Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce budget est donc le premier budget d’application d’une loi de programmation que nous n’avons pas encore examinée ; c’est regrettable.

M. Hervé Morin, ministre. Cela s’est déjà produit !

M. Jean-Pierre Chevènement. Peut-être, mais pourquoi continuer sur cette mauvaise pente ! (Sourires.)

Monsieur le ministre, des présentations flatteuses, comme l’augmentation très forte des autorisations d’engagement en matière d’équipement, occultent la réduction globale de l’effort de défense du pays, que les rapporteurs ont parfaitement mis en lumière : 1,6 % – en norme OTAN, hors gendarmerie et pensions – de notre PIB consacré à la défense, c’est très peu !

Si j’en crois les rapporteurs, et au vu d’ailleurs des indications contenues dans le projet de loi de programmation triennale des finances publiques, la part des dépenses de défense dans le PIB sera de 1,5 % en 2012 et de 1,4 % en 2020.

Nous sommes loin de l’effort britannique, et surtout loin des engagements pris par Nicolas Sarkozy, alors qu’il était candidat à la Présidence de la République, de maintenir à 2 % du PIB notre effort de défense.

Au surplus, ce budget est soumis à de nombreux aléas, qui pèsent principalement sur le programme 146 « Équipement des forces ». Il s’agit tout d’abord du poids des charges afférentes aux exercices antérieurs ; ensuite, de l’évaluation pour le moins aléatoire du montant des cessions, cessions réalisées à « l’euro symbolique » pour les villes éprouvées par les restructurations et prélèvement prévu à hauteur de 15 % pour le désendettement de l’État ; enfin, de la budgétisation des OPEX – 510 millions d’euros dans ce projet de loi de finances –, qui restera inférieure au surcoût de 850 millions d’euros observé dès cette année, et dont tout donne à penser qu’il pourrait continuer de croître.

Les rapporteurs spéciaux font valoir que, en matière d’équipement, la France peut être comparée avec la Grande-Bretagne. Il n’y a pourtant pas lieu de pavoiser si l’on tient compte de l’obsolescence ou de la faible disponibilité de beaucoup de nos matériels.

J’en viens à la question de fond : notre modèle d’armée, que nous sommes en train de « recalibrer » en forte baisse – 5 600 postes supprimés en 2009 et 54 000 sur toute la durée de la loi de programmation –, correspond-il véritablement à l’intérêt de la défense nationale ? J’en doute sérieusement.

Si je mets à part la dissuasion, qui est convenablement dotée et dont les programmes s’exécutent sans trop de retard, nous sommes en train de constituer une petite armée de métier, essentiellement dédiée à des opérations de projection lointaine.

Quand le Président Jacques Chirac a suspendu le service national, en 1996, je n’y étais pas favorable.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Moi non plus !

M. Jean-Pierre Chevènement. Je considère qu’il permettait d’établir un lien étroit avec la nation, de disposer d’une réserve de puissance et de mobilisation en cas de circonstances exceptionnelles et, enfin, de bénéficier d’une ressource abondante, diversifiée et peu chère. C’est grâce au service national que nous avons pu maintenir pendant plusieurs décennies un effort d’équipement supérieur à 60 % de notre effort global de défense, contre un peu plus de 40 % aujourd'hui.

J’observe que les objectifs du « modèle d’armée 2015 » n’ont pu être atteints. Le Président Sarkozy en a pris acte. Conscient des insuffisances de l’équipement, il a décidé une très forte déflation des effectifs pour pouvoir les équiper correctement. Telle est la logique de la loi de programmation. Mais correspond-elle aux besoins de la défense nationale ? Je ne le crois pas.

Nous sommes en dessous de l’effort nécessaire pour parer aux risques de tensions, de crises, de conflits, dont l’horizon est chargé.

Le siècle qui commence comporte pour la France un grave risque d’effacement, présent dans l’esprit de nos concitoyens. Cet effacement peut résulter de notre absorption dans un empire : c’est l’idéologie « occidentalitaliste » théorisée par Édouard Balladur, dans un petit livre trop peu lu, intitulé Pour une Union occidentale entre l’Europe et les États-Unis. L’effacement de la France peut aussi résulter du triomphe des communautarismes, antichambre de la guerre civile.

La France est en Europe, et gardons-nous d’oublier que l’Europe n’est pas à l’abri de conflits – on l’a vu dans les Balkans ou dans le Caucase –, qui peuvent dégénérer si nous ne sommes pas capables de développer un véritable partenariat avec la Russie. À cet égard, la responsabilité de la France est essentielle.

Outre l’effacement de la France, le second risque réside dans la mondialisation, qui rétrécit la planète et peut nous entraîner dans toutes sortes de conflits d’intensité faible ou forte, dans lesquels le ressentiment accumulé, au fil des derniers siècles, contre les Européens peut se cristalliser de manière soudaine et irrationnelle.

Nous ne devons pas céder à l’idéologie occidentaliste, ou entrer dans le schéma, théorisé par Samuel Huntington, du « choc des civilisations ». Au contraire, nous devons maintenir l’idée des valeurs universelles : le Nord est pluriel, le Sud aussi, mais l’humanité est une ; tel devrait être le message de la France, qui a toujours été contre les empires.

C’est pourquoi le choix de rejoindre l’organisation militaire intégrée de l’OTAN est une grave erreur. À quoi sert cette organisation depuis la disparition de l’Union soviétique ? Monsieur le ministre, il faudrait que vous nous le disiez ! L’institut John Hopkins a été chargé de réfléchir sur un « nouveau concept stratégique de l’OTAN ». Pourriez-vous nous éclairer sur les fruits de cette réflexion, monsieur le ministre.

L’élargissement à l’Est de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie et au cœur même de l’espace russophone est contraire à l’intérêt de la France, et contraire à l’intérêt européen bien compris. Le Président de la République a soutenu à Bucarest la mise en place de systèmes antimissiles en Tchéquie et en Pologne. Cela ne me paraît pas très cohérent avec le souci qu’il a par ailleurs manifesté, et que j’approuve, de maîtriser le conflit géorgien.

Le Président de la République dit vouloir développer parallèlement une « Europe de la défense efficace ». Monsieur le ministre, quelles en sont donc les manifestations ?

Il n’y a rien à gagner à revenir dans la structure militaire intégrée de l’OTAN, sinon une implication toujours plus grande dans les OPEX et un accroissement de 10 % cette année de notre contribution financière à l’OTAN, ce qui représente 115 millions d’euros.

À long terme, notre défense est confrontée à deux risques.

Le premier est celui du contournement de notre dissuasion, qui peut s’opérer de deux manières.

D’en haut, par le développement du bouclier spatial américain, qui mettra les autres pays européens, voire le nôtre, à la merci d’informations et surtout de décisions dont il serait illusoire de penser qu’elles ne seraient pas exclusivement américaines. Nous devons donc nous doter de nos propres moyens d’observation et perfectionner sans cesse la capacité de pénétration de nos propres missiles,…

M. Hervé Morin, ministre. C’est ce que nous faisons.

M. Jean-Pierre Chevènement. … car le glaive, en dernier ressort, l’a toujours emporté sur le bouclier.

M. Hervé Morin, ministre. Nous sommes d’accord !

M. Jean-Pierre Chevènement. D’en bas, en raison des guerres asymétriques et du terrorisme. Nos intérêts vitaux ne sont pas aisés à définir précisément, et nous ne cherchons d’ailleurs pas à le faire. Mais la puissance même de nos armes nucléaires peut être un obstacle à leur efficacité dissuasive. Le général de Gaulle, qui n’avait pas d’œillères, aurait sans doute préservé toutes les possibilités de riposte éventuelle à une agression caractérisée, y compris par des charges que la précision des vecteurs permet de réduire.

J’avance en terrain miné, car il est évident qu’il ne faut pas se placer dans un schéma de guerres préventives, a fortiori nucléaires, comme cinq anciens chefs d’état-major de pays membres de l’OTAN, dont le nôtre, se sont hasardés à le faire. Cette attitude porte préjudice à notre politique déclarée de lutte contre la prolifération nucléaire.

Au contraire, il est préférable de perfectionner nos capacités de frappe précise à distance : SCALP aéroporté, armement air-sol modulaire, missile de croisière naval. Je n’insiste pas. Mais, dans ce domaine comme dans d’autres, force est de constater l’étirement des programmes dans le temps et les réductions de cibles, par exemple pour le missile de croisière naval. En réalité, nous n’aurons pas de véritable capacité de frappe conventionnelle à distance avant le milieu de la prochaine décennie.

Le second risque est celui de la dispersion dans les opérations extérieures.

Bien sûr, il est logique que la France remplisse les obligations qu’elle tient de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies – nul ne le conteste, ou ne devrait le contester. Bien sûr, il est normal que nous soyons présents en Afrique. L’opération Licorne a sans doute permis d’éviter une guerre civile ravageuse et ruineuse en Côte d’Ivoire. Du reste, je ne suis pas de ceux qui pensent que la réduction de nos bases en Afrique soit une bonne chose : il n’est que d’ouvrir les yeux pour constater que les pays d’Afrique de l’Ouest avec lesquels nous avons conservé des liens étroits n’ont pas eu à subir ces massacres épouvantables qu’a connus l’Afrique anciennement sous domination britannique ou belge. La présence militaire de la France est un facteur de stabilité et d’affermissement des jeunes États, sans lesquels il n’y aura ni démocratie ni développement.

Cela dit, à côté d’une présence utile au Liban ou en Afrique, je m’interroge sur le Kosovo, où nous maintenons à grand prix des forces destinées à soutenir un micro-État non viable, et cela dans la perspective d’une adhésion à l’Union européenne rejetée dans un avenir indéfini ! Pourquoi ne pas renverser les termes de cette équation et subordonner toute perspective d’adhésion à des efforts d’intégration régionale ?

Au Tchad, nos forces structurent une opération plus humanitaire que militaire. Je veux bien vous l’accorder, monsieur le ministre, l’initiative en revient plus à M. Kouchner qu’à vous-même. Mais peut-on traiter un problème politique à travers le seul prisme de l’humanitaire ? Je ne le crois pas.

Enfin, en Afghanistan, nous nous sommes laissé progressivement entraîner par les États-Unis dans un conflit dont les données essentielles nous échappent. L’intervention de 2001, qui pouvait être légitime, a très vite été « délégitimée » par l’invasion de l’Irak. L’intention du futur président Obama de renforcer les effectifs des États-Unis en Afghanistan peut nous entraîner dans un enlisement encore plus profond, car chacun voit bien que le problème se situe surtout au Pakistan : c’est celui de la jeune, très jeune démocratie pakistanaise, aux prises avec son armée.

M. Sarkozy devrait se souvenir de son premier mouvement, qui était le bon, quand, au printemps 2007, candidat à la Présidence de la République, il avait déclaré que la présence des troupes françaises en Afghanistan n’était pas déterminante à ses yeux.

Je termine sur le surcoût des OPEX, qui s’élève à 850 millions d’euros cette année, dont 100 millions d’euros au Kosovo, 230 millions d’euros au Tchad pour l’opération Darfour et 270 millions d’euros en Afghanistan. Notons au passage que leur coût réel – nous aimerions d’ailleurs le connaître ! – est très supérieur. Il retentit sur le taux de disponibilité de nos matériels et sur l’avancement de nos programmes d’armement majeurs.

Je ne souhaite pas m’étendre sur ces questions, qui ont été évoquées par les rapporteurs. Tout de même, je signale que les crédits consacrés au maintien en condition opérationnelle des matériels sont consommés à 60 % par sept régiments, les soixante-quatorze autres régiments se contentant des 40 % restants. Cela pose un réel problème !

Le NH90 – nouvel hélicoptère des années quatre-vingt-dix, que j’ai lancé, il y a bien longtemps – n’est toujours pas entré en service. La cible de l’hélicoptère Tigre a été ramenée de 250 à 80 appareils. Le nombre de frégates multimissions a été réduit de 17 à 11. En matière de drones, des choix devront être effectués.

Enfin, nous n’accomplissons pas l’effort nécessaire en ce qui concerne la maîtrise de l’espace. Le projet de programme de coopération européen Musis laisse trop de questions en suspens, à commencer par l’architecture générale du système et la participation de l’Italie et de l’Allemagne.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Je termine, madame la présidente.

S’il y a pourtant un domaine où l’idée d’une politique européenne de défense et de sécurité aurait de bonnes raisons de prendre corps, ce serait bien celui de l’espace.

Au total, monsieur le ministre, ce projet de budget pour 2009, même s’il comporte quelques éléments positifs, s’inscrit dans le cadre d’une programmation qui sacrifie les nécessités à long terme de la défense nationale à la constitution d’une petite armée de projection. Je ne puis donc le voter.

Nous reprendrons ce débat quand le projet de loi de programmation militaire, qu’il eût été logique d’examiner avant le projet de loi de finances, viendra en discussion devant le Parlement. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous vivons dans un monde d’une complexité redoutable, où les incertitudes stratégiques rendent la tâche plus difficile quand il s’agit de préparer la défense de demain.

La France se doit bien évidemment de faire face à ses responsabilités vis-à-vis de la communauté internationale, de ses alliés, de nos compatriotes.

Notre pays est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies : cela nous crée certes des droits, mais aussi des devoirs. Ce statut nous conduit à nous impliquer sans relâche au service de la paix et de la sécurité internationale.

Je veux profiter de cet instant pour rendre à nouveau hommage aux soldats français qui, sans relâche, continuent de protéger nos compatriotes partout où ils sont menacés. Et je n’aurai garde d’oublier le dévouement avec lequel ils remplissent toutes les missions que le pays leur confie, non seulement à l’intérieur de nos frontières, mais aussi, très souvent, loin du sol national.

Mes pensées, et celles de l’ensemble des sénateurs du groupe socialiste, sont tournées vers ces femmes et ces hommes qui sont actuellement engagés en opérations extérieures, notamment en Afghanistan.

En fonction de nos engagements internationaux, des missions de nos soldats, les socialistes estiment que la France doit, plus que jamais, soutenir son effort de défense et de prévention des menaces.

Pour ma part, je suis convaincu qu’une extrême rigueur est indispensable pour affronter les défis du monde actuel, défendre nos intérêts et surtout apporter à nos compatriotes la sécurité qui leur est due.

Or, monsieur le ministre, le budget que vous nous présentez ne se caractérise malheureusement pas par la rigueur qu’on était en droit d’espérer. Il ne nous prépare à affronter efficacement ni les menaces ni les périls en gestation !

Je dirais même que ce budget est en quelque sorte un pari. Hélas ! ce pari n’est pas audacieux, il est seulement téméraire tant il repose, à l’évidence, d’abord sur une architecture fragile, ensuite sur des hypothèses douteuses, et surtout sur un héritage calamiteux.

Je commencerai par le dernier point.

Monsieur le ministre, l’héritage du gouvernement précédent, qui était soutenu par la même majorité que le gouvernement actuel, même si j’ai compris depuis longtemps que vous mettiez beaucoup de pudeur à n’en point trop parler pour assumer une solidarité gouvernementale obligée, pèse lourd à l’heure de faire les comptes et de préparer l’avenir.

Nous déplorons encore aujourd’hui – après l’avoir fait sans relâche pendant les cinq années précédentes, avec, souvent, le sentiment de prêcher dans le désert, mais en prenant date malgré tout – que la loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008 n’ait pas été respectée, tant en ce qui concerne les effectifs que les programmes d’armement. Et les cris d’orfraie qui ont été poussés à nos oreilles pendant toutes ces années n’y ont rien changé !

La méthode Coué employée par vos amis et par celle qui vous a précédé rue Saint-Dominique n’a rien changé non plus, à l’évidence. Que faisiez-vous au temps chaud, aurait pu dire la fourmi. Vous chantiez? Eh bien, dansez maintenant ! Malheureusement, le sujet est trop sérieux pour que, ensemble, avec les Français, nous ayons désormais à cœur de danser.

Monsieur le ministre, le passif de la gestion précédente – Chirac, Alliot-Marie, Sarkozy – et de sa programmation militaire conditionnent les possibilités actuelles d’avoir un budget cohérent et à la hauteur des besoins de notre défense.

Votre prédécesseur, en faisant preuve de son habituel entêtement – je peux même parler de mauvaise foi, tant la réalité était aveuglante –, en niant que la programmation allait dans le mur, avec un « modèle d’armée 2015 » éculé, qui sombrait sous nos yeux dans le néant, et un carnet de commandes militaires pharaonique et hors d’atteinte, vous a conduit au bord du précipice. Votre bonne volonté ne saurait, hélas, nous en tirer. L’exemple le plus frappant est le deuxième porte-avions, promis juré par la ministre de la défense, qui n’a pas survécu, pour ne pas dire qu’il a coulé, malgré les crédits d’études en trompe-l’œil jetés à l’aveuglette pour amuser la galerie en toute fin de vie de loi de programmation.

Nous avons dit et répété qu’il fallait redresser le tir et revenir à la dure réalité. Nous n’avons nullement été écoutés, voire même entendus. La majorité parlementaire d’alors, la même qu’aujourd’hui, celle qui fait encore semblant de ne rien entendre, a approuvé, année après année, des budgets confortant l’illusion.

II n’empêche que les dégâts de ces années d’aveuglement financier vont coûter cher, très cher, à notre défense.

Des retards ont été pris qui ne sont plus rattrapables, ou alors à des coûts prohibitifs. Nos soldats n’ont parfois même pas pu compter sur les matériels nécessaires. L’armée l’a d’ailleurs reconnu en ce qui concerne les drones, qui ont été l’une des principales victimes, mais, hélas, pas la seule de la loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008. Et je ne fais que mentionner pour mémoire la situation devenue on ne peut plus critique en matière de transport et de ravitaillement, éléments pourtant indispensables au soutien de nos forces sur des théâtres d’opération éloignés des principales voies d’accès maritime.

Or, il faudra bien que vous l’admettiez, votre budget, désormais encadré par la RGPP et avec la perspective d’une prochaine programmation militaire qui revoit à la baisse les mirages de la précédente, est devenu le prisonnier de ce lourd héritage.

Quant à la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, soit dit en passant, elle aurait dû être débattue et votée avant notre discussion actuelle.

Est-ce là une nouvelle marque d’impréparation, l’improvisation qui continue son chemin ou tout simplement une autre preuve d’incohérence ? En tout cas, c’est une nouvelle mauvaise manière faite au Parlement ; ce Parlement dont le pouvoir actuel ne cesse de vouloir faire croire aux Français qu’il le tient en si haute estime qu’il a révisé la Constitution pour lui garantir un rôle de premier plan dans les institutions de la République !

Vous allez devoir, encore plus qu’hier, travailler d’arrache-pied pour réparer les dégâts de la bosse financière alimentée par vos propres amis entre 2002 et 2007. L’un des ministres importants du gouvernement d’alors, je veux parler de l’actuel Président de la République, est sans doute l’un des mieux placés pour vous aider à réparer les dégâts commis puisqu’il fut l’un des ministres des finances ayant cautionné les dérives constatées aujourd’hui.

Votre projet de budget pour 2009 est un budget à l’architecture fragile, construit sur des hypothèses douteuses. En effet, c’est un trompe-l’œil qui ne tient pas compte de la catastrophique situation de nos finances. Il annonce d’ores et déjà des engagements qui ne pourront pas être tenus.

Il s’engage avec la RGPP et la « carte militaire » dans une démarche qui ne semble pas pouvoir compter sur les financements nécessaires à sa réussite. La fermeture de quatre-vingt-deux unités, le transfert de trente-trois autres, la suppression totale de 54 000 emplois militaires et civils d’ici à 2014 et, dans le même temps, le renforcement opérationnel de soixante-cinq régiments et bases militaires afin d’atteindre la masse critique recherchée constituent un effort sans équivalent dans les autres administrations françaises.

Nous doutons fort que les financements prévus suffisent à la réussite de la manœuvre. J’espère simplement que les calculs financiers de cette vaste réforme n’ont pas été faits par ceux-là mêmes qui nous avaient promis des « économies à réaliser » avec la mise en œuvre de la professionnalisation.

J’attends sincèrement que ces restructurations, qui seront réalisées dans les cinq à six années à venir et qui devraient aboutir à une réduction globale du format des effectifs de 54 000 postes, répondent au contrat opérationnel résultant du Livre blanc. Je ne voudrais pas que, chemin faisant, on reproduise la mauvaise expérience du fameux « modèle d’armée 2015 ».

Par ailleurs, permettez-moi d’y insister, j’ai les plus grandes inquiétudes quant à l’exécution du budget en cours, tant il est évident que la bonne exécution du budget de 2009 dépendra d’abord de celle du budget de 2008 : c’est là un fait incontournable. Il semblerait que le niveau des reports de charges, autour de 2,6 milliards d’euros, jette d’ores et déjà une ombre funeste sur le tableau idyllique présenté par le ministère de la défense. Nous avons auditionné les quatre chefs d’état-major, et leur inquiétude quant à l’exécution du budget 2008 résonne encore à nos oreilles comme une antienne attristée.

À quelques heures du débat parlementaire sur les crédits de la mission « Défense », le Gouvernement a fait paraître un décret portant ouverture et annulation de crédits. Voilà qui nous éloigne du climat optimiste et consensuel, dont vous parliez tout à l’heure, monsieur le ministre, qui prévalait à l’Assemblée nationale lors de l’examen de ces mêmes crédits. Plusieurs députés de l’UMP, dont les rapporteurs, avaient alors vanté un budget qui n’a pas subi d’annulations de crédits en 2008. Ainsi, le prochain projet de loi de finances rectificative viendra corriger sérieusement le budget voté en 2008 et, par la même occasion, alourdir le projet de budget pour 2009.

Malheureusement, le document du Gouvernement n’explique pas le détail de l’annulation concernée. On peut simplement remarquer que l’équipement des forces, les programmes d’armement seront bel et bien touchés ainsi que le soutien de la politique de défense.

Il serait intéressant, monsieur le ministre, que vous nous donniez le détail des programmes concernés. On peut aussi se demander s’il s’agit du dernier décret d’annulation ou s’il y aura encore des motifs de désespérer.

Une autre question s’impose donc dès à présent : le ministère sera-t-il autorisé à consommer tout ou partie des crédits de paiement reportés sur le programme « Équipement des forces » ?

En théorie, le projet de budget tend à améliorer le rapport entre dépenses opérationnelles et dépenses administratives. Leurs parts respectives de 40 % et de 60 % devraient donc s’inverser. C’est une bonne chose, mais nous aurons à cœur de procéder aux vérifications nécessaires en fin de programmation.

Avec 30,4 milliards d’euros de crédits de paiement et 1,6 milliard d’euros de ressources exceptionnelles, ce projet de budget semble, lors d’un examen rapide, raisonnablement ambitieux. Or ces fameuses ressources exceptionnelles – 1,6 milliard d’euros tout de même ! – se décomposent entre 0,6 milliard d’euros de cessions de fréquences hertziennes et 1 milliard d’euros de cessions immobilières du ministère de la défense.

Nous ferons nôtre la formule du président Jean Arthuis pour considérer que ce montage traduit « une débudgétisation difficilement supportable et un manque de sincérité ».

Des points importants dépendent de cette insincérité budgétaire : les emplois supprimés vont-ils réduire les capacités opérationnelles de nos armées ? Comment surmonterons-nous alors la déjà trop faible disponibilité opérationnelle de certains matériels, comme les aéronefs ? Comment faire pour que la France puisse assumer sans risque de rupture ou de surchauffe ses nombreuses implications dans des opérations extérieures ? Comment faire face à l’augmentation prévisible du coût des OPEX en 2009 ?

Les rapporteurs évoquent plusieurs hypothèses budgétaires dont dépend la réalisation du projet.

Nous avons parlé des « ressources exceptionnelles ». Je m’autorise pour ma part à les considérer comme exceptionnellement aléatoires.

Autre hypothèse dangereuse : la croissance du coût des OPEX, estimé à 1 milliard d’euros pour 2009. Or nous savons que les crédits inscrits dans le projet de loi de finances ne correspondent déjà probablement qu’à la moitié des dépenses réelles des opérations extérieures.

Compte tenu des engagements extérieurs de la France, en particulier de la guerre menée en Afghanistan, nous insistons pour considérer qu’il y a, en urgence, deux problèmes à résoudre en 2009 : l’amélioration de l’entraînement de nos forces et le maintien en condition opérationnelle de nos matériels.

Je souhaite aussi que, dès 2009, on prête la plus grande attention à la façon dont le Gouvernement compte aborder la question de la réduction des effectifs. Ajouter du chômage au chômage n’est sans doute pas ce que l’on peut faire de mieux au moment où notre économie nationale est mise en péril de toutes parts par les soubresauts de la crise de l’ultralibéralisme et du capitalisme débridé et à une époque où les files d’attente s’allongent aux portes de l’ANPE.

Cette restructuration exigera le déploiement d’importants dispositifs d’accompagnement des personnels. Aussi importe-t-il de maintenir un recrutement attractif, en particulier pour les militaires du rang.

Les suppressions de postes, militaires et civils, ne seront acceptées que si elles s’inscrivent dans le cadre d’une redéfinition des missions et d’un accompagnement social adapté. On ne pourra pas demander indéfiniment à nos armées de faire plus et mieux avec moins de personnel et moins de moyens.

Le projet de budget pour 2009 se fixe des objectifs très ambitieux, pour ne pas dire trop ambitieux. C’est pourquoi je vous appelle à faire montre d’un peu plus de réalisme, pour plus d’efficacité aussi.

Monsieur le ministre, les sénateurs socialistes ne sauraient cautionner votre budget, trop fragile et, à l’évidence, par trop insincère.

Il s’inscrit en effet dans une logique politique caractérisée par un alignement atlantiste irraisonné et difficilement justifiable après huit années d’une calamiteuse politique « bushiste », même si un peu d’espoir est revenu dans le monde avec la victoire du président Obama.

Il est la traduction de la seule volonté présidentielle d’un retour hasardeux dans toutes les structures de l’OTAN, sans justification réelle, hormis l’alignement idéologique évoqué ci-avant.

Il cautionne l’engagement accru en Afghanistan, que nous dénonçons encore et encore.

Enfin, il est la traduction du peu d’entrain que la présidence française a développé pour soutenir la défense européenne, malgré beaucoup d’agitation médiatique, agitation médiatique qui aura, hélas, caractérisé l’ensemble de la présidence française de l’Union au cours du semestre écoulé.

Aussi ne voterons-nous pas votre projet de budget pour 2009, en attendant de pouvoir débattre du projet de loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, dont il aurait pourtant dû être la première traduction. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Roger Romani remplace Mme Catherine Tasca au fauteuil de la présidence.)