compte rendu intégral

Présidence de M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mise au point au sujet d'un vote

M. le président. La parole est à M. Francis Grignon.

M. Francis Grignon. Monsieur le président, lors du vote par scrutin public n° 13 sur l’amendement n° 1 tendant à supprimer l’article 17 du projet de loi relatif à la mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, M. Alain Vasselle a été déclaré comme votant pour, alors qu’il avait souhaité voter contre.

Mme Annie David. Cela n’aurait rien changé !

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue.

3

 
Dossier législatif : projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion
Discussion générale (suite)

Revenu de solidarité active

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion (nos 7, 25, 32).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le haut-commissaire.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, hier, l’Organisation pour la coopération et le développement économiques, l’OCDE, rendait public un rapport d’une importance considérable, intitulé Croissance et Inégalités, qui analyse l’évolution de la distribution des revenus et de la pauvreté dans l’ensemble des pays la composant.

Ce travail minutieux et rigoureux montre que, en France, sur vingt ans, la pauvreté a quelque peu reculé et les inégalités se sont réduites, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays de l’OCDE. Cependant, depuis plus de dix ans, les inégalités ne se réduisent plus, la pauvreté ne régresse plus, bien que les transferts sociaux soient plus importants chez nous que dans d’autres pays. Notre système brasse donc beaucoup de milliards, mais plus dans des conditions qui permettent de diminuer la pauvreté.

Le rapport de l’OCDE conclut qu’il est important de savoir exactement quelle est la nature de l’objectif d’équité visé par un gouvernement. En effet, le résultat des différentes politiques mises en œuvre dépend des caractéristiques de la population censée en bénéficier.

Le rapport montre qu’il existe deux stratégies, celle de la redistribution et celle de l’accès à l’emploi, et en tire deux conclusions : la première est que la stratégie de l’accès à l’emploi est plus efficace dans des pays où les transferts sociaux sont déjà importants ; la seconde est qu’il apparaît souhaitable de combiner les deux stratégies.

C’est exactement ce que nous vous proposons.

Je ne me suis jamais résolu, et je ne me résoudrai jamais, à ce que notre pays reste indifférent, neutre, sans opinion sur la question de la pauvreté. Vous non plus, je le sais. Les travaux du Sénat sur cette question en témoignent, et nous nous en sommes inspirés.

Je pense au rapport d’Henri de Raincourt et de Michel Mercier,…

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Excellent, en effet !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. … à celui de Valérie Létard, mais aussi aux travaux de la mission d’information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, présidée par M. Christian Demuynck, ainsi qu’aux nombreuses contributions de la commission des affaires sociales, que préside M. Nicolas About. Je me réfère également aux travaux de MM. Philippe Marini et Jean Arthuis sur les minima sociaux et les bas salaires.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je pense enfin à l’implication de beaucoup d’entre vous, en tant que présidents de conseil général, dans des démarches innovantes sur le plan social, au nombre desquelles figure l’expérimentation du revenu de solidarité active.

Le présent projet de loi ne vise certainement pas à la perfection, mais il prétend à la cohérence. Nous revendiquons une stratégie fondée sur un diagnostic, des objectifs, une méthode, des principes, des outils, des moyens et une éthique.

Le diagnostic, c’est que la pauvreté concerne aujourd’hui principalement des personnes en âge d’être actives, avec autant de gens qui sont pauvres parce qu’exclus du travail que de personnes demeurant dans la pauvreté malgré le travail.

Le diagnostic, c’est que nous sommes passés trop longtemps à côté du phénomène des travailleurs pauvres.

Le diagnostic, c’est que le nombre de travailleurs pauvres a augmenté, même lorsque le salaire minimum a connu ses plus fortes augmentations.

Les objectifs, c’est, pour la première fois en France, une ambition quantifiée, qui a donné lieu à un engagement politique de réduction de la pauvreté figurant dans un « tableau de bord » négocié avec les principaux acteurs sociaux et qui fera l’objet d’un suivi année après année. Ce document vise le taux de pauvreté monétaire, le nombre de travailleurs pauvres, le nombre de dossiers de surendettement et toute une série d’autres indicateurs.

Ce projet de loi tend à graver dans le marbre la notion d’objectifs de réduction de la pauvreté. Il s’agit là d’un levier indispensable pour permettre à tous les acteurs concernés de pouvoir vérifier la réalité des engagements pris. Parmi ces objectifs, je mentionnerai l’inversion de la tendance concernant les travailleurs pauvres.

Auparavant, il y avait des annonces, souvent tonitruantes, mais pas d’engagements ; voilà, au contraire, des engagements quantifiés. Vous avez souvent eu droit à des mots vibrants ; voilà des actes concrets.

En ce qui concerne la méthode, elle consiste à se fonder d’abord sur une phase d’expérimentation, puis sur une politique partenariale, dans un cadre conventionnel, avec une articulation entre l’État et les collectivités territoriales, mais aussi entre l’accès à l’emploi et l’aide sociale, assorties de mécanismes d’évaluation et de rendez-vous réguliers.

La méthode, c’est ensuite d’avoir pris le temps de la concertation. La méthode, c’est d’avoir associé les personnes concernées, c’est-à-dire les allocataires de minima sociaux, à la conception de cette réforme, et de prévoir dans le projet de loi leur place dans les instances qui intéressent leur vie, leur revenu, leur dignité.

En ce qui concerne les principes, je citerai, d’une part, la garantie de la progression des ressources avec l’augmentation des revenus tirés du travail, et, d’autre part, la garantie de l’équité pour que, à travail égal et à situation familiale équivalente, les différents ménages disposent du même revenu.

Les outils, c’est bien sûr le revenu de solidarité active, mais c’est également le contrat unique d’insertion, ainsi que le pacte territorial d’insertion.

En ce qui concerne les moyens, avec ce projet de loi, ce sont 1,5 milliard d’euros supplémentaires qui seront destinés aux personnes les plus modestes. Il s’agit là d’un effort plus important que celui qui avait été fait lors de la création du revenu minimum d’insertion ou au moment de la mise en place de la couverture maladie universelle, la CMU.

L’éthique, enfin, consiste à promouvoir la dignité des personnes, en conciliant travail et solidarité. Comme on le dit souvent, il s’agit de « remettre les gens debout ». Ce projet de loi part d’un jugement moral porté non sur les personnes, mais sur une société qui tolère, comme c’est le cas aujourd’hui, que l’on puisse reprendre du travail sans gagner d’argent ou, en d’autres termes, que les plus pauvres soient taxés à 100 %.

M. Didier Guillaume. C’est le cas !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Oui, c’est le cas, mais si vous votez ce texte, cela ne sera plus vrai !

Notre société a créé la prime pour l’emploi pour les salariés les plus modestes, mais a exclu de son bénéfice la moitié des travailleurs pauvres : il existe donc des travailleurs trop pauvres pour avoir droit à la prime pour l’emploi…

Instaurer le revenu de solidarité active, c’est tirer les enseignements des réformes passées ; c’est conserver les principes qui ont encore toute leur actualité, en les adaptant à la réalité des nouveaux visages de la pauvreté.

Le RMI, promu par la gauche et voté par la droite, a créé un revenu minimum. Nous le conservons, bien évidemment, mais nous y ajoutons un mécanisme garantissant une augmentation des ressources après une reprise d’activité, plutôt qu’une diminution de revenu.

Il y a dix ans, une solution temporaire a été apportée, limitée à un an. Aujourd’hui, nous proposons un système qui soutient les revenus de la personne tant qu’elle en a besoin.

La prime pour l’emploi, créée par la gauche et amplifiée par la droite, permet une amélioration du revenu de certains salariés sans augmentation du coût salarial. Nous complétons ce dispositif, de façon à en combler les failles et les interstices, en garantissant aux plus pauvres, les oubliés de la prime pour l’emploi, un complément de revenu. À ceux pour qui la prime pour l’emploi se révèle insuffisante, nous leur garantissons le bénéfice du dispositif le plus avantageux pour eux, entre la prime pour l’emploi et le revenu de solidarité active.

Tel est le sens du revenu de solidarité active. Voilà ce qui explique que les deux candidats du second tour de l’élection présidentielle avaient adopté son principe, ce qui fait que 100 % des Français ont voté en faveur du RSA ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. Quel amalgame !

M. Charles Gautier. Pas celui-ci !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Puisque certains font mine de l’oublier, il n’est pas inutile de le rappeler !

Voilà aussi pourquoi des conseillers généraux de droite, de gauche et du centre se sont lancés dans l’expérimentation de ce dispositif. Voilà pourquoi, dans les conseils généraux de droite, la gauche a soutenu l’expérimentation, et inversement. Puisque certains font mine de l’oublier, il n’est pas inutile de le rappeler !

M. Alain Fouché. Très bien !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Nous, nous ne l’avons pas oublié. Nous n’avons pas changé de ligne d’action. Nous avons été fidèles à nos engagements, que nous vous proposons de traduire dans les textes, dans les faits, dans les pratiques.

Permettez-moi d’insister sur quelques points fondamentaux, en réponse aux interrogations que j’ai si souvent entendues.

On a dit que le RSA allait entraîner un effet d’aubaine pour les employeurs et détériorer la qualité de l’emploi.

M. Didier Guillaume. Bien sûr !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Non, au contraire.

Avec ce dispositif, nous n’abaissons pas le coût du travail pour l’employeur. Nous soutenons les salariés qui travaillent à temps partiel, et non les employeurs qui les embauchent, comme cela a été tenté en 1992 : à l’époque, il revenait moins cher à un employeur d’embaucher deux personnes à mi-temps qu’un seul salarié à plein temps ! Nous avons vu les conséquences d’une telle démarche, notamment une augmentation du temps partiel subi. Il a fallu corriger la situation, ce qui fut fait, en 1998, par ceux-là mêmes qui l’avaient créée. Les personnes qui ont des revenus trop faibles doivent être soutenues, sans que leurs employeurs en tirent avantage.

Au lieu de faire des procès d’intention, examinons les faits, les données, les réalités en face.

Dans les zones expérimentales, les revenus d’activité déclarés ne sont pas inférieurs aux revenus d’activité dans les zones témoins où le RSA n’est pas en vigueur. Mieux : pour le premier quartile, qui regroupe les revenus les plus modestes, dans les zones expérimentales, le revenu tiré de l’activité est plus élevé de 100 euros en moyenne que dans les zones témoins.

M. Guy Fischer. Cela fait 50 euros seulement !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Telles sont les données.

Pour être encore plus précis, dans l’Hérault – département où l’expérimentation a été menée sur la plus grande superficie et a concerné le plus grand nombre de personnes –, le temps de travail hebdomadaire moyen des bénéficiaires en activité en janvier et en juin est passé de 22,8 heures à 23,4 heures pour les bénéficiaires du RSA en contrat à durée déterminée, de 18,12 heures à 19,02 heures pour ceux qui sont en contrat à durée indéterminée et de 9,71 heures à 14,25 heures pour ceux qui relèvent du dispositif des chèques emploi-service universels, le CESU. Dans chacune de ces catégories, la durée du travail a davantage augmenté dans les zones expérimentales que dans les zones témoins.

Nul n’est obligé de prendre ses craintes pour des réalités ! Sur les trois trimestres, les emplois durables constituent 40 % des entrées dans le dispositif du RSA, le travail indépendant en représentant 10 % ; l’intérim n’intervient qu’à hauteur de 12 % : les faits, les faits, les faits !

On a affirmé que ce sont les classes moyennes qui allaient fournir la plus grande part de l’effort. Non, au contraire !

Cela fait longtemps que l’on dit que les revenus du capital sont moins taxés que ceux du travail. Au lieu de financer le revenu de solidarité active par une contribution universelle, telle la contribution sociale généralisée, la CSG, qui pèse sur l’ensemble des revenus, y compris sur les retraites et les salaires, nous avons choisi une contribution sur les seuls revenus du capital.

M. Guy Fischer. Les petits capitaux !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Les capitaux étant plus concentrés que les revenus du travail, ce sont les 10 % de ménages les plus aisés qui supporteront plus de la moitié de la contribution. Jusqu’à preuve du contraire, les classes moyennes n’incluent pas les 10 % de ménages ayant les patrimoines les plus élevés ! Ce ne sont donc pas les classes moyennes qui supporteront l’essentiel de l’effort. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. C’est faux !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est cela, traitez-le de menteur ! (Sourires.)

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. J’ai entendu ce qui a été dit sur le bouclier fiscal. Comme si l’inclusion d’une contribution de 1,1 % dans une disposition déjà votée pouvait annuler l’effet positif du revenu de solidarité active !

Je respecte, bien évidemment, toutes les opinions qui sont exprimées sur le bouclier fiscal.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. On peut avoir le sens des symboles, mais il faut aussi avoir celui des proportions.

L’année dernière, ici même, certains d’entre vous ont ironisé sur le fait que le projet de loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat ne prévoyait que 25 millions d’euros pour les premières expérimentations du RSA, quand la mise en œuvre du bouclier fiscal devait coûter près de 1 milliard d’euros. Je leur avais dit alors que nous y reviendrions, et nous avons tenu parole, sans changer de conviction, sans faillir, sans mentir, sans trahir, sans faiblir, sans dévier, sans tarder.

Si l’argument était valable voilà un an, il se retourne aujourd’hui : l’inclusion dans le bouclier fiscal – déjà voté – de la contribution de 1,1 % sur les revenus du capital pour financer le RSA représente 23 millions d’euros, tandis que l’effort nouveau en faveur des plus modestes s’élève à 1,5 milliard d’euros. La situation est inversée.

Par ailleurs, le débat sur le bouclier fiscal a permis d’introduire dans le présent projet de loi le principe du plafonnement global des niches fiscales, qui était demandé depuis si longtemps. Le projet de loi de finances permettra –non dans vingt-cinq ans, mais dans quelques jours – de lui donner une réalité, y compris dans son articulation avec le mécanisme du bouclier fiscal. Les travaux conduits hier par la commission des finances de l’Assemblée nationale sur l’assiette du bouclier fiscal vont d’ores et déjà dans ce sens. Le plafonnement des niches fiscales et la modification de leur prise en compte dans l’assiette du bouclier auront un effet huit à dix fois plus puissant que l’intégration de la nouvelle taxe dans le bouclier fiscal. En outre, le plafonnement n’a pas d’effets collatéraux, car il ne concerne que les plus hauts revenus. Plafonner les niches fiscales, c’est être dissuasif contre l’impôt choisi.

On a dit que l’État allait se défausser sur les collectivités territoriales. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Non, au contraire !

M. Guy Fischer. Mensonge !

M. Charles Gautier. Allez le dire au congrès des maires de France !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ils confondent avec le RMI !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Cette réforme se fait à la loyale à l’égard des départements, comme je m’y suis toujours engagé ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Qui a fait le RMI et l’allocation personnalisée d’autonomie ?

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Le surcoût de la prestation est pris en charge par le fonds national des solidarités actives, créé à cet effet et dont pas un centime ne pourra être affecté à un autre usage que le financement du revenu de solidarité active.

Par ailleurs, deux clauses de revoyure avec les départements sont prévues. Dans le même temps, nous reconduisons le Fonds de mobilisation départementale pour l’insertion, en le dotant de 500 millions d’euros pour 2009, alors qu’il était prévu qu’il disparaisse à la fin de l’année 2008. À ce sujet, je me souviens des discussions que nous avons eues avec l’Assemblée des départements de France, l’ADF, voilà quelques mois : on ne me croyait pas quand je disais que c’était ce que nous essayions d’obtenir !

M. Didier Guillaume. C’est vrai !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Mais, dans Le Monde d’aujourd’hui, un de ses vice-présidents déclare que « globalement, l’ADF est favorable » au RSA.

On a dit que ceux qui sont le plus éloignés de l’emploi allaient être oubliés. Non, au contraire !

Dans les zones où le revenu de solidarité active est expérimenté, la proportion de personnes qui touchaient le RMI depuis plus de quatre ans et qui reprennent du travail est plus élevée qu’ailleurs, mois après mois, systématiquement, régulièrement. Cela peut étonner, bousculer les idées reçues, faire tomber des arguments, aller à l’encontre de clichés, mais cela est indéniable.

Instaurer le revenu de solidarité active, ce n’est pas se résigner à la relégation de ceux qui n’arrivent pas à faire oublier leur étiquette de RMIste. Les personnes éloignées de l’emploi sont souvent celles qui reprennent du travail par le biais des contrats aidés.

J’entends souvent dire que je défends un texte dans lequel les personnes les plus éloignées de l’emploi sont oubliées. Compte tenu de mes convictions et de mes attachements, que l’on puisse me croire capable d’une telle chose m’irrite quelque peu…

Tout le monde en convient, les personnes éloignées de l’emploi sont souvent celles à qui sont destinés les contrats aidés. Or, aujourd'hui, ces mêmes personnes ne sont pas éligibles aux mesures d’intéressement créées pour les allocataires du RMI qui reprennent du travail. J’attire votre attention sur le fait que lorsqu’un allocataire du RMI reprend du travail dans une entreprise avec un contrat de travail classique, il continue actuellement de percevoir le RMI en plus de son salaire pendant trois mois, puis une prime forfaitaire de 150 euros au cours des neuf mois suivants. En revanche, une personne qui a des difficultés, qui est éloignée de l’emploi et qui reprend du travail grâce à un contrat aidé n’a droit à rien de tel. Trouvez-vous cela juste ? Moi, non ! Il n’en sera plus ainsi dès l’entrée en vigueur du revenu de solidarité active, et ce ne sera que justice pour les personnes les plus éloignées de l’emploi.

Ainsi, les compagnons d’Emmaüs, auxquels ce texte accorde un statut, n’étaient-ils pas considérés comme éloignés de l’emploi ? N’était-il pas utile que le législateur leur donne un statut juridique, soixante ans après la création de la première communauté ?

Le RSA est non pas une prime au mérite, mais la reconnaissance, pour chaque allocataire, sans stigmatisation, d’un droit. Le système des minima sociaux était bloqué, parce qu’il était difficile d’en sortir. En améliorant le taux de retour à l’emploi, nous permettons de reposer en des termes nouveaux la question des minima sociaux. D’ailleurs, dès le mois prochain, les allocataires de minima sociaux bénéficieront – et là encore, ce n’est que justice – d’un rattrapage équivalant à l’écart entre l’inflation prévisionnelle et l’inflation réelle. Il fallait d’abord réformer le RMI.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Cela rend possible d’autres évolutions, dès maintenant et dans l’avenir.

On a dit que les jeunes allaient être oubliés. Ce n’est pas le cas.

Il n’y a pas eu de consensus sur l’abaissement de la limite d’âge lors de la conférence de concertation à laquelle ont été invités, au mois de juillet, tous les partis politiques. Nous conservons donc les règles d’âge actuelles. Toutefois, un amendement adopté à l’Assemblée nationale permettra de faire le point sur la situation des jeunes de moins de vingt-cinq ans. En outre, nous vous soumettrons un amendement tendant à créer un fonds dédié à des programmes expérimentaux concernant les jeunes, afin que nos préoccupations ne restent pas théoriques. Un département, le Val-d’Oise, s’est d’ailleurs déjà porté candidat à l’expérimentation d’un dispositif en faveur des jeunes.

On a parfois dit que l’on allait créer deux catégories de pauvres. Non, au contraire, tant s’en faut !

Le revenu de solidarité active pourra être perçu par des personnes ayant de faibles revenus, certaines parce qu’elles travaillent peu ou ne travaillent pas, d’autres parce qu’elles ont des charges de famille, même si elles travaillent à plein temps. Nous ne faisons pas de ségrégation, de sélection, de tri entre les unes et les autres. Nous ne soumettons pas les bénéficiaires du dispositif à des statuts différents : on a trop attisé la haine entre les pauvres. C’est pourquoi le revenu de solidarité active sera versé à 3,5 millions de ménages.

On a prétendu qu’il y aurait d’autres priorités en ces temps troublés, et que le RSA ne marcherait pas en période difficile. Si, au contraire !

Ceux qui prétendent que le RSA ne serait pas utile en période de ralentissement de la croissance se trompent. Ils doivent être passés à côté de l’une des dimensions du RSA ! Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes qui demandent un plan de relance ou de soutien à la consommation. Or, précisément, le revenu de solidarité active permettra d’injecter 1,5 milliard d’euros au profit des salariés les plus modestes.

Dès le mois de juillet prochain, chacun des ménages concernés percevra 100 euros de plus par mois en moyenne, le surplus mensuel atteignant 200 euros pour une famille de deux enfants vivant grâce à un emploi à temps plein rémunéré au SMIC ou pour une mère travaillant à mi-temps et élevant seule son enfant. Croyez-moi, ces ménages n’y seront pas indifférents, et c’est une mesure de justice !

Je n’ai lu dans aucun ouvrage social que, en période de crise, il fallait renoncer à la solidarité ! Le RSA, mesdames, messieurs les sénateurs, fonctionne mieux que l’attentisme en période de gros temps.

Dans cette période incertaine, il est plus que jamais nécessaire de construire une stratégie solide, de s’engager fermement dans une politique de réduction de la pauvreté. Il fallait donc sécuriser le financement du RSA. Regardez derrière vous : au cours des vingt dernières années, lorsque le chômage a augmenté, le nombre de RMIstes a lui aussi augmenté immédiatement ; lorsque le chômage a baissé, le nombre de RMIstes…

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. N’a pas baissé !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. … a nettement moins diminué, et nettement moins vite. C’est parce que nous avons l’obsession de ne pas laisser les plus défavorisés être les premières victimes des à-coups économiques que nous mettons en place le revenu de solidarité active, avec le financement correspondant.

Que n’ai-je entendu à ce propos ? Le revenu de solidarité active, c’est bien… sauf le financement. On m’a conseillé de le disjoindre, de le renvoyer à un autre texte, ce qui aurait permis de se prononcer en faveur du revenu de solidarité active sans avoir à en assumer le financement. Mais je l’assume ! Un « tiens » vaut mieux que deux « tu l’auras ». Le financement de trop nombreux programmes de lutte contre la pauvreté a été renvoyé à d’autres textes, à d’autres temps, à d’autres horizons. Il aurait été facile d’en faire de même avec le RSA. Cela aurait été confortable pour nous, pour vous peut-être, mais sacrément inconfortable pour les personnes modestes !

J’ai également si souvent entendu dire : «  Lutter contre la pauvreté, oui ; payer pour, non ! » C’est un grand classique… Quel est le résultat ? Pile : des annonces sans lendemain ; face : des factures sournoises.

Mesdames, messieurs les sénateurs, chacun d’entre vous trouvera des motifs d’aller plus loin. Personne ne sera satisfait à 100 % par un tel projet de loi. Cela est normal et logique. Ce texte, nous l’avons construit en vue de parvenir à un délicat point d’équilibre entre des intérêts contradictoires, parfois divergents.

Chacun a une solution pour réduire la pauvreté, mais elle est souvent incompatible avec celles des autres : celle des employeurs est incompatible avec celle des syndicats, celle des syndicats avec celle des associations, celle de l’État avec celle des départements, celle de la droite avec celle de la gauche. Or nous avons besoin des uns et des autres.

Nous avons donc recherché un point d’équilibre, personne n’ayant tort ou raison à 100 %. Disons plutôt que tout le monde a raison à 90 %.

Cet équilibre est construit autour de quelques points-clés : nous ne pesons pas sur le coût du travail ; nous n’alourdissons pas les charges des entreprises ; nous n’ouvrons pas de brèche dans la protection des salariés ; nous ne remettons pas en cause le principe d’un revenu minimum ; nous mettons fin à des situations d’iniquité ; nous respectons un équilibre entre la solidarité nationale et l’initiative locale ; nous permettons une redistribution importante des revenus, sans pour autant consacrer de l’argent à l’inactivité ; nous établissons un équilibre entre droits et devoirs ; nous donnons un sens à une démarche européenne d’inclusion active ; nous mettons fin à l’une des plus grandes iniquités de notre système fiscal, lesquelles trouvent leur origine dans les niches sans plafond !

Nous avons écouté les uns et les autres. Nous avons intégré à ce texte, lors de son examen à l’Assemblée nationale, de nombreux amendements émanant des différents groupes politiques, tant de la majorité que de l’opposition, selon des proportions équivalant à leur poids dans la représentation nationale.

Je suis sûr que le débat permettra à chacun d’entre vous de se forger sa propre opinion sur un sujet qui le mérite, et d’améliorer encore ce texte. Votre engagement sera important, pour l’adoption de ce texte comme pour sa mise en œuvre, pour son évaluation comme pour ses améliorations ultérieures. J’ai toujours considéré que la lutte contre la pauvreté ne pouvait se jouer à pile ou face, en fonction des majorités politiques du moment, des circonstances, des humeurs, des calculs ou des étiquettes.

Je souhaite, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous amplifiiez le travail réalisé à l’Assemblée nationale, que vous montriez qu’un compromis noble est possible.

Tout au long du processus d’élaboration de cette réforme, nous avons respecté les souhaits de chacun en cherchant à les concilier avec les demandes des uns et des autres. Votre attachement au fond comme au symbole pourra se traduire par ce signal d’espoir et de solidarité qu’attendent nos concitoyens.

Adopter le dispositif généralisant le revenu de solidarité active et rénovant les outils de l’insertion ne vous conduira pas à affadir vos propres convictions, à perdre tout esprit critique. Cela montrera au contraire qu’il est utile de rechercher parmi les acteurs un compromis, et non la pureté dangereuse ou une sorte d’absolu inatteignable.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je défends le revenu de solidarité active depuis plus de mille jours. Il a été imaginé dans un esprit consensuel au sein d’une commission réunissant des acteurs qui avaient fait fi des consignes et des étiquettes, parce qu’ils croyaient à la nécessité de réduire la pauvreté.

Pendant ces mille jours, j’ai discuté, échangé, travaillé avec de très nombreux allocataires de minima sociaux. J’ai rencontré régulièrement, dans les départements expérimentateurs, ceux qui bénéficiaient du revenu de solidarité active. Leur message est clair. Il est sans ambiguïté. Il est argumenté et émouvant. Il nous oblige !

Je pense que beaucoup d’entre vous ont entendu ce message. Ce n’est jamais le message du statu quo, jamais le message de l’indifférence, jamais le message de la résignation. Les plus modestes nous disent avoir besoin du revenu de solidarité active. Engageons-nous résolument à les soutenir au moment où ils en ont le plus besoin. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion
Discussion générale (suite)