Mme Alima Boumediene-Thiery. « Sans distinction » n’est pas une négation. Au contraire, c’est plutôt une reconnaissance des origines, des races et de la religion.

Par ailleurs, la présence du mot « race » est une survivance dans notre Constitution de l’idéologie que j’évoquais, c’est la raison pour laquelle je continue à penser qu’il faut le supprimer !

M. Michel Charasse. Nous sommes le 18 juin, ne revenons pas là-dessus !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 160, 354 et 459.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Après ce débat d’une grande hauteur qui honore notre assemblée, il est prouvé qu’on ne peut pas improviser en séance publique. Nous avons bien vu à quelles propositions diverses et variées de telles questions donnent matière. Il n’y aurait donc rien de pire qu’une improvisation sur un sujet aussi délicat.

Nous en sommes aujourd’hui à la vingt-quatrième – peut-être ! – révision de la Constitution ; le comité présidé par Simone Veil a engagé ses travaux, je pense qu’il devrait se saisir de ce sujet ; le doyen Gélard siège d’ailleurs dans ce comité.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Me référant à ce qu’on dit Robert Badinter et Pierre Fauchon, notamment, je pense au livre de Jean Cassou La mémoire courte. N’ayons jamais la mémoire courte et ne voyons pas les choses de manière trop terre à terre !

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen comporte aussi des mots qu’on n’emploierait plus aujourd’hui ! Mais cela fait partie de notre histoire…

M. Michel Charasse. On n’est pas capable d’écrire aussi bien aujourd’hui !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. …et on comprend mieux les choses si on se réfère à l’histoire. Ne bouleversons pas trop ces notions car nous pourrions commettre beaucoup d’erreurs ! (M. Michel Charasse opine.)

M. le président. Je n’ai qu’un mot à dire : un grand merci à toutes et à tous pour la qualité de ce débat qui honore le Sénat.

Articles additionnels avant l'article 1er A (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Discussion générale

5

Souhaits de bienvenue à une délégation du Vietnam

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le très grand plaisir, au nom du Sénat tout entier, de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d’une délégation de l’Assemblée nationale du Vietnam, conduite par M. Luong Phan Cou, président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale du Vietnam.

Nous sommes particulièrement sensibles à l’intérêt et à la sympathie qu’ils portent à notre institution.

Au nom du Sénat de la République, je leur souhaite la plus cordiale bienvenue et je forme des vœux pour que leur séjour en France contribue à renforcer les liens d’amitié entre nos deux pays. (Mme le garde des sceaux, M. le secrétaire d'État, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

6

Articles additionnels avant l'article 1er A (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 1er A (début)

Modernisation des institutions de la Vème République

Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 1er A (interruption de la discussion)

Article 1er A 

L'article 1er de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Les langues régionales appartiennent à son patrimoine. »

M. le président. Je suis saisi de onze amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les six premiers sont identiques.

L'amendement n° 3 rectifié est présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et M. Fortassin.

L'amendement n° 77 est présenté par MM. Gélard, Portelli et Lecerf.

L'amendement n° 145 est présenté par M. Mélenchon.

L'amendement n° 157 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

L'amendement n° 250 rectifié ter est présenté par M. Gouteyron, Mme B. Dupont, MM. Gournac et Retailleau et Mme Papon.

L'amendement n° 260 rectifié est présenté par MM. Détraigne, Deneux et Merceron, Mme Morin-Desailly et MM. Biwer, Fauchon, J.L. Dupont, C. Gaudin, Zocchetto et Pozzo di Borgo.

Ces amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Michel Charasse, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié.

M. Michel Charasse. Lorsque l’on parle de réviser la Constitution, les propositions les plus inattendues sont souvent formulées. Je ne suis pas le seul dans cette assemblée à avoir été surpris par l’apparition dans ce projet de révision constitutionnelle, à l’issue des débats de l’Assemblée nationale, d’une mention visant à classer les langues régionales dans le patrimoine de la France.

Car, après tout, on pourrait profiter de la révision de la Constitution pour classer dans le patrimoine national tout ce qui est considéré comme monument historique depuis la loi de 1913, y compris la gastronomie dont la France demande officiellement à l’UNESCO de la reconnaître comme patrimoine de l’humanité ! Si la gastronomie entre dans le patrimoine de l’humanité, elle entre nécessairement dans le patrimoine de la France puisque la France fait partie de l’humanité. Enfin, la potée auvergnate classée monument historique !

M. le président. Et la choucroute !

M. Michel Charasse. C’est une chose que je n’aurais pas cru voir avant ma mort ! (Sourires.)

En tout cas, nous voyons bien que cette mention des langues régionales n’a rien à faire dans la Constitution. (Applaudissements sur plusieurs travées de lUMP.)

M. Alain Gournac. Rien du tout !

M. Michel Charasse. Que la Constitution dise que le français est la langue de la République – grâce au roi François Ier –, cela va de soi, c’est la base et c’est ce qui définit le mode des échanges, notamment juridiques et officiels. Mais qu’on aille au-delà en ajoutant cette précision concernant les langues régionales, c’est véritablement inouï !

Et si, en plus, cette mention se limite à préciser que les langues régionales font partie du patrimoine, de deux choses l’une : soit il ne sert à rien de l’inscrire dans la Constitution puisque l’on peut parvenir au même résultat par d’autres voies législatives, soit quelque chose d’inavouable se cache derrière.

Certes, notre collègue rapporteur, M. Gélard, nous dit…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est moi le rapporteur !

M. Michel Charasse. Mon cher ami, veuillez excuser cette erreur !

M. Patrice Gélard. Je ne suis pas vexé !

M. Michel Charasse. Notre collègue rapporteur, M. Hyest – je rends à César ce qui est à César –, nous dit que cette mention n’a pas de portée normative et c’est ce que je crois personnellement.

Mais je suis persuadé que ceux qui l’ont introduite sous cette forme ne sont pas assez naïfs pour introduire dans la Constitution des dispositions non normatives et qu’ils nous cachent quelque chose.

En fait, ils cachent leur intention de contourner la décision du Conseil constitutionnel…

M. Adrien Gouteyron. Bien sûr !

M. Michel Charasse. …concernant la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires dont nous savons tous que, compte tenu de ses règles actuelles, la République ne peut pas la ratifier, en raison de certaines de ses dispositions en tout cas, dont le Conseil constitutionnel a dit qu’elles portaient atteinte à l’unicité du peuple français, à l’indivisibilité de la République et au principe d’égalité des citoyens devant la loi, trois fondements essentiels de la République.

Ou cette mention ne veut rien dire et il faut la supprimer, ou elle signifie que l’on pourrait demain considérer, par exemple, que cet élément du patrimoine nécessitant une protection particulière et renforcée, celle-ci passe nécessairement par la ratification de la Charte. Dans le premier cas, c’est inutile, dans le deuxième cas, c’est dangereux, c’est pourquoi je propose la suppression de cet article qui n’a pas sa place dans la Constitution ! (Applaudissements sur plusieurs travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour présenter l'amendement n° 77.

M. Patrice Gélard. Je suis en parfait accord avec les propos de notre collègue Michel Charasse. J’ajouterai simplement ceci : je ne sais pas très bien ce qu’est le patrimoine national et je crains que, si nous insérons ce type de disposition dans la Constitution, nous n’y retrouvions aussi demain la franc-maçonnerie, le christianisme, les cathédrales, toutes choses qui font aussi partie de notre patrimoine !

M. Jean-Luc Mélenchon. Pas de la même manière, mon cher !

M. Guy Fischer. Provocation !

M. Patrice Gélard. C'est la raison pour laquelle les auteurs de cet amendement demandent la suppression de l’article 1er A.

M. Michel Charasse. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour présenter l'amendement n° 145.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre assemblée connaît déjà ma position à propos des langues régionales. En effet, j’ai eu le privilège d’intervenir sur cette question lors du débat consécutif à la question orale – fort opportune – posée par notre collègue Nicolas Alfonsi.

Récemment, j’ai pris la liberté d’adresser à chacun d’entre vous une présentation argumentée de mes idées. Comme j’ai pu l’observer, nos travaux sont suivis avec beaucoup d’attention par les partisans, qui ne sont pas toujours très raisonnables, de la pratique des langues régionales : ils ont bruyamment fait connaître leur opinion, le plus souvent de manière injurieuse à mon égard et quelquefois de façon plus respectueuse du point de vue que j’exprime ici.

Je ne peux donc faire moins à cet instant que de rappeler qu’il n’est pas question dans mon esprit, ni sans doute dans celui de beaucoup d’entre vous, d’opposer la langue française aux langues régionales ou de nier leur existence, leur intérêt et leur contribution à la constitution même de l’identité des Français.

À la bataille de Valmy, nos ancêtres ne parlaient pas tous la même langue, n’adoraient pas les mêmes dieux, ne pesaient pas dans les mêmes unités de mesure. Pourtant, ils ont contribué tous ensemble à faire l’histoire de la France, et singulièrement la grande rupture républicaine, qui fonde son identité contemporaine.

Nous ne raisonnons pas ici en termes d’opposition entre langue nationale et langue régionale. À l’origine de ce débat, il y a une décision prise dans le cadre du Conseil de l’Europe dont l’objectif était de protéger les minorités nationales dans les pays où celles-ci subissaient des discriminations et des répressions. Notre pays n’est pas concerné car nul en France n’a jamais été poursuivi ou inquiété du fait de son parler maternel, ni interdit d’accès à quelque fonction que ce soit.

Certes, il y a eu autrefois des pratiques « pédagogiques » fort rudes dont on nous rebat les oreilles. Mais il est temps de rappeler que, à l’époque, la pédagogie était dure quelle que soit la matière enseignée. Je ne crois pas qu’il faille sans cesse nous opposer ces exemples pour prouver que notre pays aurait jeté un opprobre particulier sur ceux qui ne parlaient pas la langue française dès leur plus jeune âge. Laissons maintenant cela de côté !

En tant que socialiste – je demande un instant de bienveillance à mes collègues qui ne partagent pas mes convictions –, il serait absurde que je me soustraie à cette communauté intellectuelle qui associe les hommes de gauche à la promotion des langues régionales, dans la droite ligne de Jean Jaurès – prenant la défense de l’occitan – et du communiste Marcel Cachin – faisant de la propagande en breton. Je le rappelle, la première loi qui a reconnu ces langues en France et qui a instauré l’obligation de leur pratique est l’œuvre du député socialiste Maurice Deixonne. La loi Toubon a, certes, permis par la suite que soit élargi le champ des dispositions de la loi Deixonne, mais c’est Lionel Jospin qui, le premier, a permis l’enseignement du corse à tous les niveaux et créé une option langues régionales au baccalauréat ouverte à tous les élèves.

M. Adrien Gouteyron. C’est vrai !

M. Jean-Luc Mélenchon. Par conséquent, il n’y a pas d’ambigüité sur la volonté qui, me semble-t-il, est unanimement partagée de protéger et développer les langues régionales en France. La République française n’opprime personne ; tout au contraire, elle donne les moyens de développer les langues régionales.

M. Jean-Luc Mélenchon. La seule question qui vaille est de se demander si le cadre légal existant permet ou non la pratique et le développement de ces langues. Et c’est bien le cas avec l’ensemble de lois que je viens de rappeler. Cet argument ne peut donc pas nous être opposé.

Certains ont rappelé, avec humour, que bien des particularités appartiennent au patrimoine. Quelles sont donc les intentions de ceux qui veulent introduire les langues régionales dans la Constitution ? Ils estiment certainement que la langue régionale, parce qu’elle est la langue maternelle ou supposée telle, est constitutive de l’identité particulière des personnes. À cette argumentation, nous devons répondre de manière très précautionneuse car il faut respecter ce sentiment si humain, si spontané, si noble. Mais nous devons aussi préciser que bien d’autres particularités sont considérées par nos concitoyens comme définissant leur identité la plus profonde. C’est le cas par exemple de la foi : elle peut être considérée comme étant « reçue » dans des conditions qui s’apparentent à celles de la transmission de la langue.

La République française respecte et garantit la liberté de conscience ; il n’est donc pas besoin d’introduire cette particularité dans la Constitution.

Alors, je le répète, pourquoi nous le demande-t-on ? Je crains que la bonne volonté de ceux qui s’enthousiasment à juste titre pour le développement des langues régionales n’ait été surprise. Il existe un parti « ethniciste » qui veut faire introduire dans la Constitution une référence à ces langues. Aujourd'hui, cette inscription à l’article 1er peut paraître inoffensive mais, il faut le rappeler, c’est le Gouvernement qui a fait retirer les premiers amendements déposés sur ce sujet à l'Assemblée nationale visant explicitement à permettre l’application possible de la Charte des langues régionales. La rédaction proposée pour l’article 1er est une version rendue « inoffensive » de ces amendements.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Luc Mélenchon. Il n’empêche : il est temps d’affirmer avec fierté que la patrie républicaine ne réprime pas les langues et que nous n’avons donc pas besoin d’introduire une telle disposition dans la Constitution. Ce seul fait ferait porter un soupçon sur l’équanimité de cette République. Par voie de conséquence et en toute logique, cette mention pourrait, à terme, être intégrée à l’article 2, et la charte des langues régionales être inscrite dans la Constitution.

La France appliquait l’essentiel des dispositions de la Charte avant même qu’elle soit promulguée.

M. Michel Charasse. Absolument !

M. Jean-Luc Mélenchon. Celles qu’elle n’applique pas sont celles qui ont été déclarées anticonstitutionnelles au motif qu’elles créaient une différence de droits fondée sur la locution.

Nous n’admettons pas que des différences de droits soient créées à raison de particularités. La laïcité de la République, son unité, son indivisibilité l’exigent autant que le simple bon sens et la raison. (M. Robert Bret applaudit.)

M. Michel Charasse. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Ivan Renar, pour présenter l'amendement n° 157.

M. Ivan Renar. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous, sénateurs communistes, souhaitons tout d’abord réaffirmer que nous avons toujours été de fervents militants du plurilinguisme et de la diversité culturelle. À cet égard, les langues régionales font indiscutablement partie de cette riche et indispensable diversité qu’il convient de préserver. C’est pourquoi nous avons toujours soutenu leur pratique et leur enseignement. Pour autant, nous ne sommes pas favorables à leur inscription dans l’article 1er de la Constitution : cela ne contribuerait pas pour autant à les rendre plus vivantes, mais conduirait avec certitude à écorner les grands principes de notre République.

Le premier article de la Constitution définit la République comme l’œuvre de tous et appartenant à tous, quelles que soient les particularités de chacun. Ainsi, la République consacre ce qui rapproche les citoyens contre ce qui les divise. La meilleure façon de protéger les particularismes est bien de garantir leur libre expression privée en les protégeant de toute ingérence publique.

Pourquoi alors introduire ce particularisme et pas un autre ? Et demain, est-ce que ce sera le tour de la religion ? Cela risque d’apparaître discriminatoire et d’ouvrir la voie à une division entre citoyens contraire à l’esprit de notre République.

Ne serait-ce qu’en matière linguistique, les personnes pratiquant des langues dites des migrants, d’ailleurs plus nombreuses que celles qui pratiquent une langue régionale, ne pourraient-elles pas légitimement par exemple se sentir victimes de discriminations ?

Le français est une langue mouvante qui ne cesse d’évoluer et, aujourd’hui comme hier, c’est le parler populaire qui lui apporte ses nouvelles lettres de noblesse. Les nouveaux mots courants apparus ces dernières années doivent beaucoup aux parlers, aux métissages des cultures et à la culture des quartiers populaires. Les langues importées par l’immigration ont en effet introduit une syntaxe, une prononciation et un lexique nouveaux qui ont une incidence certaine sur notre langue.

Pourquoi la Constitution évoquerait les langues régionales, qui plus est avant le français qui n’est mentionné qu’à l’article 2 ? Et ce, alors même que notre langue nationale est de plus en plus menacée, y compris dans les instances internationales ou européennes où elle est pourtant l’une des langues officielles. Dans le contexte de mondialisation actuelle où de nombreuses langues nationales sont de plus en plus mises en danger par l’usage de l’anglais qui devient hégémonique, la priorité reste de consolider la place du français, y compris sur l’échiquier international. « Union européenne : alerte sur les langues » titrait Le Monde en date du 10 juin : l’article soulignait que le français et l’allemand, deux des trois langues de travail de l’Union européenne qui compte vingt-trois idiomes officiels, continuent de perdre du terrain à Bruxelles au profit de l’anglais.

En mars 2006 à Bruxelles, Jacques Chirac, alors Président de la République, avait quitté la salle du Conseil, refusant d’entendre le français Ernest-Antoine Seillière, président du patronat français, s’exprimer en anglais, qui est devenu la langue de l’économie dominante. Le président Chirac avait bien raison, car, comme le disait Stendhal, « le premier instrument du génie d’un peuple, c’est sa langue ».

Comment ne pas relayer l’inquiétude de l’Académie française quant à la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution ? C’est une démarche extrêmement rare de la part de cette vénérable institution.

L’Académie « qui a reçu le mandat de veiller à la langue française dans son usage et son rayonnement » demande « le retrait de ce texte dont les excellentes intentions peuvent et doivent s’exprimer ailleurs, mais qui n’a pas sa place dans la Constitution ». Les académiciens contestent en particulier la primauté donnée aux langues régionales, désormais inscrites dans l’article 1er de la Constitution alors que la langue française reste mentionnée dans l’article 2. « Depuis plus de cinq siècles, la langue française a forgé la France. Par un juste retour, notre Constitution a, dans son article 2, reconnu cette évidence : “ La langue de la République est le français”. »

Même si elle ne l’a pas ratifiée, la France applique de nombreux articles de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. La législation française prend déjà en compte le fait linguistique régional, même si cette législation doit être encore améliorée car unité du pays ne signifie pas pour autant uniformisation. Les langues régionales font bien sûr partie du patrimoine de la France ! C’est tellement évident ! Mais pourquoi l’inscrire dans la Constitution ?

Le français est avant tout une langue fédératrice, qui permet de donner corps aux principes de liberté, d’égalité et de fraternité de notre République. Tous différents, nous sommes tous égaux en droits. Ainsi, l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui a institué sous François Ier le français comme langue du royaume permet à chacun de se faire comprendre et de comprendre les autres, de se défendre, de témoigner, d’ester en justice. Remettre en question cette ordonnance, ainsi que le prévoit pourtant la Charte européenne, constituerait un net recul, comme l’a d’ailleurs confirmé le Conseil constitutionnel en 1999. L’usage du français pour les actes législatifs et les autres documents est une nécessité politique démocratique.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Renar.

M. Ivan Renar. Si, depuis la révision constitutionnelle de 1992, l’article 2 du texte fondamental précise que « la langue de la République est le français », c’est pour lutter non pas contre les langues régionales, mais contre l’envahissement de l’anglais.

Mme Christine Albanel a annoncé le dépôt d’un projet de loi destiné à « normaliser et organiser l’apprentissage et l’emploi des langues régionales ».

M. Adrien Gouteyron. Tout à fait !

M. Ivan Renar. Alors que l’État ne cesse de se désengager et que de nombreux enseignements sont aujourd’hui en souffrance, on peut craindre qu’une telle loi ne voie ses effets limités si elle n’est pas accompagnée des moyens nécessaires de l’État qui font déjà cruellement défaut. Alors qu’il n’y aurait aucun intérêt à faire lire La Princesse de Clèves à l’école, comment croire alors que les poètes Frédéric Mistral et Jules Mousseron trouveraient soudain une place de choix dans les programmes ?

M. le président. Concluez, monsieur Renar !

M. Ivan Renar. La promotion des langues et des cultures régionales est un élément de culture important. Je dis souvent que l’universel, c’est le local sans les murs. En revanche, cela ne doit pas s’apparenter à un enfermement régionaliste ou communautariste, bien au contraire ! Posséder des racines ne doit pas empêcher d’avoir des ailes. On ne rappellera jamais assez que nous appartenons à une communauté qui s’appelle l’humanité. Pour cette raison, nous devons tous voter les amendements qui visent à supprimer la phrase proposée à l’article 1er A pour compléter l’article 1er de la Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Jean-Luc Mélenchon et Michel Charasse applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron, pour présenter l'amendement n° 250 rectifié ter.

M. Adrien Gouteyron. Tout d’abord, je me réjouis que plusieurs amendements de suppression de l’article 1er A du projet de loi constitutionnelle émanent des différentes travées de la Haute Assemblée. C’est déjà un signe.

Tout à l’heure, plusieurs orateurs ont fait référence à « ce qui nous rassemble ». À mon sens, l’article 1er de la Constitution est fait pour rappeler ce qui nous rassemble, et non ce qui nous distingue.

Mes chers collègues, prenons le texte. Actuellement, l’article 1er dispose : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. » L’article 1er A du projet de loi vise à ajouter les mots : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine. »

Sentez-vous, comme moi, le décalage et la chute ? (M. Michel Charasse acquiesce.) Une telle mention est-elle à la hauteur d’une loi constitutionnelle ? Je pense véritablement que non.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’organisation « décentralisée » de la République n’en est pas à la hauteur non plus !

M. Adrien Gouteyron. C'est la première raison pour laquelle j’ai déposé cet amendement de suppression.

Pour ma part, je suis également attaché aux langues régionales. D’ailleurs, je fais partie de membres de cette assemblée qui en parlent une correctement, et qui la comprennent parfaitement.

Simplement, je songe en ce moment à ceux qui, chez moi, m’ont enseigné le français. Même s’ils parlaient une langue régionale, ils considéraient que la langue de notre pays, c’est le français.

Mes chers collègues, je crois sincèrement que le sujet dont nous débattons actuellement n’est ni mineur ni anecdotique. Il est essentiel.

À l’article 1er de la Constitution, nous devons, me semble-t-il, affirmer ce qui nous rassemble, et non ce qui nous distingue. Or, avec le dispositif que le présent article 1er A vise à instituer, nous sommes, je le crois, dans ce qui nous distingue.

S'agissant de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, je rejoins totalement la position qui a été défendue par plusieurs de nos collèges. En réalité, même s’il n’est pas avoué, le véritable motif de l’insertion d’une telle disposition à l’article 1er de la Constitution est bien de conduire la France là où elle ne veut pas aller.

Si nous nous engagions dans une telle voie, ce n’est pas un quelconque document interprétatif – je rappelle que Jacques Chirac et Lionel Jospin, qui étaient alors respectivement Président de la République et Premier ministre, avaient déjà signé une déclaration interprétative en 1999 – qui nous empêcherait d’être soumis aux obligations de la Charte, car il n’aurait pas une valeur juridique suffisante.

Par conséquent, mes chers collègues, ne nous laissons pas aller et supprimons la référence aux langues régionales qui nous est ici proposée. (Applaudissements sur plusieurs travées de lUMP et de lUC-UDF. – M. Michel Charasse applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour présenter l'amendement n° 260 rectifié.

M. Yves Détraigne. Moi aussi, je me réjouis de constater que des amendements identiques ont été déposés par des collègues venant de tous les groupes politiques représentés dans notre Haute Assemblée. En effet, il s’agit d’un sujet important.

Naturellement, je partage ce qui a été souligné par la plupart de nos collègues.

Certes, et je ne le conteste pas, les langues régionales appartiennent à notre histoire. À ce titre, elles sont l’un des éléments constitutifs de notre patrimoine.

Pour autant, je ne vois pas – ou, plutôt, je ne le vois que trop bien – pourquoi certains voudraient leur attribuer une existence constitutionnelle. Comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, la Constitution est la loi fondamentale. Nous ne pouvons pas en faire un texte déclaratif qui contiendrait un certain nombre de dispositions uniquement destinées à faire plaisir aux uns ou aux autres.

La Constitution est la loi qui régit le fonctionnement de nos institutions. Or je ne vois pas en quoi la pratique des langues régionales relève du fonctionnement de nos institutions. Plus précisément, je redoute que l’on ne prenne ensuite prétexte d’une telle disposition pour rendre obligatoire l’apprentissage des langues régionales ou pour imposer la communication des documents publics dans deux langues, le français et la langue régionale locale. Nous mettrions ainsi le doigt dans un engrenage qui conduirait à une remise en cause de notre unité nationale.

En outre, et cela a été soulevé par plusieurs orateurs, si nous devions reconnaitre l’appartenance des langues régionales à notre patrimoine, pourquoi nous limiterions-nous à celles-ci ? Pourquoi ne pas également mentionner nos paysages ou notre patrimoine bâti ?