compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

publication du rapport d'une commission d'enquête

M. le président. J'informe le Sénat que ce matin a expiré le délai de six jours nets pendant lequel pouvait être formulée la demande de constitution du Sénat en comité secret sur la publication du rapport fait au nom de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine, créée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 27 octobre 2005.

En conséquence, ce rapport a été imprimé sous le numéro 300 et mis en distribution aujourd'hui.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise
Discussion générale (suite)

accès des jeunes à la vie active en entreprise

Discussion d'une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise
Articles additionnels avant l'article 1er (début)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise (nos 310 et 311, 2005-2006).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Il est seul, ils l'ont laissé tomber !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il faut l'encourager ! (Sourires.)

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite partir ici d'un constat.

Certes, le remplacement de l'article 8 de la loi pour l'égalité des chances, voté par l'Assemblée nationale sur la proposition de loi présentée par M. Accoyer, permet un retour à la normale après une situation de crise sociale.

Mais la situation des jeunes face à l'emploi a-t-elle pour autant progressé entre le 16 janvier et le 13 avril ?

M. Jacques Peyrat. Là est la question !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. La loi pour l'égalité des chances a été conçue dans le but de lutter contre la situation de précarité des jeunes sur le marché de l'emploi, particulièrement les jeunes les moins qualifiés. L'apprentissage junior, la valorisation et l'encadrement des stages, la lutte contre les discriminations à l'embauche et l'extension des zones franches urbaines forment un ensemble de mesures visant à lutter contre ce dont nous avons particulièrement pris conscience, les uns et les autres, aux mois d'octobre et de novembre derniers.

Le taux de chômage des jeunes est de 22 à 23 %, soit par rapport au taux de chômage global un coefficient multiplicateur terrible de 2,2, qui est depuis vingt-cinq ans au rendez-vous des statistiques mensuelles.

M. Jean-Luc Mélenchon. Changez d'arguments !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Dans certains quartiers sensibles, il atteint un taux moyen de 38 %, voire 60 ou 65 % dans les départements d'outre-mer.

Est-il acceptable que nous ne nous mobilisions pas massivement contre ce taux de chômage, qui est l'un des plus élevés d'Europe ? Le taux chômage des jeunes est, en France, deux fois supérieur au taux de chômage global. Aucun autre pays européen, que ce soient l'Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas ou l'Irlande, ne connaît un tel écart.

Si l'on excepte l'Espagne, où la vulnérabilité des jeunes sur le marché de l'emploi est encore plus grande, nous nous situons au dernier rang dans ce domaine.

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Est-il acceptable que les jeunes soient confrontés à la précarité dès leur entrée dans le monde du travail ? Nous n'avons cessé de le dire et de le constater ensemble. Les jeunes, quelles qu'aient été leurs réactions, ont bien pris en compte cette situation. Aujourd'hui, 70 % d'entre eux entrent dans la vie active au moyen d'un contrat à durée déterminée ou d'un contrat d'intérim, la moitié des CDD ayant une durée inférieure à un mois.

Certains nous expliquent que le taux de chômage des jeunes ne serait pas aussi élevé. N'est-ce pas, monsieur Mélenchon ? Comparons simplement le taux d'activité des jeunes avec celui d'autres pays : en France, 30 % des moins de vingt-six ans sont actifs, soit un taux inférieur de moitié à celui de l'Europe du Nord et de la Grande-Bretagne. Certains jeunes préfèrent parfois se réfugier dans la poursuite d'études.

La situation des moins qualifiés - 150 000 non diplômés chaque année, dont 60 000 sans aucune qualification - est encore plus grave.

Le monde de l'éducation doit s'interroger collectivement sur ces chiffres. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean Bizet. Exactement !

M. Jean-Luc Mélenchon. Pas de leçons !

M. Robert Bret. Ils se réveillent !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Nous en avons pris très largement conscience.

Réclamer toujours plus de moyens ne suffira pas : il faudra se poser la question du contenu des enseignements, il faudra s'interroger sur les voies et moyens qui nous permettront d'éviter que 60 000 jeunes ne sortent chaque année de la classe de troisième sans aucune qualification ni aucune formation, quand ils ne sont pas sortis auparavant. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Est-il acceptable que six jeunes sur dix, avant vingt-six ans, n'accèdent jamais au régime d'assurance chômage décidé par les partenaires sociaux, parce qu'ils n'effectuent pas les six mois d'activité continue qui leur permettrait d'y accéder ?

M. David Assouline. La crise ne vous a rien appris !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. À l'inégalité sociale s'ajoute une inégalité liée au niveau d'études. C'est ce à quoi il nous faut répondre.

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Voilà pourquoi, à l'issue d'un long travail d'écoute (Mme Dominique Voynet s'esclaffe. - Rires ironiques et applaudissements moqueurs sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)...

M. Robert Bret. Quelle surdité !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ... après avoir reçu durant vingt-trois heures l'ensemble des partenaires sociaux et des organisations étudiantes et lycéennes, MM. les présidents de Rohan et Accoyer, ainsi que MM. les rapporteurs, en lien avec le Gouvernement, ont proposé une démarche en deux temps, qui vise à mettre en oeuvre une série de mesures concrètes et urgentes pour faciliter l'entrée des jeunes dans la vie active.

Tout d'abord, est prévue, sur l'initiative du Gouvernement, l'ouverture d'une large concertation avec les partenaires sociaux et les représentants des organisations étudiantes et de jeunesse sur l'insertion professionnelle des jeunes.

Il faudra bien que, au-delà des slogans, les uns et les autres nous fassent des propositions concrètes.

M. Jean-Pierre Bel. Cela viendra !

Mme Marie-France Beaufils. On en a déjà formulé, mais vous ne les entendez pas !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Ensuite, des mesures urgentes seront mises en oeuvre pour faciliter la professionnalisation et l'entrée dans la vie active en entreprise des jeunes les plus éloignés de l'emploi.

Je souhaite revenir avec vous sur quatre mesures proposées qui me semblent particulièrement importantes et efficaces.

Le soutien à l'emploi des jeunes en entreprises sera renforcé. Cet outil a permis, depuis sa mise en place, à plus de 270 000 jeunes d'être embauchés dans une entreprise en contrat à durée indéterminée.

Dans la proposition de loi, telle qu'elle nous arrive de l'Assemblée nationale, ce dispositif est refondé pour que son efficacité soit élargie.

Ainsi, son champ d'activité est étendu. Il pourra concerner tous les jeunes en contrat d'insertion dans la vie sociale, ceux qui résident en zones urbaines sensibles, ceux dont le niveau de formation est inférieur à un diplôme de fin de second cycle et, enfin, les jeunes titulaires d'un contrat de professionnalisation en contrat à durée indéterminée.

L'aide financière à l'entreprise qui embauchera ces jeunes sera majorée et concentrée sur les deux premières années : 400 euros par mois la première année, 200 euros par mois la seconde.

À cela s'ajoute un appui massif accordé au contrat de professionnalisation, dont les résultats sont aujourd'hui très positifs.

Ce contrat de professionnalisation, je le rappelle, est le fruit d'un accord entre les partenaires sociaux. Instauré par la loi du 4 mai 2004, il a été mis en place à partir de l'année 2005. Aujourd'hui, plus de 100 000 contrats de professionnalisation ont été signés, dont plus de 70 % en faveur des jeunes de moins de vingt-six ans.

Voilà pourquoi un soutien sera accordé aux entreprises qui mettront en place ces contrats de professionnalisation en CDI pour les jeunes, à hauteur de 200 euros par mois la première année, et 100 euros la seconde.

Il s'agit également d'accorder la priorité à la formation. Des stages de préqualification seront prévus pour 150 000 jeunes, très éloignés de l'alternance, de la professionnalisation. Dans les mois qui viennent, 50 000 stages de formation seront offerts à ces jeunes en difficulté.

Enfin, l'accompagnement sera renforcé avec le parcours d'accès à la vie active. Je profite de cette occasion pour faire le point sur le contrat d'insertion dans la vie sociale, le CIVIS, mis en oeuvre à partir de mai 2005.

Aujourd'hui, plus de 170 000 jeunes sont titulaires d'un CIVIS grâce au travail remarquable des missions locales et des permanences d'accueil, d'information et d'orientation, les PAIO.

L'objectif du CIVIS est l'assistance de l'entrée dans la vie active, c'est-à-dire l'accompagnement vers l'emploi, notamment en entreprise.

Aussi la présente proposition de loi prévoit-elle de renforcer ce dispositif en l'élargissant à tous les jeunes de seize à vingt-cinq ans qui rencontrent des difficultés en matière d'insertion sociale et professionnelle, alors qu'il est aujourd'hui restreint aux jeunes d'un niveau de formation en dessous de bac+2, et en y intégrant l'élaboration d'un parcours d'accès à la vie active, PAVA

Dans un délai de trois mois à compter de la signature d'un CIVIS, une solution doit être proposée au jeune : emploi en entreprise, notamment en alternance, avec possibilité de préqualification, stage de formation dans un métier en tension - nous vivons dans un paradoxe : des centaines de milliers d'emplois ne sont pas pourvus dans un certain nombre de secteurs d'activité - action spécifique pour ceux qui connaissent des difficultés d'insertion particulières et, enfin, assistance renforcée par un opérateur externe.

La proposition de loi a aussi pour objet de démultiplier les possibilités de sorties vers l'emploi et prévoit la poursuite de l'accompagnement dans l'emploi pendant un an au sein de l'entreprise par le référent de la mission locale, afin d'éviter le taux de rupture très élevé que nous connaissons, notamment au cours des premiers mois qui suivent la première embauche en entreprise.

Vous l'avez bien compris, nous partageons le sentiment que des solutions existent et qu'il faut aujourd'hui agir de manière urgente pour les jeunes qui sont les plus éloignés de l'emploi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette crise sociale reflète une réelle angoisse d'une génération vis-à-vis de son avenir et est l'occasion de s'interroger sur la solidarité entre les générations.

Car, ne l'oublions pas, depuis trente ans, il existe dans notre pays deux variables d'ajustement, notamment sur le marché du travail : d'un côté les seniors, pour lesquels le Gouvernement présentera, dans quelques semaines, un plan d'action et, de l'autre, les jeunes.

Réconcilier les générations, c'est ce à quoi le Gouvernement entend s'atteler, même si les choses sont parfois difficiles à dire.

Alors, au terme de cette crise, je souhaiterais qu'il n'y ait qu'un seul vainqueur : l'emploi des jeunes ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Un sénateur socialiste. Il fallait en parler plus tôt !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Si nous ne voulons plus que le taux moyen de chômage des jeunes de moins de vingt-six ans reste 2,2 fois supérieur au taux national, et demeure dans certains quartiers de 38 % chez les garçons et de 41 % chez les jeunes filles,...

M. Roland Muzeau. La faute à qui ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. À la gauche !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ...nous devons travailler pour la cohésion sociale et pour l'emploi des jeunes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UC-UDF.)

M. Robert Bret. Laborieux !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - « Défavorable ! » « Défavorable ! » sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Gournac, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le rapport que je vous présentais sur le projet de loi pour l'égalité des chances, je notais que, depuis trente ans, les politiques publiques en faveur de l'emploi des jeunes ont été essentiellement inspirées par l'idée d'ajuster le coût du travail des jeunes à leur productivité économique afin de favoriser l'embauche.

M. Jean-Luc Mélenchon. Qu'est-ce que cela veut dire ?

M. Alain Gournac, rapporteur. Monsieur Mélenchon, je vous l'expliquerai tout à l'heure.

Je notais aussi que les résultats de cette démarche étaient loin d'être négligeables, puisque 35 % à 40 % des jeunes de moins de vingt-six ans bénéficient des systèmes d'aide à l'insertion des jeunes depuis le milieu des années quatre-vingt-dix.

Je concluais enfin que, en dépit de l'effort de l'État pour abaisser le coût du travail des jeunes, leur taux de chômage demeurait très élevé et que l'entrée dans l'emploi empruntait trop souvent des cheminements heurtés : il était donc indispensable de tester de nouvelles formules.

C'est au nom de ce besoin d'innovation que le contrat première embauche a été élaboré et intégré dans une grande loi consacrée à l'égalité des chances,...

M. Robert Bret. Inégalité des chances !

M. Alain Gournac, rapporteur. ...qui comporte de très nombreuses autres mesures en faveur de la diversité, de la lutte contre les discriminations et de l'intégration des jeunes dans la société et dans le monde du travail.

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas vrai !

M. Alain Gournac, rapporteur. Ma conviction reste que cet instrument apportait quelque chose aux jeunes,...

M. Guy Fischer. Mensonge !

M. Alain Gournac, rapporteur. ...et particulièrement aux jeunes disposant d'une formation dépréciée sur le marché du travail et ne débouchant au mieux que sur l'enchaînement infernal de CDD et de stages.

M. Robert Bret. Vous n'avez pas été compris !

M. Alain Gournac, rapporteur. De très larges fractions de la jeunesse et du monde du travail ont manifesté un rejet profond de ce dispositif.

M. Roland Muzeau. La majorité !

M. Alain Gournac, rapporteur. Il est apparu que sa mise en oeuvre ne pouvait pas être envisagée : une certaine sérénité est indispensable, dans un domaine aussi crucial que la lutte contre le chômage et spécialement celui des jeunes.

Il fallait donc tirer la leçon du rejet. Comme disait fort sagement un Président de la République au début des années quatre-vingt, à propos d'un dossier au moins aussi significatif que l'affaire du CPE : « Je pense aussi à ceux qui ne pensent pas comme moi ». (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Yannick Bodin. Mitterrand avait compris tout de suite !

M. Alain Gournac, rapporteur. La nouvelle rédaction proposée par l'Assemblée nationale pour l'article 8 de la loi du 31 mars 2006 tire la leçon des deux mois de crise, de tentative d'explication, que nous avons vécus.

Elle remplace le CPE par un dispositif qui étend et approfondit de façon significative deux instruments existants et qui ont fait la preuve de leur utilité : d'une part, le contrat jeunes en entreprise, le SEJE, destiné à offrir un emploi durable dans le secteur marchand aux jeunes peu ou pas qualifiés, et qui a donné lieu à la conclusion de 300 000 contrats depuis sa création en 2002 ; d'autre part, le contrat d'insertion dans la vie sociale, le CIVIS, qui s'adresse à 160 000  jeunes.

Je relève quatre points parmi les innovations et adaptations que la proposition de loi apporte à ces dispositifs.

M. David Assouline. Ils sont dérisoires !

M. Alain Gournac, rapporteur. En premier lieu, le bénéfice du SEJE est octroyé aux jeunes titulaires d'un CIVIS rencontrant des difficultés d'insertion sociale et professionnelle, indépendamment de leur niveau de formation.

Ainsi, est poursuivie l'extension progressive du champ d'application de ce dispositif. Il est incontestablement utile d'élargir le bénéfice de cette mesure à des jeunes disposant d'une formation de niveau plus élevé que ce qui était prévu initialement, dans la mesure où ces jeunes ont des difficultés à trouver un emploi.

Le Gouvernement a annoncé son intention de dégager les financements nécessaires. La proposition de loi s'inscrit ainsi dans la logique de la loi pour l'égalité des chances, qui avait d'ores et déjà étendu le dispositif SEJE aux jeunes résidant dans les ZUS, indépendamment de leur niveau de formation.

M. Jacques Peyrat. Très bien !

M. Alain Gournac, rapporteur. En deuxième lieu, la possibilité est donnée aux employeurs embauchant des jeunes en contrat de professionnalisation à durée indéterminée de bénéficier du dispositif SEJE en conservant le droit à l'exonération des cotisations patronales de sécurité sociale ouvert au titre du contrat de professionnalisation. L'acquisition d'une qualification professionnelle débouchant sur un emploi durable, objectif essentiel de ce contrat de formation en alternance, sera ainsi encouragée.

En troisième lieu, sont supprimées les conditions de formation limitant actuellement le champ d'application du CIVIS aux jeunes de seize à vingt-cinq ans ayant un niveau de qualification inférieur ou équivalent au baccalauréat, ou de niveau bac + 2 non diplômés. Certains diplômes conduisent malaisément à l'emploi, on ne le sait que trop, il faut renforcer l'accompagnement des jeunes qui subissent cette situation.

En quatrième lieu, la possibilité nouvelle de poursuivre l'accompagnement CIVIS pendant un an après l'accès à l'emploi, dans la logique de renforcement de l'accompagnement individualisé des jeunes, devrait favoriser la consolidation de l'insertion.

Ces modifications seront utiles. L'Assemblée nationale les a adoptées sans les amender. Elle a seulement supprimé le gage figurant à l'article 2, le Gouvernement s'engageant à financer les mesures.

Au-delà du souci d'apaisement qui nous anime, nous pouvons, me semble-t-il, nous féliciter du travail accompli par les auteurs de la proposition de loi. (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Robert Bret. Quel gâchis ! Merci pour les nouveaux cadeaux que vous faites au patronat !

M. Roland Muzeau. Incendiaires !

M. Alain Gournac, rapporteur. Ils ont travaillé dans le droit-fil des discussions menées, la semaine dernière, avec dix-neuf organisations, par les présidents du groupe UMP au Sénat et à l'Assemblée nationale, MM. Josselin de Rohan et Bernard Accoyer, dont je salue ici la qualité d'écoute et la disponibilité, et les deux rapporteurs de la loi pour l'égalité des chances. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Par ailleurs, j'ai apprécié la forte contribution de Laurent Hénart à notre réflexion et aux discussions auxquelles ont participé, avec tout leur talent, Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)...

M. Robert Bret. Où est M. Borloo ?

M. Alain Gournac, rapporteur. ... et Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. David Assouline. C'est la remise des Victoires de la musique !

M. Alain Gournac, rapporteur. Je rappelle que le Gouvernement devrait prochainement favoriser un large dialogue, avec les partenaires sociaux et les représentants des organisations étudiantes et de la jeunesse, sur l'insertion professionnelle des jeunes. Il s'agit du second volet de la démarche de sortie de crise, et pas le moindre. Souhaitons qu'il soit positif : la cohérence entre le système éducatif et l'emploi, en particulier, est un dossier complexe où beaucoup reste à faire.

Si la modification de l'article 8 de la loi pour l'égalité des chances devait permettre d'aboutir à des progrès décisifs dans ce domaine crucial, je serais le premier satisfait de cette nouvelle donne.

Pour l'ensemble de ces raisons, la commission propose au Sénat d'adopter la proposition de loi dans le texte transmis par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Robert Bret. Ces applaudissements sont bien timides ! (Applaudissements plus vifs sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Luc Mélenchon. Il va hisser le drapeau blanc !

M. Yannick Bodin. La majorité est à bout !

M. Jean Desessard. Que dit l'UDF ? (Sourires.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la crise sociale que vient de connaître notre pays,...

M. Jean-Luc Mélenchon. La crise de régime !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. ... le Parlement est saisi d'une proposition de loi qui vise à remplacer le contrat première embauche par un nouveau dispositif.

M. Robert Bret. Le retrait, oui !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Soucieux que ce texte soit rapidement adopté, préoccupation que nous partageons tous, me semble-t-il, le rapporteur de la commission des affaires sociales a proposé son adoption conforme afin de mettre un terme à la navette et de permettre sa promulgation,...

M. Bernard Frimat. Sans application ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. ... dans de brefs délais, par le Président de la République.

Je comprends cette urgente nécessité. Mais, en qualité de président de la commission, je ne puis m'empêcher de regretter que nos collègues députés n'aient pas non plus jugé utile de modifier le dispositif proposé, ce qui nous aurait ensuite permis aujourd'hui de le voter conforme, avec le sentiment du devoir parlementaire totalement accompli.

J'observe en effet que quelques améliorations, ne serait-ce que de forme, auraient pu être légitimement apportées à ce texte, ou du moins faire l'objet d'un débat en séance.

Ainsi, je trouve dommage, pour citer un premier exemple, que le Parlement adopte un texte comportant une erreur matérielle manifeste. En effet, la proposition de loi fait référence à l'article L. 741-6 du code rural, qui est abrogé depuis le 1er juillet dernier en application d'une ordonnance de 2003. (Rires sur les travées du groupe socialiste.)

Il est également regrettable que nous n'ayons pas la possibilité de débattre d'une suggestion formulée par l'un de nos collègues, lors de notre réunion de commission, tendant à faire bénéficier du dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise ceux qui résident dans une zone de revitalisation rurale, et non seulement ceux qui habitent en zone urbaine sensible. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.) Or, nous savons bien que l'exclusion du marché du travail peut aussi frapper nos concitoyens vivant en zone rurale.

Il est un peu triste ensuite, sachant à quel point nous sommes tous attachés à la qualité de la loi, d'adopter un texte qui contient des dispositions redondantes. Un alinéa du texte vise l'emploi en alternance et le suivant mentionne une formation entrecoupée de périodes passées en entreprise ! Est-ce la même chose ? La nuance ne m'est pas apparue clairement.

Par ailleurs, d'autres dispositions auraient gagné en efficacité si elles avaient été mieux précisées. Que recouvre, par exemple, la notion d'« action spécifique pour les personnes connaissant des difficultés particulières d'insertion » ? Je souhaite que le travail réglementaire ne soit pas rendu trop difficile par le caractère vague de cette formule.

Dans un autre ordre d'idée, s'il est justifié d'accorder le bénéfice d'une assistance renforcée aux jeunes qui créent une entreprise, ce que le texte prévoit, j'aurais trouvé légitime qu'il s'applique aussi à ceux qui reprennent une entreprise. Si cette deuxième hypothèse n'est pas visée par le texte, cela résulte vraisemblablement plus d'une malfaçon législative que d'une volonté délibérée de les exclure.

On aurait pu imaginer enfin que l'ANPE et les ASSEDIC participent au soutien renforcé accordé aux jeunes signataires d'un CIVIS, et il est singulier que le texte n'en fasse aucune mention.

Mme Marie-France Beaufils. Encore faudrait-il leur en donner les moyens !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Les missions locales ont en effet vocation à coopérer étroitement, me semble-t-il, avec les autres composantes du service public de l'emploi, notamment dans le cadre des maisons de l'emploi.

Nous nous souvenons, mes chers collègues, que le Parlement n'avait adopté aucun amendement à l'article 8 de la loi pour l'égalité des chances, alors qu'il y avait certainement, au vu des réactions qu'il a suscité, matière à aménagements. Peut-être aurions-nous pu, nous aussi, tirer la leçon de cet épisode malheureux et nous donner comme objectif d'écrire la loi avec tout le respect qu'elle mérite.

Malgré ces imperfections et dans un souci de parvenir, avec quelques heures d'avance, à un apaisement attendu par tous les Français, je vous invite, en qualité de président de la commission des affaires sociales, à adopter le texte qui nous est présenté en ces termes. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. Jean Desessard. C'est le service minimum !

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Roland Muzeau. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le projet de loi pour l'égalité des chances, le Gouvernement a voulu imposer, par la force, sa vision ultralibérale de la société. Monsieur le ministre, vous avez échoué ! Les jeunes et les salariés ont remporté une formidable victoire ! Les syndicats d'étudiants, de lycéens et de salariés ont, dans l'unité, conduit une juste lutte !

Tout au long des débats, nous, sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen avons dénoncé, point par point, les dispositions de ce texte et l'absence totale de concertation avec les organisations syndicales. Nous avons aussi opposé un nombre important de propositions pour répondre efficacement et justement aux enjeux prétendument soulevés par ce projet de loi dit pour l'égalité des chances.

Toutes nos propositions ont été rejetées, voire carrément ignorées par une majorité, qui, en bon soldat du Gouvernement, n'avait qu'un seul objectif : écourter le plus possible la discussion et passer en force devant le Parlement.

Après le 49-3 à l'Assemblée nationale, les procédures réglementaires douteuses n'ont pas manqué. Vous n'avez pas hésité à prendre quelques largesses avec le règlement du Sénat.

Pour l'anecdote, M. de Rohan a même bénéficié d'un passe-droit en recevabilité pour un amendement déclaré depuis inconstitutionnel.

Tout y est passé : réserve de pans entiers du projet de loi, déclarations très contestables d'irrecevabilité de dizaines d'amendements ou sous-amendements, demandes multiples de priorité sur d'autres et j'en passe.

Vous n'avez pas hésité, enfin, sur l'article relatif au CPE, à porter atteinte au droit constitutionnel d'amender, soutenus en cela par des parlementaires du groupe de l'UMP complaisants et responsables de la crise qu'ils ont imposée au pays.

Votre majorité, monsieur le ministre, qui a abusé de procédures inqualifiables, et vous-même devriez être affligés par nombre de vos propos figurant dans le compte rendu des débats.

Malgré cette tentative de passage en force devant la représentation nationale, c'est le pays lui-même qui s'est emparé du débat et c'est là l'essentiel ! Très vite, une majorité de nos concitoyens de toutes générations ont exprimé leur refus de la précarité et de la société libérale, inégalitaire et injuste, que le gouvernement Villepin - Sarkozy veut lui imposer.

À plusieurs reprises déjà, les citoyens vous ont alertés, ils ont su se mobiliser, par les urnes ou dans la rue, pour faire entendre leur voix et s'exprimer clairement contre vos projets.

Ce fut le cas le 29 mai dernier, lors du référendum, puisque les Français dans leur majorité se sont exprimés contre la vision ultralibérale de l'Europe, que vous vouliez réduire à un grand marché déréglementé et lorsque le Président de la République a répondu à un panel de jeunes un tristement célèbre « Je ne vous comprends pas » !

Le même constat d'opposition s'impose en ce qui concerne la directive Bolkestein sur les services. Enfin vous avez fait preuve de la même surdité à l'égard des très graves événements qui se sont déroulés aux mois d'octobre et de novembre dans tout le pays.

Chaque fois, c'est la société libérale et dérégulée, la même que celle qui est sous-entendue par le CNE et le CPE, qui est encore et toujours rejetée par nos concitoyens. Mais vous n'avez pas su, ni voulu, l'an passé, tirer les leçons du suffrage universel. Vous avez méprisé des millions de nos concitoyens !

Il vous aura malheureusement fallu voir descendre dans la rue plus de trois millions de personnes, à plusieurs reprises, pour revenir enfin sur la question du CPE. Aujourd'hui, le Gouvernement Villepin - Sarkozy se trouve confronté à un ras le bol des citoyens.

Parmi eux, les jeunes crient leur colère face à la situation qui leur est faite et à l'avenir que vous leur dessinez. Ils en ont assez d'être stigmatisés, d'être montrés du doigt et considérés comme une charge pour la société, ou encore d'être la tranche d'âge la plus touchée par la pauvreté - 8% contre 3,5% pour les plus de 60 ans. Ils dénoncent cette situation où 56 % des jeunes ménages de moins de trente ans sont surendettés et où 50 % des 18 - 29 ans sont contraints de rester chez leurs parents.

C'est pour cela que le CPE leur a semblé particulièrement inacceptable, et c'est contre cela qu'ils ont lutté avec clairvoyance et responsabilité.

Depuis 2002, vous n'avez cessé de mettre en pièces le code du travail et de réduire comme peau de chagrin les droits sociaux des citoyens : en autorisant le travail de nuit des mineurs, ou encore en généralisant les dérogations à la limitation du temps de travail hebdomadaire de trente-cinq heures, ou bien en multipliant les possibilités de recours aux emplois précaires, aux temps partiels et aux emplois aidés. À tout cela, il convient d'ajouter des milliards d'euros d'exonération et de cadeaux fiscaux, pour un résultat lamentable.

Pour servir un patronat toujours plus demandeur de flexibilité et de profit, vous avez l'ambition, outre le contrat unique, de revenir sur l'ensemble des droits des travailleurs, gagnés par des décennies de luttes syndicales, sociales et politiques.

Vous dites vouloir sécuriser les parcours professionnels, mais c'est l'inverse que vous organisez : c'est au contraire la sécurisation des parcours des employeurs dans un environnement économique hyperconcurrentiel que vous défendez en faisant porter le risque « d'entreprendre » sur les seuls salariés, en particulier sur les jeunes. Avec le CPE, comme avec le CNE, vous souhaitiez clairement les condamner à la précarité et à l'exclusion et leur ôter toute possibilité d'intégration sociale, familiale et professionnelle.

Ainsi, le « non » au CPE est un « non » bien plus vaste qui s'adresse au prétendu modèle social prôné par MM. Blair ou Sarkozy, à une société où il faut cumuler deux ou trois emplois pour obtenir des revenus qui permettent à peine de subvenir à ses besoins, à une société où près de 10 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, comme c'est aujourd'hui le cas en Grande-Bretagne ; bref, à une société de la misère et de l'injustice sociale.

Nous rejetons en bloc ce modèle de société à l'anglo-saxonne qui voudrait nous faire croire que seuls les plus courageux réussissent et que les difficultés scolaires, sociales ou professionnelles sont le signe d'un comportement de fainéants, ou de profiteurs. Comment ne pas être scandalisé quand un député du groupe UMP, M. Mariton, se « lâche » dans une tribune du journal Le Monde publiée hier : « La part manifestante de la société a bien confirmé la préférence française pour le chômage. »

M. Robert Bret. C'est honteux !

M. Guy Fischer. C'est scandaleux !

M. Roland Muzeau. La haine vous aveugle, chers collègues : je vous rappelle que la part manifestante de la société représentait 63 % de notre peuple !

À la fin de nos débats, le 6 mars, à 4 heures du matin, je vous avais alerté que cette jeunesse que vous n'aimez pas... (Vives protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac, rapporteur. Non ! Vous ne pouvez pas dire cela !

M. Dominique Braye. C'est vous qui ne l'aimez pas !

M. Roland Muzeau. ... vous donnait rendez-vous dès le lendemain pour que vous preniez conscience de sa colère légitime et pour que droit soit enfin fait à ses aspirations. Vous aurez beau vous boucher les oreilles, vous serez obligés de les entendre s'exprimer.

M. Jean-Pierre Raffarin. C'est le moyen âge de la pensée !

M. Roland Muzeau. Et je concluais en disant que vous aviez perdu la bataille.

Nous y sommes, c'est fait : le CPE a disparu, et c'est tant mieux !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Roland La Pythie ! (Sourires.)

M. Roland Muzeau. Merci, monsieur le président de la commission ! Vous, au moins, vous avez suivi les débats !

On ne peut pour autant passer sous silence le manque de courage du Gouvernement dans cette affaire ni l'hypocrisie qui transpire de cette proposition de loi : nous voilà aujourd'hui en train d'examiner au pas de course un texte dont le seul objet est de tenter de permettre au Premier ministre et au président de I'UMP, dans leur compétition présidentielle, de sauver un peu la face. Le CPE n'est pas supprimé, il n'est pas abrogé : il est remplacé. Quel courage ! Quelle tenue politique à jouer si bassement sur les mots ! Nous ne sommes malheureusement pas surpris par de tels comportements.

Le CPE est donc supprimé. Le nouveau texte proposé pour l'article 8 de la loi pour l'égalité des chances a été bricolé à partir de dispositifs qui existent déjà et que le Premier ministre lui-même avait qualifiés de « demi-mesures » ! Personne ne sera dupe de ces faux-semblants.

En revanche, on constate une fois encore que, quelle que soit la situation, les employeurs ont un lot de consolation. En fin de compte, ce sont 150 millions d'euros en 2006 et 300 millions en 2007 qui iront directement du budget de l'État dans les caisses des entreprises et qui viendront s'ajouter aux 22 milliards d'euros dépensés chaque année, sans retour positif, chacun le sait, pour l'emploi.

Pis encore, de l'avis de tous, cette proposition de loi est reconnue comme anticonstitutionnelle, dans la mesure où les charges supplémentaires qu'elle induit pour l'État ne sont pas financées autrement que par une déclaration du Gouvernement figurant dans l'exposé des motifs d'un amendement visant à la suppression de l'article 2. Extraordinaire !

Les conditions d'un recours n'autorisent pas le groupe CRC à en déposer un et, croyez-le, je regrette profondément que d'aucuns y renoncent.

Même avec cette proposition de loi, par laquelle, compte tenu du contexte, vous devriez vous incliner, vous choisissez de faire un pas supplémentaire dans le sens de vos politiques parfaitement inefficaces en termes d'emploi, mais ruineuses pour notre système de solidarité nationale.

M. Dominique Braye. Qu'avez-vous fait, vous ?

M. Roland Muzeau. Depuis 2002, c'est la hausse du chômage, la valse des radiations, la hausse du nombre de bénéficiaires du RMI et le drame de l'ASS.

M. Dominique Braye. Depuis 1997 !

Plusieurs sénatrices socialistes. Oh ! Vous n'allez pas recommencer, monsieur Braye !

M. Roland Muzeau. À l'inverse, le taux d'indemnisation des chômeurs par le régime de l'assurance a largement baissé, et la France compte aujourd'hui 1,2 million de bénéficiaires du RMI. À l'inverse aussi, la pauvreté a augmenté de façon significative depuis 2002. Cette année, près de 7 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, c'est-à-dire avec moins de 650 euros par mois.

Les sénateurs communistes républicains et citoyens s'opposent radicalement à cette politique. Ils pensent au contraire qu'il faut mener une réelle politique de relance, ce qui passe par le rétablissement du pouvoir d'achat des citoyens, par le développement de la croissance ; nous avons besoin d'une politique qui permette de lutter contre la spéculation et l'appauvrissement, voire l'étranglement des PME et TPE par les donneurs d'ordre et par le système bancaire.

Il faut envisager concrètement la revalorisation des salaires et des retraites, rétablir dans notre démocratie, qui se dit moderne, le droit à la santé, le droit à l'éducation, le droit au travail, le droit du travail.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous n'avons plus aucune illusion sur votre capacité à y répondre, pas plus que sur celle du MEDEF, dont la présidente, Mme Parisot vient de créer, à défaut d'emplois, un nouveau concept : la séparabilité. La précarité, la flexibilité sont tellement indigestes qu'il faut, côté patronat et CAC 40, faire croire à du neuf par des artifices linguistiques.

Nous avons par ailleurs toutes les craintes de nouvelles provocations, comme celle qui a été révélée hier : la privatisation de Gaz de France dès le mois de juin prochain par un projet de loi qui doit être soumis au Parlement. Rappelons à cet égard la promesse faite en août dernier par M. Sarkozy de ne pas privatiser EDF-GDF !

M. Guy Fischer. C'est scandaleux !

M. Roland Muzeau. Certes, comme le disait le président Pasqua, les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent.

M. Charles Pasqua. Je ne suis pas l'auteur de la formule ! (Sourires.)

M. Roland Muzeau. Monsieur le ministre, mes chers collègues, avec les jeunes, avec les salariés, avec notre peuple, qui, majoritairement et régulièrement, contestent votre politique depuis 2002, le groupe CRC exprimera et défendra une autre voie pour notre pays, une voie de progrès et d'égalité. Vous n'en serez pas surpris : nous voterons contre votre proposition de loi, et nous nous réjouissons de la disparition du CPE. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier. (M. le président de la commission des affaires sociales applaudit.)

M. Michel Mercier. Monsieur le président, vous nous avez donc convoqués ce matin pour que nous essayions de mettre fin à la grave crise sociale et institutionnelle que connaît notre pays depuis un certain temps.

Une proposition de loi vise...

M. Robert Bret. À arrêter la crise !

M. Michel Mercier. ... à substituer à la rédaction de l'article 8 de la loi pour l'égalité des chances un nouveau texte qui reprend un certain nombre de dispositifs existants et leur donne une nouvelle force en réutilisant des excédents financiers.

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous n'êtes pas convaincant !

M. Michel Mercier. Ce n'est pas inutile, compte tenu de la situation de notre pays. Le journal Les Échos de ce matin annonce d'ailleurs qu'en 2006 les entreprises embaucheront moins qu'en 2005.

Mme Marie-France Beaufils. L'État aussi !

M. Guy Fischer. On nous avait assuré le contraire !

M. Michel Mercier. Toute mesure visant à favoriser l'emploi est bonne et mérite d'être étudiée.

Mais nous savons bien que le but des auteurs de la proposition de loi est tout autre : il s'agit d'évacuer le CPE et d'essayer de repartir sur des bases nouvelles.

Ces dernières semaines, notre pays a connu - comme cela lui est déjà arrivé - une crise brutale, révélatrice d'un profond malaise social, à laquelle, comme nous l'avons constaté, nos institutions ne nous permettaient pas de répondre correctement ni à temps.

Il serait probablement facile pour ceux qui n'ont pas voté le CPE, et j'en fais partie, de triompher aujourd'hui. Ce serait, je crois, méconnaître la réalité des choses.

Nous avons tous une part de responsabilité dans la situation d'aujourd'hui. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Pierre Hérisson. Très bien !

M. David Assouline. Surtout vous !

M. Roland Muzeau. Nous ne sommes pas tous égaux !

M. Michel Mercier. Mais bien entendu : nous avons tous une part de responsabilité ! Nous disons depuis plusieurs années aux jeunes de ce pays qu'ils paieront nos déficits,...

Mme Marie-France Beaufils. Non ! Ce n'est pas ce que nous avons dit !

M. Michel Mercier. ... et chaque année le déficit s'est accru !

M. Jean-Luc Mélenchon. Qu'est-ce que cela à voir ?

M. le président. Monsieur Mélenchon, vous interviendrez tout à l'heure ! Veuillez poursuivre, monsieur Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur Mélenchon, c'est la réalité de tous les jours. Si vous me laissiez parler - ce serait d'ailleurs une nouveauté intéressante (Sourires.) -,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et démocratique !

M. Michel Mercier. ... nous pourrions débattre. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Lorsque l'on dit simplement aux jeunes qu'ils paieront nos déficits, ceux du budget de l'État et ceux de la sécurité sociale, et que cela durera trente-quatre ans, comme cela a été le cas cette année, lorsqu'on leur explique qu'ils n'auront comme contrats de travail que des contrats qui n'ont pas la solidité du CDI et auxquels on peut mettre fin à tout moment, on comprend que cela révèle une profonde crise sociale.

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Bien sûr !

M. Michel Mercier. Quoi qu'il en soit, c'est tous ensemble qu'il nous faut réagir.

Cette crise sociale est très profonde, très réelle et, tous, nous en éprouvons les effets chaque jour. J'habite une commune de 2 000 habitants qui accueille un lycée : pour la première fois, les lycéens ont fait grève.

M. David Assouline. Vous ne les avez pas manipulés, j'espère !

M. Michel Mercier. Je les ai reçus, écoutés, j'ai parlé avec eux.

Chacun d'entre nous s'est senti touché par les problèmes qui étaient en jeu. Le CPE était une mauvaise mesure parce que la méthode utilisée était une mauvaise méthode, mais il a révélé une crise profonde, bien plus profonde que celle du seul contrat de travail.

Refuser le dialogue social était de mauvaise méthode, parce que c'était s'exposer à devoir ensuite céder à la pression de la population qui manifeste. C'est ce que nous avons vécu. Mais nous avons également senti nos institutions vaciller quelque peu sous la pression de cette crise.

Il serait cruel d'insister sur ce point, mais il n'est que trop clair que les promulgations-non-applications, que les annonces de révision de la loi apparaissaient comme de l'irréel plaqué sur la crise. Il fallait pouvoir en sortir. Pour ce faire, il n'y avait pas trente-six méthodes : même les amendements qui auraient pu être bons au moment où le Parlement a discuté le projet de loi et qui ont été alors rejetés - et dont M. le Président de la République a bien voulu tenir compte dans ses interventions -, avec le temps, sont apparus décalés. Il fallait passer à autre chose.

Grave crise sociale, grave crise institutionnelle... Saurons-nous, tous ensemble, la rendre utile ?

M. Roland Muzeau. Non, vous, vous ne saurez pas !

M. Michel Mercier. Saurons-nous en tirer les leçons pour que notre pays soit plus fort, pour que notre communauté nationale soit plus soudée, pour que, simplement, nous ayons davantage envie de vivre ensemble ?

M. Robert Bret. C'est mal parti !

M. Michel Mercier. C'est tout de même là la vraie question.

Souligner les erreurs, c'est intéressant ; cela n'a d'utilité que si l'on va vers d'autres méthodes et si l'on sait correctement réagir.

La complexité de la société française a démontré que personne ne peut avoir raison tout seul : vouloir avoir raison tout seul, c'est s'exposer à de cruelles sanctions. Les conséquences, nous les constatons : il nous faut rénover le dialogue social et ne pas nous contenter de l'inscrire dans la loi, dans laquelle, au demeurant, il figure déjà, notamment dans la loi Fillon. J'ai bien entendu que ce n'était pas suffisant et qu'il nous faudrait peut-être recourir à une loi organique pour obliger au dialogue social.

Plutôt que de contraindre au dialogue social par la loi, monsieur le ministre, essayons de le pratiquer ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)

De toute façon, il n'y aura pas de vraie réforme sans dialogue social et sans un véritable débat.

Ce matin, toujours dans le journal Les Échos, un haut responsable du parti socialiste explique qu'il faut organiser un vrai débat sur la flexibilité et la sécurité. Bien sûr ! Si cette crise nous permet d'organiser un tel débat avec tous les partenaires sociaux et tous les responsables économiques, nous aurons à l'évidence su en tirer les leçons.

Il y a aussi, pour le Parlement, une leçon à tirer de la façon dont s'est déroulée la discussion de ce projet de loi tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, même si, au Sénat, nous y avons consacré de nombreuses heures.

M. Michel Mercier. Oui, monsieur le président, nous y avons consacré de nombreuses heures.

M. le président. Et sans artifices de procédure !

M. Michel Mercier. Il n'empêche que M. le rapporteur, pour lequel j'ai beaucoup d'amitié et dont la tâche est, je le conçois, aujourd'hui un peu difficile, était devenu le spécialiste d'un seul mot...

MM. Guy Fischer et Roland Muzeau. Défavorable !

M. Robert Bret. Le disque était rayé !

M. Guy Fischer. C'était « Monsieur défavorable » !

M. Michel Mercier. Et il a bien vu, depuis lors, les limites d'un tel exercice !

M. Robert Bret. C'est un problème qui lui a été défavorable !

M. Michel Mercier. Il nous faut envisager de nouvelles méthodes et il faut savoir que l'on peut avoir une majorité au Parlement sans l'avoir dans le pays.

M. Robert Bret. C'est ce qui se passe !

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas la première fois ! Le 29 mai, c'était pareil !

M. Michel Mercier. Cela doit nous conduire, comme tous les partis le réclament désormais, à modifier la loi électorale en y introduisant une dose de proportionnelle. (M. Josselin de Rohan lève les bras au ciel.)

Monsieur le président de Rohan, c'est ce que votre parti vient de proposer lui-même il y a quelques jours. C'est la raison pour laquelle je m'autorise à en appeler à la proportionnelle. (Sourires.) Quand j'ai vu que vous-même vous y étiez rallié, j'ai su que le changement était désormais possible dans ce pays ! C'est, en effet, une des conditions pour que le Parlement puisse fonctionner et travailler autrement.

M. Robert Bret. Faut-il qu'ils soient inquiets !

M. Michel Mercier. Bien sûr, monsieur le ministre, il faut un pouvoir politique modeste, et je vous remercie de l'avoir été dans votre intervention tout à l'heure.

Aujourd'hui, dans un pays comme le nôtre, le pouvoir politique ne peut pas tout, tout seul. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)

Si la crise que nous venons de vivre permet également de laisser les partenaires sociaux explorer les nouveaux territoires du droit social et rechercher les nouveaux équilibres dont notre pays a besoin pour retrouver à la fois de la croissance et du plein emploi, nous aurons su en tirer les leçons.

Je souhaite, pour ma part, que chacun d'entre nous puisse dégager ces enseignements, sache les mette en oeuvre et que le texte que nous allons voter nous permette de sortir de cette crise, non pas simplement pour tourner la page, ce qui ne présente pas un très grand intérêt, mais pour ouvrir véritablement une page nouvelle, ce dont notre pays a le plus grand besoin. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Robert Bret. Nous sommes d'accord avec la page nouvelle, mais laissez-nous l'écrire !

M. Roland Muzeau. Du passé faisons table rase !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous vous souvenez peut-être que, ici même, au Sénat, le 7 mars, au terme de plus de quatre-vingt-dix heures de débats, et alors que la majorité adoptait le projet de loi pour l'égalité des chances, nous vous avions prévenus : on n'en restera pas là ; nous sommes appelés à nous revoir.

C'est chose faite. A peine plus d'un mois après, monsieur le ministre, vous voilà de retour au banc du Gouvernement pour faire le constat de votre échec et procéder enfin à l'abrogation, certes sous une forme alambiquée, de ce CPE que vous défendiez si ardemment.

Que de temps perdu, quel gâchis, quel incroyable entêtement à refuser de voir la réalité en face !

Il aura fallu une mobilisation sociale exceptionnelle, un mouvement de la jeunesse d'une ampleur considérable, des manifestations chaque semaine pendant plus de deux mois, près de 3 millions de personnes dans les rues, bref, il aura fallu attendre longtemps, beaucoup trop longtemps pour que, enfin, vous vous décidiez à prendre des initiatives en vue de dénouer cette crise.

Le retrait du CPE, c'est clair, n'aurait pas été possible sans le comportement exemplaire des organisations de jeunesse et des organisations syndicales.

M. Alain Gournac, rapporteur. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Bel. Je veux saluer ici leur sens des responsabilités, la maîtrise dont elles ont fait preuve face à un gouvernement fermé, obtus, arrogant même, un gouvernement incapable de dialoguer, de mener une concertation, mais aussi incohérent, chaotique et même pathétique.

M. Yannick Bodin. Très bien !

M. Jean-Pierre Bel. Je veux saluer l'unité syndicale, exemplaire, qui s'est manifestée tout au long de cette crise. Il est rare de voir un aussi grand nombre d'organisations faire montre d'une telle constance dans leur volonté d'agir ensemble et de se retrouver sur les mêmes mots d'ordre.

Cela aurait dû vous faire réfléchir sur l'ampleur, sur la profondeur de la crise que vous avez provoquée, non pas par le seul CPE, mais surtout par l'attitude que vous opposez aux attentes et aux inquiétudes de notre jeunesse, de notre société tout entière.

Face à une crise d'identité, à une crise de notre modèle social, à une crise même de nos institutions, vous répondez par des dispositions qui génèrent l'appréhension du lendemain, qui mettent en avant la précarité comme solution, comme perspective d'avenir. Vous renforcez le sentiment dévastateur que la vie de nos jeunes demain sera considérablement plus difficile et plus fragile que celle de leurs aînés.

Vous aviez à répondre à l'appel qui a été lancé au mois de novembre dernier à l'occasion de ce que l'on a appelé la « crise des banlieues », à montrer que vous aviez pris la juste mesure de ce qui s'était passé et vous avez fait tout le contraire, déclenchant une révolte massive, historique par son ampleur et sa durée, de la jeunesse de France.

Face aux interrogations sur la nature même de nos institutions démocratiques, le Président de la République, le Premier ministre, le Gouvernement, le parti majoritaire ont usé de faux-semblants, d'astuces incompréhensibles, d'annonces tellement ahurissantes et contradictoires qu'elles ont contribué à décrédibiliser encore plus nos institutions, en tout cas dans la façon dont vous les pratiquez.

Nous vous l'avons dit et répété : votre erreur a d'abord été une erreur de diagnostic. Vous avez voulu faire croire que c'est en stigmatisant les jeunes et en leur donnant moins de droits que vous alliez faire baisser le chômage. Personne n'a été dupe.

À cette erreur de diagnostic s'est ajoutée une erreur de méthode.

Jamais la confusion entre l'État et un parti n'a été aussi totale ; jamais les rivalités au sein du pouvoir n'auront rendu le règlement d'une crise aussi laborieux -  et je vous félicite, monsieur le ministre, pour l'exercice auquel vous vous êtes livré à l'instant -, car cette confrontation a instrumentalisé la jeunesse dans un conflit d'orgueil et de pouvoir.

Vous avez sacrifié l'intérêt général sur l'autel de vos vanités et de vos petites querelles, au détriment des Français, au détriment de l'idée qu'ils se faisaient de la République.

De tout ce gâchis il faut bien tirer les leçons.

D'abord, la réforme est possible, dès lors qu'elle permet le progrès et non la régression. Mais, réformer exige une méthode : consulter les partenaires sociaux, élaborer un diagnostic commun, puis proposer des mesures et débattre dans le respect de la représentation nationale.

Ensuite, mais ce n'est pas nouveau, nous divergeons radicalement dans nos projets de société.

Vous avez opté pour la société de la précarité, pour l'insécurité au travail, l'instabilité des carrières, quand, pour nous, il importe de sécuriser les parcours professionnels et d'offrir à nos concitoyens des conditions de vie stables sans lesquelles il n'est pas possible de bâtir des projets d'avenir.

En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme souvent dans cette situation que vous avez créée, vous avez voulu faire compliqué quand on pouvait faire simple.

Plutôt que d'abroger le CPE, vous avez choisi de le remplacer par de vagues mesures sans véritable portée et par ailleurs non financées.

Vous êtes dans la tactique au moment où il faudrait adresser un message à notre jeunesse. Vous louvoyez quand notre pays attend de véritables raisons d'espérer, une perspective pour permettre aux jeunes de s'insérer durablement dans la vie professionnelle.

Pour ce qui nous concerne, nous mesurons à son juste niveau l'attente du pays. C'est pourquoi, tout en célébrant la grande victoire obtenue grâce à la mobilisation de ces deux derniers mois, nous nous opposerons à un texte qui ne revient pas sur le CNE, sur l'apprentissage à quatorze ans et sur le travail de nuit des enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon un proverbe bien connu, il ne sert à rien de se lamenter sur le lait répandu.

La crise du CPE est derrière nous. Il nous faut maintenant avancer, et cela sans nous dissimuler les vrais problèmes.

M. Yannick Bodin. Vous avez tant d'expérience !

M. Jean-Pierre Fourcade. Je voudrais tout d'abord, dans cette brève intervention que je fais au nom du groupe UMP, partir du diagnostic que le Gouvernement et la majorité qui le soutient avaient réalisé au moment de la préparation du projet de loi pour l'égalité des chances.

M. Yannick Bodin. Ils se sont trompés !

M. Jean-Pierre Fourcade. J'évoquerai ensuite rapidement le contenu de la proposition de loi, qui a été au demeurant parfaitement expliqué par notre excellent rapporteur, M. Gournac, et le non moins excellent président de la commission des affaires sociales, M. About, mon lointain successeur.

M. David Assouline. Ils n'ont pas dit la même chose !

M. Jean-Pierre Fourcade. Je formulerai enfin quelques observations qui me paraissent essentielles en réponse à M. Bel, ainsi qu'à M. Mercier, dont j'ai apprécié à la fois la modération et les propositions.

M. Jean Desessard. Ne vous en faites pas, nous allons passer derrière ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Fourcade. Le diagnostic est clair : les jeunes sont confrontés à un chômage de masse, dans un pays dont les déficits vont croissant et dont l'endettement tend à devenir faramineux. Par conséquent, autant il faut apporter des solutions au problème de l'insertion professionnelle des jeunes, autant il faut éviter de tirer des traites sur l'avenir, car nos obligations européennes, notre compétitivité internationale et la mondialisation nous interdisent de gaspiller l'argent public.

Tout le monde connaît les chiffres du chômage : un taux global de 9,6 % de la population active, taux qui passe à 23 % chez les jeunes et s'élève même à 40 % pour les moins qualifiés d'entre eux.

M. Roland Muzeau. Le CAC 40, lui, augmente de 25 % !

M. Jean-Pierre Fourcade. J'aimerais corriger cette vision moyenne par certains chiffres que j'ai trouvés dans les travaux du centre d'études et de recherches sur les qualifications, le CEREQ, et qui méritent que nous y réfléchissions. Tous ceux qui se sont occupés de formation professionnelle connaissent ces chiffres, mais il faut les rendre publics.

Le CEREQ explique que 31 % seulement des jeunes n'ayant aucun diplôme ont un accès rapide et durable à l'emploi - ce qui signifie que 69 % n'y parviennent pas -, alors que cette proportion atteint 79 % pour les jeunes qui sont titulaires d'un diplôme de troisième cycle universitaire.

Mes chers collègues, c'est ce fossé formidable entre les 31 % et les 79 % qui a motivé l'élaboration de la loi pour l'égalité des chances, comprenant, outre des mesures relatives à l'apprentissage, à la rémunération des stages, etc., l'institution du CPE.

M. Jean-Pierre Fourcade. Ceux qui, comme moi, connaissent le travail que les missions locales effectuent dans les zones urbaines sensibles - ma commune en abrite une - savent que, pour ces 69  % de jeunes sans qualification qui ne trouvent pas d'emploi ou vont d'emploi précaire en emploi précaire - car ce n'est pas la loi pour l'égalité des chances qui les condamne à la précarité, c'est la situation actuelle ! -, le problème que nous avons à résoudre est de trouver un mécanisme leur permettant d'entrer dans l'entreprise. C'était l'objectif du CPE.

Selon M. Bel, il s'agit d'une erreur de diagnostic. Non, mon cher collègue, le diagnostic est fondé. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) L'erreur, monsieur Bel, c'est de ne pas dire la vérité aux jeunes ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

La vérité, c'est que plus nous évoluons dans la compétition internationale, plus les gaziers ou les électriciens vont se crisper sur leur statut pour le préserver à tout prix,...

M. Jean Desessard. N'oubliez pas le statut des patrons ! Eux, c'est leur parachute doré qu'ils veulent préserver !

M. Jean-Pierre Fourcade. ...et plus la pratique des emplois multiples va se développer. Voilà ce qu'il faut dire aux jeunes au lieu de les bercer d'illusions avec des mesures inefficaces ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. David Assouline. C'est cela, donnez-nous des leçons sur les jeunes !

M. Jean-Pierre Fourcade. Je ne reviens pas sur les critiques très fortes qui ont été adressées au CPE.

Monsieur le ministre, nous avons soutenu l'action du Gouvernement et nous avons beaucoup apprécié la position du Président de la République consistant à renvoyer l'affaire du côté du Parlement.

Mme Catherine Tasca. Il ne pouvait pas faire autrement !

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous ne croyez pas un mot de ce que vous dites !

M. Jean-Pierre Fourcade. Je tiens, au nom de tous les membres de la majorité, à saluer le rôle essentiel joué par le président de notre groupe, Josselin de Rohan, pendant toute la durée de cette concertation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Desessard. Vous êtes vraiment formidables !

M. Jean-Pierre Fourcade. S'agissant du nouveau dispositif qui nous est proposé,...

Mme Catherine Tasca. Il n'y a rien de neuf !

M. Jean-Pierre Fourcade. ... je soulignerai trois points essentiels.

Premièrement, il faut bien cibler notre dispositif sur les jeunes sans qualification. Le chiffre que j'ai cité tout à l'heure concernait les jeunes qui avaient suivi des études supérieures jusqu'à obtenir un diplôme de troisième cycle. Mais reconnaissons aujourd'hui qu'une grande majorité de bacheliers quitte l'université sans aucune qualification après un, deux ou trois ans d'études.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Absolument ! C'est l'échec !

M. Dominique Braye. Merci les socialistes !

M. Jean-Pierre Fourcade. Nous sommes donc confrontés à un double problème : celui des jeunes qui quittent le collège ou le lycée sans atteindre le niveau du baccalauréat et celui des jeunes titulaires d'un baccalauréat -  soit aujourd'hui 72  % ou 73 % d'une classe d'âge - et qui n'obtiennent aucun diplôme à l'université. C'est à ces deux niveaux que nous devons agir.

C'est pourquoi, comme l'a indiqué mon ami Alain Gournac, il faut cibler notre action sur les jeunes qui en ont vraiment besoin. Faire croire que le CPE était pour tout le monde a sans doute été une erreur...

M. Roland Muzeau. Mais il était pour tout le monde !

M. Jean-Pierre Fourcade. Justement, il aurait fallu la rectifier rapidement, je le reconnais, et expliquer que le CPE était destiné aux jeunes sans qualification.

M. Jean-Luc Mélenchon. Cela change tout !

Mme Raymonde Le Texier. Pour discriminer encore un peu plus !

M. Yannick Bodin. Vous auriez dû conseiller le Gouvernement !

M. Jean-Pierre Fourcade. Le deuxième point essentiel de cette proposition de loi est le tutorat généralisé.

M. Alain Gournac, rapporteur. C'est important !

M. Jean-Pierre Fourcade. Ainsi que vous l'avez souligné, monsieur le ministre, le tutorat généralisé est possible à l'échelon des missions locales, des futures maisons de l'emploi et des actions que conduisent les collectivités territoriales.

M. Alain Gournac, rapporteur. Je suis d'accord !

M. Jean-Pierre Fourcade. La généralisation du tutorat est un moyen parmi d'autres d'adapter les jeunes, quelle que soit leur formation, à l'ensemble des contrats.

Enfin, je me réjouis de l'approfondissement du contrat d'insertion dans la vie sociale, le CIVIS, qui sera étendu au monde de l'entreprise. Il ne doit en effet plus être systématiquement réservé, comme par le passé, à la création de faux emplois publics...

M. Jean-Pierre Fourcade. ... pour faire pression sur le chômage. L'enjeu, c'est de permettre à des jeunes bien formés d'accéder à de vrais emplois. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Qu'est-ce que ç'aurait été si vous n'aviez pas perdu la bataille !

M. Jean-Pierre Fourcade. La commission que j'ai eu l'honneur de présider pendant quinze ans s'est rendue au Danemark, en Suède et dans de nombreux pays pour étudier cette question. Après avoir beaucoup tâtonné et réfléchi, les gouvernements des pays nordiques ont opté pour un système qui leur permet d'aider des chefs d'entreprise à recruter des jeunes de qualification moyenne ; dans la mission locale que je connais, on dit « bac - 5 », ce qui est très bas, mais on peut aller jusqu'à bac + 2. Cette pratique, courante dans les pays nordiques, va, me semble-t-il, dans le bon sens.

Je formulerai maintenant quelques observations, en commençant par le coût du dispositif.

Eu égard à nos déficits budgétaires et à l'endettement de notre pays, monsieur le ministre, nous ne pouvons pas continuer à dépenser de l'argent sur ce sujet. Je vous proposerai donc une solution.

Mme Raymonde Le Texier. Arrêter les cadeaux aux entreprises !

M. Jean-Pierre Fourcade. La France est le seul pays d'Europe, je dis bien le seul, à financer, dans le cadre d'accords, la réduction du temps de travail. Et cela nous coûte 11 milliards d'euros par an ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Je vous propose donc tout simplement de prélever un préciput de 5  % sur cette masse afin d'aider les jeunes à trouver un emploi et de soutenir les entreprises. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Mme Raymonde Le Texier. Et d'alléger les charges du patronat !

Mme Dominique Voynet. Voilà qui va calmer le jeu !

M. Jean-Pierre Fourcade. Nous pourrons ainsi corriger une des erreurs majeures de la précédente législature, qui a engagé les finances de l'État...

M. Dominique Braye. Qui a ruiné la France !

M. Jean-Pierre Fourcade. Je n'irai pas jusque là, mon cher collègue, mais je rappellerai que le coût, pour le budget de l'État, de l'aide financière accordée aux entreprises pour la réduction du temps de travail représente le quart de notre déficit budgétaire. Cela doit inciter les parlementaires que nous sommes à réagir.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, je propose que, à partir de 2007, nous prélevions un préciput de 5 % sur la masse de ces crédits afin de financer l'insertion des jeunes dans le cycle de production. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Yannick Bodin. Vous n'avez pas eu assez de manifestations ?

M. Jean-Pierre Fourcade. M. Bel a dit tout à l'heure que le Gouvernement était pathétique. Ce que j'ai trouvé pathétique, monsieur Bel, c'est que les manifestations de collégiens, de lycéens et d'étudiants étaient encadrées par des gens qui défilaient pour protéger leur statut et pour que, surtout, on ne touche à rien ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.).

M. Dominique Braye. Ce sont des privilégiés et des conservateurs !

M. Roland Muzeau. Ils vous ont fait manger votre chapeau !

M. Yannick Bodin. Vous êtes de mauvais perdants !

M. le président. Mes chers collègues, un peu de silence je vous prie !

M. Jean-Pierre Fourcade. Tant que nous serons réduits à cette absence de vérité, nous serons en difficulté.

Après ce que nous a dit M. de Rohan de la discussion avec les partenaires syndicaux et avec les organisations patronales, je me réjouis que l'on puisse enfin mettre sur la table le double problème de la flexibilité et de la sécurité. C'est dans cette direction que travaillent tous nos concurrents et c'est dans ce sens qu'il faut aller.

La négociation a démarré, mais elle ne se fera pas en quelques jours : elle prendra des mois.

M. Dominique Braye. Surtout avec les syndicats les plus conservateurs du monde !

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président de la commission des affaires sociales, il s'agira pour vous de déterminer comment l'on peut concilier la flexibilité qu'impose la mondialisation et la sécurité que réclame à juste titre l'ensemble des travailleurs, qu'ils soient déjà intégrés dans des structures ou qu'ils souhaitent y entrer.

Cette question est essentielle pour l'avenir de notre pays. Soyez assurés, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le président du groupe UMP et monsieur le président du groupe UC-UDF, que je suivrai ce débat avec une grande attention.

Enfin, et ce sera ma dernière observation, il est clair que ce que révèle la crise...

M. Yannick Bodin. C'est que vous avez perdu !

M. Jean-Pierre Fourcade. Mais non ! Dites la vérité aux jeunes !

M. Dominique Braye. Pour une fois !

M. Jean-Pierre Fourcade. Si vous commenciez par là, ce serait déjà un immense progrès !

M. Yannick Bodin. Les jeunes vous ont compris !

Mme Catherine Tasca. Ils vous ont dit leur vérité !

M. Jean-Pierre Fourcade. Ce que révèle la crise, c'est une inadéquation qui s'aggrave ...

M. Roland Muzeau. Entre le Parlement et le peuple !

M. Jean-Pierre Fourcade. ... entre les méthodes de formation et les demandes des entreprises.

Cette inadéquation s'accentue dans tous les métiers. J'ai pu, comme chacun d'entre vous, lire ce matin dans Les Echos que 300 000 emplois étaient disponibles dans notre pays.

M. Dominique Braye. Chez Renault-Flins, par exemple !

M. Jean-Pierre Fourcade. Cette inadéquation vient du fait que les liaisons entre le corps enseignant et les universités, d'un côté, et les entreprises, de l'autre, ne sont pas suffisantes. C'est l'autre grand chantier auquel il faut s'attaquer. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.).

Mesdames, messieurs de l'opposition, si cette crise, dont vous avez voulu faire un tremplin, pouvait déboucher sur une grande négociation sur la flexibilité et sur la sécurité avec les partenaires syndicaux et permettre une réflexion en profondeur sur la meilleure adéquation entre les formations et les emplois, alors, elle n'aurait alors pas été inutile : elle donnerait à notre pays une chance de sortir des difficultés, de la désespérance et du recul qu'il connaît actuellement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. -M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)

M. Jean Desessard. Sur ce dernier point, je suis d'accord avec vous !

M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix.

M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement semble parfois s'inspirer de l'histoire du cinéma. Je vous laisserai le soin de relier aux événements et aux personnages intéressés les titres suivants : la Couleur de l'argent, Paris brûle-t-il ? Y a-t-il un pilote dans l'avion ?...

MM. Jean Desessard, Yannick Bodin et Jean-Luc Mélenchon. Non !

M. Philippe Nogrix. ... Un fauteuil pour deux. (Rires sur les travées du groupe socialiste.)

La proposition de loi qui nous est soumise, vraisemblablement la suite de Il faut sauver le soldat Villepin, pourrait quant à elle s'intituler Cataplasme sur un cataclysme. (Exclamations sur les travées de l'UMP. - Rires et applaudissements sur les autres travées.)

La formule était tentante ! Je concède qu'elle est facile, mais elle a le mérite d'épargner au Premier ministre les références plus tentantes encore à la geste napoléonienne - qu'il adore - et la mise en perspective de la Bérézina, où nous nous trouvons, avec le pont d'Arcole, d'où il est parti. (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Je pourrais, reprenant un propos du député UDF Francis Vercamer, ajouter un autre titre de film : Tout ça pour ça !

Car c'est bien le sentiment d'un véritable gâchis que nous laisse cette proposition de loi, gâchis que, à l'issue de deux mois de mobilisation, l'écoute et la pédagogie que l'on attend d'un gouvernement auraient pu permettre d'éviter. Quel gâchis, en effet, que d'avoir paralysé ainsi la France pour s'être obstiné sur un texte dont personne au fond ne voulait vraiment ! Il aurait suffi d'écouter nos propositions d'amendement et nos mises en garde pour l'éviter.

M. Jean Desessard. Il fallait voter contre le texte !

M. Philippe Nogrix. Il suffisait par-dessus tout, pour le Gouvernement, de se conformer à l'engagement solennel, je dis bien « solennel », contenu dans la loi Fillon pour proposer une solution qui aurait rencontré l'assentiment de nos partenaires.

Monsieur le ministre, on ne réforme pas en 2006 comme on le faisait voilà quarante ans. Tous nos partenaires européens procèdent ainsi. On a voulu gagner du temps en court-circuitant le dialogue social. Nous venons de perdre deux mois. Le caporalisme est il un énième avatar de nos exceptions françaises ?

M. Jean-Luc Mélenchon. C'est un « petit caporalisme » !

M. Philippe Nogrix. La majorité UMP a voté le CPE comme un seul homme ; elle votera comme un seul homme son enterrement. À l'UDF, nous assisterons à la mise en bière, mais pas à l'enterrement.

On nous présente un texte d'une qualité rédactionnelle déplorable.

Pourquoi donc a-t-on opté pour une proposition de loi ? Pour faire croire que la représentation nationale peut encore prendre des initiatives ? Même pas ! Il n'est même plus question de cacher un tant soit peu l'origine de ce texte téléguidé.

M. Roland Muzeau. Tout à fait !

M. Philippe Nogrix. Le second alinéa de l'article 2, supprimé à l'Assemblée nationale, reprenait même la formule de la promulgation : après la loi promulguée mais non appliquée, peut-être a-t-on affaire à une loi promulguée avant d'être adoptée !

En réalité, cette proposition de loi n'est rien d'autre que la nouvelle délibération prévue à l'article 10 de la Constitution, que le Président de la République a refusé d'invoquer formellement. Appelons donc les choses par leur nom !

Une fois de plus, nous voilà dans la République du faux-semblant.

Le constat s'impose : la Constitution de la Ve République est morte avec le CPE. Mais, n'étant pas enterrée, elle commence à se décomposer. (Mme Gisèle Printz et M. Jean-Luc Mélenchon s'exclament.)

Les mesures contenues dans cette proposition de loi ne constituent pas une politique de l'emploi cohérente et efficace. Leur financement pourrait peser in fine sur les collectivités locales et sur les jeunes eux-mêmes.

La solution apportée par cette proposition de loi à la crise du CPE ? Ne rien créer, juste payer, payer pour donner aux employeurs, sans donner aux jeunes !

Mme Catherine Tasca. C'est la ligne habituelle du Gouvernement !

M. Philippe Nogrix. Cet ensemble de « mesurettes » a un coût : 150 millions d'euros pour le second semestre 2006 et 300 millions pour l'année 2007. Cet argent ne serait-il pas mieux utilisé - selon votre propre diagnostic, monsieur le ministre - si on le consacrait à la formation professionnelle, pour préparer les jeunes à leur entrée dans l'entreprise ?

L'article 40 de la Constitution aurait dû s'appliquer. En effet, cette proposition de loi augmentant les dépenses de l'État, elle ne pouvait être gagée et devait se voir opposer l'irrecevabilité financière. Pour remédier à cela, le Gouvernement a fait adopter par l'Assemblée nationale un amendement supprimant l'article de gage.

L'exposé des motifs de cet amendement expliquait : « Pour 2006, les mesures ayant un effet sur le budget de l'État seront financées en utilisant les possibilités de fongibilité des crédits offertes par la loi organique relative aux lois de finances et par une levée de la réserve de précaution portant sur la mission Travail et emploi à due concurrence. »

Il rappelait aussi que la réserve sur la mission Travail et emploi s'établissait à ce jour à 564 millions d'euros et que, « au titre de 2007 et des années ultérieures, les crédits nécessaires au financement de ces mesures [seraient] intégrés au projet de loi de finances initiale ».

Que signifient ces explications embarrassées ? Tout simplement que l'on déshabille Pierre pour habiller Paul. L'élargissement du dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise, le SEJE, se fera au détriment d'autres programmes de la mission Travail et emploi. Puiser dans la réserve de cette mission n'y changera rien puisque la réserve existe justement pour abonder l'ensemble des programmes de la mission qui en auraient besoin.

Finalement, quels dispositifs et quels publics seront sacrifiés ? Dans le secteur non marchand, ce seront les contrats d'avenir, donc les bénéficiaires des minima sociaux, et les contrats d'accompagnement dans l'emploi, donc les personnes ayant des difficultés particulières d'insertion dans l'emploi ; dans le secteur marchand, les contrats d'insertion-revenu minimum d'activité, donc à nouveau les bénéficiaires de minima sociaux. La conclusion est évidente : une partie substantielle du plan de cohésion sociale est aujourd'hui sacrifiée par votre proposition de loi !

Dans ces conditions, l'impact de ces mesures sur l'emploi risque d'être nul, les effets d'aubaine et de substitution jouant à plein et les effets de seuil défavorisant les travailleurs âgés de vingt-six ans et plus.

En outre, soit les dispositifs sacrifiés tomberont en déshérence, soit ils seront financés par les collectivités locales : il reviendra encore une fois à celles-ci, en particulier aux départements, de régler la facture in fine. C'est un nouveau transfert de charges non compensé.

Enfin, étant donné le niveau du déficit public, toutes ces mesures seront, au bout du compte, financées par les générations futures : il appartiendra donc aux jeunes de financer l'insertion dans l'emploi qu'on leur propose aujourd'hui !

Et pourtant, les événements de ces dernières semaines dessinent en creux la méthode à suivre. Comme aux heures les plus graves, mais aussi les plus glorieuses, de notre histoire, nous devons tous ensemble nous retrousser les manches. Les Français et les partenaires sociaux sont assez mûrs pour retrouver cet esprit de responsabilité dont l'absence vient aujourd'hui sanctionner le recours aux facilités pratiquées et encouragées depuis des années.

Nous seuls, les politiques, continuons de camper sur des positions, des idées, des schémas, des réflexes d'un autre temps. Ne nous étonnons pas de voir s'accuser le décalage, paradoxe des paradoxes, source des désillusions les plus mobilisatrices et les plus désespérées, entre les représentés et leurs représentants, entre eux et nous, entre la nation et les citoyens, entre les inclus et les exclus, entre les riches et les pauvres, entre la droite et la gauche.

Mais force est de constater, au final, que toutes les questions intéressantes restent en suspens, malgré ce que vous nous proposez.

Combien d'emplois sont attendus de l'extension du SEJE ? Si l'on rapporte les 150 millions d'euros prévus au montant de l'aide mensuelle de 400 euros, ce sont 62 000 emplois qui pourront être créés par votre décision. Les contrats supports pourront-ils être indéfiniment renouvelés par une même entreprise ? En cas de rupture abusive d'un contrat support, le remboursement du SEJE par l'employeur sera-t-il prévu ? Autant de questions qu'il aurait été intéressant de vous poser. Mais il faut voter le texte en l'état !

Dès lors, le groupe de l'Union centriste-UDF, dans sa grande majorité, ne participera pas au vote. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et du groupe socialiste. - Protestations sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. Dominique Braye. Courage, fuyons !

M. Yannick Bodin. Quelle pagaille !

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues !

La parole est à Mme Raymonde Le Texier.

Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Premier ministre aime Napoléon, cela a été rappelé il y a un instant : il vous aura finalement, conclusion logique, conduits à Waterloo.

M. Henri de Raincourt. C'est très fin !

M. Dominique Braye. Elle est un peu « réchauffée », celle-là !

Mme Raymonde Le Texier. Même l'usage d'une langue de bois - du chêne massif ! - ne peut masquer l'évidence : abroger le CPE est le véritable objet de la proposition de loi que nous discutons aujourd'hui. Simple compilation des dispositifs existants, elle n'est que le paravent dérisoire d'une retraite en rase campagne.

Par sa vacuité même, ce texte souligne votre échec et signe votre discrédit. C'est au désaveu cinglant de votre politique, comme de vos méthodes, que vous êtes confrontés aujourd'hui.

Cette crise pourrait être utile, si elle vous ouvrait les yeux sur une évidence : le changement ne se décrète pas. On ne gouverne pas contre le peuple et on ne gagne rien à mépriser ses propres institutions. À transformer les parlementaires de sa majorité en godillots et à acculer les citoyens à la révolte, c'est le Parlement que l'on rabaisse, la démocratie que l'on sape et, finalement, la France que l'on fragilise.

Il aura fallu que trois millions de personnes descendent dans la rue pour que vous admettiez ce que la gauche n'a cessé de vous rappeler dans cet hémicycle et que l'immense majorité des Français ne cesse de vous dire : le grave problème du chômage des jeunes ne justifie pas que leur accès au monde du travail soit conditionné par un sous-contrat et des garanties au rabais. La montée de la précarité et la destruction de notre modèle social ne sont pas des réponses adaptées à la crise de notre économie, encore moins à la crise de notre société.

Je sais qu'il n'y a rien de plus agaçant que de s'entendre dire : « Nous vous l'avions bien dit ! » Mais, durant la centaine d'heures qu'a duré le débat sur le projet de loi pour l'égalité des chances, nous vous avons prévenus à maintes reprises, nous avons argumenté article par article. Peine perdue !

Vous avez refusé tout débat, préféré l'invective à l'écoute, la diatribe à la discussion, la raideur idéologique à l'échange constructif. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Nous aimerions croire que cette crise vous a appris le mode d'emploi du dialogue social : utile pendant, nécessaire après, mais surtout indispensable avant. Nous aimerions croire que la confrontation avec le monde du travail vous a ouvert les yeux sur les impasses de l'ultralibéralisme, mais il n'en est rien : vous restez intimement persuadés du bien-fondé du CPE. Les partenaires sociaux ne vous ont pas convaincus, ils vous ont juste fait plier.

Vous le savez aussi bien que nous, les Français ne sont pas hostiles à la réforme. Frappés par la montée des inégalités, ils savent à quel point les réformes sont indispensables, mais ils ne sont pour autant ni aveugles ni stupides. Ils savent bien que ce n'est pas la réforme que vous leur proposez, mais bel et bien la régression que vous leur imposez. Et pour quoi faire ? Vous n'avez pas de plan de route, pas de projets à long terme et pas de vision d'avenir.

Votre discours se résume à ceci : « Abandonnez vos droits et vous aurez peut-être quelques chances de travailler, abandonnez toute dignité et vous conserverez peut-être votre emploi... Bref, pour préserver le nécessaire, abandonnez l'essentiel ! »

Vous ne cessez d'exiger des sacrifices, mais vous ne montrez ni chemin, ni perspective, ni horizon.

M. Dominique Braye. Et vous, que proposez-vous ?

Mme Raymonde Le Texier. Croyez-vous vraiment que la casse sociale puisse faire office de politique économique ? Croyez-vous vraiment que la mise en place de sous-contrats soit une réponse efficace au chômage des jeunes, au chômage tout court ? Quand vous dites encore : « Le CPE, c'est mieux que rien », vous donnez la mesure de votre ambition, pas seulement pour les jeunes, mais pour notre pays !

Vous n'avez pas de perspectives de développement : vous gérez la pénurie. Vous ne travaillez pas pour agrandir le gâteau mais pour convaincre les salariés de se contenter des miettes et de borner là leurs espérances. Et, s'ils s'indignent, vous brandissez la menace des délocalisations.

Croyez-vous que seule la peur soit facteur de changement, au point d'oublier qu'un diagnostic partagé, une démarche commune et un but collectif sont les ingrédients des réformes qui réussissent ? Et vous vous étonnez que, face à tant de mépris et d'autoritarisme, les jeunes finissent par se révolter ?

Mais, sincèrement, leur donnez-vous d'autres choix ? Votre méthode ouvre-t-elle d'autres voies ? Non !

Alors qu'avec le CPE vous touchiez au coeur même de notre droit du travail, vous avez ignoré les partenaires sociaux : pas de dialogue avec les syndicats, pas de concertation avec la jeunesse. Les parlementaires ont également été sommés de se soumettre à une loi brandie sabre au clair et votée au canon : urgence déclarée, restriction des débats et du travail en commission, coup de force de l'article 49-3, interdiction d'amender, etc.

À refuser toute discussion, vous n'ouvriez d'autre voie que l'épreuve de force. À nier le Parlement, il ne restait que le recours à la rue : elle s'est dressée contre vous.

Pour un exécutif, ce n'est pas une situation facile, mais au moins les gouvernements qui vous ont précédés ont-ils su assumer leurs erreurs et supporter leurs échecs. Vous avez, au contraire, ajouté à la crise politique la crise de régime. Pour sauver l'orgueil d'un seul, vous avez choisi de porter préjudice à tous, pour ne pas désavouer le Premier ministre, vous avez bafoué l'État de droit ! Votre concept de loi « promulguée mais non appliquée » n'est pas seulement ridicule, il est surtout dangereux : quand le garant des lois les tord à sa convenance, c'est tout l'équilibre démocratique du pays qui est mis en péril. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Le pire, c'est qu'avec le nouveau « texte alibi » que vous nous soumettez aujourd'hui, vous traitez une fois de plus avec désinvolture - c'est le moins que l'on puisse dire ! - la question de l'emploi des jeunes dans la société française. .

Alors même que, à longueur de débat, nous vous avons montré et démontré que l'emploi des jeunes est lié au rôle déterminant de la formation et de l'école, vous vous contentez de reprendre des dispositifs déjà existants.

Comment pouvez-vous, dans le préambule de votre texte, qualifier d'inacceptable la situation actuelle et vous contenter de mesures aussi dérisoires ? Ces mesures ne devraient d'ailleurs rien vous coûter, car, pour les financer, vous puiserez sans doute dans les fonds affectés aux mesures déjà existantes et qui ne sont pas utilisés puisque celles-ci ont fait la preuve de leur inefficacité.

Une fois encore, vous vous moquez des parlementaires et des jeunes concernés et, une fois de plus, vous nous proposez un texte inadapté, mal ficelé, imprécis, bâclé, inapplicable. (Mme Odette Herviaux applaudit.)

À défaut d'avoir pu installer la flexibilité dans le pays, vous comptez sur la flexibilité de votre majorité pour vous tirer d'affaire.

La mobilisation des jeunes, l'exemplarité de leur combat et leur maturité manifestée dans la sortie de crise méritaient mieux que cette parodie. Il eût été plus digne d'abroger purement et simplement le CPE. Et, pour relever l'honneur de notre Parlement, il eût convenu également de revenir sur d'autres propositions scandaleuses de cette loi pour « l'inégalité des chances » : je veux parler de l'apprentissage dès quatorze ans, du travail de nuit des enfants à partir de quinze ans et du contrat de responsabilité parentale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Comme le CPE, ces trois dispositions souffrent des mêmes défauts : elles n'obéissent qu'à une lecture idéologique de la réalité,...

M. Dominique Braye. En matière d'idéologie, vous, vous êtes des maîtres !

Le M. Yannick Texier. ... elles ne s'appuient sur aucune analyse, n'ont fait l'objet d'aucun diagnostic ; elles sont contestées par les professionnels des secteurs intéressés et aggravent la situation des personnes concernées. Comme le CPE, elles sont porteuses d'injustice et renforcent les inégalités. Comme le CPE, ce sont de mauvaises réponses à de vraies questions.

Quant au CNE, frère aîné du CPE, puisqu'il obéit à la même logique, il serait juste qu'il connaisse la même fin.

De plus, à l'occasion de la discussion de ce texte, nous devrions approfondir la réflexion sur l'exploitation du travail des stagiaires, comme sur la modulation du montant des cotisations sociales en fonction du taux d'emplois précaires et du nombre de jeunes embauchés par l'entreprise.

Enfin, nous en appelons à une grande conférence avec les partenaires sociaux pour traiter globalement toutes les questions liées à l'emploi et à la formation, parce c'est seulement en rétablissant la confiance, en favorisant la discussion et en privilégiant l'échange que les sociétés démocratiques se transforment et se développent.

Ainsi pourrons-nous donner à cette sortie de crise politique une vraie portée sociale. Dans le cas contraire, la rupture entre le Gouvernement et les Français ne saurait que s'aggraver, tant la confiance est rompue et l'espoir, brisé.

Le Président de la République s'est fait élire par défaut, certes, mais les attentes du pays, elles, ont été clairement exprimées en 2002. C'est peu dire qu'elles ont été déçues : les inégalités ne cessent de croître, la protection sociale, de baisser et les conditions de vie des Français, de se dégrader. Aujourd'hui, réformer notre pays est plus que jamais d'actualité. Mais, avec une droite qui oscille entre immobilisme et rupture, un Gouvernement déconsidéré et éloigné des réalités, et un dialogue social réduit à néant, il y a encore loin de la coupe aux lèvres !

Au moins la mobilisation de notre jeunesse et le soutien de l'ensemble de la population nous ont-ils montré que la France a en elle le goût, la force et l'énergie de lutter contre les injustices. C'est à cette source que nous puiserons notre volonté de changement et notre ambition pour demain ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Cela devrait vous faire réfléchir !

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la méthode, Dominique de Villepin a fait à peu près le pire de ce que peut faire un gouvernement !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous avez fait mieux, peut-être !

M. Jean Desessard. Pas de concertation, pas de négociation, recours au 49-3, surdité à l'égard des manifestants. C'est presque une compilation des mauvaises pratiques à l'usage des futurs premiers ministres ! Mais, monsieur le ministre, je veux bien intituler ce recueil de ce qu'il ne faut pas faire, signé Dominique de Villepin : « Un long travail d'écoute » ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Ce n'est pas la rue qui gouverne, mais on a l'impression que plus personne ne gouverne. Aujourd'hui, c'est la mobilisation qui a gagné, et nous en sommes heureux. Ce sont les syndicats de salariés et les organisations de jeunes qui ont donné une leçon de politique à cette majorité.

Dans les rangs de celle-ci, certains, aujourd'hui, se sont félicités de l'attitude exemplaire du Parlement.

Mme Raymonde Le Texier. Quelle mascarade !

M. Jean-Luc Mélenchon. Quelle rigolade !

M. Jean Desessard. Quelle rigolade, en effet !

Si vous aviez perçu cette détresse sociale, si vous aviez vraiment senti combien la misère sociale était importante en France, que ne l'avez-vous dit en séance ! Pourquoi personne ne s'est exprimé ? Au contraire, les avis du rapporteur se sont succédé : « Défavorable. » « Défavorable. » Chacun, dans la majorité, a défendu bec et ongles le projet CPE.

Êtes-vous à l'écoute des citoyens et des citoyennes ?

Quant à l'UDF, bravo pour l'analyse ! Mais pourquoi vous êtes-vous abstenus lors du vote de la loi ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Parce que nous sommes libres !

M. Jean Desessard. Monsieur le ministre, vous laissez entendre que les jeunes et les syndicats ne se sont mobilisés que contre le CPE. C'est faux ! Le CPE était la mesure la plus simple à combattre, mais la plupart des porte-parole des manifestants demandaient le retrait de la loi pour l'égalité des chances dans son ensemble. Ils critiquaient tout autant l'apprentissage à quatorze ans, le travail de nuit à quinze ans, le contrat de responsabilité parentale, qui autorise les sanctions financières contre les familles dont les enfants posent des problèmes.

Et, bien sûr, ils critiquaient le grand frère du CPE : le CNE. Si vous êtes aujourd'hui contre le CPE, il serait logique d'abroger également le CNE, qui ne crée pas d'emplois et ne fait qu'aggraver la précarité des salariés les moins protégés, ceux des petites entreprises.

M. Dominique Braye. Vous ne pouvez pas dire cela, vous ne l'avez pas essayé !

M. Jean Desessard. Pour lutter vraiment contre la précarité et le chômage, je vous propose : la création d'un bonus-malus des cotisations sociales des entreprises selon leur recours plus ou moins important aux contrats précaires ; des droits nouveaux pour les salariés des entreprises sous-traitantes des grands groupes ; la réduction du temps de travail ; la création d'emplois écologiques dans les travaux pour économiser l'énergie et dans l'agriculture de proximité ; une grande négociation pour concrétiser l'idée désormais consensuelle de sécurité sociale professionnelle, avec formation continue et revenu garanti pour tous ceux qui sont privés d'emploi ; une prime salariale pour les temps partiels.

Si l'on veut s'attaquer à la précarité des jeunes, je propose enfin que l'on s'intéresse de près aux 800 000 jeunes en stage chaque année, véritables emplois précaires déguisés.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il a mal lu le rapport !

M. Jean Desessard. Je relève le défi de la discussion sur flexibilité et sécurité. Mais que l'on s'entende bien : il ne s'agit pas de flexibilité pour les salariés et de sécurité, avec parachutes dorés, pour les dirigeants d'entreprise !

Mme Raymonde Le Texier. Ils voudraient pourtant bien que ce soit cela !

M. Jean Desessard. Par rapport à l'ampleur du chômage de masse, l'UMP nous propose de « remplacer » le CPE par un dispositif qui consiste, ce qui est quelque peu ridicule, à augmenter encore et encore les aides aux entreprises, parfois sans limite de qualification. Certaines entreprises vont donc recevoir de l'argent public pour embaucher des jeunes à bac + 5. En ce qui me concerne, je suis opposé aux mesures catégorielles, qui ne s'appliquent donc pas à tous. Encore une fois, vous considérez que les jeunes ont besoin d'aides financières pour commencer à travailler ; or cela les marginalise.

Disons-le, c'est une mesure cosmétique. Le roi est nu, alors on lui met un cache-sexe ! Certes, il est vrai que le maillot de bain va plutôt bien au Premier ministre (Rires sur les travées du groupe socialiste), mais, face au chômage des jeunes, il cache mal l'inaction du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On descend très bas...

M. Jacques Peyrat. La conclusion était vraiment petite ! Et comment est-il, M. Desessard, en maillot de bain ?

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsqu'il introduisit l'examen par notre assemblée du projet de loi pour l'égalité des chances le 23 février dernier, M. Jean-Louis Borloo conclut son intervention par l'affirmation suivante : « Le texte qui vous est soumis vise à faire partager notre République à tous. »

Il a réussi ! En effet, avant même sa promulgation, le CPE a fait partager à l'ensemble des organisations représentatives des salariés, des étudiants et des lycéens ainsi qu'à 83 % des Français - excusez du peu ! - un bien commun : le retrait du CPE, enfant mort-né de la politique de l'emploi de M. de Villepin.

Finalement, même vous, monsieur le ministre, vous avez fini par rejoindre ce grand rassemblement républicain et vous vous êtes rendu à l'évidence : la société française n'a pas accepté une mesure que ses gouvernants ont, seuls, cherché à lui imposer.

Dans cette affaire, avant d'aller à Canossa, le Premier ministre a montré son ignorance tant des réalités de la société française que de ses valeurs.

Premièrement, dans la poursuite de son action gouvernementale, il a estimé nécessaire de faire l'impasse sur le dialogue social et la délibération démocratique pour élaborer et faire approuver une réforme importante du droit du travail.

Deuxièmement, il a cru, de cette manière, pouvoir imposer au corps social une mesure effaçant d'un trait de plume des conquêtes essentielles du mouvement ouvrier visant à protéger de jure les salariés, tout en accroissant encore l'incertitude et la précarité pesant sur la jeunesse qui entre dans le monde du travail.

Résultat : une double faillite ! La première est celle d'une politique de l'emploi visant à « flexibiliser » le droit du travail et consistant à faire peser le risque économique plus sur l'employé que sur l'employeur. La seconde est celle d'un système politique au bord de l'effondrement qui a vu un exécutif à deux têtes concentrant tous les leviers de commande du pays se couper peu à peu de la population, des corps intermédiaires et de la représentation nationale, tout occupé qu'il était à chercher les moyens de rester encore au pouvoir pour longtemps.

La France a donc connu en quelques semaines deux crises profondes : une crise sociale et une crise politique.

Dans la presse étrangère, italienne et anglaise, notamment, des observateurs ont dépeint non pas des Français archaïques, rétifs à la réforme, mais des « jeunes générations voulant entrer dans le monde du travail » et ont décrit les manifestations estudiantines comme « une partie d'une révolte plus étendue contre le soutien de l'élite à un projet thatchérien ».

Comment a-t-on pu imaginer en haut lieu faire partager à notre jeunesse le prétendu bien-fondé d'une mesure qui consistait à institutionnaliser une période d'incertitude dans la relation de travail, et ce non pour six mois, mais pour deux ans ?

Faut-il rappeler la situation sociale de nombreux jeunes de ce pays, qu'ils soient non qualifiés, diplômés de l'enseignement supérieur ou qu'ils poursuivent encore leurs études ?

Dans ce contexte, comment ce Gouvernement espérait-il vendre une mesure de précarisation du droit du travail comme un remède aux difficultés sociales d'une jeunesse s'accrochant justement à l'espoir de décrocher un CDI pour enfin accéder à l'autonomie ?

Il est vrai que la droite nous a habitués à ne pas miser sur l'avenir, à ne pas faire confiance à la jeunesse pour prendre sa part au développement économique du pays, comme l'ont montré les arbitrages politiques de ces dernières années, systématiquement défavorables à la recherche universitaire, à la création artistique et à l'enseignement supérieur.

Comment avoir osé intituler cette loi « pour l'égalité des chances » alors qu'elle a supprimé l'obligation de scolarisation jusqu'à seize ans en abaissant l'âge de l'apprentissage à quatorze ans et qu'elle a condamné les jeunes de moins de vingt-six ans à deux ans d'arbitraire dans leur activité professionnelle ?

Promouvoir l'égalité des chances, ce serait au contraire chercher à comprendre pourquoi 300 000 offres d'emploi restent non pourvues dans ce pays faute de candidats. Quelle est la réponse économiquement et socialement viable à ce problème ? La qualification des jeunes, et donc leur formation initiale et professionnelle. (M. Jean Desessard approuve.)

Quelle est la réponse du Gouvernement ?

Dans un premier temps, offrir avec le CPE des emplois jetables. Aujourd'hui, le dos au mur, élargir des dispositifs d'emploi aidé prévus par le plan de cohésion sociale.

Dans le premier cas, la réponse était désastreuse. Dans le second, elle est inexistante. La preuve : pour justifier le CPE vous avez qualifié ce qui existait avant de « rien ». Maintenant, ce « rien » devient le remplacement du CPE ; c'est dérisoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Il est vrai que votre majorité nous a habitués à privilégier les cadeaux fiscaux à sa clientèle électorale plutôt qu'à investir dans l'éducation et l'innovation ou à engager une vraie démarche de désendettement de l'État. À vrai dire, il doit sembler cohérent à ce Gouvernement et à cette majorité de léguer aux générations futures tout à la fois une dette publique d'un montant jamais atteint dans l'histoire du pays et la précarité au travail !

M. Dominique Braye. Merci la gauche !

M. David Assouline. La société française ne pouvait accepter que cette action se poursuive. Elle le pouvait d'autant moins que le Premier ministre a fait le choix délibéré d'ignorer le dialogue social et de nier la délibération parlementaire.

La majorité a usé de tous les arguments pour justifier sa tentative de passage en force, qui se solde par une capitulation sans condition.

À cet égard, citons en premier lieu le rapporteur du projet de loi devant notre assemblée, qui a défendu bec et ongles le CPE durant nos débats et qui doit aujourd'hui signer son arrêt de mort.

Le 27 février dernier, M. Gournac soutenait « qu'il fallait agir vite, que le CPE était une piste sérieuse et construite ».

M. Alain Gournac, rapporteur. Je continue de le dire !

M. David Assouline. Ce n'est pas ce qu'il nous a expliqué tout à l'heure !

Aujourd'hui, nos collègues de l'UMP doivent donc oublier tout ce qu'ils ont appris sur les bienfaits supposés du CPE et affirmé avec le plus grand aplomb il y a trois semaines dans cet hémicycle.

M. David Assouline. On a également pu entendre que les syndicats français n'étaient pas vraiment représentatifs.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !

M. David Assouline. Et je ne cite pas M. Serge Dassault, mais on rigolerait bien si l'on reprenait son intervention d'alors ! (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Serge Dassault s'en amuse.)

En refusant toute discussion avec les partenaires sociaux, le Gouvernement a, de fait, entretenu le doute sur la légitimité de ceux-ci.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et alors ?

M. David Assouline. Qui plus est, à la volonté de ne pas consulter syndicats et patronat sur une mesure imaginée dans le secret d'un palais officiel s'est ajoutée la décision de bâillonner la représentation nationale. Mais je passe sur ce point, car mes collègues en ont parlé.

C'est indigne, mais annonciateur de la crise de régime d'aujourd'hui !

Une nouvelle fois, nos institutions ont montré leurs limites, avec le choix du président de la République de désavouer son Premier ministre tout en le maintenant en poste et en appelant le parti majoritaire à se substituer à l'exécutif défaillant.

Pourquoi cette mascarade ? Apparemment, pour contrer les ambitions du président de l'UMP, également numéro deux du Gouvernement.

L'instrumentalisation des institutions de l'État au service d'une lutte de clans n'est pas vraiment décente. Est-elle vraiment digne d'un président de la République élu avec 82 % des suffrages pour faire barrage à l'extrême droite et défendre la République ?

M. Dominique Braye. Ah, vous l'aimez bien, l'extrême droite !

M. David Assouline. Oui, la vie publique de ce pays a bien besoin d'une profonde rénovation démocratique, seule à même de réconcilier les Français avec leurs institutions politiques et de relégitimer l'action publique.

Enfin, ce conflit sur le CPE a révélé de façon manifeste que deux projets de société s'affrontaient dans notre pays ; nous l'assumons et nous l'assumerons. Le vôtre, c'est celui qui prend prétexte de la mondialisation et des difficultés économiques qu'elle engendre pour faire accepter brutalement les injustices sociales et remettre en cause tous les progrès sociaux que notre peuple a conquis de haute lutte ; le nôtre, c'est celui qui a toujours fait avancer notre pays, celui qui prône la réforme concertée avec toutes les forces vives de notre pays et qui a toujours au coeur l'égalité et la démocratie.

Oui, la France a grand besoin d'un gouvernement qui réponde à l'énorme envie d'avenir que portent, avec exemplarité, les jeunes depuis plusieurs semaines. Nous répondrons présents à cet appel, afin de redonner espoir à une société qui est prête à innover et à créer, dans la solidarité et la justice sociale, une République nouvelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.

Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à cette heure, je n'aimerais pas être sénatrice de la majorité !

M. Dominique Braye. Et elle ne voudrait pas de vous non plus !

Mme Dominique Voynet. Soumis au régime de la douche écossaise, vous êtes aujourd'hui placés dans la situation de défaire ce que vous avez opiniâtrement défendu hier. Non pas sur le fond, car, en la matière, vous étiez « secs », mais quelle inventivité sur la forme ! Comment oublier M. de Rohan montant au créneau comme un lion pour clouer le bec à l'opposition à grands coups de règlement !

Le pétrin dans lequel vous vous êtes mis et, plus grave, dans lequel vous avez mis le pays illustre tristement la façon dont nos institutions anesthésient en permanence la capacité critique des parlementaires.

Voilà quelques semaines, vous avez été sommés d'approuver sans barguigner des mesures dont j'ai cru comprendre qu'elles satisfaisaient assez moyennement le ministre qui était chargé de les défendre devant nous. Aujourd'hui, vous êtes sommés de voter à la hâte un replâtrage dont aucun débat préalable ni aucune évaluation de l'existant ne prouve la validité.

La passe difficile dont vous essayez aujourd'hui de vous sortir témoigne d'une mauvaise façon de gouverner, qui consiste, pour aller vite, à légiférer dans l'urgence, et ce pour faire des effets d'annonce et du spectaculaire, sur des sujets de fond qui nécessiteraient un diagnostic approfondi et un large consensus.

Comment nier que cette façon d'agir contribue, de manière préoccupante, à jeter le discrédit sur le politique, les politiques, et les institutions ?

M. Jean-Pierre Bel. Bien entendu !

M. Roland Muzeau. Très bien !

Mme Dominique Voynet. Quand on peut défendre avec la même apparence de conviction et de sincérité tout et le contraire de tout, comment exiger le respect ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Pierre Bel. Absolument !

Mme Dominique Voynet. Dans le cas présent, au lieu d'essayer de répondre aux multiples questions - et ce sont des questions difficiles ! - qui restent aujourd'hui encore posées par la crise dite « des banlieues », le Gouvernement s'est aventuré de façon hasardeuse sur le terrain d'une réforme globale du contrat de travail et des modes d'insertion de la jeunesse dans la vie active.

Il l'a fait à partir d'une analyse fausse - que j'avais alors qualifiée d' « idéologique » - selon laquelle le sous-emploi des jeunes les moins qualifiés est le produit d'un empêchement des entreprises à embaucher ou la conséquence d'une sorte de rigidité du marché du travail.

Il nous a ainsi été proposé non pas de sécuriser la partie la plus fragile de la jeunesse, celle qui a besoin d'être accompagnée dans des parcours individualisés de formation, mais d'insécuriser tous les jeunes, y compris ceux qui, depuis le retournement de la conjoncture en 2002, - vous constaterez que je ne vous accable pas, vous laissant le bénéfice du doute - se voient proposer des emplois qui ne sont pas à la hauteur de leurs qualifications ou de leurs diplômes.

Au demeurant, les employeurs n'étaient pas eux-mêmes demandeurs de telles mesures, pas plus que les artisans ou les commerçants n'ont demandé des apprentis à quatorze ans.

Mme Dominique Voynet. Les travailleurs sociaux n'ont pas réclamé la punition collective que représente, pour les parents en difficulté, la suppression des allocations familiales.

Le problème, c'est que vous récidivez aujourd'hui. Hormis le CPE, vous ne retirez aucune des autres mauvaises dispositions de la loi, et vous ne proposez aucun parcours différencié, personnalisé, progressif et cumulatif en matière de soutien aux jeunes qui sont en réelle difficulté, comme l'était par exemple, en son temps, le programme TRACE.

Vous proposez un replâtrage d'un montant de 150 millions d'euros par lequel, une fois de plus, vous découragez la vertu et encouragez le vice. Ainsi, vous favorisez les effets d'aubaine, autrement dit la succession, à bon marché, sur des postes de qualité médiocre, de plusieurs générations de jeunes qui n'acquerront aucune qualification professionnelle, sans pour autant régler les problèmes qui empêchent justement leur accès durable à l'emploi. Voilà qui s'appelle fabriquer de la précarité !

C'est contre cette politique-là que des millions de personnes viennent de se dresser, mais peut-être ne l'avez-vous pas perçu !

Il y avait une solution simple, celle qui consistait à débattre de nouveau de la loi dans son ensemble, mais vous l'avez écartée. Car il est question ici d'arbitrer des querelles internes à la droite et de permettre à chacun des acteurs d'un mauvais film de sauver la face.

Mme Dominique Voynet. Vous prenez le risque d'entretenir l'amertume au sein de la jeunesse et de laisser couver le feu partout dans les quartiers. Demain, les mêmes causes produiront les mêmes effets : vous semez l'injustice, vous continuerez de récolter la révolte !

Nous avons entendu tout à l'heure les rodomontades du ministre et les provocations satisfaites de l'orateur de l'UMP. Ils voudraient bien avoir l'air, mais ils n'ont pas l'air du tout !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il ne faut pas jouer les riches quand on n'a pas de sous !

Mme Dominique Voynet. Ils continuent de donner des leçons, ...

M. Robert Bret. Ils n'ont rien appris !

Mme Dominique Voynet. ... de proférer des aphorismes généraux et de manipuler les chiffres !

M. Jean-Luc Mélenchon. Ils ont les mains blanches !

Mme Dominique Voynet. Pour leur part, les Verts n'entendent pas se prêter plus longtemps à cette mascarade ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Assouline. Il est courageux !

M. Robert Bret. C'est bientôt fini, monsieur le ministre, il faut aller jusqu'au bout !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà des formules, des comparaisons cinématographiques ou vestimentaires, auxquelles je ne répondrai pas,...

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous manquez d'humour !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ... je veux dire que la crise à laquelle nous sommes confrontés me semble être, comme toute crise, un révélateur dans la mesure où la question de l'entrée des jeunes dans l'entreprise est publiquement et très clairement posée. Plus personne ne pourra donc reléguer cette question au magasin des dossiers que l'on traite l'année suivante. On ne pourra pas non plus y répondre par des rigidités, qu'elles soient idéologiques ou réglementaires.

Le problème de la formation, du lien entre l'université et la professionnalisation est posé. Il va enfin falloir répondre à la question de l'orientation, (MM. Philippe Nogrix et Jean-Pierre Fourcade applaudissent.) celle des jeunes qui se trouvent dans des filières sans débouché, ...

M. Alain Gournac, rapporteur. Tout à fait !

M. Jean-Luc Mélenchon. Ça n'a pas de rapport !

M. Dominique Braye. Les voies de garage, c'est vous qui les avez créées !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ... ainsi qu'à celle de l'évaluation des résultats des filières, et considérer les chiffres relatifs à la massification de l'éducation.

Notre pays compte 2,4 millions d'étudiants ; 1,4 million d'entre eux sont à l'université, 10 000 seulement sont en formation en alternance à l'université et 385 000 en apprentissage.

Ce chiffre sur la formation en alternance vous démontre bien que notre pays va enfin devoir faire de la filière professionnelle la grande filière, à côté de la filière académique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Alors, allons-y !

Mme Dominique Voynet. Assez de bidouillage !

MM. Jean-Luc Mélenchon et David Assouline. Inscrivez-le dans la loi !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Monsieur Mélenchon, à la différence d'un certain nombre de pays, nous nous sommes engagés, depuis le vote de la loi de programmation pour la cohésion sociale, à viser un autre objectif, qui est d'ailleurs également prévu dans la loi pour l'égalité des chances.

Ainsi, en 2009, les entreprises de plus de 250 salariés auront l'obligation d'avoir 3 % de leur effectif salarié soit en formation en alternance soit sous contrat de professionnalisation. Ce faisant, nous aurons créé plus de 155 000 postes nouveaux pour les jeunes en entreprise. Voilà quelques réalités !

M. Yannick Bodin. Ah oui ? Il vous reste encore du travail !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Après le 21 avril et le 29 mai, chacune et chacun d'entre nous est confronté à la crise que traverse notre société. Allons-nous continuer à protéger les emplois, alors que nous devrions mettre en place des parcours de vie où formation initiale, formation tout au long de la vie, convention de reclassement personnalisé, contrat de transition professionnelle et accompagnement personnalisé constitueraient un plateau d'équilibre ? Il faut regarder la réalité en face et prévoir une certaine souplesse du marché du travail dans un univers aujourd'hui mondialisé.

Il est urgent de conforter les mesures relatives à l'insertion des jeunes en très grande difficulté prévues dans la loi de programmation pour la cohésion sociale. La semaine dernière, nous avons fait observer aux dix-neuf organisations représentant les entreprises, les salariés, la jeunesse ou les étudiants qu'il était urgent de répondre aux problèmes des jeunes les plus éloignés de l'emploi, ...

M. Alain Gournac, rapporteur. Absolument !

M. Didier Boulaud. Nous n'en savons rien, nous n'étions pas invités !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ... ceux que notre système idéologique et de protection n'a pas pris en compte. Mais il faudra aller plus loin encore, et les partenaires sociaux ne pourront pas se dérober.

Je tiens de nouveau à remercier le président Josselin de Rohan, le président de la commission des affaires sociales ainsi que le rapporteur de leur action. J'apporterai quelques précisions s'agissant des points qui ont été soulevés par les uns ou les autres.

Monsieur About, vous avez insisté sur une question très importante, à savoir le rôle et la place attribués au premier cercle de l'emploi au travers notamment du dispositif CIVIS, élargi et renforcé, question que j'avais d'ailleurs évoquée lors de nos précédents débats.

Au terme de la rencontre nationale que nous avons eue, le 22 mars dernier, avec les missions locales, nous sommes convenus à l'unanimité de la nécessité d'inscrire dans la convention de cotraitance avec l'ANPE le principe d'un soutien à la participation des missions locales au premier cercle de l'emploi, notamment des maisons de l'emploi. Nous allons donc répondre en partie à votre préoccupation dans les semaines qui viennent, monsieur About.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Monsieur Mercier, vous avez évoqué la question du dialogue social, tout comme M. Bel, d'ailleurs.

Le 12 décembre dernier, le Premier ministre a demandé à Dominique Chertier d'élaborer, avec l'ensemble des partenaires sociaux, des propositions de nature à mettre en place un dialogue social en amont. Elles lui seront remises dans quelques semaines. Il importe donc que les partenaires sociaux mettent également en place, de leur propre initiative, un agenda.

M. Robert Bret. Après avoir essayé de passer en force !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. C'est un point essentiel, car ils ne doivent pas simplement le faire sur interpellation du Gouvernement, attendant que les dossiers s'empilent.

M. Jean-Luc Mélenchon. Vos propos leur seront rapportés !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Monsieur Mercier, il nous faudra trouver un juste équilibre entre le rôle des partenaires sociaux tel qu'il découle du droit issu des conventions et celui du législateur. Nous n'échapperons pas, me semble-t-il, à la recherche d'un nouvel équilibre.

Monsieur Bel, nous devons réfléchir ensemble au changement, ...

Mme Dominique Voynet. L'année prochaine ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ... et ce n'est pas facile ! Souvenez-vous de l'année 2000 et des discussions engagées par M. Allègre à propos de l'évolution de l'éducation nationale : là aussi, il y a eu des crispations.

Madame Voynet, monsieur Bel, ce ne sont pas des « mesurettes » qui figurent dans la proposition de loi : il s'agit de dispositions qui, dans le prolongement du plan de cohésion sociale, mettent en lumière des dispositifs instaurés par des pays tels que la Suède...

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous êtes d'accord avec son taux de prélèvement obligatoire ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ...et relatifs au soutien de l'entrée des jeunes en entreprise.

M. Jean-Luc Mélenchon. Il faut prévoir les moyens qui vont avec !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Monsieur Fourcade, je vous remercie de l'appui que vous nous apportez. Il faut dire la vérité !

M. Jean-Luc Mélenchon. Le parti des mains blanches !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Le tutorat est essentiel pour accompagner le jeune, pendant un an, lors de son entrée dans l'entreprise.

Je le rappelle, les taux de rupture s'élèvent parfois à 40 % ou 50 %. En outre, le tutorat est aussi l'occasion d'affirmer le lien entre les générations. Voilà pourquoi le plan sénior comportera des mesures pour l'encourager.

Monsieur Fourcade, avec d'autres intervenants, vous avez abordé les aspects budgétaires de la proposition de loi. Je souhaite revenir sur ce point, notamment sur la suppression de l'article 2 du texte initial.

Le bureau de la commission des finances de l'Assemblée nationale, s'appuyant sur une tradition consacrée par les présidents successifs de ladite commission, n'a en effet pas jugé recevable la requête portant sur l'irrecevabilité de la proposition de loi au titre de l'article 40 de la Constitution. Je tenais à le dire au Sénat, même si la question ne se pose plus ici.

Pour autant, quelles seront les modalités de financement ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. La totalité des dépenses supplémentaires induites par la proposition de loi sera assurée par des reports de crédits de l'année 2005. Ainsi, 397 millions d'euros ont été ouverts sur la mission Travail et emploi par un arrêté en date du 31 mars. Dans ce cadre, 223 millions d'euros seront affectés au programme 102 « accès et retour à l'emploi ». Cette somme est d'ailleurs supérieure aux 150 millions d'euros nécessaires au financement du dispositif en faveur des 150 000 jeunes. J'entends parler de « mesurettes », alors que ce dispositif concernera quand même 150 000 jeunes au cours du second semestre de 2006 !

M. Jean Desessard. Monsieur le ministre, vous êtes un excellent vendeur !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Faut-il le rappeler, la proposition de loi n'a d'incidence que sur 2 % du programme 102, qui s'élève à 7 milliards d'euros. Cela montre l'engagement du Gouvernement en faveur de l'emploi !

Monsieur Fourcade, vous avez également évoqué la question du préciput. Le Premier ministre a soumis au Conseil d'orientation pour l'emploi l'ensemble de ces questions, notamment pour savoir si l'application des exonérations nouvelles devait tenir compte de la qualité et de la quantité des emplois créés. Le Parlement aura très prochainement l'occasion de revenir sur ce sujet.

En ce qui concerne le CIVIS, je citerai un chiffre : 170 000 contrats ont été signés entre mai 2005 et mi-mars 2006.

M. Jean-Luc Mélenchon. Effets d'aubaine !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Les missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes recevront des moyens budgétaires supplémentaires avec 2 000 référents. Elles accomplissent un travail exceptionnel, mais elles ont besoin de cette greffe avec l'entreprise.

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Le CIVIS doit en effet permettre au jeune d'emprunter un parcours qui débouche sur l'emploi et non pas qui l'oblige à retourner à la case chômage. Voilà pourquoi les mesures prévues par cette proposition de loi sont essentielles.

Madame Le Texier, le travail de nuit ne touche pas les jeunes de quatorze ans. En vous faisant cette réponse, j'ai l'impression de me répéter.

Mme Raymonde Le Texier. J'ai dit quinze ans !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Même à quinze ans, il ne peut pas y avoir de travail de nuit, y compris pour les apprentis, sauf ...

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ... au sein des entreprises de spectacle.

Le travail de nuit des apprentis est possible à partir de seize ans, mais nous l'avons encadré, ce que vous n'aviez point fait.

M. Alain Gournac, rapporteur. Eh oui !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Un décret du 13 janvier 2006 porte en effet sur les secteurs concernés, les plages horaires et, élément tout à fait essentiel, prévoit la présence obligatoire du maître d'apprentissage. Une dérogation peut uniquement être accordée par l'inspecteur du travail.

Comme vous pouvez le constater, le Gouvernement entend protéger les apprentis. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Monsieur Assouline, 170 000 CIVIS, 100 000 contrats de professionnalisation et 150 000 jeunes comme objectif, ce n'est nullement dérisoire !

Je veux vous rappeler les propositions que le parti socialiste a faites tout au long de ces deux mois.

M. Adrien Gouteyron. Ce sera intéressant !

M. Dominique Braye. Un vide intersidéral !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Il a réinventé le contrat de professionnalisation, quand ce n'est pas le projet EVA, qui est apparu au moment où M. Strauss-Kahn a présenté l'énième proposition au concours Lépine de la meilleure idée. (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP - Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Bel. Soyez plus modeste, monsieur le ministre !

M. Dominique Braye. Merci, les socialistes, pour les emplois parkings ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur Braye, je vous en prie !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. L'apprentissage et le contrat de professionnalisation constituent les vraies réponses. Toutefois, l'essentiel reste la formation, car, je l'ai dit tout à l'heure, la question de l'errance scolaire reste posée.

M. David Assouline. Répondez-y dans la loi !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Comment, chaque année, 60 000 jeunes, parfois avant seize ans, sortent-ils du système scolaire ?

Enfin, madame Voynet, nous savons bien que ce texte ne constitue pas une architecture définitive. Je ne doute pas que le débat qui a été lancé sur l'initiative du Gouvernement et sur proposition des présidents de groupe de l'Union pour un mouvement populaire se poursuivra dans les semaines à venir et abordera tous les aspects.

Nous aurons l'occasion de nous retrouver autour de cette question, qui demeure essentielle : l'entrée des jeunes dans l'emploi. La réponse ne peut pas toujours consister à offrir plus d'emplois publics, à proposer des emplois sous-qualifiés, sous-payés, à des jeunes surqualifiés, qui ont représenté l'essentiel des emplois-jeunes.

MM. Jacques Peyrat et Dominique Braye. Très bien !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Ce défi, nous devons le relever ensemble ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - MM. Yves Pozzo di Borgo et Jean Boyer applaudissent également.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, je demande une suspension de séance de dix minutes afin de réunir la commission. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Claude Domeizel. Dix minutes ! Cela laisse présager la méthode qui va être employée !

M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, monsieur le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à douze heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous passons à la discussion des articles.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise
Articles additionnels avant l'article 1er (suite)

Articles additionnels avant l'article 1er

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 1, présenté par MM. Bel et Godefroy, Mmes Le Texier, Printz, Demontès, Schillinger et Voynet, MM. Domeizel, Desessard, Madec, Bodin, Assouline, Mélenchon et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

I. L'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005 relative au contrat de travail « nouvelles embauches » est abrogée.

II. Dans le cadre d'une négociation nationale interprofessionnelle, les partenaires sociaux fixent les conditions de requalification et de sécurisation des contrats « nouvelles embauches » qui ont été signés.

La parole est à M. Claude Domeizel.

M. Claude Domeizel. Il aura fallu près de trois mois à ce gouvernement, à l'UMP et au Président de la République pour entendre la majorité de nos concitoyens et pour se rendre compte que les Français refusent de subir la précarité !

Est-il un combat plus juste que celui-ci ? Il dépasse les clivages politiques ou syndicaux et illustre la conception que l'on se fait de l'être humain et de l'être social. Il renvoie à l'un des fondements de notre République : le devoir de justice, et notamment de justice sociale.

Avec la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, le Président de la République, le Premier ministre et son gouvernement effectuent enfin un virage à 360 degrés.

En réécrivant le fameux article 8 de loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, promulguée et déclarée inapplicable le même jour, vous proposez finalement d'abroger le contrat première embauche et c'est heureux ! Mais il vous en aura fallu du temps !

Ainsi que nous l'avons dit et répété durant des semaines, le CPE n'est, pour l'ensemble de notre jeunesse, qu'une variante du contrat nouvelles embauches, créé par l'ordonnance du 2 août dernier. Considérant que le CNE et le CPE relèvent de la même logique, nous proposons de faire preuve de cohérence : cet amendement tend donc à abroger le contrat nouvelles embauches.

Ici, au Sénat, nous avons pu nous opposer avec détermination au CPE, introduit via un amendement gouvernemental, qui permettait de couper court à l'avis du Conseil d'État et de faire la regrettable impasse sur toute concertation avec les partenaires sociaux. Nous n'avons pas été entendus, et c'est dommage, car cela aurait évité tout ce gâchis.

S'agissant du CNE, nous n'avons pas pu nous exprimer, car vous avez employé une méthode encore plus expéditive.

En effet, comment ne pas rappeler dans quelles conditions inadmissibles le CNE a été imposé aux Français ? Comment ne pas rappeler que l'introduction de cette modification majeure dans le code du travail n'a fait l'objet d'aucune concertation avec les partenaires sociaux et, pis encore, d'aucun débat avec la représentation nationale ? Comment ne pas rappeler que ce contrat inique a été introduit via une ordonnance, ce qui permettait de passer outre les considérations et l'opposition unanime des syndicats de salariés, mais également d'éviter tout débat au Parlement ?

Une telle façon de procéder ne traduit que mépris à l'égard tant de l'ensemble des salariés et de leurs représentants que de la représentation nationale. Il s'agit non pas d'un acte de courage, mais d'autoritarisme, de rigidité et de dogmatisme.

Cela est d'autant plus choquant que la loi « Fillon » de 2004 avait introduit le concept de négociation préalable entre les partenaires sociaux. M. de Villepin a foulé aux pieds cet engagement solennel sous prétexte que cette obligation n'était inscrite que dans le préambule de la loi. Cette lecture de la loi, ainsi que cette façon de procéder, est purement et simplement consternante !

M. de Villepin n'est certes le seul à avoir cette curieuse conception du code du travail. En effet, M. Sarkozy, chef de parti et ministre d'État, partage ouvertement les valeurs qui fondent le CNE et le CPE. Ainsi, lors de la convention sociale de l'UMP, ne déclarait-il pas, à propos de la question du droit du travail : « Ce n'est pas un sujet tabou. Les entreprises veulent pouvoir adapter plus rapidement leurs effectifs aux évolutions de l'économie. Elles hésitent à embaucher pour ne pas être enfermées dans des rigidités et des coûts en cas de baisse d'activité. » ?

Je reviens à notre amendement. Celui-ci a pour seul objectif de mettre fin à une telle injustice pour l'ensemble des salariés et à une remise en cause du code du travail.

Notre amendement tend également à ce que, dans le cadre d'une négociation interprofessionnelle, les partenaires sociaux fixent les conditions permettant de requalifier et de sécuriser les contrats nouvelles embauches qui ont été signés.

De la sorte, le dialogue social, qui fait si cruellement défaut, se rouvrirait, tout en permettant la refonte juridique des CNE.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Domeizel !

M. Claude Domeizel. Je termine, monsieur le président.

Les raisons qui motivèrent la suppression du CPE valent également pour le CNE. Alors, encore un effort, mes chers collègues ! Faisons preuve de cohérence et abrogeons le contrat nouvelles embauches. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. L'amendement n° 8, présenté par MM. Muzeau, Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

L'ordonnance n°2005-893 du 2 août 2005 relative au contrat de travail « Nouvelles embauches » est abrogée.

La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet amendement vise, et vous n'en serez pas surpris, à abroger le contrat nouvelles embauches, que le Gouvernement a imposé de force au milieu de l'été 2005 par voie d'ordonnance.

M. de Villepin avait entrepris une destruction sans précédent du code du travail, en contournant la représentation nationale et au mépris des recommandations des partenaires sociaux. Le Gouvernement ne nous avait alors pas entendus, il nous avait méprisés. Le résultat est là !

À l'heure où le CPE est définitivement mort, il est nécessaire d'écarter durablement tout risque de modification du code du travail allant dans le sens d'une précarisation accrue.

Les dispositions relatives au contrat nouvelles embauches sont en effet les mêmes que celles du contrat première embauche : il en est le frère aîné !

Ces nouveaux contrats permettent en effet d'imposer à un salarié une période d'essai de deux ans durant laquelle celui-ci peut être licencié sans que l'employeur ait à lui fournir de justification.

Une telle disposition contrevient directement aux législations et aux règlements internationaux, notamment à la Charte sociale européenne et à la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail. Or nous avons appris aujourd'hui même que, selon la Cour de cassation, cette convention s'appliquait bien devant les juridictions françaises.

De plus, contrairement aux idées reçues, ce contrat fait de la France, parmi l'ensemble des pays européens, celui où le marché du travail devient le plus déréglementé et le moins protecteur pour ses salariés. (M. le ministre délégué s'esclaffe.)

MM. Rémy Pointereau et Joël Billard. N'importe quoi !

M. Guy Fischer. C'est la réalité ! Nous avons fait réaliser une étude comparative sur ce sujet, et je tiens les documents à votre disposition !

M. Robert Bret. Mais ils le savent bien !

M. Guy Fischer. Le contrat nouvelles embauches, qui est maintenant en vigueur depuis plus de six mois, n'a pas fait la preuve de son efficacité économique.

M. Josselin de Rohan. Il a permis de créer 80 000 emplois !

M. Guy Fischer. Aucun infléchissement notoire des chiffres du chômage n'a en effet été constaté. Les embauches en CNE auraient été effectuées dans tous les cas.

M. Roland Muzeau. Bien sûr !

M. Guy Fischer. L'effet d'aubaine est constaté par tous les économistes.

M. Guy Fischer. Par ailleurs, le seul effet du CNE a été d'augmenter le nombre de recours devant les tribunaux des prud'hommes pour licenciement abusif. Les entreprises elles-mêmes témoignent à présent d'une méfiance de plus en plus grande vis-à-vis d'un contrat qu'elles jugent peu opérant et qui risque de multiplier les contentieux. Ce contrat sera d'ailleurs, croyez-moi, au coeur des négociations avec les partenaires sociaux !

M. Guy Fischer. Comment justifier encore le maintien de ce dispositif, compte tenu de la fragilisation sans précédent du monde du travail qu'il entraîne ?

Le CNE, comme le CPE, méconnaît certains droits élémentaires du travailleur, qu'il va même jusqu'à mépriser. Une période d'essai prolongée change en effet considérablement la nature de la relation salariale en limitant, par exemple, toute capacité d'expression du salarié, rendant impraticable l'exercice du droit de grève et très difficile celui du droit syndical.

Le CNE contribue également à renverser la norme centrale du travail salarié en France - le CDI - au profit d'autres formes de contrats qui étaient devenues l'exception.

Le CNE constitue donc bel et bien une rupture radicale dans notre tradition politique et sociale. Cette désorganisation sans précédent des rapports salariaux, au profit exclusif des entrepreneurs, n'est pas acceptable.

C'est pourquoi nous proposons l'abrogation du contrat nouvelles embauches, par cohérence avec la suppression du CPE et par respect de la volonté de nos concitoyens, des salariés, qui se sont clairement exprimés au cours des trois derniers mois. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Roland Muzeau. Très bien !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Alain Gournac, rapporteur. Ne voulant pas que l'on m'appelle « Monsieur Défavorable », je dirai que je suis favorable... à ce que le Sénat se prononce contre ces amendements. (Sourires.)

Je l'ai dit en commission, je le répète ici : 400 000 CNE ont été signés. On ne peut donc pas dire que ce n'est pas un bon système et que la totalité de ces contrats sont le résultat d'un effet d'aubaine. Ce n'est bien évidemment pas la réalité ! (Si ! sur les travées du groupe CRC.)

Nous souhaitons que le contrat nouvelles embauches puisse continuer de favoriser l'entrée des jeunes dans un premier emploi.

Mme Marie-France Beaufils. La signature de 400 000 contrats ne signifie pas la création de 400 000 emplois !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Je suis clairement défavorable à ces deux amendements et je le revendique ! (Bravo ! sur les travées de l'UMP.)

Depuis le 1er septembre dernier, 400 000 embauches ont été réalisées ...

Mme Marie-France Beaufils. Il y a un différentiel !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ... sous forme de CNE.

M. Gérard Cornu. Voilà la réalité !

Mme Marie-France Beaufils. Combien de transformations ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Selon l'enquête du cabinet Fiducial, sans ce contrat, 37 % de ces embauches ...

M. Robert Bret. On redescendra dans la rue !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ...n'auraient pas été effectuées dans les entreprises de moins de vingt salariés.

M. Robert Bret. C'est le grattage et le tirage !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Pour ne pas avoir à entendre dire que la France serait le pays le plus laxiste en matière de relations du travail, je tiens à ajouter que le Gouvernement, conformément d'ailleurs à la loi, procédera, au plus tard le 31 décembre 2008, à une évaluation des effets du contrat nouvelles embauches en termes de créations d'emplois, en comparaison avec d'autres contrats.

Au demeurant, le Gouvernement a d'ores et déjà mis en place, avec l'INSEE, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, et l'agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'ACOSS, une procédure de mesure. La représentation nationale sera naturellement tenue informée de ses résultats, qui seront disponibles à partir de la fin du premier semestre.

Nous saisirons alors le Conseil d'orientation pour l'emploi, où siègent des représentants de l'ensemble des partenaires sociaux et des personnalités qualifiées. Cela permettra d'éviter que certains économistes, qui sont parfois en mal de commandes officielles, de faire état de chiffres très approximatifs, relevant au mieux des extrapolations de laboratoire.

C'est donc à partir de faits concrets et de la réalité contractuelle que le Gouvernement mesurera les effets du contrat nouvelles embauches. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote.

M. Claude Domeizel. Monsieur le ministre, ne soyez pas aussi affirmatif, montrez-vous plus prudent. En effet, il faut parfois revenir en arrière : vous venez d'en faire l'expérience !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous nous avez montré la voie avec l'enseignement libre !

M. Claude Domeizel. Relisez les débats que nous avons eus il y a quelques semaines et vous vous apercevrez que vous avez très souvent tenu des propos qui se voulaient définitifs. Or, aujourd'hui, vous êtes contraint d'avaler votre chapeau !

M. Dominique Braye. Donneur de leçons !

M. Claude Domeizel. Par ailleurs, depuis quelques jours, hier en commission et aujourd'hui encore, on nous dit que 400 000 contrats nouvelles embauches ont été signés.

M. Josselin de Rohan. 80 000 emplois nets !

M. Claude Domeizel. Tu parles ! Il ne s'agit que d'un effet d'aubaine. Cela signifie-t-il que si le CNE n'avait pas existé, il n'y aurait pas eu d'embauches ?

M. Dominique Braye. 80 000 emplois nets !

M. Claude Domeizel. Vous vous moquez de nous ! (Vives exclamations sur les travées de l'UMP.)

Je le répète : soyez prudent, très prudent, dans vos affirmations !

Je vous invite donc de nouveau, mes chers collègues, à voter l'amendement que j'ai présenté.

M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan, pour explication de vote.

M. Josselin de Rohan. Je tiens d'abord à vous livrer un témoignage. Nous avons, Alain Gournac ici présent, mes collègues et moi, entendu les syndicats pendant plusieurs heures la semaine dernière. Ils nous ont dit, certes, qu'ils n'étaient pas favorables au CNE,...

M. Robert Bret. C'est un scoop !

M. Josselin de Rohan. ... mais que, en revanche, ils tenaient compte du nombre de CNE qui ont été signés et du nombre d'emplois qui ont été créés grâce à lui.

M. Alain Gournac, rapporteur. C'est exact !

M. Josselin de Rohan. Ils nous ont dit qu'ils étaient très sensibles au fait qu'un certain nombre de travailleurs vivaient sous ce régime juridique et qu'il faudrait en tenir compte au moment d'étudier l'avenir du CNE.

M. Alain Gournac, rapporteur. Absolument !

M. Josselin de Rohan. Monsieur Domeizel, ce n'est pas un organisme gouvernemental qui a établi le nombre de 80 000 emplois nets, c'est l'INSEE. Or cet institut n'est pas, a priori, une officine favorable à toutes les initiatives du Gouvernement ! C'est un institut de statistiques !

M. Robert Bret. Vous instrumentalisez l'INSEE !

M. Josselin de Rohan. Enfin, monsieur Domeizel, permettez-moi de souligner l'incohérence de votre démarche. Vous dites en effet que les partenaires sociaux, une fois, je le suppose, qu'ils se seront réunis, devront fixer « les conditions de requalification et de sécurisation des contrats nouvelles embauches qui ont été signés ». Cela signifie donc qu'il y aura un dialogue. Or, si nous votons votre amendement, on supprimera tout et il n'y aura donc pas matière à dialogue !

Je voterai évidemment contre cet amendement totalement incohérent ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Robert Bret. Est-ce vous, le modèle de cohérence, monsieur de Rohan ? On fait mieux !

M. le président. La parole est à M. André Lardeux, pour explication de vote.

M. André Lardeux. J'ai dit hier soir en commission que je ne prendrais pas part au vote sur l'article unique de cette proposition de loi. Pour autant, je ne suis pas sans opinion sur un certain nombre d'amendements, que je qualifierai, pour reprendre le mot de M. Domeizel, de « consternants ».

M. Claude Domeizel. Moins que vous !

M. André Lardeux. Les nouveaux réactionnaires ne sont plus sur les travées où je siège. Ils ont changé de côté : ils sont à gauche dans cet hémicycle.

Il faudrait tout de même prendre conscience de la situation dans laquelle se trouve notre pays. La rue, que vous avez suivie et que vous avez d'ailleurs eu du mal à rattraper, a choisi, une fois de plus, le chômage. (M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.)

Mme Marie-France Beaufils. Vous n'avez pas entendu la même chose que nous !

M. André Lardeux. Le choix qui s'impose aujourd'hui en France, au point de devenir presque un trait culturel, c'est celui du chômage ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) La rue...

Mme Raymonde Le Texier. Vous allez bientôt parler du trottoir !

M. André Lardeux. ... a choisi pour remède ce qui est la cause des maux que nous connaissons.

M. Yannick Bodin. Ceux qui sont dans la rue ne sont pas des malades mentaux !

M. Robert Bret. Quel mépris !

M. André Lardeux. Vous pleurez les effets du chômage que subissent un certain nombre de Français, mais vous en chérissez les causes. En vous opposant systématiquement à la réforme des retraites, à la réforme de la sécurité sociale,...

M. Pierre-Yves Collombat. Nous ne nous opposons pas aux bonnes réformes !

M. André Lardeux. ... à la réforme de l'enseignement, à la réforme de l'université, vous creusez un peu plus, chaque fois, le fossé dans lequel tombent de nombreux jeunes, dont vous vous moquez éperdument.

M. Dominique Braye. Très bien ! C'est la vérité !

M. André Lardeux. Je voterai donc résolument contre tous les amendements que vous présentez. Les dispositions que vous proposez sont bien pires, selon vos propres critères, que les décisions que le Gouvernement a eu le courage de prendre depuis un certain temps.

Je ne voterai pas la présente proposition de loi non pas parce que les solutions qui y sont proposées sont mauvaises, mais parce que j'ai beaucoup d'amertume. Certains de nos collègues à l'Assemblée nationale ont dit qu'il s'agissait d'une pantalonnade et d'une mascarade. Je ne pense pas que ce soit le cas. Simplement, la France vit un drame : on lui ment en permanence et elle refuse de voir les réalités.

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous êtes vraiment un doctrinaire !

M. André Lardeux. Ce n'est pas admissible. Ceux qui ont suivi la rue, ceux qui ont contribué à humilier le Parlement...

M. Yannick Bodin. Qui l'a fait, sinon vous ?

Mme Marie-France Beaufils. C'est le Gouvernement qui l'a humilié !

M. André Lardeux. ... et les parlementaires, ceux-là pourraient un jour le regretter vivement !

Par ailleurs, j'attends toujours vos propositions !

M. Dominique Braye. Les Français aussi les attendent !

M. André Lardeux. On comprend qu'il vous soit difficile d'en faire, tant il y a de tendances différentes dans votre groupe. Vous pourriez donc avoir la décence de ne pas présenter ce genre d'amendements, parce qu'ils sont honteux ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Yannick Bodin. Il y a au moins un sénateur votera pour Le Pen l'année prochaine ! (Vives protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ça, ce n'est pas acceptable !

M. Alain Gournac, rapporteur. C'est honteux !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est du fascisme !

M. le président. Silence, s'il vous plaît !

M. André Lardeux. Monsieur le président, j'ai été mis en cause personnellement par M. Bodin, qui n'est pas un homme particulièrement tolérant !

M. le président. La parole est à M. André Lardeux, pour un fait personnel.

 
 
 

M. André Lardeux. Monsieur Bodin, je vous demande de retirer vos propos !

M. Yannick Bodin. Vous avez répété textuellement ce qu'a dit M. Le Pen ce matin à la radio !

M. André Lardeux. Cela, c'est vous qui le dites, mais vous êtes son principal supporter !

M. le président. Monsieur Lardeux, c'est terminé ! (Vives protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Dominique Braye. Le Pen pose les bonnes questions ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Silence !

M. Dominique Braye. Ce sont des conservateurs et des fachos !

M. le président. En quoi vos braillements font-ils avancer le débat ?

N'est-il donc pas possible ici de délibérer dans la sérénité ? Ne pouvons-nous pas nous montrer suffisamment sages et nous écouter les uns les autres ? Allons !

M. Claude Domeizel. Dites-le à M. Braye !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il y a eu des insultes !

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.

Articles additionnels avant l'article 1er (début)
Dossier législatif : proposition de loi sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise
Fait personnel

M. Roland Muzeau. Je n'avais pas prévu de prendre la parole pour explication de vote, la défense de notre amendement par mon ami Guy Fischer ayant été parfaitement claire, mais les interventions de nos collègues de la majorité m'incitent à dire quelques mots.

Tout d'abord, je tiens à souligner que, si certains parlementaires se sentent humiliés, ce n'est pas mon cas. En effet, j'ai suffisamment l'habitude d'être « battu » dans cette enceinte pour considérer que ce n'est pas un problème : c'est le jeu de la démocratie.

Je suis aussi habitué à ne pas toujours être suivi par ceux qui défilent dans la rue ou par les porteurs de pancartes.

M. Rémy Pointereau. Là, ce n'est pas la démocratie, c'est l'anarchie !

M. Roland Muzeau. Ce qui rend le débat démocratique possible vaut dans tous les sens et pour tous les camps.

Le débat porte autant sur le CNE que sur le CPE : c'est la même chose ; seule la taille des entreprises diffère. ? Tous les arguments qui sont mis en avant pour justifier le retrait - opéré de manière honteuse, certes, mais réelle - du CPE valent donc également pour le CNE. C'est incontestable et incontesté.

M. le ministre Larcher a quand même pris de gros risques. Il ne faut jamais dire « jamais », monsieur le ministre, car, à l'issue des discussions qui, je le souhaite, pourront s'ouvrir, des corrections profondes devront être apportées sur les modalités de mise en oeuvre et de fonctionnement du CNE.

J'ajoute que l'humiliation ressentie vient probablement du fait que l'habitude a été prise de ne pas écouter les Français et de légiférer contre un avis majoritairement exprimé. Le 29 mai 2005 en a été un exemple, difficile à vivre pour certains, je le comprends bien, mais suffisamment clair. Une majorité très nette s'est dégagée contre un modèle de société, mais cela est passé par pertes et profits.

Depuis, ont eu lieu, comme je l'ai dit dans mon intervention précédente, les drames liés aux événements d'octobre et de novembre dernier, dont tout le monde se fout,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais non !

M. Roland Muzeau. ... en tout cas au sein de la majorité. Puis est intervenue l'adoption de ce scandaleux CPE, et de quelques autres dispositions dont nous proposerons la suppression tout à l'heure. De la même manière, il nous a été dit que c'était très bien, que nous n'y comprenions rien, qu'il y avait les archaïques et les modernes.

M. Dominique Braye. Cela, c'est vrai !

M. Roland Muzeau. Toujours est-il que la rue et les porteurs de pancartes ont gagné la bataille. Vous êtes battus et vous devriez avoir, sinon la décence, au moins l'honnêteté, en adoptant une position plus mesurée, d'accepter cette défaite, chose qui n'est quand même pas nouvelle pour un parlement.

Enfin, je ne peux pas tolérer les propos qui ont été tenus par notre collègue tout à l'heure et qui reprennent exactement ceux que M. Mariton a tenus à l'Assemblée nationale et qui ont été reproduits dans Le Monde d'hier, propos selon lesquels les Français avaient fait le choix du chômage et de l'assistance. C'est une honte de dire une chose pareille,...

M. Rémy Pointereau. C'est la vérité !

M. Dominique Braye. Les chiffres sont là !

M. Roland Muzeau. ... car le chômage et l'assistance, ils en ont soupé !

Ils sont sept millions à subir le chômage et le sous-emploi, la précarité et le temps partiel imposé, et ils en ont par-dessus la tête ! On ne peut pas vivre dans une telle situation, on survit !

Il n'est donc franchement pas de bon ton de lancer des propos aussi haineux à l'égard de nos concitoyens, et je les réprouve de la manière la plus ferme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je n'avais pas non plus prévu d'intervenir. Si je le fais, c'est parce que vous mettez le feu aux poudres.

J'invite ceux de nos collègues qui ont le gosier trop délicat à choisir cet instant pour quitter l'hémicycle s'ils ne supportent pas l'exercice pour lequel ils ont été convoqués : vous êtes politiquement défaits, vous êtes là pour manger votre chapeau et le faire, si possible, avec élégance. (Très bien ! sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - Protestations sur les travées de l'UMP.)

Par conséquent, dispensez-vous de nous insulter en cours de route...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Qui a insulté l'autre ?

M. Alain Gournac, rapporteur. C'est Bodin !

M. Jean-Luc Mélenchon. ... et essayons, au contraire, de faire comprendre aux Français ce qui leur arrive. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Robert Bret. Le chapeau a du mal à passer !

M. Jean-Luc Mélenchon. La démocratie,...

M. Laurent Béteille. Vous, vous pratiquez la démocratie du général Boulanger !

M. Jean-Luc Mélenchon. ... c'est ne pas accepter que, dans un hémicycle républicain, on parle de la rue sur le ton dont il a été fait usage aujourd'hui.

M. Dominique Braye. C'est Bodin l'insulteur !

M. Jacques Peyrat. On ne peut se prévaloir de sa propre turpitude !

M. Yannick Bodin. Ce n'est pas moi qui ai parlé, c'est M. Lardeux !

M. Jean-Luc Mélenchon. On parle de la rue, on parle de ceux qui manifestent comme de foules ignorantes, alors qu'il s'agit de nos compatriotes, de citoyens qui pensent agir dans le sens de l'intérêt général, comme c'est le devoir d'un bon citoyen.

M. Jean-Luc Mélenchon. Si, en démocratie, il y a primauté de la loi et de la représentation du peuple qu'incarne le Parlement - ce point n'est pas discuté entre nous -, il arrive aussi que les procédures soient violées,...

M. Dominique Leclerc. Caricature !

M. Jean-Luc Mélenchon. ... au point que la Constitution elle-même reconnaît le droit de manifestation, de pétition, et crée même - nous n'en sommes pas là aujourd'hui, fort heureusement ! - un devoir d'insurrection en cas de tyrannie. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Mais lisez les textes ! Cela fait partie du bloc constitutionnel, et ce n'est pas parce que vous êtes réactionnaires jusqu'à la moelle de vos os qu'il faut oublier les acquis de la grande Révolution de 1789 !

M. Dominique Braye. Les réactionnaires, c'est vous !

M. Jean-Luc Mélenchon. Par conséquent, nos concitoyens ont, à l'aide du seul moyen qui leur restait, corrigé les imperfections d'une procédure qui avait été violée de bout en bout au Parlement, que ce soit par le recours à l'article 49-3 de la Constitution, devant l'Assemblée nationale, ou par d'autres méthodes, ici même.

Oui, les Français sont dans une situation singulière, oui, le Parlement est placé dans une situation singulière, mais ce n'est pas de notre fait. C'est du fait de ceux qui ont pris l'initiative de mettre en oeuvre, depuis le début, des procédures aussi invraisemblables, qui se sont prolongées parce que certains prétendent promulguer des lois qui ne seront pas appliquées, avant d'imaginer la comédie que nous vivons dans les deux assemblées et qui consiste à faire semblant d'adopter une nouvelle loi quand il suffirait d'un mot pour tout régler : « nous abrogeons parce que le rapport de forces ne nous est pas favorable ». Voilà ce que vous devriez dire ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Si les Français sont dans la singularité, c'est qu'ils sont une avant-garde. Tandis que les Français manifestaient contre le CPE, on voyait, à Londres, la plus grande manifestation de fonctionnaires depuis 1926 pour défendre le droit des retraites. On voit, en Allemagne, le syndicat IG Metal se préparer à une grande grève en vue d'obtenir des augmentations de salaire qui permettront une nouvelle répartition de la richesse. En Italie, M. Berlusconi vient d'être défait, lui qui avait inventé cinquante-trois contrats de travail différents. Dans quel but ? Le même que le vôtre : mettre les gens en état d'insécurité permanente de manière qu'ils obéissent sans discuter ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Ici, c'est la France, le pays des grandes révolutions, des grandes rébellions et des grandes libertés ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Mes chers collègues, comme l'a écrit La Fontaine dans l'une de ses fables : « en toute chose, il faut considérer la fin ».

Il a tout à l'heure été question de l'Allemagne, mais il faudrait aussi parler de la prolongation de la durée du travail, du report de l'âge de la retraite.

M. Dominique Braye. Et M. Mélenchon n'a pas parlé non plus du développement de la Chine et de l'Inde !

M. le président. On peut légitimement, aujourd'hui, s'interroger sur l'attitude qui a été la nôtre de 1933 à 1939. (Oh ! sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Je vous demande d'y réfléchir !

M. Dominique Braye. Très juste !

M. le président. J'en ai supporté les conséquences !

La parole est à M. le rapporteur.

Articles additionnels avant l'article 1er (suite)
Dossier législatif : proposition de loi sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise
Articles additionnels avant l'article 1er (début)

M. Alain Gournac., rapporteur. J'ai été scandalisé par le propos tenu par Yannick Bodin à l'encontre de notre collègue André Lardeux, que j'assure de mon soutien et de mon amitié, car je respecte ce qu'il a dit tout à l'heure.

Ce que M. Bodin a fait n'est pas digne du Sénat, et je ne l'accepte pas ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Yannick Bodin. Monsieur le président, étant personnellement mis en cause, je vous demande de me permettre d'intervenir.

M. Dominique Braye. Non, cela suffit !

M. Charles Pasqua. Au vote ! Au vote !

M. le président. S'agit-il d'une explication de vote ?

M. Yannick Bodin. J'ai été interpellé, je souhaite donc répondre. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Je passe au vote ! C'est fini !

M. Yannick Bodin. Je vais donc expliquer mon vote une nouvelle fois.

M. Laurent Béteille. Il n'a pas le droit de faire deux explications de vote !

M. Yannick Bodin. Je considère que c'est insulter une partie de notre assemblée, notamment ceux qui siègent sur les travées de la gauche,...

M. Dominique Braye. C'est lui qui insulte et il nous donne des leçons !

M. Yannick Bodin. ...de dire de nos propositions qu'elles sont une « honte » pour la France, puisque c'est le mot que vous avez employé, monsieur Lardeux, et d'insinuer que notre seul souci est de faire en sorte qu'il y ait de plus en plus de chômeurs dans notre pays.

M. Dominique Braye. C'est vrai ! Les chiffres le prouvent !

M. Yannick Bodin. J'ai simplement dit - et vous pourrez le vérifier - que les propos que vous avez tenus tout à l'heure reprenaient pratiquement mot pour mot les paroles que j'avais entendues dans la bouche de M. Le Pen sur France Inter, ce matin, dans ma voiture. Je n'ai rien dit d'autre !

Fait personnel
Dossier législatif : proposition de loi sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise
Articles additionnels avant l'article 1er (interruption de la discussion)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 2, présenté par MM. Bel et  Godefroy, Mmes Le Texier,  Printz,  Demontès,  Schillinger et  Voynet, MM. Domeizel,  Desessard,  Madec,  Bodin,  Assouline,  Mélenchon et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Les articles 2, 3 et 4 de la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances sont abrogés.

La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. Si l'apprentissage junior est considéré par le Gouvernement comme une réponse à ce qu'il est convenu d'appeler la révolte des banlieues en novembre dernier, c'est une réponse manifestement erronée. Pas plus que le CPE ne peut résoudre le problème réel du chômage des jeunes, l'apprentissage junior ne peut résoudre celui de la formation et de l'insertion des jeunes en difficulté ou de ceux qui ne sont pas à l'aise au collège.

Il y a une contradiction entre les intentions que vous affichez et cette mesure. Il ne s'agit surtout pas, ici et aujourd'hui, de faire un procès d'intention. Certains croient - de bonne foi, nous en sommes persuadés - que sortir des jeunes de treize ans et neuf mois de l'école est une solution, au motif que ces jeunes détestent l'école, qu'ils seront mieux dans le monde du travail, voire qu'il leur faut apprendre, pour certains, les réalités du travail.

C'est une solution de facilité, et même parfaitement démagogique.

Quels que soient les jeunes dont on parle, l'apprentissage prématuré n'est pas adapté. Les employeurs, notamment dans les entreprises artisanales, qui sont les premières concernées, n'ont pas vocation à se transformer en éducateurs pour jeunes en difficulté. Cela relève de la confusion et de la méconnaissance des réalités à la fois en ce qui concerne les jeunes et les entreprises.

Même si l'on considère que ces jeunes ont besoin d'instaurer de nouveaux contacts avec les adultes, cela ne peut être le rôle des chefs d'entreprise, qui vous l'ont d'ailleurs dit très clairement et publiquement. On est là, comme pour le CPE, dans la simplification, donc dans l'inadaptation.

Le Gouvernement ne peut légitimement espérer se décharger sur le monde économique d'un problème qu'il ne veut pas résoudre en faisant pour les quartiers en difficulté et les classes les plus pauvres qui les habitent ce qui doit être fait. L'emploi, la santé, le logement social - dont le Sénat discute par ailleurs en ce moment -, les discriminations sont les questions de fond qui appellent des solutions vigoureuses. Nous les attendons toujours.

En revanche, ce que les employeurs les plus concernés, ce que les enseignants de CFA et de sections professionnelles vous disent, c'est que vous dévalorisez l'apprentissage en le présentant de cette manière. Et cela est très grave. Vous présentez une voie qui devrait être choisie en connaissance de cause comme une voie qui sera nécessairement subie. Vous multipliez l'effet de relégation.

En réalité, il n'y a pour vous, encore aujourd'hui, et malgré toutes vos déclarations sur la revalorisation des métiers techniques et manuels, que la voie royale des filières générales, débouchant de préférence sur une grande école, une voie toute tracée pour les jeunes des classes les plus favorisées. Pour les autres, les solutions les plus simplistes et les plus démagogiques semblent suffire.

Plus largement, l'apprentissage junior est un contresens en matière éducative et en matière d'emploi.

L'apprentissage junior n'est que le moyen de revenir sur l'obligation scolaire à seize ans, instituée par le général de Gaulle. Ce n'est pas une solution viable dans un contexte mondial de concurrence où l'Europe doit, au contraire, développer la formation et la recherche. On sait parfaitement, ne vous en déplaise, qu'un jeune qui a quitté le collège n'y revient en général jamais.

Cela sera d'autant plus vrai que vous avez inséré dans votre texte la possibilité d'une gratification du jeune, avant même qu'il signe un premier contrat de travail à l'âge de quinze ans. Pour ces jeunes, et pour les familles les plus modestes, qui vivent dans la nécessité permanente, c'est un piège redoutable.

Finalement, le jeune n'aura donc qu'une formation limitée s'agissant des savoirs fondamentaux. Comment conciliez-vous, dans ces conditions, cette formation de base, forcément lacunaire, avec la nécessité de la mobilité professionnelle ? Comment le jeune pourra-t-il participer au développement de l'économie autrement qu'en faisant partie de la main-d'oeuvre peu formée, celle-là même qui risque de se trouver dans les rangs des travailleurs pauvres ?

M. le président. Il faut conclure !

M. Dominique Braye. Oui, il faut conclure !

Mme Gisèle Printz. Vous donnerez ainsi raison aux sociologues qui mettent en évidence le déterminisme social : celui ou celle qui est né dans un milieu modeste ou pauvre sera destiné à connaître toute sa vie le même sort.

M. le président. Je vous remercie, madame Printz !

Mme Gisèle Printz. Je n'en ai pas terminé, monsieur le président.

Face au monde de demain qui attend ces jeunes, l'apprentissage junior est une mesure profondément réactionnaire, passéiste et expéditive, sur laquelle nous ne manquerons pas de revenir le moment venu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Gournac, rapporteur. C'est long !

M. le président. L'amendement n° 9, présenté par MM. Muzeau,  Fischer et  Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Les articles 1er, 2 et 3 de la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances sont abrogés.

La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Nous l'avons dit, et cela passionne manifestement tout le monde (Sourires), personne ici n'est dupe des tours de passe-passe de la majorité pour épargner au Premier ministre d'avoir à assumer pleinement ses erreurs politiques et au président de l'UMP de se souvenir qu'il était le coauteur de la disposition tendant à instituer le contrat première embauche.

Mais le retrait du CPE et son remplacement par des « mesurettes » sans réelle portée ne doivent surtout pas faire oublier la bataille à mener contre la loi pour l'égalité des chances dans son ensemble.

Au-delà du CPE, ce texte contient en effet des dispositions particulièrement graves pour les jeunes générations. C'est pourquoi je présente l'amendement n° 9, que je souhaiterais d'ailleurs rectifier selon les conseils du président de la commission, pour ne viser que les articles 2, 3 et 4 de la loi pour l'égalité des chances, et non son article 1er.

Cet amendement tend à insérer, avant l'article 1er de cette proposition de loi fantôme, un paragraphe supprimant l'apprentissage junior.

En effet, la possibilité d'entrer en apprentissage dès l'âge de quatorze ans marquerait un recul de société historique et inacceptable, car il s'agit avant tout d'expulser du système scolaire, avant qu'ils n'aient atteint l'âge de seize ans, les jeunes les plus en difficulté. Dans le même temps, cette disposition constitue une véritable remise en cause de l'obligation scolaire jusqu'à seize ans.

De plus, loin de représenter une voie de diversification, cette mesure signe la fin du collège pour tous, en instaurant une voie d'exclusion sans apporter aucune réponse aux besoins des jeunes.

À ce propos, j'ai moi aussi écouté la radio dans ma voiture ce matin, et j'ai entendu évoquer une étude montrant combien l'abandon de la notion de parcours scolaire commun jusqu'à seize ans pose problème. Vous aurez l'occasion d'en lire davantage dans la presse sur ce sujet.

C'est là une mesure supplémentaire de renonciation à tout effort visant à garantir la réussite scolaire pour tous. Elle constitue une nouvelle stigmatisation pour une partie de la jeunesse. Cette nouvelle filière équivaut à une préorientation deux ans avant le terme de la scolarité obligatoire, et ne peut représenter une réponse aux difficultés scolaires des collégiens, l'objectif fondamental du système éducatif national devant rester de leur assurer la maîtrise des savoirs et des connaissances de base.

Les élèves concernés seront donc « éjectés » du système scolaire, davantage stigmatisés et étiquetés comme des jeunes « à problèmes ». Les conséquences risquent d'être dramatiques pour nombre d'entre eux, tant sur le plan psychologique que sur le plan social.

En outre, et c'est là un aspect particulièrement inadmissible de ce texte, en prétendant apporter une solution aux problèmes de ces élèves, vous les livrez au marché du travail, qui pis est au travail de nuit, dans des conditions bien plus dégradées que celles que connaît le reste du salariat et sans aucune garantie. C'est ce que nous avions indiqué lors de l'examen du projet de loi pour l'égalité des chances. Vous n'aviez pas accepté alors notre argumentation. Pourtant, chacun sait qu'il faut au contraire à ces jeunes plus et surtout mieux en matière d'école. Ce n'est donc pas en leur donnant moins d'école qu'on leur permettra de résoudre leurs difficultés.

Par ailleurs, en associant de nouveau difficultés et orientation professionnelle précoce, en répondant à l'échec scolaire par l'apprentissage, vous contribuez, que vous le vouliez ou non, à dévaloriser encore un peu plus la voie professionnelle de formation, et surtout vous vous exonérez de toute réflexion sur les causes réelles de l'incapacité du système éducatif à prendre en charge les difficultés scolaires des jeunes.

Encore une fois, alors que nous avons débattu de ce thème pendant des heures au mois de mars dernier, je vous demande de retirer cette mesure de régression sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 9 rectifié, présenté par MM. Muzeau,  Fischer et  Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, et ainsi libellé :

Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Les articles 2, 3 et 4 de la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances sont abrogés.

Je constate que cet amendement est identique à l'amendement n° 2.

Quel est l'avis de la commission sur les deux amendements identiques ?

M. Alain Gournac, rapporteur. Je voudrais recommander à nos collègues de l'opposition la lecture d'un récent numéro de ce périodique. (M. le rapporteur brandit une publication). Il y est écrit que « les jeunes ne veulent pas être récupérés par les politiques ». « Nous ne sommes pas au service d'une opposition », affirment-ils. Il serait intéressant, me semble-t-il, que nos collègues jettent un coup d'oeil sur cet article. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. C'est Gala ?

M. Robert Bret. Est-ce une publication du groupe Dassault ?

M. Alain Gournac, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur les deux amendements.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Nous avons déjà eu ce débat sur l'apprentissage junior. Aujourd'hui, je voudrais simplement informer la représentation nationale qu'un guide de la formation de l'apprenti junior, rédigé par des experts du ministère chargé du travail et du ministère de l'éducation nationale et à l'élaboration duquel ont été associés des représentants d'un certain nombre de branches professionnelles, sera diffusé dans quelques jours. Il précisera les conditions dans lesquelles se déroulera la première année de découverte des métiers.

M. Roger Romani. Il faut le distribuer dans les mairies !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Nous serons naturellement attentifs, monsieur Romani, à ce que la diffusion de ce document ne reste pas confinée à des lieux que ne fréquentent pas, notamment, celles et ceux qui connaissent la réalité de l'errance scolaire.

Parallèlement, il convient d'ouvrir des passerelles. Certains ne croient pas aux passerelles, or un certain nombre de pays ont su en mettre en place entre l'enseignement professionnel et l'enseignement général classique.

M. Dominique Braye. Ils ont réussi !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. À nous de relever ce défi. La France est l'un des pays de l'OCDE qui consacrent le plus de moyens à l'éducation, notamment aux collèges. Montrons que ces moyens sont au service des jeunes, en particulier qu'ils peuvent servir au décloisonnement de l'éducation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Philippe Nogrix applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.

M. Dominique Braye. Qu'est-ce qu'il a fait, lui, pour l'apprentissage ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Je fais miens les arguments qui ont été présentés par Mme Printz et M. Muzeau. Par conséquent, je n'y reviens pas.

À l'occasion de cette explication de vote, je voudrais vous inviter de nouveau, mes chers collègues, à réfléchir sur les faits concrets, et non pas sur les développements idéologiques qui peuvent entourer ce type de mesure.

Tout à l'heure, M. Fourcade a rappelé une statistique issue du CEREQ, qui montre le lien existant entre l'emploi et la qualification. Il me semble que ce point n'est plus discuté par personne : qui a une qualification professionnelle trouve un emploi. Or cette loi d'airain va s'appliquer avec une force encore plus grande dans les décennies à venir.

En effet, que la politique économique menée soit bonne ou mauvaise, l'effectif des personnes en âge de travailler va de toute façon décroître, du fait du vieillissement de la population. C'est une donnée structurante ! Un fossé se creuse entre le nombre des personnes qui vont sortir du système scolaire et le nombre des travailleurs dont notre pays a besoin dans les métiers hautement qualifiés.

J'insiste sur l'importance de la qualification. On a souligné tout à l'heure que notre pays consacre beaucoup d'argent à l'éducation : c'est heureux, car c'est tout ce que nous avons ! C'est grâce au niveau intellectuel et de formation de la main-d'oeuvre française que nous sommes la cinquième ou la sixième puissance économique mondiale. En effet, nous n'avons pas d'autres atouts : nous ne sommes pas nombreux et nous ne disposons pas de ressources naturelles qui nous assurent un rang éminent. C'est donc à notre niveau de formation que nous devons notre place.

Le seul aspect humain suffirait à trancher ce débat. Lequel d'entre nous ne se souvient pas de ce que ses parents lui ont dit sur ce qu'étaient les conditions de vie autrefois, lorsqu'il fallait commencer à travailler dès l'âge de quatorze ans, et sur la façon dont les générations précédentes se sont saignées à blanc pour que nous n'ayons pas à connaître cette situation ?

Cependant, je mettrai de côté cet aspect des choses pour souligner simplement que, sur une classe d'âge touchée par la décroissance démographique, vous avez prévu, chers collègues de la majorité, d'opérer une ponction supplémentaire de 150 000 apprentis. Comme vous ne les trouvez pas, vous abaissez l'âge de l'entrée en apprentissage à quatorze ans. Or 25 % des contrats d'apprentissage sont rompus ! Que se passe-t-il alors pour les jeunes concernés ? Dans l'éducation nationale, où l'on a honte de cette situation, on les regroupe sous le sigle PDV, pour « perdus de vue »... Il fallait que ce soit dit une bonne fois ! Nous sommes en train de préparer les nouveaux barbares !

Quand bien même tous les jeunes débutant un apprentissage iraient jusqu'au terme de leur formation, quelle branche professionnelle a demandé que l'âge de l'entrée en apprentissage soit abaissé à quatorze ans ? J'en fais le pari, aucune n'a formulé une telle demande. (M. Jean-Pierre Godefroy approuve.) Dans aucun métier à haute qualification, on n'est en mesure de former un jeune de quatorze ans !

M. Guy Fischer. Il a raison !

M. Dominique Braye. Il ne connaît pas le monde du travail !

M. Jean-Luc Mélenchon. C'est une folie de décider la mise en oeuvre d'un tel dispositif ! Ceux que vous aurez placés à quatorze ans en apprentissage ne pourront accéder qu'à un seul niveau : le niveau V, celui du CAP, qui est naturellement un bon niveau de qualification, mais qui n'est pas celui dont nous avons besoin pour les vingt ou trente prochaines années. La masse de la population ouvrière de ce pays doit être au niveau du bac professionnel. (Mme Gisèle Printz applaudit.) C'est de cela qu'a besoin une économie avancée ! Quand vous aurez envoyé un môme de quatorze ans en apprentissage, il ne retournera pas ensuite dans le système éducatif préparer un bac professionnel, tout le monde le sait ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote.

M. Claude Domeizel. L'apprentissage junior est un sujet très important, car il concerne des jeunes, des adolescents, et même, comme l'a dit Mme Printz, des enfants d'un peu plus de treize ans.

Je voudrais rappeler qu'il s'agit d'un âge difficile, où les jeunes sont en pleine mutation physique et psychologique. De plus, les élèves concernés se trouvent en situation d'échec et ont besoin, plus que d'autres, d'écoute et d'attention. Ils ont besoin d'être entourés de formateurs et d'éducateurs aguerris.

M. Claude Domeizel. Ils ont besoin de pédagogie et de patience. Lorsqu'ils seront en apprentissage, il faut le savoir, il y aura quelques risques de conflits avec l'employeur, car il s'agit de jeunes parfois révoltés et un peu impulsifs.

Je parlerai maintenant brièvement du retour au collège.

Tous ces jeunes que nous évoquons ont envie d'entrer dans le monde des « grands ». Une fois qu'ils y seront, croyez-vous qu'ils accepteront de retourner au collège ?

Mme Gisèle Printz. Non, ils ne voudront pas !

M. Claude Domeizel. Croyez-vous qu'ils feront marche arrière ? Je ne le pense pas. Ils se trouveront donc dans une situation de double échec : échec scolaire et échec en apprentissage. Le retour au collège n'est qu'une possibilité théorique.

Cela étant, il est vrai, monsieur le ministre, mes chers collègues, que certains élèves s'ennuient au collège et finissent par y être des perturbateurs.

M. Dominique Braye. Eh oui ! Absolument !

M. Claude Domeizel. Or que fait l'éducation nationale devant cette situation ? Elle s'en décharge ! La solution n'est pourtant pas là. C'est un mauvais choix, car il remet en cause le principe de la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans. Je tiens à dire ici que c'est le service public, et non pas le monde du travail, qui doit apporter des réponses aux jeunes en situation difficile.

L'orientation prématurée d'adolescents ne maîtrisant pas les savoirs fondamentaux les amènera à rencontrer des difficultés dans leur formation tout au long de leur vie.

Pour conclure, je voudrais citer un sociologue, Gilles Moreau.

M. Claude Domeizel. Pourquoi « oh là ! » ?

M. Robert Bret. Cela vaut bien la lecture de Paris Match ! Chacun ses références !

M. Claude Domeizel. Je cite Gilles Moreau : « Ne jurer que par l'apprentissage, comme le fait actuellement le Gouvernement, n'est pas sérieux. L'État dispose d'autres leviers, comme le lycée professionnel, qu'il a tendance à laisser à l'abandon alors qu'il présente des vertus fortes pour redonner le sens de la formation à des jeunes qui ne le trouvent plus en collège. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Alain Gournac, rapporteur. On vote !

M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, pour explication de vote.

M. Dominique Braye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, regrettant de ne pouvoir me référer à un philosophe ou à un sociologue, je me contenterai de citer les chargés de missions locales qui peinent à recruter dans le Mantois, pour le compte de Renault. Alors que cette entreprise, compte tenu du succès de la Clio 3, est en mesure d'offrir 200 emplois à des jeunes, actuellement seuls 10 % des postes sont pourvus.

M. Jean-Luc Mélenchon. Et alors ?...

M. Dominique Braye. Voici ce que déclarent les personnes chargées du recrutement : « Travailler sur les chaînes de montage nécessite, malgré ce que l'on croit, un minimum de connaissances et de respect de certaines règles. Il faut savoir, certes, lire et écrire, mais, surtout, avoir un comportement minimum : le fonctionnement des chaînes réclame de la rigueur tant au niveau de la discipline que des horaires. En plus, le travail se déroule en équipe et les employés doivent respecter leurs collègues...

Mme Raymonde Le Texier. Vous ne pourriez pas travailler sur ces chaînes, monsieur Braye.

M. Dominique Braye. ... et respecter la hiérarchie. C'est l'ensemble de ces éléments qui explique que nous ne trouvons pas les candidats pour occuper les postes à ces chaînes. » (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 et 9 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

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