PREMIÈRE PARTIE : LES ATOUTS ET LES FAIBLESSES DE L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE

I. UNE OPTION STRATÉGIQUE ÉCONOMIQUEMENT JUSTIFIÉE

Un examen objectif de la situation et des perspectives de l'énergie nucléaire dans l'Union européenne doit débuter par les aspects économiques qui, historiquement, ont motivé les Etats membres ayant fait le choix du nucléaire.

Par l'indépendance énergétique qu'elle procure, la filière électronucléaire apparaît comme un atout stratégique pour l'Europe. Compte tenu de son développement actuel, elle constitue en soi un enjeu industriel important, même s'il n'intéresse pas tous les Etats membres.

Enfin, dans le nouveau contexte de la libéralisation du marché européen de l'électricité, il n'est pas inutile de rappeler les raisons de la compétitivité de l'énergie nucléaire.

A. UN ENJEU ÉNERGÉTIQUE ESSENTIEL POUR L'EUROPE

1. Un facteur d'autonomie pour le continent

a) Une énergie de pays riches

L'analyse de la consommation mondiale d'énergie fait apparaître des variations considérables, qui reflètent les inégalités de développement.

Ces différences sont d'abord quantitatives : alors que la consommation annuelle moyenne par habitant est de 4,5 tonnes équivalent pétrole (tep) en 1996 dans les pays de l'OCDE, selon les chiffres de l'Agence Internationale de l'Energie (AIE), elle n'est que de 3 tep dans les pays en transition économique, et de moins de 0,6 tep dans les pays en développement.

Ces différences sont également qualitatives, la répartition entre les différentes sources d'énergie variant beaucoup d'un pays à l'autre. Le pétrole est la source d'énergie la plus répandue, en raison de ses applications dans le secteur des transports où il n'a guère de substituts : il représente environ 35 % de la consommation d'énergie mondiale. Le charbon et les autres combustibles solides en représentent environ 30 %. Mais leur usage est très différencié selon les régions, puisqu'ils constituent 40 % de la consommation d'énergie des pays en développement, contre 25 % seulement de celle des pays de l'OCDE. Le gaz naturel vient à la troisième place, avec 22 % des approvisionnements énergétiques mondiaux.

Le nucléaire fait donc figure " d'énergie rare ", avec une contribution à la production mondiale d'énergie de 6 % seulement, qui le classe en dernier, après l'hydroélectricité et les énergies renouvelables, qui fournissent 7 % du total.

Ces inégalités sont encore plus marquées dans l'usage de l'électricité, qui est étroitement corrélé au niveau de développement économique : 61 % de l'électricité est consommé dans les pays de l'OCDE, 14 % dans les pays en transition et 25 % dans les pays en développement. Alors que la consommation d'électricité est d'environ 500 KWh par habitant en Afrique, elle est en moyenne deux fois plus importante en Asie, dix fois plus importante en Europe et vingt fois plus importante aux Etats-Unis.

Bien que la production d'électricité soit le débouché exclusif de l'énergie nucléaire, celle-ci n'y contribue qu'à titre d'appoint au côté des énergies fossiles, qui ont pourtant d'autres usages. La fourniture mondiale d'électricité est assurée presque aux deux tiers par des centrales thermiques classiques, qui fonctionnent au charbon (39 %), au pétrole (10 %) ou au gaz naturel (15 %). Pour sa part, l'électronucléaire n'y contribue qu'à hauteur de 17 %. Le solde de 19 % correspond à la contribution de l'hydroélectricité et des énergies renouvelables.

Le développement de l'énergie électronucléaire dans le monde s'est concentré sur une très courte période. Scientifiquement, la fission nucléaire a été découverte en 1938. Dès 1956, le premier réacteur commercial démarrait. Mais c'est surtout entre 1970 et 1990 que l'électronucléaire a connu une croissance soutenue, en raison de la forte augmentation des besoins d'électricité et de la volonté des pays dépourvus de sources d'énergie fossiles sur leur territoire de s'assurer une indépendance énergétique dans un contexte d'hydrocarbures chers et où les réserves de pétrole étaient estimées à trente années de consommation.

Le taux précité de 17 % correspond à la part globale de l'énergie nucléaire dans la production mondiale d'électricité, mais recouvre des situations très variables. L'électronucléaire assure ainsi 24 % de la production d'électricité des pays de l'OCDE, et environ 35 % de celle des pays de l'Union européenne.

L'Europe communautaire apparaît donc comme la zone la plus " nucléarisée " du monde. Ce constat n'est pas étonnant compte tenu, d'une part, de son haut niveau de développement économique et technologique et, d'autre part, de sa pauvreté relative en énergies fossiles.

Avec un apport de 212,61 millions de tonnes équivalent pétrole en 1997, le nucléaire fournit environ 15 % de la consommation énergétique de l'Union européenne.

Bilan énergétique sommaire de l'Union européenne en 1997

 
 

(en millions de tonnes équivalent pétrole)

 

Production primaire

Importations nettes

Consommation intérieure brute

Combustibles solides

126,25

96,51

221,82

Pétrole

158,28

469,29

587,77

Gaz naturel

182,17

124,25

301,87

Nucléaire

212,61

 

212,61

Hydroélectricité

26,04

 

26,04

Autres énergies renouvelables

56,09

 

56,09

TOTAL

761,44

690,05

1406,2

Source : Commission européenne - Direction générale de l'énergie

b) Une contribution à l'indépendance énergétique

La principale motivation des Etats européens qui ont engagé des programmes électronucléaires, est la recherche de l'indépendance énergétique.

Cette recherche d'autonomie a d'abord été technologique car, historiquement, l'électronucléaire s'est développé en Europe sous licence américaine.

Les premières tentatives de la France et du Royaume-Uni de développer des filières purement nationales ont tourné court. Elles étaient justifiées par le fait que les Etats-Unis avaient adopté une politique de rétention des connaissances. Mais, la position américaine évoluant vers plus d'ouverture, les producteurs d'électricité européens ont préféré s'appuyer sur les technologies développées par Westinghouse et General Electric, déjà éprouvées.

Par la suite, les deux principaux constructeurs européens de réacteurs nucléaires, Framatome et Siemens, ont respectivement " francisé " et " germanisé " les technologies importées sous licence américaine.

L'autonomie technologique une fois acquise, l'électronucléaire constitue un puissant facteur d'indépendance énergétique dans son mode de fonctionnement. Dans le cas de la France, le taux de couverture des besoins énergétiques nationaux est ainsi passé de 22,5 % en 1973 à plus de 50 % en 1997.

Ce phénomène peut paraître surprenant, car l'uranium consommé dans l'Union européenne est presque totalement importé de pays tiers. Il s'explique en partie par les conventions de la comptabilité nationale, qui font que la production d'une entreprise de nationalité française, même située sur un territoire étranger, est considérée comme française.

Le simple fait que la Cogema, principal producteur d'uranium européen, soit propriétaire des mines qu'elle exploite à l'étranger, notamment au Niger et au Gabon, contribue à l'amélioration des taux d'indépendance énergétique français et européen.

Evolution des taux d'indépendance énergétique des Etats membres

(en pourcentage)

 

1985

1990

1995

Allemagne

58.00

53.64

42.30

Autriche

34.69

32.61

33.86

Belgique

30.73

24.34

19.63

Danemark

22.40

52.62

64.27

Espagne

39.42

35.57

28.47

Finlande

40.93

37.88

47.25

France

45.44

45.99

51.35

Grèce

39.26

37.94

34.22

Irlande

39.93

30.62

31.69

Italie

17.96

16.19

18.42

Luxembourg

1.02

1.00

2.34

Pays-Bas

94.28

77.67

80.70

Portugal

24.84

13.17

11.69

Royaume-Uni

115.38

96.56

116.29

Suède

57.82

62.57

62.49

Union européenne

58.51

52.26

53.39

Source : Commission européenne - Direction générale de l'énergie

Toutefois, l'intérêt stratégique du nucléaire pour l'indépendance énergétique de l'Europe réside ailleurs que dans ces taux calculés de manière assez conventionnelle.

Il tient tout d'abord à la diversification des sources d'énergie que le recours au nucléaire permet en soi. Dans le cas de la France, qui est l'un des Etats membres les plus " nucléarisés ", le montant économisé sur les importations de combustibles fossiles est de l'ordre de 40 Milliards de francs chaque année.

Il tient également à l'abondance de l'uranium dans le monde et à sa répartition géographique équilibrée , qui permet aux exploitants de centrales nucléaires de diversifier leurs sources d'approvisionnement et de réduire les risques de rupture.

L'énergie nucléaire se présente sous une forme particulièrement concentrée : une tonne d'uranium utilisée dans une centrale nucléaire classique permet de produire autant d'énergie que 10 000 tonnes de pétrole.

Les réserves d'uranium disponibles à un coût inférieur à 80 dollars le kilogramme se situaient en 1997 à 2,5 millions de tonnes, selon l'OCDE.

Compte tenu de besoins annuels estimés à 60 000 tonnes aujourd'hui et à 70 000 tonnes à partir de 2015, les réserves connues d'uranium devraient suffire à satisfaire la demande mondiale jusqu'en 2015, sans même tenir compte des quantités considérables de plutonium libérées pour un usage civil par le processus de désarmement.

Réserves et ressources d'uranium en 1997

 
 
 

(en milliers de tonnes)

REGION

Réserves prouvées

Ressources supplémentaires

Total

 

$80/kgU

$80-130/kgU

$80/kgU

$80-130/kgU

 

OCDE Amérique

441

251

99

0

791

OCDE Europe

33

46

10

37

126

OCDE Pacifique

622

93

136

44

895

Total OCDE

1 096

390

245

81

1 812

Reste du Monde

1 438

366

588

183

2 575

Total

2 534

756

833

264

4 387

Source : OCDE - Agence pour l'énergie nucléaire

Il convient de souligner que les prix actuellement bas de l'uranium n'incitent pas à la prospection de nouveaux gisements. Après avoir atteint sur le marché " spot " un niveau maximum de 85 dollars par kilo en 1979, lors du second choc pétrolier, les cours de l'uranium sont depuis continuellement orientés à la baisse. Ils sont tombés à moins de 20 dollars le kilo depuis 1997.

Le Commissariat général du Plan estime ainsi que les réserves d'uranium spéculatives, récupérables à un coût inférieur à 130 dollars/Kg, pourraient atteindre 7 à 11 millions de tonnes, soit plus de 250 années de consommation (contre 230 années de consommation pour le charbon, 50 pour le pétrole et 60 pour le gaz naturel).

Lorsque la filière des réacteurs surgénérateurs, qui sont théoriquement capables de produire plus d'énergie qu'ils n'en consomment, sera techniquement maîtrisée, elle pourrait permettre de multiplier par cinquante la quantité d'énergie produite à partir de l'uranium. Le potentiel des réserves connues d'uranium atteindrait alors 1,5 million de tep, soit environ deux fois plus que l'ensemble des réserves énergétiques fossiles. Mais trois pays au monde seulement ont atteint le stade du prototype industriel de surgénérateur, avec des résultats mitigés : la Russie, la France et le Japon.

L'intérêt stratégique du nucléaire tient surtout au fait que le prix du combustible est un élément mineur du coût de revient final du KWh, dont il ne représente que 10 % . Le cycle électronucléaire est coûteux surtout en investissements et en entretien. Il en résulte que son équilibre économique est relativement indifférent au prix de l'uranium.

Les cours de l'uranium sont durablement orientés à la baisse, mais ils pourraient doubler du jour au lendemain sans que cela entraîne un choc pour les utilisateurs d'électricité d'origine nucléaire.

2. Une situation contrastée selon les Etats membres

Pour bien saisir les tenants et aboutissants du débat sur l'énergie nucléaire dans l'Union européenne, il ne faut jamais perdre de vue que la situation est contrastée selon les Etats membres, qui ont fait des choix très différents en la matière.

a) Le parc européen de centrales nucléaires

L'Union européenne dispose aujourd'hui du premier parc de centrales nucléaires, loin devant les autres zones économiques du monde.

Tranches nucléaires - capacités installées et prévues au 1 er janvier 1996

 

Couplées au réseau

En construction

 

Nombre d'unités

GWh

Nombre d'unités

GWh

Belgique

7

5,6

-

-

Finlande

4

2,3

-

-

France

56

58,5

4

5,8

Allemagne

21

22.7

-

-

Pays-Bas

2

0,5

-

-

Espagne

9

7,0

-

-

Suède

12

10,0

-

-

Royaume-Uni

35

12,9

-

-

Union européenne

146

119,5

4

5,8

Source : Commission européenne - Programme Indicatif Nucléaire 1996

Pour actualiser ce panorama datant de 1996, il convient de préciser que trois des quatre tranches nucléaires alors en construction en France ont été depuis couplées au réseau, portant la capacité du pays à 61,7 GWh.

Avec une capacité totale de production d'électricité d'origine nucléaire de plus de 120 GWh en 1999, l'Union européenne représente 40 % des capacités électronucléaires mondiales, estimées à 353,5 GWh. L'Europe se classe loin devant les Etats-Unis (98,1 GWh), le Japon (43,5 GWh), la Russie (19,8 GWh), le Canada (14,9 GWh), et l'Ukraine (12,1 GWh).

Toutefois, sur les quinze Etats membres, huit seulement sont dotés de centrales nucléaires : la Belgique, la Finlande, la France, l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Espagne, la Suède et le Royaume-Uni.

Les situations des deux pays précurseurs pour le nucléaire en Europe ne sont pas comparables. La France dispose du parc nucléaire à la fois le plus nombreux en unités et le plus puissant. Le parc nucléaire du Royaume-Uni, vieillissant, est le deuxième par le nombre d'unités, mais le troisième seulement par la puissance, derrière l'Allemagne et presque à égalité avec la Suède. Ces deux derniers pays se sont dotés plus tardivement de centrales nucléaires modernes, d'une grande puissance unitaire.

Les centrales nucléaires installées en Europe de l'Ouest sont principalement de deux types : réacteurs à eau sous pression (REP ou PWR en anglais), qui sont issus de la technologie Westinghouse, et réacteurs à eau bouillante (REB, ou BWR en anglais), qui sont issus de la technologie General Electric. Ces deux standards de réacteurs utilisent de l'uranium enrichi comme combustible et de l'eau ordinaire comme fluide transmetteur de chaleur, à la différence des réacteurs de technologie canadienne qui utilisent de l'eau lourde.

Le Royaume-Uni a également développé un standard qui lui est propre de réacteur à uranium enrichi refroidi par gaz (AGR), auquel elle a renoncé en raison de ses piètres performances.

La Finlande dispose de deux réacteurs à eau sous pression de conception soviétique, qui ont été modifiés pour être mis aux normes de sûreté occidentales.

b) La production européenne d'électricité

Les choix d'équipement en centrales nucléaires se reflètent dans les répartitions nationales entre les différentes sources d'électricité au sein de l'Union européenne.

Même parmi les huit Etats membres qui ont fait le choix du nucléaire, les situations sont très variables.

Le cas des Pays-Bas, où le nucléaire assure moins de 5 % de la production nationale d'électricité, est marginal. La Finlande, l'Allemagne, l'Espagne et le Royaume-Uni ont une capacité nucléaire de l'ordre du tiers de leur production nationale d'électricité. Seuls trois Etats membres ont fait le choix de produire une électricité majoritairement d'origine nucléaire : la Suède (52,5 %), la Belgique (56,9 %) et la France (77,5 %).

La moyenne communautaire s'établit ainsi à 35,3 % d'électricité d'origine nucléaire. Mais cette moyenne recouvre des situations très disparates, puisqu'à peine la moitié des Etats membres recourt à l'énergie nucléaire et qu'une minorité d'entre eux en a fait sa source principale d'électricité.

Par l'importance de sa production d'électricité nucléaire, la France se trouve dans une situation unique en Europe. Alors qu'elle n'assure que 21,3 % de la production européenne d'électricité, proportion correspondant à la taille relative de son économie, elle représente 46,7 % de la production européenne d'électricité nucléaire.

Répartition par pays de la production européenne d'électricité en 1997

 

Part de la production totale d'électricité

Part de la production d'électricité nucléaire

Autriche

2,28 %

0,00 %

Belgique

3,16 %

5,10 %

Danemark

2,22 %

0,00 %

Finlande

2,88 %

2,29 %

France

21,26 %

46,73 %

Allemagne

23,05 %

19,01 %

Grèce

1,77 %

0,00 %

Irlande

0,80 %

0,00 %

Italie

10,14 %

0,00 %

Luxembourg

0,05 %

0,00 %

Pays-Bas

3,54 %

0,49 %

Portugal

1,43 %

0,00 %

Espagne

7,21 %

6,63 %

Suède

5,80 %

8,62 %

Royaume-Uni

14,41 %

11,13 %

Source : Commission européenne - Direction générale de l'Energie

La France est ainsi, de loin, le premier producteur européen d'électricité nucléaire, devant l'Allemagne et le Royaume-Uni.

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