Article 10 (priorité)

M. le président. « Art. 10. - Le troisième alinéa de l'article L. 122-14-13 du code du travail est ainsi rédigé :

« La mise à la retraite s'entend par la possibilité donnée à l'entreprise de rompre le contrat de travail d'un salarié ayant atteint l'âge prévu au 1° de l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale. Si les conditions de mise à la retraite ne sont pas remplies, la rupture du contrat de travail par l'employeur constitue un licenciement. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Comme j'ai pris l'habitude de le faire, je voudrais, au début de l'examen de cet article, en resituer l'importance.

Aujourd'hui, l'employeur peut mettre un salarié à la retraite d'office si celui-ci a 60 ans et peut bénéficier d'une pension à taux plein. L'article 10 porte cet âge de 60 ans à 65 ans.

Pour nous, deux raisons motivent cette mesure. D'abord, une mise à la retraite à 60 ans est incompatible avec notre objectif d'augmenter le taux d'emploi des salariés âgés. Surtout, elle s'articule mal avec la philosophie du projet de loi, qui vise aussi à renforcer la liberté de choix et la souplesse dans les retraites.

La retraite ne doit plus être considérée comme un couperet. Ceux qui veulent travailler plus longtemps doivent pouvoir le faire, et c'est d'autant plus nécessaire que le maintien à 60 ans de l'âge de la mise à la retraite d'office pourrait empêcher un grand nombre de salariés de bénéficier de la surcote.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, sur l'article.

Mme Michelle Demessine. Les entreprises ont, depuis la loi du 30 juillet 1987, l'opportunité de se séparer de leurs salariés âgés, lorsque ces derniers peuvent prétendre à une pension de retraite à taux plein et remplissent les conditions d'âge de mise en retraite. Plutôt que par un licenciement, cette séparation s'exécute au moyen d'une mise en retraite d'office dès l'âge de 60 ans.

L'article 10 du présent projet de loi allonge de cinq années l'âge de mise en retraite d'office de ces salariés âgés. Dorénavant, les salariés répondant aux conditions de la loi du 30 juillet 1987 ne pourront être mis en retraite d'office par leurs employeurs qu'à l'âge de 65 ans.

En l'occurrence, il ne s'agit pas d'aller à l'encontre de la volonté des salariés âgés qui souhaiteraient rester dans l'emploi, et surtout pas d'accompagner la politique discriminatoire du patronat à l'encontre de cette catégorie de salariés. Il s'agit plutôt de lutter contre une disposition qui entérine l'allongement de la durée de vie active à 65 ans.

Sous couvert d'instituer un dispositif d'ordre social plus restrictif que la loi du 30 juillet 1987, vous obligez nos concitoyens à faire un bond en arrière de plus de vingt ans dans l'histoire sociale de notre pays. Cet article, qui prétend porter à 65 ans l'âge de mise à la retraite d'office d'un salarié, a, au fond, l'ambition, non pas de favoriser le maintien des salariés âgés dans l'emploi, comme le sous-entend le rapport de la commission des affaires sociales, mais plutôt de recourir à un moyen supplémentaire pour faire sauter l'âge pivot des 60 ans pour le départ à la retraite. A ce titre, il s'agit bien d'un recul historique notoire !

Depuis sa constitution, l'ordre social public n'a cessé d'évoluer vers une meilleure protection du salarié. Au fil des luttes sociales, le droit du travail a su fixer des limites à l'exploitation des femmes et des hommes de notre pays. Il a notamment introduit une limite fondamentale, celle des 60 ans pour âge limite de temps de travail dans l'existence d'un individu. Avec la mise en place de notre système de sécurité sociale, il a fourni les moyens financiers de sa pérennisation. Mais, aujourd'hui, vous forcez la représentation nationale à reculer cet âge limite à 65 ans, sous le prétexte fallacieux de préserver notre système de retraite par répartition et d'ouvrir le bénéfice de la surcote.

Vous le savez, monsieur le ministre, en aucun cas le recul de cinq ans de la limite d'âge pour la mise à la retraite d'office ne constitue une contrainte imposée aux entreprises pour conserver dans l'emploi les salariés âgés.

D'une part, parce que l'âge moyen de cessation d'activité est aujourd'hui de 57,5 ans, soit un âge largement inférieur à la limite des 60 ans. L'allongement de cinq années de cette limite ne fera qu'accroître le différentiel entre cet âge moyen et l'âge théorique que vous instituez.

D'autre part, parce que les stratégies managériales des entreprises n'ont que faire d'une disposition législative qui ne change qu'à la marge le coût financier d'une exclusion des salariés âgés de l'entreprise. En effet, la procédure de mise à la retraite d'office prévoit des contraintes imposées aux entreprises identiques à celles qui concernent une procédure de licenciement.

Ce n'est certainement pas de cette façon que vous inciterez les entreprises à conserver dans l'emploi les salariés âgés de plus de 60 ans. En revanche, c'est, à n'en pas douter, de cette façon que vous obligez les actifs âgés à travailler cinq années de plus pour bénéficier d'une retraite à taux plein ou à accepter une diminution du niveau de leur pension s'ils ne le font pas.

Vous voulez lancer un défi aux entreprises dont les victimes potentielles sont les salariés ! A d'autres moments, nous aurions appelé cela une prise en otage !

Aussi, vous le comprendrez, nous ne pouvons accepter un article qui masque aussi clairement ses intentions de faire porter le poids d'une réforme par les actifs, quand bien même la disposition qu'il envisage s'adresse aux entreprises.

Mme Odette Terrade. Très bien !

M. le président. Je suis saisi de sept amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 331, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

« Supprimer cet article. »

L'amendement n° 2, présenté par MM. Pelletier, Delfau et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, est ainsi libellé :

« I. - Remplacer le texte proposé par cet article pour le troisième alinéa de l'article L. 122-14-13 du code du travail par deux alinéas ainsi rédigés :

« La mise à la retraite s'entend de la possibilité donnée à l'employeur de rompre le contrat de travail d'un salarié ayant atteint l'âge visé au 1° de l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale. Dans le cadre d'une convention ou accord collectif étendu, fixant des contreparties en termes d'emploi ou de formation professionnelle, ou en cas de cessation d'activité en application d'un accord professionnel mentionné à l'article L. 352-3 ou d'une convention conclue en application du 3° du deuxième alinéa de l'article L. 322-4, un âge inférieur peut être fixé, dès lors que le salarié peut bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein au sens du code de la sécurité sociale.

« Si les conditions de mise à la retraite ne sont pas réunies, la rupture du contrat de travail par l'employeur constitue un licenciement.

« II. - En conséquence, à la fin du premier alinéa de cet article, remplacer les mots : "ainsi rédigé", par les mots : "remplacé par deux alinéas ainsi rédigés". »

Le sous-amendement n° 1129, présenté par M. Schosteck, est ainsi libellé :

« Dans la seconde phrase du deuxième alinéa du I de l'amendement n° 2, après les mots "accord collectif étendu", insérer les mots : "conclu avant le 1er janvier 2008". »

Le sous-amendement n° 1130, présenté par M. Schosteck, est ainsi libellé :

« Dans la seconde phrase du deuxième alinéa du I de l'amendement n° 2, après les mots : "du 3° du deuxième alinéa de l'article L. 322-4", insérer les mots : "ou dans le cadre du bénéfice de tout autre avantage de préretraite défini antérieurement à la date de publication de la présente loi". »

L'amendement n° 332, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

« Dans le texte proposé par cet article pour le troisième alinéa de l'article L. 122-14-13 du code du travail, remplacer les mots : "1° de l'article L. 351-8" par les mots : "1er alinéa de l'article L. 351-1". »

L'amendement n° 222, présenté par M. Leclerc, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

« A. - Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

« II. - Si un salarié perçoit un avantage de préretraite défini antérieurement à la date de publication de la présente loi, sa mise à la retraite est possible dès qu'il peut bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein au sens du chapitre premier du titre V du livre III du code de la sécurité sociale et qu'il remplit les conditions d'ouverture du droit à la pension de vieillesse ou, si elles existent, les conditions d'âge prévues par la convention ou l'accord collectif, ou le contrat de travail.

« B. - En conséquence, faire précéder le début de cet article de la mention : "I. -". »

Les deux amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° 1032 est présenté par M. Gouteyron, au nom de la commission des finances.

L'amendement n° 1055 est présenté par MM. Gournac et Chérioux.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

« A. - Compléter cet article par deux paragraphes ainsi rédigés :

« II. - Les dispositions de l'alinéa précédent s'appliquent à compter du 1er janvier 2008.

« Avant cette date, à titre transitoire, à compter respectivement du 1er janvier 2004, du 1er janvier 2005, du 1er janvier 2006, du 1er janvier 2007, la mise à la retraite s'entend par la possibilité donnée à l'entreprise de rompre le contrat de travail d'un salarié respectivement un an, deux ans, trois ans, quatre ans au plus tôt après la date à laquelle le salarié peut bénéficier d'une retraite à taux plein, au sens du chapitre Ier du titre V du livre III du code de la sécurité sociale. Le salarié ne peut être mis à la retraite que sous réserve qu'il remplisse les conditions d'ouverture à la pension de vieillesse ou, si elles existent, les conditions d'âge prévues par la convention ou l'accord collectif, ou le contrat de travail. Si les conditions de mise à la retraite ne sont pas remplies, la rupture du contrat constitue un licenciement.

« Pendant la période transitoire définie à l'alinéa précédent, l'employeur peut toutefois procéder à la mise à la retraite d'un salarié ayant atteint l'âge prévu au 1° de l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale.

« Pour les personnes n'ayant pas atteint cet âge et ne pouvant percevoir qu'une pension de vieillesse à taux plein calculée sur une durée d'assurance inférieure à la limite mentionnée au 3e alinéa de l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale, la mise à la retraite ne peut intervenir avant que la durée d'assurance accomplie tant dans le régime général que dans un ou plusieurs autres régimes obligatoires atteigne la limite précitée, ni avant qu'elles puissent faire liquider au taux plein l'ensemble des pensions auxquelles elles peuvent prétendre.

« III. - Au deuxième alinéa de l'article L. 351-19 du code du travail, les mots : "sur une durée de cotisation inférieure à 150 trimestres" sont remplacés par les mots : "sur une durée d'assurance inférieure à la limite mentionnée au 3e alinéa de l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale". »

« B. - En conséquence faire précéder le début de cet article de la mention : "I. -". »

L'amendement n° 1054, présenté par MM. Gournac et Chérioux, est ainsi libellé :

« A. - Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« II. - Les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 122-14-13 du code du travail restent applicables, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la présente loi, pour les salariés nés en 1943 ayant atteint l'âge de 61 ans, pour les salariés nés en 1944 ayant atteint l'âge de 62 ans, pour les salariés nés en 1945 ayant atteint l'âge de 63 ans et pour les salariés nés en 1946 ayant atteint l'âge de 64 ans.

« B. - En conséquence, faire précéder le début de cet article de la mention : "I. -". »

La parole est à Mme Michelle Demessine, pour présenter l'amendement n° 331.

Mme Michelle Demessine. J'ai défendu cet amendement lorsque je me suis exprimée sur l'article.

M. le président. La parole est à M. Jacques Pelletier, pour présenter l'amendement n° 2.

M. Jacques Pelletier. Cet amendement, qui a été signé par l'ensemble de mes collègues du RDSE, vise à donner plus de souplesse, plus de liberté dans le choix du départ à la retraite. Nous avons toujours été pour une certaine souplesse et une certaine liberté dans ce choix de la date de la retraite.

Il est vrai que certaines personnes sont fatiguées à soixante ans et ont besoin de prendre leur retraite à cet âge, quelquefois même plus tôt quand les métiers sont très pénibles. Mais il existe aussi des personnes qui, à soixante-cinq ans ou plus, sont encore en pleine forme et souhaitent continuer à travailler. Il faut leur laisser la liberté.

Aujourd'hui, dans la vie des entreprises, une majorité des salariés qui ont plus de soixante ans et qui ont toutes les années de cotisation nécessaires à une retraite pleine souhaitent prendre leur retraite. S'ils le font de leur initiative, ils partent avec une indemnité de départ inférieure à celle qu'ils recevraient si l'entreprise prenait l'initiative de les mettre en retraite. En outre, cette indemnité est chargée socialement et fiscalisée, à l'exception des 3 050 premiers euros, alors que l'indemnité de mise à la retraite sur l'initiative de l'entreprise n'est ni chargée socialement ni fiscalisée.

L'article 10 aboutit à une anomalie : un salarié de plus de soixante ans ayant acquis tous ses droits ne pourrait plus prendre sa retraite qu'à son initiative et serait donc pénalisé par rapport au système antérieur dans lequel l'entreprise lui demandait de prendre sa retraite.

Ce point n'a, au fond, que peu à voir avec le système de la surcote. Depuis toujours, en effet, le salarié qui reste plus longtemps dans l'entreprise acquiert, au titre des régimes ARRCO et AGIRC, des points supplémentaires. Cela ne change en rien son attitude à l'égard de sa date de retraite dès lors qu'il a bien toutes les années de cotisation nécessaires pour une retraite pleine.

Il faut donc laisser aux partenaires sociaux, par accord collectif, le soin de déterminer ce qui est bon pour eux, plutôt que de le faire décider par la loi. D'où notre amendement, fondé du reste sur une expérience réussie dans la métallurgie. Cette branche dispose, en effet, depuis trois ans, d'un accord qui maintient le système de la mise à la retraite par l'employeur avant soixante-cinq ans quand le salarié de plus de soixante ans a acquis tous ses droits mais qui conditionne cette possibilité à des contreparties d'emploi ou de formation professionnelle, ce qui est important.

Une telle disposition peut parfaitement être adoptée dans d'autres secteurs qui n'ont pas un tel accord collectif, en le faisant soit branche par branche, soit sous la forme d'un accord interprofessionnel.

Nous sommes très partisans des accords entre les partenaires sociaux, qui, à l'évidence, donnent plus de souplesse au système. Je me tourne vers M. le ministre et M. le rapporteur de la commission des affaires sociales qui, tous deux, sont très favorables aux accords entre les partenaires sociaux. Je souhaite vivement qu'ils émettent un avis favorable sur cet amendement. (M. Max Marest applaudit.)

M. Jean-Pierre Cantegrit. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Schosteck, pour présenter les sous-amendements n°s 1129 et 1130.

M. Jean-Pierre Schosteck. L'amendement présenté par M. Pelletier vise en effet à apporter une solution équilibrée au problème de la mise à la retraite par l'employeur et tend à introduire une progressivité dans sa mise en oeuvre. La souplesse dans la fixation de l'âge minimal est en effet justifiée si elle repose sur la négociation. Cependant il ne paraît pas utile d'ouvrir indéfiniment cette fenêtre de négociation. C'est la raison pour laquelle je vous propose, par le sous-amendement n° 1129, de définir strictement la période ouverte à la négociation tout en garantissant le caractère pérenne des accords qui auront été conclus. Cette période se terminera le 1er janvier 2008, c'est-à-dire précisément au moment où le Gouvernement aura fait un bilan de l'allongement de la durée d'activité des salariés expérimentés.

J'en viens au sous-amendement n° 1130. L'amendement présenté par M. Pelletier a permis de maintenir la possibilité d'une mise à la retraite avant 65 ans dans un certain nombre de situations, notamment lorsque le salarié bénéficie d'une préretraite au titre du dispositif de cessation d'activité de certains travailleurs salariés, le CATS, ou bien au titre du dispositif des préretraites progressives. Le sous-amendement n° 1130 vise à élargir le maintien de cette possibilité d'une mise à la retraite avant 65 ans dans le cadre de tout autre dispositif de préretraite dont le bénéfice aurait été acquis avant la date de publication de la loi. Il s'agit ainsi, vous l'avez compris, de sécuriser notamment les entreprises qui ont mis en place avant l'adoption de la loi des dispositifs de préretraite d'entreprise auxquels des salariés ont adhéré sur la base du volontariat.

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour présenter l'amendement n° 332.

M. Roland Muzeau. Au moment où le Gouvernement veut inciter les salariés du secteur privé à travailler plus longtemps, 41 ans en 2012 et 42 ans en 2020, les entreprises continuent de recourir massivement aux départs anticipés dans les processus connus de restructuration et de plans sociaux.

Face à ce que vous appelez « le choc démographique », « les entreprises vont se retrouver en position de demandeur pour attirer et fidéliser des jeunes de moins en moins nombreux sur le marché du travail », souligne M. Michel de Virville, secrétaire général de Renault.

A moins, comme toujours et malgré certains discours, de recourir à l'immigration ou de délocaliser une partie de leurs activités, « les entreprises vont, spontanément, être tentées de vouloir garder leurs salariés plus longtemps, jusqu'à 60 ans et au-delà », ajoute M. Michel de Virville.

Mais, cela signifierait un changement radical d'organisation des méthodes de travail : les gestionnaires d'entreprises devraient adapter leur système de rendement, en particulier de robotisation, au vieillissement de leurs effectifs ; les salariés devraient bénéficier d'une formation continue tout au long de leur carrière, assortie de perspectives d'évolution de leur vie professionnelle.

Nombre d'entreprises comptent dorénavant sur l'expérience des anciens pour transférer, sous la forme de tutorat, un savoir-faire et la culture d'entreprise, et on les comprend !

Le Gouvernement a averti les entreprises que si, en 2008, les salariés, dans leur majorité, ne sont pas en poste jusqu'à l'âge légal de 60 ans, il faudra augmenter les cotisations.

Mais il est impossible de fixer un allongement de la durée de cotisation si on n'organise pas le maintien au travail des plus de 50 ans.

Or il est peu vraisemblable de rompre avec les fins de carrière anticipées puisque les raisons économiques qui fondent le mode de gestion de la main-d'oeuvre - et je dirai vos raisons économiques qui fondent vos modes de gestion - ne changent pas.

Qu'il s'agisse des rémunérations, de l'organisation du travail, du développement de la formation continue et de la gestion des carrières, l'allongement de la vie professionnelle représente un coût que peu d'entreprises envisagent d'évaluer.

Il faudra des années pour restaurer « le plein emploi des salariés âgés » - formule qui me déplaît fortement -, même si vous prévoyez, pour le patronat, un soutien de l'Etat au maintien dans l'emploi des 50-60 ans et plus !

Tout cela m'apparaît comme une incohérence, pour ne pas dire comme un mensonge par omission : en travaillant au-delà de 60 ans et en cotisant plus, le salarié âgé entre dans « l'armée de réserve de main-d'oeuvre docilisée par la précarisation, qui isole, atomise, individualise, démobilise, désolidarise », comme le décrit si bien Pierre Bourdieu.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Remarquable !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 222.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Cet amendement aménage le régime de mise à la retraite pour les salariés en préretraite. Dans un souci de sécurité juridique, il convient de maintenir les conditions actuelles de mise à la retraite, au moins pour les conventions de CATS et de préretraites conclues avant la promulgation de la loi.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° 1032.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Cet amendement a le même objectif que l'amendement présenté par M. Jacques Pelletier. Pour dire la vérité, je me suis longuement interrogé sur la formulation que j'allais retenir pour atteindre cet objectif. Finalement, je me suis rallié à une formulation différente, qui est plus rigide, monsieur le ministre, mais qui, à mes yeux, présente l'avantage d'être claire et de poser des étapes préalablement définies et qui doivent conduire avec sûreté à l'objectif que l'on veut atteindre.

Je sais bien que des expériences ont été menées ; on a cité l'Union des industries et métiers de la métallurgie, l'UIMM. Je n'ignorais pas ces expériences, mais il m'a semblé qu'il fallait voir les choses plus largement. J'ai donc, en fin de compte, préféré une formulation progressive.

J'ajoute que cet amendement a un autre avantage, qui n'est d'ailleurs pas accessoire. Il permet de ne pas pénaliser les assurés qui ont des périodes reconnues équivalentes. Je pense en particulier aux Français établis hors de France.

Mme Paulette Brisepierre. Merci !

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Monsieur le ministre, lors de votre propos liminaire, vous nous avez dit que le Gouvernement est parfaitement conscient du fait qu'il faut, pour que la réforme réussise, obtenir que les comportements changent à l'égard du travail. Cet amendement y tend, et ce de manière progressive et suffisamment incitative. Voila pourquoi je le présente avec un peu d'insistance mais, surtout, avec beaucoup de conviction.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, pour défendre l'amendement n° 1055.

M. Alain Gournac. Je salue le souci du Gouvernement d'essayer de maintenir au travail les personnes âgées de plus de 60 ans. Mais ce dispositif doit être mis en oeuvre en une seule fois, dès la promulgation de la loi. N'est-il pas possible, au contraire, de l'appliquer progressivement, tout en respectant, bien sûr, l'échéance de 2008 ?

Par ailleurs, les périodes reconnues équivalentes correspondant à des périodes particulières pendant lesquelles l'assuré n'a pas cotisé sont néanmoins prises en compte pour réaliser le calcul du taux : périodes d'activité à l'étranger accomplies avant 1983, activités d'aide familiale ou agricole exercées, selon le cas, avant 1976 ou 1983.

M. le président. Monsieur Gournac, je vous donne de nouveau la parole, pour défendre l'amendement n° 1054.

M. Alain Gournac. Si le report à 65 ans de l'âge autorisant la mise à la retraite par l'employeur est de nature à favoriser le relèvement du taux d'emploi des salariés âgés, il importe d'organiser la mise en oeuvre de ce report de manière progressive, comme c'est le cas pour les autres dispositions du projet de loi.

Aussi, et sans préjudice des résultats des futures négociations des partenaires sociaux sur le thème de l'âge au travail, cet amendement vise à prévoir une telle période transitoire.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur. S'agissant des amendements n°s 331 et 332, présentés par Mme Demessine et visant à supprimer de l'article 10, vous comprendrez, mes chers collègues, que la commission y soit défavorable. Viennent ensuite, plusieurs amendements qui ont le même objectif.

Pour ma part, j'ai tenu, au début de la discussion des articles, à dire quelles étaient les intentions de la commissions et ses priorités concernant cet article 10.

Il s'agit d'un article intéressant qui porte de 60 à 65 ans l'âge possible de départ à la retraite. Nous pensons qu'il répond totalement à l'objectif consistant à favoriser un meilleur taux d'emploi des salariés âgés. Par ailleurs, il laisse une plus grande liberté de choix quant à l'âge du départ à la retraite entre 60 et 65 ans.

On dit que la retraite serait considérée comme un couperet, mais cet article prouve le contraire.

Enfin, autre élément fort de ce projet de loi et toujours dans le même esprit, cet article donne la possibilité aux salariés qui poursuivent leur activité au-delà de la durée nécessaire pour bénéficier du taux plein d'avoir droit à une surcote afin d'améliorer leur pension.

Pour ce qui est de la proposition de la commission des finances défendue par M. Gouteyron qui prévoit une progressivité que je qualifierai d'arithmétique de la mise en place de la mesure transitoire ou d'une autre proposition un peu plus souple, je dirai que ce qui nous paraît essentiel pour respecter l'esprit de la loi, c'est de considérer l'année 2008 comme une année pivot.

Il convient par ailleurs que les partenaires sociaux soient associés à la mise en place de ce dispositif transitoire.

Le dispositif transitoire doit comporter une limite, sinon l'esprit de la loi serait dénaturé. Telles sont les recommandations de la commission des affaires sociales.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Fillon, ministre. Cet article est important, car il assure la cohérence de la législation actuelle avec l'objectif principal de ce texte qui est de convaincre nos concitoyens de travailler plus longtemps.

La philosophie du projet de loi est, par toute une série de moyens - la sucrote, la décote, l'allongement de la durée de cotisation, le cumul emploi-retraite notamment - de convaincre nos concitoyens que, pour améliorer leur retraite, mais aussi pour donner à notre pays les moyens de sa croissance, alors même que nous allons vers une réduction du nombre d'actifs du fait de la démographie, il faut travailler plus longtemps.

Je ne vois pas comment on pourrait inciter nos concitoyens à travailler plus longtemps tout en laissant entre les mains des chefs d'entreprise une arme qui leur permettrait de licencier les salariés à 60 ans, quand bien même ceux-ci voudraient continuer à travailler plus longtemps.

Je suis donc particulièrement hostile à toute sorte d'amendements qui viendraient soit supprimer cet article, soit introduire un certain nombre de dérogations qui, finalement, le videraient de son sens.

Je comprends bien, compte tenu du nombre d'amendements déposés sur ce sujet, que cette disposition pose quelques difficultés de mise en oeuvre et qu'il faut une certaine progressivité. Mais je n'y suis pas franchement favorable parce que la surcote s'applique dès aujourd'hui et qu'il est nécessaire d'envoyer des signaux clairs et forts, aussi bien aux chefs d'entreprise qu'aux salariés.

Si le Sénat devait introduire un peu de progressivité, il faudrait au minimum que cela se fasse au terme d'un dialogue social et d'un accord de branche. Telle est, globalement, la position du Gouvernement sur ce sujet.

S'agissant de l'amendement n° 331, qui est un amendement de suppression de l'article, j'ai affirmé à l'Assemblée nationale que je rendais service au groupe communiste et républicain en demandant à la majorité de le repousser.

Si la majorité votait votre amendement de suppression ce qui pourrait tenter certains, compte tenu des difficultés de mise en oeuvre que je viens d'évoquer, le groupe communiste républicain et citoyen serait responsable d'une règle qui permettrait aux chefs d'entreprise de continuer à licencier les salariés à 60 ans, même s'ils veulent continuer à travailler. (Rires et exclamations sur les travées du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. C'est la meilleure !

M. François Fillon, ministre. C'est la réalité de l'amendement que vous avez déposé. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Roland Muzeau. Allez raconter cela aux travailleurs d'Alstom ! (M. Jean Chérioux proteste.)

M. François Fillon, ministre. Pour vous éviter d'être ridicules, je demande donc à la majorité de repousser l'amendement n° 331.

S'agissant de l'amendement n° 2 de M. Pelletier et des membres du groupe du RDSE, c'est celui qui paraît le plus acceptable dans la liste des amendements qui sont proposés, puisqu'il introduit l'idée de progressivité à la suite d'un accord de branche.

Cela dit, il faudrait impérativement, si le Sénat voulait adopter cet amendement, qu'il adopte également les sous-amendements n°s 1129 et 1130 présentés par M. Schosteck, le premier pour mettre un terme en 2008 à cette procédure parce qu'il n'y a pas de raison pour qu'elle continue indéfiniment lorsque les efforts ont été faits pour augmenter le taux d'activité et alors même que la durée de cotisation commencera à s'allonger, et le second parce qu'il permet de régler à la fois la question des CATS et le problème soulevé par M. le rapporteur et qui l'a conduit à déposer un amendement.

Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 332.

Concernant l'amendement n° 222, je considère qu'il serait satisfait si le Sénat adoptait l'amendement de M. Pelletier, modifié par les sous-amendements de M. Schosteck.

Pour ce qui est de l'amendement n° 1032 que M. Gouteyron a défendu avec beaucoup de passion, je crois que son objectif peut être atteint par l'amendement de M. Pelletier qui présente l'avantage de fixer des limites, notamment la nécessité pour les chefs d'entreprise et les organisations syndicales d'entamer dès maintenant un dialogue sur l'ensemble de ces sujets.

Seul le dialogue social permettra de lancer une vraie dynamique s'agissant des changements de comportement au regard des salariés les plus âgés. Si tel n'est pas le cas, nous allons vers de graves difficultés en 2008. Si l'on ne progresse pas sur cette question des salariés âgés, l'essentiel de cette réforme, c'est-à-dire l'allongement de la durée de cotisation, ne pourra pas être mis en oeuvre.

Je suis donc défavorable à l'amendement n° 1032, de même qu'aux amendements n°s 1055 et 1054, pour les mêmes raisons.

En résumé, le Gouvernement est défavorable à l'ensemble des amendements qui ont été déposés, mais il s'en remettra à la sagesse, sur l'amendement n° 2 de M. Pelletier modifié par les sous-amendements n°s 1129 et 1130 de M. Schosteck.

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote sur l'amendement n° 331.

Mme Annie David. Monsieur le ministre, le dispositif que vous proposez avec cet article 10 démontre bien la logique de votre réforme.

M. le rapporteur nous a dit que cet article reflétait la philosophie de votre texte, il a parlé d'une plus grande liberté de choix, et affirmé qu'il ne fallait pas considérer la retraite comme un couperet.

Pour notre part, nous faisons un constat : les salariés cotiseront plus et travailleront au-delà de 60 ans. Pour cela, vous repoussez à 65 ans l'âge de référence, l'âge pivot à partir duquel il peut être mis fin au contrat de travail d'un salarié.

Votre raisonnement ne masque pas le véritable fondement de la réforme : vous faites comme si le désemploi des seniors n'était dû qu'à la législation, qui empêcherait ceux qui le veulent de travailler.

C'est rarement le cas alors que, selon l'OCDE, la France a un des taux d'emploi des 55-65 ans les plus faibles : 36 % contre 48 % en moyenne.

On sait que deux actifs sur trois sont déjà exclus du marché du travail avant d'être officiellement retraités.

On sait également que les dispositifs de préretraite ont pleinement été utilisés par les employeurs, avec la bénédiction de l'Etat, mais aussi avec l'accord des salariés poussés vers la sortie pour laisser place aux jeunes dans un objectif de régulation de l'emploi.

C'est ainsi que la volonté d'élargir le bas de la pyramide des âges a fait de la préretraite une « aide démographique aux entreprises » s'ajoutant en réalité aux autres processus d'exclusion du marché du travail des salariés vieillissants.

Dès lors, en posant la question de la préretraite indépendamment de toute vision générale sur l'emploi, vous occultez les vrais termes du débat. Vous faites pression sur les salariés pour qu'ils travaillent plus sans vous occuper des fausses incitations à l'emploi que sont les exonérations fiscales, sans dire un mot des conditions de travail, qui sont pourtant un élément fondamental de « l'employabilité » - j'insiste sur ce mot barbare - des plus de 50 ans.

Il n'y a rien non plus sur la formation, alors que le MEDEF, qui se lamente de l'absence de personnel qualifié, est en train de saborder la formation.

Le débat est ainsi complètement faussé, ce que révèle bien la réponse que vous aviez faite, monsieur le ministre, à nos collègues députés : « Il suffirait que je donne un avis favorable à cet amendement, que je suggère à la majorité de le voter, pour que nous réussissions l'exploit de permettre aux, chefs d'entreprise de licencier à 60 ans leurs salariés alors même que l'allongement de la durée de cotisation aura été décidé. »

Dites-le aux salariés d'Alsthom, aux salariés de Hewlett-Packard, qui vont partir à 52 ans, en pleine force de l'âge, aux salariés d'Atofina, qui partiront eux aussi à 52 ans, alors qu'ils ont respiré tout leur vie de l'amiante.

M. Dominique Braye. Si vous n'aviez pas été là pendant cinq ans, cela n'aurait pas été le cas !

M. Roland Muzeau. C'est cela le monde de l'entreprise !

M. Jean Chérioux. Il n'y a pas que vous qui le connaissez !

Mme Annie David. Tout est dit, mes chers collègues ! Gardons notre calme. Nous avons réussi à rester sereins jusqu'à maintenant, continuons !

Pas de politique de lutte contre les licenciements, travail forcé pour les plus de 60 ans, consécration des retraites incomplètes : voilà un bel exemple de liberté et de garantie pour les salariés.

Je demande un scrutin public sur cet amendement.

M. François Fillon, ministre. C'est formidable, le meilleur défenseur du patronat, c'est le parti communiste !

M. le président. La parole est à M. Jean Chérioux, pour explication de vote.

M. Jean Chérioux. Comme M. le ministre, je suis étonné de la réaction de la gauche par rapport à ces dispositions.

C'est vrai qu'il y a des salariés qui sont fatigués à 55 ans ou 56 ans du fait de la pénibilité de leur travail et qu'ils aspirent à prendre leur retraite.

Mais ce que vous oubliez, ou que vous ne voulez pas reconnaître, c'est que certaines personnes trouvent parfois dans le travail une dignité, un accomplissement.

Or, face à ce problème du travail à un certain âge, qui doit décider, qui doit choisir, sinon le travailleur lui-même ?

Mme Nelly Olin. C'est vrai !

M. Jean Chérioux. Il est totalement inadmissible que vous considériez que c'est à l'employeur de décider si le salarié est encore en état de travailler ou de ne pas travailler.

M. Dominique Braye. Ils en sont encore au stalinisme ! (vives protestations sur les travées du groupe CRC.)

M. Jean Chérioux. Je trouve choquant qu'un patron puisse se permettre de dire à un employé qu'il n'a plus besoin de lui du fait de son âge. (Vives exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Même s'il a un problème de santé, c'est le travailleur lui-même qui doit décider, et certainement pas le patron.

La position prise par M. le ministre est certainement la plus digne sur le plan humain. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe CRC.)

M. Dominique Braye. Ils en sont encore au stalinisme !

M. Roland Muzeau. Ah ! Cela faisait longtemps !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François Fillon, ministre. Je me réjouis que le groupe CRC ait demandé un scrutin public.

Nous voulons retirer au chef d'entreprise le droit de mettre fin au contrat de travail avant 65 ans, et cela avec l'accord des organisations syndicales unanimes.

Vous prenez vos responsabilités ! Il y a un scrutin public, chacun saura qui est cohérent et qui ne l'est pas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 331.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)


M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 201 :

Nombre de votants 318
Nombre de suffrages exprimés 316
Pour 29
Contre 287

La parole est à M. Jacques Pelletier, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 1129.

M. Jacques Pelletier. Je remercie M. Schosteck d'avoir présenté ces deux sous-amendements, qui me paraissent compléter utilement l'amendement que j'ai déposé avec M. Delfeu et mes collègues du groupe du RDSE. En effet, un délai de quatre ans et demi pour conclure un accord de branche est suffisant. Si des accords de branche ne sont pas conclus dans les quatre ans et demi, c'est qu'ils ne le seront probablement jamais.

La date du 1er janvier 2008 me semble d'autant plus judicieuse que le Gouvernement doit déposer, autour de cette même date, un rapport sur l'évolution du taux d'activité des personnes de plus de 50 ans.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Tout le monde l'a bien compris : entre ma proposition et celle qui va être maintenant soumise à nos votes, les intentions sont les mêmes, la volonté la même, c'est la méthode qui diffère.

Pardonnez-moi de vous le dire, monsieur le ministre, dans l'avis que vous avez exprimé tout à l'heure, je n'ai pas retrouvé la clarté qui vous est coutumière.

Je suis certes pour la souplesse et pour les contrats, mais je suis aussi pour la volonté. Quand on se donne un objectif, il est nécessaire de fixer des étapes. C'est pourquoi j'ai déposé l'amendement n° 1032.

Vous avez, monsieur le ministre, approuvé le sous-amendement de mon ami Jean-Pierre Schosteck et je comprends bien pourquoi : il introduit la date du 1er janvier 2008.

Cependant, s'il est adopté et que l'amendement n° 2 l'est également, les accords devront certes être conclus avant 2008, mais ils pourront continuer à s'appliquer au-delà.

Autrement dit, vous donnerez tout de même un petit coup de canif - j'essaie de ne pas employer des termes trop vigoureux ! - à la mesure que vous avez initalement fait figurer dans le texte.

Je persiste à penser que la méthode proposée dans l'amendement que j'ai déposé au nom de la commission des finances, pour être plus rigoureuse, est aussi plus sûre que le dispositif prévu par le président Pelletier - qu'il veuille bien me pardonner ! -, M. Delfau et les membres du RDSE, assorti des sous-amendements de M. Schosteck.

Qu'il y ait des aménagements à apporter, je veux bien l'admettre, mais, pour l'instant, je m'en tiens à ma position.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François Fillon, ministre. Puisque je n'ai pas été assez clair, je tiens à mettre les choses au point.

La différence fondamentale entre la proposition de M. Gouteyron et celle de M. Pelletier, c'est que, dans un cas on demande leur avis aux partenaires sociaux, et pas dans l'autre. Dans un cas, c'est automatique, et c'est donc le chef d'entreprise qui a entre les mains ce droit de mettre fin au contrat de manière progressive...

M. Jean Chérioux. Absolument !

M. François Fillon, ministre. ... alors que dans l'autre cas, on demande aux partenaires sociaux de se mettre autour de la table, branche par branche, pour décider des conditions dans lesquelles cette progressivité pourra être acquise.

Chacun voit bien l'intérêt qu'il y a à engager les partenaires sociaux, par toutes sortes de moyens, à discuter de la question du maintien au travail des salariés de plus de 55 ans. Cela va être une affaire très difficile, tout le monde le fait remarquer depuis le début de ce débat, car des habitudes ont été prises dans notre pays. C'est une sorte de confort, finalement, que d'utiliser des salariés pendant la période où ils sont les plus productifs, c'est-à-dire quand ils ont déjà de l'expérience, mais où ils ne sont pas encore trop avancés en âge. Il va falloir changer tout cela !

Ce sera vraiment difficile parce qu'il s'agit de mettre fin à une pratique qui est inscrite dans la culture de notre pays depuis de nombreuses années.

Tout ce qui incitera les partenaires sociaux à se mettre autour de la table est donc extrêmement positif. Les chefs d'entreprise seront, en quelque sorte, mis dans l'obligation d'engager le dialogue. S'ils veulent de la souplesse dans l'application de cette mesure pendant quelques années, il faut qu'il y ait un accord avec les partenaires sociaux.

Moi, j'aime bien que les textes soient équilibrés ; j'aime bien qu'il y ait des incitations des deux côtés, du côté des organisations syndicales, certes, mais aussi du côté des organisations patronales. C'est pourquoi la rédaction proposée par le Gouvernement me semblait la plus simple et la meilleure. Cela étant, la proposition de M. Pelletier est acceptable parce qu'elle renvoie aux partenaires sociaux, alors que la progressivité automatique me paraît gênante. Je maintiens donc un avis défavorable sur la proposition de la commission des finances.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Cantegrit, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Cantegrit. J'apprécie l'amendement qui a été déposé par M. le président Pelletier et par M. Delfau. Mais je souhaite dire aussi à M. Gouteyron et à M. Gournac que j'ai été sensible au fait qu'ils aient bien voulu évoquer les Français de l'étranger et faire en sorte que la situation de nos compatriotes expatriés, notamment dans les autres pays de l'Union européenne, soit prise en compte dans leurs amendements.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 1129.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte le sous-amendement.)

M. le président. La parole est à M. Jean Chérioux, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 1130.

M. Jean Chérioux. Je souhaite intervenir pour deux raisons.

En premier lieu, l'amendement n° 2 est beaucoup plus conforme à l'esprit du texte que nous examinons. En effet, la réforme qui nous est proposée part d'un accord syndical, ce qui signifie qu'elle a été élaborée dans le cadre d'une négociation avec les syndicats. Or cet amendement présente l'avantage de se référer à la négociation entre les partenaires sociaux.

En second lieu, je considère, à titre personnel, que cet amendement correspond plus à l'esprit de participation, qui vise à la libération du salarié par rapport à son entreprise. (M. le ministre fait un signe d'approbation.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Je vais retirer l'amendement n° 1032, qui n'a plus de sens après l'adoption du sous-amendement n° 1129. Mais je ne peux laisser dire que l'amendement n° 2 est plus conforme à l'esprit de participation.

M. Jean Chérioux. C'est mon avis ! J'ai le droit d'avoir une opinion !

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Bien sûr, mais je dis amicalement que je ne partage pas ce point de vue !

Je constate simplement que ce sous-amendement tend à prolonger au-delà de 2008, à condition qu'il y ait accord de branche, la possibilité de fixer un âge inférieur.

Je retire donc mon amendement de bonne grâce, sans amertume, monsieur le ministre, mais sans enthousiasme excessif ! (Sourires et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. L'amendement n° 1032 est retiré.

Je mets aux voix le sous-amendement n° 1130.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2, modifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, les amendements n°s 332 et 222 n'ont plus d'objet.

Monsieur Gournac, les amendements n°s 1055 et 1054 sont-ils maintenus ?

M. Alain Gournac. Je les retire, monsieur le président.

M. le président. Les amendements n°s 1055 et 1054 sont retirés.

La parole est à Mme Claire-Lise Campion, pour explication de vote sur l'article 10.

Mme Claire-Lise Campion. L'existence d'une décote très sévère, les nouvelles règles de calcul de la retraite ainsi que le passage prévu à quarante-deux annuités condamnent la majorité des salariés à travailler au-delà de 60 ans. Encore faut-il que les employeurs et le marché du travail leur laissent une telle opportunité. Or nous savons qu'il est très difficile de parachever une carrière complète au-delà de 60 ans.

La principale solution que vous proposez pour favoriser l'emploi des seniors repose sur la décote. Il eût été préférable d'inciter les entreprises à maintenir les salariés de plus de 55 ans en activité, plutôt que de pénaliser ces derniers, exclus du marché du travail contre leur gré.

Plus qu'une simple mesure d'accompagnement, il eût fallu mettre en place une grande politique nationale de l'emploi et en faire un volet essentiel de la politique des retraites. L'article 10 ne suffira pas à lui seul à pérenniser l'emploi des plus de 50 ans, nous le savons.

Par ailleurs, nous émettons des réserves quant à la fiabilité de votre partenaire, le MEDEF, dans l'application de cet article. Vous comptez sur le patronat pour prolonger l'action du Gouvernement et, pour l'heure, le MEDEF compte sur vous pour se conformer à ses desiderata . La majorité n'a pas manqué de s'en faire l'écho pour revenir sur cet article.

Dans ces conditions, et compte tenu des modifications qui y ont été apportées, nous ne pouvons pas soutenir un tel article. Celui-ci n'est plus qu'une pâle copie de celui que nos collègues de l'Assemblée nationale avaient adopté.

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.

M. Roland Muzeau. L'article 10 vise à maintenir à 60 ans l'âge ouvrant la possibilité pour l'employeur de mettre fin au contrat de travail sans que cette rupture soit considérée comme un licenciement. En introduisant la référence à l'âge mentionné au 1° de l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale, vous portez à 65 ans cette possibilité.

Pour notre part, nous sommes résolument opposés au fait d'imposer aux travailleurs une obligation de travail jusqu'à 65 ans pour pouvoir bénéficier d'une retraite décente.

Chacun ici mesure-t-il bien ce que cela signifie pour les travailleurs qui effectuent des travaux particulièrement pénibles, comme c'est souvent le cas dans le bâtiment et les travaux publics, mais également dans tout ce qui relève du travail posté ? Que penser également de l'allongement de la durée d'activité dans le domaine du transport public ou scolaire ?

Il y a là une vraie question d'humanité qui ne devrait pas laisser aussi indifférent. Sommes-nous devenus individualistes au point de ne pas en tenir compte ? La question ne devrait-elle pas interpeller un ministre qui a en charge, selon son titre même, la solidarité ?

A mesure que l'examen de ce texte progresse, sans que la droite manifeste le moins du monde la volonté de prendre en compte l'avis des autres, de ceux qui ont manifesté, par exemple, même s'ils expriment la volonté de la très grande majorité des Français, il me vient à l'esprit que cette année marquera la fin des Lumières. Les Lumières, en effet, c'était la croyance dans un progrès humain, dans un progrès scientifique et technique au service de l'homme avec, pour principes de base, la liberté et l'égalité.

Nous entrons aujourd'hui, je crois, dans une période de déclin progressif de ces principes qui ont pourtant fait le rayonnement de la France.

Rappelons-nous le message que nous envoyaient les révolutionnaires de 1789 : « Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des Droits de l'Homme sont les seules causes des malheurs publics...

M. Dominique Braye. Comment osez-vous, vous parlez de cela ?

M. Roland Muzeau. ... et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer dans une Déclaration solennelle, les Droits naturels, inaliénables et sacrés de l'Homme afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du Pouvoir législatif et ceux du Pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. »

L'article Ier affirmait : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les disctinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. »

M. Dominique Braye. Sur ce chapitre, vous feriez mieux de vous taire !

M. Roland Muzeau. Plus près de nous, c'est la vision progressiste du préambule de 1946, dans lequel il est affirmé que « chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi » et, plus loin, que la nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. »

Avec le présent texte, on est bien loin des idées généreuses d'après-guerre ! Les sénateurs communistes républicains et citoyens refusent, quant à eux, de transiger sur de tels principes. C'est pourquoi ils considèrent que nous devons maintenir dans notre système de retraite le droit à une retraite décente pour tous dès l'âge de 60 ans.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Fourcade. Je tiens à dire que l'article 10 est un article essentiel du texte. Lors de la discussion générale - rappelez-vous, c'était au début de la semaine ! -, j'ai expliqué que le texte que vous nous présentiez, monsieur le ministre, était équilibré, ce qui signifie qu'il comporte des avantages pour certains, mais qu'ils sont répartis.

J'ai dit aussi que, l'objectif étant de sauver - tout le monde l'a oublié, aujourd'hui ! - le système des retraites par répartition, il fallait bien allonger la durée de cotisation, mais que cela devait se traduire par un certain nombre de changements dans la culture des entreprises.

Vous avez vous-même évoqué, monsieur le ministre, cette idée fausse selon laquelle il faut faire partir les vieux pour embaucher les jeunes. Or cette idée n'a jamais été développée qu'en France.

M. Dominique Braye. Les communistes continuent à la défendre !

M. Jean-Pierre Fourcade. Effectivement !

Partout ailleurs, on a compris que l'emploi des jeunes passait par la formation, par la compétitivité des entreprises, et non par une espèce de jeu de taquin dans lequel on renvoie les uns pour prendre les autres.

L'article 10, au contraire, apporte aux salariés et aux organisations syndicales qui ont signé le protocole avec le Gouvernement la garantie que la « retraite couperet » à 60 ans disparaît. D'ailleurs, nous avons tous reçu un certain nombre d'appels téléphoniques ou de courriers émanant de chefs d'entreprise qui n'étaient pas favorables à cette mesure. C'est la raison pour laquelle j'ai été foncièrement étonné de voir le groupe CRC demander un scrutin public sur cette disposition que le MEDEF conteste. Il la conteste parce qu'il est beaucoup plus commode pour lui d'avoir un système de « retraite couperet » à 60 ans.

C'est donc un texte équilibré, et l'adoption de l'amendement n° 2 assorti des sous-amendements de M. Schosteck va donner à la négociation sociale un certain nombre de points précis d'application.

M. Roland Muzeau. Il faut croire au père Noël !

M. Jean-Pierre Fourcade. Il est en effet important de renvoyer, dans le texte que nous allons finalement voter - je ne sais pas quand, mais nous finirons bien par le voter ! -, à la négociation collective, de manière que ses dispositions puissent s'adapter à des circonstances différentes.

On a parlé de pénibilité. Elle figure dans le texte puisqu'il en est question à l'article 16 ter.

Enfin, avant de voter l'article 10, je souhaiterais parler de ceux qui sont descendus dans la rue pour manifester.

Je rappellerai quelques chiffres : la population active dans notre pays compte 23 millions de personnes. Sur ces 23 millions, 14 millions sont des salariés du secteur privé, 6 millions des salariés du secteur public et 3 millions sont des travailleurs indépendants. Telles sont les masses pour lesquelles nous légiférons. Ce n'est pas parce que quelques centaines de milliers de salariés du secteur public sur les 6 millions que compte ce secteur sont venus manifester que nous devons sans cesse nous référer à la rue. (Protestations sur les travées du groupe CRC.) C'est à la réalité qu'il faut se référer ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Odette Terrade. C'est scandaleux !

M. Dominique Braye. Ils ne représentent que 3,6 % des votants !

M. Roland Muzeau. Vous 19 % ! Et 49,8 % en Corse !

M. Jean-Pierre Fourcade. L'article 10 est, à mes yeux, un article d'équilibre qui permet de relancer la négociation sociale. C'est donc un article très important et je suis heureux que le Gouvernement ait accepté la solution proposée par M. Pelletier qui paraît plus souple que celle qui figurait dans le texte adopté par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 10, modifié.

(L'article 10 est adopté.)