M. Gérard Delfau. Très bien !

Mme Michèle André. L'objection selon laquelle cette mesure ne serait pas efficace ne nous semble pas pertinente, dans la mesure où il aurait suffi de quelques mois seulement pour le vérifier.

En second lieu, il n'est pas acceptable de mettre sur le même plan le regroupement familial et l'asile.

En confiant la tutelle de l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, et de la CRR, la Commission des recours des réfugiés, au ministère de l'immigration aux dépens du ministère des affaires étrangères, le projet de loi introduit une confusion entre le droit d'asile et l'immigration, et dénature le sens de la Convention de Genève, qui porte notre tradition et notre obligation de protection des réfugiés.

En outre, comme l'a indiqué le rapporteur, il est indispensable de donner à la CRR son autonomie et sa dimension juridictionnelle, en lui allouant des moyens propres, et ce dès 2008, j'y insiste. C'est possible quand je vois tout ce que certains veulent faire en trois mois, voire en quinze jours !

La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France, le 26 avril 2007, pour absence de recours suspensif contre le refus d'admission sur le territoire français des demandeurs d'asile. À la suite de cette condamnation, le Gouvernement veut réformer a minima. Nous souhaitons que le recours suspensif soit ouvert à l'ensemble des étrangers faisant l'objet d'un refus d'entrée, et non aux seuls demandeurs d'asile. Afin de garantir le respect des principes de recours effectif et de procès équitable, le délai de vingt-quatre heures doit être étendu, l'assistance d'un conseil doit être garantie et l'audience doit avoir lieu dans un tribunal administratif, et non pas en zone d'attente par le biais de la visioconférence, avec traduction.

L'article 20 du projet de loi, visant à autoriser la création de fichiers sur des critères ethniques, a été introduit par un amendement parlementaire. C'est la première fois qu'une telle possibilité est ouverte dans notre pays. J'ai bien entendu les arguments développés quant au sérieux de la CNIL, et je n'y reviendrai pas, mais je considère que l'on ne peut rien faire sans le consentement de la personne. Le groupe socialiste est opposé à cette mesure, qui crée un préalable dangereux et rompt avec la tradition républicaine de lutte contre le communautarisme.

Enfin, nous tenons à saluer la sagesse de la commission des lois du Sénat, qui s'est opposée à l'article 5 bis, tendant à autoriser l'utilisation de tests ADN pour prouver les liens de filiation des candidats au regroupement familial.

Monsieur le ministre, les oppositions à ce dispositif sont nombreuses. Entendez les protestations, qui se multiplient depuis quelques jours, de personnalités importantes et de l'ensemble des associations. Ne dénaturez pas, s'il vous plaît, la position du HCR, et ne traduisez pas dans une loi les dispositions que certains pays européens ont pu adopter en ce sens.

Cette mesure est contraire aux valeurs qui fondent notre République, car elle ignore que le lien de filiation ne se limite pas au lien biologique. Enfin, elle est en contradiction absolue avec les lois de bioéthique, qui sont un point d'équilibre optimal dans un domaine on ne peut plus sensible.

Sur le plan juridique, cette disposition heurte les principes de notre droit civil et du droit international privé ; elle inverse le principe de la force probante, et ce n'est pas l'introduction, ce matin, de l'amendement n° 203 de M. Hyest, qui n'a d'ailleurs pas été adopté par la commission des lois, visant à faire du test un mode de preuve du lien de filiation uniquement avec la mère de famille, qui peut nous convaincre.

Monsieur le ministre, vous avez donné beaucoup de votre temps pour défendre cet amendement parlementaire, ...

Mme Michèle André. ... mais peut-être aurions-nous préféré vous entendre parler de l'amendement n° 21, lui aussi parlementaire, car les associations qui jouent un rôle essentiel auprès des sans-papiers en leur apportant soutien, protection et parfois même nourriture - je veux notamment parler des Restos du Coeur et d'Emmaüs - sont aujourd'hui très inquiètes. Nous reviendrons sur cette question lors de l'examen des amendements.

Au-delà des différentes mesures prévues dans ce projet de loi, c'est l'état d'esprit dans lequel vous le présentez qui nous inquiète et trouble l'image de notre pays dans le monde.

Face à la défiance que vous entretenez à l'encontre des étrangers, il est bon de rappeler, comme le fera tout à l'heure Pierre-Yves Collombat, que l'immigration est une nécessité pour faire face à l'évolution de notre démographie. La mise en place d'une politique de l'immigration est donc indispensable, mais elle doit être juste, efficace et humaine.

Sans égard pour ces exigences, votre logique consiste à faire du chiffre à tout prix et à multiplier des lois toutes plus inefficaces les unes que les autres. Vous avez convoqué certains préfets, les accusant de ne pas avoir réalisé les chiffres prévus au titre des expulsions d'étrangers en situation irrégulière. Si vous avez atteint votre objectif en matière d'exposition médiatique, le procédé consistant à considérer comme des objets jetables des individus aussi respectables que tous les autres est inadmissible, car il ouvre la porte à de nombreux dérapages sur le terrain. Nous le constatons d'ores et déjà, certains magistrats et policiers s'en inquiètent. Vous entretenez un climat détestable qui place certaines personnes dans des situations dramatiques, voire fatales.

Par ailleurs, il ne faut pas laisser penser à l'opinion publique que ce texte va réduire le nombre de personnes en situation irrégulière. Les dispositions de ce projet de loi portent exclusivement sur l'immigration régulière, sur laquelle vous jetez la suspicion. Les mesures que vous proposez sont non seulement injustes, mais elles ouvrent également la voie à un renforcement de l'immigration illégale, que vous prétendez, par ailleurs, combattre.

Au travers de votre politique et de vos déclarations, vous portez atteinte à l'image de la France dans le monde.

Je suis, vous le savez, très engagée au sein de l'Assemblée parlementaire de la francophonie et, à ce titre, je travaille régulièrement hors de nos frontières.

Comme de nombreux parlementaires me l'avaient signalé, j'ai pu personnellement mesurer, lors de notre assemblée générale, à Rabat, en juillet 2006, l'ampleur du trouble suscité dans de nombreux pays, notamment en Afrique, par la loi de 2006.

Cette vague d'inquiétude et d'hostilité s'est encore aggravée après le discours à forte teneur culturaliste prononcé par le Président de la République, à Dakar, dans lequel il reproche à l'homme africain de n'être pas « assez entré dans l'histoire » et de ne s'être jamais élancé vers l'avenir. Dès lors, faut-il s'étonner que ces pays se tournent vers les États-Unis ou la Chine ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Alors que la France donne l'image d'un pays qui se referme sur lui-même, la Chine joue l'ouverture en finançant, nous le savons tous, les bâtiments du parlement mauritanien, du sénat gabonais ou encore le port de Nouakchott, par exemple. Enfin, les visas sont tellement difficiles à obtenir que même les élites se tournent vers d'autres pays. Catherine Tasca reviendra tout à l'heure sur ce sujet, mais je veux vous poser une question, monsieur le ministre : pourquoi certains pays sont-ils si réticents à reconnaître leurs ressortissants en cas de reconduite ? N'avez-vous pas pensé que c'est peut-être leur seule manière de lutter contre le rouleau compresseur que nous leur opposons ? Ne faudrait-il pas examiner cette question avec attention, et instaurer un dialogue d'égal à égal avec tous ces pays du Sud en développement ?

Il n'est plus pensable que chaque pays de l'Union européenne pratique sa propre politique ; nous devons examiner les problèmes ensemble. De vrais choix doivent être faits en matière d'immigration ; ils sont cités régulièrement, remettons-les sur la table. Ce n'est qu'au niveau européen qu'une véritable politique de l'immigration peut être efficace. Certes, l'Europe travaille déjà sur ces sujets, mais il est indispensable d'aller plus loin. Ne laissons pas croire à l'opinion que la solution est uniquement nationale. Sortons des faux-semblants médiatiques et de l'affichage politique pour traiter enfin cette question de l'immigration avec l'attention et le sérieux qu'elle mérite.

Monsieur le ministre de l'immigration, n'oubliez pas que vous avez également en charge le codéveloppement. Une politique de l'immigration ne peut être efficace à long terme que si les pays concernés obtiennent les moyens de se développer. La France doit agir, à sa place et compte tenu de son histoire, de façon exemplaire. Vous avez fait part de projets en la matière ; sachez que nous n'avons pas l'intention de nous contenter d'annonces, d'accords sur la dispense de visa pour les titulaires d'un passeport diplomatique ou d'autres coquilles vides.

Au lieu de mettre en place des tests ADN pour lutter contre la fraude, tests que vous voulez prendre en charge financièrement, il nous semblerait plus utile et plus juste d'aider les pays concernés à mettre en place un état civil.

Cela permettrait d'ailleurs à ces pays de dresser des listes électorales, seules à même de permettre des élections libres et transparentes. En effet, à l'occasion d'opérations électorales que nous sommes périodiquement appelés à observer, nous voyons bien que l'absence de résultats tient notamment à l'absence d'état civil.

Alors que le codéveloppement devrait être un préalable, vous préférez nous faire légiférer sur un texte répressif, que nous considérons inutile et contre-productif.

Je conclurai ce propos en citant l'intégralité d'une phrase de Michel Rocard : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part. ». Ce message équilibré reflète fidèlement les convictions qui nous animent, qui nous poussent à rejeter votre projet de loi au nom des valeurs de notre démocratie et afin d'affirmer encore avec fierté que la devise de la France est bien : « Liberté, Égalité, Fraternité. » ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.

M. Adrien Gouteyron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais m'exprimer en des termes aussi simples que possible non au nom de la commission des finances, à laquelle j'appartiens, mais parce que, au titre de cette appartenance, j'ai mené un certain nombre de missions.

M. Louis Mermaz. Très bien !

M. Adrien Gouteyron. Ce faisant, j'ai été amené à faire des constats qui, je crois, me permettent de prendre la parole dans ce débat en assez bonne connaissance de cause, même si personne ne détient la vérité totale sur un sujet extrêmement complexe dont il est difficile de saisir tous les tenants et les aboutissants.

Monsieur le ministre, j'ai été attentif aux conditions dans lesquelles l'administration met en oeuvre les orientations arrêtées par le Parlement en matière d'accueil des étrangers, tout d'abord en enquêtant sur l'OFPRA, puis, plus récemment, en examinant le travail de nos services des visas. De ces travaux, j'ai tiré un sentiment : la politique de l'immigration de notre pays a longtemps souffert de l'absence d'outils cohérents, absence qui l'a privée en tout ou partie de son efficacité.

J'ai acquis aussi une conviction, monsieur le ministre : la modernisation de cette politique nous impose de relever trois défis : créer une véritable administration de l'immigration, doter votre ministère d'un vrai budget et simplifier les formalités administratives qui constituent trop souvent un casse-tête pour les visiteurs étrangers.

Le premier défi, qui consiste à créer une véritable administration de l'immigration, est un chantier difficile que vous avez engagé dès votre arrivée ; je veux vous en donner acte. Avec votre portefeuille de ministre, vous avez hérité de services épars, aux cultures de travail différentes, parfois même antagonistes, aux relations souvent empreintes de méfiance, services qui doivent désormais faire preuve de plus de cohérence.

En matière de regroupement familial par exemple, j'ai été frappé de constater sur le terrain des divergences de vues entre les administrations qui travaillent sur le sol national et les consulats à l'étranger, plus concernés par la fraude à l'état civil.

M. Louis Mermaz. Très bien !

M. Adrien Gouteyron. Ainsi, au Congo-Brazzaville, j'ai relevé un nombre significatif de décisions favorables de regroupement familial qui avaient été notifiées aux demandeurs par les préfectures alors que le consulat avait, vérifications à l'appui, établi que les liens de filiation étaient faux. Que se passe-t-il en pareil cas ? Le consulat ne délivre pas, à juste titre, de visa, et il est dans son rôle. Mais que pensent alors ces demandeurs de regroupement familial de l'administration française ?

Le travail des administrations autour de l'immigration économique n'est pas plus satisfaisant. Il est frappant que nos entreprises implantées en Afrique ou en Asie aient autant de difficultés à faire venir leurs collaborateurs en détachement en France, alors qu'il s'agit d'employés qualifiés.

Dans le même temps, il apparaît plus simple à un ressortissant turc résidant en France de faire venir un membre de sa famille pour travailler dans son entreprise de bâtiment ou de restauration rapide, au motif que la maîtrise de la langue turque est un impératif et que cette compétence n'existe pas sur notre sol !

Ces deux exemples soulignent combien l'émergence d'une culture de travail commune aux administrations responsables de la gestion des flux migratoires doit être une priorité. Il n'y a qu'un seul État, porteur d'une seule politique cohérente de l'immigration. Pour cette raison, monsieur le ministre, et contrairement à certains collègues, je me félicite du transfert de la tutelle sur l'OFPRA du ministère des affaires étrangères à votre ministère, gage d'une tutelle utile, prenant au sérieux le travail des agents chargés d'examiner les demandes d'asile. C'est un travail ô combien éminent, ô combien difficile, mais qui, au quotidien, ne figurait malheureusement pas dans les « priorités nobles » de notre diplomatie.

J'en arrive au deuxième défi : une politique de l'immigration se construit avec un budget qui déploie les moyens en fonction des priorités.

Or, à l'automne, monsieur le ministre, le Parlement examinera un budget de l'immigration parcellaire, puisqu'il ne regroupera qu'une maigre partie des crédits consacrés à la politique de l'immigration. Ainsi, les services des visas et les services des étrangers des préfectures n'y figureront pas. Comment procéder à des redéploiements de moyens dans ces conditions ?

Dans mon rapport intitulé Trouver une issue au casse-tête des visas, j'indique que « le coût moyen de traitement d'une demande de visa est de 35 euros, tandis que le coût moyen d'une reconduite à la frontière atteint 1 800 euros. »

Voilà qui devrait nous inciter à investir plus de moyens au moment de l'entrée sur le territoire ; mais notre maquette budgétaire ne rend pas encore possible de tels arbitrages. Je sais que vous êtes sensible à cet état de fait, monsieur le ministre, et que vous ferez tout pour y remédier. Toutefois, je tenais à en parler à cette tribune.

J'en arrive au troisième et dernier défi : un vaste chantier de simplification des formalités administratives reste à engager.

Il s'agit là d'une exigence de service public. Les visiteurs étrangers ne comprennent pas les méandres administratifs des consulats et des préfectures. Comment imaginer développer une immigration économique de qualité si les travailleurs étrangers doivent accomplir, après le parcours du combattant de la demande de visa, le marathon de l'instruction du titre de séjour ?

Cette situation parfois ubuesque est née de la méfiance réciproque qu'entretiennent nos administrations. Tout se passe comme si ces dernières étaient incapables de se faire confiance et gardaient une possibilité de déjuger la décision des autres services. En matière d'immigration économique, il devient urgent, monsieur le ministre, d'adopter une logique de guichet unique et de créer ainsi un titre unique, c'est-à-dire un visa valant également carte de séjour.

C'est la voie qu'a suivie l'Assemblée nationale et que propose d'approfondir notre commission des lois. À titre expérimental, les visas de long séjour délivrés à des conjoints de Français vaudront en eux-mêmes titre de séjour. La commission des lois propose d'étendre cette expérimentation aux futurs titulaires de la carte « compétences et talents » ; je soutiendrai une telle initiative.

À l'avenir, nous pourrons sans doute aller encore plus loin, monsieur le ministre. Je me crois en droit de citer le cas des étudiants. Notre pays a intérêt à accueillir les étudiants étrangers (Mmes Nathalie Goulet et Bariza Khiari, M. Pierre-Yves Collombat applaudissent.), en particulier ceux qui sont déjà engagés dans des études ayant produit leurs fruits.

M. Adrien Gouteyron. Pourquoi ne pas créer aussi un titre unique valant à la fois visa et titre de séjour ?

Cette simplification des procédures en faveur d'un service public de l'immigration de qualité, plus proche des besoins des visiteurs étrangers, m'a conduit à réfléchir à deux dispositions.

La première, que je formule par le biais d'un amendement présenté avec plusieurs de mes collègues, vise à dispenser de contrat d'accueil et d'intégration, et de ses procédures, les étrangers détachés en France par leur entreprise, ainsi que les détenteurs des cartes « compétences et talents ».

Le contrat d'accueil et d'intégration est une véritable innovation, facteur d'une insertion plus facile dans notre société. Je propose de l'appliquer avec intelligence et souplesse. Lors d'une récente mission au Japon, j'ai rencontré un grand nombre de dirigeants japonais qui m'ont fait part de leur étonnement à l'idée que leurs cadres, détachés dans leurs filiales implantées en France - je pense notamment à la filiale de Toyota installée à Valenciennes -, soient soumis à un tel contrat et aux cours de langue collectifs qui s'y rapportent. L'amendement que je défendrai vise à remédier à une telle situation. J'espère, tout comme mes collègues qui l'ont cosigné, être suivi par le Sénat.

La seconde disposition qui est présentée dans mon rapport sur les visas et qui a donné lieu à nombre de débats vise à autoriser les demandeurs de regroupement familial qui se trouveraient dans l'incapacité de conforter leur demande par un document d'état civil fiable à appuyer cette dernière par des pièces complémentaires.

La première mesure que j'ai proposée et que j'ai entendu suggérer sur toutes les travées me paraît de bon sens. Elle consiste à développer une vigoureuse politique de coopération avec les services d'état civil des pays les plus pauvres. C'est nécessaire, mais c'est une oeuvre de longue haleine qui ne s'accomplira pas par un coup de baguette magique ! S'agissant des personnes qui souhaitent faire venir leurs enfants afin de mener avec eux une vie normale dans notre pays, mais qui ne peuvent prouver leurs liens familiaux - ce sont des cas concrets qui se posent aujourd'hui -, j'ai évoqué dans mon rapport la piste allemande des recherches de filiation menées par des avocats assermentés, la voie américaine du recours aux services d'un auxiliaire de justice qui se rend dans les mairies pour constater de visu les actes d'état civil, ce que nos agents ne peuvent pas toujours faire, et les fameux tests ADN qui sont pratiqués sans drame dans de grandes démocraties européennes.

Je tiens à dire à mon tour ici que ces tests ne peuvent avoir d'autre objet que de faciliter le regroupement familial et d'accélérer les procédures. Il est insupportable de constater sur place que des familles ne peuvent pas se regrouper. Pour ma part, je voterai l'amendement que présentera sur ce sujet Jean-Jacques Hyest. Je le voterai avec conviction, car je ne supporte par ces situations. Je sais bien que moult précautions sont nécessaires. Le Gouvernement a commencé à en prendre en sous-amendant de manière substantielle l'amendement d'origine parlementaire déposé à l'Assemblée nationale. J'ai compris que le président de la commission des lois fera une proposition et j'en ai saisi la teneur.

Monsieur le ministre, vous avez aussi exprimé votre ferme volonté d'éviter toute dérive, tout dérapage, et de prendre toutes les précautions nécessaires pour que le texte que nous voterons soit conforme à l'idée que nous nous faisons de l'éthique républicaine.

Chers collègues, chers amis, je ne supporte vraiment pas les jugements hâtifs, ni les procès d'intention. Je ne supporte pas non plus que l'on nous menace du bûcher. Mais je suis vraiment persuadé que ne siègent dans cet hémicycle que des parlementaires de bonne foi. Certes, nous n'avons pas tous la même opinion, et c'est bien le rôle du Parlement de débattre, mais sans faire de procès d'intention. Il n'y a ici que des parlementaires qui veulent doter notre pays d'une politique d'immigration digne de la France et permettre aux étrangers le souhaitant de regrouper les membres de leur famille sans attendre des années, comme cela arrive parfois, hélas !

En témoigne ce que j'ai lu dans un certain nombre de journaux qui ne passent pas pour être favorables au texte que nous allons voter. C'est ainsi qu'un grand journal du soir décrit des situations qui, je crois, suffisent à étayer ma démonstration. Dans le journal Jeune Afrique, j'ai aussi lu, à propos des tests ADN dont nous allons débattre, des jugements qui sont bien loin des déclarations que l'on entend dans cette assemblée.

M. Brice Hortefeux, ministre. Absolument !

M. Adrien Gouteyron. Voilà, mes chers collègues, ce que je tenais à dire.

Monsieur le ministre, ce projet de loi mérite de la lucidité et, tous, nous en ferons preuve. Il mérite aussi de la passion, car le sujet qui est abordé et dont nous débattons est un sujet noble parmi les plus nobles. Le Sénat de la République s'honorera en en débattant sérieusement ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.

M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour une fois, l'opinion publique a les yeux tournés vers le Sénat. Nos concitoyens attendent de la Haute Assemblée qu'elle corrige, dans sa sagesse, les errements conjugués du Président de la République et d'une majorité de députés trop dociles aux directives d'un exécutif envahissant.

Le premier enjeu de ce débat sur l'immigration est donc l'équilibre des pouvoirs et le rôle du Sénat au sein du Parlement. À l'ère de la présidence Sarkozy, peut-il exister encore une forme, même atténuée, de démocratie parlementaire ? Si oui, quel est alors le rôle du Sénat ? Au fond, ce début de session ordinaire va servir de travaux pratiques aux membres de la commission Balladur, pour mener à bien leurs réflexions sur le devenir de nos institutions.

Il est temps en effet de rappeler cette évidence inscrite dans notre histoire depuis Montesquieu : pas de démocratie sans contre-pouvoir. Le Sénat s'honore d'être, depuis ses origines, l'un de ces lieux d'exercice du nécessaire équilibre des institutions.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Gérard Delfau. À l'heure où d'aucuns veulent le faire taire, l'occasion nous est collectivement donnée, mes chers collègues, d'affirmer calmement son existence et son utilité.

Venons-en au texte et voyons comment nous pouvons y imprimer notre marque, à défaut de le renvoyer aux oubliettes, ce qui serait à mes yeux le plus raisonnable. Observons que la dernière loi sur l'immigration datait d'un an et que ses décrets d'application n'étaient pas tous parus quand fut présenté au conseil des ministres, le 4 juillet 2007, ce nouveau projet de loi. Rappelons qu'une loi antérieure, qui avait pour objet de mettre fin à « l'incapacité de l'État à maîtriser les flux migratoires », avait été promulguée le 26 novembre 2003.

Résumons : loi « Sarkozy I », en 2003, loi « Sarkozy II », en 2006, loi « Sarkozy III », en 2007, et j'en oublie sans doute ! Quelle débauche de textes et quel aveu d'impuissance pour celui qui se veut le grand réformateur ! À moins qu'il ne s'agisse d'une « gesticulation législative » destinée à détourner l'attention des vrais problèmes de la France, rongée par la dette et en proie aux inégalités.

C'est la vieille tactique du bouc émissaire et de la peur de l'étranger, l'inverse de la tradition française depuis 1789... Non pas que l'immigration clandestine ne soit pas un problème pour notre pays, au même titre d'ailleurs que pour toutes les nations développées du monde. Mais pourquoi ne pas la traiter rationnellement, efficacement, humainement, en dehors des surenchères politiciennes qui aggravent le mal au lieu de le guérir ?

Heureusement, la commission des lois de la Haute Assemblée a eu la sagesse d'adopter, la semaine dernière, des amendements visant à corriger les outrances de ce texte et à atténuer les mesures discriminatoires, à la limite parfois de la xénophobie. Qu'il s'agisse des conditions du regroupement familial, de l'obtention d'un titre de visa de long séjour pour les conjoints de Français ou du droit d'asile, je suivrai ces recommandations, et je souhaite que le Sénat tout entier adopte cette position.

Il y a, bien sûr, un sujet sur lequel l'opinion publique, et pas seulement en France, nous attend : c'est l'instauration de tests ADN pour confirmer la paternité ou la maternité biologique des candidats au regroupement familial. Cette malheureuse décision de nos collègues de la majorité de l'Assemblée nationale - peut-être suggérée par l'Élysée - a suscité une telle réprobation dans le pays et au sein même du Sénat que la commission des lois a adopté un amendement de suppression de cette disposition. Celui-ci a toutes chances d'être adopté en séance publique.

C'est ce que demandent en tout cas les plus hautes autorités philosophiques, morales et religieuses du pays, de même que d'éminents scientifiques, tel le professeur Axel Kahn, ou d'autres personnalités, tel le président Abdoulaye Wade, au nom du Sénégal. Un trouble profond a gagné l'opinion publique. Ce débat est pour nous l'heure de vérité ; il nous permettra de mettre devant leurs responsabilités les représentants de l'Assemblée nationale, lors de la réunion de la commission mixte paritaire. Le Sénat ne peut laisser passer cette chance d'affirmer son attachement aux droits de l'homme et de prouver qu'il est le contrepoids nécessaire à l'excessive et dangereuse concentration des pouvoirs.

Ce faisant, nous aurons évité le pire, mais nous n'aurons pas avancé d'un pouce sur les vrais dossiers : comment démanteler à l'échelle de l'Europe, et non pas de la France, les réseaux d'immigration clandestine ? Comment tarir la source des flux de migrants en mettant en place un véritable codéveloppement, notamment en Afrique ? Jacques Pelletier, le regretté président de notre groupe, rappelait à chaque occasion que c'était là la clé d'une maîtrise de l'immigration. Sa voix nous manque cruellement aujourd'hui, et pas seulement au Rassemblement démocratique et social européen !

C'est dans cet état d'esprit d'ouverture, mais aussi de fidélité aux grands principes qu'il a si bien incarnés, que j'aborderai ce difficile débat. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi présente diverses mesures visant à mieux encadrer l'immigration dite familiale et à faciliter l'intégration des nouveaux arrivants dans notre pays.

Si certaines dispositions nous semblent aller dans le bon sens, d'autres suscitent de notre part réserve, voire inquiétude.

Ainsi, je souhaite souligner l'aspect positif de la signature du contrat d'accueil et d'intégration, aussi bien par le parent déjà présent sur le territoire français que par celui qui y est entré par le biais du regroupement familial.

À cette tribune, lors de l'examen du précédent projet de loi sur ce même sujet, j'indiquais déjà combien il s'avérait important que les femmes étrangères soient elles-mêmes signataires dudit contrat.

Il est en effet essentiel que les deux époux et parents, au travers de la formation qui leur sera dispensée dans ce cadre contractuel, intègrent, selon les termes mêmes du Conseil constitutionnel, les principes républicains suivants : « monogamie, égalité de l'homme et de la femme, respect de l'intégrité physique des enfants et des adolescents, respect de la liberté du mariage, assiduité scolaire [...] ».

J'ai également noté l'adoption de deux dispositions protectrices des femmes étrangères victimes de violences conjugales et séparées de leur conjoint. Il s'agit de l'obtention ou du renouvellement de leur carte de séjour temporaire.

J'apprécie aussi à leur juste valeur les dispositions relatives à l'apprentissage de notre langue et de notre culture par tout ressortissant étranger.

Toutefois, nous attendons du projet de loi plus de précisions sur les modalités de mise en oeuvre de la formation dispensée. Quels organismes assureront l'évaluation et la formation des prétendants ? Quels sont les moyens humains et matériels prévus à cet effet ? Qui en supportera le coût ?

Certaines dispositions liées aux conditions de ressources imposées aux demandeurs du regroupement familial posent également question.

Suivant ainsi les recommandations formulées par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, en décembre 2006, le projet de loi n'exige aucun plancher de ressources pour les personnes titulaires de l'allocation aux adultes handicapés ou de l'allocation d'invalidité.

Toutefois, cette disposition ne s'applique qu'à un nombre restreint de personnes handicapées, le bénéfice des allocations susvisées étant soumis à des conditions restrictives. Elle exclut surtout les ressortissants étrangers malades ou invalides aux faibles ressources. En l'état actuel du texte, ces personnes ne pourront être rejointes par certains de leurs proches.

Les associations d'aide aux malades et aux personnes handicapées, ainsi que la Commission nationale consultative des droits de l'homme, s'en émeuvent fortement.

Il en est de même de la situation des ressortissants étrangers retraités ayant des revenus inférieurs au SMIC. Lors des débats à l'Assemblée nationale, vous avez refusé, monsieur le ministre, de prendre en compte le cas de ces derniers, au motif que la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale a créé une « aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine ».

Mme Bariza Khiari. Il n'y a pas de décret !

Mme Muguette Dini. Cependant, les contours du dispositif restent flous, le décret s'y rapportant n'étant pas paru.

Pour conclure sur ce point, nous ne pouvons nous contenter d'un texte éloigné de situations réelles souvent difficiles. Nous devons nous efforcer de prendre en considération les nombreux cas concrets au sujet desquels les acteurs de terrain nous interpellent.

Par ailleurs, le groupe de l'UC-UDF a déposé des amendements de suppression du dernier alinéa des articles 4 et 9 ter.

L'article 4 vise à abroger la disposition permettant aux conjoints étrangers de Français arrivés régulièrement en France de déroger à l'obligation de retourner dans leur pays d'origine pour obtenir le visa de long séjour nécessaire à la délivrance de leur titre de séjour de longue durée.

Cette exception fut adoptée à l'unanimité, moins une abstention, par le Sénat, lors de la discussion du précédent projet de loi sur ce sujet. Notre assemblée avait en effet jugé que cette obligation constituait une atteinte disproportionnée au droit, pour nos concitoyens concernés, de mener une vie conjugale et familiale normale.

L'article 9 ter du projet de loi, quant à lui, tend à réduire d'un mois à quinze jours le délai de recours contre les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, devant la Commission des recours des réfugiés. Là encore, le délai d'un mois résulte d'une proposition de la commission des lois adoptée par le Sénat en juin 2006.

Toutes les associations d'aide aux réfugiés soulignent que, devant la Commission des recours des réfugiés, les requérants sont tenus de présenter un recours motivé, reprenant la totalité des raisons de leur demande d'asile et contestant les motifs de rejet de l'OFPRA. Par conséquent, pour sauvegarder l'effectivité du droit de recours des demandeurs d'asile, ledit délai doit demeurer d'un mois.

Avant de conclure, je souhaite m'attarder sur la situation des étrangers qui ont acquis la qualité de réfugiés.

De par leur statut, ces étrangers bénéficient de mesures particulières d'hébergement et d'un accompagnement de trois mois en centre d'accueil pour demandeurs d'asile, afin d'assurer leur intégration. Ils signent le contrat d'accueil et d'intégration et bénéficient des prestations qui y sont attachées.

L'expérience montre que ce suivi est trop court et les prestations du contrat d'accueil et d'intégration insuffisantes pour un accès rapide à l'emploi et au logement.

Ces constats ressortent d'une expérience menée dans le département du Rhône - vous y avez fait allusion, monsieur le ministre -, ...