M. Jack Ralite. Dans une proposition de loi relative à l’audiovisuel du 22 avril 1999, que j’avais élaborée durant six mois de travail avec des personnalités représentatives et pluralistes, je soulignais, à l’article 6, l’importance d’un financement mixte du service public de la radio et de la télévision avec une composante publicitaire plafonnée et des clauses indiquant que les contrats pour la publicité ne pouvaient être fondés sur l’audience des émissions, comme c’était alors le cas, mais qu’ils devaient reposer uniquement sur des critères liés à l’heure de diffusion.

En ce qui concerne le pluralisme, que le projet de loi Sarkozy amollit et rétrécit, je reprends l’énoncé de la Déclaration des droits de la culture, prononcée au Zénith, en novembre 1987, devant 7 000 personnes, artistes et public. Le pluralisme est un élan qui s’impose, car rien ne vit qu’au pluriel : pluralisme de la culture dans l’espace et le temps de la nation, pluralisme des arts dont aucun n’est mineur quand rien ne le rapetisse, pluralisme des esthétiques et des techniques, des goûts et des couleurs, pluralisme qui ne vise pas au démembrement et au décloisonnement, pluralisme où chacun est soi en apprenant l’autre.

Pour la télévision proprement dite, l’article 4 de la proposition de loi stipulait que le pluralisme était au cœur des missions du service public qui doit, par une programmation généraliste – j’insiste sur ce point –  et de qualité, tout à la fois « informer, cultiver et distraire » les publics les plus larges.

Quant à la politique de création, il faut la libérer de l’esprit des affaires qui, pour l’heure, l’emporte sur les affaires de l’esprit. Aujourd’hui, il faut en avoir conscience, tout un « beau monde » tire l’art vers le bas en le marchandisant à outrance, en le transformant en marques et produits, ce que Claude Lévi-Strauss, dont nous avons récemment fêté le centième anniversaire au musée du quai Branly, exprime dans Tristes tropiques par cette phrase terrible : « L’humanité s’installe dans la monoculture, elle s’apprête à produire la civilisation en masse comme la betterave. »

Comme il l’a écrit à sa ministre de la culture le 1er août 2007, Nicolas Sarkozy préfère répondre à la demande. Or la réponse à la demande, c’est la logique du marketing. Elle conduit à une politique au plafond bas, à l’opposé de l’exigence de Vilar d’« offrir aux gens ce qu’ils ne savent pas encore qu’ils désirent ».

Il faut savoir, comme le disait Man Ray, que « la différence entre les hommes politiques et les artistes, c’est que les artistes n’ont pas besoin de majorité ». De la même façon, le divertissement, le rire, le plaisir, l’intelligence, la science n’ont pas besoin de majorité. Ils doivent trouver leur place dans le cadre d’une télévision généraliste, une télévision qui ne rabote pas les savoirs et les créations sauvages.

Bien entendu, une politique de création doit comporter des obligations de production valables pour toutes les chaînes et tous les supports techniques de diffusion. Une politique de création doit s’entremêler aux innovations technologiques, d’où l’importance de la recherche dans le domaine audiovisuel comme avait su la créer Pierre Schaeffer, afin que la « belle numérique » – je le répéterai inlassablement dans cette assemblée –, qui passionne tant, se mêle à « la bête fabuleuse », comme André Breton nommait la création.

Évidemment, notre approche de la télévision ne se limite pas à ces quatre grands chapitres. Elle inclut d’autres considérations dont nos amendements proposeront la mise en droit, même si tout ne doit pas relever du droit pour être. Quoique... On peut se le demander dans un monde où les groupes privés ont souvent une loi d’avance, comme disait Robert Hersant, comme l’a montré la direction de TF1 pour le présent projet. Mais il faut faire confiance aux femmes et aux hommes qui assurent avec conscience et professionnalisme le service public, sans crainte de l’inconnu, mais redoutant à juste titre les formes formatées, surtout par un État et un Président omniscients et omniprésents.

Le contenu de la programmation doit-il être évoqué dans l’exposé des motifs et dans le cahier des charges ? On ne peut que craindre de la définition des programmes et des horaires par les dirigeants de l’État et des groupes. Sauf à célébrer les noces de l’étatisme et de l’affairisme ! Telle est « l’idéologie des affaires » qu’évoquaient voilà plus de trente ans Adorno et Horkheimer dans leur texte sur les industries culturelles.

Soyons francs, j’ai précisé quelle était mon orientation, mais je ne cache pas mes questionnements. Il n’y a rien de pire que d’avoir réponse à tout !

Première question : la société Orange, que nous avons reçue, nous a indiqué que l’Assemblée nationale avait voté un amendement lui retirant une exclusivité favorisant ses abonnements. Orange n’est pas contente ! Qui le serait à sa place ? À l’évidence, il y a derrière cela le lobbying de Vivendi et de Canal Plus France, qui, si le projet de loi est voté en l’état, recevront de gros cadeaux. Il y a une distorsion de traitement. Comment faire ? C’est la guerre économique des entreprises qui ne sont d’accord que contre les principes de régulation et contre les citoyens qui ne peuvent pas enfiler un dossard sur lequel est écrit « Je suis solvable, donc je suis! ». (Sourires.) Mais, en l’occurrence, la loi ne traite pas pareillement des entreprises que l’on pourrait qualifier, en utilisant la terminologie présidentielle, de « champions nationaux ».

Ces entreprises, jusqu’ici, ne dépendaient pas de la même régulation et n’avaient pas la même fonction : Vivendi et Canal Plus France étaient sur les contenus et Orange sur les contenants. Si la loi s’applique de manière identique à tous les acteurs, cela favorise Orange ; si elle ne s’applique pas à Orange, comme le prévoit l’amendement adopté par l’Assemblée nationale, elle favorise seulement Vivendi et Canal Plus France.

On peut certes dire que ce sont les beautés du capital, mais il faudra bien, dans le cadre d’une responsabilité publique, trouver le moyen de résoudre cette contradiction qui a quitté l’esprit des lois pour créer une concurrence non libre et très faussée. C’est la quadrature du cercle. Et pourtant, tous les acteurs doivent vivre ensemble. Il faut donc prendre en compte l’intérêt général, que nous représentons, les citoyens, et non se réduire à un arbitrage entre des lobbies. Nous ne sommes pas encore à Bruxelles, où 25 000 fonctionnaires sont face à 17 000 lobbyistes. On voit que la démarche de Nicolas Sarkozy rencontre un butoir.

La deuxième question concerne le devenir numérique et intermédia de France Télévisions. Je préfère le mot intermédia à l’anglicisme global « média » qui envahit la langue gouvernementale.

Si la modernisation technique est un prétexte pour justifier l’entreprise unique et supprimer des chaînes, nous la refusons.

La modernisation technologique est nécessaire et elle fait partie des missions de service public, mais elle nécessite des investissements, de la recherche et de la formation, donc des moyens financiers. N’est-ce pas contradictoire avec la réduction des ressources programmées par le projet de loi ? Comment plaider pour une nouvelle politique industrielle en poursuivant dans les faits une mesquine démarche comptable ?

Troisième question : les producteurs ont passé un accord avec les auteurs et les télévisions sur les moyens dont ils veulent – et c’est légitime – pouvoir disposer. Ils déclarent que l’accord leur donne satisfaction.

Or, à la lecture de l’accord, on constate qu’ils ont demandé, et obtenu, plus d’augmentations d’obligations de production au service public et qu’ils ont concédé à TF1 une diminution des mêmes obligations de production. Une telle démarche tenaille tout lecteur un peu averti. En effet, elle n’est pas garantie puisque le contrat signé ne s’accompagne pas d’un financement pérenne du service public et qu’il favorise le secteur privé.

En vérité, le pouvoir ne voulait pas arbitrer et s’est défaussé sur les intéressés qui n’ont pas pris en considération l’ensemble du problème et se sont arrêtés à leurs seuls intérêts. Une fois encore, la loi ne fait que sanctifier un contrat particulier. Cela divise les hommes : il n’y a qu’à rencontrer les personnes qui travaillent à France Télévisions ou des auteurs pour s’en convaincre. Je préfère cette pensée de Paul Nizan « homme cherche homme » et que leurs singularités, ensemble, pensent debout.

Quatrième question : les personnels, tout comme la direction de France Télévisions, réclament la possibilité de produire en interne.

Certains poussent des cris parce qu’ils ont aujourd’hui un quasi-monopole. Mais la RAI sous Berlusconi, ZDF ou ARD sous l’alliance des chrétiens-démocrates et des sociaux-démocrates, la BBC sous le thatchérisme ou le travaillisme blairiste, se sont toutes vu reconnaître leur droit de produire. Comment corriger avec sérieux cette situation en France ?

Cinquième question : il y a un différend sur la définition de l’œuvre patrimoniale. Les producteurs de documentaires veulent que soient considérés non seulement les documentaires de création, mais aussi des documentaires diffusés dans des émissions comme Thalassa, Des racines et des ailes ou Capital.

Il s’agit d’un problème complexe. On ne peut pas pour autant le rejeter d’un revers de main. Les documentaires de Cinq colonnes à la une sont aujourd’hui édités en DVD.

Je termine ce questionnement non exhaustif en évoquant un trou noir dans la présidence française de l’Union européenne, par ailleurs tartinée de louanges. En effet, le Président Sarkozy n’a pas pensé, ou pas voulu, favoriser l’organisation d’une rencontre de toutes les chaînes publiques européennes pour envisager la création d’un pôle public européen de l’audiovisuel et des médias afin de lutter contre la domination hollywoodienne de l’industrie des programmes.

L’esprit public en serait le cœur. Les intérêts privés y seraient associés, à partir d’un cahier des charges simple mais rigoureux dont le non-respect pourrait être sanctionné.

Une telle initiative aurait une autre stature, une autre solidité, une autre influence, une autre efficacité que cette quête éperdue, qui est menée depuis des années dans notre pays, de grands groupes champions nationaux. Lorsqu’ils ont pu aller jusqu’au bout de leurs possibilités, certains d’entre eux se sont soldés par un fiasco qui coûte encore très cher à nos concitoyens ; je pense à l’aventure de Jean-Marie Messier et au rachat de la MGM par le Crédit Lyonnais.

Il faut penser audiovisuel et médias en gardant présentes à l’esprit les références industrielles historiques et toujours ultramodernes d’Airbus et d’Ariane, qui tous deux ont damé le pion aux États-Unis. Il ne faut pas attendre l’après 2020, la prochaine présidence française de l’Union, pour y travailler.

En conclusion, je dirai que les lois Sarkozy présentent le défaut fondamental de traiter l’audiovisuel et les médias comme un monde fini alors que ce monde, comme la vie d’ailleurs, est ouvert à l’infini. Lorsque je dis « fini », c’est fini dans la situation actuelle, sous le règne provisoire de M. Sarkozy.

Déjà, le 18 mai 1857 – c’est un problème permanent – Flaubert écrivait : « Aucun grand génie n’a conclu et aucun grand livre ne conclut parce que l’humanité elle-même est toujours en marche et ne conclut pas. Homère ne conclut pas ni Shakespeare, ni Goethe, ni la Bible elle-même. »

L’histoire de la télévision n’est jamais écrite, un point c’est tout ! Il faut prendre au sérieux l’inachèvement. Or les lois Sarkozy fossilisent l’inachèvement alors que tout est processus, surtout en ces temps d’impétuosités financières et technologiques qui ne peuvent être considérées comme un fatum. Elles résultent des orientations néolibérales qui inspirent toute la politique sarkozyenne. Les lois Sarkozy se présentent comme un tout, un accomplissement définitif. Leur auteur n’aime que les « actes-puissances », les « actes-fins » et, en fait, ne rêve que de retour à l’ordre. C’est inscrit au cœur de sa loi : il veut une télévision pédagogique, culturelle, une « télé-école » s’adressant à des citoyens considérés comme des élèves, signifiant par là même que la véritable école serait la télé.

Et, en même temps, il veut une télé sans rivage, mais non sans mirage, parce que commerciale : la « télé-caddy ». On aurait ainsi une combinaison, dans la société que Sarkozy vit comme délitée, de deux lieux encore porteurs de « socialité » : le petit écran et l’hypermarché.

Le chercheur Pierre Musso écrit que « c’est couper la représentation du monde en deux en opposant l’État grand éducateur au marché libre et divertissant. Tel est le message subliminal, la dichotomie que ce projet de loi voudrait inscrire dans l’imaginaire populaire des téléspectateurs : tantôt vous êtes des citoyens que l’État éduque et surveille, tantôt vous êtes des consommateurs dont le marché se plaît à satisfaire les désirs ».

Bien évidemment, nous refusons cet État surveillant général de la consommation et de l’imaginaire populaire. Si on laissait faire, on courrait le risque de perdre un bijou de mémoire, illustré par cette vieille mais fulgurante maxime : « On noue les bœufs par les cornes et les hommes par le langage. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas.

Mme Catherine Dumas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, qu’il me soit permis, une fois n’est pas coutume, de sortir quelque peu de la sphère politique et de vous dire qu’avant-hier soir, en même temps que des millions de Français, j’ai partagé, en famille et en direct, un moment particulier.

Moment particulier, tout d’abord, parce que cette soirée marquait le début d’une ère nouvelle pour le service public, « libéré » de la contrainte publicitaire. Beaucoup a déjà été dit sur le sujet, à tort ou à raison ; j’y reviendrai par la suite.

Moment particulier, surtout, parce que la télévision publique est revenue à sa vocation première de culture, d’information et de divertissement.

Plus libre, plus audacieuse, elle va désormais pouvoir prendre des risques, innover, miser sur de nouveaux programmes qui réservent une large part à la culture, à la création sous toutes ses formes, à la fiction, au documentaire, aux émissions historiques, à des programmes scientifiques, citoyens, ou encore à des programmes éveillant les esprits aux grands défis de notre temps, comme l’Europe ou le développement durable.

M. Jean-Luc Fichet. Avec quels moyens ?

Mme Catherine Dumas. Pour « inaugurer » la nouvelle grille, France 2 avait d’ailleurs fort judicieusement choisi, pour son prime-time de lundi dernier, un magazine de culture et de découverte qui illustrait et exploitait parfaitement les nouvelles possibilités ouvertes au service public.

M. David Assouline. Ça fait longtemps !

Mme Catherine Dumas. Moment particulier, enfin, parce que, avec cette nouvelle télévision publique, nous allons pouvoir éveiller l’intérêt du téléspectateur en promouvant la qualité des programmes, bien au-delà des schémas traditionnels dictés par les courbes d’audience et rythmés par la « sacro-sainte course à l’audimat ». (Mme Annie David s’exclame.)

Nombre d’entre nous, je n’en doute pas, ont vécu en direct ce même moment, lundi soir, à la fois tranche de vie quotidienne et moment important et, en quelque sorte, historique : historique, parce que les grandes réformes audiovisuelles sont rares ; important, parce que le poste de télévision occupe aujourd’hui une place considérable dans la vie de millions de nos compatriotes, qu’ils soient aisés ou non, ruraux ou citadins, du nord ou du sud.

Tout changement dans ce domaine implique donc un grand courage.

Du courage, notre assemblée n’en a jamais manqué sur ce sujet. Je souhaite rappeler que c’est grâce à l’impulsion décisive du Sénat, dans une volonté partagée tant par la droite que par la gauche, que l’une des dernières grandes transformations du paysage audiovisuel français a pu voir le jour : la télévision numérique terrestre, la TNT, a modifié en profondeur et considérablement élargi l’éventail de la télévision gratuite pour les Français en proposant à tous dix-huit chaînes accessibles en clair et sans abonnement supplémentaire.

Du courage, il nous en faudra encore, aujourd’hui, pour transformer le service public de l’audiovisuel et le moderniser afin qu’il réponde aux évolutions sociétales et technologiques, afin d’affirmer sa spécificité et de garantir sa qualité.

De courage, la présente loi en est empreinte, madame la ministre. C’est avant tout une grande réforme culturelle. Le service public sans publicité : la gauche en a longtemps rêvé, et c’est une nouvelle fois notre gouvernement qui le fait ! (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. David Assouline. C’est original !

Mme Catherine Dumas. Depuis que le Président de la République a annoncé, voilà quasiment un an, sa volonté de libérer la télévision publique de la publicité et de la dictature de l’audimat, un vaste débat s’est engagé.

Mme Catherine Tasca. « La dictature de l’audimat » ! Ce n’est pas possible…

Mme Catherine Dumas. Mais ce débat doit bel et bien se fonder sur des faits et non sur des procès d’intention. La réforme de l’audiovisuel public mérite, mes chers collègues, un réel débat de fond et non des postures politiciennes.

Parce qu’il touche à la télévision de tous les Français, qui s’invite chaque jour directement au cœur de millions de foyers et fait partie de leur quotidien et même de leur patrimoine culturel commun, ce débat mérite mieux, en effet, que des petites phrases, des polémiques et des indignations factices ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Sueur. Et que faites-vous ?

M. Michel Boutant. Quelle superficialité !

Mme Catherine Dumas. Que propose réellement le projet de loi défendu par le Gouvernement ? Il vise à substituer à la logique aléatoire de la ressource publicitaire – dont tout le monde sait qu’elle pâtit aujourd’hui sévèrement de la crise –…

M. Jean-Pierre Sueur. La ressource aléatoire de TF1 !

Mme Catherine Dumas. … un financement public garanti, pérennisé et stable, dont le montant a été fixé par la commission parlementaire présidée par Jean-François Copé, dont je salue d’ailleurs le formidable travail.

L’État garantira donc à France Télévisions 450 millions d’euros par an pendant les trois prochaines années. C’est inscrit noir sur blanc dans la loi de finances pour 2009 que nous avons adoptée. Dans un contexte économique mondial contraint, tendu, voire très incertain, la garantie des recettes est un gage fondamental de sécurité pour l’audiovisuel public.

Je souhaite d’ailleurs insister sur le travail qui incombera aux commissions du Sénat pour, chaque année, surveiller l’utilisation de ces crédits, notamment par le biais d’un rapport dont l’élaboration pourrait être confiée au Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, et qui serait examiné par le Parlement dans le cadre de la discussion de la loi de finances. Les membres de la commission des affaires culturelles, dont je suis, seront, aux côtés de leur président Jacques Legendre, très attentifs à cette question.

Ce financement sera dynamique puisque indexé sur l’inflation, tout comme le sera désormais la redevance. Celle-ci reste l’une des plus basses en Europe – moins de 10 euros par mois –, et le Parlement, seul compétent pour fixer son évolution, devra se faire entendre afin que soit trouvé un équilibre, nécessaire, qui n’entame pas le pouvoir d’achat des Français.

Toujours à propos de la redevance audiovisuelle, il nous faudra certainement, à terme, engager une réflexion sur sa modernisation. À l’heure actuelle, son nom lui-même et sa présentation – elle est adossée à la taxe d’habitation – sont trop souvent source de confusion et d’incompréhension de la part du public en ce qui concerne à la fois sa nature, son fondement et son utilisation.

Pourquoi de tels moyens ? Pour que la télévision publique – et c’est là, mes chers collègues, le cœur, l’objet principal de cette réforme, ce qu’il ne faut pas perdre de vue – puisse retrouver la liberté, loin de la course à l’audience et de la pression de la publicité, la liberté d’être elle-même, différente, inventive, de prendre des risques et d’affirmer encore davantage sa spécificité et sa singularité. Cela passe par la création et la diffusion de fictions ambitieuses, de chefs-d’œuvre du patrimoine cinématographique, de programmes culturels comme du théâtre en direct une fois par mois, mais aussi par des émissions plus populaires et audacieuses comme Plus belle la vie, un programme qui, sur une chaîne privée, n’aurait jamais eu le temps de rencontrer son public et d’avoir le succès qu’il connaît aujourd’hui.

Sortons de la caricature facile : non, le Gouvernement ne fait pas de « cadeau » aux chaînes privées !

Mme Catherine Dumas. Le texte prévoit de taxer les recettes publicitaires de ces chaînes. Il faut en effet être bien conscient qu’aujourd’hui les télévisions privées, elles aussi, concourent fortement à la création audiovisuelle à travers leurs obligations de production.

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Absolument !

Mme Catherine Dumas. C’est une spécificité française à laquelle nous tenons tous.

Ces obligations étant assises sur le chiffre d’affaires des chaînes, tout le monde a intérêt à ce que celles-ci soient en bonne santé. (M. Jean-Pierre Sueur s’exclame.) C’est pourquoi, dans un contexte de crise, il fallait ouvrir les « fenêtres » publicitaires des chaînes privées en transposant la directive européenne « Services de médias audiovisuels » et en autorisant la seconde « coupure pub ».

La réglementation française est parmi les plus strictes, et nous savons que les circuits publicitaires qui sont à la disposition des annonceurs se sont diversifiés, ce qui remet profondément en cause les schémas publicitaires traditionnels.

Là encore, il était nécessaire d’agir pour que les investissements publicitaires ne se reportent pas vers le hors-média ou l’affichage, qui, eux, ne sont soumis à aucune obligation de production et dont la concurrence menace l’équilibre financier de notre audiovisuel public.

Désormais, la programmation de fictions longues permettra de mieux financer encore les programmes de création.

Non, mes chers collègues, le Gouvernement ne souhaite pas le retour à l’ORTF ! Le projet de loi prévoit que le président de France Télévisions, chargé de veiller aux missions de service public, sera désigné par un système de « triple autorité ».

M. Jean-Pierre Sueur. Et une grande autorité !

Mme Catherine Dumas. L’État le nommera après que le CSA y aura consenti, ainsi que – et cela nous concerne directement – la commission des affaires culturelles de chacune des deux assemblées. Nous allons donc, par ces mesures, gagner en transparence…

M. Jean-Pierre Sueur. Et en autoritarisme !

Mme Catherine Dumas. … et mettre fin à un système de nomination hypocrite.

Un Président de la République et un Gouvernement qui se donnent la possibilité d’aller chercher des personnalités de talent qui n’auraient peut-être pas pu se porter candidates avec l’ancien système ; un CSA qui devra donner un avis conforme ; des commissions parlementaires qui valident ce choix : peut-on sincèrement voir là la marque d’un quelconque totalitarisme ? Comment, en tout état de cause, le représentant du principal actionnaire pourrait-il ne pas avoir son mot à dire sur la nomination du président ?

Le texte qui nous est aujourd’hui soumis ne remet absolument pas en cause le « périmètre » de la télévision publique. Il vise même, en rénovant en profondeur l’organisation de la structure, à lui offrir les moyens de ses nouvelles ambitions.

Actuellement holding, France Télévisions va devenir une entreprise unique qui réunira différentes antennes. Ce nouveau statut lui permettra d’avoir une direction et une stratégie homogènes. Il permettra aussi d’alléger les contraintes de gestion qui pèsent sur les différentes chaînes afin que celles-ci puissent se recentrer sur l’activité de diffuseur de programmes, et de faire émerger des synergies entre les activités et les ressources humaines ou techniques des antennes.

Nous serons attentifs à ce que la transformation de France Télévisions en entreprise unique renforce l’identité des chaînes qui la composent : France 2, chaîne fédératrice de tous les publics ; France 3, chaîne de la proximité ; France 4, chaîne de la jeunesse et des nouvelles générations ; France 5, chaîne des savoirs et de la connaissance ; France Ô, chaîne des cultures d’outre-mer et de la diversité.

Nous veillerons également à ce que la transformation en entreprise unique garantisse l’indépendance et l’identité éditoriale des rédactions et conforte France Télévisions dans la poursuite de ses missions de service public.

Je tiens d’ailleurs à souligner que M. de Carolis, dès son arrivée à la tête de France Télévisions, s’est attaché à développer les synergies internes afin de construire un groupe plus cohérent, plus efficace, capable de tenir son rang face aux opérateurs privés et d’améliorer sans cesse la qualité et la spécificité de ses programmes.

Cette modernisation du fonctionnement du groupe, amorcée en interne bien avant les annonces du Président de la République, démontre toute la nécessité que revêtait la réorganisation de l’entreprise France Télévisions.

Enfin, mes chers collègues, et puisque le Sénat est le représentant des territoires au sein du Parlement, je tiens à rassurer ceux d’entre vous qui pourraient s’inquiéter du devenir de ce précieux vecteur d’information, voire de cohésion locale, que sont les antennes régionales de France 3.

Le projet de loi confirme en effet la vocation régionale de France Télévisions à travers la diffusion, y compris aux heures de grande écoute, de décrochages spécifiques et de programmes reflétant la diversité régionale, et grâce à l’information de proximité. Ainsi, les différentes antennes du groupe assureront plus que jamais la synthèse entre les différents niveaux d’information : national et international, régional et local.

Le développement régional de France 3 reposera sur la création de web TV, via internet, à partir des vingt-quatre bureaux régionaux d’information, sur l’instauration d’un décrochage régional au sein du dernier journal télévisé ainsi que sur le renforcement de l’offre régionale du 19-20.

C’est d’ailleurs sur ce point que je souhaite insister pour conclure mon propos : la capacité d’innovation du service public et la possibilité qu’ouvre cette réforme de véritablement inventer un nouveau service public de la communication audiovisuelle.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Qui peut le croire ?

Mme Catherine Dumas. À l’heure de la généralisation des nouvelles technologies, il faut en effet souligner que le service public a déjà fait beaucoup plus que le secteur privé pour le développement du « média global ». Il doit encore être encouragé dans cette voie et démontrer sa formidable capacité d’innovation, car c’est aussi sur ce terrain que se jouera l’avenir de l’audiovisuel.

Mes chers collègues, ce que propose, en définitive, le projet de loi, c’est une réforme globale et cohérente qui donne à l’ensemble du paysage audiovisuel les moyens de miser sur les contenus, leur qualité, leur originalité et leur accessibilité, et dont bénéficieront tous les téléspectateurs, c’est-à-dire tous les Français.

Nous avons devant nous un plan de réforme complet, sans précédent.

Comme l’a affirmé le président du Sénat, il est de notre responsabilité, mes chers collègues, que sur ce texte qui touche le quotidien de tous les Français dans leur diversité le Sénat fasse entendre sa voix et prenne toute sa part dans cette importante réforme.

Je souhaite d’ores et déjà préciser que, pour sa part, le groupe UMP aborde ce débat dans un esprit constructif, dans un esprit d’ouverture, et qu’il sera attentif aux contributions et amendements émanant de tous les groupes politiques, dans la mesure bien sûr où ils participeront à l’enrichissement du texte.

Madame la ministre, c’est un texte courageux et audacieux que vous défendez.