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Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif au secteur de l'énergie
Discussion générale (suite)

Motion référendaire sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie

Discussion des conclusions négatives du rapport d'une commission

 
Dossier législatif : motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au secteur de l'énergie
Discussion des conclusions négatives du rapport de la commission des affaires économiques (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la commission des affaires économiques sur la motion (n° 8, 2006-2007) de M. Jean-Pierre Bel, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Marie-Christine Blandin et plusieurs de nos collègues tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au secteur de l'énergie.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours de sa réunion de ce matin, la commission des affaires économiques a rejeté, comme je le lui avais proposé, la motion n° 8, présentée par plusieurs membres du groupe socialiste et apparentés et du groupe CRC, tendant à soumettre au référendum le projet de loi relatif au secteur de l'énergie.

En effet, la majorité de la commission a estimé que le Parlement en général et le Sénat en particulier bénéficiaient de toute la légitimité et l'expertise nécessaires pour débattre de ce texte, et notamment de la privatisation de Gaz de France.

Ainsi que je l'ai souligné hier, les assemblées parlementaires ont, au cours de la présente législature, discuté à quatre reprises de projets de loi ayant trait à l'organisation du secteur énergétique.

Certes, l'objectif principal visé par les défenseurs de cette motion est de soumettre à l'appréciation populaire la question de la privatisation.

Toutefois, mes chers collègues - j'attire votre attention sur ce point -, la motion, si elle était adoptée, aurait pour effet de renvoyer au référendum l'ensemble des dispositions du projet de loi. Or celles-ci sont pour la plupart extrêmement techniques et complexes (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame), et nécessitent, de ce fait, une analyse approfondie.

M. Robert Bret. Vous prenez les Français pour des idiots !

M. Roland Courteau. Les Français peuvent comprendre les enjeux du projet de loi !

M. Robert Bret. Ils ont été capables de comprendre le traité constitutionnel sur l'Union européenne !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Comme M. le ministre vient de nous le rappeler, ces dispositions impliquent aussi une décision rapide, compte tenu de l'échéance de l'ouverture du marché énergétique au 1er juillet 2007.

La démarche de la commission des affaires économiques s'inscrit pleinement dans ce cadre, puisque celle-ci a entendu ces derniers mois un grand nombre de personnalités afin d'éclairer ses travaux. Je crois que nous pouvons en remercier M. Emorine.

En tant que rapporteur de ce projet de loi, ma démarche a été similaire : voilà bientôt plus de trois mois que je travaille sur ce texte, pour lequel j'ai entendu plus de 90 personnes issues des différents secteurs concernés.

Mes chers collègues, j'insiste sur les aspects techniques de ce projet de loi. Ils sont multiples, car se trouvent abordées successivement les problématiques relatives à l'ouverture des marchés énergétiques et au caractère éligible des consommateurs, la pérennisation et la sécurité juridique du système tarifaire, l'obligation de séparer en droit les gestionnaires de réseaux de distribution, ou encore, depuis que le texte a été discuté à l'Assemblée nationale, la réforme de la Commission de régulation de l'énergie et la création d'un tarif de retour.

Autant d'aspects qui, vous en conviendrez avec moi, mes chers collègues, ne se prêtent pas aisément à la procédure référendaire ! Celle-ci, par définition, simplifie à l'extrême toute discussion, puisqu'il est uniquement demandé à nos concitoyens de répondre à une question par oui ou par non.

Mes chers collègues de l'opposition, je m'interroge sincèrement sur votre démarche.

Mme Maryse Bergé-Lavigne. Elle est pourtant simple !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Pourquoi n'avez-vous jamais interrogé les Français par voie référendaire sur des sujets importants, sur lesquels ils avaient un avis,...

M. Josselin de Rohan. Les trente-cinq heures !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ...et pour lesquels ils auraient aimé qu'on les consulte ! Je pense, par exemple, aux trente-cinq heures. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Bricq. Les Français ont été consultés dans les entreprises ! Et ils ont approuvé à 80 % ! Votre exemple est mal choisi !

M. Henri de Raincourt. Laissez M. le rapporteur poursuivre son raisonnement !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je pense également au PACS ou à la peine de mort. Toutefois, mes chers collègues, vous vous êtes bien gardé d'interroger les Français sur ces questions, et je ne me lancerai pas dans un débat sur les raisons qui vous ont conduits à un tel choix. Or que proposez-vous aujourd'hui ? De demander aux Français leur avis sur un sujet éminemment technique,... (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Bricq. Ce n'est pas un sujet technique mais politique !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ...sur lequel, sincèrement, on ne peut répondre par oui ou par non !

M. Jacques Peyrat. Très bien !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, je demande la parole.

M. le président. Monsieur le rapporteur, acceptez-vous que M.  Dreyfus-Schmidt vous interrompe quelques instants ?

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Non, monsieur le président ! Il aura la parole ensuite.

M. Charles Gautier. En somme, c'est « j'y suis, j'y reste ! »

M. Robert Bret. La parole au peuple !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous aurez le temps de me répondre plus tard ! En tant que rapporteur, depuis le début de ce débat, je respecte la parole de l'opposition et ne l'interromps jamais. À présent, c'est moi qui prends la parole. Que chacun s'exprime à tour de rôle me semble une bonne règle du jeu !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. À l'extrême limite, la privatisation de Gaz de France aurait pu faire l'objet d'une procédure de référendum, puisqu'elle se prête à ce genre de question binaire - et encore ! on peut en discuter compte tenu des nombreux aspects techniques de l'opération. Je pense, notamment, à la minorité de blocage ou à l'action spécifique, qui constituent des modalités de la privatisation dont les paramètres pouvaient varier.

Toutefois, pour toutes les autres dispositions du projet de loi, la procédure référendaire est évidemment impossible.

La preuve en est, mes chers collègues de l'opposition, que vous-mêmes - tout comme nous - nourrissez certaines interrogations à propos de ce texte. Cela vous a conduits à déposer plus de 600 amendements - ce qui d'ailleurs me semble normal dans le cadre du bon fonctionnement démocratique de nos travaux.

M. Roland Courteau. Tout de même ! Vous le reconnaissez !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. En tout cas, je m'explique mal que vous suggériez indirectement de faire adopter par les Français, en l'état et sans modification, le texte qui vous est proposé et qui vous inspire, à juste titre peut-être, certaines réserves.

M. Jean-Luc Mélenchon. Le texte sera peut-être repoussé ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Plus profondément, une telle proposition reviendrait, en quelque sorte, à nier le principe même de la démocratie représentative...

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ...dont le fondement est le mandat que nos concitoyens nous accordent, pour une période donnée, d'examiner des propositions politiques et techniques et d'en débattre.

Or du point de vue de la commission des affaires économiques et de la commission des finances, notre assemblée dispose de toute la légitimité nécessaire pour discuter de ce projet de loi.

Mes chers collègues de l'opposition, je note au passage que le référendum est un instrument sur lequel vous aviez émis certaines réserves dans le passé. (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je me réjouis que ceux qui étaient réservés hier aient envie, aujourd'hui, d'utiliser plus fréquemment le référendum.

M. Jean-Luc Mélenchon. Ce sont les plébiscites que nous avons critiqués, pas les référendums !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Au-delà de ces considérations générales, si je me réfère au texte même de la motion, je puis affirmer, sans trop m'avancer, que nous aurons largement l'occasion de revenir sur toutes les questions que vous évoquez, et pas plus tard que cet après-midi, lors de l'examen des autres motions, si d'aventure nous n'adoptions pas celle-là. (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Mes chers collègues de l'opposition, vous contestez la constitutionnalité du projet de loi. Nous reviendrons sur cette question quand nous discuterons de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, et je vous démontrerai, je l'espère, que ce texte respecte tout à fait la Constitution.

M. Daniel Raoul. Ce n'est pas gagné !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. En outre, vous affirmez que ce projet de loi démantèle, pour des raisons idéologiques, les fondements du service public de l'énergie. Là encore, il s'agit d'une contrevérité, comme M. le ministre vient de le démontrer brillamment.

Enfin, vous affirmez que l'État se dessaisit de ses responsabilités dans le domaine de l'énergie, ce qui est totalement inexact au regard du volumineux corpus juridique national encadrant ce secteur.

En définitive, après en avoir délibéré ce matin, votre commission a rejeté la motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui. Elle invite donc la Haute assemblée à faire de même. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes à quelques mois d'une échéance démocratique majeure dans la vie politique de notre pays.

C'est à l'occasion de l'élection présidentielle, en effet, que s'ouvre un grand débat, le grand débat qui permet de déterminer les grands choix qui conditionneront la politique de la France pour les cinq ans à venir.

C'est ainsi : ce sont les Français, qui, prenant à témoin ceux qui concourent à leurs suffrages, tranchent en dernier ressort avec un moyen simple, le bulletin de vote. Cela s'appelle - depuis les origines de la République et même bien avant elle - la démocratie.

À cinq mois de ce moment fort, à quelques semaines de l'entrée en campagne des différents candidats, seul importe de connaître les grands sujets sur lesquels l'élection à venir apportera des éclaircissements. Certes, si tous les points de vue sont légitimes, rien ne serait pire que de cacher la réalité aux Français, en occultant les problèmes ou en essayant de les régler à la sauvette, en catimini.

Alors, répondons à une question simple. L'avenir du secteur énergétique fait-il partie de ces grands sujets, et l'énergie constitue-t-elle réellement un enjeu stratégique majeur pour notre indépendance nationale ? Il nous semble, à nous, membres du groupe socialiste et Verts, comme au groupe CRC, que la question contient déjà la réponse, laquelle, bien entendu, est affirmative.

S'il manquait un seul argument à la longue liste qui plaide en ce sens, j'ajouterais qu'il y va aussi de l'honnêteté et du respect que tout homme public, a fortiori un ministre d'État, doit au pays et au peuple français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean-Pierre Bel. Pour tous ceux qui sont attachés à la revalorisation de l'action publique, à la crédibilité des représentants de la nation, la nécessité de mettre sa parole en adéquation avec ses actes est impérieuse. S'il doit y avoir rupture avec ce qui a été annoncé ou promis, seul le recours au référendum peut valider un changement de cap.

M. Roland Courteau. Bon argument !

M. Jean-Pierre Bel. Pourtant, monsieur le ministre, ce n'est pas la voie que le Gouvernement semble prendre.

C'est pourquoi, mes chers collègues, en tant que parlementaires, nous avons, nous, l'obligation de faire usage de ce qui est notre loi commune, la Constitution. Celle-ci prévoit depuis 1995, dans son article 11, que peuvent être soumises à référendum les « réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent ».

J'aurais également pu me référer au neuvième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, repris dans celui de la Constitution de 1958, qui précise : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »

M. Roland Courteau. Absolument !

M. Guy Fischer. C'est le cas !

M. Jean-Pierre Bel. Nous affirmons donc solennellement que les Français auraient dû être saisis d'une telle décision à l'occasion de l'élection présidentielle.

M. Robert Bret. Il est encore temps !

M. Jean-Pierre Bel. Cet enjeu devrait être au coeur des grands choix politiques de 2007. Chacun en connaît les données : le réchauffement de la planète, qui pose la question de notre propre modèle de développement ; la fin des énergies fossiles, qui nous oblige à préparer - dès aujourd'hui - une société sans pétrole ; la sécurité des approvisionnements dans un monde marqué par les désordres et les conflits ; l'égal accès de tous à l'énergie dans un contexte de hausse continue des prix des matières premières.

Au lieu de prendre la mesure de ces défis, le projet de loi a pour seul objet de démanteler, pour des raisons idéologiques, les fondements du service public de l'énergie.

Il n'est pas possible, à la veille d'une échéance décisive, de changer les fondements de notre politique énergétique, de modifier la nature des opérateurs, et de décider des regroupements d'entreprises qui vont engager la France pour longtemps.

Le Parlement ne peut délibérer en fin de législature d'un choix aussi lourd pour notre pays. La majorité élue en 2002 n'a pas reçu de mandat des Français pour cela et le Président de la République n'avait fait aucune référence dans son programme à la privatisation de GDF, contrairement à la gauche, monsieur le ministre, qui, en 1997, s'était engagée à entreprendre la réforme sur les 35 heures et sur la réduction du temps de travail. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - Mme Hélène Luc applaudit également.)

De surcroît, en 2004, lors de l'examen du projet de loi d'orientation sur l'énergie, Nicolas Sarkozy, alors ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, s'était solennellement engagé à préserver un seuil minimal de titres pour l'État de 70 % dans le capital de GDF.

M. Jean-Pierre Bel. En conséquence, l'examen du présent projet de loi, sous la pression d'opérateurs privés et d'intérêts financiers non identifiés à ce jour, constitue un mépris de l'opinion publique, hostile dans sa très grande majorité à la privatisation de notre secteur énergétique.

Pourquoi proposer de soumettre ce projet de loi à référendum ? Cinq raisons simples le justifient. Les Français sont certainement plus futés que vous ne l'imaginez, monsieur le rapporteur : ils sont capables de comprendre les questions, si elles leur sont posées clairement. (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. André Dulait. Comme pour l'Europe !

M. Jean-Pierre Bel. Premièrement, les Français doivent dire s'ils acceptent le reniement de la parole donnée.

Deuxièmement, les Français doivent dire si le secteur énergétique français a un caractère stratégique.

Troisièmement, les Français doivent dire s'ils acceptent la mise en péril de GDF, et même d'EDF, entraînée par cette privatisation.

Quatrièmement, les Français doivent dire s'ils acceptent que le prix du gaz dépende des intérêts financiers d'actionnaires privés.

Mme Hélène Luc. Absolument !

M. Guy Fischer. C'est une vraie question !

M. Jean-Pierre Bel. Cinquièmement, les Français doivent dire s'ils considèrent que GDF doit demeurer dans le patrimoine national.

M. Charles Gautier. C'est vrai !

MM. André Lardeux et René Beaumont. Cela fait cinq référendums !

M. Jean-Pierre Bel. Premièrement, les Français doivent dire s'ils acceptent le reniement de la parole donnée.

Par trois fois, en effet, monsieur le ministre, votre majorité s'est engagée à ne pas privatiser GDF.

M. Jean-Pierre Michel. C'est une trahison !

M. Roland Courteau. On voit ce que vaut leur parole !

M. Jean-Pierre Bel. La loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières relève, dans son article 1er, « les objectifs et les modalités de mise en oeuvre des missions de service public qui sont assignées à Électricité de France et à Gaz de France ».

La loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique du 13 juillet 2005 réaffirme, dans son article 1er, le nécessaire « développement d'entreprises publiques nationales et locales » pour l'avenir énergétique français.

Le ministre d'État, ministre de l'économie et des finances et de l'industrie, de l'époque a donné la parole de l'État...

M. Roland Courteau. Quelle parole ! On voit ce que cela vaut !

M. Jean-Pierre Bel. ...en ces termes : « Je l'affirme parce que c'est un engagement de l'État : EDF et GDF ne seront pas privatisées. Le Président de la République l'a rappelé solennellement lors du conseil des ministres au cours duquel fut adopté le projet : il ne peut être question de privatiser EDF et GDF. » Il avait même précisé : « Qu'est-ce qui nous garantit que la loi ne permettra pas de privatiser plus tard ? Eh bien, la parole de l'État : il n'y aura pas de privatisation, parce que EDF et GDF sont un service public. »

Le 29 avril 2004, le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie persiste : il écrit aux syndicats pour confirmer que « ces sociétés resteront publiques et ne seront en aucun cas privatisées compte tenu de leur caractère déterminant pour les intérêts de la France et pour la sécurité de nos approvisionnements. Leur capital restera majoritairement public ».

M. Charles Gautier. Paroles, paroles !

M. Jean-Pierre Bel. Le moment venu, les Français jugeront de la valeur de la parole de l'État, et de la capacité de celui qui aspire aux plus hautes responsabilités à les exercer !

M. Roland Courteau. Il faut qu'il vienne s'expliquer !

M. Jean-Pierre Bel. Deuxièmement, les Français doivent dire si le secteur énergétique français a un caractère stratégique.

Nous pensons que l'intérêt stratégique du secteur énergétique pour la nation, son économie et le niveau de vie des citoyens est incompatible avec un transfert au secteur privé. En effet, cela entraîne une perte de souveraineté nationale et une privatisation à la fois des actifs industriels - réseaux et stockages - et de leur opérateur exploitant.

Qu'il s'agisse de la minorité de blocage - 34 % -, dont vous avez parlé, monsieur le rapporteur, et qui n'est pas encore acquise, ou d'une action spécifique, dont l'efficacité reste à démontrer, la puissance publique ne sera plus en mesure d'exercer, au sein de Suez-Gaz de France, un véritable pouvoir de contrôle.

M. Roland Courteau. C'est exact !

M. Jean-Pierre Bel. Tout actionnaire qui achèterait 55 % des actions de Suez-Gaz de France disponibles en bourse détiendrait de fait les rênes du nouvel ensemble.

M. Jean-Pierre Bel. Ces 55 % du capital, qui représentent 35 milliards à 40 milliards d'euros, seront à la portée de concurrents comme Enel, E.ON ou Gazprom.

Une fois l'entreprise Gaz de France sortie du secteur public, aucune disposition législative ne pourra figer la part de l'État, qui sera de fait soumise aux aléas du marché. L'État pourrait ainsi à tout moment être dilué, car il serait incapable, sur le plan financier, de suivre d'ultérieures augmentations de capital. Plus rien alors ne lui permettra de conserver le contrôle opérationnel du groupe.

Troisièmement, les Français doivent dire s'ils acceptent la mise en péril de GDF, et même d'EDF, entraînée par cette privatisation.

Nous pensons que la privatisation de Gaz de France, qui impose le déclassement du service public national Gaz de France, remet de fait en cause la pérennité de la propriété de Gaz de France du réseau de transport, ainsi que le monopole des concessions dont bénéficie Gaz de France sur son territoire de desserte. La privatisation entraînera donc pour l'entreprise Gaz de France un risque majeur de désintégration : sortie et maintien sous contrôle public du réseau de transport, mise en concurrence des concessions de distribution.

La fin du service public national du gaz issu de la loi de 1946 et la sortie de Gaz de France du secteur public conduiront à la mise en concurrence des concessions et à sa fragilisation évidente. Elles présentent des risques sérieux pour l'avenir d'EDF, opérateur historique, qui sera soumis à la concurrence de ce nouvel ensemble. Certes, aujourd'hui EDF a des concurrents, mais elle sera demain dans une nouvelle configuration, et ce sera l'État qui en aura été responsable. Elles conduiront aussi à la déstabilisation d'EDF par la fin du service public mixte de distribution, auquel les clients et les élus sont attachés -  ils l'ont montré à plusieurs occasions, lors des tempêtes de 1999, par exemple -, et qui n'a jamais failli depuis soixante ans.

Quatrièmement, les Français doivent dire - ils pourraient le faire par référendum - s'ils acceptent que le prix du gaz dépende des intérêts financiers d'actionnaires privés.

Cotée en bourse, Suez-Gaz de France répondra avant tout aux attentes de ses actionnaires.

M. François Marc. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Bel. Ceux-ci, qui seront majoritairement privés et répondront à une logique propre aux marchés financiers, risquent de privilégier la distribution de dividendes et la valorisation boursière au détriment de l'intérêt général.

Or le secteur des énergies de réseaux - électricité et gaz - tient plus du monopole naturel que d'un marché pleinement concurrentiel. La privatisation des entreprises dans le secteur de l'énergie oppose alors la défense de l'intérêt général et de l'intérêt des clients, notamment des particuliers, à celui de l'intérêt financier de ses actionnaires. On voit bien où peut conduire la satisfaction d'intérêts financiers en situation de monopole privé : elle ne peut qu'être défavorable à l'intérêt des clients.

Cinquièmement, les Français doivent dire s'ils considèrent que GDF doit demeurer dans le patrimoine national.

Pour vous, monsieur le ministre, pour le Gouvernement comme pour votre majorité, et d'après le rapport de la commission des affaires économiques, « le caractère public ou privé n'a, en définitive, pas d'impact sur les obligations de service public qui s'imposent en tout état de cause à tous les opérateurs. De ce point de vue, il n'est donc pas possible d'affirmer que la privatisation de GDF se traduira par l'affaiblissement des missions de service public, qui restent déterminées par la loi ».

Pour notre part, nous pensons le contraire : le caractère public de l'entreprise chargée du service public de l'électricité ou du gaz constitue une garantie indispensable à la préservation de l'indépendance nationale.

D'après le préambule de la Constitution de 1946, il s'agit d'une seconde restriction, après celle du monopole de fait, qui empêche le législateur de considérer qu'une activité n'est plus un service public national.

Le respect de l'indépendance nationale exige, en effet, que des précautions soient prises pour empêcher la mainmise d'intérêts extérieurs sur des entreprises dont dépendent non seulement le développement de l'économie du pays mais également son libre choix stratégique.

C'est incontestablement le cas de l'énergie.

Ce fut la position de François Mitterrand lorsqu'il refusa de signer l'ordonnance de privatisation en 1986, parce qu'il estimait que les précautions prises pour sauvegarder les intérêts nationaux étaient insuffisantes.

Il considérait ainsi, le 14 juillet 1986, qu'il n'était pas acceptable que « des biens qui appartiennent à la nation soient vendus de telle sorte que demain, on puisse retrouver des biens nécessaires à l'indépendance nationale dans les mains d'étrangers ».

M. Roland Courteau. Il avait raison !

M. Jean-Pierre Bel. L'action spécifique que détiendrait le Gouvernement pour protéger ces intérêts nationaux n'est en réalité qu'une digue de papier, malgré ce que vous venez de nous dire, monsieur le ministre.

M. Charles Gautier. Exactement !

M. Jean-Pierre Bel. Sur ce plan également, la constitutionnalité du projet de loi, et tout particulièrement de son article 10, au regard du préambule de 1946, est plus que douteuse.

En résumé, nous pensons que ce projet de fusion-privatisation, très politique et financier, mérite une vraie confrontation, un large débat et doit s'inscrire dans le respect des valeurs d'intérêt général qui ont présidé à la création de Gaz de France en 1946.

Le montage actuel, qui consiste à transférer des actifs publics - le transport -, des monopoles publics - les concessions - dans le secteur privé, est illusoire. Aucune entreprise européenne privée, y compris Suez, ne dispose de monopole. Elles sont toutes, comme l'exige le droit privé, soumises aux règles de la concurrence.

Pour notre part, nous refusons cette évolution dangereuse.

L'avenir de Gaz de France doit être envisagé avec le sérieux et la transparence qui s'imposent et qui, jusqu'à présent, ont permis sa réussite depuis 1946. Aucune préoccupation électorale ne saurait occulter le nécessaire débat politique et public qu'il convient d'avoir sur l'avenir des entreprises du secteur énergétique français et sur le rôle de la puissance publique.

L'énergie est à la fois un bien vital pour l'économie et pour les citoyens, mais aussi un secteur dont les récentes crises, telles la crise du gaz russe ou les tensions en Iran, ont démontré le caractère géostratégique.

Nous pensons que l'on ne peut priver les Français d'une véritable clarification sur les évolutions projetées des entreprises du secteur énergétique français, sur l'avenir de Gaz de France, sur le rôle et les modes d'intervention de la puissance publique dans le secteur énergétique, sur la nécessaire construction politique de l'Europe de l'énergie.

Monsieur le ministre, vous avez tous les pouvoirs depuis près de cinq ans, vous êtes aux responsabilités depuis cinquante-deux mois, si je ne me trompe, et à six mois de l'élection d'un nouveau président de la République, vous prétendez imposer à la France, à la hussarde, aux forceps, un projet qui reconfigure totalement le secteur de l'énergie.

Il y a là un déni de démocratie. C'est pourquoi j'invite le Sénat à demander l'organisation d'un référendum sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme Jean-Pierre Bel, c'est avec gravité que je prends la parole pour soutenir cette motion référendaire visant à soumettre au peuple français ce projet de loi relatif au secteur de l'énergie, qu'il faut appeler par son nom : « projet de loi de privatisation de GDF, entraînant le démantèlement du secteur public de l'énergie ». C'est en effet l'ensemble de ces dispositions qu'il faut soumettre à nos concitoyens !

Cette motion n'est pas un artifice de procédure. Les puissances d'argent, avec un gouvernement qui leur est acquis et soumis, s'attaquent aujourd'hui à un bien collectif inestimable : l'énergie.

Notre peuple doit être consulté. Monsieur le ministre, vous me rétorquerez probablement qu'il sera consulté en 2007. Je vous réponds donc, par avance : retirez votre projet !

M. Yves Coquelle. Absolument !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Conseil national de la Résistance avait perçu le caractère essentiel du contrôle public de ce secteur, pour l'indépendance nationale et pour la justice sociale. C'est pour cette raison qu'il l'avait inscrit prioritairement dans son programme.

Dès le 12 septembre 1944, le général de Gaulle annonçait « le retour à la nation des principales sources d'énergie ».

C'est donc en toute logique que les constituants incluaient dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 l'alinéa suivant : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » A fortiori, cette propriété ne peut pas lui être retirée sans que le peuple se prononce.

Monsieur le ministre, c'est en effet le bien public que vous vous apprêtez à piller, au seul profit d'actionnaires qui, tel M. Albert Frère, premier actionnaire de Suez, guettent la bonne affaire.

Il est inacceptable, du point de vue démocratique, qu'une majorité contestée dans les urnes, poussée au recul par la rue, persévère dans sa fuite en avant libérale, à quelques mois d'échéances électorales majeures, en décidant de brader, de manière parfaitement anticonstitutionnelle, un service public national, protégé par les textes fondateurs de la République.

Puisque ni la majorité de droite de l'Assemblée nationale, ni la majorité de droite du Sénat n'ont l'intention de faire respecter la Constitution, puisqu'elles s'apprêtent l'une et l'autre à la violer, il faut donner la possibilité au peuple de rappeler à l'ordre les apprentis sorciers du libéralisme.

L'opposition sénatoriale n'est pas la seule à souligner cette mise en cause flagrante du préambule de la Constitution de 1946 qui, je le rappelle, fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité, au même titre que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et la Constitution de 1958.

Comme vous le savez, mes chers collègues, un titre du journal Les Echos fut : « De sérieux problèmes de conformité avec la Constitution ». L'auteur de l'article en question livrait cette analyse : « En clair, dès lors qu'une entreprise est en charge d'un service public, elle doit appartenir à l'État. C'est donc dans l'esprit de la Constitution, le service de l'intérêt général qui impose la participation majoritaire de l'État et non la participation de l'État qui créerait de fait un service public. La question est au coeur de tous les débats de privatisation. Bizarrement, cette fois, les parlementaires concentrés sur l'article 10 du projet qui abaisse la participation de l'État dans le capital du gazier sont passés à côté. »

L'autre quotidien économique, La Tribune, s'interrogeait également dans son édition du 9 octobre dernier : « Peut-on privatiser un service public national ? »

Monsieur Poniatowski, vous indiquiez alors dans ce journal que GDF n'est pas un service public national. Cette opinion, que vous venez de rappeler, n'est pas surprenante. Mais, dans le même article, M. Gérard Quiot, juriste, vous répondait en ces termes : « Il est certain que le préambule de la Constitution de 1946 qui est toujours partie intégrante de notre Constitution ne permet pas de privatiser une activité que les autorités publiques considèrent comme étant d'intérêt général, ce qui est le cas de Gaz de France. En droit, un service public national est une activité soumise à des obligations visant à garantir l'égalité des citoyens devant le service rendu, sa continuité et la capacité de l'opérateur à fournir la meilleure prestation en toutes circonstances. De surcroît, son intérêt est commun à l'ensemble de la collectivité. Dans le cas précis du gaz, la péréquation tarifaire, comme le maintien de l'obligation faite à GDF de fournir du gaz aux Français à un prix fixé par les autorités publiques, qualifie bel et bien l'entreprise comme étant un service public national. Que les opérateurs privés soient soumis à la péréquation tarifaire ne change rien. »

Je poursuis cette citation : « Le Gouvernement ne peut, d'un côté, conserver à GDF ses missions de service public en réaffirmant son attachement au maintien de ses missions et, de l'autre, sortir l'entreprise du secteur public, sans être en contradiction avec notre Constitution. Si le législateur considère qu'aujourd'hui les exigences du secteur privé sont conciliables avec celles du secteur public - ce que les auteurs du préambule de la Constitution de 1946 jugeaient comme étant parfaitement incompatibles -, il doit être cohérent et modifier la Constitution. »

Monsieur le ministre, qui pourrait, aujourd'hui, nier de bonne foi que l'exploitation de notre secteur énergétique relève d'un service public national, ne serait-ce que parce qu'il doit garantir notre indépendance énergétique ? Le fait que l'avenir du marché du gaz soit au centre des dernières conversations entre MM. Chirac, Poutine et Mme Merkel montre bien, n'en déplaise à M. Poniatowski, qu'il s'agit d'un enjeu national européen, et même planétaire.

C'est afin de respecter le préambule de notre Constitution que la forme juridique d'établissement public à caractère industriel et commercial avait été retenue par la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz, introduisant dans notre droit un type de propriété des entreprises publiques sans capital social, ni actions ; l'État ne dispose pas de la propriété du capital de l'établissement public à caractère industriel et commercial, l'EPIC, qui est inaliénable et indivisible. La loi de 2004 a changé le statut des deux entreprises, mais n'a pas modifié leur rapport à la nation.

L'article 16 de la loi du 8 avril 1946 établissait, sans ambiguïté, que « ce capital appartient à la nation. Il est inaliénable ». Dès 2004 et plus encore aujourd'hui, une modification de la Constitution aurait dû précéder l'élaboration de ces projets de loi.

En l'absence d'une telle modification, ces textes sont manifestement anticonstitutionnels. Notre appel au peuple se fonde donc sur une atteinte grave à la Constitution. La conséquence de cette agression, c'est la mise en cause de l'indépendance énergétique de notre pays, c'est la certitude d'une augmentation forte des tarifs, source d'injustice sociale et d'inégalités.

Machiavel conseillait au prince de devenir « grand simulateur et dissimulateur », d'apprendre à manoeuvrer « par ruse [...] la cervelle des gens ». Et il rappelait souvent que « qui trompe, trouvera toujours qui se laisse tromper ».

Notre peuple a fréquemment montré pourtant qu'il ne se laissait pas tromper, pour peu qu'il soit informé.

Monsieur le ministre, vous, vous reniez la parole donnée. Nous vous l'avons dit hier, mon collègue vient de le rappeler, et nous le répétons parce que vos réponses nous donnent raison.

Vous aviez toutes les cartes en main en 2004. Or c'est le 15 juin 2004 que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, déclarait, la main sur le coeur : « Je l'affirme parce que c'est un engagement du Gouvernement, EDF et Gaz de France ne seront pas privatisés. » Il citait alors le Président de la République. Et il poursuivait ainsi : « Mieux, le Gouvernement acceptera l'amendement du rapporteur général prévoyant de porter de 50 % à 70 % le taux minimum de détention du capital d'EDF et de Gaz de France. »

Monsieur Poniatowski, vous n'étiez pas en reste ! Que déclariez-vous avec un certain agacement, il y a deux ans ? « La sociétisation est-elle une étape vers la privatisation ? C'est décourageant de le rappeler. J'ai rencontré les représentants des différents syndicats, j'ai participé à des débats télévisés et radiophoniques, je l'ai écrit dans des journaux et je ne sais plus à quel temps il faut le conjuguer : il est évident que l'ouverture du capital ne signifie en aucun cas la privatisation. »

Tout aurait changé depuis ?

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Mais oui !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La mondialisation ? L'Europe ? Les directives européennes ? Tout était sur la table en 2004 !

Toujours en 2004, M. Revol, exprimant la position du groupe UMP du Sénat, disait : « On a quelque peine à comprendre le discours revendicatif tenu par certains hommes politiques qui ont brandi le spectre de la privatisation. »

Et si vous m'y autorisez, monsieur Poniatowski, je reprendrai à mon compte une formulation que vous utilisez avec bonheur dans votre rapport, à savoir, qu'il s'agit « d'un fantôme à laisser au placard. Je le répète, nous n'envisageons aucune privatisation. » Mon cher collègue, le fantôme est sorti du placard ! (Sourires.)

M. Lenoir, votre homologue à l'Assemblée nationale, était encore plus convaincant pour défendre le service public. Il affirmait ainsi : « Il est en revanche hors de question que cette évolution - le changement de forme juridique - entraîne la perte de contrôle de l'État sur ces entreprises, compte tenu du caractère éminemment stratégique de leurs activités. »

Le retournement de M. Lenoir est surprenant, puisque le caractère stratégique des activités s'est renforcé du fait de la crise pétrolière actuelle. Qu'est-ce qui a changé ? Ces activités ne seraient plus stratégiques ? Si, elles ont d'autant plus ce caractère !

Enfin, je citerai M. Devedjian : « S'il apparaissait que les engagements pris avec les formations syndicales ont été empreints d'une certaine duplicité ou si nous nous révélions incapables de les tenir, c'est toute la politique de réforme que nous voulons conduire qui pourrait être mise en cause. Il faut que les partenaires sociaux sachent que le Gouvernement fait tout pour respecter sa parole et qu'il demande à sa majorité de l'y aider. »

M. Devedjian répondait à l'impatience de M. Marini, qui proposait alors d'abaisser le capital de GDF à 51 %.

Effectivement, M. Marini peut se vanter d'être immuable dans ses convictions. Il est peut-être d'ailleurs le seul parmi vous ! Prié de retirer son amendement, il avait conclu, sachant qu'il faut être patient : « À chaque jour suffit sa peine. »

M. Louis de Broissia. C'était bien vu !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Aujourd'hui, il veut privatiser les établissements locaux de distribution de l'énergie. L'Assemblée nationale a rejeté une proposition similaire. M. Marini sait qu'il pourra compter voir la sienne adoptée prochainement, puisque même si, cette fois-ci, on va évidemment lui répondre « Non, pas encore ! », il sait par expérience qu'une réponse positive lui sera finalement faite.

Vous trompez le Parlement. Vous trompez le peuple. Celui-ci vous donne pourtant beaucoup de signes de son mécontentement : votre échec électoral en 2004, votre échec au référendum du 29 mai 2005, votre échec spectaculaire avec le CPE...

Vous poursuivez cependant droit dans vos bottes votre mission : installer l'ordre libéral dans notre pays, détruire notre modèle social. Vous serez sanctionné, mais nous voulons éviter que vous ne cassiez tout avant. (Mme Bariza Khiari et M. Jean-Luc Mélenchon applaudissent.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Voilà ! Exactement !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le 25 février dernier, M. de Villepin a légitimé la privatisation au nom du patriotisme économique. C'est le monde à l'envers !

De quel patriotisme économique parlez-vous ? La menace d'OPA d'ENEL n'a jamais existé, tout le montre aujourd'hui. Ce qui apparaît, en revanche, - et vous le dites ! - c'est que GDF et Suez négociaient leur fusion depuis de nombreux mois, voire de nombreuses années, avant 2004, nous a-t-on dit. L'argument de patriotisme économique visait uniquement à valider une opération minutieusement préparée. C'était une manoeuvre grossière.

De quel patriotisme économique parle-t-on, alors que le patrimoine industriel, le bien public est livré aux appétits financiers français et européens, voire - qui pourrait en douter ? - russes un jour, Gazprom étant à l'affût ?

La fusion GDF-Suez rend le futur groupe opéable. Seule la maîtrise publique peut empêcher les requins de la finance d'agir. C'est donc l'antithèse du patriotisme économique que vous défendez.

De quel patriotisme parle-t-on, alors que c'est la Commission européenne, plus précisément l'ultralibérale commissaire européenne Mme Nelly Kroes, qui est aux commandes pour décider des conditions de la fusion future ?

Le 28 septembre dernier, cette nouvelle « dame de fer » s'est déclarée prête à ouvrir le secteur de l'énergie « de force ».

Cette dame, l'UMP et le Gouvernement ont-ils oublié le 29 mai 2005 ? Ce jour-là, une forte majorité a, malgré une pression médiatique intense, rejeté les bases libérales de l'Europe et condamné le déficit démocratique qui caractérise le fonctionnement de l'Union européenne. Voilà ce qui a changé depuis 2004, monsieur le rapporteur !

Au lendemain du référendum, - je ne vais pas reprendre mon carnet de citations, je vous en fais grâce ! - tout un chacun soulignait la nécessité de restaurer le lien démocratique entre l'Europe et les peuples.

Ces belles paroles, comme d'autres, sont déjà oubliées. Le Gouvernement livre la maison GDF, et, bientôt, EDF, à ces agents des intérêts financiers européens que sont les commissaires de Bruxelles.

En effet, de quel patriotisme économique nous parle-t-on, alors que les députés communistes et socialistes ont dû batailler afin de pouvoir parcourir, dans des conditions difficiles, la lettre de griefs adressée par la Commission à GDF et à Suez ? Et encore, dans le texte mis à disposition, dans une salle où même les téléphones portables étaient interdits, des passages entiers avaient été noircis !

Je regrette une nouvelle fois que la commission des affaires économiques, en particulier le président Emorine, n'ait pas daigné insister pour auditionner Mme Kroes. L'avenir de GDF ne justifiait-il pas une telle insistance et un changement d'agenda ?

La question européenne est une nouvelle fois au centre des débats, que vous le vouliez ou non, messieurs les ministres, mesdames, messieurs de la majorité.

En 2004, M. Poniatowski insistait sur le caractère irréversible du processus de libéralisation de l'énergie. Mais au nom de quel principe politique ou philosophique des décisions seraient-elles irréversibles ? C'est qui, c'est quoi, l'Europe, si ce n'est des gouvernements ?

Le traité constitutionnel était une évidence incontournable. Le repousser menait l'Europe au cataclysme, à l'effondrement. L'irréversibilité du processus était là aussi invoquée.

J'estime, pour ma part, que la démocratie exige la réversibilité. Rien n'est gravé dans le marbre. Les directives européennes en matière de libéralisation de l'énergie doivent pouvoir être renégociées.

Ce sera un objectif important d'une gauche à nouveau au pouvoir. En tout cas, c'est ce que je souhaite.

Il s'agit d'une question de volonté politique. Ce sera difficile, mais c'est possible, en s'appuyant sur notre peuple, sur les peuples qui subissent cette Europe non démocratique et dont les objectifs sont essentiellement financiers.

Écouter le 29 mai 2005 sans le diaboliser, c'est entendre cette aspiration au débat à la vraie politique, fondée sur le bilan et sur la poursuite de l'intérêt commun.

Écouter le 29 mai 2005, c'est en tirer les leçons en se rendant à Bruxelles avec un mandat : plus de démocratie, plus de justice sociale et la remise en cause des directives d'inspiration strictement libérale, au premier rang desquelles celles qui sont relatives aux services publics, auxquels notre peuple est attaché, comme, d'ailleurs, beaucoup d'autres peuples européens.

Le 29 mai 2005 a, en effet, été également un moment de l'expression d'un fort attachement au service public. N'oubliez pas, messieurs les ministres, qu'au-delà des 94 % du personnel de Gaz de France qui ont repoussé le démantèlement de leur entreprise, c'est le peuple qui refuse la privatisation de ses biens.

Votre mandat, après le 29 mai 2005, était non pas d'enfoncer le clou libéral, mais de prendre à contre-pied les politiques européennes de l'énergie mises en oeuvre jusqu'à présent.

Décidément, parler de patriotisme économique dans ces conditions relève de la provocation, alors que nous assistons à une liquidation en règle du bien public de deux piliers de notre société démocratique.

Tout justifie le recours au référendum. Le peuple doit pouvoir se prononcer pour le respect du droit à l'énergie dans notre pays.

Avec ce texte, messieurs les ministres, vous foulez aux pieds ce droit élémentaire à se chauffer, à être éclairé, à se déplacer. Le droit à l'énergie est indissociable de l'idée même de justice sociale, d'égalité.

Vous avez tenté de masquer la déréglementation massive, la casse de l'outil public par de bien modestes mesures en matière de tarifications sociales, qui seront rapidement réduites à néant par le pilonnage du marché et les exigences de rentabilités des actionnaires.

L'augmentation des tarifs est inéluctable. Chacun le sait, mais seule l'opposition le dit. Vous refusez de livrer un bilan détaillé, honnête, des premiers effets de la libéralisation.

Or, de très nombreuses PME cherchent à rejoindre le secteur réglementé de l'énergie, écrasées par les augmentations de tarifs dans le secteur libéralisé.

L'appétit des actionnaires n'est pas la seule cause de l'augmentation future des tarifs. Les exigences de la Commission européenne en matière de réduction, voire de mise en cause des contrats d'approvisionnement à long terme, alimenteront la tension sur les prix. L'augmentation des tarifs sera sans nul doute l'une des premières conséquences de la privatisation.

Cependant, comme je l'ai évoqué voilà un instant, EDF est directement menacée par ce projet de loi. En effet, séparée de son partenaire gazier, elle sera face à un nouveau concurrent à l'offre plus importante. Du fait de cette fusion, Suez va en effet disposer du listing des onze millions de clients de GDF à qui le nouveau groupe pourra proposer une offre intégrée incluant gaz et électricité. Il s'en frottait d'ailleurs les mains dès le départ.

La concurrence à outrance entre ces deux groupes, EDF d'un côté, GDF-Suez de l'autre, se fera au détriment de l'investissement à long terme en matière de recherche pour diversifier les sources d'énergie, et en matière de sécurité pour la gestion du parc nucléaire.

N'est-il pas inquiétant, d'ailleurs, d'observer la manière dont Suez, sur les sommations de la Commission européenne, cherche à se débarrasser de ses centrales nucléaires belges ?

Sur ce point, j'ouvre une brève parenthèse : n'est-il pas effrayant de constater la course entamée par EDF pour s'implanter sur le marché du gaz et par le futur groupe GDF-Suez pour s'implanter sur le marché électrique ?

Toute personne, qu'elle soit ou non spécialiste des questions économiques, pourra constater une situation « abracadabrantesque » : alors que la France disposait de deux entreprises publiques de renommée mondiale, d'une puissance reconnue, à l'abri des appétits financiers, agissant en cohérence et pour le bien commun, outils d'une lutte décisive pour l'environnement et la recherche pour les énergies du futur, les libéraux, ce gouvernement, détruisent d'un coup de pied le fruit de décennies de labeur. Vous jouez, messieurs les ministres, contre votre camp, vous jouez contre le progrès, pour la seule satisfaction, immédiate et sans lendemain, du capital.

Vous allez réussir à mettre en concurrence et, je le crains, à lancer dans une guerre fratricide deux entités industrielles remarquables.

Bien entendu, tout cela est une question de point de vue. Je vous parle d'incohérence, car je me situe sur le plan de l'intérêt général.

Du point de vue des futurs actionnaires, la cohérence est évidente : ils n'ont que faire de la satisfaction de la plus grande masse tant que leur porte-monnaie se remplit.

Notre appel au peuple se fonde également sur cette urgence, la défense de l'intérêt général, la lutte contre ces intérêts particuliers d'une élite financière qui sape notre modèle social et peut-être notre démocratie.

Cependant, les atermoiements de ces derniers mois, des dernières semaines, des derniers jours sont surprenants, inquiétants.

Pouvez-vous aujourd'hui, messieurs les ministres, dresser pour la représentation nationale un tableau de l'état des négociations entre Suez et GDF d'une part, entre le futur groupe et la Commission européenne d'autre part ? Pouvez-vous nous donner votre opinion sur l'avenir d'EDF dans ce cadre ? Jusqu'à présent, vous ne l'avez pas fait.

Je connais votre opinion, que vous avez maintes fois répétée : les parlementaires sont là pour discuter de l'ouverture du marché à la concurrence, de son principe, et certainement pas pour s'occuper des affaires des actionnaires. « Circulez, il n'y a rien à voir ! », en quelque sorte.

Cette conception du Parlement ne me semble pas conforme à une vision républicaine de nos institutions : tout ce qui concerne l'intérêt général, l'intérêt national, doit être débattu au Parlement, quels que soient les intérêts privés mis en oeuvre. Si des secrets doivent être préservés, des procédures existent, comme la réunion du Sénat en comité secret.

Il me semble que les parlementaires doivent être pleinement informés des tractations en cours. Nous constatons que la réponse de GDF à la lettre de griefs a été communiquée aujourd'hui seulement. Quelles recommandations la Commission européenne s'apprête-t-elle à formuler ? Quelles seront les conséquences sur l'emploi ? Comment répondez-vous, messieurs les ministres, à cet audit indépendant qui estime que 20 000 emplois seront supprimés dans les années à venir à GDF ? Vous prétendez que ce n'est pas vrai. Piètre réponse !

Les informations de ces derniers jours sur le devenir des centrales nucléaires belges détenues par Suez sont inquiétantes : on joue manifestement avec la sécurité, ces centrales changent de main chaque jour, tout cela pour permettre de parvenir coûte que coûte à cette fusion dont vous n'avez pas prouvé l'utilité publique.

Est-il vrai, messieurs les ministres, que EDF pourrait racheter certaines de ces centrales ? Ce serait un comble ! Les fonds publics, une nouvelle fois, permettraient à une opération de privatisation de se réaliser. C'est EDF qui financerait partiellement le démantèlement de son entente historique avec GDF. On croit rêver !

Vous ne voulez pas parler de la fusion entre Suez et GDF car, selon vous, ce ne sont pas les affaires du Parlement.

Or, M. Lenoir lui-même, rapporteur de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, n'avait-il pas envisagé un plan B qui maintenait la maîtrise publique sur des activités essentielles de GDF ? Il a même présenté sa proposition devant ladite commission le 26 juillet dernier. M. Poniatowski avait d'ailleurs alors déclaré que cette proposition méritait d'être étudiée. M. Devedjian lui-même n'a-t-il pas présenté un plan C ?

Enfin, comment ne pas rappeler la proposition de loi présentée par M. Daubresse et des parlementaires de l'UMP, qui prônaient la fusion entre EDF et GDF dans un cadre public ? Votre réponse est consternante : « Trop tard ! », « Bruxelles n'en voudrait pas ! »

Je me permets de formuler trois objections. D'abord, la Commission, pour donner son avis, devrait déjà être saisie. Ensuite, aujourd'hui, les directives sont contestées par l'Allemagne, le Portugal et l'Espagne, qui s'engagent dans des projets de fusion entre leurs opérateurs nationaux ; si la France s'engageait dans cette voie, cela aurait du poids. Enfin, avant de dire que Bruxelles n'en veut pas, battez-vous pour y arriver !

La fusion entre EDF et GDF est naturelle. La constitution d'un pôle public de l'énergie s'impose. La France serait bien le seul pays où l'État se désengage en matière énergétique. Il faut en débattre en levant le préalable un peu facile des oppositions de la Commission européenne.

Examinons d'abord ce qui est bon pour notre peuple, pour les peuples européens, et nous parlerons avec Mme Kroes ensuite !

Un grand débat national doit donc s'engager, messieurs les ministres, sur l'avenir du secteur de l'énergie. Tous les arguments doivent être présentés et les différentes stratégies confrontées dans la clarté. La dissimulation que j'évoquais ne doit plus être de mise. Ce grand débat national doit avoir pour conclusion la consultation populaire, c'est-à-dire le référendum.

Pour ceux qui l'auraient oublié, je rappelle à mon tour que c'est en 1995 que le champ du référendum a été élargi au service public. M. Jacques Toubon, alors garde des sceaux, avait justifié cette modification de la Constitution devant le Sénat, le 24 juillet 1995. À ses yeux, il importait effectivement que le référendum puisse englober les instruments de mise en oeuvre de la politique économique et sociale que constituent les services publics.

Si cela n'est pas considéré comme un sujet de référendum, je ne sais vraiment pas ce qui pourrait l'être !

M. Toubon avait également indiqué : « Les priorités que le Président de la République a assignées au Gouvernement pour les années à venir sont économiques et sociales. L'extension du champ du référendum à ces matières doit permettre de conduire des politiques audacieuses et consensuelles. »

Aïe, aïe, aïe, messieurs les ministres ! À l'évidence, les politiques de privatisation entrent dans un tel cadre, et la demande de référendum que nous formulons aujourd'hui est donc pleinement fondée constitutionnellement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avant 1995, un référendum sur les questions économiques et sociales n'était pas possible. C'est désormais envisageable. Le Président de la République, qui a voulu la réforme, devrait se saisir de cette opportunité.

En plus d'être pleinement fondée, notre proposition met en lumière une promesse non tenue de M. Chirac - une de plus ! -, celle de consulter régulièrement le peuple sur les questions économiques et sociales. Aujourd'hui, nous demandons simplement que le Sénat mette en application une révision constitutionnelle votée il y a onze ans, sur la demande de M. Chirac, sans avoir jamais été appliquée depuis.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je le répète, si elle n'est pas appliquée pour l'énergie, elle ne le sera jamais !

Les signataires de cette motion référendaire et moi-même souhaitons placer ce débat fondamental entre les mains de nos concitoyens, entre les mains du peuple. Celle-ci prévoit la mise en oeuvre par le Parlement, sur son initiative, de l'article 11 de la Constitution, qui organise le référendum et dont je viens de mentionner la modification en 1995.

Pour mémoire, selon cet article, le recours au référendum est décidé par le chef de l'État, sur proposition conjointe des deux assemblées, publiée au Journal officiel. La motion, si le Sénat venait à l'adopter, devrait donc être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées.

La majorité sénatoriale a, par le passé, voté par trois fois une motion de ce type : le 5 juillet 1984, sur le projet de loi relatif à l'enseignement privé ; le 19 juin 1985, sur le projet de loi instituant la proportionnelle pour les élections législatives, et le 18 décembre 1997, sur le projet de loi relatif à la nationalité. Le 5 mars 2003, sur le projet de loi relatif à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen, la motion référendaire a été rejetée.

M. Gélard, pour défendre la motion de 1997, déclarait avec insistance : « Notre extrême timidité à l'égard du référendum législatif, contrairement à certains de nos voisins [...] semble démontrer une méfiance [...] à l'égard de la capacité de légiférer du peuple français. » Messieurs les ministres, mes chers collègues, quelle indignation sincère ! Serez-vous aussi timides aujourd'hui, alors qu'il s'agit de l'avenir de notre secteur énergétique, de notre indépendance et de notre sécurité ?

Le Sénat doit prendre cet après-midi une décision importante. Il en a les moyens. Certes, beaucoup dépendra de l'attitude des membres du groupe de l'Union centriste-UDF. Je fais donc appel à vous, chers collègues, puisque M. Bayrou s'est opposé à ce projet de loi et que le groupe Union pour la démocratie française a voté contre à l'Assemblée nationale.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sachez que nous serons attentifs à votre choix !

Le vote de cette motion référendaire permettra de mettre un terme à la précipitation actuelle et à la confusion ambiante. N'oublions pas que nous légiférons sans même connaître la réponse de la Commission européenne sur l'offre de fusion entre Suez et GDF.

Soumettre ce projet de loi au référendum doit permettre au peuple de décider de l'avenir énergétique du pays, en se substituant à un gouvernement et à une majorité qui ont pratiqué la dissimulation dans un seul but : satisfaire des intérêts privés, au détriment de l'intérêt général.

L'avis de la commission des affaires économiques du Sénat sur la motion référendaire est consternant. Selon elle, le texte est trop complexe et trop technique pour être soumis au référendum ! Oserez-vous défendre publiquement que le QI moyen du peuple français est inférieur à celui des parlementaires ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. - Mme Bariza Khiari applaudit également.) Permettez-moi de vous démentir sur ce point !

Vous aviez dit la même chose sur le traité constitutionnel européen. Le Président de la République a fait le choix d'un référendum. Et c'est bien parce que le peuple a bien perçu le contenu de ce texte qu'il l'a refusé !

Un sénateur UMP, dont je tairai le nom, a alors eu cette explication : « Les Français répondent toujours à côté de la plaque quand on leur propose un référendum ! » Je n'ose penser que la majorité des sénateurs puisse déclarer publiquement qu'ils sont pour l'abolition du suffrage universel ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Chirac, Président de la République, déclarait le 19 mai 2004, en conseil des ministres : « EDF et GDF sont des grands services publics. Elles le resteront, ce qui signifie qu'elles ne seront pas privatisées. » Que je sache, M. Chirac est toujours Président de la République !

Laissons le peuple confirmer de telles paroles, laissons le peuple défendre son bien contre les « affairistes », laissons le peuple sauver EDF et GDF ! (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. René Beaumont.

M. René Beaumont. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je ferai miens les arguments exposés par Ladislas Poniatowski au début de la discussion générale sur cette motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi relatif au secteur de l'énergie. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. C'est étonnant !

M. René Beaumont. Cela m'évitera beaucoup de redites. Nous sommes de ceux qui, de ce point de vue, sont dans la concision et dans la précision, et non dans la longueur et la répétition.

M. Daniel Raoul. Cela commence mal !

M. René Beaumont. Mon cher collègue, cela commence comme vous et vos amis avez commencé ! Cela continuera sans doute un peu de même, mais beaucoup plus rapidement, je vous le promets !

Le règlement de nos deux assemblées parlementaires donne à l'opposition de nombreux moyens pour manifester solennellement sa réprobation à l'égard d'une position de la majorité.

M. Jean Desessard. Vous en avez profité aussi !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous avez fait pire !

M. René Beaumont. Il s'agit de l'exception d'irrecevabilité, de la question préalable et de la motion tendant au renvoi à la commission.

Aujourd'hui, nous vivons un moment solennel, mais vous ne vous en êtes peut-être pas aperçus !

En effet, c'est la première fois qu'une telle disposition est utilisée au Parlement français, bien qu'elle ait été introduite il y a déjà bien longtemps. Si elle n'a pas été appliquée jusqu'à présent, c'est parce que, à mon sens, tous ceux qui ont peut-être été tentés de le faire se sont aperçus qu'elle était particulièrement délicate à manoeuvrer.

M. Jean Desessard. On peut vous l'expliquer !

M. René Beaumont. Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, qui vient de me précéder à cette tribune, a affirmé que cette motion référendaire était fondée. Pour ma part, je vais essayer, très respectueusement et très poliment, de lui démontrer que c'est tout le contraire et qu'elle pose en réalité une vraie difficulté technique.

Certes, je le reconnais moi-même bien volontiers, cette initiative est évidemment tout à fait compatible avec l'article 11 de notre règlement.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. De la Constitution !

M. René Beaumont. Effectivement, mon cher collègue. Je vous remercie de cette rectification, comme quoi les grands juristes sont toujours utiles dans cette assemblée, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent !

Aux termes de l'article 11 de la Constitution, le Président de la République, sur proposition conjointe - j'insiste sur ce terme - des deux assemblées, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent. Notre collègue Jean-Pierre Bel l'avait déjà souligné, mais je tenais à faire de même, pour que tout soit bien clair aux yeux de chacun.

Cela étant dit, cette motion nous place devant une impossibilité technique tout à fait évidente. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Mes chers collègues, je ne fais pas de politique,...

M. Michel Billout. Mais bien sûr...

M. René Beaumont. ...je relève tout simplement une impossibilité technique.

Ainsi, il faudrait bien sûr que l'Assemblée nationale adopte la motion dans les mêmes termes. Or, elle s'est déjà prononcée sur ce texte il y a quelques jours. Il serait donc surprenant qu'elle tranche différemment.

En définitive, si vous aviez vraiment voulu utiliser une telle disposition en toute légitimité, vous auriez dû déposer cette motion à l'Assemblée nationale juste au début de la discussion du texte.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si vous l'avez oublié, nous sommes des sénateurs !

M. René Beaumont. D'ailleurs, si la motion était adoptée, quel texte serait soumis au référendum ? Le projet de loi initial ? La petite loi issue des travaux de l'Assemblée nationale ? Celle que le Sénat va adopter ? Ou bien le texte adopté définitivement résultant des travaux de la commission mixte paritaire ?

Voilà, à l'évidence, une première impossibilité technique évidente. (Mais non ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Visiblement, c'est un point sur lequel vous n'aviez pas tout à fait réfléchi. (Exclamations sur les mêmes travées.)

M. Jean-Pierre Bel. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Beaumont ?

M. René Beaumont. Mon cher collègue, après avoir écouté les explications de Ladislas Poniatowski tout à l'heure, je serais tenté de faire comme lui, car chacun a le temps de s'exprimer. Mais, exceptionnellement, je veux bien accepter de vous laisser, très brièvement, la parole.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, avec l'autorisation de l'orateur.

M. Jean-Pierre Bel. Cher collègue Beaumont, vous tirez des conclusions hâtives par rapport à notre attitude dans cet hémicycle. Vous soulevez un prétendu problème, en affirmant que nous n'y avons pas réfléchi. Dans ces conditions, vous devez nous laisser la possibilité de vous présenter nos propres arguments.

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Beaumont.

M. René Beaumont. Monsieur Bel, j'ai simplement dit que, jusqu'à présent, je n'avais pas entendu de précisions de votre part sur ce point. Vous pourrez me répondre après, si du moins vous en avez l'autorisation. Pour l'instant c'est moi qui ai la parole, et moi seul. C'est tout ; c'est ainsi que cela se passe. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Daniel Raoul. « Il se la pète ! »

M. René Beaumont. Après l'impossibilité technique, je souhaite soulever une autre contradiction, tout aussi intéressante : c'est l'incohérence de votre position, et de la nôtre, d'ailleurs, face à ce texte.

M. René Beaumont. De ce point de vue, nous sommes à égalité.

Chers collègues de l'opposition, ce qui serait soumis au référendum, c'est bien la totalité du texte. J'ai bien compris que vous étiez notamment tout à fait opposés à l'article 10, c'est-à-dire à la diminution du capital de l'État dans Gaz de France -  et, à mes yeux, il ne s'agit pas d'une privatisation.

M. René Beaumont. C'est sur ce fondement que, en cas de référendum, vous voteriez « non ». Comme vous n'auriez droit qu'à une réponse, par voie de conséquence, vous diriez donc également « non » aux protections prévues dans ce texte en faveur des consommateurs, qu'il s'agisse des particuliers ou des industriels. Pire, vous diriez encore « non » à la création du tarif social pour la distribution du gaz.

Nous ne manquerons pas, de notre côté, d'utiliser politiquement vos contradictions, car votre attitude paraîtra alors pour le moins bizarre : même si vous n'avez pas le monopole du coeur, vous vous prétendez plus volontiers que d'autres porteurs de l'action sociale. Comment vous justifierez-vous d'avoir voté contre des dispositions qui sont, à l'évidence, très sociales ?

M. Jean-Marc Pastor. Revenez-en à la motion !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous prenez le peuple pour un idiot !

M. René Beaumont. Au 1er juillet de l'année prochaine, lorsque les contribuables constateront que vous avez voté contre le tarif social du gaz, quand les plus défavorisés d'entre eux s'apercevront qu'ils devront payer plein tarif, vous aurez beaucoup de difficultés à assumer vos choix !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quel niveau ! Quand le peuple refuse, il faut proposer autre chose !

M. Paul Blanc. Laissez parler l'orateur !

M. René Beaumont. Votre incohérence est tout à fait évidente. Nous le savons bien, pour qu'une motion référendaire soit recevable, il faut que les questions soulevées soient particulièrement simples et précises.

Monsieur Bel, je vous ai écouté avec attention tout à l'heure : vous avez affirmé qu'il y avait cinq raisons essentielles justifiant de soumettre ce texte au référendum et au choix du peuple français. En définitive, cela rejoint la démonstration que je suis en train de faire. Je n'ai pas voulu vous interrompre, bien sûr, mais avec un collègue, nous vous avons dit, à voix basse car nous ne voulions pas vous interrompre, que cela représenterait cinq référendums, car vous ne pouvez pas poser à la fois cinq questions au peuple. En effet, très peu de personnes sont susceptibles de donner une seule réponse à cinq questions.

C'est toute l'incohérence du référendum tel qu'il est proposé !

Mme Éliane Assassi. Le texte sur la Constitution européenne avait combien de pages ?

M. René Beaumont. Enfin, mes chers collègues, je ne résiste pas au plaisir de vous demander, comme Ladislas Poniatowski, mais en citant d'autres exemples, pourquoi vous n'avez pas organisé de référendum, alors que cette procédure existe depuis onze ans déjà, à l'occasion de l'ouverture du capital de France Télécom, en 1997, et de Thomson Multimédia, en 1998, à l'occasion de la privatisation du CIC, en 1998, de celle du groupe GAN, de la CNP, de la Société Marseillaise de Crédit, de RMC.

M. René Beaumont. Je citerai également, en 1999, la privatisation du Crédit Lyonnais, d'Aérospatiale Matra, l'ouverture du capital d'Air France et la poursuite de celle de France Télécom.

Pourquoi de même ne pas avoir organisé de référendum en 2000, pour la poursuite de l'ouverture du capital de Thomson Multimédia et l'ouverture de celui d'EADS, ...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous prenez les choses à la légère ! Nous parlons de nucléaire !

M. René Beaumont. ... en 2001, pour la privatisation de la Banque Hervet ou, en 2002, pour celle des Autoroutes du Sud de la France et du réseau de transport de Gaz du Sud-Ouest ?

Mme Nicole Bricq. Rien à voir !

M. René Beaumont. Vous aviez alors oublié d'organiser des référendums ! Si vous l'aviez fait, nous vous comprendrions sans doute mieux aujourd'hui.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est vrai, on aurait dû le faire !

Mme Annie David. Pourquoi ne nous l'avez-vous pas demandé ?

M. René Beaumont. Mes chers collègues, et je m'adresse à l'ensemble des sénateurs ici présents, cette motion représente à mon sens un acte de défiance à l'encontre de l'assemblée sénatoriale. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Jean-Pierre Bel s'exclament.)

Comment nous, sénateurs, pouvons-nous tolérer une telle motion, alors que l'Assemblée nationale a eu tout le temps de délibérer, tranquillement, longuement, en examinant de très nombreux amendements, ...

M. Thierry Breton, ministre. C'est vrai !

M. René Beaumont. ... peut-être même trop nombreux ?

M. Thierry Breton, ministre. C'est vous qui le dites ! (Sourires.)

M. René Beaumont. Aujourd'hui, à cause de cette motion, il faudrait d'un seul coup tout arrêter et priver le Sénat d'un vrai débat, débat auquel il a droit, car la Constitution a prévu qu'il puisse y participer. Il s'agit d'un acte de défiance, tout à fait déplacé, à l'encontre du Sénat lui-même.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à voter les conclusions de la commission tendant au rejet de cette motion. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)