COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

COMMUNICATION RELATIVE

À UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le président. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2003 est parvenue à l'adoption d'un texte commun.

3

STATUT D'AUTONOMIE

DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE

Discussion d'un projet de loi organique

et d'un projet de loi déclarés d'urgence

 
 
 

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi organique (n° 38, 2003-2004) portant statut d'autonomie de la Polynésie française [Rapport n° 107 (2003-2004)] et du projet de loi (n° 39, 2003-2004) complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française [Rapport n° 107 (2003-2004)].

La conférence des présidents a décidé qu'il serait procédé à une discussion générale commune de ces deux textes.

Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme la ministre.

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire qui vous sont soumis sont la première traduction, sur le plan législatif, des nouvelles dispositions de l'article 74 de la Constitution, consacré aux collectivités d'outre-mer.

La loi constitutionnelle du 28 mars 2003, comme vous le savez, a supprimé la catégorie des territoires d'outre-mer, que les évolutions statutaires récentes avaient peu à peu vidée de sa substance, pour y substituer celle des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74, dont certaines peuvent être dotées de l'autonomie.

Ces collectivités d'outre-mer se caractérisent principalement par la grande souplesse qu'a ouverte le texte constitutionnel quant à leur régime législatif, qui peut osciller de la spécialité législative la plus étendue à la quasi-identité, quant à l'organisation de leurs institutions et quant à la répartition des compétences entre les collectivités et l'Etat, cette répartition des compétences pouvant conduire à autoriser ces collectivités à intervenir dans des domaines qui, en métropole, relèvent du législateur.

Les collectivités d'outre-mer de l'article 74 appartiennent par ailleurs aux collectivités territoriales de la République, dont elles forment une catégorie : les dispositions générales du titre XII leur sont donc pleinement applicables, et d'abord le principe de libre administration par une assemblée délibérante élue, mais aussi celui de la libre disposition de leurs ressources par les collectivités, l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre et la compensation des transferts de compétences par l'attribution de ressources équivalentes.

Le droit de pétition et le référendum décisionnel local ont également vocation à s'appliquer dans ces collectivités.

Le représentant de l'Etat, représentant de chacun des membres du Gouvernement, doit naturellement y exercer ses attributions de garant des intérêts nationaux et de la légalité administrative dans des conditions égales à celles qui prévalent en métropole.

La Polynésie française est un territoire d'outre-mer depuis 1946. Avec les statuts de 1976 et de 1984, elle a considérablement accru sa liberté d'action au sein de la République. La loi organique du 12 avril 1996 a pris acte de cette évolution en lui accordant un statut de très large décentralisation, qualifié « d'autonomie » par la loi organique elle-même.

C'est donc tout naturellement que le présent projet de loi organique accorde à la Polynésie française un statut d'autonomie en se fondant sur l'article 74 révisé de la Constitution, qui consacre désormais cette notion.

Le projet de loi organique accorde en conséquence à la Polynésie française le bénéfice de l'ensemble des dispositions ouvertes par l'article 74 aux collectivités qui sont qualifiées.

La Polynésie française, en demeurant régie par l'article 74, ne change pas de régime législatif : l'adoption du présent statut n'est donc pas subordonnée au consentement préalable des électeurs, laquelle n'est requise par la Constitution que dans le cas de changement du régime de l'article 74 vers celui de l'article 73, ou l'inverse.

Ainsi, les actes de l'assemblée délibérante qui interviennent dans le domaine de la loi seront soumis à un contrôle juridictionnel que la Constitution qualifie de « spécifique » et qui sera exercé directement devant le Conseil d'Etat.

En revanche, les autres délibérations de l'assemblée de la Polynésie française de même que les actes du gouvernenement local continueront de relever du régime contentieux de droit commun, qui est celui des actes administratifs ordinaires.

La Polynésie française pourra également voir ses compétences protégées contre des empiètements subreptices du législateur qui interviendraient postérieurement à l'adoption du présent statut. Dans l'état actuel du droit, une loi promulguée et contraire à la répartition des compétences résultant de la loi organique antérieure ne peut pas être remise en cause. Désormais, le Conseil constitutionnel, saisi par les autorités locales, pourra constater un tel empiètement et « déclasser » les dispositions litigieuses, qui pourront ainsi être modifiées par l'assemblée de la Polynésie française.

Dans les domaines, très sensibles localement, de l'emploi, de l'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle et de la protection du patrimoine foncier, l'article 74, dixième alinéa, autorise une collectivité d'outre-mer à prendre des mesures justifiées par les nécessités locales en faveur de sa population.

Les articles 18 et 19 du projet de loi organique mettent en oeuvre ce principe. Il reviendra à la Polynésie française de justifier, pour chaque secteur ou type d'activité, les critères objectifs et rationnels qui fondent les mesures envisagées.

En matière foncière, c'est un droit de préemption qui pourra s'exercer à l'égard de certaines transactions entre vifs, ce qui exclut évidemment les transactions par héritage.

Dans tous les cas, les « nécessités locales », selon une formulation issue de la Convention européenne des droits de l'homme, devront donc être explicitement précisées sous le contrôle du juge, à qui il appartiendra de se prononcer sur la constitutionnalité des mesures prises, concernant tant la réglementation générale que l'application individuelle, ainsi que sur leur conformité aux engagements internationaux de la France.

La Polynésie française pourra également participer, sous le contrôle de l'Etat, à l'exercice de certaines compétences dites « régaliennes », que l'Etat se doit de conserver en application de la Constitution.

Le projet de loi organique définit les modalités de cette procédure nouvelle de participation. Il en fixe le champ d'application : édiction de normes, y compris dans le domaine législatif ; missions de sécurité publique ; constatation et recherche des infractions ; politique étrangère. Il définit également les modalités selon lesquelles s'exerce le contrôle de l'Etat sur les actes de la Polynésie française dans ces matières.

Ainsi qu'il a été dit lors des débats qui ont précédé l'adoption de la loi constitutionnelle, ce contrôle pourra s'exercer pour des motifs de légalité comme pour des motifs de pure opportunité.

Ainsi, dans le domaine normatif, les propositions de la Polynésie française relevant du champ législatif ou réglementaire, qui ne pourront d'ailleurs porter que sur les matières limitativement énumérées à l'article 31, devront être approuvées par décret.

Le Gouvernement vous proposera un amendement prévoyant en outre une obligation de ratification expresse par le Parlement, dans le délai de dix-huit mois, des décrets approuvant un acte local intervenant dans le domaine de la loi.

De la sorte, la Polynésie française pourra plus facilement obtenir l'adoption de règles destinées à permettre la recherche et la constatation des infractions de police spéciales, sous la réserve, essentielle, que ces règles respectent les garanties accordées sur l'ensemble du territoire nationale en matière de libertés publiques. Les agents de la Polynésie française qui participeront à de telles missions de recherche et de constatation des infractions devront être agréés par l'autorité judiciaire et assermentés.

Ainsi sera réglée la question, récurrente et frustrante, de l'inapplication des réglementations locales par défaut de transposition des règles nécessaires par les autorités de l'Etat, cette inaction de l'Etat alimentant d'ailleurs un vain débat sur des demandes, sans cesse croissantes, de transferts de compétences.

Dans le domaine de la sécurité publique, les agents de la Polynésie française pourront intervenir sur le terrain sur la seule initiative du haut-commissaire de la République, sous l'autorité opérationnelle des autorités de la police nationale ou de la gendarmerie, dans des conditions strictement encadrées.

Dans le domaine de la politique étrangère, le projet de loi permet d'associer la Polynésie française aux procédures de conclusion des engagements internationaux de la France, y compris dans le champ des compétences de la Polynésie française. Les engagements internationaux ainsi conclus seront ensuite soumis aux procédures d'approbation ou de ratification prévues par la Constitution.

Le projet de loi procède, par ailleurs, à l'extension des compétences propres de la Polynésie française dans les domaines suivants : en droit civil, avec le transfert aux autorités locales des matières autres que celles qui sont liées à l'état des personnes, à l'autorité parentale et aux régimes matrimoniaux en droit commercial et en droit du travail, matières dans lesquelles les compétences sont intégralement transférés à la Polynésie française ; en matière de liaisons aériennes, de statut des navires ou de sécurité maritime. Il n'est procédé, dans le sens inverse, qu'au retour vers l'Etat de la protection judiciaire de la jeunesse, et cela à la demande des autorités locales.

De façon générale, le projet de loi organique s'efforce de trancher les difficultés créées à la suite d'interprétations jurisprudentielles peu favorables à l'autonomie territoriale en précisant ou en réécrivant les dispositions législatives antérieures qui le nécessitent.

Outre le mécanisme, précédemment décrit, de protection des compétences de la Polynésie française par le Conseil constitutionnel, le projet de loi organique accroît donc considérablement les compétences locales.

Pour autant, l'Etat ne se dessaisit pas de ses compétences les plus éminentes, notamment dans le domaine des droits et libertés.

Ainsi l'article 14 apporte-t-il d'utiles précisions quant aux attributions du Médiateur de la République ou du Défenseur des enfants, quant à la sécurité et à l'ordre publics, ou encore dans le domaine de la défense nationale. De même, les compétences de l'Etat en matière communale sont davantage explicitées.

Le transfert à la Polynésie française du droit commercial ne fera pas obstacle à ce que l'Etat, compétent par ailleurs en matière bancaire, continue de fixer les obligations applicables en matière de lutte contre le blanchiment et la circulation illicite des capitaux.

Le contrôle de légalité pourra s'exercer dans de meilleures conditions, avec la fixation d'une liste d'actes soumis à l'obligation de transmission au haut-commissaire de la République, liste qui n'existe pas aujourd'hui. Le référé-suspension sera désormais applicable dans le cadre du contrôle de légalité ; il aura un effet suspensif de plein droit dans certaines matières tel l'urbanisme, comme c'est le cas en métropole depuis 1993. Le déféré « défense nationale », qui n'existait pas, est également étendu. Les pouvoirs de contrôle de la chambre territoriale des comptes sont alignés sur ceux qui résultent, pour la métropole, des évolutions législatives les plus récentes.

Dans le domaine de la démocratie locale, l'équilibre général des institutions locales n'est pas bouleversé par rapport au statut du 12 avril 1996.

Ainsi les conditions d'exercice de la vie politique locale sont-elles modernisées, pour rejoindre le droit commun des collectivités territoriales : le droit à l'information des membres de l'assemblée est clairement proclamé, de même qu'est reconnu le droit de créer des groupes politiques, dont les moyens seront précisés dans le règlement intérieur. A la différence du statut actuel, la commission permanente ne pourra plus se voir renvoyer, durant l'intersession, les textes intervenant dans le domaine de la loi. Ceux-ci ne pourront être adoptés que dans le cadre d'une procédure solennelle, à la majorité absolue des membres de l'assemblée.

Les membres de l'assemblée devront être informés, dans les meilleurs délais, des décisions juridictionnelles administratives ou judiciaires intéressant la légalité des actes des institutions de la Polynésie française.

Le Conseil économique, social et culturel pourra désormais se saisir pour avis de tous les textes, y compris ceux en discussion devant l'assemblée de la Polynésie française, ce qu'il ne pouvait pas faire précédemment. Sa composition et ses règles de fonctionnement seront fixés par l'assemblée de la Polynésie française et non plus par des arrêtés du conseil des ministres.

Le nombre d'élus requis pour le dépôt d'une motion de censure est abaissé.

Les droits des élus de Polynésie française sont ainsi confortés comme ils ne l'ont jamais été précédemment.

Le référendum local décisionnel et le droit de pétition des électeurs sont instaurés.

Il me faut également mentionner les communes de la Polynésie française, auxquelles le projet de statut accorde une place considérable et dont il renforce clairement les compétences et modernise l'organisation.

Dès lors que la Polynésie française exerce une compétence de droit commun, et l'Etat une compétence d'attribution, il importait que soit garantie aux communes une « réserve minimale de compétences » qui soit opposable aux autorités territoriales.

Une fiscalité directe assurant des ressources propres aux communes pourra être instaurée par la Polynésie française. De même, les communes pourront désormais se voir déléguer l'exercice de diverses compétences dans le domaine de l'énergie, de l'assainissement ou de l'urbanisme. Le projet de loi organique donne ainsi toute sa portée, en Polynésie française, au principe constitutionnel qui prohibe toute tutelle d'une collectivité sur une autre.

Le projet de la loi ordinaire habilite le Gouvernement à compléter le code général des collectivités territoriales pour y insérer les dispositions relatives aux communes de la Polynésie française : l'actuel code des communes appliqué localement, incomplet et obsolète, sera donc remplacé par un cadre juridique modernisé qui alignera les communes polynésiennes sur le régime communal de droit commun avec, notamment, la transformation de la tutelle, toujours en vigueur, en contrôle juridictionnel a posteriori.

Les agents des communes se verront dotés d'un statut qui garantira leurs droits et aussi la neutralité des règles de recrutement.

La Constitution révisée permet de prendre en compte les légitimes aspirations des Polynésiens à se gouverner librement dans le cadre de la République. Elle autorise les plus larges transferts de compétence, étant entendu toutefois que les matières dites « régaliennes » sont sanctuarisées au profit de l'Etat et que, si celui-ci peut en déléguer l'usage, c'est toujours sous son étroit contrôle.

Ainsi, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le présent projet de loi organique et le projet de loi ordinaire qui le complète procèdent, dans le respect des dispositions de la Constitution révisée par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, à une profonde modernisation du cadre statutaire de la Polynésie française, dont l'autonomie au sein de la République est tout à la fois consacrée, étendue, protégée et encadrée.

C'est bien naturel, s'agissant d'une collectivité située à 20 000 kilomètres de la métropole, et dont la population, pour être profondément attachée à la République, n'en est pas moins, et c'est complètement légitime, soucieuse de préserver ses traditions, sa culture et sa langue.

Les projets de loi soumis à votre délibération confortent la place de la Polynésie française comme partie intégrante de la République, nominativement désignée à l'article 72-3 de la Constitution, qui consacre solennellement cette appartenance, à laquelle seule une révision de la Constitution pourrait désormais mettre fin.

A la différence du statut qui aurait pu voir le jour si le projet de révision constitutionnelle adopté par les deux assemblées dans les mêmes termes en 1999 avait été ratifié, la Polynésie française, même dotée de l'autonomie la plus large, demeure une collectivité territoriale régie par le titre XII de la Constitution : elle ne fait pas l'objet de dispositions particulières.

Ses compétences s'exercent dans le respect des principes de l'unité de l'Etat, y compris - et surtout - en matière internationale.

Les citoyens français qui résident en Polynésie française pourront sans doute bénéficier de mesures de protection particulières, prévues par l'article 74. Mais, à la différence de la « citoyenneté » locale envisagée par le projet précédent, ces mesures n'ont rien d'automatique et, je l'ai déjà souligné, elles devront être justifiées par les nécessités locales.

On s'est donc radicalement éloigné d'un mécanisme d'exclusion au profit d'une logique de protection. La notion de « citoyenneté locale » n'a d'ailleurs pas de sens dans notre tradition républicaine et, si elle existe en Nouvelle-Calédonie, il convient de rappeler que c'est seulement à titre transitoire, dans le cadre d'un processus politique particulier limité à ce territoire et fondé sur la restriction du droit de suffrage.

Telle est donc l'inspiration qui a présidé à l'élaboration des deux projets de loi qui vous sont soumis et sur lesquels la commission des lois du Sénat a accompli un travail tout à fait remarquable. Je tiens à en remercier tous ses membres et particulièrement son rapporteur, M. Lucien Lanier. La commission vous propose d'apporter des corrections avec lesquelles le Gouvernement est très largement d'accord, je puis d'ores et déjà vous l'indiquer, monsieur le président.

Ce dernier projet de statut d'autonomie de la Polynésie française permettra à cette collectivité d'outre-mer de se gouverner librement et démocratiquement dans le cadre de la République. Il consacre ainsi, à un degré rarement atteint, une décentralisation particulièrement avancée, justifiée pour un territoire très éloigné de la métropole, mais passionnément attaché à la République. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Lucien Lanier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique qui nous est soumis est, à juste titre, intitulé : statut d'autonomie de la Polynésie française.

Il s'agit, en effet, de doter la Polynésie française d'une autonomie renforcée, répondant ainsi au souhait de cette « collectivité d'outre-mer », appellation qui se substitue, aux termes de l'article 74 de la Constitution, à l'appellation « territoires d'outre-mer » et qui en fait un pays d'outre-mer au sein de la République, comme l'indique l'article 1er du projet de loi.

Il s'agit également de l'accomplissement - et ce n'est probablement pas le dernier - d'une longue suite de textes qui, depuis l'ère coloniale, ont veillé judicieusement, et par paliers successifs et progressifs, à ce que les institutions polynésiennes épousent leur temps et répondent pareillement au voeu de la plus grande majorité de la population polynésienne de garder la citoyenneté française.

Parmi les plus significatifs de ces textes, citons la loi du 12 juillet 1977 créant l'autonomie administrative et financière, la loi du 6 septembre 1984 précisant l'autonomie interne dans le cadre de la République française, les lois de juillet 1990 et février 1995 renforçant les compétences propres du territoire et ses institutions, enfin, et surtout, le statut de 1996 adopté par la voie de la loi organique du 12 avril 1996, loi organique désormais nécessaire depuis la révision de l'article 74 de la Constitution.

Cette loi organique renforçait les transferts de compétence, mais innovait en consolidant les conditions de contrôle par la saisine du Conseil d'Etat, soulignant ainsi, et je souhaite attirer toute votre attention sur ce point, le caractère administratif des actes des institutions polynésiennes.

Le statut de 1996 marquait une avancée très importante, mais rendue insuffisante encore aux yeux, non seulement des autorités polynésiennes, mais de tous ceux qui ont en charge la continuité des progrès de cette autonomie en Polynésie. En effet, la réforme constitutionnelle de 1998, grâce à un titre XIII, permettait à la Nouvelle-Calédonie de devenir une collectivité sui generis, contrôlée directement par le Conseil constitutionnel.

C'est pourquoi, en 1999, le Gouvernement prépara un nouveau projet de réforme constitutionnelle, incluant un nouveau titre XIV à l'article 74, concernant spécifiquement la Polynésie française, comme cela avait été fait pour la Nouvelle-Calédonie. Mais le Congrès auquel devaient être soumis ces textes fut reporté sine die, pour des raisons très indépendantes d'ailleurs, laissant ces projets sans suite.

En revanche, le 28 mars 2003, la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République consacre par son article 74 une nouvelle catégorie juridique sous le vocable de « collectivités d'outre-mer », à laquelle se rattache la Polynésie française. Cet article 74 permet d'élaborer, je dirais « à la carte », des statuts différents au regard de la spécificité et des aspirations de chacune des collectivités d'outre-mer. Ces statuts relèvent, nous l'avons dit, de la loi organique qui, pour les collectivités dotées de l'autonomie, doit prévoir les conditions d'un contrôle juridictionnel spécifique, devant le Conseil d'Etat, sur certains actes concernant les matières relevant en métropole du domaine de la loi.

Ce point est important, car il convient, ainsi que l'a voulu le Sénat, lors de la réforme constitutionnelle de mars 2003, de trancher clairement pour déterminer quelle autorité juridictionnelle serait chargée du contrôle des actes.

Comme le rappelait alors le président de la commission des lois, René Garrec : « Les actes pris par l'Assemblée délibérante de la collectivité, dans les domaines relevant en métropole du domaine de la loi, demeurent des actes de nature réglementaire, ce qui prédispose le Conseil d'Etat à en être le juge naturel. »

De plus, la notion de « loi du pays », citée dans plusieurs articles du projet de loi organique que nous étudions, a été expressément consacrée par la Constitution dans son titre XIII au profit de la Nouvelle-Calédonie. Ce n'est pas le cas des lois du pays de la Polynésie française, qui semblent ainsi conserver un caractère réglementaire. Citons encore le président de la commission des lois, René Garrec, qui déclarait lors du débat constitutionnel : « Dans la Constitution, le mot loi n'est utilisé que pour désigner les actes pris par le Parlement. »

Cela méritait d'être précisé pour mieux comprendre les différents aspects du projet de loi organique et du projet de loi ordinaire qui le complète.

Quels sont les principaux aspects du projet de loi organique ?

Pas moins de 7 titres et de 198 chapitres inscrivent ce statut dans la continuité des évolutions institutionnelles de la Polynésie française, dont la tendance essentielle est bien d'instaurer une autonomie renforcée en confirmant et en préservant les acquis, mais aussi en transférant de nouvelles compétences, en clarifiant la répartition de ces compétences entre l'Etat et la collectivité d'outre-mer, en consolidant le rôle des communes, enfin, en précisant les conditions d'une action internationale.

Ces nouvelles compétences sont traitées au titre III du projet de loi organique. Elles portent sur le droit civil, le droit du travail, les principes fondamentaux des obligations commerciales, la circulation maritime et les liaisons aériennes, sous certaines réserves. C'est ainsi que les biens liés à l'aménagement et à l'entretien de l'aérodrome de Tahiti sont transférés, à l'exception des installations militaires et de la piste partagée par les vols civils et militaires.

Le principe de la compensation des charges correspondantes à l'exercice des compétences est garanti. Mais l'autonomie s'apprécie également au regard du renforcement des institutions.

D'abord de nouveaux vocables apparaissent dans le projet de loi organique. La Polynésie n'est plus un territoire d'outre-mer, mais « un pays d'outre-mer » au sein de la République. La collectivité remplace le territoire. Les conseillers territoriaux sont désormais les représentants à l'assemblée de la Polynésie française. De même, le président du gouvernement devient président de la Polynésie française. Avec le gouvernement, « il détermine et conduit la politique de la Polynésie française ». Le président, élu par l'assemblée de la Polynésie française, peut désormais être choisi hors du sein de l'assemblée dans le cadre d'un scrutin à deux tours. Il est élu pour la durée même de l'assemblée.

Ensuite, les recours contre les actes relatifs à la composition du gouvernement sont soumis en premier et dernier ressort au Conseil d'Etat, et non plus au tribunal administratif.

Enfin, un rôle accru est donné à la démocratie participative par l'organisation du droit de pétition et le référendum décisionnel.

Sont également étendues, sous certaines conditions, les responsabilités internationales de la République.

Le président peut, aux termes du projet, participer aux négociations avec l'Union européenne, pour les domaines relevant de la compétence de la Polynésie française. Il peut également adhérer à des organisations régionales du Pacifique et avoir, de sa propre initiative, des représentations à l'étranger, sans aucune limite géographique.

Toutefois, il faut noter un grand progrès pour les communes. Elles seront titulaires de nouvelles compétences et auront une véritable fiscalité. De plus, le personnel communal sera doté d'un statut adapté à la situation. Les bases sont ainsi établies vers un début, prudent il est vrai, d'autonomie communale.

Les avancées du projet de loi organique vers une autonomie renforcée traduisent les possibilités offertes par l'article 74 de la Constitution, modifiée le 28 mars 2003.

Quatre innovations dominantes en sont la traduction.

Premièrement, la collectivité peut participer, sous le contrôle de l'Etat, à des compétences régaliennes. Le principe de participation tend à se substituer à la simple association. Il est vrai que le champ de matières concernées est strictement délimité, et l'initiative de la collectivité d'outre-mer est soumise au contrôle préalable de l'Etat et est subordonnée à un décret d'approbation. Le contrôle de l'Etat s'exerce donc a priori et a posteriori.

Deuxièmement, la Polynésie française peut adopter des mesures de préférence locale, c'est-à-dire justifiées par les besoins locaux. Elles concernent le soutien et la promotion de l'emploi local, lié à certains secteurs d'activité. Le critère retenu est une durée suffisante de résidence, qui sera fixée par les lois du pays. A égalité de mérites, de telles mesures sont appliquées pour l'accès aux emplois de la fonction publique. Cette préférence locale concerne aussi la protection du patrimoine foncier et l'exercice d'un droit de préemption des autorités polynésiennes. Un tel principe se justifie par l'étroitesse du marché du travail, dans l'immensité géographique qui caractériste les archipels composant la Polynésie française, et par la nécessité de préserver les équilibres économiques et sociaux.

Troisièmement, sur le fondement de l'article 74 de la Constitution, le projet de statut introduit une procédure de déclassement, devant le Conseil constitutionnel, de toutes dispositions législatives concernant la compétence de la Polynésie française.

Quatrièmement, les « lois du pays » et le contrôle du Conseil d'Etat sont également une innovation. Le vocable « lois du pays » apparaît dès le préambule du projet de loi organique. Mais il n'est défini explicitement que dans deux articles. L'article 139 précise la désignation de ces actes, leur procédure d'adoption et leur contrôle juridictionnel par le seul Conseil d'Etat, et non par le Conseil constitutionnel, auquel a contrario peut avoir recours la Nouvelle-Calédonie, puisque le titre XIII de la Constitution confère nommément à ces lois du pays, et dans certaines matières, une valeur législative. L'article 176 dispose que la conformité des actes est prononcée par le Conseil d'Etat au regard des principes généraux du droit.

C'est par référence à ces articles 139, 176 et suivants qu'est défini le contrôle juridictionnel spécifique des « lois du pays ». La Constitution ne confère pas le même droit juridique à la Polynésie française, et les actes dits lois du pays conservent un caractère administratif sur lequel le seul Conseil d'Etat peut exercer un contrôle juridictionnel.

Ainsi, toute interprétation des lois du pays en Polynésie française risquerait d'entraîner un recours devant le Conseil constitutionnel qui, s'il était retenu, hypothéquerait sérieusement la plus grande part ou, tout au moins, une part très importante du projet qui nous est soumis. Pour ma part, je ne souhaiterais pas engager le Sénat dans cette voie.

Un projet de loi ordinaire complète le statut d'autonomie de la Polynésie française : 26 articles répartis en 9 titres traitent essentiellement de l'action de l'Etat et de ses fonctionnaires en Polynésie, des relations de l'Etat et des communes, des fonctionnaires communaux et de la création d'un tribunal foncier.

La discussion des nombreux amendements permettra à la commission des lois de préciser sa position, afin d'inscrire au mieux l'évolution statutaire la plus efficace, dans le respect de l'esprit, mais aussi de la lettre de la Constitution qui bride beaucoup, reconnaissons-le, l'épanouissement d'un processus pour lequel certains nourrissaient une plus grande ambition.

Mais tel que vous propose de l'adopter la commission des lois, avec toute la prudence indispensable, ce projet de loi organique très riche marquera une avancée dans l'histoire de la Polynésie française. Surtout, il offrira un aspect exemplaire de l'aboutissement voulu, et jamais fermé, de la paix française. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 51 minutes ;

Groupe socialiste, 28 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 13 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 12 minutes.

Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les deux projets de loi aujourd'hui en discussion sont attendus par les populations polynésiennes. Il s'agit d'une avancée vers plus d'autonomie. Ce souhait partagé par les Polynésiens correspond à cette volonté de donner un meilleur avenir aux 245 000 habitants qui peuplent les 118 îles composant la Polynésie française.

Les récents débats sur le référendum local ont montré que l'avenir des îles ultramarines ne pouvait être envisagé sans le consentement des citoyens. Dans le cas qui nous occupe aujourd'hui, le peuple polynésien ressent cette nécessité de s'impliquer davantage dans la gestion des affaires locales. L'objectif de ce texte est de donner les moyens de réussir et d'assumer les responsabilités de cette ambition légitime, et nous nous en félicitons.

Le nouvel article 74 de la Constitution, issu de la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, offre aux collectivités d'outre-mer un certain nombre d'instruments leur permettant d'adapter l'organisation et le fonctionnement de leurs institutions, leur législation et leur réglementation en fonction de leurs intérêts propres et des spécificités de chacune de ces collectivités.

Ainsi, la loi organique reprend, point par point, cet article 74 de la Constitution pour l'appliquer en Polynésie. Ainsi, le troisième alinéa dudit article dispose que la loi organique peut fixer « les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables ».

La présente loi organique prévoit que tout acte de nature législative ou réglementaire n'est applicable en Polynésie que s'il comporte une mention expresse d'applicabilité.

Le cinquième alinéa de l'article 74 de la Constitution prévoit en outre que la loi organique fixe « les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la collectivité ». Ainsi, le titre IV du présent projet de loi organique traite des institutions de la Polynésie française, c'est-à-dire du président, du gouvernement, de l'assemblée délibérante, du conseil économique et culturel, ainsi que du haut conseil de la Polynésie française.

Le sixième alinéa de l'article 74 de la Constitution dispose que la loi organique pourra déterminer « les conditions dans lesquelles les institutions de l'outre-mer sont consultées sur les projets et propositions de loi et les projets d'ordonnance ou de décret comportant des dispositions particulières à la collectivité, ainsi que sur la ratification ou l'approbation d'engagements internationaux conclus dans les matières relevant de sa compétence ».

Pour la Polynésie, les modalités de la consultation de l'assemblée polynésienne sur ces mêmes textes sont précisées. Par ailleurs, le gouvernement de la Polynésie est consulté sur les projets de décrets qui comportent des dispositions spécifiques à la Polynésie française ainsi que sur certains traités ou accords internationaux.

J'arrêterai là mon énumération, mais le présent texte reprend les autres dispositions de l'article 74 de la Constitution, à savoir l'exercice de compétences régaliennes de l'Etat, l'adoption de mesures préférentielles, notamment en matière d'emploi, le droit de modifier ou d'abroger des lois postérieures au présent statut et la mise en place d'un contrôle juridictionnel spécifique.

En résumé, nous approuvons le texte de ce projet qui constitue le prolongement logique et attendu de la récente réforme constitutionnelle. Pour autant, ce texte nous amène à vous exposer, madame la ministre, quelques préoccupations.

Trois exigences nous semblent devoir être confirmées. La première est l'exigence de ce débat démocratique. La deuxième est le respect de l'équilibre des pouvoirs, qui est la base de toute démocratie. La troisième est le maintien du lien entre ces territoires et la République qui reste indivisible.

Sur le premier point, nous formulons le voeu que l'assemblée délibérante de Polynésie puisse organiser ces débats dans les meilleures conditions possibles, et je souhaiterais, madame la ministre, que vous nous rassuriez sur ce sujet.

Sorte de texte constitutionnel, le projet de loi organique comprend des dispositions organisant les institutions de la Polynésie française. Puisque les institutions de ces territoires comportent de nombreux attributs, il convient de garantir l'équilibre des pouvoirs entre les institutions, c'est-à-dire l'assemblée, l'exécutif de la Polynésie et son président.

Je m'étonne enfin des différences de vocabulaire dans le texte. Par exemple, les expressions de « pays d'outre-mer » et de « lois du pays » sont utilisées pour dénommer les actes de l'assemblée territoriale. Je ne comprends pas pourquoi nous n'avons pas repris la notion constitutionnelle de collectivité d'outre-mer. Pouvez-vous, madame la ministre, nous apporter des précisions sur ce sujet en nous garantissant, bien sûr, le lien fondamental entre la France et cette nouvelle collectivité d'outre-mer ?

La notion de « loi du pays » ne nous semble pas tout à fait appropriée dans la mesure où il s'agit d'actes de nature réglementaire dont le contrôle juridictionnel est assuré par le Conseil d'Etat. Nous pensons que cette expression peut créer une confusion.

Plus globalement, ce texte doit nous faire réfléchir sur les nouveaux liens à construire entre cette collectivité d'outre-mer et la France métropolitaine. En conduisant cette réforme de la décentralisation, on a pris en compte la diversité des territoires. Mais peut-être faudrait-il repenser les nouveaux rapports à structurer entre la République et ces territoires d'outre-mer.

Pour conclure, je citerai une phrase d'un éminent constitutionnaliste qui résume parfaitement le sentiment partagé par l'ensemble des sénateurs de mon groupe : « Il est excellent que l'organisation décentralisée de la République ait ouvert la voie à la diversité. Mais peut-être est-il d'autant plus regrettable que ces capacités nouvelles n'aient pas été plus profondément pensées, plus longuement expliquées, plus largement débattues. » (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gaston Flosse.

M. Gaston Flosse. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c'est un jour particulièrement important pour la Polynésie française. Il s'agit en effet de l'aboutissement d'un long processus de réformes institutionnelles qui ont permis de faire naître et de développer l'autonomie d'un territoire, et désormais un pays.

La construction de l'autonomie s'est faite pas à pas, patiemment, depuis 1984, année au cours de laquelle, pour la première fois, un exécutif entièrement élu a succédé à la toute-puissance du gouverneur.

Ne croyez pas, mes chers collègues, que ce fut une partie de plaisir. Mais ceux, dont je fais partie, qui ont eu l'honneur de diriger le gouvernement élu avaient la volonté de réussir le défi de l'autonomie. Nous avons donc appris, et nous avons su assumer la pleine responsabilité politique de nos actes.

Mes chers collègues, si nous sommes réunis aujourd'hui pour faire encore progresser l'autonomie de la Polynésie, c'est parce que les élus polynésiens ont démontré qu'elle était un bon système de gouvernement. Et si nous y avons réussi, c'est bien parce que nous n'avons jamais voulu obtenir plus de compétences que celles que nous pouvions assumer.

Le Parlement, conscient de ce que les responsables élus de la Polynésie exerçaient les compétences qui leur étaient attibuées avec sérieux, avec sens des responsabilités, et avec des résultats évidents, a toujours soutenu cette évolution.

Comme Jacques Chirac, mes chers collègues, vous aviez compris que l'autonomie était le meilleur rempart contre l'indépendance. Les Polynésiens ne veulent pas de l'indépendance. C'est une des raisons pour lesquelles, depuis 1991, ils me renouvellent sans cesse leur confiance.

Je l'ai dit à maintes reprises : nous sommes d'autant plus fiers d'être français que nous sommes fiers d'être polynésiens.

La dernière évolution de notre statut date de 1996. Vous vous souvenez que certains de nos souhaits s'étaient heurtés aux limites qu'opposait alors la Constitution, et que de nouveaux progrès de l'autonomie étaient renvoyés à une réforme constitutionnelle ultérieure.

En 1999, vous avez voté une loi constitutionnelle, comme l'a rappelé M. le rapporteur dans son excellent rapport, qui correspondait à cet objectif.

Malheureusement, le Congrès n'a pas pu être réuni, pour des questions qui n'avaient rien à voir avec le texte concernant la Polynésie. Tout projet de loi organique devenait alors sans objet.

Il a fallu attendre près de quatre ans pour que, le 28 mars 2003, la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République ouvre à nouveau la possibilité d'inscrire l'autonomie de la Polynésie dans la Constitution.

Nous voici donc devant le projet de statut découlant de la loi constitutionnelle. J'en commenterai rapidement les points qui nous paraissent essentiels, et qui sont acquis dans ce texte.

La Polynésie obtient de nouvelles compétences et celles qui restent à l'Eat sont énumérées de manière plus précise que par le passé. Nous éviterons ainsi que les tribunaux administratifs n'interprètent les textes de manière extensive, presque toujours au détriment des actes des institutions polynésiennes.

Je ne reviendrai pas sur la présentation très complète de Mme la ministre. Je me bornerai à dire que ces nouvelles compétences sont destinées à améliorer nos capacités d'action sur notre développement. J'insisterai surtout sur les améliorations considérables apportées à la mise en oeuvre des compétences de nos institutions.

Tout d'abord, nous avions depuis toujours demandé que la Polynésie française soit considérée comme une collectivité particulière de la République. Le projet nous donne satisfaction sur ce point puisque la Polynésie française est devenue, aux termes de l'article 1er du projet de statut, un pays d'outre-mer qui se gouverne librement et démocratiquement. La justification d'une telle définition se trouve non seulement dans une tradition qui remonte au protectorat exercé par la France, mais surtout dans l'effet de la distance : on ne dirige pas une communauté aussi lointaine comme une région ou un département métropolitain. La décentralisation, dans un tel cas, prend une dimension particulière, qui ne saurait être appliquée à d'autres collectivités sans modification.

En deuxième lieu, nous devions préserver les compétences qui nous sont attribuées et qui, jusque-là, étaient à la merci d'un accord international ou même d'une loi.

Le projet qui nous est soumis règle définitivement le problème des empiètements éventuels de la loi, et il améliore la situation en matière de négociations internationales. En effet, il associe mieux qu'avant la Polynésie aux négociations des accords internationaux menées par la France. Mais, surtout, il permet à la Polynésie d'avoir des initiatives internationales autonomes dans le domaine de ses compétences. Bien entendu, ces initiatives sont totalement compatibles avec les engagements internationaux de la République.

En ce qui concerne les lois de la République, si dans l'avenir l'une d'entre elles venait empiéter sur les compétences qui nous sont dévolues, nous pourrons le faire constater par le Conseil constitutionnel, et notre assemblée pourra dès lors modifier ou même abroger la loi dans ses effets en Polynésie française.

En troisième lieu, le projet va dans le sens de la consolidation juridique des textes votés par l'assemblée de Polynésie française. Il met en place un dispositif nouveau de préparation des projets et des propositions de loi du pays avec l'instauration d'un haut conseil consultatif. Il instaure surtout un contrôle juridictionnel spécifique, en application de l'article 74 de la Constitution.

Je rappellerai à cet égard la déclaration du garde des sceaux à cette tribune le 29 octobre 2002 : les « actes pris par la collectivité dans le domaine de la loi (...) ne se verront opposer que les normes elles-mêmes opposables au Parlement, c'est-à-dire le "bloc de constitutionnalité" et les engagements internationaux ». Je crois, mes chers collègues, qu'il faut être cohérent dans ce domaine et voir que nous avons créé une catégorie d'actes spécifiques ayant « une force juridique supérieure aux règlements ordinaires », comme l'ajoutait Dominique Perben le même jour.

Je regrette toutefois que nous ne soyons pas en état aujourd'hui de donner une définition claire des lois du pays. Je suis persuadé qu'il faudra y arriver dans l'avenir - je suis patient, j'attendrai ce jour-là - pour asseoir l'autonomie sur une base définitive.

A ce point de mon intervention, je voudrais faire justice à une critique de l'opposition. Celle-ci voudrait nous faire croire que la réforme statutaire va dans le sens du renforcement d'un prétendu pouvoir personnel. Rien n'est plus faux.

Les lois du pays, qui constituent un élément essentiel de la réforme, sont votées par l'assemblée de la Polynésie française et non par le gouvernement ! Les compétences transférées les plus importantes, comme les obligations commerciales, les principes généraux du droit du travail ou encore les parties du droit civil que ne conserve pas l'Etat, sont exercées par l'assemblée de la Polynésie française. Voyez la liste de l'article 139 où figurent toutes les matières qui relèvent du domaine de la loi et qui feront l'objet des lois du pays !

J'ajoute, s'il fallait encore parfaire la démonstration, que la population elle-même pourra exercer un droit de pétition ou s'exprimer au travers du référendum.

S'agirait-il d'une régression démocratique ? Qui peut soutenir sérieusement une telle absurdité ?

Mon quatrième point concerne la participation de nos institutions aux compétences conservées par l'Etat. Cela permettra, sous le contrôle de ce dernier, les ajustements rendus nécessaires par les particularités de la Polynésie. Cela nous permettra aussi de mieux faire respecter l'application de nos textes. C'est une innovation remarquable, et les Polynésiens sont honorés de la confiance que leur témoigne ainsi la République.

Enfin, j'évoquerai les mesures que la Constitution nous permet de prendre en faveur de notre population. Ces dernières, qui figurent dans les articles 18 et 19 du projet que nous examinons, sont très attendues par les Polynésiens, car elles permettront de protéger leurs emplois et leur patrimoine foncier. Elles sont nécessaires pour leur donner confiance en l'avenir et pour préserver l'équilibre de notre société.

Chacun de nos visiteurs, et je pense que c'est le cas de ceux d'entre vous, mes chers collègues, qui nous avez fait l'honneur de venir chez nous, a pu constater que nous avons su préserver une harmonie humaine que peu de pays du Pacifique connaissent. C'est cette harmonie, dans une réussite économique et sociale qui fait honneur à la France, que notre statut doit garantir. C'est à cette harmonie que je travaille sans cesse.

Car il ne faut pas croire que l'autonomie politique est un but en soi. C'est un moyen pour le développement. J'ai déjà eu l'occasion de le dire à cette tribune : en un peu plus de dix ans, et malgré des crises qui auraient pu nous mettre à terre, en particulier au moment de la reprise des essais nucléaires, nous avons transformé notre pays. La Polynésie a fait des progrès considérables en diversifiant son économie, en diminuant son taux de dépendance et en augmentant significativement son produit intérieur brut qui est passé de 2,8 milliards d'euros en 1991 à 3,8 milliards en 2000. Grâce à cette croissance économique, grâce aussi et surtout à l'appui de l'Etat, nous avons pu créer une protection sociale généralisée, et mettre en oeuvre des instruments d'insertion sociale et économique. Nous l'avons fait sans renoncer à notre doctrine : pas de rémunération sans travail. Je le rappelle encore une fois, il n'existe pas de RMI, ni d'assurance chômage en Polynésie française ! Il n'y a pas non plus de 35 heures.

Je voudrais rendre hommage au rapporteur de notre commission, M. Lucien Lanier, qui est devenu en quelque sorte notre référence institutionnelle, pour la disponibilité dont il a fait preuve et pour la qualité de son rapport, qui éclairera nos débats.

M. Jean-Pierre Sueur. Quel hommage !

M. Gaston Flosse. Je tiens aussi à remercier le Président de la République, le Premier ministre et plus particulièrement Mme Girardin, d'avoir permis au nouveau projet de statut de la Polynésie française de voir le jour. J'espère, mes chers collègues, et madame le ministre, au nom du Gouvernement, que vous soutiendrez les amendements de notre rapporteur ainsi que ceux que j'ai déposés, afin de corriger les imperfections qui subsistent et de confirmer les intentions qui sous-tendaient la réforme constitutionnelle.

Mes chers collègues, en votant ce statut et ces amendements, vous renforcerez l'amour des Polynésiens pour notre nation, la France. Vous apporterez aux nombreux jeunes de Polynésie française plus de raisons de croire en l'avenir, et plus de possibilités de le construire de leurs mains ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.

Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je le dis d'emblée, le groupe communiste républicain et citoyen ne participera pas à la discussion de ces projets de loi, discussion qui n'a de parlementaire que le nom.

Programmer un débat de cette importance, qualitativement et d'évidence quantitativement, le dernier jour de cette première partie de session relève d'un rare mépris à l'égard des assemblées. Je le dis au nom de mon groupe, qui compte peu de membres, mais eu égard au nombre de sénateurs du groupe UMP présents en séance, je ne suis pas la seule à penser que ce débat va être terriblement restreint.

Cette dernière journée est traditionnellement réservée aux navettes parlementaires. Or la barque apparaît quelque peu chargée : deux projets de loi, l'un de 194 articles, l'autre de 26 articles, et près de 250 amendements à examiner.

J'ai même le sentiment que l'échange qui s'ouvre relève de la pure formalité et que le Gouvernement et M. Gaston Flosse, chef du gouvernement de Polynésie, auraient pu se contenter d'une discussion à deux pour parvenir à leurs fins. Les sénatrices et les sénateurs ne peuvent qu'enregistrer ces propositions, ou les compromis passés, faute de temps pour s'approprier le débat. Tout cela n'est pas sérieux et démontre plutôt une volonté de non-débat sur le statut d'autonomie renforcée de la Polynésie française.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont historiquement favorables à un renforcement de l'autonomie des territoires et des départements d'outre-mer. Ce renforcement peut en effet découler de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003.

Il nous semble que les projets de loi qui nous sont proposés aujourd'hui, tant le projet de loi organique que le projet de loi ordinaire, dépassent largement les objectifs de la loi constitutionnelle, que, par ailleurs, nous avions rejetée. Il nous paraît nécessaire de préciser des concepts ambigus comme celui de « loi du pays » ou de « pays d'outre-mer ». On est ici dans une logique autre que celle de la loi constitutionnelle. Qu'en est-il de la gestion future par la Polynésie française des compétences de l'Etat ?

Je n'énumérerai pas les multiples interrogations que peuvent susciter ces textes. Une question peut cependant se poser sérieusement : pourquoi cette précipitation ? Pourquoi déclarer l'urgence sur un tel texte ? Cela paraît extravagant. Comment ne pas trouver la réponse dans le contexte politique particulier de la Polynésie française ?

Ces projets de loi sont fortement marqués par une conception libérale voire ultralibérale à laquelle est attaché l'actuel président du gouvernement polynésien. Il faut rappeler que ces projets répondent aux voeux que vous exprimez depuis 1998, monsieur Flosse. De ce point de vue, vous avez de la constance et vous êtes arrivé à vos fins, semble-t-il, avec ces projets de loi.

En parcourant le rapport et le compte rendu des réunions de commission, quelques exemples significatifs de cette démarche apparaissent.

L'échange entre M. Lanier, rapporteur, et M. Flosse, retranscrit à la page 2645 du Bulletin des commissions, est intéressant à cet égard. M. Lanier présentait un amendement prévoyant la transmission obligatoire au haut-commissaire des autorisations individuelles d'occupation des sols. M. Flosse lui a rétorqué que l'obligation de transmission des permis de construire constituerait un retour en arrière par rapport à la pratique actuelle et n'allait pas dans le sens de l'autonomie.

Bien entendu, M. Lanier a retiré son amendement ; M. Flosse avait parlé, ses désirs sont des ordres ! Mais qu'en est-il des pratiques actuelles ? Quelles sont les garanties de préservation de l'environnement ? Le fait de préserver l'environnement s'oppose-t-il à une avancée vers plus d'autonomie ? J'en doute !

Autre exemple, qu'en est-il précisément, monsieur le rapporteur, des dispositions prévues à l'article 31 du projet de loi étendant le pouvoir normatif du gouvernement de Polynésie à certaines dispositions de droit pénal en matière de jeux de hasard ?

Le Sénat ne peut tout de même adopter des dispositions si singulières sans se remémorer des affaires judiciaires récentes impliquant les milieux du jeu de l'île.

Cela n'est pas acceptable et il n'est pas question pour les sénateurs de mon groupe de laisser s'instaurer au sein de la République, à laquelle vous rendez un vibrant hommage, monsieur Flosse, des zones de non-droit, notamment dans le domaine du jeu qui, rappelons-le, constitue l'un des moyens essentiels de blanchiment de l'argent sale.

Monsieur Flosse, vous pouvez être largement satisfait de ces projets qui vous sacreront président de la Polynésie française. Quant à nous, nous voterons contre ces deux projets de loi, qui portent la marque d'une volonté de personnalisation du pouvoir, quoi que vous en disiez, que nous rejettons par principe, et d'un libéralisme aggravé et renforcé pour la Polynésie.

Je doute fort que les habitants de ces terres attendent de telles mesures ; ils en attendent d'autres qui permettraient un essor réellement démocratique de leur territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.

M. Simon Sutour. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au moment où nous entamons l'examen d'une nouvelle réforme statutaire de la Polynésie française, je m'interroge encore : pourquoi maintenant, pourquoi si vite et surtout, et eu égard à son contenu, pour quoi faire ?

Je ne veux pas que les observations que je vais être amené à formuler à l'égard des différents aspects des deux projets de loi en discussion que nous examinons aujourd'hui soient prises comme autant de gestes contre l'autonomie. Les socialistes se sont toujours montrés favorables à l'évolution statutaire des territoires d'outre-mer. Nous avons toujours pensé que la République devait nouer avec les territoires ultramarins des rapports novateurs, qui passent nécessairement par une plus grande prise en compte des réalités et des spécificités locales pour répondre aux aspirations des Français de l'outre-mer et pour agir en faveur du développement économique, social et culturel.

Ces relations rénovées ne peuvent être que la traduction d'une volonté politique déterminée. Elles reposent sur une approche pragmatique, avec le recours à un éventail de solutions juridiques sans cesse plus large. Aujourd'hui, pour la France d'outre-mer, le temps est désormais celui du « sur mesure », je dirai même du « cousu main », et non plus celui du « prêt à porter » ou du « prêt à penser ».

L'année prochaine, en 2004, la Polynésie française va célébrer vingt années d'autonomie.

Si la loi statutaire du 12 juillet 1977 a doté la Polynésie française de l'autonomie administrative et financière et a reconnu au territoire une compétence de droit commun, l'Etat ne conservant qu'une compétence d'attribution, c'est bien avec la loi du 6 septembre 1984, votée sur l'initiative de Georges Lemoine, que l'autonomie interne a été consacrée et que la tutelle exercée par le haut-commissaire a disparu au profit d'un contrôle de légalité a posteriori sur les actes émanant des autorités territoriales.

Depuis cette date, de nombreuses réformes administratives et statutaires plus ou moins justifiées ont continué cette mutation progressive vers plus d'autonomie.

Le gouvernement de Lionel Jospin a souhaité aller encore plus loin et a déposé, au mois de mai 1999, un projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie française, transformant ce territoire en « pays d'outre-mer », organisant un nouveau transfert de compétences et créant une citoyenneté polynésienne, afin de permettre à cette collectivité d'adopter des mesures spécifiques en matière d'emploi, de droit d'établissement et d'accession à la propriété foncière. Mais alors que ce texte avait été adopté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat, le Président de la République Jacques Chirac n'a pas été au bout du processus et n'a pas soumis la réforme au Congrès, pour les raisons que l'on sait.

La révision constitutionnelle de mars 2003 a repris - vous l'avez indiqué, madame la ministre - certains éléments de la réforme inaboutie de 1999, spécifique à la Polynésie française, pour en faire une application à l'ensemble des collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie.

Nous l'avons démontré, nous sommes favorables au principe de l'autonomie, contrairement aux plus hautes autorités polynésiennes qui affirment, sur place, que les socialistes veulent « se débarrasser de confettis de l'Empire devenus encombrants ». Mais nous n'entendons pas, au nom de ce principe, avaliser les nouvelles orientations de la présente réforme statutaire, et ce d'autant plus que ni le Gouvernement ni notre excellent rapporteur n'ont apporté un début d'explication sur les véritables raisons qui la motivent. En outre, nos compatriotes de Polynésie française n'ont pas eu leur mot à dire.

Je vous rappelle qu'en présentant son projet de loi constitutionnelle visant à faire bénéficier la Polynésie française d'une pleine autonomie institutionnelle le gouvernement de Lionel Jospin avait pris l'engagement d'associer la population et toutes les forces vives à la préparation de l'évolution statutaire dans le cadre de la loi organique, afin que soient confortées la représentativité et l'expression démocratique de ce territoire.

On ne peut que regretter l'absence d'organisation d'une consultation locale, d'autant que les conditions d'examen du projet de loi soumis à l'avis de l'assemblée territoriale de la Polynésie n'ont pas permis l'expression d'un débat contradictoire et sérieux. Les deux projets n'ont été approuvés que par les seuls conseillers de la majorité,...

M. Gaston Flosse. A qui la faute ?

M. Simon Sutour. ... l'opposition n'ayant pas souhaité participer à un examen,...

M. Gaston Flosse. Ah !

M. Simon Sutour. ... qui, dans la forme comme dans le fond, lui était imposé et avec une urgence que rien ne justifiait.

Le dernier statut de la Polynésie française date de 1996, soit voilà sept ans à peine. N'y avait-il pas lieu préalablement de dresser un bilan précis de la mise en application de ce statut avant de le modifier ?

Après la Constitution, le statut est pour une collectivité d'outre-mer la loi fondamentale : il commande la vie des femmes et des hommes qui y vivent ; il est le cadre de l'activité économique, sociale et culurelle. C'est tellement vrai que, par bien des aspects, le projet de loi organique ressemble plus à une Constitution qu'à une loi.

En 1996, le gouvernement de M. Alain Juppé n'avait pas respecté l'épreuve du temps et de l'évaluation. Il avait choisi la voie de la refonte institutionnelle, alors que, depuis 1984, toutes les adaptations successives - en 1990, 1994 et 1995 - ont procédé de lois modificatives. Aujourd'hui, le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin récidive en ne prenant pas en considération la dimension de la durée et de l'expertise, qui sont des données capitales en matière de textes fondamentaux.

On nous dit que les aspirations des plus hautes autorités polynésiennes qui désirent une autonomie poussée à l'extrême et même au-delà - la limite de l'au-delà n'étant pas précisée - sont insufflées par le modèle calédonien. La comparaison avec la Nouvelle-Calédonie n'est en rien pertinente. Ce qui importe, en ce domaine, c'est la prise en compte des spécificités de chacun.

Outre le fait que, sur le plan formel, l'évolution des deux collectivités s'inscrit dans des cadres constitutionnels distincts, la Nouvelle-Calédonie étant une collectivité sui generis contrôlée directement par le Conseil constitutionnel, la situation politique et sociale de la Nouvelle-Calédonie est très différente de celle de la Polynésie française.

C'est pour maintenir la Nouvelle-Calédonie dans la paix et lui permettre de continuer à se développer sereinement que les principales formations politiques locales ont préféré dépasser leurs antagonismes. C'est exemplaire ! Elles ont réussi non seulement à se convaincre mutuellement, mais aussi à persuader les partisans de chaque camp qu'il valait mieux dialoguer et trouver un nouveau consensus - j'y insiste - pour l'avenir.

Ce consensus s'est concrétisé au travers de l'accord de Nouméa et a été largement ratifié au mois de novembre 1998. Il a donné à la Nouvelle-Calédonie un nouveau statut constitutionnel et a instauré un régime juridique par lequel les signataires de Nouméa ont décidé de se donner le temps - quinze à vingt ans - pour gouverner ensemble la Nouvelle-Calédonie, en laissant ouverte, jusqu'au terme de cette période, la possibilité du choix de l'indépendance.

A l'évidence, un tel processus n'existe pas en Polynésie française. Ainsi, ce qui vaut pour la Nouvelle-Calédonie ne vaut pas pour la Polynésie française. S'il en fallait une preuve supplémentaire, je citerais la question de la citoyenneté ou la nature juridique différente de certaines lois du pays.

On considère trop souvent outre-mer la réforme institutionnelle comme la réponse à tous les maux. Mais, en Polynésie française, la priorité est au développement économique plus qu'aux changements institutionnels. Le franc CFP laisse toujours sa marque sur l'économie locale et les deux principaux ressorts de l'économie polynésienne - les exportations de perles noires et le tourisme - n'ont pas atténué la dépendance de la Polynésie française à l'égard des transferts financiers de l'Etat, qui jouent, dans ce contexte, un rôle essentiel pour soutenir l'activité du territoire. Nous sommes encore dans un type de développement caractérisé par de profonds déséquilibres sociaux. Ce sujet est trop complexe, trop sensible pour que l'on puisse se dispenser du temps nécessaire à la concertation locale.

Comment expliquer à nos concitoyens polynésiens que, dans des conditions similaires, ils sont privés de l'organisation de ce type de consultation, alors que les électeurs de Martinique et de Guadeloupe l'ont obtenue ? Il sera sans doute rétorqué que les citoyens polynésiens se sont déjà prononcés démocratiquement en faveur de ces nouvelles institutions en votant majoritairement pour ceux qui préconisent le mouvement institutionnel perpétuel comme étant la seule voie du développement du territoire. Or, élire une assemblée et, par là même, un gouvernement n'est pas la même chose que de se prononcer sur le principe même de l'évolution statutaire. Après tout, les citoyens polynésiens pourraient très bien voter contre la surenchère statutaire et ensuite réélire une majorité autour du Tahoera'a ou de ce qui en tiendrait lieu. Ils peuvent parfaitement distinguer un choix institutionnel et le choix de leurs gestionnaires.

Il ne vous a pas non plus échappé que le pari décentralisateur du Premier ministre M. Raffarin, tel qu'il est inscrit dans la dernière révision constitutionnelle, repose justement sur ces appels venus « d'en bas ». Certes, après le « non » des électeurs corses le 6 juillet, après le « non » des électeurs antillais le 7 décembre, on comprend le silence du Gouvernement et les précautions des élus locaux de la majorité, qui se montrent très hésitants pour procéder à une semblable consultation sur l'évolution administrative de leur collectivité.

Ce que nous avions dénoncé au moment de la révision constitutionnelle est en train de se réaliser : la majorité a offert aux collectivités une boîte à outils pour favoriser les évolutions institutionnelles. Mais le risque, aujourd'hui, après les scrutins corse et antillais, c'est que les outils restent soigneusement rangés dans leur boîte et finissent par rouiller, consacrant l'immobilisme au lieu de favoriser la marche du changement.

Il en a été de même en 1995, lorsque Jacques Chirac, à peine élu président de la République, avait révisé séance tenante la Constitution pour élargir le champ du référendum. Huit ans plus tard, les nouvelles possibilités offertes par l'article 11 de la Constitution n'ont toujours pas servi !

En se contentant d'empiler les statuts pour satisfaire aux seules ambitions d'un parti au pouvoir, le Gouvernement donne l'impression de se débarrasser des questions qui fâchent, parce qu'il ignore lui-même la politique qu'il entend mener outre-mer.

Lors de son séjour en Polynésie française, en juillet dernier, le Président de la République a parlé de l'autonomie comme « l'expression d'un partenariat ». Or, plus l'on avance dans la réflexion statutaire des collectivités ultra-marines, plus se pose la question de la définition du périmètre de l'autonomie. A partir de quand l'attribution de nouvelles compétences qui contribuent à la constitution d'un quasi-Etat indépendant est-elle compatible avec une autonomie même renforcée ? D'autant que les autorités officielles de la Polynésie française ont déclaré s'inscrire délibérément dans le cadre de la République et qu'elles ne cessent de justifier l'extension de leurs compétences comme un rempart salutaire contre toutes les velléités indépendantistes.

Nous considérons que l'argumentation ne tient plus. Dans le contexte mondial actuel, le débat sur les mérites respectifs de l'indépendance et de l'autonomie n'a plus le même sens que par le passé. Le concept d'indépendance n'est-il pas en train d'évoluer en se délestant de ce qui caractérise les principaux signes de la souveraineté : la défense, les relations internationales, la monnaie et la justice ? L'indépendance, n'est-ce pas la capacité de gérer chez soi tout ce qui nous concerne de manière interne : l'éducation, la santé, l'urbanisme, les transports ? En fait, plus l'autonomie s'étend, plus la frontière devient ténue entre autonomie et indépendance. Nous savons que, sur place, en langue reo maohi, le même terme est porteur des deux sens.

Nous aurions pu aborder ces questions sur place, dans le cadre d'une mission parlementaire, et nous déplacer sur les différentes îles qui composent la Polynésie française, afin de mieux appréhender la spécificité géographique de ce territoire et les enjeux du nouveau statut. Mais les délais trop courts ne l'ont pas permis. Nous aurions pu aussi procéder à des auditions pour entendre les autorités politiques, le haut-commissaire, les élus locaux, les autorités judiciaires, les organisations politiques et syndicales et, à partir de leurs observations, approfondir notre propre réflexion. Mais M. Lanier, l'excellent rapporteur de la commission des lois, n'a pas eu le temps matériel de l'organiser, et ce n'est pas de sa faute !

Au surplus, nous examinons aujourd'hui un texte qui a considérablement évolué par rapport à celui qui a été transmis pour avis aux autorités de la Polynésie française.

Au regard des conditions d'examen de ces deux projets de loi qui comportent deux cent vingt-quatre articles cumulés, M. le rapporteur a beaucoup de mérite à avoir pu rédiger un rapport de cinq cents pages en si peu de temps. Rendez-vous compte : entre sa présentation en commission des lois le 9 décembre et le moment où la conférence des présidents du 2 décembre a inscrit à l'ordre du jour des travaux du Sénat la discussion de ces deux textes, il s'est écoulé à peine une semaine. Une telle capacité de synthèse ne pouvait que nous encourager à travailler aussi vite et à déposer rapidement nos amendements. Nous avons d'ailleurs été fermement invités à le faire, puisque le délai limite pour le dépôt des amendements a été fixé au mardi 16 décembre, à dix-sept heures, alors que la discussion des deux projets de loi n'était prévue que deux jours plus tard.

M. Jean-Jacques Hyest. C'est bien ! Nous avons connu pire !

M. Simon Sutour. Nous sommes à la limite de l'exploit quand on sait que la majorité sénatoriale a prévu une discussion commune de ces textes dans le cadre d'un débat organisé de seulement deux heures !

M. Jean-Jacques Hyest. C'est habituel !

M. Simon Sutour. Enfin, pour que le rythme ne fléchisse pas, le Gouvernement a déclaré l'urgence vendredi dernier et a déjà inscrit l'examen de ces deux projets de loi à l'Assemblée nationale pour le 13 janvier prochain. (Mme Nicole Borvo s'exclame.) Certes, le Gouvernement est maître de l'ordre du jour prioritaire, madame la ministre, mais qu'est-ce qui peut justifier une telle précipitation, s'agissant d'un texte aussi fondamental pour la Polynésie française ?

M. Gaston Flosse. Nous attendons depuis quatre ans !

M. Simon Sutour. Je le dis franchement, mes chers collègues, l'organisation de nos travaux, qui s'apparente à un véritable verrouillage du contrôle parlementaire et nous commande de légiférer à marche forcée, n'est pas digne de notre assemblée. Surtout, ce n'est pas une bonne manière faite à nos compatriotes polynésiens.

Cette course contre la montre fait planer un halo de suspicion sur l'ensemble du projet qui nous est présenté, en faisant apparaître la revendication statutaire comme l'affaire de quelques-uns qui en attendent directement quelque chose. Où est donc l'urgence ? La suite logique d'une telle réforme serait d'obtenir la dissolution de l'assemblée de la Polynésie française, afin que le pouvoir en place puisse asseoir davantage son autorité sur une majorité renforcée issue du nouveau mode de scrutin.

M. Gaston Flosse. Faux !

M. Simon Sutour. Tel est bien l'objet de la hausse de 5 à 10 % des suffrages exprimés du seuil en deçà duquel les listes ne sont pas admises à la répartition des sièges. Cette nouvelle disposition ne permettra pas d'assurer une représentation suffisante des différents courants de pensée au sein de l'hémicycle ploynésien et risque, à terme, de conduire à la disparition des partis d'opposition.

M. Gaston Flosse. Mais non, c'est faux !

M. Simon Sutour. Le mieux est sans doute là, une nouvelle fois, l'ennemi du bien !

Quelle urgence y a-t-il pour l'avenir et le développement de la Polynésie française à adopter deux projets qui accentuent le déséquilibre des pouvoirs ?

Une lecture attentive des projets statutaires montre une présidentialisation extrême du régime, sans que la moindre justification y soit apportée.

M. Gaston Flosse. C'est faux !

M. Simon Sutour. Le président se voit reconnaître les attributions d'un véritable chef d'Etat : il reçoit le titre de président de la Polynésie française ; il dirige l'action du Gouvernement - la rédaction est inspirée de l'article 21 de la Constitution - ; il dirige l'administration ; il promulgue les lois du pays - comme le Président de la République promulgue les lois de la République - ; il prend des actes à caractère non réglementaire, ce qui permet de viser les mesures individuelles et les contrats.

M. Gaston Flosse. Ce n'est pas nouveau !

M. Simon Sutour. Que les nouvelles modalités d'élection du président autorisant sa désignation hors du sein de cette assemblée ait conduit la commission des lois à ne présenter qu'un amendement rédactionnel est surprenant. Quel est le but fixé ? Quelle sera la légitimité démocratique d'un président élu dans ces conditions ?

Les motivations reposant sur la référence au modèle calédonien ou sur le spectre de la pression indépendantiste étant irrecevables - je l'ai démontré précédemment -, la seule explication plausible reste celle du développement économique. Mais même ce dernier point rencontre notre scepticisme tant le statut actuel de 1996 n'empêche en rien l'exécutif de la collectivité d'agir en ce domaine comme il l'entend. Dans ces conditions, il n'est pas interdit de penser que le gouvernement territorial actuellement en place a trouvé le moyen de dégager sa responsabilité de certains échecs économiques et sociaux de sa politique.

Où est donc l'urgence pour assouplir les restrictions en matière d'importation, pour accroître les compétences en matière de jeux de hasard, en matière de domanialité publique, en matière audiovisuelle, en matière de liaisons aériennes et de sécurité maritime, pour permettre à la collectivité d'entrer dans le capital de sociétés privées, pour prévoir l'application aux communes de règles particulières du code des marchés publics ?

Le régime présidentiel n'est pas en soi critiquable. Mais où sont les contre-pouvoirs, où sont les contrôles qui doivent être le corollaire d'un régime présidentiel, a fortiori dans le cadre d'une autonomie renforcée ?

Cette mégalomanie institutionnelle est également illustrée par une nouvelle dénomination de la Polynésie française qui, j'y insiste, n'est pas prévue par la Constitution - elle aurait pû l'être - et qui sera dorénavant celle de « pays d'outre-mer ».

L'article 74 de la Constitution a consacré une nouvelle catégorie juridique de collectivités territoriales : les « collectivités d'outre-mer », qui se substitue à celle de « territoire d'outre-mer ». La Polynésie française doit être à ce titre rattachée à cette nouvelle catégorie de collectivités territoriales ; c'est la raison pour laquelle nous demanderons la suppression de la nouvelle dénomination proposée à l'occasion de l'examen des articles du projet de loi organique.

Quant aux lois du pays, outre le fait qu'elles sont inconstitutionnelles, elles ne peuvent être qu'une source d'ambiguïté, de confusion et d'insécurité juridique. Contrairement aux lois du pays de la Nouvelle-Calédonie, qui, elles, ont valeur législative, les lois du pays de la Polynésie française demeurent des actes administratifs. Il s'agit donc de lois « Canada dry » : elles en portent le nom, elles en ont l'apparence eu égard à leur champ d'application, mais elles n'en sont pas !

Bien plus, alors que de tels actes doivent être conformes aux principes généraux du droit, les lois du pays pourraient déroger pour des motifs d'intérêt général au principe de non-rétroactivité des actes administratifs en étant applicables aux contrats en cours.

En ce qui concerne le contrôle de légalité, on ne peut que regretter, même si l'on comprend l'objectif de simplification, la réduction du nombre des actes qui sont obligatoirement transmis au haut-commissaire, compte tenu de l'importance de celui-ci au regard du principe d'égalité des citoyens devant la loi. Nous défendrons d'ailleurs un amendement sur ce point.

En outre, il est apporté une restriction au recours contre l'inexacte répartition des compétences entre l'Etat, le territoire et les communes, en imposant qu'il soit fondé sur un moyen sérieux, au motif qu'il faut éviter d'encombrer le Conseil d'Etat de demandes d'avis abusives ou sans intérêt.

Voilà qui est vite dit, mais qui est insuffisant pour permettre de justifier valablement ce recul par rapport au droit actuel, d'autant plus que les compétences des institutions de la Polynésie française sont considérablement accrues par le présent projet de loi et qu'il est signalé par M. le rapporteur de la commission des lois, notre collègue Lucien Lanier, que le Conseil d'Etat a tranché douze dossiers et s'est prononcé en faveur de la compétence de l'Etat dans cinq cas : il reconnaît donc que cette procédure est utile, mais ne nous donne pas de chiffres concernant l'encombrement du Conseil d'Etat...

Enfin, la loi organique ne traite bien évidemment pas des conséquences des essais nucléaires, mais je tiens à aborder ce sujet, car on ne peut ignorer la situation de nos compatriotes polynésiens, qui ont particulièrement contribué à la politique de la défense de la France.

Qui peut prévoir avec certitude ce que seront les conséquences, pour les décennies à venir, de tant d'explosions sur la population et sur l'écosystème des atolls ?

Malgré des paroles rassurantes du Gouvernement, l'inquiétude suscitée par des pathologies de forme et de nombre inaccoutumés demeure.

M. Gaston Flosse. Vous avez participé à cette politique d'essais nucléaires !

M. Simon Sutour. Les vétérans et les populations locales ayant travaillé en sous-traitance doivent avoir accès aux mêmes droits et aux mêmes protections que ceux dont bénéficient les Français de métropole.

A ce jour, pour empêcher le plein accès au dossier médical des vétérans, les autorités compétentes invoquent bien souvent le « secret défense », quand elles ne renvoient pas des dossiers incomplets, amputés de quelques pages.

Alors que l'Australie ou la Nouvelle-Zélande ont, et depuis longtemps, diligenté des enquêtes épidémiologiques exhaustives, la France ne se donne pas les outils statistiques médicaux indispensables. Avoir utilisé la Polynésie comme site d'essais nucléaires impose donc que le statut débattu garantisse à la population des droits égaux à ceux des citoyens français de métropole.

Parce que la présente réforme aggrave les déséquilibres institutionnels et privilégie le renforcement de l'exécutif sans mise en place de réels contre-pouvoirs, parce qu'une réforme statutaire est une chose trop sérieuse pour être adoptée dans la précipitation, vous l'aurez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste votera contre ces deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...

La discussion générale commune est close.

 
 
 

PROJET DE LOI ORGANIQUE

M. le président. Nous passons à la discussion des articles du projet de loi organique.