la levée de l'état d'urgence

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Monsieur le Premier ministre, la réponse de votre gouvernement à l'explosion de violence qu'ont connue des villes ou des quartiers de notre pays a été l'instauration de l'état d'urgence, dont l'effet principal est...

M. Josselin de Rohan. De fixer le cap !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ...d'adresser un signal désastreux aux populations discriminées et de libérer une parole xénophobe.

M. Dominique Braye. Pas du tout !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Toute honte bue, nombre de vos amis mettent les violences sur le dos de la polygamie, du rap, des mariages mixtes, des étrangers, en situation régulière ou non, qui seraient responsables du désarroi populaire ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Bizet. Nous avons bien raison de le penser !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Se trouvent ainsi légitimés le rétablissement de la double peine, les « charters » et le tri des étudiants. Rappelant de mauvais souvenirs, vous désignez des boucs émissaires, stigmatisez de manière inquiétante les banlieues et pratiquez une véritable ethnicisation de la crise sociale, qui met en péril le socle de notre démocratie.

M. Christian Cointat. Vos propos sont scandaleux !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Plutôt que de ramener la sérénité, vous agitez la peur. Vous prétendez apporter des réponses sociales, toujours les mêmes, à savoir les zones franches, en réalité un cadeau fait au patronat, auquel vous ajoutez le travail des enfants. Si vous voulez que l'égalité des chances soit la grande cause nationale de 2006, monsieur le Premier ministre, de grâce, cessez de faire la guerre aux pauvres ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Dominique Braye. Quelle caricature !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Messieurs, si vous continuez à m'interrompre, je demanderai à M. le président du Sénat d'allonger mon temps de parole !

Monsieur le Premier ministre, seules des circonstances exceptionnelles, mettant en péril la République, peuvent justifier l'état d'urgence, au sens de la loi, tristement connotée, de 1955.

Mme Hélène Luc. Absolument !

M. Dominique Braye. Ce que vous dites est honteux !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Or le 16 novembre dernier, lorsque votre majorité a voté son application, nul n'a pu la justifier, et je m'honore d'avoir défendu l'inconstitutionnalité de cette mesure.

Depuis lors, ni les parlementaires ni les citoyens n'ont eu droit à la moindre information sur ce qui, dans les quartiers et les villes, justifierait, selon vous, le maintien de l'état d'exception. (Exclamations continues sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Un peu de silence, mes chers collègues.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pouvez-vous, aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, nous livrer des éléments d'information fiables et nous annoncer la seule mesure justifiée par la réalité de la situation et réclamée par de nombreuses organisations oeuvrant pour les droits et les libertés : la levée de l'état d'urgence ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. René-Pierre Signé. Ce n'est pas le Premier ministre qui répond !

M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement. Madame Borvo Cohen-Seat, je dois avouer que je ne m'attendais pas à une telle avalanche de contrevérités. Mais, madame la sénatrice, tout ce qui est excessif n'est-il pas insignifiant ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Voilà qui est extraordinaire !

M. Henri Cuq, ministre délégué. Je répondrai toutefois, naturellement, à votre question.

Aujourd'hui, le calme est revenu dans nos banlieues (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame), et il n'y a plus aucun couvre-feu préfectoral en vigueur sur l'ensemble de notre territoire.

Mme Hélène Luc. Pourquoi alors avoir prorogé l'état d'urgence ?

M. Henri Cuq, ministre délégué. Pour autant, madame, nous devons rester vigilants, notamment à l'approche des fêtes de fin d'année.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Être vigilant, ce n'est pas décréter l'état d'urgence !

Mme Marie-France Beaufils. Des voitures brûlent tous les ans !

M. Henri Cuq, ministre délégué. C'est pourquoi nous avons demandé au Parlement de proroger, pour une durée de trois mois, les dispositions de la loi de 1955.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Levez l'état d'urgence, si la situation ne le requiert plus !

M. Henri Cuq, ministre délégué. Quel est le sens de cette décision ? Il s'agit d'une mesure de protection et de précaution, qui permet aux préfets, en accord avec les maires, j'insiste sur ce point, de disposer des instruments nécessaires au rétablissement de l'ordre, si les circonstances l'exigent.

M. Christian Cointat. Très bien !

M. Dominique Braye. La gauche rejette l'ordre !

M. Henri Cuq, ministre délégué. Cette mesure a été utilisée avec beaucoup de discernement, au cas par cas, en fonction de la gravité de la situation. Naturellement, madame la sénatrice, dès que les circonstances le permettront, il sera mis fin, par décret, à l'application de la loi de 1955. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. René-Pierre Signé. Les problèmes ne sont pas réglés pour autant !

Mme Hélène Luc. Même les maires de droite de la Seine-Saint-Denis reconnaissent qu'ils n'ont pas besoin de ce couvre-feu ! Ce n'est pas cela qu'il faut aux banlieues !

l'agriculture et l'omc

M. le président. La parole est à M. Bernard Murat.

M. Bernard Murat. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Monsieur le ministre, on annonce d'ores et déjà que les prochaines négociations multilatérales de Hong Kong, qui se dérouleront du 13 au 18 décembre prochain, seront tendues. Pour les États-Unis et leurs alliés, la politique agricole commune, la PAC, est bel et bien un verrou qu'il faut faire sauter. La pression sur l'Union européenne est telle que les négociateurs ont fait d'un accord sur le secteur agricole un préalable à toute entente sur les autres secteurs, notamment celui des services.

Lors du dernier conseil « affaires générales et relations extérieures » de Luxembourg, le 18 octobre dernier, la France a obtenu un vote à l'unanimité de l'ensemble des ministres des affaires étrangères de l'Union pour encadrer le mandat de la Commission européenne, avec la mise en place d'un comité d'experts.

En particulier, nous avons obtenu qu'il ne soit à aucun moment question, dans les négociations de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, d'une remise en cause de la PAC renégociée en 2003.

Monsieur le ministre, à deux semaines de la conférence interministérielle de Hong Kong, le monde agricole est de plus en plus inquiet.

M. Bernard Murat. Pour l'avenir de notre pays, le véritable enjeu ne réside-t-il pas dans le maintien de l'attractivité de nos territoires ruraux et dans la sauvegarde de milliers d'emplois dans nos campagnes, notamment dans le secteur agroalimentaire, dont la compétitivité doit par ailleurs être préservée ?

Vous ne serez donc pas surpris qu'un élu de la Corrèze vous interpelle sur cette question, fondamentale pour l'avenir économique de nos zones agricoles et à laquelle une réponse ferme doit être apportée.

L'agriculture ne doit pas être la variable d'ajustement de l'ensemble de la négociation sur les biens industriels et sur les services.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que les intérêts de l'agriculture française et européenne seront bien respectés à Hong Kong ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. René-Pierre Signé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur Murat, les organisations agricoles françaises ont convié leurs homologues africaines, ainsi qu'un certain nombre de ministres de l'agriculture de ce même continent, à une réunion conjointe, qui s'est tenue à Paris ces deux derniers jours.

Tous les intervenants l'ont souligné, le cycle de Doha est celui du développement, et non de l'ultralibéralisme, et il importe, avant tout, de s'intéresser en priorité aux pays en développement. Telle est, d'ailleurs, la position du Président de la République, du Premier ministre et de l'ensemble du Gouvernement français. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)

Que va-t-il se passer ? Au regard du résultat des prénégociations, qui n'ont pas abouti, trois hypothèses sont possibles.

Soit il ne se passe rien, et nous nous contenterions alors d'une déclaration un peu symbolique, ce qui serait regrettable.

Soit des propositions sont faites à la dernière minute, ce qui permettrait de débloquer la situation. Pour l'instant, aucun accord n'a été trouvé entre les différents représentants, notamment M. Mandelson, le négociateur européen, et son homologue américain.

M. René-Pierre Signé. Ils veulent la peau de la PAC !

M. Dominique Bussereau, ministre. Soit enfin les 148 pays concernés acceptent, comme le souhaite la France, de voter un « paquet développement ». Ce dernier pourrait contenir de nombreuses mesures portant, notamment, sur les médicaments, le coton et la fin des restitutions pour les pays d'Afrique subsaharienne.

Si cette proposition était adoptée, nous pourrions engager un véritable cycle de développement, conformément à l'esprit initial de Doha. À cet égard, le Gouvernement français a adopté une position très ferme depuis le début.

Vous l'avez très justement souligné, monsieur Murat, l'agriculture n'a pas à être la variable d'ajustement. (M. René-Pierre Signé acquiesce.)

M. Dominique Bussereau, ministre. Nous devons négocier parallèlement sur l'industrie, les biens, les services et l'agriculture. Je le répète, le cycle de Doha est celui du développement. Dans ce contexte, les pays émergents, qui ont déjà atteint un certain seuil de développement, vont essayer de « tirer les marrons du feu ». Pour notre part, nous entendons nous adresser prioritairement aux pays les plus pauvres, en particulier à ceux qui sont situés en Afrique et auxquels nous sommes très attachés.

Pour toutes ces raisons, nous sommes restés très fermes sur nos positions en matière agricole. Le Gouvernement français a rappelé très solennellement au négociateur de la Commission européenne, M. Mandelson, qu'il ne fallait, à aucun moment, dépasser les limites fixées par la PAC. Nous avons d'ailleurs été soutenus par la plupart des vingt-cinq pays de l'Union européenne.

Nous partons donc respectueux de notre agriculture, inflexibles sur la PAC et désireux de trouver un accord équilibré, au service du développement. C'est au reste ce que souhaitent tous les pays : aider les plus pauvres à se sortir d'affaires et éviter un cycle d'ultralibéralisme, ce qui n'est pas l'objectif des négociations de Hong Kong. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. René-Pierre Signé. Affaire à suivre !

le statut des stagiaires

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, et porte sur le scandale du statut des stagiaires ou, plutôt, sur le scandale des stages sans statut. Le député socialiste Yves Durand vous a d'ailleurs interrogé avant-hier à l'Assemblée nationale sur le même sujet.

Si nous sommes favorables aux stages en entreprise, qui représentent un complément pratique à des formations, nous ne pouvons accepter que les stagiaires puissent servir de main-d'oeuvre bon marché.

M. Jean Desessard. Aujourd'hui, les stagiaires sont utilisés par les entreprises et les administrations pour assumer des tâches de salariés. Ce qui est devenu, de fait, un premier emploi est indemnisé, au maximum, à 30 % du SMIC, sans congés payés, sans RTT, sans remboursement des frais de transport et de restauration.

Très souvent, le stagiaire ne reçoit même aucune indemnité. Il doit alors payer pour travailler ! C'est le sort que subissent les stagiaires dans les consulats et ambassades : malgré une formation de haut niveau, ils doivent payer transports et hébergement. D'après le journal Libération, ce serait aussi le cas à Matignon ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Face à cette situation, un nouveau mouvement, Génération précaire, proteste, depuis deux mois, contre de tels abus. Dans certaines entreprises, en effet, les stagiaires sont devenus la principale force de travail. Quelles solutions envisagez-vous, monsieur le ministre délégué, pour régler le problème des stages qui camouflent, en réalité, un premier emploi ?

À l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, vous avez proposé de définir une « charte de bonne conduite », en vous appuyant sur les conclusions d'un rapport du Conseil économique et social, publié en 2005. Assurément, je n'en ai pas fait la même lecture que vous ! Il y est ainsi notamment précisé : « Le Conseil économique et social souligne la nécessité de procéder à un réexamen des conditions statutaires des stages en entreprise. »

Comment pouvons-nous croire qu'une simple charte de bonne conduite puisse constituer une réponse satisfaisante ? Proposeriez-vous aux chauffards une charte de bonne conduite qui viendrait remplacer les radars ? Pour lutter contre le travail illégal, vous êtes-vous contenté d'une charte ?

Avec un tel support, les entreprises vertueuses se sentiraient encore plus engagées, alors que les autres continueraient leurs abus et profiteraient de cet effet d'aubaine toujours autorisé.

D'ailleurs, monsieur le ministre, en évoquant une « charte de bonne conduite », vous placez le débat sur le plan moral.

Mme Adeline Gousseau. La question !

M. le président. Posez votre question, mon cher collègue !

M. Jean Desessard. En réalité, les entreprises sont toujours à la recherche d'une main-d'oeuvre à moindre coût. C'est pour cette raison que le MEDEF est d'accord avec votre idée ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Pour notre part, nous ne pouvons que saluer le courage des stagiaires qui ont dénoncé ces abus. Il revient au Parlement de relayer ce mouvement.

Monsieur le ministre délégué, quelles sont les véritables mesures que vous prévoyez d'inscrire dans le code du travail, afin d'empêcher que les employeurs n'utilisent des stagiaires pour ne pas embaucher de salariés, voire pour en licencier ? À moins que, d'ici là, le ministre de l'intérieur ne proclame un autre dépôt de bilan, celui du code du travail ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes. Monsieur Desessard, nous sommes, avec les stages, au carrefour de l'éducation, de la formation et de l'emploi. C'est dans cette optique que nous entendons mener prioritairement notre action.

La situation est loin d'être satisfaisante : après deux ans à l'université, nombre de jeunes se retrouvent, en effet, en très grande difficulté. Dans le rapport qu'il a remis à Jean-Louis Borloo et à moi-même, Henri Proglio montre très clairement qu'il nous faut relever ce défi.

Pour autant, monsieur Desessard, les stages sont un élément important à la fois de la formation et de la relation entre l'école, l'université et les entreprises. Dans le rapport du Conseil économique et social que vous avez cité, M. Walter souhaite que les stages en entreprise se développent, pour que plus d'un étudiant sur deux en profite au cours de sa formation.

Pour autant, il faut déplorer un certain nombre d'abus.

Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Hélène Luc. Ah !

M. René-Pierre Signé. Beaucoup d'abus !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Surtout des abus !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Il ne peut être question de voir le stage détourné de son objectif, en devenant, en réalité, un emploi permanent.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est pourtant ce qui se passe !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Nous avons reçu les représentants de Génération précaire. Nous sommes plus que jamais attentifs aujourd'hui au respect du droit du travail, qui sanctionne, depuis 1993 déjà, les stages abusifs. Ces derniers se voient alors requalifiés en contrat à durée indéterminée.

M. Jean Desessard. Dans quelle proportion ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Le Premier ministre a demandé à Gilles de Robien, à François Goulard et à moi-même de réfléchir à la mise en place, dans les universités et les grandes écoles, d'un bureau de l'emploi et des stages.

M. Jacques Mahéas. Avant, on créait une commission ; maintenant, c'est un bureau !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Voilà pourquoi, en liaison avec les partenaires sociaux, les universités et les grandes écoles, nous souhaitons définir une charte de bonnes pratiques, mais pas seulement. Il s'agit de placer le stage au coeur de la formation et de l'emploi, pour donner des chances égales à tous les jeunes. Nous le prouvons une fois de plus, l'égalité des chances est bien notre priorité ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. René-Pierre Signé. Vous croyez ce qu'il dit ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Respectez le droit du travail !

la hausse des taux par la banque centrale européenne

M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard.

M. Yann Gaillard. Ma question, qui n'est d'ailleurs pas inattendue, s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Jacques Mahéas. Elle porte sur les opérateurs de téléphonie mobile ?

M. Yann Gaillard. Monsieur le ministre, la Banque centrale européenne, la BCE, vient de décider de relever son taux directeur de 25 points de base.

Ce durcissement de la politique monétaire pose un triple problème, d'ordre budgétaire, économique et institutionnel.

Sur le plan budgétaire, d'abord, hier soir, lors du débat organisé au Sénat sur l'évolution de la dette de l'État, nous avons souligné que le budget de la France était très vulnérable aux variations de taux.

Sur le plan économique, ensuite, la BCE justifie sa décision par un risque d'inflation, sans tenir compte, selon nous, de son impact sur la croissance et sur l'emploi.

L'analyse de la BCE est contestée par de nombreux économistes et responsables européens, au premier rang desquels M. Jean-Claude Juncker, président de l'Eurogroupe. Certains vont même jusqu'à critiquer le dogmatisme de la BCE. Selon certains, cette institution serait au-dessus de toute critique. Pour nous, elle surestime pourtant le risque inflationniste, même si une telle attitude est, il est vrai, conforme à son statut, et minore la réalité économique.

L'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, considère à ce sujet qu'il aurait été plus judicieux de maintenir un taux d'intérêt inchangé tant que l'activité ne s'est pas raffermie.

Sur le plan institutionnel, enfin, la BCE donne le sentiment, peut-être à tort, de vivre en autarcie, coupée de la réalité économique et des politiques engagées par les gouvernements de la zone euro Nous attendons votre avis sur ce point, monsieur le ministre. Une telle façon d'agir n'est d'ailleurs pas étrangère à la réponse négative que le peuple français a donnée à l'occasion du dernier référendum ! (Très juste ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Alors qu'un vrai dialogue existe entre le président des États-Unis et celui de la Réserve fédérale américaine, ce n'est malheureusement pas le cas en Europe : en effet, avec quel représentant des autorités politiques européennes le président de la BCE pourrait-il bien dialoguer ?

Monsieur le ministre, quelles initiatives peuvent selon vous être envisagées pour faire face au triple défi que pose la décision de la BCE à l'égard de l'endettement public, de la croissance économique et des institutions européennes ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le sénateur, la BCE vient effectivement de relever son taux directeur de 25 points de base, exerçant en cela ses responsabilités, notamment celles que lui confie le traité sur l'Union européenne.

Si vous connaissez mon sentiment sur cette décision, vous êtes aussi au courant des bonnes perspectives de croissance, que j'ai rappelées tout à l'heure, dans la zone euro, et surtout en France. Je partage votre conviction, l'inflation reste très bien maîtrisée dans toute cette zone, notamment dans notre pays.

Il importe, dans les prochains mois, que les conditions monétaires et financières restent favorables à la croissance. La BCE a d'ailleurs indiqué que ce mouvement de taux ne préfigurait pas une série de hausses. Je n'ai donc pas de raison de modifier mon pronostic et je reste optimiste quant à l'évolution de notre économie dans les douze prochains mois, surtout grâce à l'ampleur et à la vigueur des réformes qui sont engagées par le gouvernement de Dominique de Villepin.

Par ailleurs, monsieur le sénateur, cette hausse des taux représentera, pour nos finances publiques, un coût d'environ 250 millions d'euros l'an prochain. Cela justifie que la maîtrise non seulement de notre budget, mais aussi de notre dette, devienne une préoccupation permanente.

Mme Nicole Bricq. Ce n'est pas le cas cette année !

M. Jean-Pierre Sueur. Vous affirmez vous-même que la dette augmente !

M. Thierry Breton, ministre. Tel est en tout cas l'état d'esprit dans lequel Jean-François Copé et moi-même travaillons.

Monsieur le sénateur, je vous remercie d'avoir fait la corrélation entre cette hausse des taux et notre endettement, car je vais ainsi pouvoir apporter des précisions sur les informations que j'ai pu découvrir, ici ou là, au cours des derniers jours.

Je le rappelle, la dette stricto sensu est évaluée selon un simple critère simple : c'est ce qui coûte usuellement des intérêts.

La dette de la France est constituée d'emprunts en bonne et due forme.

M. René-Pierre Signé. Elle est lourde !

M. Thierry Breton, ministre. Ses caractéristiques sont bien connues. Elles sont retracées dans les documents qui répondent strictement aux dispositions du pacte de stabilité et de croissance.

Notre dette était de 1 067 milliards d'euros à la fin de 2004 ; elle se montera à 1 117 milliards d'euros à la fin de cette année. La charge de cette dette, c'est-à-dire les intérêts versés par l'État, représente, je vous le rappelle, le deuxième poste de dépenses civiles de l'État.

Par ailleurs, il existe des évaluations de ce que l'on appelle des engagements et des risques hors bilan de l'État, de nature et d'importance variables. Il ne s'agit aucunement de dette stricto sensu, comme je l'ai rappelé à maintes reprises la semaine dernière. En effet, ces engagements, qui ne portent pas d'intérêt, concernent des dépenses futures de l'État.

Pour être pédagogique sur la nature de ces engagements et pour bien montrer la différence avec notre endettement stricto sensu, j'ai évoqué pour ma part le montant des futures retraites des fonctionnaires. À la suite de la loi votée sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, ce montant est désormais précisé tous les ans dans un document annexé à la loi de règlement, qui retrace l'état des finances publiques. Ce montant avoisine les 900 milliards d'euros d'engagements, selon les conventions retenues, notamment des taux d'actualisation variables.

Pour éviter toute confusion, nous avons confié une mission à Michel Pébereau, dont les conclusions nous permettront d'avoir une vision claire et objective de l'endettement de la France.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.

M. Thierry Breton, ministre. Sur un tel sujet, nous n'entendons pas polémiquer. Nous avons simplement le souci de justifier la nécessité d'engager des réformes importantes, qui sont menées, aujourd'hui, avec vigueur et ambition, par le gouvernement de Dominique de Villepin ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

la lutte contre les discriminations

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.

Mme Bariza Khiari. Monsieur le Premier ministre, il aura fallu les émeutes dans les banlieues pour que les questions de la lutte contre les discriminations et du rétablissement de l'égalité républicaine soient portées au devant de la scène. Ce n'est pourtant pas faute de vous avoir alerté !

Lors de la création de la HALDE, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, nous avions proposé à titre expérimental l'anonymat des CV dans les entreprises, pour permettre un égal accès au premier entretien d'embauche. Il s'agissait, somme toute, de transposer au secteur privé le principe républicain de sélection qui prévaut pour les examens et concours. Il nous a été répondu que ce n'était pas pertinent.

Nous avions également proposé d'inclure une disposition dans le bilan social des entreprises, afin que puisse être évalué, pour mieux le combattre, le phénomène du « plafond de verre », qui exclut de l'ascension hiérarchique les personnes issues de l'immigration, les femmes, les handicapés et les seniors.

Nous avons vu au Sénat, ici même, dans cet hémicycle, ces magnifiques modèles positifs d'identification que sont ces talents des cités. Pour la plupart, ils sont issus de l'immigration et ils sont les lumières des quartiers.

J'avais aussi appelé votre attention sur une mesure discriminatoire portant sur les élections professionnelles. Par décret, vous avez supprimé le droit de vote accordé aux artisans étrangers non européens alors qu'ils contribuent, comme leurs collègues, à la richesse de notre pays.

La même surdité a été constatée à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, au cours duquel nous avons dénoncé la diminution du minimum vieillesse pour les retraités immigrés. Toutes choses égales par ailleurs, un travailleur français souhaitant profiter de sa retraite là où il est né percevra au minimum 589 euros, alors qu'un travailleur immigré souhaitant rentrer dans le pays où il est né ne recevra, lui, que 150 euros !

Enfin, l'apprentissage à quatorze ans nous paraît de nature à aggraver les inégalités, d'autant que vous avez refusé ce matin même la proposition de loi du groupe socialiste visant à diversifier le recrutement des classes préparatoires.

Quant au rétablissement des subventions aux associations, cette mesure est évidemment indispensable, mais elle ne saurait remplacer l'égal accès à l'emploi et au logement.

Toutes ces dispositions convergentes touchent les parents ou les grands-parents de ceux qui cumulent les discriminations pratiquées en matière d'emploi, de logement et de loisirs.

À ces morts sociales s'ajoutent à présent des atteintes insupportables à la mémoire.

L'UMP a rejeté, et en toute connaissance de cause cette fois-ci, l'abrogation d'un texte qui vise à faire en sorte que les manuels scolaires montrent les aspects positifs de la colonisation. Monsieur le Premier ministre, ce texte n'a pas sa place dans notre législation.

M. Bernard Murat. Vous l'avez voté !

Mme Bariza Khiari. Faire l'apologie de la colonisation dépasse l'entendement. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Imposer une vision partisane de l'Histoire est une offensive idéologique de temps révolus dont vous ne mesurez pas l'impact symbolique.

M. Josselin de Rohan. Mme Printz a dit que c'était très bien !

Mme Bariza Khiari. De plus, la surenchère verbale à laquelle se livrent les membres de votre majorité sur les bancs de l'Assemblée nationale n'est plus supportable, surtout quand elle alimente un imaginaire post-colonial. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Dominique Braye. Caricature !

Mme Bariza Khiari. Monsieur le Premier ministre, ces dérapages ne sont pas de nature à favoriser le « vivre ensemble » ni à renforcer notre cohésion.

M. Henri de Richemont. La question !

M. le président. Je vous prie de conclure, ma chère collègue !

Mme Bariza Khiari. Dans ces conditions, comment redonner confiance à tous les enfants de la République ?

M. Alain Vasselle. Cela suffit !

Mme Bariza Khiari. Monsieur le Premier ministre, quelles mesures concrètes et rapidement applicables comptez-vous prendre pour lutter contre les discriminations et restaurer l'égalité des chances, qui doit être non plus un slogan, mais un résultat ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du CRC)

M. Alain Vasselle. Elle a perdu une occasion de se taire !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Azouz Begag, ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances. Madame le sénateur, vous le savez bien, l'égalité des chances est au coeur de la démarche du Gouvernement...

MM. René-Pierre Signé et Jacques Mahéas. Oh !

Mme Hélène Luc. En gros !

M. Azouz Begag, ministre délégué. Faire de l'égalité des chances une réalité pour tous les Français est l'une des préoccupations majeures qui anime l'action du Gouvernement et du Premier ministre.

L'égalité des chances passe d'abord par l'emploi et par l'insertion professionnelle. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement. Oui !

M. Azouz Begag, ministre délégué. Pour faire face à ces défis, le Gouvernement s'est engagé dans une lutte sans merci afin de réduire le chômage dans les zones les plus sensibles où il est en moyenne deux fois plus élevé que sur le reste du territoire national. Vous le savez bien, mesdames, messieurs les sénateurs.

M. René-Pierre Signé. À qui la faute ?

M. Azouz Begag, ministre délégué. Tous les jeunes âgés de moins de vingt-six ans sont appelés à se rendre dans les trois mois dans les ANPE et les missions locales...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils y vont déjà ! On voit le résultat !

M. Azouz Begag, ministre délégué. Ils se verront alors proposer un emploi et une formation. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous ne croyez même pas à ce que vous dites !

M. Azouz Begag, ministre délégué. Quinze nouvelles zones franches urbaines seront créées pour offrir un cadre favorable à l'activité et à l'emploi.

M. Jean-Pierre Sueur. Effet d'aubaine !

M. Azouz Begag, ministre délégué. Le deuxième levier de l'égalité des chances est, bien sûr, l'éducation nationale.

Pour relever le défi, nous devons offrir à tous les Français,...

Mme Eliane Assassi. Et à ceux qui ne sont pas français ?

M. Jean-Marc Todeschini. Et avec quels moyens ?

M. Azouz Begag, ministre délégué. ...à tous les élèves, sur l'ensemble du territoire national, un accompagnement personnalisé et des rendez-vous à chaque étape de leur scolarité. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Ladislas Poniatowski. Soyez polis! Laissez parler M. le ministre délégué !

M. Azouz Begag, ministre délégué. Nous devons également assurer une représentation accrue des jeunes dans les filières d'excellence.

Tels sont les chantiers ouverts aujourd'hui par M. le Premier ministre et confiés à M. Gilles de Robien. Ils concernent, notamment, l'évaluation de la maîtrise de la lecture et de l'écriture par les enfants,...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela existe déjà !

M. Jean-Marc Todeschini. Et les moyens ?

M. Azouz Begag, ministre délégué. ...l'accompagnement et la responsabilisation des parents, enfin, l'éducation prioritaire.

La promotion de l'égalité des chances passe enfin aussi par la lutte contre les discriminations.

Nous devons renforcer les outils permettant de combattre ce fléau qui mine notre pacte républicain.

M. Azouz Begag, ministre délégué. Les pouvoirs de la HALDE seront renforcés. La pratique du test à l'improviste sera légalisée. Les partenaires vont négocier la diversité, notamment à travers l'expérimentation des CV anonymes.

Pour mettre en oeuvre ces actions en faveur de l'égalité des chances, de nouveaux relais d'action seront créés. Relevons notamment la création d'une agence nationale de la cohésion sociale et pour l'égalité des chances.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oh là là ! Encore une agence !

M. Azouz Begag, ministre délégué. M. le Premier ministre a annoncé que l'année 2006 serait celle de l'égalité des chances.

M. René-Pierre Signé. Vous n'y croyez pas vous-même !

M. Azouz Begag, ministre délégué. L'ensemble de mes collègues membres du Gouvernement concernés par cette mission et moi-même ferons en sorte que l'année 2006 soit vraiment celle de la marche vers l'égalité des chances pour tous les Français. (Applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)

Mme Nicole Bricq. Il serait temps !