M. Brice Hortefeux, ministre. Il y a des cours d'anglais à Paris !

Mme Alima Boumediene-Thiery. C'est la confrontation quotidienne à la langue française qui permet aux individus de la maîtriser, et non pas un stage de deux mois en territoire étranger !

Sur ce point, ce projet de loi instituera un système de délivrance d'autorisations de regroupement familial discriminant. En effet, seuls les ressortissants étrangers ayant un certain niveau de vie ou ayant suivi des études dans des écoles dispensant des cours de français ou ayant des parents parlant le français seront éligibles au regroupement familial.

Vous éliminez les ruraux, qui n'ont pas la chance d'accéder à ces écoles situées souvent dans les grandes villes.

Plus grave encore, certaines personnes ne pourront pas suivre la formation qui leur sera imposée : ceux dont le domicile est éloigné du lieu de formation ou ceux qui n'ont pas les moyens de se rendre dans une autre ville pour suivre cette formation.

Elles ne pourront pas obtenir l'attestation de suivi de la formation et seront donc exclues du dispositif en raison de leurs ressources financières.

Ce dispositif est non seulement irréaliste, mais également discriminant. Il risque d'exclure du bénéfice du regroupement familial un grand nombre d'individus, notamment les familles les plus pauvres.

De fait, le regroupement familial leur sera refusé en raison non plus des capacités financières de l'accueillant, mais de leurs ressources financières propres, ressources insuffisantes pour leur permettre de suivre cette formation.

Par ailleurs, il est étonnant que le Gouvernement veuille renforcer un dispositif déjà existant.

En effet, depuis la loi du 18 janvier 2005 et sa généralisation par la loi du 24 juillet 2006, les bénéficiaires du regroupement familial doivent conclure un contrat d'accueil et d'intégration.

Par ce contrat, les personnes âgées de plus de seize ans s'engagent à suivre une formation civique et linguistique. Pourquoi dans ce cas instituer un nouveau dispositif ?

Le Gouvernement, en créant ce doublon, alourdit encore plus la procédure de regroupement familial. Cette fois, il met en place des obstacles extraterritoriaux avant même l'entrée en France des ressortissants étrangers.

Un autre exemple édifiant de votre volonté de détruire le droit de mener une vie familiale normale, monsieur le ministre, est l'exigence d'un seuil de ressources supérieur au SMIC pour les familles étrangères.

Depuis la loi de 2003 sur l'immigration, toute personne souhaitant faire venir sa famille en France par le biais du regroupement familial doit justifier d'un revenu égal au SMIC.

Or l'article 2 du projet de loi vise à augmenter le seuil des ressources en exigeant du demandeur 1,33 fois le SMIC selon la taille de la famille.

Cette disposition crée une discrimination entre les familles étrangères et les familles françaises dans la mesure où le revenu minimum en France s'établit au SMIC. Pourquoi exiger d'une famille étrangère un super-SMIC ? Si un SMIC permet à une famille française de vivre convenablement, pourquoi n'en serait-il pas de même pour une famille étrangère ? Pourquoi voulez-vous précariser encore davantage cette dernière ? Là encore, il s'agit d'exclure les plus précaires et les plus pauvres !

Je me permets de citer les propos du président de la commission des lois, M. Hyest, dans ce même hémicycle, en 2006 : « il n'y a pas lieu d'établir de distinction, s'agissant des ressources, entre la situation des familles étrangères et celles des familles françaises. Par conséquent, s'il est considéré qu'un revenu égal au SMIC permet à une famille française de vivre dans des conditions acceptables, il en va de même pour une famille étrangère ».

À deux reprises, le Sénat a rejeté une telle disposition dans le cadre de la réforme du regroupement familial.

De nouveau, nous ferons en sorte que ce projet de loi prenne un visage humain.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré à la presse, et je le regrette : « Je fais confiance au Sénat pour qu'il adopte le projet in fine. ». Mais vous avez précisé que « c'est l'Assemblée nationale qui a le dernier mot ».

M. Jean-Patrick Courtois. C'est la Constitution !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vos amis veulent supprimer le Sénat !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Ces propos frisent le non-respect de la souveraineté parlementaire ! J'espère que, dans cet hémicycle, vous n'aurez pas le dernier mot !

Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur notre sagesse pour exclure de ce projet de loi toutes les dispositions liberticides et discriminatoires qu'il contient.

Je suis convaincue que mes collègues sénatrices et sénateurs n'accepteront pas de voir l'image du Sénat associée à des propositions aussi scandaleuses que ce test ADN ...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah non, arrêtez !

Mme Alima Boumediene-Thiery. ... ou ce visa pour les conjoints de Français qui serait notre honte nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis quatre ans, les lois se succèdent pour modifier en profondeur le droit de l'immigration : quatre ont été adoptées en quatre ans avant celle qui nous est proposée aujourd'hui.

Ces lois sont autant de remises en cause de la politique d'immigration conduite depuis plusieurs décennies, à laquelle il est reproché de ne pas avoir réussi l'intégration économique, sociale, culturelle, d'une bonne partie des populations qui ont rallié la France par vagues successives.

Si, pour la plupart, l'intégration a été réussie, elle n'a cependant pas été complète Si l'immigration doit être régulée, il ne faut pas en faire la source de tous les maux - délinquance, chômage, perte d'identité - qui mineraient le pays, alors que la France a été de tout temps un pays d'accueil.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Hugues Portelli. Le projet de loi qui nous est proposé évite ces écueils. Il tente de consolider le tournant pris par la France, celui d'une immigration contrôlée, qui intègre au lieu de marginaliser, qui profite à l'économie plutôt qu'à l'assistanat, qui facilite le codéveloppement plutôt que la fuite du travail qualifié.

Sur tous ces objectifs, comment ne pas être d'accord ? Toutes les dispositions que contient ce texte en vue d'atteindre ces objectifs ne peuvent que rencontrer notre assentiment.

Pour autant, et la commission des lois l'a relevé à juste titre, la médaille a son revers.

Tout d'abord, on constate que l'immigration est diverse. On ne peut pas comparer l'immigration en provenance des pays du Sud - Afrique, Maghreb - et celle qui est issue d'Europe de l'Est ou d'Asie, régions dont le niveau de vie, l'organisation sociale et familiale et le système de croyances sont profondément différents. Vouloir imposer un parcours unique à des réalités humaines si différentes peut conduire à des erreurs et à des injustices.

Les migrants sont d'abord des êtres humains ; ils ont donc droit au respect de leur identité et de leur culture autant qu'ils doivent respecter l'identité et la culture du pays qu'ils veulent rejoindre. À l'époque de la mondialisation, où tout homme, toute femme est citoyen du monde, cette égalité de droits et de devoirs, fondée sur l'universelle dignité de la personne humaine, est l'aune à laquelle nous devons mesurer le bien-fondé de toute disposition réglementant l'accueil, le séjour, l'établissement des migrants.

Autrement dit, le droit de l'immigration, notamment le droit d'asile, n'est pas simplement économique, administratif ou pénal. C'est aussi un droit qui s'enracine dans une éthique universelle dont nous sommes les tenants depuis des siècles, qui intègre les droits fondamentaux de la personne, de la famille, de la solidarité. C'est un droit international et d'abord européen, car, face à ces mouvements migratoires à caractère planétaire, il est illusoire de penser régler le problème seul et unilatéralement.

Avant d'aborder le fond du sujet, je voudrais d'abord soulever deux questions de méthode.

Le fait que le droit de l'immigration soit élaboré par une succession de lois partielles crée une surenchère particulièrement dangereuse sur un sujet difficile, qui favorise l'apparition de dispositions comme celles qui ont été adoptées à l'Assemblée nationale. Pourquoi ne pas s'en être tenu à l'esprit du texte du Gouvernement ? Le moins que l'on puisse dire est que le travail de l'Assemblée nationale ne l'a pas enrichi.

M. Gérard Delfau. C'est sûr !

M. Hugues Portelli. Nous devons avoir le courage de résister à cette tendance et de légiférer d'autant plus sereinement que l'urgence empêchera le dialogue normal entre les chambres dans un système bicaméral.

Par ailleurs, le souci permanent du législateur devrait être d'élaborer des lois qui soient applicables. À quoi sert-il de voter des dispositions dont on sait à l'avance qu'elles se heurteront à des obstacles juridiques, administratifs ou culturels ? Nous devons nous mettre à la place du pays d'origine, tenir compte de ses moeurs, des pratiques familiales et culturelles de ses ressortissants avant de concevoir des procédures complexes qui ne pourront être mises en oeuvre faute de moyens ou de traditions culturelles adaptées.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Hugues Portelli. Sur le fond, je partage le jugement positif de la commission des lois sur l'ensemble du dispositif et sur son esprit. Quant à certaines dispositions de ce texte qui soulèvent des problèmes sérieux, j'approuve les corrections proposées par notre commission.

Le premier problème concerne les ressources exigées pour le regroupement familial. La commission prévoit de revenir au projet de loi initial en fixant un plafond de 1,2 fois le SMIC. Aller au-delà créerait une discrimination entre Français et étrangers, notamment dans le calcul de ce que nous appelons le « reste à vivre ».

Le deuxième problème concerne les conditions de formation linguistique exigées du conjoint étranger en cas de mariage mixte, prévues par l'article 4 du projet de loi. La commission des lois a rejeté à l'unanimité cette disposition discriminatoire qui se heurterait à des problèmes pratiques considérables.

Le troisième problème concerne les délais de recours ouverts aux étrangers. La commission a simplement demandé le maintien du droit en vigueur : un mois et non quinze jours devant la commission de recours des réfugiés et quarante-huit heures au lieu de vingt-quatre heures pour la contestation du refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile. Réduire de moitié ces délais aboutirait en fait à rendre le recours pratiquement impossible, et contreviendrait - cela nous vaudrait d'ailleurs d'être sanctionnés - à la Convention européenne des droits de l'homme, qui impose un droit au recours effectif dans son article 13.

Le quatrième problème concerne la possibilité de procéder à la vérification de l'identité du demandeur de visa par le moyen de tests génétiques.

L'introduction de la possibilité de recourir aux tests ADN va tout d'abord à l'encontre des dispositions de la loi sur la bioéthique du 29 juillet 1994, codifiée notamment aux articles 16-10 et 16-11 du code civil.

En effet, l'article 16-10 cantonne l'examen des caractéristiques génétiques aux seules fins médicales ou de recherche scientifique. L'article 16-11, quant à lui, dispose que cet examen est également possible dans le cadre de mesures d'enquête ou d'instruction diligentée lors d'une procédure judiciaire, auquel cas « l'identification par empreintes génétiques ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lieu de filiation... »

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà !

M. Hugues Portelli. Par ailleurs, le caractère probant de ce type de moyen peut poser problème, le prélèvement ADN étant considéré plus souvent comme un élément de preuve qu'une preuve à part entière.

De surcroît, prouver son lien de filiation par ce type de test revient à cantonner la famille à sa définition biologique. Or la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, en application de l'article 8, alinéa 1, de la Convention, offre une définition élargie de la famille : la vie familiale doit être « préexistante et effective », caractérisée par des « relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres », ces relations pouvant prendre la forme « d'une vie en commun, d'une dépendance financière, d'un droit de visite exercé régulièrement » ou encore « de relations continuelles entre un père et ses enfants », même illégitimes.

Cette jurisprudence converge avec le droit français de la filiation, qu'il soit celui de la loi ou du juge administratif ou constitutionnel.

Enfin, et plus fondamentalement, le dispositif de recours aux tests ADN paraît discriminatoire dans la mesure où il s'applique uniquement à l'égard des étrangers qui souhaitent prouver leur lien de filiation dans le cadre du regroupement familial.

Est également discriminatoire la limitation du dispositif à « certains États » sources d'immigration.

Surtout, le droit français de la filiation reconnaît, faute d'état civil probant, la possession d'état comme mode d'établissement de la filiation.

Rappelons que, pour être constituée, la possession d'état doit comporter le traitement de l'enfant comme tel par ses parents présumés, l'apparence de la filiation dans la famille et dans la société et le fait de porter le nom de ses parents. La possession d'état se prouve par tout moyen ; elle doit être « continue », c'est-à-dire avoir une certaine permanence ; elle doit être « paisible, publique et non équivoque », selon les termes de l'article 311-1 du code civil, dans sa dernière rédaction de 2005.

Il paraît difficile d'introduire de manière discriminatoire le recours éventuel à des tests génétiques pour des ressortissants étrangers alors que ce moyen de preuve n'est autorisé que dans le cadre de procédures judiciaires ou de recherches médicales sur le territoire de la République française.

Dans le nouveau dispositif proposé, ce recours se fait sur la base du volontariat. Mais ce critère est-il effectif, sachant que, devant le refus de recourir au test ADN, l'administration pourrait être amenée à supposer que l'étranger ne présente pas une situation régulière et, par conséquent, décider de refuser le visa ?

De même, si l'État rembourse les frais avancés par la personne demanderesse, cela ne résout pas le problème de l'avancement du prix du test ADN, qui s'élève à 300 euros par personne en moyenne, car certaines familles ne peuvent débourser une telle somme. Les dépenses engendrées par ce type de procédure risquent de coûter cher à l'État, pour un effet plus que relatif, tout autant que les frais d'avocat qui seraient engendrés par la saisine du président du tribunal de grande instance de Nantes.

M. Hugues Portelli. Enfin, prévoir l'avis du Comité national d'éthique sur le décret d'application est d'autant plus surprenant que c'est sur le projet de loi lui-même que cette instance aurait dû être consultée.

MM. Thierry Repentin et Gérard Delfau. Eh oui !

M. Hugues Portelli. Il me paraît donc plus sage, ainsi que la commission des lois le suggère, de renoncer à cette procédure et d'appliquer aux demandeurs de visa les dispositions du droit commun de la filiation en France. (Mme Gisèle Printz et M. Gérard Delfau applaudissent.)

En conclusion, l'adoption d'une telle loi aura des effets évidents sur les États européens, où la politique de l'immigration et de l'asile fait également débat.

Il serait souhaitable que les États de l'Union européenne définissent ensemble une politique et un droit en la matière.

M. Gérard Delfau. Tout à fait !

M. Hugues Portelli. D'ici là, chaque mesure unilatérale d'un État, et notamment d'un grand État, sera prise en considération par les autres.

Il est tout à fait inexact de dire que plusieurs États ont déjà légiféré en la matière. En fait, seul le Royaume-Uni, dont on sait qu'il fait bande à part sur presque tous les sujets, s'est doté d'une réglementation incluant un recours aux tests ADN d'autant plus prévisible qu'il n'a pas de pratique enracinée des documents d'identité. Quant aux autres, leur recours à ces tests est soit très marginal, comme en Allemagne, soit inexistant, comme en Italie.

La France n'a donc pas à donner le mauvais exemple ; elle doit montrer au contraire que la politique d'immigration choisie est parfaitement compatible avec les principes d'un État de droit républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.

M. Christian Demuynck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui occupe nos débats constitue une réponse équilibrée au glissement continu qu'a subi la politique de l'immigration en France au cours des trente dernières années.

Passant d'une immigration de travail à une immigration familiale, notre pays s'est détourné de sa vocation historique d'accueil.

S'il était besoin de s'en convaincre, les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 2005, 94 500 premiers titres de séjour ont été délivrés sur le compte de l'immigration familiale tandis que l'immigration économique n'en représentait que 13 650, soit 7 % des entrées légales sur le territoire national.

Inexorablement, ce délitement engendre des conditions d'hébergement et de vie qui sont indignes de la France et parfois désastreuses. Le drame de l'incendie d'un hôtel insalubre dans le IXe arrondissement de Paris, en avril 2005, reste gravé dans nos mémoires et nous rappelle constamment nos obligations.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L'insalubrité a bon dos !

M. Christian Demuynck. Par ailleurs, 60 % de la population immigrée se concentrent sur trois régions - Île-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur -, ce qui décuple les difficultés et cristallise les tensions sur des territoires toujours plus enclavés. Cette réalité est l'aveu d'un échec de notre politique d'intégration.

Comment peut-on concevoir une telle concentration ? Comment, dans ces circonstances, éviter la ghettoïsation d'une grande partie de la population émigrée ? Cet aveu d'impuissance se double d'un taux de chômage exponentiel qui frappe 20 % des étrangers, soit le double de la moyenne nationale. Dans mon département, la Seine-Saint-Denis, certains secteurs enregistrent un taux de chômage avoisinant 40 %.

Mme Éliane Assassi. Et c'est la faute de l'immigration !

M. Christian Demuynck. Notre modèle d'intégration est à bout de souffle.

Les 96 500 logements sociaux construits chaque année sur l'initiative de Jean-Louis Borloo font certes figure de référence au regard des 52 000 constructions de la période Jospin mais ne parviennent pas à contenir l'ampleur de la demande.

Rien qu'à Paris, 45 millions d'euros sont dépensés tous les ans dans l'hébergement d'urgence des populations étrangères, sans pour autant affecter les recettes crapuleuses des marchands de sommeil. La situation est devenue totalement intenable !

Par votre projet, monsieur le ministre, vous entendez reprendre les choses en main.

En effet, votre texte marque un renversement salutaire dans les conditions de la venue d'étrangers sur le sol national. La situation actuelle revient trop souvent à mettre devant le fait accompli les autorités françaises, démunies face aux difficultés d'intégration.

Ce projet anticipe, dès le pays d'immigration, les démarches d'intégration par une meilleure répartition des responsabilités entre les autorités consulaires ou diplomatiques et les structures d'accueil en France.

Par ailleurs, l'esprit général du dispositif s'inscrit dans la nécessité fondamentale de maîtriser les flux migratoires tant pour notre pays que pour les pays d'émigration qui craignent de voir partir leurs élites.

Nos concitoyens l'ont bien compris, et l'élection de Nicolas Sarkozy en est la plus claire affirmation. Gardons à l'esprit le fait que la moitié de la population africaine est âgée de moins de dix-sept ans. Le moindre signal d'ouverture aurait des conséquences désastreuses.

Partant de ce constat, la France doit renoncer à une réputation qu'elle n'est plus capable de défendre et mieux contrôler les entrées sur le territoire national. En ce sens, j'approuve pleinement la possibilité introduite par le projet de loi de créer un traitement informatisé de données personnelles incluant l'origine des personnes, afin de garantir une meilleure prise en charge des populations concernées et un meilleur contrôle des mouvements migratoires.

Cette disposition marque une nette rupture dans notre politique de l'immigration et souligne le souci du Gouvernement de travailler avec les pays d'émigration à l'avènement d'une politique de codéveloppement. En effet, un tel processus permettra de mieux connaître les populations étrangères présentes sur le sol national et de tirer les conclusions qui s'imposent, en liaison avec les pays de départ concernés.

Et puisque ce débat est incontournable, je souhaiterais aborder brièvement le sujet des comparaisons d'empreintes génétiques destinées à établir la validité d'une filiation.

Le récent rapport du vice-président du Sénat Adrien Gouteyron dresse un tableau sidérant de la fraude aux actes d'état civil qui prévaut dans de nombreux pays africains. La proportion de documents frauduleux s'élèverait à 80 % dans certaines zones. Nous ne pouvons rien à cet état de fait.

Alors, pourquoi ne pas y remédier par la mise en place d'une procédure qui, sur la base du volontariat, aurait en outre le mérite de faciliter les démarches administratives ? Ferions-nous preuve de plus d'humanisme en laissant des familles entières attendre les conclusions d'une enquête administrative extrêmement complexe et à l'issue incertaine ? Je n'en suis pas persuadé.

M. Christian Demuynck. Nous devons nous aligner sur une pratique aujourd'hui courante qui manifeste la reconnaissance du droit intangible au regroupement familial.

Par ailleurs, je salue la refonte du « compte épargne codéveloppement », voulu par Nicolas Sarkozy l'an passé, en « livret épargne codéveloppement », qui renforce les liens économiques des migrants avec leur pays d'origine. Ce dispositif permet à ceux qui investissent dans leur pays de bénéficier d'avantages fiscaux.

L'ensemble de ces flux financiers représente officiellement 2,5 milliards d'euros par an et doit être encouragé. Aussi convient-il de mieux identifier et de quantifier ces volumes, tout en améliorant la sécurité des transferts et la possibilité de développer leur utilisation à des fins productives. Pouvons-nous décemment laisser l'Afrique se dépeupler de ses forces vives ? Assurément, non ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. Il y a vraiment de quoi rire !

M. Christian Demuynck. Le codéveloppement doit être une priorité dans la lutte contre l'immigration clandestine, mais il ne faudrait pas encourager la mise sous perfusion de régions entières du globe pour se donner bonne conscience à peu de frais.

Pour être parfaitement clair, je dirai que la politique de codéveloppement ne remplit pas toujours son rôle, notamment dans l'encouragement au maintien des populations sur place. Des enquêtes internes du ministère des affaires étrangères confirment que des subventions mal attribuées encouragent l'émigration au lieu de la réduire. Les systèmes d'aide détournés de leur vocation deviennent de véritables passeports pour le départ.

Nicolas Sarkozy l'a parfaitement intégré et a obtenu, dès 2006, la conclusion d'un accord de coopération avec le Sénégal qui prévoit une collaboration des autorités françaises et sénégalaises dans la gestion des flux migratoires, en échange de contreparties en termes de délivrance de visas, notamment en faveur des étudiants. Ces protocoles internationaux doivent être amplifiés et trouver rapidement une expression au niveau européen.

Monsieur le ministre, je soutiens pleinement votre action dans le cadre des discussions entamées avec le Gabon, le Bénin et le Congo. Quoi qu'en dise la gauche, votre titre de ministre du codéveloppement n'est pas usurpé, je dirais même qu'il est amplement mérité. Pour la première fois dans l'histoire de notre République, le codéveloppement fait l'objet d'un ministère et garantit la participation des migrants au développement de leur pays d'origine.

À plus grande échelle, il faut développer une nouvelle génération de projets à destination des pays en développement, en s'appuyant sur les initiatives des migrants ou de leurs associations. Cette démarche pragmatique concourrait à amplifier la coopération, à mieux associer les populations locales et à améliorer le rendement des fonds investis.

En somme, monsieur le ministre, soyons les défenseurs résolus de la francophonie et ouvrons nos formations aux étudiants étrangers ! Je tiens à saluer la délivrance, sur votre initiative, de la carte de séjour « compétences et talents », qui permettra à un personnel qualifié de venir perfectionner ses techniques sur le sol français. Encourageons l'immigration temporaire et renforçons le codéveloppement avec les pays de départ !

Enfin, garante d'une immigration choisie, la majorité doit résolument engager le débat et rompre avec la terrible hypocrisie qui règne depuis plus de trente ans. Monsieur le ministre, il faut permettre à la France de s'aligner sur la politique de ses voisins. Ainsi, notre pays adaptera la demande de visas aux impératifs de son économie et aux contraintes des pays de départ.

Un plafond global annuel d'accueil pourrait être fixé par profession et par catégorie. Il donnerait à la représentation nationale les outils d'une politique de codéveloppement efficace et de contrôle des flux migratoires. Nicolas Sarkozy a reçu ce mandat des Français : il incombe à la majorité de l'accomplir !

Monsieur le ministre, c'est avec conviction que j'exprime mon soutien au projet de loi que vous défendez. Vous avez su retranscrire les engagements de campagne de Nicolas Sarkozy et assumer le dépôt d'un projet de loi ambitieux et attendu par les Français. Je salue votre capacité d'écoute et de dialogue ainsi que votre souci de faire progresser ce texte grâce au débat parlementaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - MM. Georges Othily et Adrien Giraud applaudissent également.)

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile.

Tous les orateurs inscrits dans la discussion générale se sont exprimés.

La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord remercier tous les orateurs inscrits dans la discussion générale, dont les interventions ont contribué à enrichir le débat.

Mes remerciements s'adressent tout particulièrement au rapporteur, François-Noël Buffet, dont j'ai pu apprécier tout à la fois la volonté de précision juridique et le souci de respecter l'équilibre du texte du Gouvernement tout en l'améliorant.

Je lui en suis très reconnaissant, comme je suis reconnaissant au président de la commission des lois, dont le rôle a été décisif dans la mise au point de plusieurs des amendements que nous examinerons dans la suite du débat.

Mes remerciements s'adressent aussi aux orateurs de la majorité, notamment à Georges Othily, à Adrien Gouteyron, à Jean-Patrick Courtois et à Christian Demuynck, qui ont replacé la présentation de ce projet de loi dans le contexte plus général de la réponse que notre pays se doit d'apporter au défi migratoire auquel il est confronté. Comme ils l'ont souligné à juste titre, ce projet de loi correspond à un engagement du Président de la République pris devant les Français et approuvé par eux lors de la campagne présidentielle.

Cet engagement, vous le connaissez : il consiste à transformer en profondeur la politique d'immigration, en partant du constat de l'échec global - même s'il existe, je ne le conteste pas, des aspects positifs - de notre système d'intégration, échec qui a d'ailleurs été reconnu, en commission des lois, par des élus de l'opposition.

Oui, Christian Demuynck, vous avez tenu un langage de vérité. Lorsque dans certains départements, comme celui de Seine-Saint-Denis dont vous êtes l'élu, le taux de chômage des étrangers dépasse 40 %, voire atteint 50 % dans certains quartiers, il faudrait être singulièrement aveugle ou dogmatique pour refuser le constat de l'échec de l'intégration.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est scandaleux ce que vous dites ! Ce sont des Français !

M. Brice Hortefeux, ministre. Il faudrait également être aveugle pour ne pas faire le lien entre cet échec et l'incapacité de notre pays, ces trente dernières années, à maîtriser de manière effective les flux migratoires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Je voudrais en outre remercier M. Gouteyron de ses propos et lui dire mon plein accord avec l'analyse qu'il a développée.

Un sénateur de l'UMP. Très bien !

M. Brice Hortefeux, ministre. Je veux, comme il m'y a invité, créer une véritable administration de l'immigration, et la constitution, à compter du 1er janvier prochain, d'une administration centrale regroupant des services actuellement dispersés entre trois ministères constitue à cet égard une première étape. C'est d'ailleurs à compter de cette date que mon ministère disposera pour la première fois d'un budget qui lui sera propre. Sans doute faudra-t-il aller plus loin, en 2009, en intégrant davantage au périmètre budgétaire de mon ministère les services des visas des consulats et ceux des étrangers des préfectures. C'est une piste que vous avez évoquée, monsieur le sénateur, et que je reprends totalement à mon compte. Cela étant, j'ai d'ores et déjà autorité sur ces services, et leur éventuel rattachement budgétaire se fera d'autant mieux l'an prochain que mon administration centrale aura fait ses preuves au cours de l'année 2008.

Je veux enfin dire à M. Gouteyron que j'ai été particulièrement sensible à son plaidoyer en faveur de la simplification des procédures. Sa suggestion de dispenser les titulaires d'un visa de long séjour de l'obligation de solliciter un titre de séjour pendant la première année de leur présence en France me paraît particulièrement féconde. J'ai d'ores et déjà décidé de la mettre à l'étude, sans délai, dans le cadre de l'exercice de la « révision générale des politiques publiques » qu'a engagée, dès son élection, le Président de la République. J'y vois, très concrètement, la perspective d'un meilleur service public.

À ceux des orateurs de l'opposition qui, comme Mme André ou M. Delfau, ont reproché au Gouvernement de présenter un nouveau projet de loi sans même avoir fait paraître les décrets d'application des lois précédentes...

M. Charles Gautier. C'est habituel !

M. Robert Bret. Sans évaluation !

M. Brice Hortefeux, ministre.... et sans avoir dressé le bilan de leur mise en oeuvre, je répondrai, sans aucune agressivité ni aucune arrogance, bien entendu : double erreur et même, sur certains points, double contre-vérité ! Il suffit de se réfugier... (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Ce lapsus vous a donné un moment de détente ! J'en suis très heureux !

Il suffit de se référer, veux-je dire, au Journal officiel pour constater que tous les décrets d'application de la loi du 24 juillet 2006 ont été publiés,...

Mme Éliane Assassi. Elle n'est pas encore appliquée !

M. Brice Hortefeux, ministre.... à l'exception d'un seul, il est vrai, en cours d'examen au Conseil d'État.

Quant au bilan des lois votées en 2003 et en 2006, il est retracé avec beaucoup de fidélité et de précision dans le rapport annuel du Gouvernement au Parlement. Je ferai approuver avant la fin du mois d'octobre en comité interministériel de contrôle de l'immigration la prochaine édition de ce rapport. Chacun d'entre vous, madame André, en sera personnellement destinataire.

J'ajoute que, en fait, vous connaissez déjà largement ce bilan : grâce aux lois de 2003, le nombre des demandes d'asile a été divisé par deux dans notre pays, cependant que le nombre de clandestins éloignés chaque année passait de 10 000 à près de 24 000 ; dans le même temps, le nombre des titres de séjour délivrés chaque année a d'abord été stabilisé avant de connaître, en 2005, une première diminution, dont je peux annoncer qu'elle s'est confirmée en 2006.

Je voudrais faire remarquer à M. Collombat que, au jeu des comparaisons entre les flux migratoires affectant la France et ceux qui concernent nos voisins, il faut accepter de dire toute la vérité. Ce que vous avez dit était juste, monsieur le sénateur, mais doit être complété.

La vérité, c'est que la France a, et c'est tant mieux, la démographie la plus dynamique d'Europe, ce qui fait déjà une première différence de taille avec l'Espagne, l'Italie ou l'Allemagne. La vérité, c'est aussi que l'Espagne et l'Italie ont été, jusqu'à une date très récente, des pays d'émigration, alors que la France est, elle, une terre d'immigration depuis plus de soixante ans, et qu'elle accueillait plus de 400 000 immigrants par an à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix. Cette particularité, qu'il ne faut pas masquer, est en grande partie à l'origine des difficultés rencontrées en matière d'intégration.

Je voudrais indiquer en outre à M. Collombat, mais aussi à Mme Dini, que l'obligation, pour les conjoints de Français, d'être en possession d'un visa de long séjour doit être replacée, à mon avis, dans une perspective plus globale.

Si le Gouvernement suit les recommandations de M. Gouteyron et met en oeuvre le texte, ces conjoints munis d'un visa de long séjour n'auront plus besoin, madame Dini, de se présenter en préfecture pour y obtenir un titre de séjour au cours de leur première année de présence en France.

Je voudrais dire également à Mme Tasca, mais aussi à M. Gouteyron et à Mme Goulet, que j'ai, comme eux, le souci que la France soit plus attractive encore à l'égard des meilleurs étudiants étrangers. Je tiens à les rassurer : la création, au cours des dernières années, des centres pour les études en France et l'attribution, prévue par la loi du 24 juillet 2006, d'un titre de séjour de plein droit aux étudiants passés par ces centres commencent à produire leurs effets. En 2006, le nombre des visas de long séjour attribués par les centres pour les études en France est en nette progression, ce qui montre que l'attractivité de notre pays passe d'abord par une meilleure information et une meilleure orientation des étudiants étrangers.

C'est avec surprise et avec regret que j'ai ensuite entendu Mme Tasca en revenir au leitmotiv de la régularisation. Cela prouve qu'elle n'est guère à l'écoute de l'opinion publique, puisqu'une enquête toute récente, publiée voilà une dizaine de jours, montre que très exactement 87 % des Français sont hostiles aux régularisations générales. Cela signifie donc, pour parler clair, que cette position est partagée au-delà du seul cadre des sympathisants des formations politiques composant la majorité. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Il est exact que j'ai indiqué qu'il n'y aurait pas de régularisation générale. Je l'affirme très nettement, il n'y a aucune ambiguïté possible à cet égard. Tel n'est pas le choix du peuple français, tel n'est pas le choix de la France, tel n'est pas non plus le choix des gouvernements italien, espagnol ou britannique, dont j'ai rencontré des membres depuis ma prise de fonctions. Il est dommage que Mme Tasca ne soit pas présente en ce moment pour m'entendre rétablir une vérité. (« On le lui dira ! » sur les travées socialistes.)

Je vous fais confiance !

Je suis par ailleurs assez étonné d'avoir reçu une leçon en matière d'aide au développement alors que - je n'avais pas l'intention de le souligner, et vous aurez peut-être remarqué que je n'ai pas évoqué ce point lors de mon intervention dans la discussion générale - les crédits de l'aide au développement ont baissé au cours de la période 1997-2002. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Il est donc assez piquant que l'on vienne nous donner des leçons sur ce sujet ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) C'est exactement l'inverse qui s'est produit sous le gouvernement qui nous a précédés, et cette tendance va se confirmer cette année. Encore une fois, je ne cherche absolument pas à polémiquer, je ne fais que rappeler une vérité chiffrée, difficilement contestable.