Pierre BORDRY - Président de l'Institut Alain POHER

J'étais le chef de cabinet de Jean LECANUET lors de la campagne présidentielle de 1965 et collaborateur ensuite d'Alain POHER pendant 24 ans, comme Porte-parole, puis comme Directeur de cabinet.

En 1965, se déroulèrent trois élections : au printemps les municipales, en septembre les sénatoriales et en décembre l'élection présidentielle. La première élection nationale au suffrage universel direct fut néanmoins la principale préoccupation des états-majors politiques cette année-là. Les partis s'organisaient en tirant les leçons des résultats électoraux de 1962. Certains imaginaient la présidentielle comme un référendum, d'autres l'interprétaient comme une élection traditionnelle où il fallait rechercher des alliances.

Le Gouvernement de l'époque fit le choix du renforcement de la bipolarisation, en modifiant la loi électorale municipale. Il cherchait ainsi à imposer aux partis du centre une alliance soit avec les gaullistes soit avec les communistes. Il institua à cet effet un scrutin de liste bloquée dans les villes de plus de 30 000 habitants, qui contraignait les états-majors à faire une alliance dès le premier tour de l'élection. Les partis politiques CNI et MRP, n'acceptant aucune alliance avec les gaullistes ni avec les communistes, recherchaient un accord avec les radicaux et les socialistes dans le cadre du Comité de liaisons des démocrates . Pendant ce temps, une candidature de Gaston DEFFERRE pour la SFIO, lancée par Jean-Jacques SERVAN-SCHREIBER et son hebdomadaire L'Express et soutenue par ces formations politiques, apparaissait crédible.

Cet accord centriste remporta un franc succès puisque les listes qui le soutenaient l'emportèrent dans plus de la moitié des villes de 30 000 habitants. Ces élus locaux ont constitué l'essentiel du corps électoral du Sénat pour les trois renouvellements suivants (1965, 1968 et 1971). C'est ainsi qu'au Sénat se dégagea progressivement une nouvelle majorité centriste, qui s'installera dans la durée, mais qui ne s'imposera pas au niveau national. En juin, Gaston DEFFERRE retire sa candidature au profit de la gauche, et en septembre, François MITTERRAND se lance en s'appuyant sur l'Union de la gauche perturbant l'Alliance centriste qui n'a pas encore annoncé de candidature à l'élection présidentielle. Dans ce contexte politique intervient le renouvellement du Sénat qui précéda l'élection présidentielle.

Après avoir hésité, Gaston MONNERVILLE décide d'être candidat à sa réélection, avec le soutien des groupes de l'opposition à l'exclusion du MRP et des indépendants. À cette époque, Jean LECANUET avait des chances sérieuses d'être élu Président du Sénat mais les groupes parlementaires, et en particulier le MRP, préféraient qu'il se réserve pour l'élection présidentielle. Pour cette élection à la présidence du Sénat, le groupe MRP joua la montre en décidant de ne pas prendre part au vote au premier tour, espérant que le Président MONNERVILLE ne serait pas élu au premier tour et se retirerait. Leurs suffrages n'étant pas exprimés, cette stratégie facilita au contraire sa réélection à une voix de majorité au premier tour. Précédant de deux mois le scrutin présidentiel, l'élection du Président du Sénat fut une occasion manquée pour le centrisme. Il faudra donc attendre 1968 pour qu'un centriste, Alain POHER, soit élu à ce poste, où il restera 24 ans jusqu'en 1992, comprenant deux intérims à la Présidence de la République et une candidature au suffrage universel direct.

Au cours des 34 premières années de la V e République, le Sénat a connu une très grande stabilité de sa majorité, et n'a eu que deux présidents - cinq présidents de l'Assemblée nationale sur cette même période. Présidents dans la durée, Gaston MONNERVILLE et Alain POHER ont été des acteurs importants de la vie politique nationale, défendant les institutions de la V e République par leurs prises de positions et leur engagement politique.

En octobre 1968, le Président Gaston MONNERVILLE avait décidé de ne pas se représenter à la présidence du Sénat. Alors que la campagne du référendum supprimant le Sénat s'annonçait clairement, la candidature éventuelle de Jean LECANUET à la présidence du Sénat apparaissait alors un peu trop agressive à l'égard du Général de GAULLE. En effet, peu de sénateurs croyaient à la victoire du « non »suivie d'une élection présidentielle. Un grand nombre d'entre eux étaient échaudés par le référendum et les législatives de 1962. Ils étaient convaincus que le « oui » l'emporterait largement et cherchaient principalement à sauver leur assemblée, plus par la négociation que par l'affrontement.

Dans ce contexte, au troisième tour de l'élection de la présidence du Sénat, avec le soutien de Gaston MONNERVILLE, la candidature d'Alain POHER, membre du groupe MRP et à cette époque Président du Parlement européen, est lancée par les groupes Gauche démocratique, socialiste, Républicains populaires et CNI, alors qu'il n'envisageait même pas lui-même d'être candidat. À divers moments de l'histoire du Sénat, Alain POHER, soutenant Gaston MONNERVILLE, s'était montré comme lui attaché à la défense du Sénat dans les institutions, mais il apparaissait aussi comme le plus capable de renouer le dialogue avec le Général de GAULLE et son Gouvernement sans rien céder sur la défense de la Haute assemblée.

Le 2 octobre 1968, candidat au troisième tour de scrutin, il est élu à la majorité absolue, et sera constamment renouvelé jusqu'en 1992. Pendant la campagne électorale du référendum de 1969, Alain POHER défendait le Sénat mais ne prononçait aucune critique personnelle à l'encontre du Général de GAULLE. Il avait renoué le contact avec le Président de la République, le Gouvernement revenait aux séances du Sénat et il s'entretenait presque tous les quinze jours avec le Général de GAULLE.

Quant à lui, il n'envisageait ni d'assurer l'intérim de la présidence de la République, ni d'être candidat à la présidentielle. Finalement le « non » l'emporte au référendum de 1969. Le Général de GAULLE démissionne. Alain POHER exerce donc l'intérim et sera candidat à la présidentielle. Lorsqu'au soir du 27 avril 1969, il a su que le Général de GAULLE démissionnait et que l'article 7 de la Constitution devait être appliqué, il a donné priorité à la continuité des institutions dans le respect de la Constitution, plutôt qu'à sa candidature à la présidentielle. Pendant ce temps à l'Élysée, il cherchait à gagner du temps en acceptant une date lointaine pour l'élection présidentielle afin que sa famille politique présente un autre candidat que lui-même. Mais les sondages, qui au début de l'intérim le donnaient élu, l'ont entraîné malgré lui dans la campagne électorale, et la durée de celle-ci a donné plus de chances à ses adversaires.

Dans l'exercice de sa nouvelle fonction de président du Conseil des ministres, la relation avec le Premier ministre a été très difficile. L'ordre du jour du Conseil des ministres ne traitait que des affaires courantes et les réunions interministérielles se multipliaient. Les difficultés de fonctionnement de l'exécutif provenaient de l'opposition entre le Gouvernement, issu d'une majorité à l'Assemblée nationale, qui avait perdu le référendum, et un président par intérim, procédant d'une majorité opposée. En 1974, après le décès du Président POMPIDOU, Alain POHER exerce une nouvelle fois l'intérim. Le couple exécutif fonctionna beaucoup plus facilement car le Président POHER, tirant les enseignements de l'intérim précédent, n'était pas candidat à l'élection présidentielle, tandis que la majorité de l'Assemblée nationale était divisée sur le choix de son candidat.

Les Présidents Gaston MONNERVILLE et Alain POHER étaient des républicains attachés au respect de la Constitution. Dans la durée et chacun avec leurs méthodes, ils ont été impliqués dans l'élection présidentielle. Ils avaient en commun leur volonté de défendre le Sénat dans le cadre de la Constitution de 1958.

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