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Dossier législatif : proposition de loi relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance,
Discussion générale (suite)

Compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

(Ordre du jour réservé)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance,
Question préalable

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 66, 2004-2005) de M. Pierre Fauchon, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi (n° 41, 2004-2005) de MM. Jean-Jacques Hyest, Christian Cointat et François Zocchetto relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis bien des années déjà, la commission des lois poursuit le double objectif de doter notre appareil judiciaire d'une juridiction adaptée au contentieux de masse, dit aussi de proximité - je ne distinguerai guère les deux notions au cours de mon propos - et de réaliser une meilleure participation de la société civile à l'oeuvre de justice, objectif qui n'est pas moindre.

Nos collègues MM. Arthuis, Haenel, Jolibois, Hyest et Cointat, ainsi que votre rapporteur, oeuvrent en ce sens depuis plusieurs années. La loi organique du 19 janvier 1995 instituant les magistrats à titre temporaire aurait pu marquer une étape décisive. Pour des raisons qui restent à élucider, cette institution n'a pas eu les suites souhaitées par ses initiateurs.

Heureusement, ceux-ci, plus attachés à la perspective des résultats concrets qu'à la satisfaction de leurs préférences, ont su adapter avec confiance, sinon avec enthousiasme, la proposition gouvernementale tendant à créer une juridiction de proximité autonome, confiée à des magistrats du type de ceux qui avaient été imaginés en 1995.

Cependant, alors que cette juridiction se met progressivement en place, parvenant à surmonter les entraves de toutes sortes, qui sont, hélas ! le lot de toute innovation, il apparaît que le champ de compétence initialement attribué, que l'insuffisance des statistiques analytiques ne permettait pas d'apprécier, est trop étroit, du moins dans le domaine des affaires civiles, pour permettre la densité d'activité sans laquelle une mission nouvelle ne peut faire ses preuves. J'ai entendu parler d'une dizaine d'affaires par mois, ce qui est trop faible.

Alertés par la Chancellerie, les collègues précités, auxquels s'est joint notre excellent collègue M. Zocchetto, très averti de ces questions par son activité professionnelle, ont rédigé une proposition de loi tendant à élargir le champ de compétence de la juridiction de proximité, et, par contrecoup, celle des tribunaux d'instance. A cette démarche, ils proposent d'en ajouter une autre, plus originale, mais aussi plus significative, puisqu'il s'agit de faire appel aux juges de proximité pour compléter les formations collégiales - du moins lorsqu'elles subsistent - des tribunaux correctionnels.

Enfin, il a paru opportun de saisir l'occasion de cette proposition de loi pour apporter quelques aménagements particuliers au système des compétences d'attribution.

Aucune de ces questions ne mérite, du moins aux yeux de la majorité de votre commission, de faire l'objet de débats fondamentaux, à moins de reprendre ceux que nous avons connus lors du vote de la loi initiale.

Il s'agit ici non pas de tirer les conclusions d'une expérience, qui est encore insuffisamment large et insuffisamment longue, mais de procéder aux ajustements qui paraissent nécessaires afin que cette expérience porte tous ses fruits.

Pour élargir le champ de compétence de la juridiction de proximité, il nous est proposé, d'une part, d'élever à 4 000 euros l'intérêt du litige attribué à cette juridiction et, d'autre part, de supprimer l'exclusion des litiges d'intérêt professionnel ainsi que ceux intéressant les personnes morales, limitations qui, à la réflexion, ne paraissent pas justifiées.

La commission des lois vous propose d'approuver ces mesures qui paraissent raisonnables, en tout cas au stade expérimental où nous sommes, tout simplement parce qu'elle souhaite donner toutes ses chances à la juridiction de proximité.

Conséquence directe de cette élévation du taux d'intérêt du litige, il convient de relever aussi à 10 000 euros le taux d'intérêt des litiges dont connaissent les tribunaux d'instance.

Il s'agit au demeurant, dans une large mesure, d'une simple actualisation. Il serait contraire à nos intentions de créer une situation dans laquelle le champ de compétence des tribunaux d'instance se trouverait réduit comme une peau de chagrin.

Je trouve ici l'occasion d'affirmer avec force qu'il n'est aucunement dans nos intentions de réduire les responsabilités du juge d'instance, dont nous n'ignorons ni la charge de travail, ni la compétence, ni le dévouement, ni la motivation, qui relèvent souvent du concept de vocation. Nous voyons au contraire en eux le pivot, l'axe professionnel d'une justice de proximité plus largement repensée et qui pourrait relever tout entière d'une juridiction unique faisant appel aux diverses modalités dites alternatives.

S'agissant de la possibilité, pour le président du TGI, de faire appel au concours des juges de proximité pour compléter les juridictions collégiales correctionnelles, la commission des lois y voit le double avantage de contribuer au maintien de ces formations collégiales et de permettre aux juges professionnels, qui restent majoritaires de bénéficier du concours d'hommes ayant cette connaissance concrète des choses de la vie, que l'expérience peut seule apporter et qui est tout aussi utile que la science juridique. Nous avons bien entendu respecté les prescriptions du Conseil constitutionnel et nous pensons être à l'abri de toute contestation.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Comme la dernière fois ?

M. Pierre Fauchon, rapporteur. Vous pouvez prononcer l'exclusion des perturbateurs, madame la présidente !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous ne sommes pourtant guère nombreux ! (Sourires.)

Mme la présidente. Je vous remercie de ce conseil, monsieur le rapporteur !

M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'était un simple rappel au règlement !

A l'école de Montaigne, nous dirions volontiers : « Il y a aucuns de nos Parlements, quand ils ont à recevoir des officiers de justice, qui les examinent seulement sur la science ; les autres y ajoutent encore l'essai du bon sens, en leur présentant le jugement de quelque cause. Ceux-ci me semblent avoir un peu beaucoup meilleur style ; et encore que ces deux pièces soient nécessaires et qu'il faille qu'elles s'y trouvent toutes deux, si est-ce qu'à la vérité celle du savoir est moins prisable que celle du jugement ; celle-ci se peut passer de l'autre, et non l'autre de celle-ci. » Pardonnez le style, mais c'est le charme de Montaigne !

S'agissant d'une remise en ordre des compétences d'attribution, la commission, tout en acceptant de souscrire aux vues des auteurs de la proposition de loi, a cru pouvoir, en plein accord avec eux, d'ailleurs, modifier certains points particuliers. Elle a ainsi considéré que, s'il peut être intéressant de regrouper les contentieux de même nature, tels que la propriété ou le crédit à la consommation, ces regroupements ne doivent pas aller jusqu'à méconnaître la spécificité des litiges de proximité qui peuvent être maintenus dans le champ de cette juridiction, dès lors que ni la gravité des conséquences ni la complexité des problèmes posés ne justifient que leur connaissance soit réservée à des magistrats professionnels.

Dès lors, il nous paraît raisonnable de réserver aux tribunaux d'instance la connaissance du contentieux du crédit à la consommation, des actions aux fins d'expulsion des occupants sans droit ni titre, ainsi que des impayés de loyers. Car, en pratique, le recouvrement des impayés de loyers et les poursuites y afférentes sont toujours accompagnés d'une demande de résiliation du bail, donc d'une expulsion. Il nous paraît également raisonnable de regrouper, au niveau des TGI, les actions possessoires et pétitoires, dont la distinction n'est pas toujours aisée, étant entendu que le juge des référés pourra résoudre les questions relevant authentiquement du possessoire.

Le même bon sens nous paraît militer en faveur du maintien dans le champ du tribunal d'instance des actions en paiement direct des pensions alimentaires, en paiement des charges de copropriété ou encore des poursuites pour diffamation et injures commises autrement que par voie de presse.

Il y a plusieurs façons d'entendre le mot « cohérence ». Celle qui correspond à la notion de justice de proximité mérite, elle aussi, d'être prise en considération, car nous voulons, en plein accord avec le Gouvernement, permettre à ces juges de répondre pleinement à la demande d'une justice qui corresponde effectivement à la notion de proximité au sens non seulement physique du terme, mais également moral et procédural.

A ce prix, nous espérons tout à la fois dégager les magistrats professionnels d'une partie du contentieux de masse qui accable les prétoires et contribuer à rétablir entre les justiciables et la justice le rapport de confiance qui, avouons-le, fait trop souvent défaut dans la situation actuelle.

Cette espérance sera-t-elle satisfaite ? Les uns diront « oui », les autres « non ». Nous verrons bien ! Pour notre part, bien évidemment, nous sommes confiants et nous apportons donc notre soutien aux actions de ceux qui ont reçu la mission de mettre en oeuvre cette réforme, spécialement au chef de cette mission.

Pour autant, nous ne croyons pas que la présente étape mette un point final aux initiatives du législateur. Nous restons en effet persuadés que, à l'issue d'une période d'expérimentation complète, qui durera naturellement quelques années, il conviendra de faire le point, d'une part, sur le statut et les conditions d'action des juges de proximité, qui ne sont peut-être pas arrêtés définitivement, d'autre part ; sur le positionnement définitif de ces juges au sein de l'appareil judiciaire.

C'est alors qu'il conviendra, en particulier, de choisir entre la formule d'une juridiction autonome, qui a été délibérément préférée au départ pour permettre à ces nouveaux juges d'affirmer l'originalité de leur mission, et celle d'un regroupement organique de ces juges aux côtés des médiateurs et des conciliateurs, au sein d'une justice d'instance repensée comme ayant vocation à couvrir tout le champ du contentieux de masse et de proximité, et caractérisée par une direction générale assurée par un juge professionnel, l'actuel juge d'instance, qui accéderait ainsi au statut de président de cette nouvelle juridiction de base.

Nous avons de fortes raisons de penser que cette solution aurait de multiples mérites. Il en résulterait en effet une unité et une visibilité, ainsi qu'un meilleur équilibre entre les formes alternatives de juridiction et la responsabilité éminente, et qui doit le rester, - nous sommes tous d'accord sur ce point - des magistrats professionnels.

Souhaitons que l'avenir, mieux aménagé par le présent texte, nous apporte des éléments d'expérience qui permettront d'effectuer ce choix en toute sérénité et en toute connaissance de cause.

C'est dans cette perspective, dans cet esprit, et pour ces raisons que la commission des lois vous propose d'adopter la proposition de loi de nos collègues Jean-Jacques Hyest, Christian Cointat et François Zocchetto, ainsi amendée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et voilà pourquoi votre fille est muette...

M. Pierre Fauchon, rapporteur. A la différence de M. Dreyfus-Schmidt, qui ne le sera jamais !

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a créé la justice de proximité afin de répondre à la demande significative de nos concitoyens de rendre l'institution judiciaire plus proche d'eux.

Il s'agissait d'ouvrir l'institution judiciaire aux Français, comme c'est le cas depuis bien longtemps pour les assesseurs des tribunaux pour enfants ou encore pour les jurés de cours d'assises.

L'attente des Français est forte en matière de proximité, comme l'a encore récemment souligné l'étude d'opinion publiée par un grand hebdomadaire. Nous devons y être sensibles.

L'institution judiciaire a tout intérêt à assumer l'ouverture et la diversification de son recrutement. Cela ne peut être qu'un gage d'avenir, de progrès et d'efficacité.

A ce jour, 172 juges de proximité ont été nommés. Ils seront sans doute 300 à la fin de cette année.

On peut aujourd'hui établir un constat provisoire : la valeur professionnelle de ces juges est incontestable. La loi que vous aviez votée garantissait d'ailleurs leur valeur professionnelle. On peut donc étendre leurs compétences civiles et pénales, comme le prévoit votre proposition de loi.

En matière civile, la proposition de loi tend à actualiser les taux de compétence, afin de les rendre plus cohérents avec l'évolution de la vie économique. Ce taux est ainsi porté à la somme de 4 000 euros pour la juridiction de proximité. L'ajustement corrélatif du taux de compétence des tribunaux d'instance va dans le même sens. Le relèvement simultané de ces deux plafonds permettra de préserver la capacité d'action des tribunaux d'instance et le volume d'affaires qu'ils auront à traiter. Pour ma part, je l'approuve tout à fait.

Par ailleurs, la juridiction de proximité devient compétente, à l'exemple de la juridiction d'instance, pour toute action mobilière ou personnelle. Cette disposition va également dans le sens d'une plus grande cohérence.

La justice de proximité pourra aussi être saisie directement par les personnes physiques et morales. Cela constitue, me semble-t-il, une simplification. Les premiers mois de fonctionnement ont en effet montré que le dispositif initial était source d'une complexité tout à fait préjudiciable à l'objectif que nous avions, ensemble, souhaité atteindre.

L'extension des compétences des juges de proximité qui vous est proposée me paraît mesurée. Le tribunal d'instance conserve toute sa compétence pour les contentieux techniques. C'est un point très important, qu'un certain nombre d'organisations représentatives ou de groupes d'intérêt économique avaient souligné. Il en est ainsi du contentieux du crédit à la consommation et du contentieux locatif, qui peuvent être assez techniques et qui requièrent des juges une expérience plus longue. Ces litiges continuent donc de relever de la compétence du tribunal d'instance.

La proposition de loi prévoit également un certain nombre d'évolutions en matière de procédure. Je n'entre pas dans le détail, car nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen des articles.

Les juges des tribunaux de grande instance se verront ainsi confier la protection non seulement de la propriété matérialisée par un titre, mais également celle de la possession. Il s'agit de permettre à nos concitoyens de ne pas se perdre dans les arcanes des compétences respectives des multiples juges.

En matière pénale, la proposition de loi confirme la compétence du juge de proximité en matière de validation de toutes les compositions pénales, sur délégation du président du tribunal de grande instance. Cette procédure, il est important de le rappeler à l'occasion de ce débat, exclut toute peine privative de liberté.

S'agissant des contraventions, la proposition de loi prévoit que le tribunal de police est compétent en ce qui concerne les contraventions de cinquième classe. La juridiction de proximité sera, quant à elle, compétente pour les quatre premières classes de contraventions. Cette disposition a le mérite de la clarté. De plus, elle améliore la lisibilité pour nos concitoyens.

Par ailleurs, le juge de proximité aura la possibilité de siéger aux cotés de deux magistrats professionnels dans les formations collégiales correctionnelles, dans le respect, bien entendu, des limites fixées dans une jurisprudence antérieure par le Conseil constitutionnel. Il s'agit là d'une innovation extrêmement intéressante, qui me semble faire l'objet d'un consensus assez large chez celles et ceux qui s'intéressent à ces questions.

En conclusion, madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'aurez compris, le Gouvernement est favorable à cette proposition de loi, qui permettra un meilleur ancrage des juges de proximité au sein de l'institution judiciaire et une plus grande ouverture de cette institution aux citoyens.

Il s'agit non pas de remettre en cause le rôle irremplaçable des magistrats professionnels, mais de faire bénéficier l'institution de l'expérience de juges non professionnels. C'est, me semble-t-il, un véritable enrichissement.

M. le rapporteur a évoqué d'éventuelles évolutions et a souhaité que la justice de proximité, qui vient d'être mise en place en tant que juridiction autonome, puisse, à l'avenir, être rattachée de façon plus explicite à la justice d'instance.

Lorsque, d'ici à deux ou trois ans, nous dresserons le bilan de la justice de proximité, la réflexion que vous appelez de vos voeux, monsieur le rapporteur, pourra alors être menée. Dans l'immédiat, il nous faut poursuivre la mise en place de la justice de proximité avec les ajustements que vous proposez. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 48 minutes ;

Groupe socialiste, 31 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaite mettre en relief un singulier paradoxe qui me paraît marquer la proposition de loi qui nous est soumise.

Nous sommes tous favorables au développement de la justice de proximité. Mais dès la présentation de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, monsieur le garde des sceaux, nous vous avions mis en garde.

Je suis convaincu que vous n'avez pas fait le bon choix. Il existe déjà, en effet, une justice de proximité, fort bien rendue par nos magistrats d'instance, en dépit des difficultés qu'ils rencontrent. Il suffisait de renforcer les effectifs des tribunaux d'instance et de multiplier, c'était chose aisée, les conciliateurs et les médiateurs. Ainsi, la question de la justice de proximité était résolue.

Vous avez préféré une autre voie, monsieur le garde des sceaux, plus favorable à l'effet d'annonce : le recrutement de 3 300 juges de proximité. Pour le justiciable, c'était une levée en masse de juges qui allaient résoudre les petits litiges. En vérité, ce n'était pas ainsi que les choses devaient se dérouler, et nous le savions dès le départ.

En choisissant de créer un nouvel ordre juridictionnel, vous vous êtes inévitablement heurté aux difficultés inhérentes à la création d'un ordre autonome. Il vous fallait d'abord définir des compétences. Ce faisant, vous suscitiez inévitablement des conflits de compétence et vous compliquiez d'autant la démarche de la justice. En outre, vous la rendiez encore moins lisible pour nos concitoyens.

Par ailleurs, en créant un nouvel ordre juridictionnel au lieu de vous borner à renforcer la justice d'instance qui assumait la fonction de proximité, vous vous trouviez confrontés au problème du recrutement des magistrats, de leur formation et de leur affectation. De plus, il vous fallait assurer des greffes, ceux-ci jouant un rôle très important.

Le résultat était prévisible : près de deux ans après le vote de la loi et plus d'un an après sa mise en oeuvre, alors que vous nous aviez triomphalement annoncé le recrutement de 3 300 magistrats, leur effectif se résume à 177. Nous espérons qu'ils seront 300 avant la fin de l'année, mais ce n'est pas sûr. Le Conseil supérieur de la magistrature exerce, à juste titre, son contrôle sur le recrutement.

Pour ce qui est des problèmes de formation, il suffit d'écouter ce qu'en disent les associations et les syndicats de magistrats, tout comme les formateurs de ces juges de proximité.

Certains voient dans ces difficultés une simple crise de croissance d'un nouvel ordre juridictionnel. Pour ma part, je crois qu'il s'agit d'un défaut structurel et que l'on finira par faire disparaître cette justice de proximité en la fusionnant, comme on aurait dû le faire dès le début, avec la justice d'instance.

Mais au point où nous sommes, alors que la justice de proximité connaît une crise de croissance, et alors que nous n'avons pas encore pu, et pour cause, dresser un bilan sérieux de son fonctionnement, reconnaissons qu'il est paradoxal de décider d'accroître ses compétences.

L'ensemble de la magistrature et des avocats s'inquiète. Et c'est le moment que vous choisissez pour accroître les compétences d'un ordre juridictionnel dont le principe même est discuté et dont les résultats ne sont pas acquis - c'est le moins que l'on puisse dire ! -, raison pour laquelle je parlais de paradoxe.

Je ne pourrai, hélas ! suivre toute la discussion, ayant d'autres obligations - Michel Dreyfus-Schmidt abordera les autres aspects de la propositions de loi - mais il est un point sur lequel je souhaite absolument intervenir : l'affectation de juges de proximité dans les juridictions correctionnelles et leur participation éventuelle au prononcé de peines d'emprisonnement.

Vous avez pris le soin de souligner que ce n'était pas le cas à propos de la composition, mais en permettant l'affectation d'un juge de proximité dans une formation collégiale, vous méconnaissez des exigences constitutionnelles.

M. Robert Badinter. Je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel du 23 juillet 1975, qui est l'un des piliers de sa jurisprudence : « Considérant, en effet, que le respect de ce principe » -  il s'agit du principe d'égalité devant la justice -  « fait obstacle à ce que des citoyens se trouvant dans des conditions semblables et poursuivis pour les mêmes infractions soient jugés par des juridictions composées selon des règles différentes ; ».

Cette décision du Conseil constitutionnel a été rendue à propos du juge unique et de ses pouvoirs. Cependant, ce qui compte, c'est non pas ce qui a engendré la décision, mais le considérant de principe : des citoyens poursuivis pour des mêmes infractions ne peuvent être jugés par des juridictions composées selon des règles différentes.

Or la présente proposition de loi méconnaît cette exigence à deux titres.

D'une part - et cette possibilité est laissée à la discrétion des présidents des tribunaux de grande instance, selon les ressorts - les justiciables seront jugés soit par trois magistrats professionnels, soit par deux magistrats professionnels et un juge de proximité. Ne s'agit-il pas là de juridictions composées selon des règles différentes pour juger des mêmes infractions ? Je ne connais pas, pour ma part, de plus bel exemple !

D'autre part, en raison de la pénurie - qui est réelle, et force est de constater que vous n'attendez pas qu'il y soit remédié pour procéder à un élargissement de compétences -  de juges de proximité, on ne pourra pas généraliser cette mesure à l'ensemble des tribunaux correctionnels. Donc, ici encore, les justiciables seront jugés par des juridictions composées selon des règles différentes.

Par ailleurs - et c'est pour moi le point le plus important - je vous rappelle la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 29 août 2002 à propos des juges de proximité :

«Considérant, en premier lieu, que l'article 66 de la Constitution [...] ne s'oppose pas à ce que soient dévolues à la juridiction de proximité des compétences en matière pénale dès lors que ne lui » - le juge de proximité -  « est pas confié le pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté ; ».

Or, dès lors que le juge de proximité est partie intégrante de la juridiction correctionnelle, il participe directement et pleinement, comme les deux autres magistrats, à l'exercice de ce pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté. Le tribunal correctionnel est en effet un organe collégial et la décision est rendue au nom du tribunal tout entier. Il s'agit d'une oeuvre collective !

Le juge de proximité assiste à l'audience, participe au délibéré ; il intervient au même titre que les autres magistrats sans qu'on puisse le dissocier au sein de la formation. Il est donc impossible de dire qu'il ne sera pas amené à prononcer, comme les deux autres magistrats, des peines privatives de liberté.

Il y aura même un cas où ce sera lui qui décidera : si les deux magistrats professionnels sont d'un avis opposé sur l'opportunité de prendre une mesure privative de liberté, ce sera le juge non professionnel qui tranchera !

Mme Nicole Borvo. Bien sûr !

M. Robert Badinter. Je ne fais que mentionner cette possibilité, car le problème n'est pas là : il est dans l'impossibilité juridique de dissocier au sein d'un tribunal, notamment lorsqu'il délibère, les pouvoirs de l'un par rapport aux pouvoirs de l'autre.

Il n'y a qu'un pouvoir : le pouvoir juridictionnel. Il permet de prononcer des peines privatives de liberté et, dès lors, on ne peut introduire dans une juridiction correctionnelle un juge de proximité. Ce serait en contradiction avec la décision du Conseil constitutionnel sur ce point. Mieux vaut donc y renoncer tout de suite !

IL resterait bien d'autres choses à dire, mais mon ami Michel Dreyfus-Schmidt prendra le relais lors de son intervention dans la discussion générale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cointat.

M. Christian Cointat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la justice est la respiration de la démocratie. Si elle manque de souffle, c'est tout le corps de l'Etat qui en souffre. Or, depuis plusieurs années déjà, on constate, phénomène inquiétant, que les citoyens n'ont plus toujours foi en la justice.

Celle-ci paraît trop lente, trop compliquée, trop éloignée de leurs préoccupations, trop incertaine.

Pourtant, elle est rendue au nom du peuple français. Pourtant, les magistrats et les auxiliaires de justice sont de haut niveau et ont du talent. Pourtant, ils croient en leurs missions.

Cet éloignement et cette incompréhension proviennent essentiellement d'un encombrement des tribunaux en raison d'une multiplication d'affaires de plus en plus complexes et d'un accroissement des tâches administratives qui « noient » les magistrats et les empêchent de se consacrer entièrement aux affaires juridictionnelles.

Il fallait réagir, et vite. C'est dans cet esprit, pour apporter des réponses concrètes à une attente pressante, que le Gouvernement a préparé puis soumis au vote du Parlement, ce dont on peut se féliciter, la loi organique relative aux juges de proximité. Ce texte s'inspirait d'ailleurs de plusieurs rapports du Sénat, notamment de celui de la mission d'information sur l'évolution des métiers de la justice, conduite par M. Hyest, et dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur.

Cette nouvelle juridiction de proximité se met progressivement en place, avec toutes les précautions et la prudence nécessaires compte tenu des enjeux. Bien entendu, comme tout ce qui est nouveau, cette approche différente d'une justice rendue - pour les affaires de moindre importance, il faut le rappeler - par des magistrats non professionnels, mais avec des compétences juridiques confirmées et une expérience approfondie de la vie civile, continue de susciter des réticences de la part de ceux qui sont hostiles au changement, mais sans vouloir le reconnaître.

Pourtant, si cette approche modifie les comportements, elle n'est pas inédite puisque, pendant une période de près de 170 ans étendue sur trois siècles, cette pratique n'a pas été contestée : de 1790 à 1958, les juges de paix ont fait partie intégrante du paysage judiciaire français. Il a même fallu attendre 1926 pour que des connaissances juridiques leur soient demandées. Auparavant, il n'apparaissait pas fondamental qu'ils aient faits « de la science du droit une étude particulière ».

Leur remplacement en 1958 par les juges d'instance, juges professionnels, pouvait se justifier par le volume des affaires à traiter.

Aujourd'hui, le système est encombré ; il s'essouffle, il s'étouffe. Aussi, ces juges de proximité, magistrats non professionnels, mais recrutés par le Conseil supérieur de la magistrature avec un soin tout particulier et des contrôles approfondis, sont de nature à apporter la bouffée d'oxygène qui est nécessaire. Encore faut-il que le dispositif soit calibré au mieux.

En dépit de la mise en place récente de cette nouvelle juridiction de proximité, il est très vite apparu, pendant ce que l'on peut appeler la période de rodage, que certains « réglages » méritaient d'être revus.

M. Christian Cointat. Il fallait, en particulier, élargir quelque peu son champ de compétences pour que le volume des affaires dont les juges professionnels seraient déchargés soit plus significatif, regrouper les domaines pour plus de cohérence, mieux répartir certaines responsabilités et, enfin, ouvrir une porte en direction de l'échevinage.

Tel est le but de cette proposition de loi, déposée par le président de la commission, Jean-Jacques Hyest, notre collègue François Zocchetto et moi-même, afin que le mouvement amorcé en direction d'une justice de réelle proximité se poursuive avec le maximum d'efficacité.

Dans le rapport de la mission d'information sur l'évolution des métiers de la justice que j'évoquais, nous avions déjà préconisé, avec l'assentiment du Sénat, de porter la compétence des juges de proximité au niveau fixé pour les juges d'instance, à savoir 3 800 euros.

C'est donc logiquement que cette proposition de loi retient le montant de 4 000 euros, car il faut tenir compte de l'inflation, pour les juges de proximité, et porte en contrepartie à 10 000 euros celui des juges d'instance.

Dans ce même rapport, l'utilité de recourir à l'échevinage était mise en exergue. On retrouve cette idée dans la proposition de loi, car elle est essentielle pour, à la fois, donner un véritable sens à la formule selon laquelle la justice est rendue au nom du peuple - je souhaiterais qu'on ne l'oublie pas -,...

M. Pierre Fauchon, rapporteur. Très juste !

M. Christian Cointat. ...et rapprocher concrètement la justice du citoyen.

La proposition de loi reste cependant timide sur ce point, puisqu'elle limite la participation des juges de proximité en correctionnelle à un seul assesseur par formation collégiale. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'esclaffe.)

En cour d'assises, c'est le peuple qui détermine les peines d'emprisonnement, mais il le fait de manière collégiale sous l'autorité d'un juge et de deux assesseurs, tous professionnels. Qu'on ne vienne donc pas nous dire aujourd'hui qu'un juge de proximité, c'est-à-dire un magistrat recruté par le Conseil supérieur de la magistrature, avec une expérience et une formation juridique de haut niveau, ne pourrait pas faire ce qu'un citoyen peut faire !

J'ai du mal à suivre l'argumentation,...

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous l'expliquerai !

M. Christian Cointat. ...d'autant que la décision du Conseil constitutionnel concerne le juge de proximité en tant que juge unique et qu'il s'agit là, ce qui est tout à fait différent, d'une formation collégiale.

Certains critiquent la rapidité, voire l'empressement avec lesquels ces modifications sont apportées, alors qu'il n'y aurait pas assez de recul par rapport à la première application de la loi. Ces réactions sont étonnantes, mes chers collègues, car on se plaint trop souvent des atermoiements des pouvoirs publics pour ne pas se féliciter quand les réactions sont immédiates. C'est suffisamment rare pour être souligné !

On ne change pas le fond : on procède simplement à des aménagements techniques pour mieux coller à la réalité du terrain. Tout le monde sait bien que c'est dans les périodes de rodage que les réglages sont le plus nécessaire et le plus utile. Il ne faut pas attendre : c'est précisément l'attentisme qui serait condamnable.

Qui peut être opposé à une justice plus proche des citoyens, plus humaine, plus ouverte, plus simple d'accès, plus compréhensible ?

D'autres formules sont certes possibles, je le reconnais ! J'aurais, moi aussi, préféré celle qu'a rappelée M. le rapporteur : une justice de proximité placée autour du juge d'instance. Pour autant, le choix retenu a au moins le mérite d'exister et d'ouvrir des perspectives intéressantes et positives.

Alors, donnons sa chance à cette réforme. N'usons pas d'arguties pour savoir s'il aurait été préférable de l'envisager sous cette forme ou sous une autre. Elle est en place ; faisons en sorte qu'elle réussisse ! Nous devons offrir à cette justice de proximité les conditions les meilleures pour répondre à ce que nous attendons d'elle.

Nous n'avons pas le droit, mes chers collègues, de décevoir nos concitoyens. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec mes collègues Jean-Jacques Hyest et Christian Cointat, nous vous proposons d'apporter quelques modifications à l'organisation judiciaire et notamment d'élargir la compétence des juges de proximité.

La présente proposition de loi a été l'occasion pour nous de procéder à un certain nombre d'auditions et de dresser un premier bilan, très instructif.

Je tiens à saluer le travail de la commission des lois et de son rapporteur, Pierre Fauchon, qui a permis de rappeler la philosophie des membres du Sénat sur cette question : nous nous sommes toujours faits les avocats d'une justice plus proche des citoyens et plus rapide, notamment pour les petits litiges.

Les membres de notre Haute Assemblée ont mené une réflexion novatrice en faveur de la justice de proximité. Il était donc normal que nous nous saisissions de nouveau de cette question, d'autant que, dès 1994, le rapport de MM. Arthuis et Haenel avait préconisé une réforme en ce sens.

Nous souhaitions mettre en place une justice géographiquement plus proche des justiciables, plus accessible dans son fonctionnement, et ayant vocation à régler dans les plus brefs délais le contentieux le plus courant, celui qui empoisonne le quotidien de nos concitoyens.

Si l'instauration de cette nouvelle juridiction a suscité de vives critiques de la part de certains magistrats professionnels, paradoxalement, un bon accueil a été réservé aux juges de proximité.

Mme Nicole Borvo. Ils sont polis, c'est tout !

M. François Zocchetto. A l'occasion d'un sondage, 85 % des juges de proximité interrogés ont affirmé avoir été reçus très favorablement par les magistrats professionnels, ce que ces derniers ne démentent pas. Les auditions en commission ont toutefois révélé la persistance d'une certaine hostilité de la part d'organisations de magistrats professionnels.

Dans ce contexte, pourquoi élargir la compétence des juges de proximité ?

Si nous avons souhaité relever le taux de compétence des juridictions de proximité, c'est en vue de garantir une meilleure intégration de ces juges au sein de l'institution judiciaire.

Actuellement, le nombre des litiges suivis par les juges de proximité est beaucoup trop faible, particulièrement en matière de contentieux civil. Ainsi, il est intéressant de noter que le nombre d'affaires relevant de la compétence des juges de proximité ne représente que 5 % du contentieux civil des tribunaux d'instance.

Or, comme le signalait un juge de proximité lors de son audition par la commission des lois, la compétence des juges de proximité et la qualité de leurs décisions seront d'autant plus avérées qu'ils pourront traiter un nombre d'affaires significatif.

Je souhaite aborder maintenant la question du recrutement et de la formation. Nous estimons, en effet, que l'extension des compétences doit s'accompagner d'une augmentation significative du nombre de juges.

A cet égard, il convient de signaler que le rythme actuel de recrutement est beaucoup trop faible ; il ne répond pas à l'objectif que nous souhaitions atteindre, à savoir 3.300 juges en 2007.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est le moins qu'on puisse dire !

M. François Zocchetto. Nous sommes face à une double exigence : accélérer la durée d'examen des dossiers de candidatures, qui sont nombreux, et garantir la qualité du recrutement. Sur ce point, il conviendrait de faire taire toutes les critiques, car, s'il peut exister, comme dans tout corps professionnel, y compris, malheureusement, parmi les magistrats professionnels, un ou deux membres défaillants, cela ne saurait suffire à remettre en cause l'institution elle-même.

Les critères de sélection nous paraissent sévères, mais ils demeurent indispensables, car il faut bien garantir la qualité des futurs juges de proximité et, surtout, respecter la constitutionnalité de la juridiction de proximité.

Par ailleurs, les auditions ont permis de mettre en avant l'importance de la formation des juges de proximité, et notamment de la formation continue. Les juges auditionnés, s'ils ont salué la qualité de la formation initiale dispensée par l'Ecole nationale de la magistrature, aujourd'hui réduite à cinq jours, ont souhaité en allonger la durée. Ils ont également regretté le manque d'enseignement sur la tenue d'une audience. Ce sont autant de pistes qu'il conviendra certainement d'approfondir dans les prochaines semaines.

Je ne reviendrai pas sur tous les autres points de la proposition de loi, mais je me réjouis que la constitution de blocs de compétences ait été saluée par l'ensemble des magistrats auditionnés. Sur ce point, je me rallie à la position de Pierre Fauchon s'agissant des ajustements qu'il propose. La sagesse nous pousse en effet à suivre sa position en ce qui concerne le contentieux des baux d'habitation, le paiement direct des pensions alimentaires, les diffamations et injures proférées autrement que par voie de presse et le contentieux des charges de copropriété, lesquels, dans la version définitive du texte, relèveront toujours du tribunal d'instance.

Un point important a été signalé par plusieurs d'entre nous : l'avenir de la juridiction de proximité passe par une refonte globale de son organisation faisant des juges de proximité des assesseurs des juges d'instance. Je ne crains pas de le dire, même si cela peut paraître un peu brutal !

Ce système, qui serait proche du modèle britannique des magistrates'court, présenterait l'avantage de ne pas développer une juridiction supplémentaire et d'intégrer plus facilement les magistrats non professionnels dans l'organisation judiciaire.

Nous ne faisons que reprendre la position du Sénat sur le sujet. En 1996, la mission d'information chargée d'évaluer les moyens de la justice avait défendu cette position et c'est également ce système qu'avait recommandé la mission d'information sur l'avenir des métiers de la justice.

J'en arrive à la participation des juges de proximité aux formations collégiales des tribunaux correctionnels. Pour ce qui est de la décision du Conseil constitutionnel du 23 juillet 1975, qui concernait la collégialité des audiences de correctionnelle par rapport au juge unique, j'ai tendance à penser, un peu naïvement, que la présente proposition de loi n'affecte en rien le principe de collégialité : elle se borne ²à diversifier la composition d'une formation qui reste collégiale. Je ne suis donc pas certain que l'on puisse extrapoler à partir de cette décision pour remettre en cause la présence d'un magistrat non professionnel dans un organe collégial.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est déjà bien de douter !

M. François Zocchetto. Une seconde décision du Conseil constitutionnel a été évoquée, celle du 29 août 2002 : dès lors que ne lui est pas confié le pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté, la juridiction de proximité peut exercer des compétences en matière pénale. Nous proposons que la peine privative de liberté soit prononcée, non pas par la juridiction de proximité, mais par le tribunal correctionnel.

Je suis impatient de connaître la décision du Conseil constitutionnel, dans le cas où certains parmi vous décideraient de le saisir ...

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Comptez sur nous : nous y avons déjà pensé !

M. François Zocchetto. Il n'en demeure pas moins que, peut-être naïvement, je suis confiant dans l'issue de cet examen par le Conseil constitutionnel.

En conclusion, il est bien évident que cette proposition de loi ne constitue pas une réforme radicale, mais elle représente une avancée qui permettra de donner aux juges de proximité toutes leurs chances d'exister.

Il ne s'agit que d'une expérimentation, mais nous sommes bien décidés à la faire perdurer. C'est pourquoi nous vous proposons d'adopter ce texte dont je suis l'un des co-signataires. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo.

Mme Nicole Borvo. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord vous faire part de la stupéfaction qui a été la nôtre, partagée d'ailleurs par la quasi-totalité des professionnels de justice, à l'annonce, d'abord d'un projet de loi étendant les compétences des juges de proximité, ensuite de la substitution au projet de loi d'une proposition de loi identique.

En effet, comment une telle proposition de loi peut-elle nous être présentée, alors que la mise en place des juges de proximité, laborieuse et tout juste balbutiante, n'est guère à porter au crédit de cette réforme ?

Nous nous sommes opposés, voilà deux ans, à la loi organique relative aux juges de proximité, et ce pour plusieurs raisons que je rappellerai très brièvement.

Loin de « déjudiciariser » les conflits, elle contribue à la multiplication des ordres de juridiction et des magistrats aux compétences enchevêtrées. Elle contrevient au principe constitutionnel d'égalité devant la justice. Elle confère, pour la première fois, à un juge unique non professionnel une compétence pénale.

Nous étions très sceptiques quant à l'ouverture à la société civile que vous invoquiez à l'époque, monsieur le ministre et chers collègues de la majorité, car nous craignions un glissement vers un recrutement de notables.

D'ailleurs, lorsque nous avions proposé le recrutement, par défaut, comme juges de proximité, de personnes ayant une expérience judiciaire dans le monde de travail, tels les conseillers des prud'hommes, vous avez refusé, levant les bras au ciel.

Nous étions dubitatifs sur la réalité des économies attendues.

Or, deux ans plus tard, et avant même que soit dressé le bilan que vous aviez pourtant promis, monsieur le ministre, et qui était censé infirmer nos craintes, il nous est proposé d'étendre les compétences de ces juges de proximité. Pour l'instant, ils ne sont pas suffisamment nombreux pour que nous puissions juger de la situation, encore que celle-ci ne semble pas très satisfaisante.

Actuellement, 172 juges de proximité sont en exercice, alors qu'il était prévu, selon les calculs de la Chancellerie de l'époque, d'en recruter 3 300, ce qui équivaut à 330 magistrats plein temps. Nous n'en sommes aujourd'hui qu'à 17 juges plein temps.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Exactement 17,2 !

Quel est le profil type de ces 172 recrues ? Il s'agit d'un homme retraité ou exerçant une profession juridique, âgé en moyenne de cinquante-huit ans, ou d'une femme de quarante-sept ans, très diplômée, ayant cessé son activité professionnelle pour élever ses enfants. Les professions de juriste d'entreprise et d'avocat sont très largement représentées ; en matière d'ouverture à la société civile, on fait mieux !

En tout cas, on peut dire que l'expérience dont ils peuvent se prévaloir et que l'on met en avant pour justifier l'extension considérable de leurs compétences est plutôt univoque !

En matière civile, la proposition de loi relève le taux de compétence de la juridiction de proximité, le faisant passer de 1 500 à 4 000 euros. Vous nous disiez à l'époque que 1 500 euros, c'était des « broutilles ». Nous vous avions répondu que beaucoup de gens ne gagnaient pas 1 500 euros par mois. Peut-être ne le saviez-vous pas ! Ces 4 000 euros sont encore sans doute des « broutilles » !

En matière pénale, l'objectif poursuivi est de permettre à un juge de proximité de siéger au côté de deux magistrats professionnels dans les formations collégiales correctionnelles.

La clarification des compétences entre le tribunal d'instance et le tribunal de grande instance qu'introduit cette proposition de loi ne fait que corriger l'un des effets pervers de la mise en place d'un nouvel ordre de juridiction, à savoir l'enchevêtrement des compétences entre les différentes juridictions.

L'extension des compétences est le sujet qui nous préoccupe le plus parce qu'il soulève de graves problèmes.

Tout d'abord, la formation des personnes recrutées s'avère insuffisante au regard de l'importance de l'acte de juger. En effet, cinq jours de formation théorique à l'Ecole nationale de la magistrature, puis vingt-quatre ou seize jours de stage, selon que celui-ci est probatoire ou non, ne peuvent garantir une formation de qualité ; on peut déjà s'en apercevoir. De plus, c'est le Conseil supérieur de la magistrature qui décide seul si le stage est probatoire ou non, ce qui pose évidemment la question de l'égalité entre les candidats lors de la formation.

Par ailleurs, rien n'est prévu dans le budget pour 2005 en vue d'augmenter les capacités de l'Ecole nationale de la magistrature en matière d'offre de formation. Autrement dit, l'extension des compétences des juges de proximité ne sera pas accompagnée d'une meilleure formation, ce qui nous paraît particulièrement grave, car ce sont, à l'évidence, de moins en moins des « petits litiges » qui vont leur être confiés.

Autre point hautement contestable : le fait que la juridiction de proximité statue en dernier ressort. Les justiciables, dans l'impossibilité de faire appel d'une décision d'un juge de proximité, ne disposeront comme seul recours que du pourvoi en cassation. Dois-je rappeler que la Cour de cassation ne juge pas au fond mais sur la forme ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elle juge en droit !

Mme Nicole Borvo. Compte tenu du peu de formation qui sera dispensé aux juges de proximité, il est légitime de s'interroger sur leur capacité à rendre un jugement. Ne pas prévoir de procédure d'appel dans ces conditions constitue un danger pour les justiciables quant à la protection de leurs droits.

Le danger est d'autant plus grand qu'avec cette nouvelle extension des compétences les litiges seront encore plus complexes, tant dans les faits qu'en droit. Il est incompréhensible que, dans ces conditions, les justiciables ne puissent faire appel de la décision rendue.

Il est enfin un dernier point inacceptable : l'extension des compétences des juges de proximité en matière pénale. Trois aspects retiennent notre attention.

Tout d'abord, l'intervention des juges de proximité en correctionnelle sera laissée à l'entière discrétion des présidents des tribunaux de grande instance. D'où une fragilisation de l'impartialité des juridictions et un facteur d'inégalité - encore ! - des justiciables devant la loi, dans un domaine où sont pourtant directement en jeu les libertés individuelles.

Cette inégalité sera de surcroît aggravée par l'impossibilité matérielle de constituer partout sur le territoire, de la même manière et pour toutes les audiences, des juridictions correctionnelles collégiales.

L'intervention des juges de proximité dans les audiences correctionnelles, dans les conditions proposées aujourd'hui, poserait d'ailleurs, me semble-t-il, les mêmes difficultés que celles qui ont été évoquées par le Conseil constitutionnel en 1975.

Par ailleurs, nous estimons dangereuse la possibilité offerte au président du tribunal de grande instance de désigner, pour valider les mesures de composition pénale, tout juge de proximité de son ressort.

Enfin, nous sommes particulièrement inquiets de la participation des juges de proximité au jugement des délits correctionnels. Il est en effet difficilement admissible qu'un juge non professionnel se prononce en matière de peine privative de liberté. A cet égard, la comparaison avec la cour d'assises n'est absolument pas acceptable !

Je vous rappelle que, lors du débat sur la loi organique, vous juriez vos grands dieux que jamais les juges de proximité n'auraient à participer à des jugements pouvant donner lieu à des peines privatives de liberté !

Bien entendu, les initiateurs de cette proposition de loi balayent nos objections d'un revers de main. Ils sont évidemment, en l'occurrence, les porte-parole du Gouvernement puisque la proposition de loi est identique au projet de loi qui était en gestation à la Chancellerie.

Devant une telle obstination à faire passer une réforme rejetée par tous les professionnels de justice, et dont l'urgence n'apparaît pas clairement, on peut s'interroger sur les réelles motivations du Gouvernement et des initiateurs de cette proposition de loi. S'agit-il de faire des économies ? Les formations au rabais, les rémunérations sous forme de vacations engendreraient une justice moins coûteuse... Franchement, aujourd'hui, il n'est pas évident que les vacations reviennent au bout du compte moins cher au ministère de la justice que la rémunération d'un magistrat professionnel exerçant à temps plein.

Je le disais en introduction, l'instauration d'une nouvelle juridiction de proximité apparaît comme un échec, ...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

Mme Nicole Borvo. ... eu égard à l'expérience acquise, très limitée à la fois dans l'espace et dans le temps ; la presse s'en est d'ailleurs largement fait l'écho.

Le mode de recrutement est un échec, car, si l'objectif affiché est de faire participer les citoyens aux décisions de justice, les juges de proximité doivent être recrutés au sein de la société civile. Or nous constatons que les juges de proximité déjà nommés sont en majorité d'anciens professionnels du droit, d'anciens policiers ou d'anciens gendarmes. Plusieurs questions se posent sur ce recrutement étonnamment centré sur des notables. L'impartialité peut-elle être respectée quand certains juges de proximité - je parle des anciens policiers ou gendarmes - sont confrontés à d'anciens collègues ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'est pas un argument !

Mme Nicole Borvo. Comment assurer un procès équitable dans ces conditions ? C'est impossible, et cela est extrêmement préjudiciable pour les justiciables.

Des difficultés sont par ailleurs apparues à la suite du recrutement de ces juges de proximité. Vingt-trois d'entre eux ont déjà démissionné, estimant que leur formation était insuffisante. En effet, ne devient pas juge qui veut ; si les anciens professionnels du droit rencontrent peu de difficultés dans leur nouvelle tâche, les autres, tout en justifiant les vingt-cinq années d'expérience requises, ont du mal à rédiger des jugements motivés.

Le but affiché à l'origine était de désengorger les tribunaux. Or, au vu de l'expérience acquise jusqu'à présent, il apparaît que les juges d'instance se retrouvent enlisés dans les problèmes logistiques et juridiques en raison des conditions très approximatives dans lesquelles a été mise en place cette juridiction de proximité. Non seulement les juges de proximité n'ont pas amélioré la situation des tribunaux d'instance - ceux-là mêmes qui, pourtant, fonctionnent le mieux -, mais ils ont également plutôt contribué à les désorganiser : problèmes de locaux, de partage des greffiers, etc. Loin de soulager les juges d'instance, ils leur donneraient plutôt du travail supplémentaire : formation, organisation des audiences, calcul des vacations ; bref, beaucoup de problèmes logistiques pour bien peu d'affaires traitées.

Sur le plan juridique, les juges d'instance sont confrontés à quelques incohérences. En attendant - jusqu'à quand ? - les 3 300 juges de proximité, ils sont dans l'obligation de traiter les contentieux relevant des deux juridictions, et donc de changer de casquette selon les faits qu'ils ont à juger. Il n'est pas rare, d'après ce que l'on nous a dit, de rencontrer des situations proprement ubuesques !

Monsieur le garde des sceaux, vous avez renoncé à présenter un projet de loi en la matière.

Messieurs les auteurs de la proposition de loi, vous savez que les professions judiciaires sont hostiles à l'extension des pouvoirs de juges de proximité.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le Parlement fait la loi !

Mme Nicole Borvo. Et il n'est pas honnête de dire que c'est du corporatisme. Le recrutement des magistrats par concours est, sans conteste, conforme aux principes républicains. La suppression de la justice de paix en a été l'illustration. Désengorger les tribunaux de ce que vous appelez les « petits litiges », c'est favoriser les procédures de médiation et de conciliation - et on en est loin avec les juges de proximité -, c'est recruter plus de magistrats, plus de greffiers, plus de personnels.

Démocratiser la justice, c'est faciliter l'accès aux concours de recrutement. Trop de candidats potentiels reculent aujourd'hui devant le manque de démocratie du recrutement ; nous y reviendrons dans le débat.

Nous disons donc résolument non à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en écoutant le rapporteur et les autres co-auteurs de la proposition de loi, j'ai eu de nombreux fous rires, qui étaient en vérité assez nerveux, car « lorsqu'on vient d'en rire, on devrait en pleurer » !

Tout le monde le sait, cette proposition de loi n'en est pas une : un même texte avait été soumis auparavant par la Chancellerie aux organisations syndicales. Ce procédé, peu brillant, vous permet, monsieur le garde des sceaux, de vous passer de l'avis du Conseil d'Etat ; c'est bien dommage !

Le rapporteur - qui n'est pas lui-même co-auteur de la proposition de loi parce qu'il savait qu'il serait le rapporteur de ce texte - propose, avec l'accord des auteurs de la proposition de loi, de multiples modifications. Le Gouvernement est bien évidemment d'accord, M. le garde des sceaux ayant d'ailleurs déjà eu l'occasion, au cours d'une question d'actualité tout aussi spontanée que cette proposition de loi, de l'expliquer.

La loi du 9 septembre 2002, on vient de le rappeler, promettait la création de 3 300 postes de juges de proximité en cinq ans. Or 172 juges de proximité ont été nommés en deux ans, et la majorité d'entre eux ont pris leurs fonctions soit en mai, soit en septembre dernier, comme l'a indiqué M. Michel Lernout, chef de la mission chargée du recrutement des juges de proximité. Certains d'entre eux ont même été nommés au début du mois d'octobre ! Il est ainsi absolument impossible de tirer les leçons de ce qu'ils ont pu faire ou ne pas faire ; plus exactement, ils n'ont rien pu faire, et on ne saurait d'ailleurs le leur reprocher.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est ce que nous avons dit !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Concernant la qualité de ces juges, ni le rapporteur ni personne d'autre n'a jusqu'à présent cru devoir rappeler que le Conseil constitutionnel a sanctionné l'initiative que vous aviez prise de vouloir nommer des femmes ou des hommes ayant vingt-cinq ans d'ancienneté dans les domaines « économique, social ou financier ».

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. N'est-ce pas, madame Borvo ?

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Une ouverture souhaitée par beaucoup !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le Conseil constitutionnel pense en effet - et le groupe socialiste est parfaitement de son avis - que, pour rendre la justice, il n'y a rien de mieux que des juges professionnels, qui font de longues études, qui apprennent le droit, qui savent ce qu'est le droit.

Dans sa question d'actualité que j'évoquais précédemment, M. Garrec, puisqu'il s'agissait de lui, avait fait valoir que, les juges de proximité étant d'une qualité plus grande qu'on ne le pensait à l'origine, il était à ses yeux possible d'accroître leurs compétences.

Or le Conseil constitutionnel a bien dit : « Les compétences que vous leur donnez sont valables pour ceux que vous aurez le droit de recruter. » Il n'a pas dit qu'on pouvait leur en donner plus !

Enfin, vous proposez un bouleversement des compétences en matière civile : pour les juges de proximité, le taux de compétence passerait de 1 500 à 4 000 euros. Ce n'est pas rien ! Il s'agit plus du tout de « petits litiges », mais de litiges fort importants, si tant est d'ailleurs qu'il en existe de petits !

Pour les tribunaux d'instance, ce taux, qui a déjà été relevé de 4 573 à 7 600 euros en 1998, passerait à 10 000 euros, pour tenir compte de l'inflation, nous dit-on. On se moque du monde ! (Mme Borvo rit.).

A l'évidence, ce sont des sommes tout à fait considérables pour une juridiction où il n'y a pas de représentation obligatoire ! (M. le président de la commission des lois proteste.). En effet, les plaideurs n'ont pas nécessairement l'appui d'un professionnel puisqu'ils n'ont pas l'obligation de prendre un avocat. Au demeurant, c'est souvent pour eux l'occasion de se rendre compte qu'un avocat est plus qu'utile pour préparer le dossier, afin de permettre au juge d'y comprendre quelque chose.

Mais le comble est vraiment atteint quand il est proposé que, dans tous les cas, sauf dans les affaires de droit de la consommation - j'ignore d'ailleurs le pourquoi de cette exception, mais vous me l'expliquerez sans doute tout à l'heure -, les décisions du juge d'instance soient susceptibles d'appel, alors que celles du juges de proximité ne le seraient en aucun cas.

Nous défendrons un amendement tendant à ce que, dans tous les cas, alors qu'il est encore inconcevable de tirer quelque enseignement que ce soit de l'exercice de ces magistrats non professionnels qui sont en place depuis très peu de temps, il soit possible de faire appel de leurs décisions, a fortiori si vous décidez d'augmenter leurs compétences.

J'en viens à la partie du texte qui prévoit de permettre aux juges de proximité de participer à des décisions en matière correctionnelle.

A l'occasion de l'examen de la présente proposition de loi, la commission des lois a entendu, notamment, la présidente de l'Association nationale des juges de proximité. Voilà un titre qui impressionne, mais elle nous a confié qu'elle avait été élue par la première promotion qui ne comptait que quarante personnes, ce qui relativise tout de même quelque peu la portée de ses propos !

En tout état de cause, aujourd'hui, 48 % des affaires correctionnelles relèvent du juge unique, sans parler de la composition pénale, de la comparution préalable avant reconnaissance de responsabilité ou de l'ordonnance pénale.

Ce qui relève encore de la collégialité, ce sont les délits les plus graves, les affaires les plus complexes. Dès lors, ce n'est tout de même pas trop demander que de prévoir trois magistrats professionnels pour juger de ces quelques affaires qui échappent encore au juge unique !

La comparaison que certains prétendent faire avec la cour d'assises, dans lesquelles siègent effectivement depuis fort longtemps des jurés non professionnels, n'est évidemment pas du tout pertinente.

Quant à la comparaison avec les tribunaux pour mineurs, qui ont été créés en 1945, elle ne l'est pas davantage : on sait bien que les assesseurs sont choisis en fonction de leurs compétences particulières en matière de jeunesse et que, le plus souvent, il s'agit non pas de punir, mais de relever, précisément parce que ce sont des enfants qui sont en cause. C'est un domaine tout à fait particulier, qui n'a strictement rien à voir avec le droit pénal général.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Pourquoi ?

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il a déjà été dit, mais je tiens à le répéter, que ce dispositif était anticonstitutionnel, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, sur la question de l'impossibilité pour les juges de proximité de prononcer une peine de prison, il est clair qu'on joue sur les mots.

M. Christian Cointat. Oui, vous, vous jouez sur les mots, c'est sûr !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous jouez sur les mots lorsque vous affirmez que le Conseil constitutionnel a parlé, non pas du « juge proximité », mais de la « juridiction de proximité ». Tout le monde sait que c'est la même chose ! Dès l'instant où cette juridiction de proximité ne se compose que d'un magistrat, qui est le juge de proximité, le Conseil constitutionnel répétera, car il en aura évidemment l'occasion, qu'il ne veut pas voir le juge de proximité participer au prononcé de mesures privatives de liberté.

Robert Badinter a parfaitement démontré tout à l'heure que, dans une juridiction collégiale, en cas de désaccord entre les magistrats professionnels, c'est le juge de proximité qui fera la différence et qui, en fait, prononcera la peine privative de liberté. C'est peut-être même lui qui rédigera le jugement !

M. Christian Cointat. C'est très spécieux !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ensuite, dans sa décision en date du 23 juillet 1975, le Conseil constitutionnel - vous avez pu remarquer que Robert Badinter n'a cité que des décisions prises à une époque où il n'en était pas membre - a déclaré contraire à la Constitution le fait que dépende du seul président la désignation de la collégialité ou du juge unique. Or c'est précisément ce que vous proposez puisque le président du tribunal pourra désigner ou ne pas désigner un juge de proximité. Autrement dit, il en résultera une inégalité pour les justiciables.

Enfin, il ne se trouve pas partout des juges de proximité et, si votre texte est adopté, il est de très nombreux tribunaux où il ne pourra pas être appliqué. J'ai sous les yeux un tableau dressant la liste des affectations des juges de proximité, liste qui vient juste de m'être communiquée après que je l'eus longtemps demandée : mieux vaut tard que jamais. Quoi qu'il en soit, elle fait apparaître que des juges de proximité sont présents dans vingt-neuf cours d'appel sur trente-cinq, ce qui signifie que six ressorts de cours d'appel en sont totalement dépourvus.

Mme Nicole Borvo. Un tiers !

M. Christian Cointat. Pour le moment !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et plusieurs cours n'ont qu'un juge de proximité : Basse-Terre, Besançon, Nîmes ou Pau. D'autres n'en ont que deux ou trois.

C'est dire que ce texte serait impossible à appliquer et qu'il y a là encore un facteur d'inégalité entre les justiciables.

Il me faut aussi évoquer la formation des juges de proximité. Que peut-on penser d'un stage de cinq jours à l'Ecole nationale de la magistrature ? Je sais bien que, maintenant, le service militaire ne dure plus qu'une journée ! Là, c'est un peu la même chose ! (Mme Borvo rit.)

Or il s'agit souvent, nous a-t-on dit, de personnes qui viennent des tribunaux administratifs ou de la Cour des comptes et qui, par conséquent, ne connaissent rien ni au droit civil ni au droit pénal. Et vous allez leur permettre de juger, sans appel possible, d'affaires portant sur des sommes allant jusqu'à 4 000 euros ou de condamner des gens à la prison !

J'ai le regret de le dire, ce n'est ni fait ni à faire !

Il fallait au moins attendre l'épreuve du temps !

J'ai également constaté, grâce au tableau que j'évoquais à l'instant, que soixante-huit juges de proximité, sur les cent soixante-douze en exercice, n'avaient été nommés qu'en septembre dernier, ce qui signifie qu'ils n'ont évidemment aucune pratique. En outre, dans la mesure où ils ne siègent qu'une fois par mois, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il est impossible de tirer une quelconque leçon de l'expérience.

Notre collègue Pierre Fauchon, qui est un peu un spécialiste en la matière, après nous avoir expliqué que le dispositif de composition pénale était destiné aux « tout petits litiges », l'a déjà étendu aux délits passibles d'une peine inférieure ou égale à cinq ans. Aujourd'hui, il fait de même avec les compétences du juge de proximité, dans les conditions que l'on sait.

C'est décidément du très mauvais travail législatif et nous voterons résolument contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Il n'est pas dans mon intention de revenir sur le débat. J'ai compris que les représentants de la gauche étaient hostiles à l'institution de la justice de proximité.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas à la justice de proximité, au juge de proximité !

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je vous ai laissé parler, monsieur le sénateur, ayez la courtoisie de faire de même en ce qui me concerne !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !

M. Dominique Perben, garde des sceaux. La gauche a voté, voilà deux ans, contre la justice de proximité.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non, contre le juge de proximité !

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Elle va continuer à le faire aujourd'hui.

Je souhaite simplement apporter quelques éléments d'information susceptibles d'intéresser le Sénat.

Le profil type du juge de proximité en activité aujourd'hui est le suivant : la moyenne d'âge s'établit à cinquante-huit ans pour les hommes, quarante-sept ans pour les femmes. Le benjamin a trente-sept ans et le doyen, soixante-treize ans. La profession comprend 55 % d'hommes et 45 % de femmes. Parmi ces juges, 48 % ont un niveau d'études bac + 4 et quatre ans d'expérience juridique, 38 % provenant de professions libérales et juridiques.

Ces derniers chiffres montrent que le ciblage du texte correspond bien à la réalité d'aujourd'hui. L'exigence d'une formation juridique relativement importante et d'une expérience dans les métiers du droit se retrouve très clairement dans le profil actuel des juges de proximité.

C'est la raison pour laquelle il m'arrive de ne pas comprendre deux critiques qui sont émises simultanément, parfois par les mêmes personnes. Tantôt on regrette l'insuffisance du nombre de personnes venant de la société civile, hors métiers du droit. Je réponds à cela que notre souci de constitutionnalité nous a précisément amenés à fixer des conditions assez strictes en matière de formation et d'expérience. Tantôt on souligne au contraire que ces personnes n'ont pas une formation juridique suffisante. Les chiffres que je viens de vous communiquer apportent un certain nombre d'éléments sur ce point.

S 'agissant de la possibilité de faire appel des décisions des juges de proximité, je rappelle que, aujourd'hui, le tribunal d'instance statue en dernier ressort jusqu'à 3 800 euros. La proposition qui vous est faite est de faire passer le taux de compétence de la justice de proximité à 4 000 euros, soit 200 euros de plus par rapport à la situation actuelle, où il n'y a pas d'appel.

Chacun pourra tirer les conséquences qu'il souhaite de ces informations complémentaires par rapport aux analyses qui ont été présentées par certains orateurs il y a un instant.

A l'évidence, le débat que nous avons aujourd'hui sur certains éléments techniques destinés à définir les compétences de la justice de proximité est évidemment important. Mais, au-delà de cela il y a plus important encore : c'est le fait que l'institution judiciaire s'ouvre sur des femmes et des hommes ayant des expériences diversifiées. Cela me paraît déterminant pour l'avenir de cette institution. Je le dis avec une grande conviction et beaucoup de sincérité, après deux ans et demi d'expérience comme ministre de la justice.

Je pense en particulier aux juges professionnels. Il est de leur intérêt de pouvoir exercer leurs attributions professionnelles dans les mêmes tribunaux et à « proximité » de femmes et d'hommes ayant des origines, des cultures, des expériences professionnelles différentes.

J'en suis profondément convaincu, nous avons tous intérêt - et je regrette que la gauche n'évolue pas sur ce sujet - à la réussite de la justice de proximité.

En effet, ne vous y trompez pas, mesdames, messieurs les sénateurs : nous pouvons être inquiets de l'image que la justice a parfois dans l'opinion publique française. C'est là une réalité préoccupante, car un pays démocratique doit avoir confiance dans son institution judiciaire.

C'est pourquoi nous devons tout faire pour que cette institution s'ouvre sur l'extérieur.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Il faut que cette nécessaire relation de confiance puisse être rétablie et soit même plus forte qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Je le dis franchement, je pense que certaines critiques émises sur la justice de proximité sont parfois plus empreintes de mesquinerie que de sincérité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance,
Art. additionnel avant le titre Ier

Mme la présidente. Je suis saisie par Mmes Borvo,  Mathon,  Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur les conclusions de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance (n° 66, 20042005).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Josiane Mathon, auteur de la motion.

Mme Josiane Mathon. Nous estimons - et nous tenterons de vous convaincre, monsieur le garde des sceaux - qu'il n'y a pas lieu de discuter d'un tel texte, qui est d'ailleurs contesté par l'ensemble des magistrats et qui va à l'encontre des principes de notre justice.

J'avancerai plusieurs arguments pour étayer mon propos.

Tout d'abord, je souligne qu'il existait déjà une justice de proximité, incarnée par les juges d'instance. Nul besoin, dans ces conditions, de créer un nouvel ordre de juridiction, prétendument pour rapprocher les citoyens de leurs juges et faciliter, s'agissant des petits litiges, l'accès à la justice. Il n'est donc pas nécessaire d'étendre aujourd'hui les compétences des juges de proximité qui, de surcroît, n'ont pas fait leurs preuves, ou plutôt qui ont fait preuve de leur inefficacité.

Depuis leur mise en place il y a tout juste un an, comme l'a rappelé notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt, les juges de proximité n'ont effectué qu'un très petit nombre de vacations et ne déchargent pas les juges d'instance de leur travail.

Tout indique, dans les faits, que la création de cette nouvelle justice de proximité est un échec. Nous ne disposons d'ailleurs d'aucun bilan officiel sur leur activité. Il est notamment impossible de dire en quoi la justice se trouverait rapprochée du citoyen et dans quelles conditions de qualité. Ce seul argument suffirait à rejeter toute velléité d'extension des compétences des juges de proximité.

En outre, vous aviez annoncé, monsieur le garde des sceaux, que, au titre de l'année 2004, les effectifs des juges de proximité seraient portés à six cents. Or il s'avère que le nombre de juges en fonction à la fin de l'exercice 2004 n'excédera pas la moitié. Eu égard aux objectifs prévus - 3 300 juges de proximité sur cinq ans, je le rappelle -, le développement de cette juridiction ne semble donc pas être assuré.

En tout état de cause, l'extension du dispositif existant est envisagée alors que nous ne disposons d'aucun élément de visibilité sur le fonctionnement des juridictions de proximité.

Cet échec est d'autant plus regrettable que la priorité n'était pas de désengorger la juridiction d'instance, contrairement à ce qui était affiché lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice.

L'argument avancé par le Gouvernement était alors qu'il fallait offrir une réponse judiciaire aux nombreuses affaires qui échappaient à l'institution judiciaire en raison du coût occasionné par le procès, des démarches trop complexes à effectuer ou des délais de jugement trop importants.

Les faits contredisent cet argument. Outre le fait que la justice d'instance est facile à saisir, le traitement des affaires dans les tribunaux d'instance est de l'ordre de cinq mois en moyenne : c'est l'un des délais de jugement les plus rapides.

Par ailleurs, M. Fauchon le souligne lui-même dans son rapport, la procédure applicable devant le tribunal d'instance est simple : les débats sont oraux et les parties peuvent se présenter seules à l'audience.

Dès lors, pourquoi s'acharner à désorganiser une juridiction qui fonctionne sinon bien, du moins mieux que les autres ?

Nicole Borvo a évoqué ce problème tout à l'heure : les tribunaux d'instance voient effectivement leur fonctionnement perturbé depuis la mise en place des juges de proximité. Pourquoi ne pas faire en sorte d'augmenter les moyens accordés à la juridiction d'instance, juridiction de proximité par excellence ? Un nouvel ordre de juridiction dit « de proximité » serait, de ce fait, inutile.

Contrairement à ce qu'affirme notre rapporteur, à savoir que la réforme instituant une juridiction de proximité « a permis de répondre au souci ancien, constamment réaffirmé depuis la disparition des juges de paix, de rapprocher la justice des citoyens », les arguments soutenus par le Gouvernement et la majorité selon lesquels une plus grande proximité entre la justice et les citoyens et un désengorgement des tribunaux d'instance seraient nécessaires ne tiennent pas.

Lorsqu'on examine le décret du 23 juin 2003 relatif à la juridiction de proximité, force est de constater que le nombre de sièges des juridictions de proximité coïncide avec celui des sièges des tribunaux d'instance. D'ailleurs, le greffe de la juridiction de proximité est celui du tribunal d'instance dont elle dépend. Si le tribunal est déchargé, le greffe, lui, ne l'est pas.

Dans sa configuration actuelle, la nouvelle juridiction rejoindrait l'idée de proximité par le fait qu'elle concerne effectivement des petits litiges, tant en matière civile qu'en matière pénale. Il convient cependant de nuancer cette notion, 1 500 euros représentant une somme importante pour les personnes à faibles revenus. Par ailleurs, ce n'est pas parce que la somme en jeu est modeste que l'affaire est simple à juger. Ce n'est pas la valeur qui fait la complexité de l'affaire, loin de là.

Le projet d'extension du taux de compétence de cette juridiction de proximité s'affranchit, en revanche, de cette dimension.

En matière civile, la somme de 4 000 euros ne peut en aucune manière être considérée par la majorité de nos concitoyens comme étant modique, sans compter que les justiciables n'auront toujours pas la possibilité de faire appel de la décision rendue.

Le fait d'étendre la saisine de cette juridiction dite « de proximité » aux plaideurs professionnels en modifie évidemment la nature. Non, monsieur le rapporteur, la philosophie initiale de la réforme n'est pas conservée. Cette proposition de loi tend à opérer un bouleversement considérable pour ce qui concerne la protection des droits des citoyens.

Un nombre croissant de particuliers, souvent présents en personne lors des procès, se trouveront privés de l'équilibre qu'apporte l'accès à un juge professionnel face à des plaideurs institutionnels représentés par un avocat. Il ne s'agit donc plus de répondre aux besoins de justice de personnes rencontrant a priori des difficultés pour accéder à cette institution.

Enfin, l'extension des compétences du juge de proximité fera entrer dans son contentieux un plus grand nombre d'affaires relevant du droit de la consommation, affaires qui sont de plus en plus complexes.

Or le problème est que les juges qui ont été recrutés l'ont été soit parmi des professionnels ou d'anciens professionnels sans formation dans ce domaine, soit, au contraire, parmi des professionnels particulièrement proches des créanciers institutionnels ; je pense à des responsables de contentieux ou encore à des huissiers de justice. Pour les uns, la formation qui est actuellement dispensée sera pour le moins insuffisante pour leur inculquer les connaissances requises ; pour les autres, il est évidemment à craindre que leur impartialité ne soit pas objective pour traiter ce genre de contentieux.

En matière pénale, l'intérêt d'une participation de juges non professionnels aux audiences du tribunal correctionnel serait que ceux-ci aient une légitimité citoyenne. Or les juges de proximité sont recrutés quasiment exclusivement parmi d'anciens magistrats, avocats, juristes d'entreprises, ou bien encore parmi d'anciens policiers ou gendarmes.

Contrairement à ce que soutient la Chancellerie, la présence des juges de proximité au sein des formations correctionnelles ne répond pas tout à fait à la logique d'une participation des citoyens à la justice. Au contraire, la multiplication de leurs interventions, dans un ressort géographique plus étendu qu'actuellement, accroîtra les risques de conflits d'intérêts et d'atteinte à l'impartialité.

Par ailleurs, j'estime que le fait de permettre à des juges non professionnels de participer à des audiences correctionnelles contrevient à l'article 66 de la Constitution de 1958, selon lequel l'autorité judiciaire est garante du respect de la liberté individuelle.

En effet, bien que les juges non professionnels soient soumis au statut de la magistrature, ils ne sont pas membres du corps judiciaire. Cela nous pose un problème. La frontière est d'ailleurs étroite entre la validation de mesures de composition pénale et le prononcé des peines privatives de liberté. Jusqu'où irez-vous dans l'extension des compétences de ces juges en matière pénale ?

Vous le voyez, les conditions sont loin d'être réunies pour envisager d'étendre les compétences de ces juges, dont la création et la légitimité sont déjà particulièrement contestables.

De plus, pendant ce temps, le Gouvernement ne crée pas de postes de magistrats supplémentaires et désavoue encore davantage le travail des conciliateurs de justice. Ces derniers doivent d'ailleurs se demander à quoi ils peuvent bien servir.

Alors que le Gouvernement vantait les mérites de la médiation et de la conciliation lors de la présentation du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice, et qu'il insistait sur le rôle des conciliateurs pour apaiser les conflits, un nouvel ordre de juridiction a été créé. Pis, il est aujourd'hui envisagé d'en étendre considérablement les compétences.

L'incohérence est même poussée plus loin : outre que le juge de proximité doit favoriser la conciliation avant de rendre un jugement, il peut, après avoir tenté une conciliation et faute d'accord entre les parties, leur enjoindre de rencontrer un conciliateur. L'inverse n'aurait-il pas été plus logique ?

Enfin, je souhaite insister sur le fait que la contribution des conciliateurs à la justice de proximité est loin d'être négligeable.

En juillet 2002, si l'intention du Gouvernement était réellement de donner une vraie place à la justice de proximité, il aurait pu s'appuyer sur les conciliateurs de justice, qui, en plus de vingt ans, ont fait leurs preuves.

Rappelons également que tout juge est conciliateur et que les moyens accordés aux services de conciliation du tribunal d'instance ne sont pas inférieurs à ceux qui sont accordés à la juridiction de proximité.

Cela nous renforce dans cette conviction : outre le fait que cette nouvelle juridiction de proximité présente les problèmes de fonctionnement que les divers intervenants ont décrits, problèmes qui portent évidement atteinte à la protection des droits des citoyens en matière de justice, elle est inutile.

Il est donc inadmissible que, après si peu de temps, et sans le recul nécessaire, le Gouvernement propose, par l'intermédiaire de parlementaires, ...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah non !

Mme Josiane Mathon. ... d'étendre les compétences de cette nouvelle juridiction. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Gélard, contre la motion.

M. Patrice Gélard. Je pense beaucoup de bien non seulement de l'institution du juge de proximité, mais aussi de la proposition de loi qui a été déposée par trois de nos collègues et dont Pierre Fauchon est le rapporteur.

Toutefois, cette réforme qui est très importante pour l'avenir de notre société, n'est pas tout à fait achevée. Je pense même que, à terme, il faudra aller sensiblement plus loin et repenser complètement l'organisation du tribunal d'instance pour faire en sorte que ce soient les juges de proximité, sous l'autorité d'un magistrat de carrière, qui assument la charge de l'ensemble du tribunal d'instance.

En effet, mes chers collègues, c'est bien le fonctionnement actuel des tribunaux d'instance qui donne une mauvaise image de la justice : on y expédie quarante ou cinquante affaires en une matinée ; les justiciables, qui n'ont pas toujours un avocat, n'ont même pas le temps de s'exprimer.

C'est en fin de compte une justice au rabais qui est rendue dans le tribunal d'instance. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'esclaffe.).

Mme Nicole Borvo et M. Robert Bret. Il faut aller voir sur place !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'y est jamais allé !

M. Patrice Gélard. Avec le juge de proximité, nous allons améliorer les relations et les contacts entre les justiciables et ceux qui rendent la justice.

Et qu'on ne nous dise pas que les juges de proximité sont des juges mal formés. Leur formation juridique est aussi bonne et aussi complète que celle qui est dispensée à tous les magistrats professionnels.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas vrai !

M. Patrice Gélard. Certes, on peut s'interroger sur la brièveté du stage qu'ils effectuent au sein de l'Ecole nationale de la magistrature, mais une personne qui a été avocat ou professeur de droit a au moins la même formation qu'un magistrat. (Mme Nicole Borvo s'exclame.) Il lui manque certes la pratique, mais elle l'acquerra. Chacun le sait, un magistrat qui sort de l'Ecole nationale de la magistrature n'a, lui non plus, aucune pratique, et il commence bien, à un moment donné, par faire ses armes.

Mme Nicole Borvo. Alors, supprimez l'Ecole nationale de la magistrature ! On fera des économies !

M. Patrice Gélard. Après quelques années, les juges de proximité seront, vous le verrez, mes chers collègues, aussi compétents que les magistrats de carrière parce qu'ils ont, au départ, une formation juridique.

A cet égard, qu'il me soit permis de regretter que l'on n'ait pas profité de cette proposition de loi pour apporter une légère modification au statut actuel des juges de proximité.

En effet, on exige aujourd'hui des juges de proximité qu'ils exercent leur mission loin de l'endroit où ils habitent. Cette mesure est bien évidemment justifiée pour les avocats, mais elle ne l'est sûrement pas pour les professeurs ou les maîtres de conférence de droit, ...

Mme Nicole Borvo. Il n'y en a pas parmi les juges de proximité !

M. Patrice Gélard. ... qui pourraient parfaitement remplir leur mission là où ils résident. Il n'est guère probable qu'il puisse exister un lien entre leur exercice professionnel et les affaires qu'ils seraient susceptibles de traiter. En outre, nous pourrions retrouver un certain nombre de juges de proximité qui avaient été sélectionnés et qui ont démissionné face aux difficultés que représentait l'éloignement du tribunal par rapport à leur lieu de résidence.

Par ailleurs, on ne peut pas dire que les juges de proximité rendent une mauvaise justice, à moins de condamner toute forme de participation des citoyens au fonctionnement de la justice. Il faudrait condamner les conseils de prud'hommes, les tribunaux paritaires des baux ruraux, ...

M. Michel Dreyfus-Schmidt. La discussion générale est terminée !

M. Patrice Gélard. ... les tribunaux des affaires de sécurité sociale, les jurys de cours d'assises, toutes instances qui ne sont pas composées de magistrats professionnels mais qui rendent la justice au même titre qu'eux.

Par conséquent, c'est une expérience qu'il faut poursuivre, renforcer, conforter ; il convient de faire en sorte que cette greffe, un peu délicate, soit progressivement acceptée par les magistrats, ...

Mme Nicole Borvo. Il faudrait organiser des stages dans les juridictions pour les sénateurs !

M. Patrice Gélard. ... qui seront ainsi déchargés d'affaires qui les empoisonnent et qui ne sont pas dignes d'eux parce qu'ils ont d'autres choses plus importantes à faire.

Le texte qui nous est proposé est un bon texte pour conforter cette institution. C'est la raison pour laquelle, avec mes amis, je voterai contre la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur ce que le garde des sceaux a expliqué tout à l'heure en des termes très convaincants.

Permettez-moi de vous le dire amicalement, chers collègues du groupe CRC, je trouve consternante cette question préalable. Enfin quoi ! Vous savez bien quel est l'état de la justice en France ! Vous n'allez pas m'obliger à étaler ici les misères, les difficultés, les insuffisances, les retards, etc.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est votre faute !

M. Pierre Fauchon, rapporteur. Voilà, cher ami, une réflexion qui retombe sur celui qui l'a prononcée, les fautes étant largement partagées depuis des lustres ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

La situation de la justice n'est pas tellement satisfaisante.

Mme Nicole Borvo. Nous sommes bien d'accord !

M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je rends hommage aux magistrats qui sont dans la tranchée et qui font de leur mieux pour faire face à bien des difficultés.

Nous tentons une expérience qui est intéressante. Elle n'est pas, en elle-même, porteuse de bouleversements, mais elle est porteuse d'un grand espoir, comme le doyen Gélard l'a rappelé tout à l'heure. Laissez cet espoir grandir et s'épanouir. N'émettez pas une opposition de principe dont on sent tellement qu'elle est politique, pour ne pas dire politicienne, (Protestations sur les travées du groupe CRC)...

M. Robert Bret. Allez sur le terrain !

M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... pour ne pas dire corporatiste ou clientéliste. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

Puisque vous n'avez pas le courage de retirer cette motion, la commission demande à la majorité de cette assemblée de la rejeter avec vigueur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Mme la présidente. Si M. le garde des sceaux n'a rien à dire, je vais mettre cette motion aux voix.

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Madame la présidente, je regrette que vous puissiez considérer que le garde des sceaux n'a rien à dire.

Mme la présidente. Sur cette motion, monsieur le garde des sceaux !

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je ne demande pas la parole, ce qui est un peu différent.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je tiens à dire que nous soutenons cette question préalable et à regretter le tour pris par ce débat...

M. Bernard Murat. Qui le lui a donné ?

Mme Nicole Borvo. Certes pas vous puisque vous n'étiez pas là auparavant !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. ...dans la mesure où nous sommes injuriés et que nous ne saurions l'admettre.

Il n'est pas admissible, en effet, que l'on nous dise qu'il y aurait dans notre attitude - sans autre précision, mais, après tout, il n'y a pas tant de membres de l'opposition qui sont intervenus - plus de mesquinerie que de sincérité. Ces termes, nous ne les acceptons pas !

Nous n'admettons pas non plus que le rapporteur prétende que notre opposition serait politicienne, corporatiste et je ne sais quoi d'autre.

Mme Nicole Borvo et M. Robert Bret. Clientéliste !

M. Dominique Leclerc. C'est la vérité !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous sommes au moins aussi sincères que vous, permettez-moi de vous le dire !

J'ajoute que je n'attends pas d'un garde des sceaux qu'il dise que l'on n'a plus confiance dans la justice, car il faut avoir confiance dans la justice, ce qui est notre cas, même si nous savons que la justice pourrait travailler dans de meilleures conditions.

Vous avez affirmé, monsieur le garde des sceaux, que nous étions contre la justice de proximité. J'ai répondu, et vous m'avez reproché de vous interrompre, que nous n'étions pas contre la justice de proximité, ...

M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... mais que nous étions contre l'institution des juges de proximité, ce qui n'est pas la même chose.

Lorsque, tout à l'heure, je disais à M. Fauchon « c'est votre faute », je parlais évidemment de la majorité actuelle. Je m'explique.

M. Christian Cointat. Nous avons compris !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y avait jadis des juges de paix. Ils ont été supprimés. Par qui ? Vous vous en souvenez : c'était en 1958, quand M. Debré était garde des sceaux.

Fut ensuite votée par le Parlement une réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Qui ne l'a pas inscrite à l'ordre du jour du Congrès de Versailles ? Qui en a profité pour continuer à nommer des membres du parquet contre l'avis du Conseil supérieur de la magistrature ? Ce n'est pas nous non plus !

La gauche avait fait voter la collégialité des juges d'instruction, prévue par la loi du 7 janvier 1993. Qui est revenu dessus ? Ce n'est pas nous ! C'est vous, ...

Mme la présidente. Monsieur Dreyfus-Schmidt, je vous demande de conclure.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... dès le mois de juillet suivant, avec le vote de la loi Pasqua !

Il faut plus de juges, il faut plus de moyens, c'est la seule façon de rendre une bonne justice, car personne ne peut mieux rendre la justice que des magistrats professionnels. Tout le reste est de la littérature. Et croyez bien que, en disant cela, nous sommes parfaitement sincères ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

Je suis saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 46 :

Nombre de votants 322
Nombre de suffrages exprimés 315
Majorité absolue des suffrages exprimés 158
Pour l'adoption 119
Contre 196

Le Sénat n'a pas adopté.

Nous passons à la discussion des articles.