M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement. Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de revenir brièvement sur les propos de certains orateurs, notamment sur ceux qu'a tenus Mme André.

Madame le sénateur, quelle est la réalité de l'organisation de l'évaluation du degré de connaissance et des valeurs de la République ? Nous partons d'un postulat qui s'ajoute à une conviction - ce qui n'est pas incompatible -, à savoir que, pour s'intégrer dans un pays, mieux vaut en connaître certains éléments de la langue avant de s'y rendre. Il est alors plus facile de trouver un logement, un travail, d'avoir des relations avec ses voisins, de faire ses courses, etc. Telle est l'idée qui a guidé le Gouvernement.

Si nous voulons éviter que les migrants n'arrivent sur notre territoire sans repères, nous devons leur donner la possibilité d'apprendre le français au moment où ils forment le projet de venir dans notre pays. Certes, il s'agit d'un effort, mais nous devons leur demander de le fournir.

Je l'ai dit hier mais je souhaite le rappeler aujourd'hui devant la Haute Assemblée : les uns et les autres, nous avons tous la même préoccupation, à savoir lutter contre le communautarisme. Justement, connaître déjà certains éléments de la langue est l'un des moyens d'y parvenir.

Ceux qui ne réussiront pas le test de quinze minutes visant à évaluer leurs connaissances du français usuel pourront bénéficier d'une formation de quatre-vingts heures à cent vingt heures. L'assiduité sera l'un des critères retenus pour la délivrance de l'autorisation de regroupement familial. La fin de la formation n'est donc pas sanctionnée par un diplôme. Il s'agit simplement d'un moyen pour apprécier la motivation du candidat étranger qui souhaite venir en France.

Au risque de paraître faire trop souvent référence à des enquêtes d'opinion aux yeux de sénateurs siégeant sur certaines travées de cet hémicycle, je rappelle qu'un bloc d'enquêtes ont été réalisées sur ces questions. (M. Louis Mermaz sourit.) Monsieur Mermaz, que votre sourire perdure ! Quoi qu'il en soit, selon une de ces enquêtes, 74 % des Français approuvent cette initiative, qui est donc très largement consensuelle.

M. Louis Mermaz. Ils étaient 80 % à approuver les accords de Munich !

M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur Mermaz, vous vous référez à une période où les sondages n'existaient pas ! Mais peut-être nous livrez-vous une estimation personnelle, ce qui honore vos capacités d'historien.

M. Michel Charasse. Et 100 % des Français approuvent la suppression des impôts !

M. Brice Hortefeux, ministre. Vous apportez une précision utile, monsieur le sénateur.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et la suppression du Parlement !

M. Brice Hortefeux, ministre. Madame Boumediene-Thiery, vous avez soulevé la question de la définition des valeurs de la République. À ce sujet, M. Charasse a d'ailleurs indiqué qu'il serait préférable de définir les principes de la République. Quoi qu'il en soit, les valeurs de la République sont définies dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ces termes : « la présentation des institutions françaises et des valeurs de la République, notamment en ce qui concerne l'égalité entre les hommes et les femmes, la laïcité, l'état de droit, les libertés fondamentales, la sûreté des personnes et des biens... » Tels sont les éléments retenus, qui, selon moi, ne choquent personne.

M. Robert Bret. Interrogez les Français ! Combien d'entre eux sauraient les citer ?

M. David Assouline. C'est très limitatif !

M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur Assouline, engageons une réflexion pour compléter ces éléments !

J'en viens aux amendements qui ont été présentés.

Pour ce qui concerne les amendements identiques nos 79 et 125, supprimer l'article 1er du projet de loi reviendrait à renoncer à un moyen supplémentaire - je dis bien « supplémentaire - donné aux étrangers qui veulent s'installer en France, pour préparer leur intégration.

L'amendement n° 127 ainsi que les amendements identiques nos 38 et 80 tendent à exempter de la mesure les jeunes âgés de seize à dix-huit ans. Un tel dispositif serait contraire aux intérêts des jeunes immigrants. Comme vous le savez, ces jeunes ne sont plus soumis à l'obligation scolaire. Ils peuvent donc travailler. Or l'intégration du jeune dans la société, que ce soit par le biais des études ou du travail, sera à l'évidence facilitée s'il bénéficie, avant son arrivée en France, de moyens supplémentaires pour s'y préparer. Il serait peut-être maladroit d'empêcher un jeune de seize ans de profiter de cette opportunité.

L'amendement n° 47 relève du domaine réglementaire. Cependant, madame Boumediene-Thiery, je comprends votre préoccupation. Il sera fait au mieux pour que l'organisation des formations dans les pays de résidence soit adaptée aux contraintes techniques et géographiques.

Madame André, s'agissant de l'ANAEM, vous avez raison. Elle n'est présente que dans six pays. (M. Richard Yung opine.) Cela signifie donc que d'autres circuits seront sollicités, par exemple les Alliances françaises, des organismes privés agréés...

M. Michel Charasse. Les lycées français, les centres culturels.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela va coûter cher !

M. Brice Hortefeux, ministre. Même si l'ANAEM va s'installer dans un certain nombre de pays au cours de l'année prochaine, on a bien conscience que la mission de formation qu'elle remplit doit être également assumée par tous les organismes qui viennent d'être cités. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur l'amendement n° 47.

L'amendement n° 46, quant à lui, n'est pas normatif. La procédure de regroupement familial obéit à des délais qui seront respectés. Aussi, le Gouvernement émet un avis défavorable.

Il est, en revanche, favorable au sous-amendement n° 75 rectifié, qui tend à définir le contenu de la formation par décret. Je rappelle que depuis 2006 sont organisées des formations linguistiques dont l'objectif est l'obtention du diplôme initial de langue française ainsi que l'acquisition d'une formation civique, dont le programme a été établi en concertation avec le Haut Conseil à l'intégration. C'est sur ces bases éprouvées que seront élaborés le test et les cours à l'étranger. Par conséquent, madame le sénateur, je ne vois pas d'inconvénient à ce que le contenu de ladite formation soit renvoyé explicitement au décret.

L'amendement n° 1, vise à préciser que l'attestation de suivi est produite immédiatement à l'issue de la formation et que le point de départ des délais de l'organisation du test et de la formation est le dépôt du dossier complet de la demande de regroupement familial. Le Gouvernement, étant d'accord avec cette procédure de simplification, émet un avis favorable.

L'amendement n° 81 tend à établir des dispenses. Or le décret en Conseil d'État prévoira des motifs légitimes pour lesquels l'étranger peut être dispensé de l'évaluation et de la formation. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

Quant à l'amendement n° 82, qui porte sur les délais de réalisation du test et de la formation, il prévoit que le demandeur est dispensé du suivi de la formation en cas de non-respect de ces délais par l'administration. Tout sera mis en oeuvre pour que ces délais, qui entrent dans le délai global de traitement des demandes de regroupement familial - fixé, je le rappelle, par le Conseil constitutionnel - soient respectés. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 79 et 125.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. L'article 1er, plus encore que l'article 4, représente un terrible constat d'échec pour la francophonie. Les migrants qui sont visés très précisément par ce texte viennent de pays francophones, qu'il s'agisse du Maghreb ou de l'Afrique subsaharienne.

Depuis l'indépendance, la France mène dans ces pays une politique de coopération pour maintenir l'usage du Français. Or nous nous rendons compte que les membres de familles ayant des relations avec la France - au moins l'un d'entre eux séjourne en France, voire toute la parentèle - ne parlent pas un mot de français. Il s'agit donc d'un échec absolument terrifiant de la francophonie, que le Gouvernement entérine à travers ce texte ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Par ailleurs, vous déniez toute valeur aux études sérieuses qui sont faites, par exemple, par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France. Dans son rapport de 2005, cette dernière s'interrogeait en ces termes : « La question de l'obligation linguistique en soi a suscité des interrogations. Comment se justifie le choix du niveau linguistique requis ? Comment identifier les besoins réels des migrants pour la participation à la vie en société et pour l'emploi ? Comment lier le ou les niveaux requis à ces besoins et comment établir des objectifs réalistes en fonction des besoins et des capacités des personnes ? Dans quelle mesure le volume horaire retenu permet-il d'atteindre le niveau requis ? »

Monsieur le ministre, j'ai enseigné le français comme langue seconde pendant plus de vingt ans en Tunisie. Croyez-moi, quatre-vingts heures ou cent vingt heures de cours pour des jeunes ou des femmes qui n'ont jamais eu auparavant la moindre notion de français, le moindre contact avec notre langue, cela n'a pas de sens. Ils n'apprendront rien, ou pas grand-chose.

Il serait plus sérieux de faire du contrat d'accueil et d'intégration un dispositif réellement professionnel. Or tous les témoignages des professeurs de français en tant que langue étrangère concordent : la tâche de remplir les missions du contrat d'accueil et d'intégration est confiée à des associations, lesquelles voient leurs subventions baisser, si bien que les cours sont dispensés par des bénévoles, non par des professeurs, qui savent enseigner le français.

Ce n'est pas parce que l'on sait se coiffer que l'on est coiffeur. Ce n'est pas parce que l'on sait parler le français que l'on est capable de l'enseigner, surtout à des étrangers.

Appliquons sérieusement les lois existantes avant d'ajouter des mesures qui ne tiennent pas la route, même sur le plan pédagogique ?

Je terminerai par ce que certains considéreront peut-être comme un procès d'intention : dans le texte qui nous est soumis aujourd'hui, aucun examen n'est prévu, mais, j'en suis persuadée, dans le prochain, que nous devrons étudier dans six mois ou dans un an, tel ne sera plus le cas.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Brice Hortefeux, ministre. Madame le sénateur, je ne comprends pas très bien votre raisonnement, même si je perçois parfaitement votre sincérité.

M. Bernard Frimat. Nous allons vous l'expliquer !

M. Brice Hortefeux, ministre. Laissez-moi m'exprimer, monsieur Frimat, vous ne savez pas ce que je vais dire ! Attendez donc deux secondes !

Je comprends très bien votre préoccupation, madame Cerisier-ben Guiga, qui est de voir se développer la francophonie. C'est le postulat de départ.

Tout d'abord, il faut bien sûr être vigilant, mais, contrairement à une idée très répandue, le nombre de personnes parlant le français dans le monde augmente : elles étaient cent soixante-quinze millions voilà environ une quinzaine d'années, elles sont aujourd'hui deux cents millions. Quantitativement, aucun recul n'est donc à déplorer, et nous pouvons être fiers de la place que tient la francophonie.

Ensuite, vous devrez vous donner beaucoup de mal pour expliquer qu'une mesure qui consiste à enseigner le français est un obstacle au développement de la francophonie. Franchement, le raisonnement est un peu spécieux.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Brice Hortefeux, ministre. Enfin, pour maîtriser parfaitement la langue française, il faut bien sûr du temps, et je fais référence à votre expérience professionnelle - que je ne mets pas en cause. Mais je n'ai jamais dit que l'objectif était de faire passer la dictée de Pivot ! Sans doute nous sommes-nous mal compris, ou peut-être me suis-je très mal exprimé. L'objectif, c'est que l'étranger possède quelques mots de français usuel à son arrivée sur notre territoire, afin qu'il puisse d'ores et déjà converser, faire ses courses et, je l'espère, trouver du travail. Il ne faut donc pas le dénaturer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Adrien Giraud applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, nous avons bien compris que nos débats étaient guidés par l'opinion publique. Cependant, mes chers collègues, je vais vous faire de la peine : selon un sondage récent, plus de la moitié de nos concitoyens considèrent que les parlementaires ne servent à rien. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Patrick Courtois. Cela dépend lesquels !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si nous suivons si aveuglement l'opinion, nous pouvons nous-mêmes enterrer le Parlement, avant qu'il ne s'enterre lui-même par notre incapacité à jouer notre rôle de parlementaires.

M. Jean-Patrick Courtois. Eh bien, démissionnez !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il en va avec ce projet de loi comme avec d'autres : nous avons beaucoup de mal à effectuer le b.a.-ba de notre mission : réfléchir à l'éthique, aux valeurs de la République, etc. En effet, nous sommes guidés par le Gouvernement, qui est lui-même guidé par des enquêtes d'opinion multiples et variées, lesquelles sont, comme chacun le sait, habilement faites.

Il faut faire attention ! Il nous appartient de prouver à l'opinion que nous servons à quelque chose, mais aussi de nous donner la peine de réfléchir, quand on nous demande de participer un tant soit peu à l'élaboration de la loi, qui est notre bien commun.

Je relève, dans cet article, une contradiction : un pays, lorsqu'il accueille un étranger, se doit de lui enseigner un certain nombre de choses, de favoriser son intégration, ce qui vous a amené, monsieur le ministre, à prévoir un contrat d'intégration - je préférerais, quant à moi, une politique d'intégration - mais vous décidez de surcroît que l'étranger, y compris, d'ailleurs, s'il s'agit d'un jeune, doit avoir commencé cette instruction avant son arrivée sur notre territoire. Il conviendrait d'approfondir la réflexion sur ce point

Il est bon d'indiquer clairement qu'il appartient à l'État, une fois que l'étranger est en France, de faciliter son apprentissage de notre langue et de notre mode de vie. Je reviendrai sur les valeurs de la République. Ce que vous nous proposez me paraît inacceptable.

J'en viens à l'âge des étrangers concernés. En France, l'âge de la majorité est toujours fixé à dix-huit ans ; auparavant, on est encore un enfant. Je sais bien que vous avez tendance à envoyer des enfants de plus en plus jeunes en prison. Les dérogations à la majorité sont prévues dans des cas exceptionnels. Cependant, dans le présent texte, un jeune âgé de seize ans à dix-huit ans est considéré comme un adulte qui vient de son plein gré et il doit donc se conformer à un certain nombre de règles applicables aux adultes venant s'installer dans notre pays.

Nous estimons que rien ne devrait entraver la venue d'un enfant dans sa famille. Selon la convention des droits de l'enfant, les États doivent favoriser la vie en famille des enfants. Or, dans cet article, on impose une condition supplémentaire pour que les enfants de seize ans à dix-huit ans puissent venir rejoindre leur famille. Cela me semble exorbitant.

Enfin, je vais vous dire quelque chose qui, une fois encore, ne va pas vous plaire, monsieur le ministre : comment demander aux étrangers ce qu'on n'accepterait pas pour les ressortissants de notre pays ?

Le projet de loi fait obligation aux étrangers qui veulent - ou doivent - venir en France pour rejoindre leur famille de connaître les valeurs de la République. Or elles ne sont pas définies dans ce texte. Vous avez cité certaines d'entre elles, notamment la laïcité.

Comment les Français eux-mêmes définiraient-ils les valeurs de la République ? Connaissent-ils le fonctionnement de nos institutions ? Les enquêtes réalisées sur ce sujet révèlent qu'ils sont malheureusement très ignorants en ces domaines.

Si, comme le Président de la République les y incite souvent, puisqu'il faut, bien entendu, favoriser les échanges, nos concitoyens veulent s'installer dans un pays étranger pour y exercer leurs talents pendant un certain temps, que se passerait-il si on leur demandait de se conformer aux valeurs dudit pays ? Et je ne demande ce qu'ils feraient s'ils devaient se comporter comme les habitants de ce pays, car il s'agit d'un autre débat. Quelle serait leur réaction si, dans un pays confessionnel, ils devaient prêter serment sur la Bible ou le Coran ?

On se conduit de façon anormale envers des ressortissants d'États souverains. En effet, « les valeurs de la République », c'est une notion extrêmement large. Il appartient au pays d'accueil de faire en sorte que la personne présente sur son territoire se conforme aux règles de vie commune, à la loi, aux principes fondamentaux. Les lois sanctionnent ceux qui ne les respectent pas.

Il est abusif d'exiger des étrangers - qui, d'ailleurs, n'ont pas le droit de vote ! - qu'ils sachent ce qu'est la laïcité, qu'ils connaissent nos institutions et le premier couplet de la Marseillaise, que beaucoup de Français ignorent, d'ailleurs ! Cette façon de concevoir l'accueil des étrangers est aberrante. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. - Mme Gisèle Printz applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Cet article est le coeur du projet de loi.

À chaque fois qu'il s'agit d'immigration, le Gouvernement et la majorité alimentent les confusions, les amalgames et, par conséquent, les peurs, les réflexes d'exclusion et de repli sur soi.

Nous avons déjà élaboré deux lois et, sans même qu'elles aient été évaluées, nous discutons à nouveau de restrictions supplémentaires.

Comme le laissent supposer les vives discussions suscitées par cet article et cela ne vous aura pas échappé, monsieur le ministre, messieurs de la majorité, cette restriction supplémentaire de l'immigration que constitue l'obligation d'apprendre le français avant de venir sur notre territoire sera très difficile à mettre en oeuvre et se soldera sans doute par un succès très relatif.

La mise en place d'un nouveau moyen de restreindre l'immigration est pour vous l'occasion de faire l'amalgame entre immigration de travail, immigration familiale et immigration de réfugiés politiques.

Or vous savez que ce n'est pas la même chose. Cependant, vous affirmez que le désir de vivre en famille ou de trouver asile en France, pour un étranger que son État d'origine ne protège plus, n'est en fait qu'un prétexte pour frauder et contourner notre droit en matière d'accueil des immigrés. Cela a été dit dans les interventions de l'UMP hier ici même, ainsi que dans tous les milieux que vous fréquentez.

Vous considérez les droits qui existent en France comme des moyens supplémentaires de contourner la loi et de frauder. C'est un vieux débat que celui des droits de l'homme, entre ceux qui veulent les défendre et ceux qui veulent les restreindre. Si l'on devait juger la valeur des droits selon l'impératif qu'ils ne puissent jamais être contournés, il n'y aurait plus ni droits fondamentaux pour nos citoyens en France, ni démocratie.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est intéressant !

M. David Assouline. C'est bien en ayant à l'esprit cet équilibre-là que nous devons réfléchir.

Or, le droit de vivre en famille est un droit fondamental.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Chez soi !

M. David Assouline. C'est un droit inaliénable. En le restreignant, vous vous attaquez à l'immigration légale, à la femme ou aux enfants qui veulent rejoindre un travailleur migrant séjournant légalement en France.

Vous savez bien que, pour une femme qui souhaite retrouver son mari et qui réside dans un village situé à deux cents kilomètres du lieu où auront lieu le test puis le stage d'apprentissage de notre langue et des valeurs de notre République, le dispositif sera totalement dissuasif. Ainsi, vous allez alimenter les réseaux mafieux, qui deviendront le seul recours possible pour les gens de bonne foi désirant rejoindre leur conjoint, puisque les moyens honnêtes et légaux leur seront inaccessibles. Certains n'hésitent pas à franchir des mers. La famille et l'amour sont des valeurs fondamentales que vos restrictions n'arrêteront pas facilement.

Dès lors, les conjoints qui, malgré leur bonne foi, n'auront pas trouvé les moyens de suivre cette formation n'auront d'autres choix, pour venir « légalement » en France, que de contourner la loi et de chercher à obtenir des fausses attestations auprès de réseaux mafieux, qui ne manqueront pas de se spécialiser dans cette voie. Et ceux qui ne pourront même pas obtenir ces fausses attestations viendront sans papiers et alimenteront l'immigration clandestine.

Dans ces conditions, quelle signification faudra-t-il donner à l'évaluation du taux d'intégration ? Vous le savez, l'intégration dans notre pays, cela passe d'abord par une situation régulière par rapport au droit et, donc, par la possibilité de bénéficier des droits fondamentaux. Tout cela est impossible sans papiers, lorsqu'il faut se terrer chez soi, se cacher et se faufiler systématiquement, lorsqu'il faut faire semblant de ne pas exister par rapport à ses propres enfants qui sont scolarisés, lorsqu'il est impensable d'aller à la soupe populaire de peur d'être arrêté par la police et expulsé. Pour s'intégrer, il faut pouvoir bénéficier des droits.

Monsieur le ministre, avec cette mesure, vous alimentez encore davantage les sans-droits.

Ma collègue l'a dit, il est permis de douter de l'efficacité de ce test de français, même s'il ne porte que sur les rudiments de la langue. Rien à voir, donc, avec la venue dans le pays, laquelle est un élan qui vaut bien les deux cents heures de français consacrées à un tel apprentissage. Vous le savez bien, monsieur le ministre, lorsque vous séjournez dans un pays étranger pour les vacances, même si vous ne maîtrisez pas la langue, les quinze jours sur place vous apprennent beaucoup plus que les heures passées à lire les guides et à retenir les mots essentiels.

En d'autres termes, l'initiation aux mots courants que vous proposez, ce n'est rien d'autre qu'un « Guide du routard » !

Or, tous les professionnels de l'alphabétisation insistent sur la nécessité d'alphabétiser d'abord les personnes dans leur langue d'origine afin de permettre, ensuite, un meilleur apprentissage de la langue française. Voilà quel devrait être notre vrai sujet de préoccupation, car, bien souvent, les familles, notamment les femmes, n'ont même pas été alphabétisées dans leur langue d'origine. Mais je n'épilogue pas, vous êtes suffisamment informés pour savoir tout cela : simplement, vous avez décidé que ce n'était pas votre problème.

Par ailleurs, s'agissant des valeurs de la République, qu'allez-vous donc leur apprendre ? (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Monsieur Assouline, cela fait déjà cinq minutes que vous vous exprimez !

M. David Assouline. Je termine, monsieur le président.

Pour ces femmes et ces enfants qui habitent à l'étranger, les valeurs de la France, ce sont sa tradition d'accueil et d'asile. C'est en tout cas ce qui était jusqu'à présent transmis de manière extraordinaire par ceux qui vivent ici à ceux qui vivent là-bas. Or, en ce moment, par les lettres qu'elles reçoivent, ces personnes sont alertées sur la remise en cause, par cette loi, de la solidarité, de l'égalité des droits, de l'accueil fraternel, bref, de tout ce que la France représentait pour eux.

Ce faisant, vous ne les éduquez pas aux valeurs de la République, bien au contraire, vous les « méséduquez ». La meilleure façon de les éduquer, c'est de leur faire connaître nos débats : elles comprendront alors que c'est sur les rangs de l'opposition que l'on défend ces valeurs ! (Marques d'ironie sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Vous avez parlé pendant six minutes et trente-cinq secondes, monsieur Assouline !

La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites fort éloquemment, de sorte que je peux me permettre de vous suggérer de prendre un peu de hauteur par rapport au texte.

En cet instant, de qui parlons-nous ?

À l'évidence, pas des immigrés eux-mêmes : nous avons déjà eu l'occasion de débattre longuement de leur situation et nous en reparlerons encore tout à l'heure. Non, nous parlons ici de la situation des conjoints et des enfants des immigrés régulièrement installés en France.

Mme Éliane Assassi. C'est une différence fondamentale !

M. Jean-Luc Mélenchon. Mes chers collègues, cela change tout ! Si certains d'entre vous peuvent avoir à l'esprit un ou deux fraudeurs « embusqués », sur le compte desquels beaucoup se méprennent, je préfère m'intéresser à tous ceux qui n'ont pas fraudé et qui essaient, de bonne volonté, de respecter la loi : ils ont travaillé honnêtement en France depuis plusieurs années et ont pris leurs dispositions pour faire venir leurs conjoints et leurs enfants, pour que, enfin, toute la famille puisse se retrouver.

Voilà ce qu'il faut avoir à l'esprit, cette blessure de la séparation, cette joie retenue des retrouvailles en vue. Vous le savez bien, ensuite, tout se passe bien et leurs enfants deviennent les compagnons de jeu des nôtres. Vous savez donc également comment tout cela finit : par des histoires d'amour, évidemment, car ce n'est pas le code de la nationalité qui dicte leur manière de vivre ! Voilà pourquoi un Français sur trois a l'un de ses parents qui a été un immigré.

Il s'agit donc des grands-parents, des cousins, des oncles et des tantes de nos enfants et de nos petits-enfants. Nous parlons de notre famille ! Il convient d'y aller tout en douceur et de veiller à prononcer des paroles respectueuses.

Mes chers collègues, d'une manière générale, il faut d'abord avoir du respect pour l'immigré. Beaucoup de choses ont déjà été dites, et je sais que nous sommes nombreux à être du même avis : au bout du compte, l'immigré qui viendra dans notre pays, quel que soit le chemin par lequel il sera passé, sera d'abord un homme ou une femme très courageux, qui se sera exposé à des conditions incroyables ; peut-être même qu'aucun d'entre nous n'aurait le courage de faire cela pour sa famille ! Une fois en France, selon la règle qui ne souffre d'aucune exception, il produira plus de richesses qu'il n'en consommera.

Il importe avant tout d'avoir à l'esprit la dignité humaine. En l'occurrence, puisqu'il s'agit des conjoints et des enfants, du calme, allons-y doucement ! Il n'est ici nullement question de je ne sais quelles hordes qui chercheraient à envahir notre pays. Je le rappelle, l'année dernière, cette situation n'a concerné que 17 000 personnes.

M. Gérard Delfau. Il y a 63 millions d'habitants dans notre pays !

M. Jean-Luc Mélenchon. Pour participer à tous les débats sur l'immigration, je me souviens des discussions sur le texte instituant, il n'y a pas si longtemps, le contrat d'accueil et d'intégration, lequel prévoyait des cours d'alphabétisation, ce qui n'était pas sa partie la plus mauvaise.

Monsieur le ministre, je vous pose très franchement la question, mais sans doute allez-vous trouver un moyen de me répondre : quelle méthode permet d'alphabétiser une personne en français et de l'initier à notre langue en quatre-vingts heures ? Je laisse de côté les raisons morales et philosophiques qui nous séparent, car chacun les connaît, pour ne m'intéresser qu'aux aspects pratiques. Personnellement, je pense pouvoir affirmer, sans trop de risque de me tromper, qu'il n'y en a aucune ! Par conséquent, prévoir une méthode qui ne fonctionne pas, c'est vraiment jeter de l'argent par les fenêtres !

D'après vos dires, la formation pourrait durer de quatre-vingts à cent vingt heures. Coupons la poire en deux et prenons comme base de calcul un forfait de cent heures : appliqué à 17 000 personnes, cela représente 1,7 million d'heures supplémentaires à l'étranger, soit 17 millions d'euros en reprenant le tarif horaire de dix euros retenu dans de telles circonstances.

Évidemment, tout le monde a bien pris la précaution de vérifier que cette somme a bien été affectée à cette tâche dans le prochain projet de budget ! (Marques d'ironie sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Sinon, cela n'a aucun sens !

M. David Assouline. Bien sûr !

M. Jean-Luc Mélenchon. Sinon, nous parlons de quelque chose qui n'existe pas. Alors, à quoi bon en parler ? Laissons tomber et passons à autre chose !

En outre, monsieur le ministre, puisque toute parole prononcée dans le cadre d'un débat parlementaire a son importance eu égard à la définition même de la loi, je me permets de paraphraser ce que vous avez déclaré sur cette formation depuis hier : « Cessez d'être formalistes ! C'est fait d'abord pour juger de la bonne volonté des personnes concernées, c'est pour leur bien ! » Nous l'avions tous compris, il s'agit d'un dispositif pour leur faciliter la vie ! Vous avez ajouté, ce qui est nouveau, que l'assiduité sera prise en compte.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comme à l'école !

M. Jean-Luc Mélenchon. Visiblement, vous n'êtes pas très coutumier de ce genre de situations. Croyez-moi, lorsqu'un être humain décide d'immigrer, il doit véritablement « s'arracher » à son village. Ce n'est pas la porte à côté. Sa situation n'a rien à voir avec celle du petit-bourgeois du XVIe arrondissement de Paris, qui se rend à son cours de langue après avoir fait du macramé, de la peinture sur soie ou du yoga ! (Sourires.) De sa maison à l'endroit où sera dispensée la formation, il y a des dizaines de kilomètres, parfois même des centaines. Les conjoints et les enfants suivront donc 1,7 million d'heures de cours au total. Avez-vous prévu des internats ? Bien sûr que non ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Par conséquent, nous sommes en train de débattre d'une mention inscrite sur un document qui n'aura aucune signification réelle. Votre proposition, c'est une machine à fabriquer des faux papiers !

La commission des lois du Sénat a dû, comme souvent, rationalisé les « gargouilles législatives » de l'Assemblée nationale. Elle a résumé dans une formule extrêmement concise le dispositif adopté par les députés et qui ne tient pas debout : il s'agit d'un simple certificat de formation, un point c'est tout ! Nul doute qu'il y aura une « industrie du certificat de formation », car nous sommes incapables d'accueillir 17 000 personnes à l'étranger, matin, midi et soir, pour suivre cent heures d'enseignement. Si c'était le cas, monsieur le ministre, vous auriez pu sûrement nous donner un exemple concret pour nous convaincre. Tout cela n'est donc qu'une muraille de papier.

Je ne vous accuse de rien, mes chers collègues. Je comprends que votre objectif est de régler les flux migratoires, mais la mesure proposée n'est pas le bon moyen de le faire : ce n'est qu'une addition de vexations et de suspicions, qui vont nous rendre odieux aux yeux du monde entier. Personne ne penserait à imposer aux Français ce que nous-mêmes avons l'intention d'imposer aux étrangers, aux conjoints et aux enfants de ceux qui vivent déjà chez nous et à qui nous n'avons qu'une parole à dire, sur laquelle je terminerai cette intervention : pour son travail, pour son courage, pour l'amour qu'il donne aux siens, pour ce qu'il donne à notre patrie, à l'immigré, merci ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Charles Pasqua. C'était très beau !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, beaucoup de très bonnes choses ayant été excellemment dites, je souhaite simplement revenir sur la question de la réciprocité. Naturellement, nous n'accepterions pas que les Français allant travailler au Japon soient obligés de connaître préalablement le japonais,...

M. Charles Pasqua. Cela a déjà été dit !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est bien de le redire !

M. Robert Bret. La répétition est l'une des bases de la pédagogie !

M. Jean-Pierre Sueur. ... que la connaissance du chinois soit exigée pour se rendre en Chine, qu'il faille suivre quatre-vingts ou cent vingt heures d'enseignement de farsi avant de partir en Iran, ou que nos compatriotes souhaitant travailler en Inde ne puissent pas se contenter de l'anglais et doivent apprendre les rudiments de l'hindi, langue extrêmement parlée dans le monde mais très peu connue en France. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.)

Si de telles contraintes étaient imposées aux collaborateurs de nos entreprises,...

M. Charles Pasqua. Ou de nos ministres !

M. Jean-Pierre Sueur. ...qui, fort heureusement, vont à l'étranger, nous ne l'accepterions pas.

Sans revenir sur les questions pratiques, qui ont été longuement évoquées, je ferai simplement ce rappel : il arrive très fréquemment que les personnes demandant à bénéficier du regroupement familial résident à mille ou deux mille kilomètres du premier consulat. Comment appliquer cette disposition législative aux familles, aux enfants, aux adultes qui sont à une telle distance ? Soit elle s'applique à toute personne, et il faut des moyens très importants, comme l'a souligné Jean-Luc Mélenchon ; soit, elle ne s'applique pas, et mieux vaut alors ne pas la voter.

Mes chers collègues, j'ai moi-même beaucoup enseigné le français à des personnes étrangères. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Cela n'a rien d'infâmant !