M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Mme Christine Albanel est tout excusée puisque je sais qu'elle accompagne le chef de l'État dans les pays du Golfe, notamment à Abu Dhabi. Or je suis l'un des supporters du Louvre d'Abu Dhabi - nous ne sommes pas unanimes sur ce point -, qui participe de cette politique de diffusion des oeuvres que je trouve excellente et dont je souhaite qu'elle soit renforcée.

Cela étant, monsieur le secrétaire d'État, constatons que nous avions voté une loi prévoyant une certaine politique et des rapports bisannuels. Nous attendons toujours les rapports, et nous croyons comprendre que cette politique n'est pas encore réellement mise en oeuvre. Elle l'est si peu, d'ailleurs, que M. Donnedieu de Vabres, le prédécesseur de Mme Albanel, a été obligé de rédiger la circulaire que vous avez évoquée pour détailler quelque peu cette obligation d'une politique de diffusion.

Vous m'avez cité des chiffres, mais produisez-moi la liste des oeuvres ! Je la connais : il s'agit de 50 dessins par-ci, de 25 dessins par-là, etc. Ce ne sont pas des oeuvres significatives, susceptibles de faire bouger les populations, à Marseille, à Bordeaux ou même à Issy-les-Moulineaux, pour se rendre dans un musée !

Naturellement, le Louvre regorge d'oeuvres et est disposé à les prêter, mais il faut que cela concerne des oeuvres significatives, car il n'y a qu'elles qui intéressent le grand public actuel. Je reste donc sur ma faim - et c'est une faim assez féroce. (Sourires.)

Cela étant dit, je vais demander un entretien à Mme Albanel pour lui expliquer notre démarche, tenter de savoir quels effets a produits cette circulaire de M. Donnedieu de Vabres et essayer d'exercer une stimulation.

Par ailleurs, et je suis heureux de voir que mon collègue et ami M. Philippe Richert est présent, je me permettrai de « passer le bébé », si j'ose dire, à la commission des affaires culturelles.

Il se trouve, en effet, que nous avions voté cette disposition dans le cadre d'un texte sur la décentralisation dont la commission des lois avait été saisie et dont le rapporteur était M. Schosteck. Nous avions en fait « truffé » ce texte de cette disposition à caractère culturel. Il est normal qu'elle revienne dans le « giron » de la commission des affaires culturelles et je souhaite donc que celle-ci prenne le relais de la préoccupation que j'ai exprimée afin de procéder au harcèlement nécessaire pour obtenir, une fois n'est pas coutume, que la loi soit enfin observée par ceux qui sont chargés de la mettre en application.

Le Louvre de Lens, cela mériterait tout un débat ! Pourquoi fallait-il absolument faire une annexe du Louvre à Lens ? Nous attendons toujours d'en connaître la raison ! Vous m'avez expliqué combien cela allait coûter et comment serait répartie la charge. Mais la question n'est pas là ! La question, c'est de savoir pourquoi il faut absolument faire une annexe du Louvre à Lens !

Monsieur le président et, par ailleurs, maire de Marseille, moi qui visite vos musées et les admire, je ne vois pas d'oeuvres de peinture majeures à Marseille, ni à Aix-en-Provence, des villes pourtant fort peuplées. À Aix-en-Provence, la ville de Cézanne visitée par tant de touristes, le musée Granet qui vient de rouvrir ne comporte pas un seul tableau significatif de Cézanne. Certes, on peut y voir un fort beau dessin qui est de sa main, mais est-ce suffisant lorsque l'on se trouve dans le paysage de Cézanne ?

Une conception vivante et moderne de la culture suppose que les oeuvres soient visibles en des lieux variés, placées dans des endroits où la démarche de curiosité est beaucoup plus personnelle. Voilà le but de notre démarche.

Je souhaite donc que Mme la ministre de la culture et de la communication veuille bien m'accorder un entretien, afin que je fasse jouer auprès d'elle la capacité d'entraînement dont un simple parlementaire me paraît tout de même pourvu, sur un sujet qui, encore une fois, relève d'une politique de civilisation. Et je n'ai pas besoin d'ajouter que la politique de civilisation est l'une des dimensions majeures de la politique actuelle ! (Sourires.)

M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures quinze.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est reprise.

3

éloge funèbre de Daniel Bernardet, sénateur de l'Indre

M. le président. Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voici rassemblés en ce début d'après-midi pour accomplir un bien pénible devoir. (M. le secrétaire d'État, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

L'année 2007 a été pour notre assemblée une année éprouvante, qui a vu disparaître plusieurs des nôtres, parmi les plus éminents. J'ai tenu à saluer nos collèges disparus en me rendant à leurs obsèques, en votre nom et en mon nom personnel, pour leur témoigner l'hommage du Sénat de la République.

Au cours de ces cérémonies prenantes, j'ai constaté l'expression de la peine, de l'émotion et du chagrin de leurs concitoyens qui ont tenu à accompagner - nombreux - nos défunts collègues. J'ai mesuré avec force en ces occasions pénibles l'estime, la considération et l'affection dont nos collègues étaient l'objet.

Daniel Bernardet n'est pas parti seul.

Lui qui avait été porté, par deux fois, au Palais du Luxembourg avait souhaité que les élus de son département l'accompagnent dans un ultime cheminement de la mairie à l'église, puis au cimetière.

Son cercueil, porté par quatre maires, ceints de leur écharpe, entourés par une foule d'élus arborant leurs insignes, témoignait hautement et symboliquement des liens intimes qui les unissaient dans une même communion mémorielle.

Daniel Bernardet était aimé des siens, et les regrets qu'il a laissés ont été à la mesure de ce qu'il fut pour son département et la population.

Fils d'agriculteurs modestes, Daniel Bernardet naquit le 7 juin 1927 à Lourouer-Saint-Laurent dans le canton de La Châtre. Très tôt, il entra dans la vie active.

Il le fit dans tous les sens du terme.

Menuisier de formation, il « montera » - comme l'on disait alors - à Paris pour y suivre les cours du Centre technique du bois, puis ceux de l'école scientifique d'organisation du travail.

Artisan dynamique, il deviendra au fil des ans, à la force de son travail, mais aussi de son intuition et de son sens aiguisé de l'organisation - de son bon sens, dirais-je -, un chef d'entreprise estimé et prospère.

Cette énergie n'allait pas s'arrêter au seul champ de la vie professionnelle.

Sa personnalité allait très tôt être remarquée par les élus de l'Indre, et c'est presque naturellement qu'il fit, en mars 1959, à trente-deux ans, son entrée au conseil municipal de Châteauroux. Ce premier mandat, auquel il consacrera trente années de sa vie, sera, et de loin, celui auquel - il l'avouait - il fut le plus attaché.

Élu adjoint au maire en 1965, il deviendra le premier magistrat de la ville en 1971, jusqu'en mars 1989. Dix-huit années au cours desquelles il donnera toute la mesure d'un édile d'exception. Ses actions ont fortement marqué sa chère ville de Châteauroux. La coulée verte, les Cordeliers, la percée de la préfecture vers le quartier Saint-Jean, la modernisation de l'aéroport autour d'un syndicat mixte : tout cela est l'oeuvre de Daniel Bernardet.

Parallèlement, Daniel Bernardet assumera les mandats qui ponctuent le « cursus honorum » d'un élu local exemplaire : conseiller régional, conseiller général, député, sénateur. Il deviendra président de la région Centre de 1983 à 1985, puis prendra en main les destinées de l'assemblée départementale jusqu'en 1998.

C'est dire la place éminente qu'occupait notre collègue et combien l'Indre lui est redevable de la force de ses engagements : il ne ménagea jamais sa peine en faveur de l'aménagement de ce territoire rural et de son développement économique.

Élu député lors des élections législatives de 1986, il conservera de ce passage à l'Assemblée nationale la satisfaction d'avoir fait avancer certains dossiers locaux de première importance. Il décidera en 1988 de ne pas se représenter et de consacrer son ambition nationale à la conquête d'un siège sénatorial.

Élu au Sénat pour la première fois en 1989, il sera reconduit par ses pairs en 1998.

Membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, puis de la commission des affaires sociales, il y apportera les fruits de l'expérience et du vécu acquis dans son département, « sur le terrain » comme l'on dit communément, au plus proche de nos concitoyens, qu'il se plaisait à écouter, à conseiller et à soutenir.

Au Sénat, il prendra part à de nombreuses propositions concernant notamment la mondialisation, les organisations non gouvernementales et l'action internationale des collectivités locales.

Son réformisme pragmatique conduira le représentant du monde rural qu'il était à participer activement aux travaux préparatoires de la loi relative au pacte de relance pour la ville. Il défendra également, avec ferveur, la réforme sénatoriale de 2003, dont il estimait qu'elle contribuait efficacement à une modernisation indiscutable et nécessaire de notre institution.

Il s'investit aussi avec l'énergie qui était la sienne dans des domaines aussi divers que la lutte contre la toxicomanie, l'assurance dépendance et le développement du dialogue social dans l'entreprise.

Personnalité forte, attachante et conviviale, doté d'un grand sens de l'observation et de l'écoute, Daniel Bernardet avait bien sûr tissé des liens exceptionnels avec les habitants de sa commune de Châteauroux, mais au-delà avec ceux de son département, de son canton et de sa région. Il avait mis son dynamisme, son efficacité et, je dirais, son esprit entrepreneurial au service de ses concitoyens et de l'intérêt général.

Homme du contact direct, il pouvait saluer par leur nom et par leur prénom un grand nombre des habitants de sa ville et de son département. Sa convivialité naturelle l'avait amené à créer une institution originale et sans équivalent : la « Fête de l'amitié », qui réunissait chaque année autour de lui, et jusqu'à l'an dernier, plusieurs centaines de personnes qui manifestaient ainsi leur attachement à sa personne et à l'amitié.

Ce sont les mêmes qui, au lendemain de son décès, défilaient attristés, sincèrement et profondément affectés, devant son cercueil, comme on le fait lorsqu'un être cher et familier vous quitte pour l'éternité.

L'un de ses compagnons de route a résumé l'opinion générale : Daniel Bernardet fut « un grand homme, tout simplement ».

Il restera pour chacun d'entre nous un exemple de tolérance, de générosité et de courage. Il est demeuré fidèle à lui-même jusqu'à l'extrémité de ses forces, jusqu'à ses derniers jours.

Aux membres de la commission des affaires sociales, affectés par la disparition de l'un de ses membres éminents, j'exprime notre sympathie attristée.

À ses collègues du groupe UMP, une fois encore cruellement éprouvé par la disparition de l'un des siens, j'adresse les condoléances les plus émues du Sénat tout entier.

À sa famille, à son épouse Christiane, à ses enfants Jean-Luc et Frédérique, à tous ses proches, je veux dire la part personnelle que chacun des membres du Sénat de la République prend à leur peine et je les assure que notre assemblée gardera longtemps et fidèlement la mémoire de leur cher disparu.

Daniel Bernardet, reposez en paix.

Je vous invite maintenant, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à observer une minute de silence en mémoire de notre collègue. (M. le secrétaire d'État, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)

La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement tient naturellement à s'associer à la douleur de l'ensemble du Sénat.

Daniel Bernardet incarne ce qu'il y a eu de mieux dans la promotion républicaine, ce que l'on appelait autrefois l'ascenseur social.

Issu d'un milieu modeste, il est ouvrier ébéniste à dix-huit ans. À trente-deux ans il devient conseiller municipal et est élu à quarante-quatre ans maire de Châteauroux, qu'il transforme complètement, comme vous l'avez souligné, monsieur le président : la coulée verte, des aménagements routiers, des aménagements culturels, ainsi que des aménagements paysagers dans l'ensemble de la vallée de l'Indre.

Il se consacre ensuite complètement à la vie publique. Il devient président du conseil régional du Centre et président du conseil général de l'Indre. Puis, à cinquante-neuf ans, il est élu député. Trois ans après, il rejoint la Haute Assemblée, devenant l'un des rares parlementaires, même si les exemples se sont multipliés ces derniers temps, à connaître à fond les deux assemblées et à y avoir travaillé complètement.

Élu local, connaissant admirablement bien le terrain, élu de proximité, ayant une connaissance parfaite des problèmes de sa région, de son département, de sa ville, qu'il adorait tant et où, effectivement, monsieur le président, il pratiquait beaucoup le tutoiement, Daniel Bernardet a été également un parlementaire exemplaire pendant une vingtaine d'années.

Il est l'exemple de ce que nous souhaitons que la République puisse faire. À ce titre, il mérite naturellement toute notre attention et notre reconnaissance.

Aux membres de la commission des affaires sociales, au groupe UMP, auquel il appartenait, et à l'ensemble du Sénat, le Gouvernement présente ses condoléances.

À son épouse, à sa famille, à ses enfants, nous disons que nous savons ce qu'aura été cette vie de dévouement aux côtés d'un tel personnage, laquelle sera désormais une vie de souvenir qui, j'en suis sûr, restera une grande vie de force.

M. le président. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, de vous associer, au nom du Gouvernement, à l'hommage que nous venons de rendre à l'un des nôtres, trop tôt disparu. Nous sommes sensibles à votre attention.

Mes chers collègues, conformément à notre tradition, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants en signe de deuil.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Michèle André.)

PRÉSIDENCE DE Mme MichÈle AndrÉ

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

DÉpÔt d'un rapport du Gouvernement

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 9 de la loi n° 2002-1487 du 20 décembre 2002 de financement de la sécurité sociale pour 2003, le rapport sur les dispositifs affectant l'assiette des cotisations et contributions de sécurité sociale.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des affaires sociales et sera disponible au bureau de la distribution.

5

 
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation
Discussion générale (suite)

Ratification d'une ordonnance portant rÉforme de la filiation

Adoption d'un projet de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation (n° 510, 2004-2005, et n° 145).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation
Article 1er

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la filiation donne à la personne une identité propre, l'inscrit dans une lignée et une histoire familiale ; le droit qui la régit est par conséquent un droit essentiel pour nos concitoyens.

Sur ce sujet sensible et délicat, le Parlement et le Gouvernement travaillent en étroite collaboration depuis 2004.

Vous avez autorisé, par la loi du 9 décembre 2004, le Gouvernement à procéder à la réforme de notre droit par voie d'ordonnance. Vous avez alors souhaité déterminer clairement le cadre et les limites de l'habilitation, en définissant précisément les principes qui devaient guider l'action gouvernementale.

Au nom du Gouvernement, je soumets aujourd'hui le texte de cette ordonnance à votre ratification.

Votre rapporteur, M. de Richemont, a mené un remarquable travail d'expertise dans cette matière difficile. Les modifications qu'il vous propose complètent tout à fait opportunément le texte élaboré par le Gouvernement, qui s'en trouve ainsi clarifié et enrichi.

Le texte et les amendements qui vous sont soumis réalisent un équilibre, en conciliant respect de nos principes fondamentaux et nécessité d'adapter notre législation aux évolutions de notre société moderne.

En ratifiant cette ordonnance, vous affirmerez la nécessité de poser des règles claires, simples, précises et harmonisées, qui facilitent le rattachement de l'enfant à ses père et mère, dans le cadre strictement délimité par la loi d'habilitation du 9 décembre 2004.

L'ordonnance s'inscrit dans la continuité des grandes réformes qui ont, depuis plus de trente ans, participé à moderniser et à simplifier notre droit de la famille

Premièrement, elle vient clore le mouvement initié dans les années soixante-dix qui a permis de parvenir à l'égalité entre tous les enfants, qu'ils soient nés de couples mariés ou non.

Ainsi, à une époque où près de la moitié des enfants naissent hors mariage, l'ordonnance vient supprimer les notions de filiation « légitime » ou « naturelle » qui n'avaient plus de portée ni juridique ni sociale.

Deuxièmement, la réforme simplifie l'établissement de la filiation à l'égard des mères non mariées.

À une époque où la naissance d'un enfant résulte, dans la majorité des cas, d'un choix et d'un désir profond, la nécessité pour la mère de reconnaître l'enfant qu'elle a mis au monde n'était plus comprise. Désormais, la simple indication du nom de la mère dans l'acte de naissance établit automatiquement la filiation à son égard.

Troisièmement, la notion et les conditions de constatation de la possession d'état sont clarifiées. Cette notion essentielle du droit de la filiation traduit la réalité affective et sociale du lien de filiation au-delà du simple constat biologique.

La possession d'état permet, en effet, en présence d'éléments de fait, d'établir la filiation par un acte délivré par un juge.

L'ordonnance améliore ce dispositif par deux précisions.

D'une part, il est désormais possible de faire constater la possession d'état prénatale, lorsque le futur père décède pendant la grossesse, ce qui permet ainsi de donner son nom à l'enfant.

D'autre part, la délivrance de l'acte de notoriété est enfermée dans un délai de cinq ans, dans un souci de stabilité des liens familiaux, que chacun peut comprendre.

Quatrièmement, s'agissant des actions judiciaires, l'ordonnance met fin à la disparité des procédures. Elle unifie délais et titulaires du droit d'agir en justice, lesquels étaient auparavant différents selon qu'il s'agissait de filiation « légitime » ou « naturelle ».

Par exemple, pour la contestation de la paternité, quand le père avait élevé l'enfant, les délais n'étaient pas les mêmes au sein de la famille. Ainsi, l'enfant pouvait agir pendant trente ans à compter de sa majorité contre son père non marié, alors qu'il ne pouvait rien faire en cas de mariage de ses parents.

Avec l'ordonnance, ces distinctions n'existent plus. Désormais, la contestation de la filiation ne dépend plus du lien entre les parents mais résulte de l'implication du père dans l'éducation de l'enfant. Ainsi, dès lors que le père a élevé l'enfant pendant cinq ans, la filiation est inattaquable. Si le père n'a pas participé à son éducation et qu'il n'y a donc pas de possession d'état à son égard, la filiation peut être attaquée dans un délai de dix ans.

Concernant les actions en établissement de la filiation, les délais étaient également différents, selon qu'il s'agissait d'établir la paternité ou la maternité. Le père qui n'assumait pas ses responsabilités à l'égard de l'enfant ne pouvait être recherché que dans un délai de deux ans, alors que la mère pouvait l'être pendant trente ans.

Désormais, toutes les actions tendant à l'établissement du lien de filiation obéissent au délai de dix ans. Ce délai, suspendu pendant sa minorité, permet à l'enfant d'agir jusqu'à ses vingt-huit ans.

Cette réforme marque une étape dans l'évolution récente de notre législation familiale. Elle s'inscrit pleinement dans l'édification d'un droit moderne et équilibré, adapté aux évolutions de notre société et respectueux des valeurs qui nous rassemblent.

Au terme de mon propos, je tiens à adresser mes remerciements à votre commission des lois, en particulier à son rapporteur, pour le travail remarquable qu'il a accompli et les améliorations qu'il propose, auxquelles le Gouvernement sera favorable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Henri de Richemont, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le secrétaire d'État, en rendant hommage à la commission des lois - et je vous en remercie -, vous avez rendu hommage à son président, M. Hyest. Celui-ci avait en effet émis des réserves sur la décision de recourir à une ordonnance pour réformer le droit de la filiation.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Henri de Richemont, rapporteur. Pour justifier cette procédure, qui était inédite en la matière, le Gouvernement avait fait valoir le caractère supposé technique des mesures envisagées. Nous verrons que, sous couvert de mesures techniques, monsieur le secrétaire d'État, vous avez touché à des questions de fond et il est heureux que notre assemblée ait pu examiner ces questions, en tirer les conséquences et proposer des amendements que je présenterai tout à l'heure.

La réforme du droit de la filiation était effectivement nécessaire. Trois griefs étaient formulés à l'encontre de l'ancien régime.

Tout d'abord, la distinction entre filiation naturelle et filiation légitime n'avait plus lieu d'être. La filiation naturelle était fondée sur une naissance hors mariage et la filiation légitime sur une naissance dans le mariage. Cette distinction est aujourd'hui désuète, vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, puisque la moitié des enfants naissent hors mariage. Cette distinction est également sans objet dans la mesure où la loi du 3 janvier 1972 a consacré le principe de l'égalité des filiations.

Mais, surtout, le texte ancien était source d'inégalités et d'insécurité juridique.

Ainsi, s'agissant de la preuve de la maternité, il existait une différence de traitement entre la femme mariée et la femme non mariée. Mes chers collègues, en vertu de la présomption mater semper certa est, que vous connaissez tous, lorsque la femme était mariée, l'indication de son nom dans l'acte de naissance suffisait à établir la filiation maternelle ; en revanche, la femme non mariée ayant indiqué son nom dans l'acte de naissance de l'enfant devait en outre le reconnaître, ce que ne faisaient pas certaines femmes. Cela se traduisait par des conflits et des procédures liés à l'établissement de la maternité.

Il y avait également une différence concernant les actions en justice, selon qu'il s'agissait de filiation naturelle ou légitime, la protection des enfants naturels étant moindre que celle des enfants légitimes.

La réforme était donc nécessaire et de nouvelles règles générales ont été édictées par cette ordonnance.

Le principe de l'égalité entre enfants est rappelé et la distinction entre enfant naturel et enfant légitime est supprimée.

Est également rappelée l'interdiction fondamentale d'établir le lien de filiation de l'enfant à l'égard de ses deux parents en cas d'inceste absolu : la filiation ne peut être établie qu'à l'égard soit du père soit de la mère.

En ce qui concerne la possession d'état, il est maintenant établi que, lorsqu'elle n'a pas été constatée dans un acte de notoriété ou par jugement, elle est insuffisante pour établir la filiation.

L'ordonnance consacre également le principe de la liberté de la preuve en matière de filiation.

Cette ordonnance a donc pour conséquence de supprimer la différence qui existait autrefois entre femme mariée et femme non mariée : aujourd'hui, quelle que soit sa situation matrimoniale, la mention du nom de la mère dans l'acte de naissance suffit à établir le lien de filiation.

Cette ordonnance maintient également le principe de la présomption pater is est. Toutefois, monsieur le secrétaire d'État, elle nous a semblé, à certains égards, porter atteinte d'une façon grave à ce principe et c'est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement portant notamment sur ce point.

Enfin, l'ordonnance a consacré la pratique de la reconnaissance prénatale, que nous connaissons tous dans nos mairies puisque, aujourd'hui, comme je l'ai dit tout à l'heure, 50 % des naissances ont lieu hors mariage. Nous voyons très souvent de jeunes couples venir faire une déclaration prénatale dans nos mairies.

La commission des lois a déposé trois amendements.

Le premier est de loin le plus important. Il répond, dans son I, à un problème rencontré par de nombreux couples puisqu'il autorise désormais le changement de nom de famille des enfants nés avant le 1er janvier 2005 et encore mineurs à la date de la ratification de l'ordonnance.

Cet amendement comporte deux autres dispositions essentielles.

La première tend à permettre au mari dont la présomption de paternité a été écartée de reconnaître l'enfant. En effet, mes chers collègues, le texte qui vous est soumis a quelque chose d'étrange, voire d'inadmissible. Aujourd'hui, vous le savez, les trois quarts des enfants naissent dans des maternités où l'officier de l'état civil se rend dans la chambre de la mère pour établir l'acte de naissance. Si la mère, lorsqu'elle est mariée, déclare son seul nom et omet celui de son époux, le texte actuel prive ce dernier du bénéfice de la présomption pater is est et l'oblige à engager une action devant le tribunal de grande instance pour faire reconnaître sa paternité. Il suffit donc que la mère décide de ne pas faire figurer le nom de son mari dans l'acte de naissance pour que la présomption de paternité ne s'applique pas.

Ainsi, une femme peut décider si elle veut avoir ou non des enfants, mais elle peut également décider si son mari doit ou non bénéficier de la présomption de paternité : il lui suffit d'omettre son nom dans l'acte de naissance, ce qui nous paraît profondément inadmissible. Il n'est pas normal que le mari soit obligé d'engager une action devant le tribunal de grande instance, action lourde, pour obtenir l'établissement de sa paternité. C'est la raison pour laquelle nous proposerons à la Haute Assemblée de permettre à l'époux, qui ne peut plus faire jouer la présomption de paternité, de la faire rétablir par une reconnaissance de paternité auprès de l'officier de l'état civil.

Désormais, le mari qui se trouverait dans cette situation disposerait de trois possibilités pour faire reconnaître sa paternité : premièrement, par la possession d'état, avec acte de notoriété qui le rétablit dans la présomption de paternité ; deuxièmement, grâce à la reconnaissance ; troisièmement, par une action devant le tribunal de grande instance non seulement pour faire établir sa paternité mais aussi pour transmettre à l'enfant son nom de famille.

Monsieur le secrétaire d'État, je vous demande de m'écouter sur ce point : le mari qui a été privé de la présomption de paternité, s'il peut la rétablir par acte de notoriété, se voit également privé, par la seule décision de sa femme, de la possibilité de transmettre son nom de famille. Actuellement, vous le savez, en cas de désaccord entre les époux ou quand ils n'ont pas fait de choix, c'est le nom du père qui est transmis. Il suffit donc que la mère ne déclare pas le nom de son mari pour interdire à celui-ci de transmettre son nom.

Le mari peut faire reconnaître sa paternité en faisant constater la possession d'état de l'enfant à son égard ou par une simple reconnaissance devant l'officier de l'état civil, mais comment peut-il transmettre son nom ? Il est obligé de saisir la Chancellerie, qui doit prendre un décret dans l'intérêt de l'enfant. À partir du moment où le mari qui a une possession d'état, qui vit avec sa femme, peut faire valoir la présomption de paternité, nous considérons que l'intérêt de l'enfant exige que le père puisse obtenir un décret lui permettant de transmettre son nom.

Une deuxième disposition introduite par notre amendement est également fondamentale : elle tend à fixer une règle de résolution des conflits de filiation respectant la règle de présomption pater is est. Monsieur le secrétaire d'État, dans le texte prétendument technique que vous nous soumettez, vous avez établi une règle que nous trouvons choquante : il consiste à prévoir le règlement des conflits de paternité en respectant un principe chronologique.

Si votre texte n'avait pas été soumis à l'appréciation de notre commission des lois et de notre Haute Assemblée et s'il n'était pas modifié, nous pourrions connaître la situation suivante : un homme, se prétendant amant d'une femme mariée sur le point d'accoucher, fait une reconnaissance prénatale ; l'application du principe chronologique ferait prévaloir la reconnaissance de l'amant prétendu sur celle des époux. (M. le secrétaire d'État sourit.) Cette hypothèse vous fait sourire, monsieur le secrétaire d'État, mais elle nous paraît profondément scandaleuse...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le mari est le seul à ne pouvoir faire de reconnaissance prénatale puisqu'il est censé bénéficier de la présomption légale de paternité !

M. Henri de Richemont, rapporteur. À partir du moment où le couple est marié et où la reconnaissance du père et de la mère figure dans l'acte de l'état civil, j'avais considéré que la reconnaissance de l'amant - vrai ou prétendu - devait être automatiquement privée d'effet.

La commission a réfléchi à cette question, comme elle sait si bien le faire. Nous vous proposons donc une mesure qui nous paraît empreinte de sagesse : lorsque l'officier de l'état civil reçoit la déclaration de naissance où les époux figurent comme père et mère et qu'il est informé du fait qu'un quidam, se prétendant amant de la mère, a reconnu antérieurement l'enfant, il mentionne le nom du mari dans l'acte de naissance, mais il signale les faits au procureur de la République qui saisira le tribunal de grande instance aux fins de trancher ce conflit de paternité. Nous maintenons le principe de la présomption pater is est : à partir du moment où l'époux a été déclaré comme père, il convient de le reconnaître comme tel jusqu'à ce qu'une décision de justice intervienne en sens contraire.

Ainsi, sous couvert d'aménagements techniques, votre ordonnance avait tranché une question de fond très importante, nous semble-t-il, parce qu'elle portait atteinte au principe même de la loi du mariage : la présomption de paternité repose sur une obligation de fidélité. Il est donc normal, lorsque surgit un conflit entre un époux et un quidam qui se prétend père hors mariage, de rendre toute sa force à la présomption de paternité de l'époux.

Tels sont, mes chers collègues, les points essentiels des amendements déposés par la commission.

Le groupe communiste républicain et citoyen a également présenté un sous-amendement relatif à l'accouchement sous X. Aujourd'hui, la recherche de maternité reste interdite en cas d'accouchement sous X. Dans un tel cas, la recherche en maternité se voit opposer une fin de non-recevoir, alors que l'action de recherche en paternité reste possible. Or, il importe que notre droit soit conforme aux principes de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui interdit, madame Mathon-Poinat, cette discrimination entre recherche de maternité et recherche de paternité.

La recherche de maternité doit donc être possible, mais nous maintenons le principe de l'accouchement sous X, c'est-à-dire que la mère qui prend cette décision doit conserver l'assurance que son secret sera protégé. Nous ouvrons la possibilité d'une action, même si nous avons conscience que cette action aboutira difficilement, puisque le secret que la mère a décidé de garder sera préservé. Mais nous aurons maintenu la possibilité pour l'enfant de rechercher sa mère, bien qu'il risque de se heurter à des difficultés importantes.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, tels sont les éléments que je voulais soumettre à votre appréciation. Je le répète, sous couvert de régler des questions techniques, l'ordonnance a abordé des questions de fond et je suis heureux que nous ayons pu en débattre devant notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte que nous examinons actuellement est un projet de loi de ratification de l'ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation.

Une première remarque vient aussitôt à l'esprit : pourquoi avoir procédé par voie d'ordonnance ? C'est un débat ancien, puisqu'il remonte à trois ans, mais avouez que la technique est assez curieuse, sur un sujet aussi fondamental touchant la société, qui mérite un débat approfondi, dans le pays et devant le Parlement. Il fallait que cette remarque soit faite pour l'avenir.

Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, que la ratification de cette ordonnance, à l'exception d'une disposition relative à la dévolution du nom de famille, a déjà été votée par le Parlement lors de l'examen du texte qui est devenu la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs. Malheureusement - ou plutôt, heureusement ! -, l'article qui procédait à cette ratification a été censuré par le Conseil constitutionnel, au motif qu'il constituait un « cavalier ». Au fond, cette censure nous permet d'avoir un débat, même court, et c'est une bonne chose !

Il est nécessaire de faire évoluer le droit de la filiation et de la famille pour qu'il suive et encadre la vie de la société. La conception de la famille et la définition des relations en son sein figurent parmi les aspects de notre vie sociale qui se sont le plus transformés au cours des cinquante dernières années.

Si je me reporte à ma jeunesse, il y a cinquante ans, dans mon petit village de Touraine, un enfant né hors mariage était montré du doigt, une femme qui avait eu un enfant hors mariage était ostracisée. On ne parlait de ces choses-là qu'à voix basse : une sorte d'opprobre social couvrait toutes ces questions. Une grande variété de douleurs en a résulté pendant de longues années.

Les choses ont évolué, d'abord lentement, puis plus rapidement, avec l'interruption volontaire de grossesse, la création du pacte civil de solidarité, la conception pour autrui - même si elle est interdite en France -, les tests ADN, etc. En même temps, la famille est restée une valeur centrale de notre société, peut-être la plus fondamentale, même après l'évolution des moeurs et des mentalités qui a suivi mai 68.

Dans notre société qui vit en partie dans la crainte - en particulier pour les jeunes générations -, dans notre société de plus en plus individualiste, orientée vers le résultat et le profit, la famille reste l'élément central autour duquel se retrouvent notamment les enfants. Le tête-à-tête entre les parents et les enfants est devenu aujourd'hui une relation curieusement inversée : ce sont les parents qui aident leurs enfants, même majeurs.

Nous devons trouver le bon équilibre entre cette évolution extrêmement rapide des moeurs et de la conception des liens du couple et l'importance centrale qui reste attachée au mariage. Le Parisien libéré de ce matin nous annonce que le nombre de naissances en France n'a jamais été aussi élevé : on a encore enregistré près de 820 000 naissances en 2007. Mais l'article ajoute que, pour la première fois, le nombre d'enfants nés dans les liens du mariage est inférieur à celui des enfants nés hors mariage, ces enfants qu'on appelait autrefois les « enfants du péché »...