d'interprétation s'est faite jour entre les services du ministère des Finances et ceux du ministère de la Culture sur la notion de gratuité des activités des CAUE. Celle-ci résulte, en effet, de l'article 7 de la loi du 3 janvier 1977. Plusieurs trésoriers payeurs généraux ont même estimé que des conventions comprenant une rétribution du CAUE étaient illégales. Cette situation est particulièrement inéquitable : pourquoi, en effet, les services de l'Etat auraient-ils le droit d'effectuer des prestations de services rémunérées (assistance à la maîtrise d'ouvrage, réalisation d'études), alors que les CAUE n'auraient pas le droit de signer des conventions tendant à fournir de simples prestations de formation ?

Il importe donc désormais de clarifier la notion de gratuité des services des CAUE et de les mettre en mesure de disposer de ressources suffisantes. Comme le soulignait M. Vigouroux, Conseiller d'Etat, dans un rapport sur les CAUE, ceux-ci : " ne sont pas conçus pour survivre. Pour animer et innover, ils doivent disposer des moyens de leur indépendance, ou mieux vaut les dissoudre. L'Etat a tout à perdre en laissant vivoter des structures en assistance de survie artificielle ".

Revoir les modalités de financement des CAUE pour assurer leur pérennité

Depuis trois ans, nos collègues, Mme Josette Durrieu, et MM. Bernard Joly, Adrien Gouteyron et Ambroise Dupont, sont intervenus à plusieurs reprises pour tenter de trouver une solution à la crise des CAUE. Une telle solution suppose, à n'en pas douter, une modification des dispositions de la loi du 3 janvier 1977 précitée. Ce texte devrait notamment préciser que le financement des CAUE résulte , outre la taxe départementale, de contributions financières émanant de personnes publiques ou privées .

Votre groupe de travail estime, au surplus, que le CAUE pourrait également contribuer à l'organisation du débat public préalable à l'élaboration des documents d'urbanisme dans les petites communes qui établissent une " carte communale ". Cette activité devrait, à l'évidence, être rémunérée.

Ne serait-il enfin pas envisageable d'associer davantage le CAUE à la préparation des demandes de permis de construire en zone rurale ?

B. LE RÔLE DES ARCHITECTES DES BÂTIMENTS DE FRANCE

Des compétences étendues

Les architectes des bâtiments de France (ABF) sont les successeurs des " architectes ordinaires " des bâtiments de France, architectes libéraux auxquels l'Etat confiait, jusqu'à la seconde guerre mondiale, la surveillance et l'entretien des monuments historiques protégés. Ils appartiennent statutairement, depuis la publication du décret n° 93-246 du 24 février 1993 au corps des " architectes et urbanistes de l'Etat ", dans la spécialité " patrimoine architectural, urbain et paysager " 50 ( * ) . Formés par le Centre d'études supérieure d'histoire et de conservation des monuments anciens devenu, en 1998, le Centre des Hautes études de Chaillot, les ABF ont un champ de compétence très large puisqu'ils doivent assurer :

- la gestion du patrimoine monumental (édifices protégés au titre de la législation sur les monuments historiques) et du patrimoine rural ;

- la protection et la mise en valeur du patrimoine architectural, urbain et paysager (abords des monuments historiques, zones de protection du patrimoine urbain et paysager (ZPPAUP) et secteurs sauvegardés) ;

- la promotion de la qualité de l'architecture et de l'urbanisme.

La compétence la plus connue des ABF consiste dans le pouvoir de délivrer un avis conforme sur les permis de construire et sur toutes les autorisations concernant le droit des sols lorsque ces actes sont relatifs à des projets situés en co-visibilité avec un monument historique protégé. Les ABF sont également appelés à émettre de très nombreux avis, de portée obligatoire ou indicative, qui concernent aussi bien les sites protégés au titre de la loi de 1930, que l'élaboration des documents d'urbanisme (schémas directeurs, POS, MARNU).

L'exercice de leurs activités appelle plusieurs observations de la part de votre groupe de travail.

Appliquer strictement les règles relatives au cumul d'activités

Les architectes des bâtiments de France ont la faculté d'exercer des activités privées, dans des limites que les textes définissent strictement. En effet, en leur qualité de fonctionnaires de l'Etat, ils sont soumis aux mêmes règles que les autres agents publics et notamment à l'article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droit et obligation des fonctionnaires selon lequel les fonctionnaires consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer, à titre professionnel, une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit. Ils sont ainsi soumis aux dispositions relatives aux cumuls d'emploi, de rémunération et de retraites du décret n° 55-597 du 11 juillet 1955.

Du fait de l'histoire et du niveau de qualification élevé qui est le leur, les ABF exercent parfois une activité privée, dans le cadre d'une réglementation précise qui résulte principalement du décret n° 81-420 du 27 avril 1981. L'article 2 de ce texte dispose que les ABF peuvent exercer sous forme libérale des missions de conception ou de maîtrise d'oeuvre pour le compte de collectivités publiques autres que celles qui les emploient au profit de personnes privées que lorsqu'ils ont obtenu au préalable, pour chaque mission, une autorisation écrite de l'autorité hiérarchique dont ils relèvent. Leur demande d'autorisation doit indiquer, outre l'identité du maître d'ouvrage, la nature de la mission, l'implantation géographique, la nature des travaux projetés, l'estimation de leur coût et le montant de leur rémunération.

L'article 4 du même texte précise que les ABF ne peuvent exercer la mission de conception ou de maîtrise d'oeuvre dans les conditions précitées si cette mission concerne l'aire géographique où ils ont compétence en qualité de fonctionnaire ou d'agent public. Ce texte reconnaît cependant le droit de demander une autorisation spéciale, pour exécuter dans l'aire géographique de leur compétence ou sur les immeubles dont ils connaissent, des missions de conception et de maîtrise d'oeuvre liées directement à la " qualification particulière " requise pour l'exercice de leur fonction.

Enfin, l'article 9 du décret du 29 octobre 1936 plafonne la rémunération perçue au titre des activités privées précitées au montant du traitement principal perçu par l'intéressé majoré de 100 %.

Ainsi, l'activité libérale des architectes des bâtiments de France ne peut-elle être exercée qu'à titre exceptionnel dans le ressort de leur compétence. En pratique, selon les statistiques émanant du ministère de la culture, le nombre total des autorisations de cumul d'activité publiques et privées accordées en 1998 s'élevait à 139. Dans un rapport élaboré en 1999, les services du ministère de la culture relevaient cependant que des inspections récentes avaient permis de constater que plusieurs architectes publics n'avaient pas demandé les autorisations préalables prévues par le décret du 27 avril 1981 et avaient cependant effectué une mission de cumul.

Certes, le volume total d'honoraires bruts correspondant aux 139 autorisations délivrées ne s'élève qu'à un peu plus de sept millions de francs pour l'ensemble de la France. Cependant, il semble que certains citoyens se soient émus de cette situation, un de nos collègues députés déposant même une proposition de loi tendant à interdire purement et simplement tout cumul dans l'aire géographique relevant de la compétence d'un ABF et à soumettre le cumul à des conditions très strictes hors de cette aire. Pour votre groupe de travail " l'arsenal " réglementaire qui s'applique aux ABF est suffisamment important pour qu'il soit inutile, à quelques précisions près, de l'alourdir. Il conviendrait, en revanche, de l'appliquer très strictement.

Il serait, en particulier, souhaitable que les dérogations soient accordées, seulement dans des circonstances exceptionnelles, lorsque les travaux en question font l'objet d'une subvention instruite par les services de l'architecture et du patrimoine. Dans un tel cas, en effet, l'ABF est en situation de " juge et partie ", puisque la subvention versée peut être, concrètement, affectée à une partie de sa rémunération.

Une autre amélioration pourrait également être apportée. En effet, si une partie des ABF fournit à l'autorité hiérarchique, non seulement les détails des rémunérations perçues mais encore la liste des opérations qui les ont occasionnées et les références de l'autorisation préalable qui les a permises, tel n'est pas toujours le cas. Cette pratique devrait, à l'évidence, être généralisée, afin de rendre le cumul d'activités parfaitement transparent lorsqu'il est autorisé.

Recentrer les compétences des ABF

Votre groupe de travail constate en outre que les ABF examinent chaque année 400.000 dossiers. Or, certains de ceux-ci ne relèvent manifestement pas d'une procédure aussi lourde, à l'instar de certaines déclarations de travaux déposées dans le périmètre d'édifices classés. Il serait en conséquence souhaitable de limiter l'intervention de l'ABF aux seules questions importantes dans le périmètre des édifices classés et de lui permettre de consacrer davantage de temps aux opérations de fond telles que la création de ZPPAUP, en favorisant notamment le recours aux outils informatiques pour effectuer leur travail.

Votre groupe de travail estime enfin envisageable d'étendre les compétences des ABF aux zones en " danger urbanistique ". Alors que les ABF n'interviennent actuellement, pour l'essentiel, que dans des secteurs historiques ou classés, il serait très utile qu'ils donnent un avis simple sur les autorisations d'occupation du sol, notamment dans les quartiers en difficulté et les entrées de ville, qui souffrent, à l'évidence, d'un handicap esthétique.

* 49 Conseil d'Etat, 30 octobre 1992, CAUE de la Haute-Savoie.

* 50 Des agents titulaires de la spécialité " urbanisme-aménagement " font également partie de ce même corps, ce sont les anciens " urbanistes de l'Etat ".

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