M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout va bien ! Ne vous inquiétez pas pour nous, monsieur Michel !

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.

M. Alain Anziani. Je tiens également à revenir sur l’incident qui a opposé M. Mermaz et Mme le garde des sceaux.

Je connais Louis Mermaz depuis longtemps...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Moi aussi !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il peut parler tout seul !

M. Alain Anziani. Il ne faut pas vous énerver, madame le garde des sceaux. Nous parlons tranquillement.

Je peux vous assurer que M. Mermaz respecte l’administration pénitentiaire et ses personnels. Mais il est aussi un homme libre et, en tant que tel, il a tout à fait le droit, surtout dans cette enceinte, d’exprimer son opinion et de donner son avis sur un texte.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Ce n’est pas ce qu’il a fait !

M. Alain Anziani. Je trouve en revanche choquant de votre part, madame le garde des sceaux, de lui avoir rétorqué qu’il n’avait pas visité de prisons au cours des dernières années. Que signifie cette phrase ? Une enquête a-t-elle été menée sur la vie de Louis Mermaz afin de déterminer si, oui ou non, il avait visité des prisons en dehors du cadre de la commission d’enquête ? (Murmures désapprobateurs sur les travées de lUMP.)

C’est ce que vous avez dit, madame le garde des sceaux ! Comment pouvez-vous disposer d’une telle information ? Vous n’en savez rien, et heureusement, car ce serait très grave ! Vous avez franchi la ligne jaune : vous ne deviez pas prononcer cette phrase !

Mme Raymonde Le Texier. C’est la politique du chiffre !

M. Alain Anziani. Cela étant dit, je trouve l’amendement n° 192 rectifié de M. About très positif, car il prend en compte la situation des prévenus, dont les droits doivent être les moins limités possible, et seulement par exception justifiée par les nécessités de l’instruction – ce que nous pouvons tous comprendre ! – ou par des impératifs de sécurité. Le principe doit être que ces personnes doivent pouvoir recevoir la visite de leur famille le plus souvent possible.

Je crois donc nécessaire, contrairement à M. le rapporteur, d’en revenir à la première rédaction de l’amendement : « les prévenus doivent pouvoir être visités ». En effet, si nous maintenons la formule « les prévenus peuvent être visités », nous serons confrontés à un problème d’interprétation : qui sera compétent pour apprécier l’opportunité de ce droit de visite ? Les mots « doivent pouvoir » traduisent en revanche la consécration d’un droit. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je tiens à répondre cordialement à mon excellent collègue Jean-Pierre Michel, avec lequel j’ai le plaisir de travailler sur le dossier de la responsabilité pénale des malades mentaux. Je ne vois pas de contradiction entre le fait d’être un peu plus favorable à l’amendement de M. About qu’à la distinction les proches et la famille. En effet, même si l’amendement du président de la commission des affaires sociales était adopté, il va de soi que les modalités de contrôle des visiteurs seraient différentes selon qu’ils font partie de la famille ou du cercle des proches. Il y a donc une parfaite coordination, et non une contradiction, entre ces deux positions.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 27 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Monsieur le rapporteur pour avis, l’amendement n° 192 rectifié est-il maintenu ?

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Oui, monsieur le président. Dès lors que l’article 15 correspond à l’élévation au niveau législatif de l’article D. 404 figurant dans la partie règlementaire du code de procédure pénale, la proposition que je formule au travers de mon amendement doit pouvoir, elle aussi, être élevée à ce niveau.

M. Jean-Pierre Sueur. La rectification est-elle maintenue ?

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Oui, monsieur Sueur. Le mot « peuvent » indique bien qu’il s’agit d’une possibilité. S’il y a des visiteurs, cette faculté de recevoir des visites au moins trois fois par semaine pour les prévenus et au moins une fois par semaine pour les condamnés doit être respectée. En l’absence de visiteurs, on ne peut pas rendre ces visites obligatoires.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Je souhaite attirer l’attention de M. About sur les conséquences de la rectification de son amendement.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Mais s’il n’y a pas de visite !

M. Jean-Pierre Sueur. Pour ma part, je préfère la version originelle. Il m’est arrivé, en effet, de beaucoup travailler sur les verbes « devoir » et « pouvoir ».

Vous nous proposez d’inscrire dans la loi le mot « peuvent », en nous indiquant qu’il signifie la même chose que le mot « doivent », et que le membre de phrase « les prévenus peuvent être visités » traduit une obligation.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Oui !

M. Jean-Pierre Sueur. Cette obligation consiste à donner aux personnes qui souhaitent rendre visite aux détenus la possibilité de le faire.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. L’indicatif a valeur impérative !

M. Jean-Pierre Sueur. Je comprends cet argument. Cependant, il serait encore plus clair...

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Mais non !

M. Jean-Pierre Sueur. Permettez-moi, monsieur About, de préciser le sens de votre rédaction : je défends votre position !

La première mouture de votre amendement – « les prévenus doivent pouvoir être visités » – était très claire. Elle signifie non pas qu’il faut créer artificiellement des demandes de visites s’il n’y en a pas, mais qu’à chaque demande de visite, dans le cadre des trois visites autorisées par semaine, cette visite est de droit.

Cette version, monsieur About, était beaucoup plus claire, protectrice et limpide. Je vous demande donc d’en revenir à votre premier mouvement, qui était aussi celui de la commission des affaires sociales. Je vous assure que c’était le bon !

M. Laurent Béteille. M. Sueur ne croit pas une seule seconde à ce qu’il vient de dire !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Franchement, monsieur Sueur, quelle argumentation !

Vous savez fort bien que, sur le plan juridique, l’indicatif « peuvent » a valeur d’impératif. « Doivent pouvoir », c’est une jolie formule, bien que je la trouve assez maladroite en littérature, en raison de l’apposition des verbes « devoir » et « pouvoir ».

Il faut tout de même faire un peu de droit lorsque l’on examine des textes juridiques ! Je vous assure, monsieur Sueur, que ces deux formulations signifient la même chose.

M. Jean-Pierre Sueur. Je n’en suis pas sûr !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela m’étonne de vous, compte tenu de votre grande intelligence du droit et de votre connaissance de la langue française !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Fourcade. Il nous faut rétablir la sérénité de notre débat et oublier la petite bataille qui vient d’opposer M. Mermaz et Mme le garde des sceaux.

L’amendement de M. About a l’énorme avantage d’opérer une distinction entre les prévenus et les condamnés. Aujourd’hui, 40 % des détenus sont des prévenus : il nous faut démontrer, par un vote aussi large que possible, que nous souhaitons préserver leurs droits, et ce quels que soient les problèmes grammaticaux qui se posent.

Je partage l’avis de M. Hyest : le mot « peuvent » est tout à fait valable. Sachons faire simple !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

M. Jean-Pierre Fourcade. Nous devons manifester notre volonté de faciliter le maintien des liens des détenus avec l’extérieur, en préservant d’abord les droits des prévenus, puis ceux des condamnés.

L’amendement de M. About apporte un élément important, que je recommande à l’attention des juges de la détention, qui ont parfois tendance à faire incarcérer un peu rapidement certains prévenus.

Je voterai donc, des deux mains, l’amendement de M. About.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Michel. Je souhaite expliquer brièvement mon vote sur l’amendement n° 192 rectifié de M. About.

Je souhaite tout d’abord demander à notre estimé président de la commission des lois pour quelle raison, si les mots « doivent pouvoir » et le mot « peuvent » signifient vraiment la même chose, l’amendement a fait l’objet d’une rectification en séance ? On se le demande !

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Parce que c’est plus joli !

M. Jean-Pierre Michel. Cet amendement, je le rappelle, a été présenté par M. About, au nom de la commission des affaires sociales. Envisage-t-il, dans ces conditions, de la réunir ? (Protestations sur les travées de lUMP.) Cette commission a voté cet amendement. A-t-on le droit, oui ou non, de modifier en séance le vote d’une commission ? J’attends votre réponse ! Si celle-ci est positive, je suggère que nous nous penchions à nouveau sur cette question lors de la rédaction du futur règlement du Sénat. Pour ma part, je trouve cela totalement aberrant ! (M. Laurent Béteille s’exclame.)

Le vote de la commission des affaires sociales, auquel je n’ai pas participé, portait sur un texte précis. Je vous pose donc la question suivante : qui a le droit de modifier ce texte en séance plénière ? (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. Laurent Béteille. Il s’agit d’une simple rectification rédactionnelle !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. « Qui  a le droit ? » C’est presque une chanson ! (Sourires.)

Tout parlementaire a le droit de modifier un amendement en séance : il s’agit du droit de sous-amender.

M. Jean-Pierre Michel. Pas le rapporteur !

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. J’ignorais que le rapporteur n’était pas un sénateur !

Ce droit de sous-amender appartient à tous ceux qui ont pour mission de rédiger un texte de loi le mieux possible.

Lorsqu’elle a donné son avis sur mon amendement, Mme le garde des sceaux a dit qu’il n’était pas nécessaire d’ajouter la disposition que je propose, car elle est d’ordre réglementaire et existe déjà. Certes ! Mais en élevant ce texte réglementaire au niveau de la loi, comme j’ai tenté de le faire au travers de cet amendement, j’avoue que j’ai commis une erreur, dont je demande pardon : j’ai fait un copié-collé de l’article D. 410 du code de procédure pénale, dans lequel figuraient les mots « doivent pouvoir ».

M. René Garrec. C’était mal rédigé !

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Lorsqu’on élève un texte règlementaire au niveau de la loi, il faut si possible en améliorer la rédaction et la rendre plus élégante. Je suis fidèle en cela à l’enseignement que nous donnait mon maître Jean Foyer lorsque j’étais un jeune député, en 1978 ; il tenait à ce que la loi soit parfaitement écrite. C’est la raison pour laquelle je souhaite que nous nous ralliions à la rédaction proposée par M. le président Hyest et par M. le rapporteur.

Vous aurez ainsi doublement satisfaction, mes chers collègues : grâce au nouveau texte législatif, qui répond à vos attentes, et grâce au règlement, qui maintient la formule à laquelle vous tenez. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 192 rectifié.

M. Jean-Pierre Sueur. Le groupe socialiste s’abstient, et notre abstention est justifiée ! (Sourires.)

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 231.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 15, modifié.

(L’article 15 est adopté.)

Article 15
Dossier législatif : projet de loi pénitentiaire
Articles additionnels avant l'article 16

Article 15 bis

Les unités de vie familiale ou les parloirs familiaux implantés au sein des établissements pénitentiaires peuvent accueillir toute personne détenue.

Tout détenu doit bénéficier d’au moins un parloir hebdomadaire, dont la durée doit être fixée en tenant compte de l’éloignement de sa famille. Pour les prévenus, ce droit s’exerce sous réserve de l’accord de l’autorité judiciaire compétente.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Gouvernement n’avait même pas mentionné, dans le projet de loi initial, les unités de vie familiale ni les parloirs. Pourtant, les premières sont encore trop peu nombreuses dans les établissements pénitentiaires et les conditions de mise en œuvre des seconds sont la source d’insatisfactions, de la part tant des détenus que des familles.

Faciliter l’accès aux unités de vie familiale et aux parloirs est essentiel pour maintenir les liens des détenus avec leurs conjoints et leurs enfants. Le maintien de ces liens évite la désocialisation des détenus durant la détention et il est, à ce titre, un facteur évident de réinsertion. Il était donc nécessaire de combler cette lacune du projet de loi.

Le rapporteur l’a fait en partie, puisqu’il a inscrit dans la loi que les unités de vie familiale et les parloirs familiaux implantés dans les établissements pénitentiaires peuvent accueillir toute personne détenue, y compris donc les prévenus.

Mais une lacune subsistait toujours, relative cette fois à la fréquence et à la prise en compte des contraintes pour la famille, liées à l’éloignement par exemple. Or, le Comité d’orientation restreint, le COR, recommandait que tout détenu, quel que soit son régime de détention, puisse bénéficier effectivement d’un parloir hebdomadaire au minimum, dont la durée pourra être étendue en considération d’éléments particuliers : éloignement de la famille, fragilité du détenu au niveau du risque suicidaire, prescription médicale, etc. Le COR demandait également que cet accès au parloir hebdomadaire soit maintenu pour les détenus subissant une sanction de cellule disciplinaire.

Nous avons donc, lors de l’examen du projet de loi en commission, déposé un amendement tendant à imposer cette obligation de parloir hebdomadaire pour tous les détenus – sous réserve de l’accord de l’autorité judiciaire pour les prévenus – ainsi qu’un autre amendement visant à reconnaître ce droit aux détenus placés en cellule disciplinaire. La commission des lois a adopté ces deux amendements et a modifié en ce sens le présent article 15 bis et l’article 53, rendant ainsi effectif le droit des détenus à un parloir hebdomadaire.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 25 rectifié bis, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard, Muller et Anziani, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le premier alinéa de cet article :

Tout détenu peut être autorisé à recevoir, dans des conditions préservant son intimité, les membres de sa famille dans des unités de vie familiale ou dans des parloirs familiaux

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, monsieur le président, je présenterai en même temps l’amendement n° 26 rectifié.

M. le président. L’amendement n° 26 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard, Muller et Anziani, est ainsi libellé :

Après le premier alinéa de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :

Les unités de vie familiale sont aménagées de manière à garantir le respect du droit à l’intimité. Les visites ont lieu en dehors de la présence du personnel pénitentiaire.

Veuillez poursuivre, ma chère collègue.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Ces deux amendements ont pour objet d’introduire la notion de respect de l’intimité du détenu, malheureusement absente de cet article. L’amendement n° 25 rectifié bis a trait aux unités de vie familiale, les UVF, et aux parloirs familiaux, alors que l’amendement n° 26 rectifié ne concerne que les UVF.

Il est important de préciser dans la loi que les visites familiales s’exercent dans le respect par l’administration pénitentiaire de l’intimité du détenu. Je vous renvoie, mes chers collègues, aux excellentes études produites par l’Observatoire international des prisons, l’OIP. On y apprend que la France a beaucoup de progrès à faire sur cette question, en comparaison d’autres pays.

Par exemple, la Suède, l’Espagne ou le Canada ont mis en place des espaces où les détenus peuvent se soustraire à toute surveillance durant quelques heures pour recevoir leur famille. D’autres pays, comme la Lituanie ou la République tchèque prévoient même une durée de plusieurs jours. Le détenu doit pouvoir recevoir sa famille à l’abri du regard des surveillants. Ces moments sacrés permettent à un détenu de poursuivre sa vie familiale, voire sexuelle.

Je vous le rappelle, le droit à une vie sexuelle fait partie intégrante du droit à l’intégrité physique et morale des détenus, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce droit doit donc être protégé. Est-il normal qu’un détenu se voie infliger une sanction de quinze jours d’isolement, voire de deux mois de suppression de visites, pour s’être livré à des contacts sexuels avec sa compagne lors d’un parloir ?

Il faut aujourd’hui mettre un terme à cette hypocrisie et briser le tabou qui entoure la sexualité en prison. Finissons-en avec ce déni : les relations sexuelles ont lieu aujourd’hui, malgré tous les risques de sanction, dans des conditions déplorables, en tout cas loin de la dignité humaine, dont nous avons parlé si longuement hier.

Cessons également de penser que le respect de l’intimité du détenu est incompatible avec la préservation de la sécurité des établissements : c’est faux ! Comme le soulignait la commission Canivet dans son rapport de 2000, « l’artificielle opposition si souvent faite entre sécurité et humanisation des prisons est à récuser sans merci, dès lors que l’une et l’autre peuvent parfaitement cheminer de pair ».

Nous devons aujourd’hui rompre le tabou de la sexualité en prison et ne plus chercher de prétextes : l’administration doit trouver les moyens de mieux développer une politique adaptée de prévention contre la transmission du VIH ou contre les violences sexuelles en détention.

C’est la raison pour laquelle nous vous proposons d’inscrire le principe du respect de l’intimité du détenu dans l’article 15 bis.

M. Bernard Frimat. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je me trouve assez en harmonie avec nombre des propos tenus par Mme Boumediene-Thiery. Je pense comme elle que l’hypocrisie a suffisamment duré sur la question des relations sexuelles en prison. Je me souviens d’une époque pas si éloignée où, dans les parloirs, ce qui était toléré dans tel établissement ne l’était pas dans tel autre et pouvait éventuellement entraîner le placement en quartier disciplinaire ; et même lorsque la tolérance prévalait, les conditions dans lesquelles les rencontres se déroulaient constituaient une atteinte à la dignité des personnes, qu’il s’agisse des détenus, de leurs compagnes, des autres visiteurs et également du personnel de l’administration pénitentiaire.

S’il est un dossier qui recueille l’unanimité, c’est bien celui des unités de vie familiale. Il a d’ailleurs été, selon moi, assez bien mené par l’administration pénitentiaire et a permis, en outre, d’établir des rapports et une estime différente entre les personnels de l’administration pénitentiaire et les détenus. Sur ce point, la commission a souhaité non seulement que les unités de vie familiale et les parloirs familiaux figurent dans le texte de la loi pénitentiaire, mais aussi qu’ils soient ouverts à tous les détenus. Comme je le disais tout à l’heure, pourquoi réserver ces possibilités aux seuls condamnés et ne pas les ouvrir aux prévenus dans les maisons d’arrêt, quand on sait qu’ils peuvent y rester extrêmement longtemps et que la situation n’est pas prêt de s’améliorer dans les années à venir ?

En ce qui concerne l’amendement n° 25 rectifié bis, qui, je vous rassure, madame Boumediene-Thiery, est bien rédigé, permettez-moi une boutade : il n’est pas nécessaire d’écrire que tout détenu « doit pouvoir ». (Sourires.) Tout détenu « peut », cela revient au même. Quoi qu’il en soit, je demande le retrait de cet amendement car il me paraît satisfait par la rédaction actuelle de l’article 15 bis.

S’agissant de l’amendement n° 26 rectifié, qui porte sur la garantie du droit à l’intimité et la nécessité de prévoir que les visites aient lieu en dehors de la présence du personnel pénitentiaire, j’observe que tout se passe bien actuellement au sein des unités de vie familiale, qui se sont mises en place dans un état d’esprit positif. Par ailleurs, je pense que ces dispositions ne sont pas de niveau législatif. C’est pourquoi je demande également le retrait de cet amendement.

Je souhaiterais terminer mon propos en évoquant une confidence recueillie lors d’une visite en maison centrale – on ne sort pas indemne de telles expériences ! J’ai eu l’occasion de discuter longuement avec une personne condamnée à une très longue peine, qui avait eu la possibilité de bénéficier récemment d’un parloir familial. Cet homme avait ainsi pu rencontrer sa compagne pour la première fois depuis très longtemps. Les parloirs familiaux, comme les unités de vie familiale, sont parfois l’objet de plaisanteries douteuses, même dans l’administration pénitentiaire, mais je me souviendrais toujours de cet homme pleurant sur mon épaule et me disant, à moi qui ne l’avais jamais vu et qui ne le reverrais jamais : « C’était la première fois que je revoyais ma compagne, j’ai été incapable de faire quoi que ce soit, mais là n’était pas l’essentiel ! »

S’il est donc une politique que je souhaite réellement encourager, c’est bien celle-là ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. En ce qui concerne l’amendement n° 25 rectifié bis, le bénéfice des visites en unité de vie familiale n’est pas limité aux seuls membres des familles des détenus. Souvent, beaucoup de détenus n’ont plus de famille ou n’entretiennent plus de relations avec elle ; ils peuvent donc recevoir leurs amis ou toute autre personne avec laquelle ils n’ont aucun lien familial ou qu’ils ont même pu connaître pendant leur détention, ne serait-ce que par correspondance. Il n’y a donc pas lieu de prouver un lien familial pour bénéficier de ces UVF ; si celles-ci étaient réservées aux familles, peu de détenus pourraient bénéficier de visites.

Tous les nouveaux établissements pénitentiaires abritent maintenant une unité de vie familiale, ce qui permet aux détenus de maintenir des liens sociaux. Le bénéfice des UVF sera étendu aux personnes prévenues mais je tiens à observer que cette extension présente quelques difficultés, notamment pour les personnes incarcérées dans le cadre de dossiers d’instruction particulièrement lourds ou complexes : vous savez très bien que l’administration pénitentiaire n’a pas accès au dossier d’instruction, ce qui peut compliquer la procédure.

Quant aux parloirs familiaux, pour mettre un terme à l’hypocrisie qui a longtemps prévalu, je tiens à préciser qu’il en existe désormais 34, notamment dans huit maisons centrales. Il s’agit de petites salles d’environ dix mètres carrés, dans lesquelles l’intimité est totalement préservée.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 25 rectifié bis.

L’amendement n° 26 rectifié a trait aux modalités pratiques de déroulement des visites ; or ces dispositions ne relèvent pas du domaine de la loi. Je suis cependant en accord total avec l’objectif poursuivi par ses auteurs, d’ailleurs la réglementation est de fait extrêmement pratique. Les visites dans le cadre des unités de vie familiale se passent généralement très bien et n’ont donné lieu à quasiment aucun incident.

Pour compléter les propos du rapporteur, je rappelle que la durée des visites en UVF peut aller jusqu’à soixante-douze heures. Cependant de nombreux détenus ne souhaitent pas bénéficier d’une durée de visite aussi longue et demandent en général des visites beaucoup plus courtes pour permettre une reprise des relations plus progressive.

C’est donc pour des raisons de pure forme que j’émettrai un avis défavorable sur cet amendement n° 26 rectifié, dont l’objectif est aussi le nôtre.

M. le président. Madame Boumediene-Thiery, les amendements nos 25 rectifié bis et 26 rectifié sont-ils maintenus ?

Mme Alima Boumediene-Thiery. Oui, je les maintiens, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote.

M. Pierre Fauchon. Je voudrais dire à Mme Boumediene-Thiery que je comprends peut-être mieux que certains de nos collègues le sens de son amendement, car je crois être le seul dans cet hémicycle à avoir dirigé une maison d’arrêt, accueillant cent vingt détenus, pendant au moins un an et demi. C’était au Maroc.

J’ai rencontré les problèmes que notre collègue évoquait dans la présentation de ses amendements et j’avais réussi à mettre en place un système pratique de relations familiales, fondé sur des autorisations de sortie d’un jour ou d’un jour et demi, puisque nous ne disposions pas de locaux adaptés. Ce système ne m’a jamais causé d’inquiétude car les détenus sont toujours rentrés à la prison. Sur le plan humain, il en est résulté une amélioration certaine et l’ambiance de la maison d’arrêt connaissait un réel apaisement dans une période cependant difficile.

J’approuve donc tout à fait la teneur de ces amendements. Cela étant, je me range à l’avis du rapporteur : la rédaction de cet article satisfait d’une manière convenable à ces préoccupations. Dans cet esprit, je ne voterai pas ces amendements, non pas que j’y sois opposé, mais parce que le texte du rapporteur – comme l’ensemble de sa démarche, que je suis heureux de saluer à cette occasion – tient compte, autant que possible, de ces préoccupations humaines qui font toute la dignité de notre débat !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Je voterai les deux amendements présentés par Alima Boumediene-Thiery, parce que le droit au respect de l’intimité me paraît une notion importante. Le mot « intimité » est vraiment essentiel en l’occurrence. Aujourd’hui, vous le savez, le respect de l’intimité n’est pas vraiment garanti dans les prisons. Or il s’agit d’un droit fondamental de la personne humaine. Je regrette, monsieur le rapporteur, que vous n’ayez pas pu – ou voulu – donner un avis favorable à au moins l’un de ces deux amendements.

J’aurais souhaité poser une question supplémentaire à Mme le garde des sceaux. Vous nous avez indiqué des chiffres, madame, relatifs aux parloirs familiaux. En ce qui concerne les unités de vie familiale, vous nous avez dit que tous les établissements pénitentiaires nouveaux en comporteraient une : cela ne représente que quelques unités, car seuls cinq ou six établissements vont ouvrir dans les temps qui viennent.

Je voulais donc vous demander quelles actions vous comptiez mettre en œuvre pour doter l’ensemble des maisons d’arrêt et des maisons pour peines d’au moins une unité de vie familiale, voire plusieurs. En effet, aujourd'hui, dans de nombreux établissements on ne trouve pas de parloirs familiaux et encore moins d’unités de vie familiale.

Donc, existe-t-il au sein de votre ministère un programme visant à doter chaque établissement d’au moins une, voire plusieurs unités de vie familiale ?

Je vous remercie des réponses que vous voudrez bien m’apporter.