Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi est loin de satisfaire le représentant de la Guyane que je suis. Il ne prend en effet pas en compte les caractéristiques propres de la Guyane et ne répond donc pas aux aspirations des Guyanais, qui, eux, sont prêts à jouer le jeu de ce développement endogène, objectif retenu par le texte, semble-t-il.

Depuis longtemps déjà, les Guyanais aspirent à l’autonomie économique – ils savent qu’ils ont les moyens d’y parvenir –, à laquelle le chef de l’État a fait référence à maintes reprises lors de la réunion qu’il a tenue le 19 février 2009 à l’Élysée avec les élus ultramarins, sans que je retrouve d’ailleurs dans le texte ces bonnes intentions.

En dehors de deux mesures spécifiques, l’une portant sur des taux d’exonération fiscale et l’autre sur la répression de l’orpaillage clandestin, la Guyane est purement et simplement assimilée aux petites économies insulaires des autres départements d’outre-mer que sont la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion. La conséquence en est que les dispositions prises en leur faveur lui sont calquées, alors que le contexte global de la Guyane ne présente que peu de similitudes avec celui des îles.

Je ne cesserai de le répéter, le territoire de la Guyane est continental et non insulaire. D’une superficie terrestre de près de 90 000 kilomètres carrés, ce qui en fait de loin le plus grand département de France, la Guyane est implantée dans le continent sud-américain avec des voisins tels que le Brésil et le Surinam. Elle dispose en outre d’une zone économique exclusive de 130 140 kilomètres carrés, qui peut être exploitée à son profit.

L’occupation humaine de son espace territorial, le taux exceptionnel de croissance de sa population et sa diversité en termes historiques, ethniques, culturels et linguistiques sont encore des éléments qui la distinguent radicalement des autres départements et régions d’outre-mer, ou DROM, et dont il faut absolument tenir compte dans toute réflexion.

Alors, arrêtez de coller à la Guyane des étiquettes qui ne sont pas les siennes ! Ne la mettez plus dans le même panier que les autres DROM, comme si cette dénomination politico-administrative résumait à elle seule les problématiques de son territoire ! Arrêtez de proposer pour elle les mêmes solutions qu’ailleurs, solutions qui se sont révélées jusqu’à maintenant négatives, car inadaptées, comme le montrent les différents indicateurs économiques qui sont tous au rouge !

La Guyane est en effet à la traîne des trois autres départements d’outre-mer. D’un côté, son produit intérieur brut par habitant est de loin le plus faible. Il est même en régression, se situant à 49 % du produit intérieur brut français, alors que celui des autres départements d’outre-mer va de 60 % à 75 %. De l’autre côté, c’est le département où le seuil de pauvreté est le plus élevé : un quart des Guyanais vit sous le seuil de pauvreté relative. Selon l’indice de développement humain, la Guyane se situe à la quarante-troisième place mondiale, loin derrière les trois autres départements d’outre-mer.

Ce sont donc les caractéristiques propres de la Guyane qu’il faut prendre en considération et dont il faut se servir sans tabou pour élaborer une conception spécifique de développement. Je pense en particulier au taux exponentiel de croissance de sa population : de l’ordre de 3,9 %, ce taux est le plus élevé de France et figure parmi les sept plus élevés du monde. D’ici à 2020, la population va doubler, atteignant quasiment celle de la Martinique, soit plus de 400 000 habitants.

Tel est le sens de la démarche que les élus guyanais ont déjà engagée. Cette dernière repose bien sûr sur les capacités guyanaises en ressources, en hommes, en qualifications ainsi que sur la prise de mesures destinées à assouplir les rigidités gênant ou empêchant la prise en main et l’utilisation des ressources guyanaises par la population locale.

La première de ces mesures consiste à renforcer les pouvoirs locaux de décision économique, et donc à rendre les richesses plus accessibles à la population guyanaise. Il nous faudra aussi équilibrer de façon équitable la répartition des ressources entre les collectivités.

Ce sont ces conditions réunies qui permettront aux pouvoirs locaux d’intervenir, par exemple, sur la gestion des ressources foncières et sur les modes d’exploitation des ressources de la mer et du sous-sol.

Un développement endogène est certes un développement fondé sur des ressources locales, mais c’est aussi et surtout un développement qui trouve dans les synergies locales ses propres dynamiques. Il ne suffit donc pas de se fixer cet objectif si, parallèlement à sa mise en pratique, on n’ajuste pas en conséquence les pouvoirs de décision politique et administrative.

Compte tenu des engagements pris par le chef de l’État, nous espérons que nous serons mieux entendus et pris en considération à l’occasion des États généraux que nous ne le sommes dans ce projet de loi.

Un autre point qui me laisse perplexe tient aux ambiguïtés entourant le financement du projet de développement économique de l’outre-mer.

On nous assomme de chiffres divers : 100 millions d’euros lors du lancement du projet (M. le secrétaire d’État fait un signe de dénégation.), puis 150 millions d’euros supplémentaires, 250 millions d’euros, voire 580 millions d’euros (M. le secrétaire d’État fait à nouveau un signe de dénégation.). Ces chiffres, qui sont simultanément et systématiquement repris par les médias, contribuent à laisser croire que l’outre-mer coûte très cher à la France. Ce cliché s’immisce dans l’esprit des Français, qui ont déjà une vision déformée de l’outre-mer.

En fait, pour l’heure, je ne dispose que d’un seul document me permettant d’apprécier l’impact budgétaire de l’ensemble des mesures prévues par le projet de loi : il s’agit du tableau fourni par le secrétariat d’État à l’outre-mer lui-même. Qu’y constate-t-on ? Le montant des dépenses s’élève à 295,2 millions d’euros pour des économies de l’ordre de 272,9 millions d’euros, soit 22,3 millions d’euros. Voilà le coût connu du projet ! Si l’on exclut les mesures réglementaires annoncées, mais non prises dans le projet de loi, on arrive à peine à une injection supplémentaire de 1,8 million d’euros dans les économies ultramarines.

Plus grave, le Gouvernement ne chercherait-il pas à faire des économies ? Parmi les amendements qu’il propose, deux vont se traduire par la disparition de la défiscalisation de plein droit, celle justement qui bénéficie aux petites et moyennes entreprises et aux très petites entreprises, lesquelles représentent plus de 80 % des entreprises et des emplois. D’après les estimations, ces petits dossiers d’investissement représentent 600 millions d’euros par an. C’est une véritable aubaine en termes d’économies pour le Gouvernement ! En effet, avec ces nouvelles dispositions – l’abaissement du seuil de l’agrément ou l’agrément au premier euro pour les secteurs dits sensibles –, qui s’ajoutent à une année économique écourtée en raison des conflits sociaux, on peut affirmer sans aucun risque de se tromper qu’on sera loin de l’utilisation des 800 millions d’euros prévus dans le budget pour l’outre-mer.

Madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, il est encore temps de redresser la barre en acceptant les amendements que nous défendrons de nouveau en séance. Nous avons voulu jouer le jeu, comme vous nous l’aviez demandé, en vous les adressant directement. Il ne semble pas pour l’heure qu’ils aient été retenus. Pourtant, ils présentent l’avantage de répondre aux réalités de nos territoires, que nous sommes mieux à même d’appréhender.

Acceptez donc ces amendements, et vous enverrez ainsi un signe fort à la Guyane, qui, je le rappelle, a été la première à lancer le mouvement contre la vie chère, préoccupation qui demeure. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Detcheverry.

M. Denis Detcheverry. Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter du projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer, programme ambitieux ayant rencontré des difficultés à voir le jour dans sa forme finale, notamment du fait du contexte mondial et des récents événements dans les DOM.

Ce projet de loi a été initié en 2007, sous le nom de LOPOM, loi de programme pour l’outre-mer, rebaptisée DEPEOM, loi pour le développement et la promotion de l’excellence outre-mer, pour s’appeler finalement LODEOM, loi pour le développement économique de l’outre-mer. J’avoue que j’avais une nette préférence pour la deuxième appellation, mais cela ne m’empêchera pas de voter ce texte.

M. Yves Jégo, secrétaire d'État. Très bien !

M. Denis Detcheverry. La dénomination « loi pour le développement et la promotion de l’excellence outre-mer » traduisait en effet mieux ma vision et mon ambition personnelle pour l'outre-mer. J’en suis convaincu, l'outre-mer peut être une valeur ajoutée pour la France. Ainsi, comme certains de mes collègues l'ont déjà mentionné, c'est grâce à cet ensemble de territoires ultramarins aux quatre coins de la planète que la France est la deuxième superficie maritime du monde, avec 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive.

La richesse de la biodiversité française doit beaucoup à l'outre-mer. On y trouve, par exemple, des richesses minières, tel du nickel en Nouvelle Calédonie, ou du pétrole à Saint-Pierre-et-Miquelon, cette collectivité ayant d’ailleurs, par le passé, fait vivre une partie de la métropole grâce aux stocks importants de morue que l’on y trouvait.

Par ailleurs, tous ces territoires sont des avant-postes de la France à travers le monde, avec ce que cela implique de diversité culturelle, dans le sens large du terme. Nous sommes au contact de populations aussi diverses que variées dont nous connaissons les pratiques et la mentalité. Nous sommes des représentants tant de la France dans ces régions que de ces régions en France.

Cette diversité est aussi synonyme de spécificités. Chaque département, collectivité ou territoire est unique : il convient d'apporter des réponses spécifiques à des besoins et à des problématiques spécifiques. C'est pourquoi l'on parle le plus souvent « des outre-mers ». Je peux le comprendre, mais je préfère pour ma part parler de l'outre-mer, d’un outre-mer.

Ensemble, nous représentons 2,5 millions de Français à part entière et une partie non négligeable de la richesse française. Au-delà de nos différences, nous avons beaucoup de points communs et de choses à partager.

Nous devrions constituer un réel réseau outre-mer, semblable à celui que j'ai découvert lors de ma mission de coopération régionale avec les provinces atlantiques du Canada en 2007 : le RDEE, le Réseau de développement économique et d'employabilité du Canada. Il s'agit des communautés francophones et acadiennes, minoritaires mais présentes à travers cette immensité canadienne située, de par sa superficie, au deuxième rang mondial, derrière la Russie

Ce que j'ai découvert là-bas fut édifiant. En un peu plus de dix ans, ces minorités ont réussi à transformer leur image de « quêteux » –  autrement dit la politique de la main tendue, ce dont on accuse l’outre-mer bien souvent – en un atout indéniable, devenant une force de proposition et un partenaire de développement économique privilégié du gouvernement canadien.

L'outre-mer peut et doit faire la même chose aujourd'hui. Je suis convaincu de notre potentiel individuel, mais ce dernier ne pourra être révélé que par un effort collectif, autrement dit par un effort communautaire. C'est précisément ce qu'ont fait les membres francophones et acadiens du RDEE : ils ont su animer et impliquer chaque communauté afin qu'elle détermine ses besoins et ses envies de développement économique. Cette approche s'appelle le développement économique communautaire, ou DEC.

Cela commence par l'établissement de profils socio-économiques pour chaque communauté, profils dans lesquels on retrouve diverses données statistiques pertinentes, d'ordre démographique, économique et social. À ces données quantitatives s'ajoutent des portraits des régions contenant des éléments qualitatifs touchant plusieurs thèmes d'intérêt, par exemple le recrutement de la main-d'œuvre, la formation, les services d'appui aux entreprises et les priorités régionales de développement économique. Ces profils ont pour objectif de permettre une meilleure compréhension des communautés. Ils servent ensuite à établir le diagnostic des communautés et à « prioriser » des stratégies et des actions en termes de développement.

Cette approche est pour moi la meilleure garantie de réussite à long terme dans le monde actuel. Autant les décideurs pouvaient autrefois imposer certaines décisions sans trop d'explications ni de justifications, autant cela devient quasi impossible dans le monde actuel, où nous sommes de plus en plus informés, formés et cultivés. Avec Internet, tout le monde peut avoir accès à l'information en temps réel. Nos concitoyens analysent et remettent en question, ils ont une opinion, un point de vue, et aimeraient être entendus, surtout quand ils sont les mieux placés pour connaître les réalités de terrain. Nous devons donc les consulter, établir avec eux des diagnostics, fixer des objectifs, rendre des comptes et valider au fur et à mesure de l'évolution des projets.

Cela est d'autant plus vrai en outre-mer du fait de la distance et des différences géographiques et culturelles. La crise récente dans les Antilles nous l'a rappelé à notre bon souvenir.

Le système actuel, en place, voire imposé, depuis soixante ans, ne fonctionne plus : il est inadapté aux réalités locales et perpétue des restes de colonialisme.

« Qu'est-ce que ce blanc d'un territoire blanc peut bien connaître du colonialisme ? », devez-vous vous dire ! (Mme le ministre sourit.) Beaucoup plus que vous ne le croyez ! En effet, même si la population de Saint-Pierre-et-Miquelon est majoritairement d'origine européenne, elle a longtemps souffert, elle aussi, de l'attitude colonialiste, et il y en a encore des restes aujourd'hui !

Ainsi, les décisions sont prises à Paris avec peu ou pas de consultation des représentants locaux. Nous avons encore eu cette impression en fin d'année avec la réforme de l'indemnité de retraite : elle nous a été imposée sans que nous soyons vraiment consultés, alors que nous étions nous-mêmes demandeurs d'une certaine évolution. En outre, sur place, parmi les métropolitains ouverts et curieux de la vie – cela existe !–, quelques personnes viennent s'enrichir au mépris de notre culture et de nos habitudes. Ils occupent souvent des postes importants et prennent des décisions dans leur intérêt ou à court terme, et ce au détriment du développement économique.

Depuis des décennies, bien des systèmes ont été mis en place afin de pallier l'absence d'un réel développement économique et de faire face au coût de la vie. C'est ainsi qu'un dispositif totalement artificiel a été établi, qui a aujourd'hui démontré qu'il avait atteint ses limites.

Certes, les ultramarins ont leur part de responsabilité dans cette situation ; les élus et les syndicats locaux ont tantôt laissé faire, tantôt choisi le mauvais cheval de bataille.

Mais il nous faut tourner la page des injustices du passé. Par exemple, à Saint-Pierre-et-Miquelon, il ne serait pas constructif de continuer à en vouloir à l'État français de nous avoir sacrifiés face aux Canadiens en 1992, dans l'espoir, un peu vain, de vendre quelques TGV ou Airbus. Nous adoptons souvent des attitudes de victimes qui nous rendent de moins en moins crédibles.

Certes, donc, nous avons notre part de responsabilité dans les événements du passé, et le travail reste encore à faire aujourd'hui. Mais j'avoue supporter difficilement qu’on montre du doigt l'outre-mer en l’accusant de ne pas se développer et de coûter cher, alors qu’on refuse depuis trop longtemps de lui donner les moyens adaptés – les moyens non pas financiers, mais techniques et humains, qui lui manquent le plus souvent – pour se prendre en main et construire un avenir prospère et durable.

Il est trop facile et foncièrement injuste de nous accuser alors qu'on nous a imposé ce système artificiel.

Quand j'observe qu’un des principaux journaux nationaux annonce qu'une majorité de Français métropolitains, lesquels connaissent pourtant peu ou mal les Français d'outre-mer, serait favorable à l'indépendance de la Guadeloupe, je suis perplexe, ou plutôt en colère ! Que cherche-t-on à prouver et à faire ? Serait-on en train de diviser pour mieux régner ?

Nous ne devons naturellement pas céder devant une telle attitude. Face à cela, je n'ai qu'une réponse : l'union. L'union entre les ultramarins ne pourra que renforcer l'union entre les Français de métropole et les Français d'outre-mer. À nous d'expliquer qui nous sommes, ce dont nous avons besoin mais aussi ce que nous pouvons apporter. Ne ratons pas cette opportunité que nous offrent les États généraux pour revoir en profondeur la place de l'outre-mer français dans le monde ! Permettons à nos compatriotes hexagonaux de mieux nous connaître, que ce soit par la télévision, les programmes scolaires ou la continuité territoriale ! Bref, encourageons la connaissance et l'échange.

En effet, ce n'est que dans l'échange, ouvert et sans jugement hâtif, que nous arriverons tous à sortir de cette crise qui nous concerne tous. Écoutons bien ce qui a été dit dans les départements d’outre-mer pour éviter une aggravation dans toute la France, comme ce fut le cas par le passé.

Concernant plus spécialement Saint-Pierre-et-Miquelon – j’en ai peu parlé jusqu’ici –, une opportunité unique, une échéance très importante pour l'avenir de cette collectivité d'outre-mer de l'Atlantique Nord arrive à grand pas : le gouvernement français a jusqu'au 13 mai pour revendiquer auprès de l'ONU les droits de l'archipel, donc de la France, pour une extension de son plateau continental.

Ce droit est reconnu à un niveau international. L'ensemble des élus et de la population est mobilisé pour qu'une lettre d'intention soit déposée. Une simple lettre nous mènera non pas vers un nouveau conflit avec notre voisin canadien – nous ne le voulons pas –, mais plutôt vers un espace de dialogue et de coopération dans notre environnement géographique régional.

Il s'agit là d'un espoir pour une identité maritime retrouvée à laquelle nous aspirons tous légitimement. Nous avons toujours existé par et pour la mer ; j'ose espérer que l'on ne nous refusera pas ce droit d'exister dans notre région.

Madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, j'espère pouvoir compter sur le soutien du Gouvernement dans ces moments décisifs pour l'avenir de Saint-Pierre-et-Miquelon. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Etienne Antoinette.

M. Jean-Etienne Antoinette. Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, fallait-il attendre la plus longue grève en France depuis mai 1968, avec ses tragiques dégâts collatéraux, pour que le Gouvernement concède de revenir sur les restrictions envisagées dans les dispositifs d’exonération et de défiscalisation existants ?

Aujourd’hui, ce même gouvernement ouvre si largement son portefeuille pour l’outre-mer que j’en arrive à me demander ce que cache cette capacité subitement recouvrée.

Souvenez-vous de l’examen ici même, en décembre 2008, des crédits de la mission « Outre-mer » dans le projet de loi de finances pour 2009 : la crise économique mondiale est installée, la récession largement annoncée, la Guyane tout entière est en grève, et, malgré les alertes de certains parlementaires, on vote le plafonnement des réductions d’impôt pour l’investissement productif en outre-mer, la réduction des exonérations de charges sociales et la dégressivité des exonérations de charges patronales !

Trois grèves générales, un mort et des millions d’euros de dégâts plus tard, le Gouvernement, sans changer de cap, débloque 450 millions d’euros supplémentaires pour l’outre-mer, dont 150 millions d’euros pour la présente loi.

Aux parlementaires qui souhaitent un report de l’examen d’un texte devenu caduc, il est demandé d’agir en pompiers face à la crise, ou plus exactement face aux conflits sociaux qui agitent nos territoires. Or, nous le savons tous ici, ce texte ne pose pas les conditions d’un véritable développement économique endogène. Il ne propose aucune remise en cause des orientations du texte d’origine. Il n’intègre aucune des conditions de base de tout développement économique tenant compte des hommes et de la réalité de nos sociétés. En outre, l’examen dans l’urgence ne permet ni aux commissions ni aux autres parlementaires de transformer une liste de mesures de soutien aux entreprises en une véritable loi pour le développement des territoires et des populations, malgré la tentative louable de nos collègues du groupe CRC proposant l’ajout d’un titre sur le développement humain.

En juillet 2008, dans l’exposé des motifs du projet de loi, on prétendait promouvoir l’excellence économique pérenne de l’outre-mer en réformant les dispositifs et en diminuant les enveloppes ! En mars 2009, on veut simplement répondre à la conjoncture...mais avec des mesures décidées pour dix ans, tout de même !

Face à des territoires qui s’étranglent, on renvoie les questions de fond à plus tard, grâce à une formidable opération de communication qui cherche à nous faire croire que dans trois mois, d’ici à juin, on aura tout compris et tout réglé.

Honnêtement, en dehors d’une véritable et nécessaire réflexion en vue de réformer le système économique ultramarin français, était-il besoin d’États généraux pour savoir qu’on ne développe pas des territoires sans élever les niveaux de formation, sans lutter contre l’illettrisme, sans éradiquer l’habitat insalubre, sans développer une véritable politique de santé publique, enfin, sans mettre en place un système vertueux reliant la formation, les filières d’activités économiques et les débouchés ?

Avant les événements récents, ignorait-on la problématique des monopoles, des surcoûts et des surtaxes ? Ignorait-on les situations d’enclavement, les contraintes pesant sur le commerce extérieur, ou encore sur l’intégration des régions d’outre-mer françaises dans leurs aires géographiques respectives ?

Aujourd’hui, j’ai tout d’abord envie de soulever de nouveau la question que je posais ici même en décembre 2008 par la voix de mon collègue Georges Patient : quand donc le Gouvernement accordera-t-il à nos populations, à nos territoires et à nos élus, en dehors des avis de tempête, un peu de respect, ainsi qu’un peu d’écoute, d’écoute réelle ?

« À quand demain ? », disait le poète et député guyanais Léon-Gontran Damas ? À quand une politique de l’État en outre-mer s’appuyant sur le simple bon sens, et concevant donc des politiques et des projets pertinents à partir des réalités des territoires et non de cadres juridiques métropolitains qu’il faut ensuite adapter ou auxquels il faut forcément déroger ?

La première rupture ou le premier changement de paradigme dans l’appréhension du développement des terres ultramarines devrait être celui-là.

Or, le projet de loi dont nous allons débattre est encore un texte conçu en termes d’adaptation, de dérogation, de perfusion, tant la logique de dépendance outre-mer-métropole est forte, tant l’idée est ancrée que la norme est forcément métropolitaine et que toute mesure particulière serait une preuve manifeste de bienveillance, alors qu’on la voudrait fondatrice et structurante, surtout quand il s’agit de compenser des handicaps !

Enfin, aujourd’hui, la situation est exceptionnelle. Nous sommes pris en étau entre les cris de nos populations et des choix inopérants. Nous avons donc finalement le devoir d’aller dans le sens du projet de loi, et même d’aller encore plus loin dans sa logique actuelle, tout en sachant que les problèmes de fond n’y sont pas traités.

Mais même dans cette logique de compensation, qui semble généreuse, le compte n’y est pas.

Reprenons donc les trois axes que vous avez développés ce matin, madame le ministre.

La politique d’exonération et de défiscalisation en faveur de l’activité et de l’emploi, même réformée pour limiter les effets pervers du passé, est déployée sans véritable exigence de contrepartie en matière de formation, d’augmentation des salaires, de baisse du coût de la vie, hormis sur cent produits – mais les prix des autres produits pourront bien exploser pour compenser cette baisse. Finalement, cette politique moralise une niche fiscale pour en créer d’autres.

Par ailleurs, le petit commerce n’a pas été retenu, de même que le soutien aux emplois intermédiaires ou de cadres au profit de nos jeunes diplômés.

Le soutien à l’investissement, notamment par le fonds exceptionnel d’investissement outre-mer, n’affiche pas clairement ses domaines d’intervention, ses priorités, ni même ses modalités de mobilisation. C’est la seule mesure de soutien aux collectivités locales, par ailleurs fortement mises à contribution dans la mise en oeuvre des mesures proposées. Or les collectivités locales jouent un rôle fondamental dans la commande publique et dans la cohésion sociale.

Quant à la relance du logement social, qui devrait relever essentiellement d’une politique publique volontariste par l’augmentation de la ligne budgétaire unique, la LBU, vous voulez l’aborder par un dispositif moins attractif pour les investisseurs que le précédent système, aux indéniables effets pervers, qui concernait le logement libre. C’est, me semble-t-il, chercher à attirer les mouches avec du vinaigre, surtout en temps de crise.

Nous serons donc vigilants sur chacun des articles afin de permettre à l’outre-mer de traverser la crise sans trop d’encombre, tout en préparant les États généraux qui sauront, je l’espère, intégrer la dimension humaine manquant à ce texte.

« L’heure a sonné de nous-mêmes », disait Aimé Césaire.

Mais de grâce, puisque vous nous offrez des espaces d’expression, écoutez-nous ! Pour une fois, écoutez-nous, prenez en compte nos amendements, qui n’ont qu’une finalité : rendre le dispositif plus opérant. La situation en outre-mer au cours des dix prochaines années en dépend ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Soibahadine Ibrahim Ramadani.

M. Soibahadine Ibrahim Ramadani. Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme cela a déjà été rappelé, le projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer a été déposé sur le bureau de la Haute Assemblée le 28 juillet 2008, voilà donc déjà sept mois. Entre-temps, de nouvelles réalités sont apparues : la crise financière mondiale venue des États-Unis s’est répandue en Europe, plongeant celle-ci dans la récession ; la crise sociale récente aux Antilles s’étend à d’autres collectivités, notamment à la Réunion ; la déclaration du Gouvernement sur la consultation des électeurs de Mayotte sur le changement de statut de cette collectivité retient toute l’attention des Mahorais pour les semaines à venir.

Ce contexte a fort justement conduit le Gouvernement à consentir une rallonge de 580 millions d’euros pour la LODEOM et justifie le dépôt d’un certain nombre d’amendements.

Nous saluons en particulier l’introduction d’un titre Ier A intitulé « Soutien au pouvoir d’achat » et d’un article 1er A relatif à la réglementation du prix de vente de cent produits de première nécessité, prix qui sera déterminé par un décret en Conseil d’État. En effet, les mécanismes de formation des prix en outre-mer sont souvent mal connus, la fixation de ces derniers mal maîtrisée et le contrôle mal assuré.

L’éloignement, la taille limitée de nos marchés et les risques naturels n’expliquent pas à eux seuls le fait que les prix dans nos collectivités soient supérieurs de 5 % à 25 % à ceux de la métropole. Il y a aussi les situations de monopole exercées par les grandes sociétés de distribution et les ententes illicites entre elles pour limiter ou éviter toute concurrence.

En attendant l’examen des amendements, les dispositions de cet article sont d'ores et déjà de nature à orienter les travaux de l’Observatoire des prix et des revenus de Mayotte, et à rendre encore plus pressante la nécessité pour l’État de renforcer les moyens attribués à l’antenne de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes dans cette collectivité.

Mes chers collègues, les dispositions proprement économiques de ce projet de loi, ainsi que les mesures de défiscalisation et d’exonération des charges sociales qui les accompagnent, concernent essentiellement les départements d’outre-mer et relativement peu les collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution ou les collectivités à statut particulier, hormis peut-être le maintien à titre transitoire jusqu’en 2013 de l’ancien dispositif Girardin pour certains types de logement.

Pour autant, Mayotte n’est pas absente de ce projet de loi, et je souhaite à cet égard formuler deux observations.

La première a trait aux dispositions suivantes.

L’article 5 traite de l’éligibilité des câbles sous-marins au dispositif de défiscalisation des investissements, notamment pour la pose de câbles sous-marins de communication desservant pour la première fois l’une des collectivités d’outre-mer. Tel est le cas, en l’espèce, à Mayotte. Nous avons déposé un amendement visant à garantir l’absence de surcoûts liés à ces investissements et à réduire la fracture numérique dans notre collectivité.

L’article 16, qui crée un fonds exceptionnel d’investissement outre-mer, prévoit pour 2009 une enveloppe globale de 42 millions d’euros pour Mayotte, au titre du contrat de projet 2008-2014.

L’article 21 étend à Mayotte la compétence de l’Agence nationale de l’habitat en vue d’aider à la rénovation du parc privé de logements à compter du 1er janvier 2010.

L’article 26 maintient l’éligibilité de Mayotte au nouveau Fonds de continuité territoriale, globalisant les deux dispositifs existants actuellement, à savoir la dotation de continuité territoriale et le passeport-mobilité, pour le volet étudiant. Il est d’ailleurs urgent de créer à Mayotte une université mieux à même de garantir la réussite de nos étudiants.

Le 4° de l’article 31 prévoit la ratification de l’ordonnance n° 2007-1801 du 21 décembre 2007 relative à l’adaptation de mesures législatives prise en application de la loi du 21 février 2007, dite DSIOM, qui a étendu le droit commun à Mayotte à compter du 1er janvier 2008, à l’exception de six matières.

Enfin, dans la perspective de la départementalisation de Mayotte, le 4° de l’article 32 vise : premièrement, à actualiser et adapter l’organisation juridictionnelle et le statut civil personnel de droit local ; deuxièmement, à étendre et à adapter les dispositions législatives relatives à l’expropriation pour cause d’utilité publique et à la constitution de droits réels sur le domaine public ; troisièmement, à étendre et à adapter la législation en matière de protection sociale à Mayotte.

Au total, à ces dispositions s’ajoutent les opérations retenues dans le cadre du contrat de projet 2008-2014, doté de 551 millions d’euros, et du plan de relance de l’économie, pour 46,184 millions d’euros. Cela traduit un effort déjà significatif de l’État en faveur de Mayotte.

Ma seconde observation concerne la question foncière et les prestations sociales visées au 4° de l’article 32 précité.

Mayotte est comprise entre, d’une part, les zones à risques naturels de glissements de terrain et de chutes de blocs, intéressant 60 % du territoire, pour une large part non constructibles en l’état selon l’Atlas du bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM, et, d’autre part, la zone dite « des cinquante pas géométriques » appartenant au domaine public maritime de l’État, en partie occupée ou en voie de l’être sans garantie juridique ; entre les deux zones, plusieurs milliers d’hectares de terrain relèvent de l’indivision, incitant aux constructions illégales sous la pression de la pénurie.

Pour ces raisons, il est proposé de prévoir les dispositions suivantes dans les ordonnances relatives à cet article : la mise en place d’un plan de prévention des risques naturels en lieu et place de l’Atlas du BRGM, qui ne constitue qu’un document d’information et qui est, outre ses imprécisions, dépourvu de toute valeur juridique ou réglementaire et, de ce fait, non opposable aux tiers ; l’extension à Mayotte de la compétence du groupement d’intérêt public – je rejoins sur ce point la proposition de notre collègue Jean-Paul Virapoullé – chargé de reconstituer les titres de propriété en situation d’indivision, créé à l’article 19 de ce projet de loi ; enfin, des dispositions incitant à l’installation de notaires à Mayotte.

En outre, afin de faciliter la constitution de droits réels sur le domaine public maritime de l’État dans les espaces urbanisés ou d’urbanisation future, il est demandé d’accélérer la parution du décret permettant le déclassement rapide de ces espaces, en application de l’article L.5331-6-6 du code général de la propriété des personnes publiques.

Enfin, le 4° de l’article 32 prévoit l’extension à Mayotte de la législation en matière de protection sociale, soustrayant ainsi ce domaine de la spécialité législative. Dans l’immédiat, le Gouvernement, dans sa déclaration du 12 février 2009, a indiqué que les prestations sociales existantes seront revalorisées en 2010. Il s’agit notamment de l’allocation de rentrée scolaire, de l’allocation familiale, de l’allocation spéciale pour les personnes âgées et de l’allocation pour adultes handicapés.

Dans ce but, je suggère que cette revalorisation fasse l’objet d’un plan sur trois ans, avec des taux de départ variables selon les prestations mais compatibles avec l’objectif d’un alignement à l’horizon du plan, sachant par ailleurs que les autres prestations, dont le revenu de solidarité active, ou RSA, n’entreront en vigueur qu’en 2012, avec un taux de départ de 25 % du montant national, pour un objectif d’alignement correspondant à une génération.

Pour conclure, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je propose de retenir le principe selon lequel les dispositions de ce projet de loi qui ne s’appliquent pas à Mayotte soient étendues de plein droit dans le cadre de la départementalisation, avec les adaptations nécessaires, et que soit créé en même temps le fonds de développement économique, social et culturel prévu par le Pacte. Pour ma part, je reste confiant pour la consultation du 29 mars prochain : ce sera un succès.

Sous le bénéfice de ces observations, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je soutiendrai avec enthousiasme ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. –MM. les rapporteurs applaudissent également.)