COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. GUY FISCHER

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

ÉLECTION D'UN SÉNATEUR

M. le président. En application des articles LO 325 et LO 179 du code électoral, M. le président a reçu de M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales une communication de laquelle il résulte que, à la suite des opérations électorales du 9 février 2003, M. Yves Krattinger a été proclamé élu sénateur du département de la Haute-Saône.

Je suis heureux de lui souhaiter la bienvenue au sein de la Haute Assemblée.

3

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, pour un rappel au règlement.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l'article 34 du règlement intérieur du Sénat.

L'avenir du réseau de succursales de la Banque de France est une question nationale majeure, comme en attestent depuis plusieurs mois les nombreuses interventions d'élus s'inquiétant des annonces, faites par Jean-Claude Trichet, le gouverneur de la Banque de France, d'un vaste plan de restructuration devant entraîner la suppression de plusieurs dizaines de succursales.

Plusieurs associations d'élus, dont celle des maires des petites villes et des villes moyennes, réagissent vivement. Plus de soixante-dix de nos collègues parlementaires, sénateurs ou députés, ont saisi le Gouvernement par des questions écrites ou à l'occasion de questions orales ou d'actualité. Par des réponses stéréotypées, le Gouvernement s'est contenté d'évoquer évasivement la nécessité de moderniser le réseau de succursales de la Banque de France, lequel remonterait au xixe siècle, et de renvoyer aux conclusions à venir d'un rapport commandé par M. Trichet à son secrétaire général, M. Yves Barroux.

Ce rapport sur l'évolution de l'implantation territoriale de la Banque de France a été rendu public vendredi 7 février. Ses conclusions confirment et accentuent nos craintes : il préconise, d'ici à huit ou dix ans, la suppression de 149 des 211 succursales existantes - pas moins ! - et celle de 3 200 emplois, dont 2 600 disparaîtraient à court terme.

Dans mon département du Val-d'Oise, les trois succursales d'Argenteuil, de Beaumont-sur-Oise et de Pontoise seraient vouées à la fermeture. Dans votre département, monsieur le ministre, je crois savoir que les succursales d'Arles, d'Aix-en-Provence et de Salon-Berre seraient sous le coup de la même menace.

Avec un tel projet, c'est non pas de « restructuration » que l'on doit parler, mais véritablement de démantèlement.

Les conséquences de sa mise en oeuvre seraient extrêmement graves non seulement pour l'emploi, mais aussi pour l'exécution des missions que le législateur a assignées à la banque centrale en matière de cohésion sociale - 150 000 dossiers de surendettement sont traités chaque année - et de développement économique par le biais de l'expertise économique au service des entreprises et des bassins d'emploi.

L'application du plan présenté conduirait également à l'externalisation, c'est-à-dire à la privatisation de l'exécution d'une mission monétaire constitutive de la Banque de France : l'entretien de la monnaie fiduciaire, et ce aux dépens de la qualité et de la sécurité, pour un coût bien plus élevé qu'actuellement pour la collectivité, à l'opposé des objectifs affichés.

Les prétextes avancés par le rapport sont d'ailleurs tous plus que contestables. La densité du réseau français n'est, par exemple, pascomparable à celle des autres banques centrales européennes qui n'effectuent pas les mêmes tâches.

Que l'on me permette d'ajouter que le démantèlement d'une institution reconnue comme structurante du point de vue de l'aménagement du territoire est en totale contradiction avec le discours sur la décentralisation que tient le Gouvernement, monsieur le ministre.

Les salariés, soutenus par l'ensemble de leurs organisations syndicales, ne se sont pas trompés sur la gravité de l'attaque contre le réseau de la Banque de France. Ils préparent actuellement la riposte à ce qu'ils considèrent, à juste titre, comme une provocation. Ils ont décidé d'une journée nationale de grève pour jeudi prochain. Comme eux, nous nous prononçons pour le maintien de l'ensemble des succursales et pour l'extension de leurs activités et moyens, au service de la croissance et de l'emploi.

M. Trichet, gouverneur de la Banque de France, invite à une large concertation. Pour notre part, nous considérons que le Gouvernement ne doit pas se dérober devant ses responsabilités. C'est pourquoi - tel est l'objet de ce rappel au règlement - le groupe communiste républicain et citoyen demande par ma voix que le Gouvernement organise au plus vite, étant donné l'importance du rôle que la Banque de France joue dans la vie économique et sociale de notre pays, un débat parlementaire sur l'avenir de l'implantation territoriale de celle-ci.

La présidente de notre groupe adressera ce matin même une lettre en ce sens à M. le président du Sénat. (Applaudissements dans les travées du groupe CRC. - M. Marcel Lesbros applaudit également.)

4

RESTRICTION DE LA CONSOMMATION

DE TABAC CHEZ LES JEUNES

Adoption des conclusions

du rapport d'une commission

(Ordre du jour réservé)

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes
Art. 1er

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 168, 2002-2003) de M. Dominique Larifla, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur la proposition de loi (n° 77, 2002-2003) de M. Bernard Joly visant à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Larifla, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi soumise aujourd'hui à l'examen du Sénat, dont l'initiative revient à notre collègue Bernard Joly, vise à interdire la vente de tabac aux mineurs. Elle a pour objets de diminuer la consommation tabagique des jeunes et d'éviter, dans la mesure du possible, l'expérimentation même du tabac, à un âge où l'acquisition des dépendances s'effectue de manière durable.

Une telle proposition n'est pas nouvelle dans notre pays. A l'occasion de l'élaboration, en 1990, de la loi Evin relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, le Sénat avait ainsi adopté, sur proposition de sa commission des affaires sociales, un amendement tendant à interdire la vente de tabac aux jeunes de moins de seize ans. Cette disposition avait été, finalement, rejetée en commission mixte paritaire.

La lutte contre le tabagisme des jeunes s'est donc inscrite, au cours de la dernière décennie, dans le cadre plus général de la loi Evin, par le biais notamment de l'interdiction de la publicité en faveur du tabac et des opérations de promotion en direction de la jeunesse.

Toutefois, la proposition d'une interdiction spécifique de la vente de tabac aux mineurs est récemment redevenue d'actualité, sur l'initiative de la veuve d'un fumeur, qui fut ensuite relayée par diverses associations de lutte contre le tabagisme.

Au cours de ces dernières années, plusieurs propositions de loi et rapports officiels se sont donc prononcés sur ce sujet. On peut citer, à titre d'exemple, le récent rapport de la commission d'orientation contre le cancer, qui préconise l'interdiction de la vente de tabac aux mineurs de moins de seize ans.

Ces initiatives s'expliquent par le constat, préoccupant, du niveau élevé de la consommation de tabac dans notre jeunesse.

Selon les résultats d'une enquête réalisée en milieu scolaire dans une trentaine de pays européens, la consommation de tabac par les jeunes Français s'établissait, en 1999, au-dessus de la moyenne européenne. Deux jeunes Européens sur trois âgés de seize ans, soit 69 % de cette classe d'âge, ont ainsi admis avoir fumé au moins une cigarette au cours de leur vie, et un sur trois, soit 37 % de l'ensemble, avait fumé au cours des trente jours ayant précédé l'entretien. En France, ces proportions sont respectivement de 72 % et de 44 %.

Le « baromètre santé » réalisé en 2000 par le Comité français d'éducation pour la santé permet, quant à lui, d'établir que 36,7 % des jeunes Français âgés de douze à vingt-cinq ans déclarent fumer, ne serait-ce qu'occasionnellement. Cette proportion passe de 8,5 % chez les 12-14 ans à 40,9 % chez les 15-19 ans, et atteint un maximum de 47,6 % chez les 20-25 ans. Les résultats de cette enquête font également apparaître que le tabagisme concerne, à l'heure actuelle, autant les filles que les garçons.

Selon une autre enquête, réalisée en 2002 par la Fédération française de cardiologie auprès de quatre cents adolescents, l'âge moyen auquel on fume la première cigarette se situerait, aujourd'hui, à onze ans et trois mois. Onze ans et trois mois, mes chers collègues ! Par ailleurs, plus d'un quart des jeunes « apprentis fumeurs » ont déclaré avoir fumé leur première cigarette dès l'âge de dix ans.

Dans ce contexte, la proposition de loi s'inspire, d'une part, des législations étrangères, et, d'autre part, des mesures déjà prises en France pour la protection des mineurs contre l'alcoolisme.

Sur les quinze pays qui constituent actuellement l'Union européenne, six se sont dotés de législations nationales portant interdiction ou restriction de la vente de tabac aux mineurs. En outre, en Autriche, la majorité des régions proscrivent la vente de tabac aux mineurs et, comme en Allemagne, des interdictions de fumer en public sont édictées à leur encontre. En règle générale, seize ans est l'âge limite retenu pour l'application de ces restrictions ou de ces interdictions. Seules la Finlande et la Suède ont porté cette limite à dix-huit ans.

La législation française relative à la protection des mineurs contre l'alcoolisme date, quant à elle, des années cinquante. Il est ainsi interdit, dans les débits de boisson, dans tous les commerces et dans les lieux publics, de vendre ou d'offrir à des mineurs de moins de seize ans des boissons alcooliques à consommer sur place ou à emporter. La même interdiction s'applique, pour certaines boissons alcooliques, aux mineurs âgés de seize à dix-huit ans.

En dépit de ces exemples, le principe même de l'interdiction de la vente de tabac aux mineurs est loin de faire l'unanimité, tant en France qu'à l'étranger. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce débat dépasse d'ailleurs les clivages habituels : certains experts et certaines associations de lutte contre le tabagisme se déclarent ainsi opposés à une telle mesure, alors que la plupart des grandes marques de tabac y sont, pour leur part, favorables.

Pour l'essentiel, les critiques adressées à l'encontre de ce type d'interdiction mettent en cause, d'une part, son effectivité, son application concrète étant jugée impossible en raison de difficultés pratiques, et, d'autre part, son efficacité, l'interdiction de vente de tabac aux mineurs n'empêchant pas ces derniers de fumer et pouvant même, au contraire, les inciter à braver l'interdit.

La commission des affaires sociales n'ignore pas ces objections ou ces interrogations, parfois pertinentes. Elle est néanmoins favorable à l'interdiction de la vente de tabac aux mineurs.

En effet, cette interdiction permet, même imparfaitement, de dissuader les jeunes de se mettre à fumer à un âge où ils sont particulièrement vulnérables et où se détermine leur futur comportement d'adulte à l'égard du tabac. Elle permet ainsi de lutter « à la racine » contre le tabagisme.

Cette interdiction conforte également la légitimité des interdits formulés par les parents. Par ailleurs, elle conduira nécessairement ces derniers à s'interroger sur leur propre consommation de tabac.

De même, une telle mesure renforce la cohérence de la règle sociale, notamment aux yeux des jeunes : le tabac, publiquement dénoncé comme étant une substance toxique, ne sera plus désormais en vente libre pour les mineurs, à l'instar de l'alcool et des drogues illicites. Quelles sont d'ailleurs les raisons qui justifient, encore aujourd'hui, qu'un mineur âgé de onze ou de douze ans puisse acheter librement du tabac dans notre pays, alors qu'on lui interdit, à juste titre, d'acheter de l'alcool ?

Adopter une disposition législative en ce domaine donnerait aux débitants de tabac une caution juridique qui leur fait aujourd'hui défaut quand ils veulent refuser de vendre du tabac aux mineurs. En effet, le débitant qui refuserait, en l'état actuel de la législation et de la jurisprudence, de vendre du tabac à un mineur pourrait se voir condamner pour « refus de vente ».

Enfin, les difficultés d'application de cette interdiction ne sont guère différentes de celles que l'on rencontre déjà pour faire respecter l'interdiction de vente d'alcool aux mineurs, dont personne ne remet pourtant en cause le principe et la nécessité. Bien au contraire, les modalités particulières de la commercialisation du tabac dans notre pays, par l'intermédiaire exclusif d'un réseau de débitants qui sont des préposés de l'administration des douanes, peuvent garantir une application relativement stricte de l'interdiction de la vente de tabac aux mineurs.

Bien entendu, nous ne prétendons pas que cette interdiction puisse permettre, à elle seule, de résoudre le problème du tabagisme des jeunes. Son succès dépendra de nombreux autres facteurs, notamment du comportement des adultes. A cet égard, l'exemple fourni par les enseignants et le strict respect des dispositions de la loi Evin en milieu scolaire seront des éléments déterminants. Cette mesure devra également être complétée par une action de plus grande ampleur visant à renforcer la lutte contre le tabagisme, dans le cadre de la politique générale de santé publique.

S'agissant du dispositif de la proposition de loi, la commission vous propose d'y apporter plusieurs aménagements.

Tout d'abord, il lui semble préférable de fixer à seize ans, et non à dix-huit ans, l'âge limite de l'interdiction de la vente de tabac aux mineurs.

En effet, l'interdiction de vendre du tabac aux mineurs a pour objet de dissuader ces derniers de commencer à fumer et de s'engager, de manière habituelle, dans la voie du tabagisme. Or les études disponibles démontrent que la période déterminante se situe, en ce domaine, dans les toutes premières années de l'adolescence.

Par ailleurs, une interdiction à caractère général, s'appliquant brutalement à l'ensemble des mineurs, pourrait entraîner des réactions, parfois violentes, de rejet ou de contestation de la part des grands adolescents, dont certains sont déjà dépendants à l'égard du tabac. Elle serait ainsi susceptible de compromettre, aux yeux de l'opinion publique, l'intérêt même de ce type de mesure.

L'âge de seize ans est également retenu, en droit français, comme celui d'une première « émancipation » des mineurs, à partir duquel ceux-ci sont autorisés à prendre, de manière relativement autonome, certaines décisions personnelles.

Enfin, il est généralement plus facile d'identifier « du premier coup d'oeil » un mineur de moins de seize ans que de déterminer sans hésitation l'âge exact d'un grand adolescent. L'application concrète de l'interdiction sera ainsi plus aisée, notamment pour les débitants de tabac, qui n'auront pas alors besoin de demander systématiquement aux mineurs la production d'un document attestant de leur âge réel.

La commission propose également au Sénat de compléter l'interdiction de vente de tabac aux mineurs de moins de seize ans par un régime de sanctions susceptible d'en garantir l'effectivité. A défaut de sanctions, cette interdiction ne serait, en effet, qu'une mesure purement symbolique. Notre jeunesse ne pourrait pas, alors, la prendre au sérieux. Elle serait même en droit de dénoncer, dans ce domaine, l'« hypocrisie » des adultes.

Ce régime de sanctions s'inspire donc directement des règles concernant, d'une part, la protection des mineurs contre l'alcoolisme, et, d'autre part, l'accès de ces derniers aux salles de cinéma.

Enfin, il ne paraît pas possible à la commission de décider, sans réflexion plus approfondie, la prise en charge par l'assurance maladie des substituts nicotiniques pour les mineurs, comme cela était prévu par la rédaction initiale de la proposition de loi.

En effet, personne n'est aujourd'hui en mesure d'évaluer le coût, pour l'assurance maladie, de cette prise en charge. Or chacun connaît l'ampleur de ses problèmes financiers.

Par ailleurs, les rares études scientifiques réalisées à ce sujet tendent à démontrer que ces substituts demeurent inopérants chez les adolescents, à la différence de ce que l'on constate chez les adultes. Personne ne peut, pour l'instant, expliquer un tel phénomène.

Enfin, les experts soulignent l'inefficacité d'une prise en charge générale des substituts nicotiniques pour un ensemble indifférencié de fumeurs. Cette prise en charge doit être, selon eux, « ciblée » en fonction de certains critères sanitaires ou sociaux.

Toutefois, et afin de nous assurer que le Parlement puisse disposer, dans les meilleurs délais, des informations pertinentes qui lui seront nécessaires pour une décision ultérieure, il paraît donc utile de prévoir la transmission au Parlement d'un rapport évaluant, d'une part, l'intérêt, en termes de santé publique, de la prise en charge des substituts pour les mineurs de moins de dix-huit ans et, d'autre part, le coût de cette mesure.

C'est pourquoi la commission propose au Sénat d'adopter, ainsi rédigée, cette proposition de loi qui devrait contribuer, parmi d'autres mesures, à renforcer la lutte contre le tabagisme des jeunes. (Applaudissements dans les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que dans certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je veux d'emblée saluer l'initiative de M. Bernard Joly (M. Jacques Pelletier se tourne vers celui-ci et le félicite), qui vise à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes, et je lui apporterai un soutien sans équivoque sur ce point.

Je souhaite également remercier le rapporteur, M. Dominique Larifla, et les membres de la commission des affaires sociales de la rapidité et de la qualité de leurs travaux.

Cette proposition de loi vient en effet en discussion juste au moment où le Gouvernement s'apprête à déclarer la guerre au tabac. La Haute Assemblée ouvre le feu ; nous déclencherons l'offensive générale.

Pourquoi une guerre ?

Parce que nous avons affaire, et de loin, au plus grand tueur qui existe, celui qui coûte le plus cher à la société, non seulement en vies humaines, en souffrances mais aussi en dépenses de santé.

M. Bernard Joly l'a rappelé dans l'exposé des motifs, première cause de mortalité évitable en France, le tabac tue chaque année dans notre pays 60 000 personnes, huit fois plus que la violence routière ! Il nous coûte aussi 15 milliards d'euros par an, soit 1,1 % du produit intérieur brut. J'ajouterai que l'efficacité des programmes anti-tabac n'est plus à démontrer.

En arrivant au Gouvernement, je me suis engagé à faire de la prévention un axe fort de la politique de santé de la France. La prévention a été et demeure une des faiblesses du système sanitaire français. Pratiquement pas enseignée dans nos facultés de médecine, peu valorisée dans sa pratique, souvent très dissociée du système de soins dans sa structuration, elle est le parent pauvre de la santé. Nous en payons aujourd'hui le prix, comme le montrent les morts liées au tabac.

Je suis convaincu, monsieur Joly, que la prévention est un élément clé pour améliorer la santé des Français, pour les faire vivre mieux et plus longtemps, comme M. le rapporteur l'a signalé.

Le cancer en est l'exemple le plus frappant. Un quart des décès par cancer, soit plus de 30 000 décès par an, est attribué au tabac. Quand la prévention du tabac est efficace, les décès par cancer du poumon chutent. L'expérience britannique vient de le rappeler, en le démontrant magistralement.

La lutte contre le cancer est l'une des priorités du Président de la République, nous avons aujourd'hui l'opportunité de franchir un pas important avec la lutte contre le tabac. Je ne la manquerai pas !

Certes, nous ne partons pas de rien.

Je veux rendre hommage au caractère extrêmement novateur de la loi du 9 juillet 1976, proposée sous l'impulsion du professeur Maurice Tubiana, à l'époque président de la commission « cancer » réunie par Simone Veil. Cette loi a permis une première prise de conscience ; elle a aussi permis de freiner la progression du tabagisme chez les hommes.

La loi Evin du 10 janvier 1991 a représenté une étape historique dans la lutte contre le tabagisme dans notre pays et elle a été suivie par une diminution de 14,5 % des ventes de cigarettes entre 1992 et 1997.

Malheureusement, des signes montrent que la lutte anti-tabac perd en vigueur et en efficacité.

La proportion des femmes fumeuses augmente. Le tabac a donné un coup d'arrêt à la progression de l'espérance de vie des femmes.

La consommation de tabac chez les jeunes reste à un niveau très élevé, un des plus élevés d'Europe. La moitié des jeunes fument. La dépendance au tabac étant forte, la plupart d'entre eux continueront à fumer régulièrement. Comme la nocivité du tabac est surtout liée à la durée d'exposition, cela veut dire que, parmi les jeunes ayant commencé à fumer à l'adolescence, la moitié décédera du tabac et, parmi eux, un quart décédera avant soixante-cinq ans, soit une vie raccourcie de vingt ans !

Mesdames, messieurs les sénateurs, il est donc de notre responsabilité de relancer la lutte contre le tabac, d'en faire une cible prioritaire pour les années à venir, et notamment chez les jeunes.

Nous avons déjà commencé, et les dispositions de la proposition de loi sont autant de mesures qui vont dans le bon sens. Interdiction de vente aux jeunes âgés de moins de seize ans, sanction des débitants de tabac, éducation à la santé : nous sommes favorables à de telles dispositions.

Avec la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, nous venons d'augmenter de façon importante le prix du tabac. Il s'agit d'une mesure efficace sur la baisse de la vente et de la consommation. Pour la première fois depuis quatre ans, les ventes de tabac ont diminué. Mais il faut veiller à ce que les fabricants de tabac ne puissent contourner l'augmentation du prix en proposant aux jeunes des paquets de dix à quinze cigarettes, moins chers et donc plus attractifs. Il faut veiller également à ce que cette augmentation se répercute sur tous les produits du tabac, y compris les moins chers. J'y veillerai personnellement.

Par ailleurs, je viens de signer l'arrêté obligeant les fabricants à inscrire sur les paquets de cigarettes un message clair et sans ambiguïté, sur lequel nous nous étions engagés : « Fumer tue ».

Quant à l'interdiction de la vente aux mineurs âgés de moins de seize ans, c'est une mesure cohérente avec l'interdiction de vente d'alcool à ces mêmes mineurs dans les débits de boissons, avec notre désir de protéger la jeunesse d'une drogue mortelle.

Cette proposition de loi est hautement symbolique. Le Gouvernement et moi-même sommes très favorables au texte qui nous est présenté. C'est un élément de plus qui contribue à « débanaliser » le tabac et à rendre la position des fumeurs chaque jour plus inconfortable.

Par ailleurs, comme l'a signalé le rapporteur, M. Larifla, on sait, d'après les expériences d'autres pays, qu'il ne s'agit pas d'une mesure miracle,...

M. Roland Muzeau. Effectivement !

M. Jean-François Mattei, ministre. ... qu'elle doit trouver son sens au sein d'un programme large, axé sur la population générale, et non sur les mineurs uniquement,...

M. Gilbert Chabroux. Oui !

M. Jean-François Mattei, ministre. ... comprenant des actions d'information mais aussi de réglementation et d'aide à l'arrêt du tabac. Monsieur Chabroux, vous ne manquerez probablement pas de nous le rappeler.

M. Gilbert Chabroux. Bien sûr !

M. Jean-François Mattei, ministre. Mais vous rappellerez sans doute aussi que, s'agissant de la lutte contre l'alcool, nous voulons lutter contre l'alcoolisme à tous les âges (M. Gilbert Chabroux opine), même si, depuis des décennies, il est interdit aux débitants de boissons de délivrer de l'alcool aux jeunes âgés de moins de seize ans. L'industrie du tabac, qui propose parfois, isolément, des actions semblant se rapprocher d'un souci de prévention, ne s'y trompe pas ! On voit bien les manoeuvres qui sont engagées. Pour ma part, j'inscris mon action dans le domaine de la santé publique.

L'objectif de notre programme est double : prévenir la consommation de tabac chez les non-fumeurs mais aussi aider les fumeurs à s'arrêter, sans pour autant minimiser la difficulté du sevrage. Le tabac est une drogue. Cette assimilation à une drogue a participé à la prise de conscience des dangers du tabac. Mais s'arrêter de fumer, c'est possible, et ce n'est jamais trop tard !

Sans révéler aujourd'hui - ce serait prématuré - la teneur du plan « cancer », je souhaite vous en annoncer les grandes orientations relatives au tabac.

A l'égard des jeunes, différentes interventions en milieu scolaire seront mises en place...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est urgent !

M. Jean-François Mattei, ministre. ... dans le cadre d'un programme « Ecole sans tabac » élaboré conjointement par le ministère de l'éducation nationale et par le ministère de la santé. Ce programme comprendra des actions d'information sur les méfaits du tabac, information que vous proposez, monsieur le rapporteur. Elles seront accompagnées de mesures indispensables d'interdiction, d'accompagnement et de prise en charge.

Vous le constatez, il y a là une volonté forte. Mais, je le répète, une prévention qui se limite aux jeunes n'est pas efficace. Il faut agir sur l'ensemble de la population. Le tabagisme des adolescents est en effet significativement associé à celui de ses parents, à celui de son environnement social proche.

M. Nicolas About, président de la commission. Dont les enseignants !

M. Jean-François Mattei, ministre. Je compte privilégier quatre axes.

Le premier : il faut rendre de plus en plus difficile l'accès au tabac par une politique permanente d'augmentation des taxes. Tant que l'augmentation des taxes ne se traduira pas par une augmentation parallèle des prix du tabac à la vente au détail, je continuerai d'accroître les taxes. Je ne me laisserai plus impressionner comme à la fin de l'année dernière lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale. On m'avait alors affirmé que la majoration prévue était le maximum que l'on pouvait atteindre sous peine de mettre en danger les cigarettiers. Or, après quelques mois, nous constatons que ces derniers ont réduit leurs marges pour ne pas augmenter à due proportion le prix du tabac et que les actions des fabricants de tabac se portent bien. Il apparaît donc que notre action n'a pas été suffisante, pas assez forte ; elle le sera davantage à l'avenir. (Applaudissements dans plusieurs travées de l'UMP.- M. Roland Muzeau s'exclame.)

Deuxième axe : il faut renforcer la législation relative à la lutte contre le tabac et se doter des moyens permettant d'obtenir l'application effective de l'interdiction de fumer dans les lieux collectifs et la sanction des contrevenants.

Près des trois quarts des Français se déclarent d'ailleurs favorables à un renforcement de la réglementation relative à la protection des non-fumeurs. J'ai défendu la loi Evin. Je déplore qu'elle ne soit pas appliquée, notamment dans les établissements scolaires.

M. Nicolas About, président de la commission. Très bien !

M. Jean-François Mattei, ministre. Troisième axe : il faut mieux informer sur les risques du tabagisme actif et passif, en augmentant les campagnes d'information. Contrairement à ce que l'on pense, les risques liés au tabac sont encore sous-évalués. En particulier, la moitié des personnes pense encore qu'il existe un seuil - évalué à environ neuf cigarettes par jour - au-dessous duquel on ne risque rien. La mise en évidence des dangers du tabagisme passif est en train de modifier cette perception.

Enfin, quatrième axe : il faut aider les fumeurs à s'arrêter de fumer par tous les moyens possibles, en améliorant la ligne téléphonique d'écoute « Tabac Info services » dont le numéro sera inscrit sur tous les paquets de cigarettes, par des documents d'information, par la formation et l'implication des professionnels de la santé - médecins et infirmières - ainsi que des responsables de collectivités.

L'implication des médecins généralistes est essentielle. Une étude a montré que le simple fait que le médecin demande à son patient : « Est-ce que vous fumez ? » puis, en cas de réponse positive, « Voulez-vous arrêter de fumer ? » et qu'il lui donne une brochure de conseil pour le sevrage permettrait de doubler les chances de l'arrêt à long terme. En France, cela se traduirait par 200 000 fumeurs en moins chaque année.

Enfin, monsieur Joly - et c'était une de vos préoccupations, mais le rapporteur a bien expliqué pourquoi on ne pouvait pas prendre en charge les substituts nicotiniques dès à présent -, je m'engage à améliorer l'accès aux substituts nicotiniques, qui multiplient par un et demi à deux les chances du sevrage. J'augmenterai le nombre de consultations anti-tabac pour que celles-ci soient accessibles dans chaque département.

Ces différentes actions permettront de modifier l'image sociale du tabac, encore trop banalisée en France.

Au nom du Gouvernement, je remercie de nouveau la Haute Assemblée de contribuer ainsi à la lutte contre le tabagisme. C'est un combat dans lequel je m'engage personnellement, persuadé de pouvoir ainsi améliorer durablement la santé des Français. (Applaudissements dans les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que dans certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nelly Olin.

Mme Nelly Olin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la consommation de tabac des jeunes Français est plus qu'alarmante. On peut parler de véritable drame et je crois, mes chers collègues, que ce mot n'est, hélas ! pas trop fort : il n'est pas exagéré !

Je partirai, si vous le voulez bien, de trois constats.

Le premier : les jeunes fument de plus en plus tôt. Il faut en effet savoir que, en France, non seulement l'âge de la première cigarette est en moyenne de 11,3 ans, mais que plus d'un quart de ces jeunes fumeurs ont fumé leur première cigarette à l'âge de dix ans !

Deuxième constat : les jeunes fument de plus en plus. Ainsi, selon l'INSEE, alors que la consommation de tabac a globalement baissé depuis vingt ans, elle a augmenté chez les 15-19 ans ! Et la France est particulièrement concernée par ce phénomène puisqu'un rapport de l'Académie nationale de médecine montre que les jeunes Français âgés de 18 à 24 ans sont ceux qui fument le plus dans l'Union européenne. Plus précisément, 50 % d'entre eux fument, contre 18 % en Finlande et en Suède. Triste record...

Troisième constat : le nombre de jeunes femmes qui fument augmente progressivement et rejoint celui des jeunes hommes.

Nous devons évidemment prendre en compte un certain nombre de facteurs qui ne facilitent pas, loin de là, les politiques de prévoyance.

D'abord, les jeunes sont au courant des risques qu'ils encourent lorsqu'ils fument, ce qui ne les empêche pas de continuer ; cela prouve à quel point le phénomène d'accoutumance est rapide et pernicieux. Ensuite, ces jeunes évoluent souvent dans un contexte social instable et trouvent dans le tabac un dérivatif facile. Enfin, comme vient de le souligner M. le ministre, le jeune est très souvent incité à fumer par son entourage même : parents, amis.

Cependant une chose est certaine : nous n'avons pas le droit de baisser les bras, de rester inactifs et de considérer le tabagisme des jeunes comme une fatalité. Un tel comportement serait criminel, surtout quand on sait que le tabac fait chaque année en France entre 40 000 et 50 000 morts et qu'il est à la source de nombreuses formes de cancers, comme vous venez de le préciser, monsieur le ministre, non seulement le cancer du poumon, de la langue, de la bouche, de la gorge mais aussi le cancer de la vessie ou du pancréas.

Fort opportunément, notre collègue Bernard Joly a pris l'initiative, et je l'en félicite, de déposer une proposition de loi sur laquelle nous débattons aujourd'hui, qui contient des mesures fermes et radicales pour lutter contre le tabagisme des jeunes.

On nous objectera que de nombreuses initiatives ont été prises par le passé, initiatives qui, malheureusement, n'ont pas beaucoup porté leurs fruits. L'une d'elles était bien sûr la loi Evin, dont l'article 16 dispose - dois-je le rappeler ? - qu'il est « interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transports collectifs, sauf dans les emplacements réservés aux fumeurs ». Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes le premier à déplorer ce non-respect de la loi Evin, et en particulier à condamner le fait que l'on continue de fumer dans les lycées et les collèges.

Il faut donc, dès à présent, prendre le mal à la racine, et c'est bien l'objet de la proposition de loi qui vient de nous être présentée.

Il convient d'enrayer l'endémie en combattant le mal à la racine. Il s'agit non seulement de vouloir « guérir » mais également de « prévenir ». Il s'agit non seulement d'essayer de sevrer des jeunes déjà dépendants mais aussi de faire en sorte qu'ils ne le deviennent pas du tout.

On connaît, en effet, les difficultés de sevrage que rencontrent la plupart des personnes qui veulent arrêter de fumer, même les plus décidées d'entre elles : selon une étude de l'INSEE, sur les plus de 12 millions de fumeurs actuels âgés de quinze ans ou plus, plus de trois sur cinq ont déjà essayé d'arrêter de fumer au moins une fois, hélas ! sans succès.

Il faut donc faire en sorte que les jeunes ne commencent jamais à fumer : ce point constitue l'axe de cette proposition de loi. Il faut dire non à la première cigarette et concentrer notre politique de prévention sur les jeunes en espérant que, par leur intermédiaire, nous sensibiliserons aussi les parents.

L'article 1er de la proposition de loi prévoit, notamment, d'interdire « la vente ou l'offre, à titre gratuit, à des mineurs de moins de dix-huit ans, des produits du tabac ». J'entends déjà certaines personnes nous taxer d'autoritarisme...

M. Roland Muzeau. Non.

Mme Nelly Olin. ... et nous opposer que c'est prendre le risque d'inciter les jeunes à braver cette interdiction.

Je m'appuierai, pour leur répondre, sur deux éléments qui confortent le bien-fondé de cette proposition de loi.

D'une part, l'exemple des pays étrangers qui ont pris des mesures d'interdiction de vente aux mineurs est parlant. Ainsi, l'Irlande, citée par La Tribune du 7 janvier dernier, a fait de la lutte contre le tabagisme des jeunes une priorité en interdisant à ceux-ci l'achat de cigarettes. Ce pays peut se féliciter aujourd'hui d'avoir 70 % de non-fumeurs.

D'autre part, dans le rapport qu'elle vient de vous présenter, monsieur le ministre, la commission d'orientation sur le cancer dénonce « une culture française très permissive » face à la consommation de tabac. Elle préconise également l'interdiction de la vente de tabac aux mineurs de moins de seize ans.

Si ces conclusions montrent que l'interdiction est opportune, il paraît cependant souhaitable de fixer l'âge limite de l'interdiction à seize ans, ainsi que le propose la commission des affaires sociales, pour rendre la mesure plus réaliste et donc plus efficace.

Afin de renforcer cette efficacité, la commision propose, en outre, des améliorations du régime de contrôle-sanction.

Le second article de cette proposition de loi prévoit que, « dans le cadre de l'éducation à la santé, une sensibilisation au risque tabagique est organisée, sous forme obligatoire, dans les classes de l'enseignement primaire et secondaire ». Il semble, en effet, plus que souhaitable que le système éducatif prenne toute sa part dans la politique de prévention du tabac chez les jeunes ; cela semble d'autant plus indispensable que l'on constate une très forte démission des parents. Selon une étude de la Fédération française de cardiologie, ils sont en effet 32% à renoncer à mettre en garde leurs enfants contre les risques du tabac.

Pour conclure, monsieur le ministre, je soulignerai deux points qui me semblent essentiels.

Tout d'abord, cette proposition de loi me paraît constituer un appui important à la politique que mène votre ministère, qui a déclaré la « guerre au cancer », conformément aux engagements de M. le Président de la République. Vous avez d'ailleurs annoncé qu'un plan « cancer » allait être présenté d'ici à la mi-mars, et nous nous en félicitons.

Ensuite, cette proposition de loi s'inscrit dans le cadre d'une prise de conscience internationale des dangers liés au tabac. En effet, l'Organisation mondiale de la santé prépare actuellement une convention anti-tabac qui prévoit, en particulier, une limitation de la publicité sur le tabac. Le texte définitif de cette convention devrait voir le jour d'ici à la fin du mois ; ce sera une aide précieuse pour les luttes nationales contre le tabac.

Dans ces conditions, monsieur le ministre, c'est avec une grande conviction que le groupe UMP votera cette proposition de loi telle que modifiée par la commission des affaires sociales. (Applaudissements dans les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que dans certaines travées du RDSE.) M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.

Mme Valérie Létard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, douze ans après l'adoption de la loi Evin, qui avait eu pour objectif de s'attaquer aux deux grandes dépendances socialement acceptées dans notre pays que sont l'alcool et le tabac, la proposition de loi de M. Bernard Joly vient utilement rappeler au législateur que les progrès enregistrés dans ce domaine sont toujours fragiles, en particulier en matière de lutte contre le tabagisme des jeunes.

En l'occurrence, le constat est plus qu'inquiétant. Comme l'a rappelé M. le rapporteur, si l'on enregistre une certaine diminution du tabagisme chez les adultes, on observe parallèlement une augmentation sensible du tabagisme quotidien chez les adolescents de quatorze à dix-huit ans. A dix-huit ans, quatre jeunes sur cinq ont déjà fumé. L'âge moyen d'expérimentation du tabac est inférieur à quatorze ans : 21 % des garçons ont déjà fumé à douze ans, mais les filles les rattrapent largement à partir de quatorze ans.

Cette entrée très jeune dans le tabagisme est d'autant plus préoccupante que la précocité de l'usage régulier du tabac induit par la suite de plus fortes consommations. Presque la moitié des gros fumeurs ont fumé leur première cigarette avant quatorze ans, et l'on sait qu'un fumeur régulier sur deux, s'il a commencé dès l'adolescence, mourra victime du tabac. Il y a donc là un enjeu majeur de santé publique.

Pour les adolescentes, le risque se trouve encore augmenté si la consommation de tabac est associé à la prise de contraceptifs oraux. Avec le recul de l'âge où elles ont leur premier enfant et l'allongement de la durée du tabagisme avant la grossesse, les jeunes femmes sont de plus en plus nombreuses à ne pas pouvoir arrêter le tabac pendant la grossesse, avec tous les risques que cela peut avoir pour elles-mêmes et pour l'enfant.

Devant ce constat inquiétant, il est logique que le Sénat propose de nouveau d'interdire la vente de tabac aux mineurs de moins de seize ans, proposition qu'il avait déjà formulée lors de la discussion de la loi Evin. Depuis la publication du rapport Roques, il est en effet admis que la consommation de tabac constitue une dépendance aussi dangereuse qu'une autre, même si elle est licite.

Si l'on estime que l'accoutumance à la nicotine qui se crée précocement est la plus redoutable, il est normal d'envisager tous les moyens disponibles pour la combattre. Un groupe de travail composé d'attorneys généraux qui s'est réuni aux Etats-Unis en décembre 1994 sur le thème des jeunes et le tabac notait déjà que la dépendance au tabac commence à l'adolescence ou jamais. Si l'accès des jeunes au tabac pouvait être effectivement contrôlé et si la décision de commencer pouvait être reculée jusqu'à l'âge adulte, selon ce même groupe de travail, le tabac pourrait cesser d'être l'une des principales drogues de la société américaine. Cette remarque pourrait valoir également pour notre pays.

Mais une telle mesure peut-elle être appliquée ?

Comme l'a noté M. le rapporteur dans son rapport écrit, tous les pays qui ont mis en place une interdiction de vendre du tabac aux adolescents se heurtent aux mêmes difficultés d'application. Aux Etats-Unis, une étude faite en décembre 2001 a montré que des mineurs pouvaient facilement acheter des cigarettes sur Internet - moins de 25 % des vendeurs sur le net vérifient l'âge de l'acheteur - et, de tests pratiqués dans une quinzaine d'Etat, il ressort que des enfants de neuf ans avaient pu facilement se procurer du tabac.

En Irlande, où le tabac est interdit aux moins de seize ans, au cours d'une audition de la sous-commission sur la santé et le tabac du Parlement qui eut lieu en avril 2001, le responsable du bureau de contrôle du tabac a reconnu que 81 % des enfants déclarent acheter leurs cigarettes à un commerçant de proximité, ce qui prouve, d'une part, le non-respect flagrant de la loi par les petits détaillants et, d'autre part, l'inexactitude de l'affirmation souvent avancée par les compagnies de tabac selon laquelle ce sont les enfants plus âgés, les parents ou les adultes qui donnent des cigarettes aux plus jeunes.

En France, la situation se présente sous un jour un peu différent dans la mesure où la commercialisation du tabac relève d'un réseau de débitants bien identifiés et contrôlés par l'administration des douanes. Cela devrait permettre une application plus homogène de l'interdiction, à condition toutefois que les détaillants acceptent de « jouer le jeu » et de vérifier de façon sérieuse l'âge de leurs jeunes clients. Le climat actuel de « grogne » et d'inquiétude qui agite le réseau depuis la dernière augmentation des prix du tabac est-il propice à la mise en oeuvre de cette mesure ? Rien ne serait plus dommageable qu'une interdiction qui resterait virtuelle.

Cela étant, certains professionnels de santé qui côtoient quotidiennement des adolescents restent sceptiques sur l'impact réel d'une telle mesure. Leur crainte principale est que l'interdit rende le produit plus intéressant parce que, justement, mis hors de portée. Comment faire admettre à un adolescent que l'adulte, tout en imposant aux autres sa norme, fait, lui, ce qu'il veut et peut consommer à volonté un produit nocif dont il n'ignore nullement la toxicité ? Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ! Dans leur recherche d'une cohérence propre à l'intransigeance de leur âge, les adolescents ne seront-ils pas frappés par l'illogisme d'une telle position ?

Ce qui inquiète plus encore ces professionnels, c'est le message implicite que les adolescents pourraient retenir de cet interdit : fumer, cela signifierait être adulte. Les compagnies de tabac ont très astucieusement revu leur communication ces dernières années, se proposant de sponsoriser des campagnes de prévention pour les jeunes, mais, dans le même temps, véhiculant l'idée que le tabac est réservé à l'adulte « bien dans sa peau », image glamour souvent incarnée par des chanteurs ou des acteurs de cinéma.

Les restrictions à la publicité sur le tabac introduites par la loi Evin ont été contournées, donnant naissance à toute une stratégie de publicités illicites qui associent le tabac à d'autres produits de consommation, à la fête ou à la vitesse. Une simple interdiction ne suffira pas à casser cette image valorisante auprès des jeunes. C'est un véritable travail de démystification qui permettrait aux adolescents de refuser d'entrer dans la dépendance et qui leur donnerait les moyens de dire non, même si la pression du groupe de copains est forte ou si le comportement des parents n'est pas exemplaire.

Causant 60 000 décès par an - ce sera le double dans vingt ans -, la consommation de tabac n'est pas un choix individuel innocent. Si ce produit arrivait sur le marché aujourd'hui, sa toxicité lui vaudrait un refus d'autorisation de mise sur le marché. Seules son acceptation sociale et sa rentabilité fiscale lui permettent d'occuper une telle place dans nos sociétés développées.

Alors, que faire ?

On peut choisir d'interdire le tabac aux moins de seize ans, comme le propose la commission : on peut douter de l'efficacité d'une telle mesure, mais on peut aussi être convaincu de son intérêt. Les arguments pour ou contre sont aussi recevables les uns que les autres.

Ce qui semble évident, c'est que le combat ne doit pas se limiter à ce terrain-là. Il ne se gagnera que dans la tête des adolescents.

M. Nicolas About, président de la commission. Oui !

Mme Valérie Létard. Ceux-ci doivent comprendre, grâce à leur entourage, leur famille, leurs amis, leurs professeurs, les professionnels de santé, les travailleurs sociaux que fumer et boire ne sont pas les solutions au mal-être de leur âge.

La prise de n'importe quel produit dopant, licite ou illicite, ne leur donnera pas la clef de la réussite ni l'estime de soi. Lorsqu'ils auront réalisé que les difficultés scolaires, les ruptures familiales, les grosses déprimes s'affrontent mieux l'esprit lucide, lorsque les repères dans leur tête seront clairs, alors interdire le tabac deviendra une question secondaire.

Le véritable travail doit s'accomplir plus en amont. Il faut chercher à développer les aptitudes de chaque enfant, celles que l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, a très bien définies en 1993 : savoir résoudre les problèmes, savoir prendre des décisions, avoir un esprit critique, savoir communiquer, avoir conscience de soi, avoir de l'empathie pour les autres, savoir gérer son stress, savoir gérer ses émotions. Si chaque enfant peut trouver les appuis nécessaires pour développer ces facultés, les comportements à risques s'en trouveront réduits d'autant.

Un tel accompagnement implique, en priorité, la famille et l'école. Sans une véritable mobilisation à ce niveau, cette proposition de loi trouvera vite ses limites.

Toutefois, tout en émettant des réserves sur son efficacité en matière de relance de la prévention du tabagisme chez les jeunes, je voterai en faveur de ce texte, car l'importance du fléau justifie que toutes les pistes soient explorées et tous les efforts accomplis pour essayer d'enrayer la croissance de chiffres toujours plus inquiétants. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Chabroux.

M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Bernard Joly a le mérite de s'attaquer à un véritable fléau : le tabagisme ou, plus exactement, le tabagisme des jeunes.

Les méfaits du tabac nous sont, hélas ! bien connus. Il n'est pas nécessaire de les rappeler. Depuis plusieurs décennies, les Français en sont conscients puisque 90 % d'entre eux considèrent le tabagisme comme facteur de cancers. Un fumeur sur deux en meurt. La dimension du problème tabagique est sans égale en matière de santé publique, car 60 000 décès au moins lui sont imputables annuellement en France.

Les chiffres de la consommation de tabac ne sont pas contestables ; ils font ressortir que l'accoutumance des jeunes à cette drogue est de plus en plus précoce. Ainsi, 31 % des jeunes âgés de seize ans fument quotidiennement et les filles sont pratiquement aussi nombreuses que les garçons à fumer.

Le rapport de notre collègue Dominique Larifla confirme ce que nous savions déjà, mais il présente le grand intérêt de rassembler de nombreuses informations et de dresser un tableau très clair du tabagisme des jeunes en France. La comparaison qu'il établit avec d'autres pays doit retenir notre attention dans la mesure ou, hélas ! la France est le pays de l'Union européenne où les jeunes fument le plus : près de 50 % de fumeurs contre 18 % en Finlande ou en Suède.

Ce constat étant dressé, il faut mettre en place un véritable plan de lutte contre le tabagisme, mais il convient de s'attaquer au tabagisme dans son ensemble, chez les jeunes et chez les adultes. Je vous rejoins sur ce point, monsieur le ministre. Or tel n'est pas l'objet de cette proposition de loi ou, en tout cas, pas de façon suffisante.

Comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, il faut déclarer la guerre au tabac, le plus grand tueur. Nous avons retenu les phrases que vous avez prononcées et nous saurons les reprendre.

Pour ma part, je pensais que vous présenteriez une loi d'ensemble anti-tabac...

M. Nicolas About, président de la commission. Cela va venir !

M. Gilbert Chabroux ... ou, à tout le moins, que vous intégreriez ce problème dans le futur projet de loi de programmation quinquennale en santé publique qui doit nous être soumis à l'automne prochain. Comme vous l'avez dit, une articulation très forte doit exister entre la lutte contre le tabagisme et la lutte contre le cancer, dont M. le Président de la République a décidé de faire une des priorités de son quinquennat. En tout cas, il semble difficile de s'attaquer à une catégorie de fumeurs sans intervenir sur les autres.

Certes, les jeunes sont tout particulièrement concernés, nous ne le contestons pas. Selon le professeur Thierry Philip, président du comité national du cancer, « on sait que si tous les jeunes de moins de vingt ans arrêtent de fumer demain matin, la mortalité par cancer dans les cinquante ans qui viennent diminuera de 35 % ».

M. Jean-François Mattei, ministre. Exact !

M. Gilbert Chabroux. M. Philip ajoute : « Concernant la prévention, la vraie mesure efficace est l'augmentation du prix du tabac car on sait qu'à partir d'un certain prix les jeunes ne peuvent plus acheter de cigarettes. »

Nous devons prendre des mesures énergiques et mettre en oeuvre des modalités d'action dont l'efficacité est démontrée et dont la mise en oeuvre conjointe et synergique permet de diminuer la consommation de tabac.

On peut donc regretter que la proposition de loi qui nous est présentée ne prenne en compte qu'une partie du problème et n'ait pas un caractère plus global.

L'Organisation mondiale de la santé et le plan d'action « l'Europe contre le cancer » ont établi les modalités d'un programme efficace contre le tabagisme, modalités qui sont au nombre de cinq : interdiction de toute publicité directe ou indirecte pour le tabac, augmentation du prix du tabac, protection des non-fumeurs de la fumée des autres, information et éducation, enfin aide à apporter aux fumeurs qui désirent s'arrêter. Faut-il les faire figurer dans une loi ?

La proposition de loi dont nous discutons paraît très en retrait par rapport à un tel programme, mais il est vrai qu'elle ne concerne que les jeunes : elle ne fait ainsi aucune mention de l'augmentation du prix du tabac, puisqu'elle vise l'interdiction de la vente de tabac aux jeunes. D'ailleurs, le problème du prix du tabac doit être traité dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale.

J'insiste : la mesure visant à augmenter le prix du tabac est très efficace et a fait l'objet d'études économétriques internationales nombreuses et concordantes. L'effet en est particulièrement net en cas de hausses substantielles supérieures à 10 %, voire 15 %. Si vous décidez d'augmenter régulièrement les taxes de tous les produits du tabac par paliers d'au moins 10 % chaque année, nous vous suivrons, monsieur le ministre !

Cette proposition de loi ne fait pas mention non plus de la protection des non-fumeurs de la fumée des autres. Or les jeunes, jusqu'à seize ans ou dix-huit ans, sont en très grande majorité scolarisés, mais beaucoup d'entre eux méconnaissent les dispositions de la loi Evin relatives à la protection des non-fumeurs. Cette loi doit être effective dans tous les lieux clos ou couverts accueillant du public, que ces lieux soient publics ou privés. Il faut bien dire que ces dispositions ne sont pas appliquées avec suffisamment de rigueur par les établissements scolaires. Il conviendrait de tenir compte des résultats de la commission d'évaluation de la loi Evin.

M. Nicolas About, président de la commission. Trop d'enseignants fument !

M. Gilbert Chabroux. Une autre question importante est celle de l'information et de l'éducation sur les méfaits du tabac, qui sont encore particulièrement négligées. La France est le pays qui consacre le budget le plus faible à ces actions de prévention. L'Organisation mondiale de la santé préconise que 1 % des taxes soit consacré à cette lutte ; nous en sommes très loin ! A titre de comparaison, la lutte contre l'alcoolisme a bénéficié de moyens beaucoup plus importants et la délégation à la sécurité routière a mené de bonnes campagnes.

En commentant l'enquête qui vient d'être présentée par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, le délégué interministériel à la lutte contre la drogue et la toxicomanie, Didier Jayle, a insisté : « La première façon de prévenir sa consommation, c'est de faire des actions de prévention très fortes sur le tabac, notamment en milieu scolaire. »

Il faut aussi développer l'aide à l'arrêt du tabac en s'appuyant sur les professionnels de santé. Vous y avez fait allusion, monsieur le ministre, et vous avez fait sur ce point de nombreuses propositions. Pourquoi ne pas les intégrer dans un texte législatif ? Pourquoi faut-il interdire, et seulement interdire, alors que nous savons que cette interdiction sera transgressée ? Nous avons l'occasion de présenter un texte qui constitue un tout, un texte réellement efficace, et nous la ratons !

M. Nicolas About, président de la commission. Cela va venir !

M. Gilbert Chabroux. Quand ? Je voudrais qu'un texte plus global soit étudié dans les mois qui viennent, et peut-être examiné à l'occasion de la discussion du projet de loi de programmation sur la santé publique qui a été annoncé !

Il faut aussi développer l'aide à l'arrêt du tabac en s'appuyant sur les professionnels de santé, sur les consultations d'aide au sevrage tabagique. Au demeurant, cette mesure concerne tout le monde, mais je m'interroge à propos des jeunes : M. le rapporteur nous a fait fort justement observer que les substituts nicotiniques sont inopérants chez les adolescents. Mais il y a d'autres méthodes, d'autres moyens à mettre en oeuvre. L'aide à l'arrêt, chez les jeunes, est restée jusqu'à présent confidentielle.

D'une façon générale, après avoir connu des succès de 1991 à 1997, la lutte contre le tabagisme en France piétine depuis cinq ans : la consommation y reste stable alors qu'elle diminue dans la plupart des pays industrialisés. Cette situation inquiétante montre la nécessité d'une stratégie vigoureuse et globale.

L'interdiction de vendre du tabac aux jeunes de moins de dix-huit ans ou de moins de seize ans ne suffira pas à restreindre la consommation, en dehors du fait qu'il est difficile de faire respecter une telle disposition, et je partage sur ce point l'analyse de Mme Létard. Pis : il est à craindre une recrudescence des marchés parallèles, et l'on peut s'interroger à ce sujet sur la proximité qu'il pourrait y avoir entre les fabricants et le trafic international sur ces marchés parallèles.

Interdire sans prévoir tout un champ d'interventions n'est pas suffisant. L'objectif de M. Bernard Joly, repris par M. le rapporteur, est tout à fait estimable ; mais, pour l'atteindre, il faut mettre en oeuvre une véritable politique de santé publique dans laquelle seraient alliées des mesures restrictives - sans aucun doute -, mais aussi des mesures préventives.

C'est la raison pour laquelle nous préférerions que le problème de la lutte contre le tabagisme soit pris en compte dans la future loi de programmation relative à la santé publique, dont nous discuterons à l'automne prochain, avant la loi de financement de la sécurité sociale.

M. le président. La parole est à M. Bernard Joly.

M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd'hui, personne ne s'insurge contre l'interdiction de la vente d'alcool aux mineurs. Or le tabagisme est un fléau au même titre que l'alcoolisme et, comme le souligne notre rapporteur, « l'adolescence est bien l'âge crucial où se prennent, en matière de tabagisme, les mauvaises habitudes ». L'âge moyen d'initiation à la première cigarette est de quatorze ans, et près d'un jeune sur trois fume de manière quotidienne avant d'atteindre sa majorité. Lorsqu'on constate le décès à vingt-six ans d'un fumeur qui a commencé à fumer à douze ans, on se dit qu'il existe une forme de lâcheté à laisser les choses en l'état ! Il y a urgence à agir, monsieur Chabroux, pour cette catégorie d'âge particulièrement vulnérable.

Comme l'a rappelé notre collègue Nelly Olin, dans le rapport de la commission d'orientation sur le cancer qui vous a été remis le 16 janvier dernier, monsieur le ministre, le tabac est qualifié de « mal du siècle précédent et à venir ». En effet, 40 000 décès sont attribuables à des cancers liés au tabac chaque année, et le cancer du poumon arrive en première position des affections.

Parmi les dix propositions formulées par cette commission figure « une déclaration de guerre au tabac » afin de « rendre la consommation du tabac effectivement inacceptable socialement » et, précisément, d'« interdire la vente de tabac aux mineurs de seize ans ».

La société doit avoir une position claire par rapport à l'usage d'une substance toxique qui tue un fort pourcentage de ses utilisateurs. L'interdiction de vente aux mineurs, l'âge fût-il ramené à seize ans, est une mesure de protection, elle est de la responsabilité du corps social et du législateur par rapport à une population encore fragile.

Cette responsabilité est d'autant plus lourde qu'il est notoire que des produits qui créent et renforcent la dépendance du fumeur sont ajoutés au tabac. A cet égard, les chiffres sont éloquents : 40 % des jeunes qui se sont adonnés au tabac en deviennent dépendants, et le phénomène est encore accentué chez les filles.

Il est évident que cette mesure d'interdiction fait partie d'un dispositif d'ensemble. La prévention tient une place prépondérante afin de sensibiliser la population scolaire aux risques mortels ou invalidants que la pratique tabagique fait courir.

Parallèlement, il serait indispensable qu'une campagne soit organisée à l'école pour informer des conséquences physiologiques de la prise de tabac prématurée en direction des garçons, bien sûr, mais plus encore en direction des filles, en raison de leurs futures grossesses. Par ailleurs, il est évident que la cigarette est, en quelque sorte, la « porte ouverte » à des substances plus nocives.

Les campagnes récurrentes au niveau national doivent assurer des relais sur les conséquences dommageables d'un geste destructeur car, si les jeunes doivent être protégés, il convient aussi que les adultes prennent conscience des conduites qui ne sont pas à donner en référence.

Les mesures d'accompagnement liées au sevrage appellent une réflexion.

Les experts entendus par notre commission préconisent une prise en charge ciblée. Il nous est ainsi proposé une évaluation de l'intérêt des substituts nicotiniques et du coût de la mesure dans un délai de trois mois. La rupture d'une habitude et la construction de nouveaux comportements s'inscrivent la plupart du temps dans une démarche difficile, pour laquelle les personnes doivent être soutenues. C'est une réalité dont il faut tenir compte.

Je remercie M. le ministre de son soutien et notre excellent rapporteur de nous avoir présenté les conclusions de la commission des affaires sociales. Il est incontestable que mon propos a été compris et que les propositions constructives complémentaires à mon énoncé initial vont dans le sens souhaité de la protection des jeunes. (Applaudissements dans les travées du RDSE, ainsi que dans celles de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en examinant cette proposition de loi de notre excellent collègue Bernard Joly, nous avons bien conscience de ne pas épuiser le sujet de la lutte contre le tabagisme, ni même celui de la lutte contre le tabagisme chez les jeunes. M. le rapporteur l'a très bien dit, et tous les autres orateurs après lui.

Nous avons bien conscience - et vous l'avez parfaitement exposé, monsieur le ministre - que l'interdiction n'est pas la voie unique pour contraindre ou convaincre les jeunes, car elle appelle tout naturellement, certains l'ont fait remarquer, la transgression. Aussi notre rapporteur, Dominique Larifla, a-t-il pesé le pour et le contre d'une telle décision, car c'est l'environnement d'une telle mesure qui fait, en définitive, pencher la balance d'un côté ou de l'autre.

De fait, nous abordons, monsieur le ministre, une question aussi vaste et importante que la politique de la santé publique par des mesures partielles, déconnectées d'une politique d'ensemble.

D'autres propositions de loi ont été déposées, qui posent également de bonnes questions en matière de politique de santé.

Certaines mesures ponctuelles ont été votées, dont, en revanche, l'inspiration me semble plus critiquable. Ainsi en a-t-il été, lors de la discussion des articles fiscaux de la loi de finances pour 2003, de la généralisation et de la pérennisation d'un « demi-privilège » des bouilleurs de cru !

M. Roland Muzeau. Tout à fait !

M. Nicolas About, président de la commission. Pour ma part, j'ai quelques réticences à aborder de façon un peu émiettée cette politique de santé publique que nous appelons tous de nos voeux et qui, pourtant, est traditionnellement le parent pauvre des politiques publiques.

Ma réticence est d'autant plus forte que vous avez annoncé, monsieur le ministre, la discussion d'un projet de loi de progammation quinquennale de santé publique.

Notre commission avait, tout au long de la précédente législature, demandé que le Gouvernement prenne une telle initiative. Nous y voyions le complément naturel de la réforme constitutionnelle ayant créé les lois de financement de la sécurité sociale.

Cet exercice annuel gagnerait beaucoup de sens s'il était guidé par la définition des priorités de santé publique dans un cadre pluriannuel.

Le précédent gouvernement a fait dans cette direction, un premier pas timide dont, en définitive, je me demande s'il va dans le bon sens.

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades a en effet prévu qu'un rapport du Gouvernement sur les orientations de la politique de santé serait déposé chaque année avant le 15 juin et ferait l'objet d'un débat au Parlement.

Le défaut d'une telle démarche me semble double. En premier lieu, un tel débat annuel risque de devenir répétitif et rituel, car les priorités de santé publique sont nécessairement pluriannuelles. Il contribue, en second lieu, à dévitaliser la discussion de la loi de financement elle-même.

Nous l'avons dit à l'automne dernier, le Parlement - du moins le Sénat - doit consacrer un temps raisonnable à l'examen de ces lois de financement, c'est-à-dire qu'il ne doit pas les examiner dans un créneau chichement mesuré, enserré entre deux autres textes prioritaires.

Votre annonce, monsieur le ministre, du dépôt d'un projet de loi de programmation nous a donc pleinement satisfaits. Ce débat législatif, nous l'attendons. Il me semble qu'il rendra quelque peu caduc le simple débat que nous sommes censés avoir avant le 15 juin. Mais nous reviendrons sur ce point le moment venu.

Encore faut-il, monsieur le ministre, fixer un calendrier clair afin de permettre à nos collègues de rédiger désormais sous forme d'amendements leurs propositions pertinentes - je pense notamment à celles qu'a formulées M. Joly - et de contribuer ainsi à l'élaboration d'un tout qui serait enfin cohérent. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-François Mattei, ministre. Je tiens tout d'abord à remercier Mme Nelly Olin du tableau général qu'elle a brossé et du soutien qu'elle a apporté par avance à cette mesure.

Mme Valérie Létard a exprimé successivement, et à juste titre, les limites de cette mesure - qui est certes insuffisante -, les dangers qu'elle recèle - attention à la bonne conscience ! - et les doutes qu'elle peut éveiller - sera-t-elle facilement applicable ? -, mais elle a malgré tout souligné sa nécessité dans un souci de cohérence, afin de ne pas laisser de mailles ouvertes dans le filet que nous sommes en train de tisser dans la lutte contre le tabac.

Monsieur Chabroux, cette mesure est certes insuffisante, mais permettez-moi de vous rappeler qu'elle s'inscrit dans le cadre d'une proposition de loi. Aurait-il fallu - je répondrai sur ce point au président de la commission des affaires sociales dans un instant - que le Gouvernement, lors de la préparation du projet de loi relatif à la santé publique, demandât à la Haute Assemblée le silence et la patience plutôt que sa participation à la construction d'une politique à laquelle elle est attachée ?

Le Gouvernement a considéré qu'il n'était ni judicieux ni respectueux vis-à-vis de la Haute Assemblée de lui demander de renoncer à cette proposition de loi jusqu'à ce que lui-même présente son texte. Il en fera donc, une fois qu'elle sera adoptée, un des éléments du projet de loi qu'il prépare.

Ne regrettez pas cette situation, monsieur Chabroux, n'ayez pas l'esprit chagrin ! La proposition de loi que vous allez voter aujourd'hui est très intéressante et si, comme tous les orateurs l'ont dit, elle n'est pas suffisante, elle témoigne néanmoins de la volonté et du dynamisme du Sénat dans le domaine de la santé publique.

Monsieur le président de la commission des affaires sociales, comme je vous l'ai annoncé à l'automne, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement prépare bien un projet de loi d'orientation quinquennale relative à la santé publique, qui sera fondateur d'une politique de santé publique dans notre pays.

Nous disposons naturellement déjà de textes en la matière et il serait très présomptueux, voire vaniteux de prétendre être les premiers à légiférer dans ce domaine, mais jamais aucun texte fondateur n'a précisément défini des outils, des stratégies et des axes prioritaires.

Il nous faut d'abord définir, dans cette loi-cadre, les outils, dont les principaux seront la prévention, l'information et le dépistage. Pour la mise en oeuvre de chacun de ces outils, tout une série de propositions vous seront présentées.

En ce qui concerne les stratégies, l'Etat doit prendre toutes ses responsabilités et définir les priorités nationales de la santé publique. Celles-ci pourraient ensuite être assurées par des opérateurs locaux, qu'il s'agisse de la CNAM au niveau régional, d'associations ou de collectivités territoriales. Dans le cadre de la décentralisation, ces opérateurs se verraient également transférer certaines compétences régionales. En effet, chaque région peut souhaiter privilégier tel ou tel aspect particulier.

Nous avons donc là la définition des outils, la définition de la future stratégie. Quant aux priorités de santé publique, elles ne peuvent qu'être pluriannuelles. A cet égard, nous nous prononcerons très prochainement, dans le courant du mois de mars je pense, sur le chantier « cancer », qui nous a demandé un travail très important et des mois de réflexion.

Le mois dernier, la commission d'orientation a proposé une série de mesures extrêmement intéressantes. Nous sommes en train de les associer les unes aux autres dans un ensemble cohérent afin de fixer le calendrier et le financement.

Il est clair que ce chantier « cancer » s'appuiera notamment sur la loi relative à la santé publique, car nous retrouverons là toutes les préoccupations que je viens d'indiquer.

Monsieur le président de la commission, vous me demandez à juste titre de me prononcer sur le calendrier. En l'état actuel de nos travaux, je vous confirme que, avant l'été, le projet de loi relatif à la santé publique sera présenté en conseil des ministres et déposé sur les bureaux de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Pour conclure, j'ajouterai que nous n'avons pas attendu ce texte pour prendre des décisions. Certains orateurs ont dit qu'une des mesures principales de dissuasion consistait à augmenter les tarifs ; c'est précisément ce que nous avons fait dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale en prévoyant des augmentations qui n'avaient été que rarement consenties auparavant. Nous continuerons naturellement à oeuvrer dans ce sens.

Je vous rappelle par ailleurs une mesure d'initiative parlementaire : la création d'un office parlementaire d'évaluation des politiques de santé publique. Nous sommes donc entrés de plain-pied, sans attendre l'adoption du texte lui-même, dans une politique cohérente de santé publique.

Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je le répète : le cadre général de la politique de santé publique que nous souhaitons mener sera défini avant l'été.

Nous attendons des amendements constructifs renforçant notre volonté car, comme vous les savez bien, le travail palementaire est essentiel dès lors qu'il s'agit de s'exprimer sur des textes ayant une telle portée. C'est, la raison pour laquelle, mesdames, messieurs les sénateurs, je félicite de nouveau M. Bernard Joly de son initiative. Je lui dis avec respect, que, s'il n'avait pas déposé cette proposition de loi, la disposition aurait été prise dans la loi relative à la santé publique.

Il s'agit maintenant de savoir comment vous souhaitez procéder : soit cette proposition de loi viendrait, par anticipation, construire la loi de santé publique, soit les dispositions qu'elle contient nourriraient la discussion afin que nous ayons un vrai débat en séance qui donnerait à cette future loi toute sa consistance.

Monsieur le sénateur, monsieur le rapporteur - je le répète -, le Gouvernement est tout à fait favorable à la disposition que vous nous avez proposée aujourd'hui. (Applaudissements dans les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que dans certaines travées du RDSE).

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.