M. Daniel Raoul. En effet, breveter le gène, donc le couple « plant-gène », ce serait - j'utilise des termes de physique, car c'est un domaine que je maîtrise un peu mieux que la biologie - comme breveter la structure du fer ou du silicium avec leurs propriétés.

En revanche, les applications, autrement dit les fonctions, sont, elles, brevetables, comme l'a dit Jean-Marc Pastor tout à l'heure, contrairement à la plante et au gène, qui font partie du patrimoine mondial et ne sont pas brevetables.

Vous avez compris qu'il nous est donc difficile, à ce stade du débat, d'adhérer au projet de loi.

Néanmoins, nous allons essayer d'améliorer certains aspects du texte dans l'intérêt de notre pays, de notre agriculture et de notre indépendance agroalimentaire ; c'est le seul objet de nos amendements.

Nos objectifs sont donc clairs.

Il faut permettre une réelle liberté de choix pour produire et consommer avec ou sans OGM.

Il convient de clarifier les débats sur les enjeux, et je ne suis pas sûr qu'un jour nous n'aurons pas dans notre assemblée à choisir entre les pesticides et les PGM et à comparer les avantages et les risques des uns et des autres.

En tout cas, quand on voit le résultat sur les nappes phréatiques de l'utilisation des pesticides, on peut se demander s'il ne vaudrait pas mieux cultiver une PGM qui « s'auto-immunise » contre les insectes et, dès lors, évite le recours aux produits phytosanitaires, plutôt que de continuer à polluer les nappes. C'est bien là un enjeu pour notre société.

Il faut encore mettre en cohérence les pratiques de culture et d'importation. J'espère que le Gouvernement me répondra sur ce point, peut-être M. le ministre de l'agriculture, parce qu'est en jeu ici tout ce qui concerne la viande blanche.

Il faut enfin développer la recherche indépendante pour réaliser une véritable évaluation afin de produire plus et mieux.

Dans l'attente de l'issue de nos débats, je reste dans l'expectative ; vous comprendrez bien que, pour le moment, je me place plutôt dans une « abstention négative ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Le Grand.

M. Jean-François Le Grand. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour aborder comme il convient ce projet de loi, je voudrais d'abord vous livrer trois observations préalables.

Notre action législative se situe dans le droit fil de la transposition par décret d'une directive européenne, mais nous devons aller au-delà de ce simple exercice, puisque, entre 2006 et aujourd'hui, est intervenu un événement assez exceptionnel, le Grenelle de l'environnement.

Cet exercice, voulu par le Président de la République, organisé par vous-mêmes, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, a permis - chose exceptionnelle - aux différentes composantes de la société, Parlement compris, d'échanger sur des sujets extrêmement complexes, a priori conflictuels. Le Grenelle de l'environnement a abouti à des réflexions riches, des propositions souvent consensuelles et concrétisées après une ultime table ronde de concertation par des engagements fondamentaux pris par M. le Président de la République lui-même.

Ce sont autant d'obligations de prendre à notre compte une recodification de la société fondée sur ces mêmes engagements. Le projet de loi OGM n'échappe pas à cette ardente obligation. Ils prendraient une lourde responsabilité, ceux qui auraient envie d'étouffer la dynamique du Grenelle de l'environnement et de la réduire à une sorte de gadget médiatico-politique.

Ma deuxième observation se situe dans le droit fil de la première. Kyoto, Johannesburg, Bali et le Grenelle de l'environnement lui-même réaffirment avec force que l'on sait désormais qu'il ne sera plus possible de vivre selon des modèles que l'homme a mis en oeuvre depuis les débuts de l'ère industrielle. La planète a des limites qui ne doivent pas être franchies, sauf à condamner l'humanité à disparaître.

Nos comportements économiques industriels et individuels contribuent à développer des situations telles que l'augmentation de la pollution, la consommation excessive de ressources naturelles ou encore le réchauffement climatique.

On sait que, face à ces dangers, outre les changements profonds d'attitude, la biodiversité est la clé de voûte de la capacité de la planète à maintenir, voire à rétablir l'équilibre de l'écosystème dont l'homme fait partie. Or la biodiversité s'est dégradée dangereusement au cours des cent dernières années et se dégradera quatre fois plus vite d'ici à 2050 si aucun changement de nos modes de vie n'intervient. Je ne reviendrai pas sur ce qu'a dit tout à l'heure notre collègue Pierre Laffitte, qui, à cet égard, a rédigé avec Claude Saunier un rapport d'une très grande qualité.

Cela veut donc dire que, à chaque fois que le sujet s'y prêtera, nous aurons le devoir de légiférer ou de codifier notre société en fonction de ces impératifs. Le projet de loi OGM s'inscrit totalement dans cette perspective. La recherche, dans ce domaine, des effets possibles sur la biodiversité doit être fortement intensifiée. Le Gouvernement a affecté, tout le monde l'a rappelé et s'en réjoui, 45 millions d'euros supplémentaires à la recherche ; il serait utile qu'une partie de ces crédits soit orientée vers une étude des effets que pourraient éventuellement avoir les OGM sur la biodiversité.

Ma troisième observation se veut raisonnablement optimiste. Nous avons, pour contrôler notre évolution, celle qui va vers la dégradation de la planète, deux grandes voies à emprunter.

La première, c'est la recherche. Cela a été dit et répété, et je le répéterai autant qu'il le faudra, quelles qu'aient pu être ici ou là un certain nombre d'expressions diverses et variées. La recherche est la clé de solutions nouvelles innovantes permettant de répondre aux défis.

La seconde concerne nos comportements individuels et économiques eux-mêmes. Nous devons nous contraindre à comprendre que, si les éléments de solution sont sans doute européens et mondiaux, ils résident aussi dans nos choix individuels et professionnels. C'est l'illustration du « penser global et agir local ».

En résumé, à chaque fois que se présenteront devant nous soit une décision à prendre, soit une organisation à mettre en oeuvre, nous ne pourrons pas échapper à cette question : notre solution est-elle bonne pour l'homme et son avenir, ou bien ne s'agit-il que d'une solution de court terme prenant en compte sans doute des intérêts économiques avec des bénéfices financiers immédiats pour quelques-uns, mais s'opposant à l'action de long terme exigée par le développement durable, au sens le plus lourd et le plus large du terme ?

Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces trois réflexions, je me devais de les exprimer en préalable, fort de l'expérience des derniers mois écoulés. Cette expérience, que j'ai vécue parfois difficilement, parfois bien seul, parfois avec le sentiment d'avoir commis l'irréparable, m'a sans doute fortifié, même si elle m'a aussi souvent blessé.

C'est en effet dans cet esprit que je me suis engagé et que j'ai accepté de présider, comme la responsabilité m'en avait été confiée par le Gouvernement, le groupe de travail du Grenelle de l'environnement consacré à la biodiversité, ainsi que, accompagné de Marie-Christine Blandin, Laurence Tubiana et Alain Grimfeld, de l'intergroupe consacré à la problématique des OGM.

C'est dans cet esprit que j'ai présidé, à la demande des cinq ministres concernés, le Comité de préfiguration d'une haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés dont l'une des missions a consisté à faire un état des lieux des connaissances scientifiques, conforté par une analyse économique, éthique et sociétale sur la mise en culture du maïs Monsanto 810. C'est aussi parce que cette confrontation était nouvelle qu'il y a eu tant de confusion.

C'est dans cet esprit que j'aborde le projet de loi sur les OGM, que je présenterai des amendements visant à le mettre en conformité avec les enseignements des travaux du Grenelle de l'environnement et à le rendre compatible avec ce que j'ai pu vivre ces derniers mois.

Ces trois temps de l'action et de la réflexion m'amènent, m'obligent, même, à m'exprimer sur le fond du projet de loi et à faire quelques observations qui me paraissent nécessaires. Et, dans cet exercice, je veux une fois encore être l'interprète de l'état d'esprit du Grenelle de l'environnement.

Première observation : il convient de dissocier le vote de ce projet de loi de l'activation de la clause de sauvegarde. Le projet de loi nous oblige à légiférer au fond, alors que l'activation de la clause de sauvegarde est un acte particulier et ciblé.

La problématique particulière de chaque OGM ou PGM - évitons, cela a été dit, l'amalgame trop fréquent entre organismes et plantes génétiquement modifiés - ne peut, à l'évidence, être traitée qu'au cas par cas.

Il en résulte que la loi, elle, doit établir un code et une définition des principes fondamentaux, lesquels serviront de cadre aux réponses cas par cas.

M. Jean-Marc Pastor. Très bien !

M. Jean-François Le Grand. Il faut traiter différemment le maïs transgénique et le tabac transgénique duquel on tire des substances utilisables dans le traitement de certains cancers. D'autres plantes permettent de fabriquer des vaccins. Les exemples sont multiples. Il faut donc se garder de tout amalgame. Les OGM peuvent être la pire ou la meilleure des choses. Il faut conserver un minimum de prudence dans l'approche de cette problématique.

Deuxième observation : les organismes génétiquement modifiés sont-ils une solution pour répondre à la nécessité, quantitative et qualitative, de nourrir l'humanité ?

Depuis le début de la discussion, j'ai entendu un certain nombre de réponses. Répondre sans nuance par l'affirmative ou par la négative reviendrait à se laisser enfermer dans un débat réducteur. Ce serait nier l'extrême complexité de la question.

Nous sommes loin d'avoir une réponse précise. Je n'en veux pour preuve que les dernières observations de la commission IAASTD, ou International Assessment of Agricultural Science & Technology for Development.

Cette opération de prospective a été lancée par la Banque mondiale et par les Nations unies, après le sommet de Johannesburg, autour de la question : « Peut-on réduire la faim et la pauvreté dans le monde, améliorer les conditions de vie des zones rurales et promouvoir un développement durable et équitable grâce à l'accès, l'utilisation et la production de savoirs, de sciences et de technologies agricoles ? ».

Cette commission a regroupé une soixantaine de représentants de Gouvernements, de la société civile et d'institutions internationales. L'ambition était d'évaluer les connaissances scientifiques et technologiques agricoles.

Cette organisation a donc rendu sa réponse : pour elle, les OGM sont une source potentielle de problèmes dans les pays en développement. Je rejoins la position défendue tout à l'heure par M. Pastor. En effet, du fait de la brevetabilité du vivant, les économies de ces pays seraient littéralement asservies. Il convient donc d'être très prudent.

Cette analyse se fonde sur les travaux de 4 000 scientifiques et experts internationaux. Le rapport souligne le risque des problèmes potentiels posés par la possible appropriation des ressources agricoles par les entreprises concernées. Il ajoute « qu'il existe un large éventail de perspectives sur l'environnement, la santé humaine et les risques économiques que nous ignorons encore ».

M. Jean-François Le Grand. Les conclusions finales de la commission sont attendues pour le mois d'avril prochain. On peut lire dans une dépêche, je le dis avec un humour empreint d'une certaine tristesse, que « compte tenu du projet de rapport final qui n'est pas tendre avec les OGM et avec les pratiques de propriété industrielle dans le domaine des semences, trois grandes entreprises des secteurs des biotechnologies ont claqué la porte des Nations unies ».

Quels que soient les niveaux, les mêmes causes semblent produire les mêmes effets. Je vous laisse le soin de méditer sur certains parallélismes. C'est là que s'arrête l'humour.

Pour répondre à la question, fondamentale, posée par cette organisation, celle de savoir si les OGM sont une « solution pour l'alimentation de l'humanité », il faut, à tous les niveaux de responsabilités - et ce fut à chaque instant mon attitude - tout autant s'écarter de ceux qui alimentent les peurs collectives que de ceux qui semblent bardés de certitudes.

Lorsque nos connaissances sont insuffisantes, il faut intensifier la recherche. C'est la direction que j'ai indiquée à l'issue des travaux du comité de préfiguration. C'est la sage réflexion de Mme la ministre de la recherche, et je la soutiens sans réserve. Le Gouvernement a eu le courage de choisir cette voie. Il faut sans cesse promouvoir la recherche. C'est la seule voie qui nous conduira, peut-être, à la raison.

Troisième observation : l'intergroupe OGM du Grenelle de l'environnement a clairement identifié une logique. Tout d'abord, il est absolument nécessaire de rendre toute sa force à la connaissance. Ensuite, il faut organiser la gouvernance de cette connaissance afin qu'elle ne soit confisquée par personne. Enfin, il faut définir les principes de la gouvernance.

Je suis heureux de constater que le présent projet de loi respecte cette logique, tant sur le fond que sur la forme. La connaissance ne peut qu'être le résultat de recherches et d'expertises sans cesse remises sur le métier, n'excluant aucune des disciplines concernées par les techniques transgéniques, jusques et y compris, je ne le répéterai jamais assez, en évaluant leurs effets possibles sur la biodiversité.

Ces recherches et expertises ne doivent pas, non plus, être « monodirectionnelles », monsieur le ministre de l'agriculture. En matière agronomique, par exemple, elles doivent s'accompagner de recherches sur des solutions alternatives. Je sais que vous êtes en accord avec cette démarche et mon propos n'a d'autre ambition que de vous apporter mon soutien.

J'ai lu dans un grand quotidien du soir en date du 19 janvier dernier que des chercheurs américains avaient réussi à élaborer un maïs adapté aux conditions climatiques subsahariennes, sans aucune manipulation transgénique, seulement en exacerbant les caractères existants dans la plante originelle. Cet exemple illustre la nécessité de mener des recherches dans d'autres directions que la seule modification transgénique des organismes. C'est une obligation que nous ne devons pas ignorer.

En ce qui concerne la gouvernance, l'intergroupe avait proposé la création d'une haute autorité, mais j'approuve la commission des affaires économiques, qui a préféré le concept d'un haut conseil, et j'accompagnerai cette proposition.

L'organisation de la gouvernance doit cependant répondre à la nécessité de confronter l'expertise scientifique et les expertises économiques, éthiques et sociétales. C'est un temps incontournable. C'est probablement là que se situe la meilleure lecture sociétale que nous pourrons avoir de l'ensemble de la problématique « OGM /PGM ». C'est là que l'on pourra faire disparaître les peurs qui s'organisent ou se développent. C'est là que nous pourrons commencer de restaurer la raison dans un domaine qui est devenu passionnel hors de toute raison.

Pourquoi se priver de cette concertation, alors même que les conséquences d'une décision sur un sujet aussi important vont s'appliquer à des méthodes de production, à des modes de consommation et à une population qui exigent - l'unanimité du Grenelle de l'environnement en est une expression - une telle analyse ?

Afin de ne pas être trop long, j'approfondirai le principe de responsabilité lors de la discussion des amendements. La loi doit éclaircir l'exercice des responsabilités. On prétend que les assureurs ne sont pas prêts à le faire. Encore faudrait-il leur indiquer quels sont les risques assurables. Ils existent, et pas seulement pour la culture de plein champ. Ce sont là des sujets sur lesquels il faudra travailler.

Lors de la tenue du Grenelle de l'environnement, Mme Laurence Tubiana a suggéré la tenue d'un sommet européen sur les biotechnologies. Outre le fait d'harmoniser les connaissances, un tel sommet pourrait être l'occasion de procéder aux réactualisations des protocoles d'évaluation des OGM. En effet, bien que la science ait progressé, les mêmes questions sont posées depuis dix ans. Il s'agit d'un aspect fondamental, monsieur le ministre de l'agriculture.

Il faut aussi que l'Europe se distingue dans un monde multipolaire afin d'organiser une agriculture durable à l'européenne qui nous permettre de ne plus être des suivistes. On a dit et répété de quel poids pèsent sur nous la problématique de l'OMC et certaines grandes puissances. L'Europe a la chance et la possibilité de déterminer une ligne particulière, originale, qui lui soit propre. Si elle y parvient, cela limitera sa dépendance.

M. Daniel Soulage. Très bien !

M. Jean-François Le Grand. En conclusion, permettez-moi de rappeler ce qu'écrivait Albert Einstein : « Sans doute l'homme créera-t-il un jour une machine qui répondra à toutes les questions, mais jamais il ne créera une machine qui se posera une question ».

L'homme est capable de processus extraordinaires dans tous les domaines, notamment en matière de biotechnologie, mais il nous appartient de nous poser à nous-mêmes les questions fondamentales.

Les intérêts économiques et financiers, la fierté légitime des auteurs d'avancées scientifiques remarquables ne doivent pas nous faire oublier ce que rappelle avec insistance Edgar Morin : « À force de sacrifier l'essentiel pour l'urgence, on finit par oublier l'urgence de l'essentiel ! »

M. Jean-Marc Pastor. Très bien !

M. Jean-François Le Grand. La question essentielle à laquelle nous nous devons d'apporter une réponse est la suivante : avons-nous le droit à l'erreur quand il s'agit de l'avenir de l'homme et de sa planète ? Sortons de nos enfermements dogmatiques, sectoriels. Sachons prendre de la hauteur. Ayons l'humilité d'une connaissance sans cesse à parfaire et peut-être alors notre réponse sera-t-elle à la hauteur de ce qu'exigent de nous, dès aujourd'hui, les générations futures.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean-François Le Grand. Nous saurons, après le vote sur l'ensemble de ce projet de loi, si nous avons répondu à cette exigence. Nos concitoyens et l'opinion publique pourront en juger. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur un grand nombre de travées socialistes.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, avant d'évoquer les quelques questions que je souhaite vous poser, je tiens à vous donner acte de la bonne volonté dont témoigne votre projet de loi.

M. Daniel Raoul. Cela commence mal !

M. François Fortassin. Pour autant, est-il rassurant ?

M. François Fortassin. Est-il susceptible d'être bien compris par une opinion publique plutôt hostile aux OGM ?

M. Roland Courteau. Ce n'est pas sûr !

M. Gérard César. Les OGM ? Les gens ne savent pas ce que c'est !

M. François Fortassin. Certes, les convictions des ministres et celles du rapporteur sont de nature à apaiser certaines inquiétudes, mais pas toutes, notamment chez les consommateurs.

Le débat sur les OGM montre à l'évidence la cassure qui existe entre le Gouvernement et les législateurs, d'une part, et l'opinion publique, de l'autre.

Le cadre légal est nécessaire. Sera-t-il suffisant pour restaurer la confiance des consommateurs ?

M. Roland Courteau. Bonne question !

M. François Fortassin. Je considère pour ma part que la définition d'un cadre légal doit s'accompagner d'une action pédagogique forte et simple en direction des consommateurs. Aux débats de spécialistes, préférons des mesures de bon sens, qui peuvent être facilement comprises.

Permettez-moi de m'écarter un instant de l'objet de notre discussion. Serait-il déraisonnable de considérer que, dans l'optique du développement durable, on pourrait, à une échéance qu'il convient de déterminer, décider que les herbivores doivent manger de l'herbe et que les fruits et légumes doivent mûrir au soleil ? (Sourires.)

M. Dominique Mortemousque. C'est le bon sens !

M. François Fortassin. De la même façon, est-il normal, lorsque l'on élève des animaux dont on mange la chair, c'est-à-dire du muscle, de les priver de mouvement, alors qu'il serait aussi simple de les élever en plein air ?

M. Jean-Marc Pastor. Dans les Pyrénées !

M. François Fortassin. Si nous posions dans le débat des principes aussi simples que le sont les réponses à ces questions simples, nous serions incontestablement en mesure de restaurer la confiance des consommateurs, surtout en ce qui concerne l'alimentation humaine.

Enfin, imposer des contraintes aux agriculteurs qui produisent des OGM, c'est normal ; pour autant, il ne faudrait pas oublier de les imposer aussi aux semenciers et aux laboratoires ! (C'est vrai ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Roland Courteau. Très bien !

M. François Fortassin. Et puis, je ne le cache pas, je ressens au cours de ce débat un certain malaise.

M. Jean-Marc Pastor. Un malaise naissant...

M. François Fortassin. D'abord, comment notre excellent collègue Jean-François Le Grand, qui a été désigné président de la Haute Autorité provisoire il y a quelques semaines, peut-il se trouver à ce point isolé dans son propre camp ?

M. Roland Courteau. C'est une bonne question !

M. François Fortassin. Ensuite, entre les industriels, bien entendu uniquement animés par des sentiments philanthropiques, comme cela n'a échappé à personne, qui veulent régler le problème de la faim dans le monde...

M. Gérard Le Cam. Ils ne pensent qu'à ça !

M. François Fortassin. ... et les groupes associatifs qui prétendent sauver l'humanité et la planète, qui doit-on écouter d'une oreille extrêmement attentive ?

Par ailleurs, autre sujet de malaise, le projet de loi adopté par le Sénat en mars 2006 n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

M. Roland Courteau. C'est vrai !

M. François Fortassin. Autre point, le Gouvernement dépose au début du mois de janvier un projet de loi, pour le retirer sans explication convaincante et le réintroduire toutes affaires cessantes avant l'interruption des travaux parlementaires.

M. Gérard Le Cam. C'est qu'on sème en avril !

M. François Fortassin. Autrement dit, j'ai le sentiment profond que l'on nage dans l'improvisation, l'incertitude, l'opacité, pour ne pas dire la contradiction.

M. Roland Courteau. La purée, quoi !

M. Daniel Raoul. Il fallait le dire !

M. François Fortassin. Les pouvoirs publics n'ont pas jusqu'à ce jour montré, me semble-t-il, qu'ils étaient en mesure de jouer le rôle d'arbitre qui doit être le leur.

Pour autant, il ne s'agit pas, bien sûr, d'opposer ici ceux qui seraient pour ou contre les OGM. Les OGM existent et offrent un certain pouvoir d'innovation que l'on ne peut nier. Néanmoins, je ne crois pas qu'il faille laisser le développement des OGM à la seule logique économique.

MM. Roland Courteau et Jean-Marc Pastor. Très bien !

M. François Fortassin. C'est aujourd'hui une orientation forte, et je vous la livre telle que nous la ressentons.

L'expertise des risques et l'information des citoyens sont à mon sens notoirement insuffisantes. C'est la raison pour laquelle je m'abstiendrai sur ce projet de loi, à moins bien sûr que les différents amendements qui pourront être approuvés ne soient en mesure de me faire changer d'idée.

M. Roland Courteau. Rien de moins sûr !

M. François Fortassin. Monsieur le président, j'ai peut-être légèrement outrepassé les deux minutes de temps de parole qui m'étaient imparties (Protestations amusées.), ...

M. Gérard Le Cam. C'était si intéressant !

M. François Fortassin. ...mais c'est la qualité de l'auditoire qui m'a poussé à prendre cette liberté ! (Sourires. - Applaudissements sur les travées du RDSE, sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. Vive les Pyrénées ! (Nouveaux sourires.)

La parole est à M. Jacques Muller.

M. Jacques Muller. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, nous voici réunis pour travailler sur un nouveau projet de loi visant à enfin transcrire en droit national la directive 2001/18/CE relative à la diffusion des OGM dans l'environnement.

La carence juridique qui a prévalu depuis octobre 2002 jusqu'aujourd'hui avait fini par créer une situation difficile dans nos campagnes. En mettant plusieurs fois à l'index notre pays pour défaut de transcription de la fameuse directive, les instances de l'Union européenne ont implicitement indiqué l'origine de ces difficultés. Je me dois de souligner que ce n'est, hélas ! pas une première pour notre pays, bien au contraire : la France avait déjà été rappelée à l'ordre en ce qui concerne la transcription des directives « Nitrates » et « Natura 2000 ». Un mal récurrent, en quelque sorte...

C'est pourquoi je me réjouis très sincèrement de voir le problème enfin pris à bras-le-corps, et ce dans un contexte national profondément renouvelé.

En effet, si la Haute Assemblée avait déjà été amenée à se pencher sur le sujet en 2006, un événement majeur, central, inédit, s'est produit cet automne : le Grenelle de l'environnement.

Indiscutablement, le Grenelle de l'environnement a créé une nouvelle donne, sur la méthode, d'abord, mais aussi le fond, où il a permis, en matière d'OGM, trois avancées essentielles : d'abord, la reconnaissance du fait de la dissémination des transgènes, qui introduisent dans l'environnement des événements génétiques nouveaux ; ensuite, l'affirmation du principe de responsabilité, constitutif du concept de développement soutenable ; enfin, et surtout, la reconnaissance du droit fondamental de « consommer et produire sans OGM ».

Le Grenelle de l'environnement consacre ainsi les libertés d'entreprendre et de choisir sa consommation, qui sont imprescriptibles dans une démocratie digne de ce nom.

Monsieur le ministre d'État, le projet de loi déposé par le Gouvernement porte dans sa rédaction quelques atteintes à ces avancées.

Manifestement rédigé sous la pression à peine voilée des lobbies productivistes, dont on perçoit le poids dès l'article 2, le texte présenté aujourd'hui devant la Haute Assemblée est en recul par rapport aux engagements du Grenelle de l'environnement. Il ne répond pas aux attentes légitimes de celles et de ceux qui sont attachés à cette liberté sacrée « d'entreprendre et de consommer sans OGM » ; il est même en retrait par rapport à l'esprit et à la lettre de la directive 2001/18 qu'il est censé transcrire - j'y reviendrai durant la discussion des articles.

Le premier dérapage apparaît dès l'article 1er : on passe subrepticement du droit de « consommer et produire sans OGM », affirmé dans le Grenelle de l'environnement, au droit de « consommer et produire avec ou sans OGM », dérive d'ailleurs portée par le Président Sarkozy lui-même.

Ce faisant, la dissymétrie liée à l'introduction d'un événement génétique nouveau est implicitement niée : le « avec » et le « sans » deviennent équivalents, d'où il résulte que le principe fondateur de nos lois, censées « protéger le faible », comme le rappelait déjà Lacordaire au xviiie siècle, n'est plus respecté.

Le deuxième dérapage apparaît dans la constitution et le fonctionnement de la nouvelle Haute Autorité tels qu'ils sont décrits à l'article 2.

Au lieu de s'appuyer sur la préfiguration qu'en a donnée la Haute Autorité provisoire, qui a bien fonctionné - même si son avis a déchaîné la colère des partisans du MON 810 ! -, au lieu de s'appuyer sur l'expérience réussie du dialogue qui s'était instauré au sein du Grenelle de l'environnement entre les scientifiques et la société civile, le Gouvernement semble revenir en arrière. Serait-ce pour donner quelques nouveaux gages aux lobbies ? J'estime pour ma part que disparaît ici la richesse qu'a apportée le Grenelle de l'environnement sur le plan de l'innovation sociétale, plus particulièrement le concept d'élaboration à cinq d'un avis faisant « autorité ».

La troisième grande difficulté provient de la manière dont le Gouvernement traduit dans la loi le principe de responsabilité. Je relève un décrochage sensible, voire une contradiction, entre l'article 1er et l'article 5, lequel définit les modalités d'indemnisation des victimes de contamination par des OGM sur des bases minimalistes et inacceptables. En effet, en toute rigueur, « sans OGM » signifie « pas d'OGM au seuil de détection scientifique » ! C'est ce qu'expriment très clairement les organisations de consommateurs...

Monsieur le ministre d'État, vous aurez compris ma déception !

Les conclusions consensuelles du Grenelle de l'environnement - plus particulièrement la protection du faible, de celui qui subit la contamination génétique - sont mises à mal. C'est pourquoi, dans un esprit parfaitement constructif, je ferai des propositions concrètes pour rectifier le tir.

Mais il y a plus grave : ce sont les amendements déposés par le rapporteur, semblables, ô combien semblables aux desiderata des lobbies à l'audition desquels j'ai assisté, en même temps que lui, dans le cadre du groupe de travail du Sénat sur les OGM.

Le nouveau parlementaire que je suis découvre avec étonnement le caractère partisan de ces auditions : écoute attentive et complaisante des partisans et promoteurs des OGM ; indifférence, voire impatience envers les autres...

M. Jacques Muller. Les amendements déposés par le rapporteur, adoptés sans débat approfondi par la commission des affaires économiques, sont « grenellement » parfaitement incompatibles.

M. Roland Courteau. C'est bien dit !

M. Jacques Muller. Ainsi, l'article 1er est complètement dénaturé : il est non seulement vidé de son sens, mais inversé. La liberté de consommer et de produire sans OGM devient la liberté de consommer et de produire des OGM, ou de ne pas le faire !

Maladresse de rédaction ou provocation ? Quoi qu'il en soit, cet amendement va même au-delà de ce que demandait, lors de son audition du 24 janvier dernier, l'ANIA, l'Association nationale des industries agroalimentaires, qui, argumentant en faveur de la suppression de la mention « sans OGM » dans la loi, soulignait que « le Grenelle n'était tout de même pas l'alpha et l'oméga » !

M. Dominique Braye. C'est vrai ! Nous sommes d'accord sur ce point !

M. Jacques Muller. Dans le même esprit, la Haute Autorité décrite à l'article 2 est définitivement mise à mal par l'amendement du rapporteur.

Je conclurai mon propos par trois réflexions.

Premier point, monsieur le ministre d'État, je vous avais exprimé en toute cordialité mes craintes à l'issue de cette formidable expérience sociétale que s'est révélé être le Grenelle de l'environnement : celles de voir les lobbies bien connus saper le travail qui a été fourni par l'ensemble des acteurs. Eh bien, c'est chose faite ! Le projet de loi marque de nets reculs par rapport aux engagements du Grenelle de l'environnement en matière d'OGM, plus particulièrement par rapport à cette liberté de consommer et de produire sans OGM que j'évoquais. Pis, les lobbies productivistes se sont vu complaisamment relayer par le rapporteur : il s'est d'ailleurs nettement déclaré demandeur d'amendements lors des auditions et les a repris pratiquement tels quels, y compris ceux qui jouent clairement contre le Grenelle de l'environnement.

Deuxième point, je souhaite attirer toute votre attention sur le fait que ce projet de loi sur les OGM, attendu depuis octobre 2002, est le premier grand texte d'application du Grenelle de l'environnement. Quand bien même nous n'en sommes qu'au stade de la première lecture, et à la veille des élections municipales, nos concitoyens observent très attentivement ce qui est en train de se passer. L'échec ainsi programmé, si le projet de loi reste en l'état ou, pis, s'il devait être dévoyé, les amènera à tirer les conclusions qui s'imposeront ! Je pèse bien mes mots : sur ce sujet de société, qui relève d'une question centrale pour nos sociétés démocratiques, celle de la liberté, du libre choix du consommateur, du libre choix du producteur en faveur du « sans OGM », c'est la crédibilité même de l'ensemble du Grenelle de l'environnement qui se joue, et non pas seulement en matière d'OGM.

À chacun de prendre ses responsabilités en conscience. Je prendrai les miennes, sans états d'âme ni prise en considération des étiquettes politiques, car les enjeux sont évidemment beaucoup trop graves pour que l'on se laisse aller à de petits jeux politiciens...

Monsieur le ministre d'État, il faut « sauver le soldat Grenelle »... « parce qu'il le vaut bien » ! Vous pourrez compter sur mes propositions constructives.

Troisième point, je conclurai sur une note plus technique, économique - ma double qualité d'ingénieur agronome et d'ancien professeur d'économie m'y oblige.

Par les dispositions du projet de loi que nous allons adopter, le choix d'ouvrir en grand - ou pas - les vannes des OGM dans notre agriculture ne relève pas que de choix éthiques ou moraux déjà abordés, il relève aussi de véritables choix stratégiques, sur le plan économique.

Permettez-moi de citer M. Guy Paillotin, ancien président de l'INRA et secrétaire perpétuel de l'Académie d'agriculture : « La question qu'il faut poser est : en quoi les OGM peuvent-ils consolider ou au contraire dégrader nos propres avantages comparatifs ? »

En effet, dans un monde devenu globalisé, où l'OMC met l'Union européenne sous pression au nom de la libre concurrence, déchaînant ainsi des phénomènes de dumping environnemental dans le domaine de l'agroalimentaire, il s'agit, permettez-moi de citer de nouveau M. Guy Paillotin, d'« éviter un suivisme aveugle guidé par le simple souci de relever un défi technologique qui pourrait ne pas être favorable à nos intérêts. »

La théorie des avantages comparatifs nous enseigne qu'un pays a intérêt à se spécialiser dans le domaine où il dispose d'avantages relatifs par rapport à ses concurrents. En matière d'OGM, M. Guy Paillotin estime ainsi que « notre intérêt est de maintenir la diversité de nos productions et l'image de qualité de nos produits et non point de nous fondre dans un moule indifférencié. »

Autrement dit, la préservation de nos structures agricoles de petites tailles par rapport à celles des nouveaux pays agricoles exportateurs de produits agricoles de base issus d'OGM, doit nous inviter à nous positionner intelligemment dans les créneaux de la division internationale du travail agroalimentaire.

Ces pays disposent de structures agricoles immenses, face auxquelles nous ne pourrons jamais tenir : à terme, nous aurions tout à perdre à essayer de nous placer dans cette catégorie poids lourds, mais bas de gamme !

En revanche, nous devons nous donner les moyens de préserver et de développer nos productions de terroir, à haute valeur ajoutée, porteuses de signes de qualité reconnus par les consommateurs : appellations d'origine, labels, notamment biologiques mais pas exclusivement. Quoi qu'en pensent certains, signes de qualité signifient « sans OGM », puisque telle est la demande explicite des consommateurs !

Faisons le choix de la raison, celui d'une agriculture durable, valorisant intelligemment les potentialités de nos terroirs de France, riches de leur diversité. Par conséquent, ne confondons pas les intérêts immédiats d'une fraction des exploitants agricoles, productiviste et corporatiste, avec les intérêts à long terme de l'ensemble de l'agriculture et de l'agroalimentaire français : chacun aura compris que ces intérêts seraient mis à mal par un déferlement des OGM dans nos campagnes !

Ainsi, respecter l'esprit et la lettre de la directive 2001/18/CE que nous avons à transcrire, rester à l'écoute des attentes de la société attachée à la liberté de « consommer et de produire sans OGM » telle qu'elle est affirmée dans le Grenelle de l'environnement, « sauver le soldat Grenelle » aujourd'hui menacé de disparition sous la pression de ces lobbies corporatistes plus que jamais mobilisés...