Article 11 (priorité)

M. le président. « Art. 11. - Le chapitre VII du titre III du livre Ier du code de la sécurité sociale est complété par une section 4 ainsi rédigée :

« Section 4

« Contribution

sur les avantages de préretraite d'entreprise

« Art. L. 137-10. - I. - Il est institué, à la charge des employeurs et au profit du Fonds de réserve pour les retraites mentionné à l'article L. 135-6, une contribution sur les avantages de préretraite ou de cessation anticipée d'activité versés, sous quelque forme que ce soit, à d'anciens salariés directement par l'employeur, ou pour son compte, par l'intermédiaire d'un tiers, en vertu d'une convention, d'un accord collectif, du contrat de travail ou d'une décision unilatérale de l'employeur.

« II. - Le taux de cette contribution est égal à la somme des taux des cotisations, à la charge de l'employeur et du salarié, prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 241-3 du présent code ou au II de l'article L. 741-9 du code rural pour les employeurs relevant du régime agricole et du taux de cotisation, à la charge de l'employeur et du salarié, sous plafond du régime complémentaire conventionnel légalement obligatoire régi par le livre IX.

« III. - Les dispositions des articles L. 137-3 et L. 137-4 sont applicables s'agissant de la présente contribution.

« IV. - Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux contributions des employeurs mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 322-4 du code du travail, ni aux allocations et contributions des employeurs mentionnées au quatrième alinéa de l'article L. 352-3 du même code. »

II. - L'article L. 135-6 du même code est complété par un 10° ainsi rédigé :

« 10° Le produit de la contribution instituée à l'article L. 137-10. »

« III. - Les dispositions du I sont applicables aux avantages versés en vertu soit d'une convention, d'un accord collectif ou d'un avenant au contrat de travail conclu après le 27 mai 2003, soit d'une décision unilatérale de l'employeur postérieure à cette même date.

« IV. - Le taux visé au II de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale est réduit dans des conditions fixées par décret jusqu'au 31 mai 2008 pour les avantages versés dans le cadre d'un dispositif de préretraite qui prévoit l'adhésion obligatoire à l'assurance volontaire invalidité, vieillesse et veuvage jusqu'à l'obtention du taux plein du régime général de la sécurité sociale et le maintien des cotisations aux régimes de retraite complémentaire mentionnés au chapitre Ier du titre II du livre IX du même code sur la base du salaire qu'aurait perçu le bénéficiaire s'il était resté en activité lorsque le financement de ces couvertures est assuré en tout ou partie par l'employeur aux termes d'un accord répondant aux conditions prévues par l'article L. 911-1 du même code, pour un montant au moins équivalent à celui de la taxe prévue à l'article L. 137-10 du même code. »

La parole est à M. Guy Fischer, sur l'article.

M. Guy Fischer. L'article 11 institue une contribution spécifique à la charge des employeurs sur les préretraites ou cessations anticipées d'activité. Il prévoit aussi que le produit de cette contribution sera affecté au Fonds de réserve pour les retraites.

Selon une étude récente de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, citée dans le rapport de la commission des affaires sociales, ces dispositifs « ne sont mis en place que dans les très grands établissements ». Les préretraites d'entreprise représentent plus du tiers des départs anticipés dans les établissements de plus de 500 salariés.

Dans le cas où le contrat de travail est non pas suspendu, mais rompu, les employeurs ne sont, pour leur part, redevables d'aucune cotisation ou contribution sur les allocations versées. Ces situations représentent la moitié des préretraites d'entreprise, puisque, pour l'autre moitié, le contrat n'est que suspendu.

Il peut donc sembler a priori positif que le paragraphe I de l'article 11 du projet de loi prévoie une contribution de l'employeur ; ce n'est pas tous les jours que le Gouvernement propose de taxer le grand patronat ! Et quand c'est nous qui le proposons, nous entendons hurler M. Braye et d'autres collègues de la droite parlementaire ! Pourquoi donc, dans le cadre de la réforme des retraites, prévoir une telle contribution ? Nous y reviendrons.

Quant au paragraphe II, il précise que le taux de cette contribution sera égale aux taux des cotisations salariales et patronales de la cotisation d'assurance vieillesse du régime patronal de la cotisation plafonnée du régime complémentaire ARRCO, soit 23,85 %.

Dans une situation différente de celle qui prévaut aujourd'hui, une situation de croissance, de plein emploi, d'embauches, une telle contribution pourrait être envisagée.

Le problème est que la situation actuelle et les perspectives ne correspondent en rien à cela. M. Raffarin a beau jeu d'affirmer que les conditions d'un retour à la croissance sont réunies ; les experts, les économistes s'accordent à dire le contraire et sont beaucoup plus nuancés.

L'exposé des motifs précise que le Gouvernement veut recentrer « les préretraites autour de deux dispositifs : un dispositif "pénibilité" autour des cessations progressives d'activité des travailleurs salariés et un dispositif "plans sociaux", qui est aujourd'hui nécessaire ». C'est bien la preuve que les plans sociaux ne sont pas voués à disparaître de sitôt. D'ailleurs, depuis un an, leur nombre explose.

Aujourd'hui, l'âge moyen de cessation d'activité est de 57,5 ans, celui de la liquidation de la retraite est de 60,5 ans et le taux d'emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans d'environ 33 %.

Les grandes entreprises continuent à utiliser les préretraites pour favoriser leurs restructurations et se débarrasser des plus de 50 ans qu'elles considèrent peu adaptables à leurs critères de rentabilité toujours accrue.

Selon deux enquêtes identiques de la DARES effectuées auprès de chefs d'entreprise, la moitié d'entre eux hésitent ou refusent d'embaucher des salariés âgés, même dans l'hypothèse où il y aurait pénurie de main-d'oeuvre ; un établissement sur deux n'envisage pas d'embaucher de salariés âgés, là encore, même en cas de difficultés de recrutement. Selon un tiers des chefs d'entreprise interrogés, ces travailleurs, en raison de leur ancienneté, coûteraient trop cher et auraient une productivité moindre. Bel aveu ! Ainsi, alors que les rédacteurs de l'article 11 ont pour objectif avoué de dissuader les chefs d'entreprise de laisser partir les salariés âgés, ceux-ci avouent sans pudeur ne pas vouloir de ces travailleurs qui leur coûteraient trop cher !

Ne doutons pas une seconde qu'entre une contribution comme celle qui est proposée et le versement de salaires plus faibles à de plus jeunes ou, le plus souvent, la décision de ne pas recruter, leur choix sera vite fait. Les salariés âgés seront purement et simplement licenciés et ne retrouveront pas de travail.

Vous n'aurez donc rien réglé s'agissant de l'accroissement du travail des plus âgés ou de l'allongement des durées de cotisation.

En revanche, les salariés concernés risquent de se retrouver dans une situation bien plus défavorable que s'ils partaient en préretraite et ils toucheront une pension amoindrie. Voilà certainement une réponse à ma question : pourquoi une telle contribution ? Nous n'accepterons pas, pour notre part, le sort qui leur est ainsi fait.

M. Dominique Braye. Cela ne changera rien !

M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.

Mme Odette Herviaux. La disposition prévue à l'article 11 permet d'assujettir les entreprises qui usent de la préretraite à une contribution spécifique, dont le taux serait égal à la somme des taux de cotisations à la charge des employeurs, soit 23,85 %, et qui serait versée au Fonds de réserve pour les retraites, créé en 1999.

Ce mécanisme, qui permet à un employeur de se séparer d'un salarié, est composé de plusieurs types de préretraites.

La préretraite publique, dite aussi progressive, s'adresse aux salariés âgés de 55 à 65 ans qui acceptent de réduire leur temps de travail. L'indemnité de départ est financée par le Fonds national pour l'emploi.

La préretraite FNE s'adresse aux salariés de moins de 57 ans. L'allocation est, dans le système, financée par l'Etat, par l'entreprise, voire par le préretraité.

La préretraite d'entreprise ou « préretraite maison » est conclue dans l'entreprise par un accord, et s'adresse aux salariés de moins de 65 ans. L'entreprise verse soit une indemnité de départ, soit une allocation pendant une durée déterminée. Notons tout de même que l'article 11 ne s'adresse qu'à ces préretraites maison.

Enfin, la préretraite contre embauche s'adresse aux salariés de moins de 58 ans répondant à des conditions précises. Ces derniers perçoivent 65 % de leur salaire brut à titre d'allocation.

Depuis les années « chômage » - cela dure donc depuis plus de vingt-cinq ans ! - il est tentant de demander aux seniors de partir plus tôt. Alors, pourquoi demander aussi aux salariés qui se trouvent dans ce cas de faire des efforts supplémentaires ?

La discrimination envers les seniors reste forte dans les entreprises, voire plus forte encore qu'envers les jeunes, et la pratique de la préretraite n'est pas prête de cesser !

Du reste, ce qui m'étonne, c'est le silence du MEDEF sur cet article 11. Cette disposition coûterait-elle moins cher que de garder des seniors avec les obligations inhérentes à la formation ou au reclassement ?

Cette contribution, qui s'élève à 65 millions d'euros, ne suffirait pas à financer le fonds de réserve qui doit être de 154 milliards d'euros d'ici à 2020.

Permettez-moi aussi, monsieur le ministre, de vous rappeler que, lors de l'arrivée au pouvoir du gouvernement auquel vous appartenez, le fonds de réserve s'élevait à 12,8 milliards d'euros. J'ai quelques craintes pour les années qui viennent, même si nous nous devons de reconnaître que, cette année, il est prévu de le porter de 12,8 milliards à 16,5 milliards d'euros. Mais, entre 2001 et 2002, le fonds de réserve a connu une hausse de ses recettes de plus de 50 %.

En 2002, les recettes de privatisation et de souscriptions à l'UMTS ont permis de verser 5,8 milliards d'euros, mais ce n'est pas suffisant. J'ai entendu souvent reprocher au gouvernement de Lionel Jospin de ne pas avoir financé la totalité de ce qui était prévu ! Devons-nous vous rappeler que la législature ayant pris fin, il appartenait à la nouvelle majorité d'abonder ce fonds.

M. François Fillon, ministre. On en a mis autant que lui !

M. Claude Domeizel. Evidemment, la législature était finie !

Mme Odette Herviaux. De même, je préfère tout de suite déjouer l'argument facile du financement des 35 heures ponctionné sur ce fonds de réserve. Ce ne sont pas les 35 heures qui ont amputé le fonds mais votre absence de politique de l'emploi, qui a provoqué depuis une hausse de 160 000 chômeurs, alors même que le gouvernement précédent vous avait laissé des outils permettant une reprise. Alors, un peu de modestie serait parfois bienvenue.

M. Dominique Braye. Quel culot !

Mme Odette Herviaux. Il semblerait, à la lecture de votre projet, que cette contribution spécifique soit votre seul financement. Pourquoi ne souhaitez-vous pas reprendre à votre compte notre proposition de porter à 6 % les prélèvements sur les revenus du capital de façon progressive jusqu'à 2020 ? Et il est faux de dire, comme on l'a entendu lors des débats à l'Assemblée nationale, que la France est de tous les pays européens celui qui taxe le plus le capital. Je rappellerai simplement qu'en Suède le taux d'imposition du capital est de 54,1 % du PIB, qu'il est de 49,8 % au Danemark ; viennent ensuite la Finlande et la Belgique et toujours pas la France !

Monsieur le ministre, vous vous référez souvent au COR ; alors n'hésitez plus à l'écouter lorsqu'il vous dit que d'autres financements sont nécessaires...

M. le président. Je suis saisi de six amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 333, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

« Supprimer cet article. »

L'amendement n° 909, présenté par MM. Estier, Domeizel et Chabroux, Mme Printz, M. Krattinger, Mmes Campion et Blandin, M. Godefroy, Mmes San Vicente et Pourtaud, MM. Lagauche et Vantomme, Mme Herviaux, M. Frimat, Mme Cerisier-ben Guiga, M. Mano et les membres du groupe socialiste et apparenté, est ainsi libellé :

« Rédiger ainsi cet article :

« I. - Au I de l'article L. 245-16 du code de la sécurité sociale, le chiffre "2 %" est remplacé par le chiffre "6 %".

« II. - Au II de l'article L. 245-16 du code de la sécurité sociale, les chiffres "20 %", "50 %" et "30 %" sont respectivement remplacés par les chiffres "6,66 %", "83,34 %" et "10 %".

« III. - Au 4° de l'article L. 245-16 du code de la sécurité sociale, le chiffre "50 %" est remplacé par le chiffre "83 %". »

Les amendements n° 223, 224 et 225 sont présentés par M. Leclerc, au nom de la commission des affaires sociales.

L'amendement n° 223 est ainsi libellé :

« A. - Dans le texte proposé par le I de cet article pour le I de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale, remplacer les mots : "fonds de réserve pour les retraites mentionné à l'article L. 135-6", par les mots : "fonds de solidarité vieillesse mentionné à l'article L. 135-1".

« B. - En conséquence, rédiger comme suit le II de cet article :

« Avant le dernier alinéa de l'article L. 135-3 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« 8° Le produit de la contribution instituée à l'article L. 137-10. »

L'amendement n° 224 est ainsi libellé :

« Dans le texte proposé par le I de cet article pour le I de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale, remplacer les mots : "du contrat de travail" par les mots : "de toute autre stipulation contractuelle". »

L'amendement n° 225 est ainsi libellé :

« Au III de cet article, remplacer les mots : "d'un avenant au contrat de travail" par les mots : "de toute autre stipulation contractuelle". »

L'amendement n° 908, présenté par MM. Estier, Domeizel et Chabroux, Mme Printz, M. Krattinger, Mmes Campion et Blandin, M. Godefroy, Mmes San Vicente et Pourtaud, MM. Lagauche et Vantomme, Mme Herviaux, M. Frimat, Mme Cerisier-ben Guiga, M. Mano et les membres du groupe socialiste et apparenté, est ainsi libellé :

« Compléter cet article par un paragraphe V ainsi rédigé :

« Il est institué une cotisation patronale vieillesse spécifique si l'entreprise de plus de 20 salariés n'a pas négocié de plan de formation continue. »

La parole est à Mme Odette Terrade, pour présenter l'amendement n° 333.

Mme Odette Terrade. Cet amendement vise à supprimer l'article 11, qui crée une contribution assise sur les allocations de préretraite et qui sera affectée au fonds de réserve pour les retraites, cotisation à la charge, chose rare, des employeurs.

Lors de son audition par la commission des affaires sociales, M. Guillaume Sarkozy, au nom du MEDEF, s'est ému du fait que « la durée de travail des salariés aurait diminué dans des proportions trop importantes. La réduction du temps de travail au cours de la vie est probablement allée trop loin », a-t-il dit. Et il a ajouté : « Il n'est pas dramatique de penser que nous travaillerons deux à trois années supplémentaires dans vingt ans, il ne faut donc pas tomber dans les hystéries collectives qui traversent notre pays. »

Les « hystériques » sont nombreux puisqu'ils représentent les deux tiers de la population française qui rejettent votre projet ainsi que les deux tiers des retraités qui déclarent ne pas souhaiter poursuivre leur activité professionnelle un an de plus.

M. Guillaume Sarkozy avoue, lui, sa passion pour son travail et son absence de désir de partir à 60 ans. C'est merveilleux ! Il admet cependant que tout le monde n'a pas la chance d'être intéressé par son travail. Il souligne que c'est à partir de 45 ans qu'il faut se poser la question de la seconde partie de carrière et mettre en place des requalifications. Autrement dit, il faudrait adapter les salariés les plus âgés à l'entreprise pour qu'ils restent rentables le plus longtemps possible.

Mais pourquoi les entreprises ne favorisent-elles pas la formation continue, si ce n'est parce qu'elles la considèrent depuis longtemps comme trop chère ? Pourquoi imposent-elles trop souvent des conditions de travail difficiles, stressantes, des activités mal rémunérées et mal considérées, auxquelles s'ajoutent les atteintes répétées aux droits des salariés, voire une véritable criminalisation de l'action de ceux qui remettent en cause de telles conditions sur leur lieu de travail ? Parce que la seule chose qui intéresse ces entreprises, c'est de tirer un maximum de profit du travail de leurs salariés !

Heureusement, le rapport que vient d'élaborer le Conseil économique et social à propos de la place du travail dans la société remet un peu les pendules à l'heure ! Non, nos concitoyens n'ont pas perdu de vue la valeur du travail. Non, la réduction du temps de travail ne déprécie pas sa valeur. En revanche, le travail est malmené par la mondialisation, le chômage et la flexibilité, et il importe d'en renouveler l'approche.

Le malaise au travail touche d'ailleurs toutes les catégories, y compris les cadres. Leur défiance à l'égard de l'entreprise s'explique par la priorité donnée à des logiques financières à court terme. Dans cette atmosphère de doute, ne soyons pas surpris que le souhait de pouvoir partir à la retraite rapidement soit de plus en plus vif.

Vous le voyez bien, monsieur le ministre, il est grand temps de changer l'attitude des entreprises à l'égard de leurs salariés. Ce ne sont pas les dispositions que vous proposez qui vont y contribuer, bien au contraire, et c'est pourquoi nous demandons la suppression de l'article 11.

M. le président. La parole est à M. Claude Estier, pour présenter l'amendement n° 909.

M. Claude Estier. Toujours dans le souci qui est le nôtre d'alimenter le fonds de réserve pour les retraites et dans l'esprit qu'exposait Mme Herviaux à l'instant, nous proposons, par cet amendement, une augmentation du taux d'imposition des revenus du patrimoine de 2 à 6 %.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter les amendements n°s 223, 224 et 225.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. L'amendement n° 223 vise à affecter le produit de la nouvelle contribution sur certaines préretraites d'entreprise non pas au fonds de réserve pour les retraites, mais au fonds de solidarité vieillesse, le FSV.

En effet, le FSV a notamment pour mission de compenser le manque à gagner en cotisations pour les régimes de base d'assurance vieillesse des bénéficiaires de préretraites financées sur fonds publics. Il y aurait donc une certaine logique à affecter le produit de la taxe sur les « préretraites maison » au financement des surcoûts induits par les préretraites financées sur fonds publics pour les régimes d'assurance vieillesse. En quelque sorte, les préretraites financeraient alors d'autres préretraites.

On rappellera également que le FSV devrait connaître, selon la commission des comptes de la sécurité sociale, un déficit de 580 millions d'euros en 2003 et un déficit cumulé de 703 millions d'euros. Il semble de meilleure politique d'affecter la nouvelle recette au comblement partiel de ce déficit plutôt que de la mettre en réserve pour lisser les déficits ultérieurs de nos régimes de retraite.

L'amendement n° 224 est un amendement de précision. Comme cela a déjà été dit, les préretraites d'entreprise visées par le présent article sont celles pour lesquelles le contrat de travail a été rompu. Leur mise en place ne passe pas toujours par un avenant au contrat de travail, lequel est d'ailleurs caduc à partir de l'entrée dans le dispositif.

L'amendement n° 225 est un amendement de coordination.

M. le président. La parole est à M. Claude Estier, pour présenter l'amendement n° 908.

M. Claude Estier. Cet amendement vise à compléter cet article par un paragraphe V ainsi rédigé : « Il est institué une cotisation patronale vieillesse spécifique si l'entreprise de plus de 20 salariés n'a pas négocié de plan de formation continue. »

Il nous paraît en effet indispensable, afin de permettre aux travailleurs âgés de se maintenir dans l'entreprise, qu'ils soient formés afin de suivre les évolutions de l'emploi.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur. La commission est défavorable aux amendements n°s 333, 909 et 908.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Fillon, ministre. L'amendement n° 333 tend donc, une nouvelle fois, à supprimer une contrainte visant à dissuader les entreprises d'utiliser les préretraites.

Chaque fois que le Gouvernement propose une mesure un peu coercitive à l'égard des entreprises, le groupe CRC s'y oppose. Naturellement, je vous demande de ne pas le suivre.

L'amendement n° 909 vise à augmenter de 2 % à 6 % le taux du prélèvement social sur les revenus du patrimoine et les revenus de placement. Monsieur Estier, nous respectons les décisions du gouvernement précédent ; si le gouvernement de Lionel Jospin a retenu un taux de 2 % sur les revenus du patrimoine c'est qu'il avait de bonnes raisons de le faire. Je souhaite donc que l'on s'en tienne à ce taux.

Je voudrais revenir sur l'intervention de Mme la sénatrice à propos du COR, car je ne peux pas laisser sans réponse de telles inexactitudes.

J'ai eu l'occasion, à plusieurs reprises, de vous indiquer que le Gouvernement avait apporté 8 milliards d'euros de financement au fonds de réserve pour les retraites en un an, contre 8,5 milliards d'euros en trois ans pour le gouvernement précédent. Par conséquent, ne venez pas nous expliquer que vous seuls avez abondé le fonds de réserve !

En réalité, le fonds de réserve est abondé de manière automatique par un certain nombre de ressources ; vous y avez mis un peu d'UMTS ; nous y avons mis quelques produits de privatisation. Nous vous proposons d'apporter une nouvelle ressource dont je conviens qu'elle est purement symbolique. En fait, cette mesure est destinée à dissuader les entreprises d'utiliser les préretraites en augmentant le taux des cotisations. Tel est essentiellement l'objectif de cette mesure.

Permettez-moi d'intervenir brièvement sur la question de l'UMTS, qui n'a pas constitué une opération extrêmement rentable. Vous avez pris à France Télécom quelques milliards d'euros pour abonder le fonds de réserve, mais, quelques mois plus tard, l'Etat a dû investir beaucoup de milliards pour sauver cette entreprise qui était au bord de la faillite. Je ne crois donc pas qu'il faille se vanter de cette opération.

Que vous ayez détourné les excédents du fonds de solidarité vieillesse pour financer les 35 heures, c'est un fait ! Vous aviez prévu d'alimenter le fonds de réserve pour les retraites avec les excédents du FSV, vous les avez détournés pour financer les 35 heures, c'est un choix politique. Mais ne venez pas prétendre ensuite que cela n'existe pas !

La réalité aujourd'hui, c'est que le FSV n'a plus d'excédent, qu'il est en déficit et qu'il n'y a évidemment plus rien à en attendre pour financer le fonds de réserve.

L'amendement n° 223 de la commission, démontre bien que ces solutions pour financer nos régimes de retraite ne peuvent pas, comme je l'ai dit hier, être centrales. On peut certes mettre de l'argent sur le fonds de réserve pour les retraites. Toutefois, quand le budget de l'Etat lui-même est considérablement en déficit, on peut s'interroger sur la philosophie qui consiste à affecter certaines ressources à tel déficit plutôt qu'à tel autre.

En l'occurrence, la commission propose d'affecter au fonds de solidarité vieillesse la contribution sur les préretraites. Compte tenu de son montant assez symbolique au regard des déficits du FSV ou du fonds de réserve, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

Sur l'amendement n° 224, le Gouvernement émet un avis favorable. Il émet également un avis favorable sur l'amendement n° 225.

Quant à l'amendement n° 908, qui vise à soumettre à une cotisation patronale spécifique les entreprises de plus de vingt salariés qui n'auront pas négocié les actions de formation pour les salariés âgés, il y a là une vraie différence de philosophie entre le Gouvernement, la majorité, et les auteurs de cet amendement.

Nous, nous faisons confiance aux partenaires sociaux et nous souhaitons qu'ils trouvent ensemble les moyens d'assurer notamment la formation professionnelle des salariés les plus âgés. Vous, vous voulez, avant même que cette négociation ait abouti, prévoir déjà les sanctions pour le cas où elle n'aboutirait pas ! Je crois que c'est tout a fait prématuré. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote sur l'amendement n° 333.

Mme Annie David. L'objectif affiché de l'article 11 est de favoriser l'activité des salariés âgés. Pour ce faire, il cherche à rendre moins attractif le recours aux dispositifs de préretraite.

Il est vrai que les allocations de préretraite d'entreprise constituent un régime social très avantageux, les employeurs n'étant redevables d'aucune cotisation ou contribution sur les allocations qu'ils sont tenus de verser en application des différents dispositifs concernés.

Avec la disposition que vous proposez, les employeurs préféreront payer la contribution demandée ; cela leur reviendra bien moins cher que de conserver les salariés concernés. Selon une récente enquête, trois décideurs sur cinq considèrent que le vieillissement aura des inconvénients qui neutraliseront les avantages liés au fait que les salariés plus âgés sont plus expérimentés. Finalement, la disposition que vous proposez sera nuisible pour les salariés, et elle le sera plus encore pour les femmes, dont les carrières sont plus amputées que celles des hommes.

Or que faites-vous pour les protéger du licenciement ? Vous ne faites rien ! Bien au contraire, l'une des premières mesures prises par la majorité parlementaire pour faire plaisir au MEDEF a été de suspendre les dispositions qui, dans la loi de modernisation sociale, représentaient des obstacles aux licenciements. De plus, l'ensemble de la politique du Gouvernement favorise l'augmentation du chômage et les plans sociaux.

Comment allez-vous continuer à expliquer que la croissance est une réalité tangible à court terme, alors que c'est déjà ce que vous nous avez dit lors de l'élaboration du budget de la nation pour 2003 et que nous avons constaté l'inverse ? Pour ne prendre qu'un seul exemple, dans la lettre de l'Observatoire français des conjonctures économiques - l'OFCE -, des économistes écrivent : « Le retournement conjoncturel et l'incapacité des politiques économiques européennes à soutenir la croissance font de nouveau craindre que l'Europe demeure une zone de chômage de masse. Ceci décrédibilise fortement la réforme présentée aujourd'hui. » Cette dernière remarque est pour le moins éclairante sur la réalité de vos affirmations.

Il aurait bien mieux valu autoriser l'application du dispositif que nous avons proposé, à savoir une modulation des cotisations en fonction des efforts de l'entreprise en direction de l'emploi, des salaires, de la formation. La pénalisation des entreprises qui licencient aurait été beaucoup plus dissuasive, et la moindre contribution de celles qui embauchent ou offrent des salaires plus élevés aurait été incitative.

Quant au fonds de réserve, il semble qu'on veuille lui donner un rôle qu'il n'a jamais eu. Il n'était pas destiné à régler la question des retraites, mais à en permettre le lissage. En outre, le produit de la contribution, estimé à 65 millions d'euros en année pleine, représente bien peu. Ce n'est pas avec cela que l'on va atteindre l'objectif initialement prévu.

J'ajoute que, principalement constitué par les recettes des privatisations, son abondement ne saurait recevoir notre agrément. Nous avons toujours proposé un autre financement pour ce fonds.

C'est par ailleurs au moment où la bulle financière explose, en raison de la spéculation, qu'on vient nous affirmer que le résultat pour le fonds de réserve sera de 260 milliards d'euros de profits financiers.

Mais tous ces éléments, monsieur le ministre, ne vous font pas dévier de votre refus de toucher à l'assiette des cotisations. C'est pourtant ainsi que l'on pourra régler durablement la question du financement des retraites. Mais votre objectif est-il de régler le financement des retraites ou bien de démanteler tout notre système de protection sociale pour construire la société libérale que vous appelez de vos voeux ?

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 333.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 909.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 223.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 224.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 225.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 908.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 11, modifié.

(L'article 11 est adopté.)

Article 12 (priorité)

M. le président. « Art. 12. - I. - Le 3° de l'article L. 322-4 du code du travail est abrogé à compter du 1er janvier 2005. Les conventions signées en application de ce 3° antérieurement à cette date continuent à produire leurs effets jusqu'à leur terme.

« II. - Supprimé .

« III. - Dans le premier alinéa de l'article L.131-2 du code de la sécurité sociale, les mots : "sixième (4°), septième (5°) et huitième" sont remplacés par les mots : "cinquième (4°), sixième (5°) et septième".

« IV. - Le dernier alinéa de l'article L. 352-3 du code du travail est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Lorsque cette indemnisation vise à permettre à certains salariés de bénéficier d'un avantage de préretraite, elle doit, pour ouvrir droit au bénéfice de ces dispositions, être mise en oeuvre dans le respect de conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, liées à l'âge et aux caractéristiques, notamment à la pénibilité, de l'activité des bénéficiaires. »

« V. - Les dispositions du IV sont applicables à compter de la date d'entrée en vigueur du décret prévu au dernier alinéa de l'article L. 352-3 du code du travail et au plus tard à l'expiration du douzième mois suivant la publication de la présente loi. Les conventions conclues antérieurement à cette date dans le cadre d'accords professionnels nationaux visés à l'article L. 352-3 du même code ayant pour objet de permettre à certains salariés de bénéficier d'un avantage de préretraite continuent à produire leurs effets jusqu'à leur terme.

« VI. - L'article L. 412-10 du code de la sécurité sociale et l'article L. 751-2 du code rural sont abrogés à compter de la date mentionnée au I. »

La parole est à Mme Nelly Olin, sur l'article.

Mme Nelly Olin. La France s'illustre par un taux d'activité des seniors particulièrement bas. Or tous les experts préconisent un relèvement de ce taux et tous les pays d'Europe qui ont réformé leurs systèmes de retraite ont effectivement accru ce taux d'activité.

Le Gouvernement a fait, à juste titre, une priorité du maintien en activité des salariés âgés. Une telle politique passe nécessairement par un encadrement plus restrictif du recours aux mesures d'âge par les entreprises. Or les préretraites concernent aujourd'hui encore plus de 150 000 personnes dans le secteur privé.

Dans cette perspective, l'article 12 supprime les préretraites progressives et recentre les dispositifs de cessation anticipée de certains travailleurs salariés sur les seuls salariés ayant exercé des activités pénibles.

Cet article s'inscrit dans la logique du texte et rejoint l'objectif fixé par plusieurs dispositions telles que l'assouplissement des règles de cumul emploi-retraite et l'amélioration de l'accès à la formation professionnelle pour les plus de 50 ans.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera cet article. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Alain Gournac. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, sur l'article.

Mme Odette Terrade. L'article 12 a pour objet la suppression de l'allocation de préretraite progressive, et donc limite le champ d'application de la cessation progressive d'activité, ce qui n'est pas acceptable. Qui plus est, cette disposition met en danger l'avenir des salariés qui ont le plus de difficultés à se maintenir sur le marché du travail.

Le déclin de l'activité des salariés de plus de 55 ans est un sérieux problème auquel sont confrontés tous les pays industrialisés ; la France est plus particulièrement touchée par cet inquiétant phénomène qui ne cesse de se développer.

Permettez-moi d'illustrer mon propos par quelques chiffres. Si, en 1970, la proportion des actifs âgés de 60 à 64 ans était de 70 %, elle est en revanche descendue en 1983 à 35 %, pour se stabiliser au milieu des années quatre-vingt-dix aux alentours de 17 %. Ainsi, en trente ans, le poids des hommes actifs dans la tranche d'âge des 55-59 ans est passé de 83 % à 68 %.

Si cette tendance à la baisse de l'activité des travailleurs les plus âgés s'explique en partie par le développement des systèmes de retraite, c'est vraisemblablement la montée du chômage, au cours des trente dernières années, qui a contribué à l'accentuer.

En effet, même si la détérioration du marché du travail touche l'ensemble des salariés, force est de reconnaître que ce sont les plus âgés d'entre eux qui sont les premiers concernés. C'est ainsi que, depuis la fin des années soixante-dix, on a pu noter que de nombreux travailleurs cessaient leur activité bien avant de pouvoir prétendre à leurs droits à la retraite.

En France - c'est également vrai pour la plupart des pays industrialisés - des dispositifs d'accompagnement ont été mis en place pour faciliter les départs anticipés.

Entre 1990 et 2000, on a évalué de 460 000 à 500 000 le nombre de personnes âgées de plus de 55 ans bénéficiant de préretraites ou dispensées de rechercher un emploi.

Force est de constater que la vie active se concentre aujourd'hui essentiellement entre 25 et 54 ans. Cette évolution s'explique globalement par les gains de productivité et par le développement des systèmes de retraite, d'une part, et par l'allongement de la période de formation et les sorties précoces d'activité des salariés les plus âgés, plus difficilement adaptables aux changements technologiques, d'autre part.

Rappelons que, jusque dans les années quatre-vingt-dix, les dispositifs de cessation anticipée d'emploi agréaient l'ensemble des acteurs sociaux. Chacun y trouvait son compte : les entreprises qui considéraient le départ anticipé des salariés âgés comme une solution pour restructurer les modes de production, alléger la masse salariale et rajeunir la pyramide des âges ; les salariés pour qui c'était un moyen de sortir de la vie active dans de bonnes conditions sur le plan financier ; l'Etat, enfin, qui voyait dans ces dispositifs un moyen de lutter contre le chômage.

Par conséquent, nous ne comprenons pas pourquoi vous persistez à vouloir remettre en cause les dispositifs de préretraite qui ont montré leur efficacité.

Telles sont les remarques que je tenais à formuler sur cet article 12, sur lequel nous aurons l'occasion de revenir lors de l'examen des amendements que nous avons déposés pour exprimer notre opposition de fond à toute remise en cause de la cessation progressive d'activité.

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, sur l'article.

M. Claude Domeizel. En 1982, Jean Le Garrec avait mis sur pied le dispositif dit de préretraite progressive. Le Gouvernement, à travers cet article, entend le supprimer, ce qui est proprement inacceptable.

Dans l'ensemble des pays industrialisés, le taux d'activité des salariés de plus de 55 ans est de moins en moins élevé. Le développement des retraites à certes joué un rôle important dans cette modification progressive, il reste que le moteur le plus puissant est, depuis plus de 30 ans, le chômage et les ravages économiques et sociaux qu'il crée. Ainsi, alors que notre pays enregistrait, pour la tranche d'âge de 60 ans à 64 ans, un taux d'activité voisin de 70 % en 1970, ce dernier n'était plus que de 35 % en 1983, puis de 17 % depuis une décennie. Pour les hommes âgés de 55 ans à 59 ans, ce même taux est passé de 83 % à 68 % en l'espace de trois décennies.

Désormais, la vie professionnelle est hypercentrée sur la tranche de vie comprise entre 25 ans et 50 ans. Les gains de productivité liés au développement des systèmes de retraite ont entraîné une réduction de la période de vie consacrée au travail salarié. Tel est en quelques mots le contexte dans lequel vous voulez supprimer le dispositif de préretraite progressive.

Or, nous le savons tous, les dispositifs de cessation anticipée d'activité ont été et demeurent, dans des situations dramatiques, la moins mauvaise des solutions pour des milliers de nos concitoyens. Si, en 1984, le nombre de bénéficiaires de ces dispositifs dépassaient 700 000 personnes, désormais il oscille entre 460 000 et 500 000, alors que plus de 60 % des effectifs sont dispensés de recherche d'emploi.

Ajoutons que ces dispositifs ont permis à des milliers d'entreprises de rajeunir leur pyramide des âges, - c'est important -, de restructurer leurs modes et leurs moyens de production et d'alléger la masse salariale tout en bénéficiant, il faut le dire, de financements publics.

Au demeurant, la cessation anticipée d'activité répondait bien souvent aux désirs légitimes de salariés qu'une vie professionnelle intense avait usés prématurément. Enfin, ces dispositifs étaient fréquemment perçus comme un moyen performant de lutter, ces dernières années, contre un taux de chômage particulièrement élevé.

Ce dispositif a en outre de grandes vertus puisqu'il permet aux salariés de quitter l'entreprise de façon progressive, favorisant de fait les actions de tutorat et de formation en son sein.

Par ailleurs, des contreparties en termes d'emploi étaient exigées. Cette dimension essentielle a permis à de nombreux jeunes d'intégrer le monde de l'entreprise et de l'activité, ce qui n'est pas sans importance compte tenu de l'état actuel du marché du travail.

D'ores et déjà, nous pouvons affirmer que cette suppression aura de graves conséquences pour les entreprises et les salariés. Qui plus est, les traductions en termes budgétaires se feront rapidement jour au sein des comptes ASSEDIC, alors que les licenciements prévisibles viendront dégrader un peu plus leur situation financière.

Supprimer les préretraites progressives, c'est porter atteinte aux salariés, mais aussi aux entreprises. Cette mesure, je le répète, est un moyen de transmettre les compétences et les savoirs par l'embauche de jeunes en contrepartie.

Je ne manquerai pas de rappeler certains chiffres : durant les années quatre-vingt-dix, le nombre de bénéficiaires de préretraite a atteint 500 000 personnes. Chacun des partenaires trouvait cette pratique intéressante : l'Etat, qui considérait que c'était un moyen de lutter contre le chômage ; les entreprises, à qui ce dispositif permettait de mieux gérer la pyramide des âges, les salariés, enfin, qui partaient dans des conditions honorables.

Avec cette disposition, vous niez le monde du travail. Vous expliquez qu'une personne de 55 ans n'est pas vieille. J'en conviens, mais vous oubliez la pénibilité des tâches auxquelles elle a dû faire face, et ce même si cette pénibilité n'est plus la même que voilà cinquante ans. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Je suis saisi de neuf amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 335, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

« Supprimer cet article. »

L'amendement n° 336, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

« Supprimer le paragraphe I de cet article. »

L'amendement n° 338, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

« Supprimer le paragraphe III de cet article. »

L'amendement n° 1113, présenté par M. Leclerc, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

« Au début du III de cet article, ajouter les mots : "A compter du 1er janvier 2005". »

L'amendement n° 339 rectifié, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

« Supprimer le paragraphe IV de cet article. »

L'amendement n° 1084 rectifié, présenté par MM. Delfau, A. Boyer et Collin, est ainsi libellé :

« Au IV de l'article 12, après les mots : "liées à l'âge", insérer les mots : ", à la durée des études, au congé parental". »

L'amendement n° 340, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

« Supprimer le paragraphe V de cet article. »

L'amendement n° 227, présenté par M. Leclerc, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

« A la fin de la première phrase du V de cet article, supprimer les mots : "et au plus tard à l'expiration du douzième mois suivant la publication de la présente loi". »

L'amendement n° 228, présenté par M. Leclerc, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

« Compléter la dernière phrase du V de cet article par les mots : "dans les conditions applicables à la date de leur conclusion". »

La parole est à Mme Michelle Demessine, pour défendre l'amendement n° 335.

Mme Michelle Demessine. Cet article 12 est particulièrement inacceptable.

Passant outre la réalité du chômage dans ce pays, notamment chez les jeunes, et la situation professionnelle de nos seniors, vous supprimez les préretraites progressives et limitez les avantages liés aux dispositifs de cessation anticipée d'activité de certains travailleurs salariés.

Selon la dernière enquête « emploi » de l'INSEE, il s'avère que le chômage de longue durée, après trois années de repli, est reparti à la hausse avec 1,1 million de personnes concernées, soit plus 160 000 en un an.

Cette étude confirme que le chômage touche particulièrement les salariés de plus de 50 ans. Elle révèle, en effet, que 67 % des chômeurs de plus de 50 ans sont à la recherche d'un emploi depuis plus d'un an.

Mais il y a plus grave : il s'agit du chômage de très longue durée, c'est-à-dire d'une durée supérieure à deux ans, qui est particulièrement répandu chez les chômeurs âgés : quatre chômeurs de plus de 50 ans sur dix, soit 200 000 personnes, sont à la recherche d'un emploi depuis plus de deux ans !

Le taux de chômage global, pour sa part, a dû être revu à la hausse pour cette année : plus 0,2 point.

Entre le premier trimestre 2002 et le premier trimestre 2003, le chômage a fortement augmenté, avec 200 000 personnes concernées de plus.

Au premier trimestre de cette année, on comptait 2 865 000 chômeurs.

Et vous voulez, dans un tel contexte, maintenir en activité les plus de 50 ans, alors qu'ils sont bien souvent en tête de liste des plans sociaux, qu'ils ont les plus grandes difficultés à se réinsérer dans la vie professionnelle et que, de leur côté, les jeunes ont du mal à entrer dans la vie active.

N'oublions pas que les départs progressifs à la retraite ont l'avantage, à la fois, de rajeunir les effectifs des entreprises et d'assurer une transmission des savoirs entre la génération qui part à la retraite et celle qui arrive sur le marché du travail.

Pour toutes ces raisons, nous sommes opposés à cet article 12.

Mme Annie David. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour défendre l'amendement n° 336.

M. Roland Muzeau. A l'occasion de cet amendement, je souhaite évoquer les difficultés rencontrées par les actifs âgés quant à leur réinsertion sur le marché du travail.

Chacun sait ici combien il est difficile pour les actifs âgés au chômage de retrouver un emploi en raison de leur faible mobilité et flexibilité, d'une part, et de leurs prétentions salariales dites trop élevées, d'autre part.

Si l'ancienneté est reconnue au sein de l'entreprise, en revanche, c'est rarement le cas à l'extérieur.

Croyez-vous vraiment qu'une entreprise déciderait de recourir à un senior qu'elle devra payer plus cher qu'un jeune, d'autant que le salarié, expérimenté mais plus âgé, ne restera pas assez longtemps dans l'entreprise pour amortir de tels coûts ?

C'est la raison pour laquelle la plupart des salariés âgés touchés par le chômage sont exclus de la vie professionnelle.

Différents facteurs peuvent entrer en ligne de compte dans leur situation : leur santé, le montant des retraites personnelles et d'allocation vieillesse, l'existence de dispositifs de départ en préretraite, voire le chômage lui-même qui les met en échec d'emploi.

A cela peut s'ajouter un décalage entre l'offre et la demande, qui est plus prégnant chez les actifs âgés.

Il convient, par ailleurs, de prendre en considération les modifications qui sont intervenues dans le déroulement des fins de carrière. En effet, 15 % des retraités actuellement âgés de 60 à 64 ans ont été en préretraite, dont une majorité pour une durée supérieure à trois ans.

Je rappelle également qu'en 2002 un licenciement économique sur trois a concerné un salarié de plus de 50 ans.

C'est pourquoi, compte tenu de tous ces éléments qui montrent les difficultés des séniors à se maintenir sur le marché du travail au-delà de 55 ans, nous estimons aberrante votre persistance à vouloir supprimer la préretraite progressive et à limiter le champ du dispositif de la cessation anticipée d'activité.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, pour défendre l'amendement n° 338.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Cet amendement de suppression du III de l'article 12 est la conséquence des deux amendements précédents. Il témoigne de nos interrogations quant aux choix du Gouvernement de programmer l'extinction des préretraites progressives pour maintenir en activité les seniors.

Instituées dans un contexte économique et social particulier pour faire baisser les chiffres du chômage, les préretraites progressives, comme les autres dispositifs de pré-retraite, ont été considérées comme prioritaires par les politiques publiques de l'emploi et ont eu pour conséquence de faire baisser le taux d'emploi des seniors. Elles ont été largement utilisées par les entreprises comme une alternative au licenciement ou, devrais-je plutôt dire, comme un moyen déguisé de licencier à moindre coût, sauf, bien sûr, pour la collectivité, monsieur le ministre, qui prend en charge 90 % du coût de l'allocation de cessation d'activité. Pour avoir un ordre d'idée, 119 millions d'euros ont été inscrits à ce titre dans la loi de finances de 2003.

Les entreprises ont également eu recours à ces mesures d'âge pour rajeunir leur pyramide des âges et augmenter ainsi la productivité du travail.

Monsieur le rapporteur, vous tentez de nous convaincre, en citant des travaux récents de l'IRES ou de la DARES, du fait que la préretraite progressive est une mesure appréciée par les salariés, mais sans enjeux majeur, pour les dirigeants d'entreprise. Nous pensons, quant à nous, que la situation que vit aujourd'hui la France incombe en grande partie aux employeurs.

Certes, les salariés sont eux aussi demandeurs, mais il est facile de comprendre leurs raisons. Fort justement, l'enquête de l'IRES, dénommée « pénibilité et retraites », d'avril 2003, relève que « dans la plupart des entreprises, en particulier dans les plus petites, la préretraite progressive s'interprète aussi en creux comme une réponse à l'absence d'emplois alternatifs, moins pénibles par exemple ». Eh oui ! Nous touchons là à une quesion essentielle ! Si, demain, on souhaite que les quinquagénaires continent à prendre toute leur place sur le marché du travail, encore faut-il que l'emploi soit plus dynamique, mais aussi que les conditions de travail le leur permettent.

Monsieur le ministre, dans la mesure où votre politique en ce domaine se réduit à un simple appel à la responsabilité des entreprises, vous comprendrez que, en l'état, par défaut, bien que nous contestions le détournement des mesures d'âge par les entreprises qui se restructurent, nous ne pouvons accepter la suppression brutale d'une disposition qui concerne tout de même 48 139 allocataires, dont le nombre est amené à croître dans les prochains mois si rien n'est fait pour arrêter les licenciements.

En conséquence, mes chers collègues, je vous invite à adopter notre amendement.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 1113.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. C'est un amendement de coordination.

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, pour présenter l'amendement n° 339 rectifié.

Mme Odette Terrade. Le présent amendement a pour objet de supprimer le paragraphe IV de l'article 12.

Je souhaiterais m'arrêter un instant sur la question de l'inactivité des salariés âgés.

Sont classés dans la catégorie de la population inactive, selon le Bureau international du travail, toutes les personnes qui n'ont pas d'emploi et qui ne sont pas au chômage. Il faut savoir qu'au-delà de 50 ans 40 % des inactifs qui, après avoir perdu leur emploi, n'ont bénéficié ni de la retraite ni de la préretraite sont des hommes, et 68 % ont été licenciés en fin de carrière.

La décision de ne plus retravailler est souvent liée à l'approche de l'âge de la retraite.

Elle peut être prise aussi après une période de recherche d'emploi soit infructueuse, soit à des conditions d'embauche insatisfaisantes.

Il faut noter que les anciens ouvriers sont surreprésentés parmi ceux qui ont quitté leur dernier emploi pour des raisons de santé. Quelle que soit la cause de leurs problèmes de santé - qu'ils soient consécutifs ou non à l'exercice de leur métier -, ils se trouvent néanmoins dans l'incapacité de continuer à exercer une quelconque activité professionnelle, qui plus est si celle-ci est physiquement difficile.

Si, globalement, les inactifs sont plus âgés que les actifs, chômeurs compris, parmi ces inactifs ce sont les anciens ouvriers qui sont les plus âgés, puisque près des deux tiers ont plus de 50 ans.

La grande majorité de ces ouvriers inactifs assurent ne plus souhaiter travailler.

Il faut noter, par ailleurs, que c'est la seule catégorie d'inactifs dans laquelle il y a autant d'hommes que de femmes, alors que, tout au long de nos débats, nous n'avons cessé de noter les inégalités entre les hommes et les femmes face à la retraite.

Compte tenu de ces observations, vous comprendrez pourquoi nous sommes favorables au maintien des dispositifs de préretraite pour les plus de 55 ans, et la raison pour laquelle nous proposons cet amendement de suppression.

M. le président. L'amendement n° 1084 rectifié n'est pas soutenu.

La parole est à M. Guy Fischer, pour présenter l'amendement n° 340.

M. Guy Fischer. Cet amendement vise à supprimer les mesures de l'article 12 prévoyant de recentrer les dispositifs de cessation d'activité de certains travailleurs salariés, les « CATS », sur les salariés ayant exercé des activités pénibles.

Je m'explique, car ce positionnement pourrait être mal interprété.

Il est vrai que ces dispositifs qui, initialement, concernaient en premier lieu les salariés ayant des métiers postés ou en continu, notamment dans le secteur automobile, ont été largement ouverts à d'autres salariés. Les salariés des branches de la métallurgie, de la chimie, du textile, de la banque, du BTP, de la presse, l'utilisent désormais.

Par conséquent, il peut être légitime de s'interroger sur le recentrage des préretraites dans la mesure où, je le rappelle quand même, la signature d'une telle convention « CATS » ouvre droit à une exonération de cotisations sociales et à une prise en charge partielle de l'allocation par l'Etat.

Est-ce à l'Etat, à la collectivité, par conséquent aux salariés et aux chômeurs, de payer les politiques de management d'ajustement des effectifs des entreprises ? Sûrement pas !

Pour autant, il convient, là encore, de s'interroger sur les raisons motivant les salariés à vouloir partir le plus tôt possible : l'usure, la fatigue du travail, le stress des rapports au travail. Tant que les chefs d'entreprise ne se saisiront pas de la question du contenu du travail, de l'amélioration des conditions de travail, de la sécurisation des parcours professionnels des salariés, donc de la formation professionnelle, ces dispositifs auront lieu d'être.

Deuxième observation : le V de cet article a été complété à l'Assemblée nationale, sur l'initiative du Gouvernement, afin de préciser la portée de ces nouvelles dispositions sur les conventions « CATS » déjà conclues. Ces accords prévoient un peu plus de 47 000 départs d'ici à 2007, soit 75 000 personnes. Ne craignez-vous pas, monsieur le ministre, que les entreprises cherchent à accélérer le recours à ces préretraites avant que votre système n'entre pleinement en application ?

Dernière observation : nous ne savons pas si les conditions portant sur les entreprises, conditions nécessaires pour que l'Etat prenne en charge l'allocation versée aux salariés, seront, elles aussi, revues à la suite du recentrage prévu par le décret du 9 février 2000.

Par défaut, une nouvelle fois, puisque rien de précis n'est envisagé concernant les salariés exposés aux travaux pénibles pour leur permettre de partir avant 60 ans à la retraite, nous proposons le maintien des dispositions actuelles.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter les amendements n°s 227 et 228 et pour donner l'avis de la commission sur les amendements n°s 335, 336, 338, 339 rectifié et 340.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. L'amendement n° 227 vise à préciser les conditions d'entrée en vigueur de la réforme des dispositifs relatifs aux CATS. Son application est subordonnée à la publication d'un décret, mais en l'absence de décret, cette réforme serait effective un an après la publication de la loi. Ainsi semble-t-il préférable de supprimer purement et simplement le délai limite qui, en définitive, pose plus de problèmes qu'il n'en résout.

L'amendement n° 228 est un amendement de sécurité juridique.

Par ailleurs, la commission émet un avis défavorable sur les amendements n°s 335, 336, 338, 339 rectifié et 340, qui sont des amendements de suppression.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Fillon, ministre. Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 335, qui vise à supprimer l'article.

Il faut savoir ce que l'on veut ! En effet, depuis le début de ce débat, tout le monde a, semble-t-il, approuvé l'objectif du Gouvernement d'augmenter le taux d'activité des seniors. On peut douter, ici ou là, des mécanismes qui sont mis en oeuvre, mais un certain consensus se dessine sur cet objectif.

On ne peut pas à la fois vouloir augmenter le taux d'activité des seniors et laisser ouvert le robinet des préretraites et des cessations progressives d'activité. Le Gouvernement souhaite donc le rejet de l'amendement n° 335.

Il est également défavorable aux amendements n°s 336, 338, 339 rectifié et 340.

En revanche, il est favorable à l'amendement n° 1113, qui est un amendement d'ordre rédactionnel, ainsi qu'aux amendements n°s 227 et 228.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, je demande le vote par priorité de l'amendement n° 1113.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?

M. François Fillon, ministre. Favorable.

M. le président. La priorité est ordonnée.

Je mets aux voix l'amendement n° 1113.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, les amendements n°s 335 et 338 n'ont plus d'objet.

Je mets aux voix l'amendement n° 336.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 339 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 340.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 227.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 228.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, pour explication de vote sur l'article 12.

Mme Marie-Claude Beaudeau. L'article 12 supprime la préretraite progressive et limite le champ du dispositif de la cessation anticipée d'activité aux salariés ayant exercé des activités pénibles. Cependant, cet article vise, en fait, bien plus à décourager le recours aux préretraites d'entreprises et ne contient aucune mesure ferme pour encourager et élargir la cessation anticipée d'activité à tous les salariés concernés par la pénibilité.

Ainsi, monsieur le ministre, vous avez précisé dans l'exposé des motifs de l'article 12 que « les partenaires sociaux seront incités à négocier sur la pénibilité du travail, à la fois pour définir les métiers pénibles justifiant d'une cessation anticipée et pour s'efforcer de réduire la pénibilité ». Non seulement vous ne précisez pas les modalités « d'incitation » des partenaires sociaux dans ce sens, mais, de plus, à l'instar des négociations sur d'autres points, le risque est grand que celle-ci ne se prolonge inutilement dans le temps et ne soit pas engagée dans le sens d'avancées véritables pour les salariés.

Lors de la séance du 23 juin à l'Assemblée nationale, vous avez estimé, monsieur le ministre, que « aujourd'hui, à 55 ans, on n'est pas vieux, on n'est pas usé ». Vous avez même, pour illustrer votre propos, posé la question suivante : « Qu'y a-t-il de commun, dans le secteur de la métallurgie, entre l'ouvrier qui travaillait directement sur les pièces et celui qui, aujourd'hui, programme des automates qui font le travail à sa place ? »

La réponse est simple et tient en deux temps.

En premier lieu, tous les ouvriers de la métallurgie ne « programment » pas des « automates qui font le travail à leur place » : votre vision de ce secteur d'activité aujourd'hui me paraît un peu surréaliste, décalée, et bien improbable ! C'est un monde du travail sans peine que vous présentez, mais ce monde-là n'est pas encore advenu, et surtout pas dans la métallurgie !

En second lieu, la différence entre un ouvrier de la métallurgie d'il y a quelques années ou quelques décennies et un ouvrier d'aujourd'hui ne réside pas dans son état de santé, physique comme psychique.

Vous n'ignorez pas, mes chers collègues, que la métallurgie détient de bien tristes records : premier secteur en matière de maladies professionnelles ; deuxième secteur pour l'obligation faite d'utiliser des équipements de protection individuelle ; quatrième secteur en nombre d'accidents mortels ; septième secteur en matière de fréquence des accidents du travail, selon une enquête de la direction de l'animation, de la recherche et de la statistique, la DARES, sur les conditions de travail de 1998 ; enquête qui répertorie trente-six secteurs d'activité.

De même, 55 % des salariés de ce secteur sont exposés à des agents chimiques très toxiques ; 30 % sont soumis à des horaires alternants ; 58 % à de fortes nuisances sonores, selon une enquête du SUMER de 1994.

Au-delà du secteur de la métallurgie, mesurez-vous bien le caractère massif et dangereux de l'exposition de salariés à des travaux pénibles, et qui se renforce avec l'âge ? Les enquêtes SUMER et DARES précitées montrent bien la réalité de la nature difficile, précocement usante, pathogène du travail pour nombre de salariés, y compris au-delà de 50 ans. Ainsi, un salarié sur cinq âgés de plus de 50 ans est soumis à un effort physique pouvant comporter un risque pour sa santé, port de charges, postures difficiles, vibrations, contraintes articulaires. De même, 20 % au moins des salariés âgés de 50 ans ou plus travaillent dans un environnement pénible, que ce soit avec des produits cancérigènes ou dans les intempéries, la chaleur, le bruit, notamment.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Les plus exposés à ces conditions de travail sont les ouvriers, puis les employés, les professions intermédiaires et, enfin, les cadres. Le rapport de M. Yves Struillou, cité par M. le rapporteur, qui avait été remis au COR sur le thème « Pénibilité et travail » en avril 2003, détaille ainsi que 80 % des ouvriers sont soumis à trois ou plus des dix critères établis par l'auteur pour caractériser la pénibilité.

M. Alain Gournac. Pas tous !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Parmi les cadres, 10 % entrent dans cette catégorie de « trois critères au moins ». Or, nous savons tous que les moins aptes financièrement à choisir une cessation d'activité avant échéance normale sont les ouvriers qui, sinon, verraient leurs pensions subir une décote trop importante pour leur permettre de bénéficier d'une retraite suffisante. Il est donc tout à fait nécessaire de permettre à tous les salariés exposés à un travail pénible, usant, posté, dangereux, de nuit, pathogène, de partir en préretraite sans en être financièrement pénalisés.

Un tel dispositif existe, depuis peu, d'ailleurs, pour les victimes de l'amiante, mais ses modalités de fonctionnement ne permettent pas qu'en bénéficient tous les salariés qui devraient pouvoir partir en retraite anticipée du fait de leur exposition à l'amiante.

Vous vous souvenez de la longue lutte des femmes salariés d'Amisol, débutée en 1974, concernant l'amiante. Beaucoup de ces femmes sont mortes, depuis.

L'action dont elles ont pris l'initiative, refusant de choisir entre « le chèque et la justice » selon l'expression de leur présidente, Josette Roudaire, ancienne d'Amisol et présidente du comité anti-amiante, a permis de lancer une campagne de lutte - encore loin d'être achevée - visant à faire reconnaître la responsabilité du patronat et de l'Etat dans la catastrophe de l'amiante. L'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'ACAATA, créée pour permettre aux victimes de l'amiante de partir en retraite anticipée connaît aujourd'hui un champ trop restrictif pour que tous les salariés concernés puissent en bénéficier.

En refusant d'inscrire dans le champ du dispositif de nombreuses entreprises et secteurs concernés, vous refusez du même coup un départ anticipé, pourtant capital pour ces personnes. (Marques d'impatience sur les travées de l'UMP.)

De même, les montants de l'ACAATA sont insuffisants. (Rires sur les mêmes travées.)

Chers collègues, je ne trouve pas cela drôle, c'est même très triste.

Mme Odette Terrade. Les conditions de travail ne les intéressent pas !

M. Max Marest. C'est long !

M. Alain Gournac. C'est à côté de la question !

M. le président. Concluez, madame Beaudeau.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Donc, les montants de l'ACAATA sont insuffisants, car ils sont limités à 65 % du salaire.

M. Max Marest. Lisez-nous la Bible, plutôt !

Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est ainsi que plusieurs anciennes employées d'Amisol expliquent qu'elles ne peuvent pas partir en retraite anticipée, parce qu'elles n'ont pas les moyens de vivre avec 65 % du SMIC, alors qu'elles savent que leur vie est en danger les années qui viennent.

Les travaux pénibles, contraignants, postés, non seulement vieillissent et usent prématurément, mais induisent également des années de retraite souvente courtes, difficiles et douloureuses.

Les affections, troubles de la vue ou de l'ouïe, les TMS - troubles musculosquelettiques -, les lombalgies, les difficultés respiratoires viennent s'ajouter aux difficultés naturelles qui peuvent se poser lorsque tout être humain vieillit.

M. Dominique Braye. La chute des cheveux aussi !

Mme Marie-Claude Beaudeau. A ce propos, je termine mon intervention, monsieur le président, en citant cette phrase de Yannick Moreau, en avant-propos du rapport de M. Striullou, tout à fait représentative du cadre général dans lequel nous demandons cette retraite anticipée : « Il va de soi que la prise en charge de la pénibilité pour la retraite ne saurait dispenser d'une vigoureuse action d'amélioration des conditions de travail. »

M. François Fillon, ministre. C'est pour cela que nous proposons la « préretraite pénibilité » !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Et je trouve curieux, monsieur Braye, que vous ne m'ayez pas écoutée avec plus d'émotion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 12, modifié.

(L'article 12 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, par courtoisie, j'indique au Sénat que je demanderai, demain matin, la priorité pour les articles 14, 15 et 16, après l'article 13 bis .

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.