M. Charles Revet. C’est vrai !

M. Jean-Patrick Courtois. Nous devons encore une fois tenir compte des réalités locales.

M. Philippe Adnot. Très bien !

M. Jean-Patrick Courtois. Nombre de questions restent encore sans réponse, compte tenu de l’importance des enjeux et de la diversité des situations locales.

Le groupe de travail de la majorité parlementaire a donc décidé d’approfondir sa réflexion sur trois sujets essentiels : les conseillers territoriaux et les modalités de leur élection, l’intercommunalité et les grandes métropoles.

Nous entendons ainsi contribuer efficacement aux travaux de la mission temporaire du Sénat sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, dont nous saluons la qualité et l’équilibre.

Cela étant, il s’agit aussi et surtout pour nous – j’insiste sur ce point – de réaffirmer notre volonté de réviser en profondeur la gouvernance, les compétences et le financement des collectivités territoriales, afin de mettre en œuvre, avec un certain courage politique, une réforme majeure qui soit à la hauteur des enjeux et des attentes de nos concitoyens. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je m’exprimerai, dans la mesure du possible, au nom de M. Jean-Michel Baylet autant qu’en mon nom propre.

La République avait fondé son organisation territoriale sur les départements et sur les communes. Le rapport au Président de la République du comité Balladur privilégie clairement « la bipolarisation des institutions locales, au profit de la région et de l’intercommunalité ».

Cette rupture avec le modèle républicain, car c’est bien de cela qu’il s’agit, correspond, me semble-t-il, au projet d’une « Europe des régions », plus ou moins inspiré du modèle des Länder allemands.

Commençons par les communes.

Formellement, nos 36 600 communes verront certes leur compétence générale préservée, mais, pour les investissements les plus significatifs, elles ne pourront guère l’exercer. En effet, les régions et les départements, cantonnés dans des compétences spéciales définies par la loi, pourront beaucoup plus difficilement les aider.

Le système des financements croisés a été désigné par le Président de la République et par le comité Balladur comme « ce pelé, ce galeux, d’où venait tout le mal ». M. Jean-Michel Baylet et moi-même voudrions dénoncer cette idée reçue.

Tout d’abord, les financements croisés ont été voulus par l’État à travers les contrats de plan. On ne peut souhaiter une chose et son contraire ! L’État continue d’ailleurs à solliciter les différents niveaux de collectivités territoriales pour le financement des lignes TGV nouvelles. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Sans financements croisés, il n’y aurait pas eu de plan Universités 2000, ni de modernisation de nos locaux universitaires. Je connais nombre de projets de gymnase ou de salle polyvalente dans nos communes qui n’auraient pu aboutir sans ces fameux financements croisés.

M. Dominique Braye. Nous sommes d'accord, mais ce n’est pas une raison pour ne rien changer !

M. Jean-Pierre Chevènement. L’abolition de la compétence générale des régions et des départements bridera inévitablement l’élan de la décentralisation.

Tel est bien, d’ailleurs, l’objectif qu’a affirmé le Président de la République dans son discours du 5 mars dernier : « Faire des économies sur les dépenses ».

Toutefois, est-il bien raisonnable, au moment où l’on parle de relance, de casser l’effort d’investissement des collectivités locales, qui représente, comme plusieurs orateurs l’ont rappelé avant moi, les trois quarts de l’investissement public ?

Cette réforme de notre organisation territoriale, dont l’esprit contrarie celui de la décentralisation, me paraît inopportune en période de crise. Le Président de la République, qui par ailleurs prétend favoriser l’investissement local au travers des avances sur remboursement du Fonds de compensation de la TVA, devrait en convenir lui-même.

À cet égard, la suppression de la taxe professionnelle constituera un mauvais coup supplémentaire porté à l’intercommunalité et au développement local. Certes, le Président de la République s’est engagé à compenser intégralement les pertes de recettes qui en résulteront pour les collectivités territoriales. Toutefois, cette promesse figera une situation qui, en elle-même, est évolutive : la taxe professionnelle est un impôt très dynamique, dont les bases, même si elles sont amputées de la part salariale, progressent encore chaque année.

Or les compensations envisagées par le Président de la République dans son discours du 5 mars dernier, c'est-à-dire une « cotisation minimale sur la valeur ajoutée » ou une « taxe sur les conventions d’assurance », ne sont pas à la hauteur. Les moyens dont disposent les intercommunalités en seront inévitablement affectés, ce qui pénalisera la lutte contre la ségrégation urbaine, le développement économique local et la solidarité intercommunale.

Mes chers collègues, l’intercommunalité représente un acquis majeur pour la décentralisation, car elle permet de mettre en commun des compétences stratégiques que les communes isolées pouvaient difficilement exercer jusque-là.

À mes yeux, bien des critiques adressées à l’intercommunalité ne sont pas pertinentes, comme l’a d'ailleurs relevé, voilà quelques instants, Mme Jacqueline Gourault,…

M. Dominique Braye. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Chevènement. … pour qui j’ai beaucoup de considération eu égard au travail considérable qu’elle a réalisé sur l’intercommunalité.

M. René-Pierre Signé. Quel charmeur ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Ces critiques, quelles sont-elles ?

Tout d'abord, les périmètres seraient parfois arbitraires. Mais ils peuvent être corrigés selon des règles de majorité qualifiée qui, d'ailleurs, donnent un certain pouvoir au préfet !

Ensuite, la mutualisation des services a pris du retard, comme la Cour des comptes l’a regretté en 2005. Toutefois, ce retard a été largement rattrapé, et cela ne pouvait pas se faire du jour au lendemain.

Le coût de l’intercommunalité pour les finances publiques est resté modeste : vous pouvez me croire, car j’avais prévu une enveloppe dont je sais qu’elle n’a pas été dépassée dans la même mesure que l’ont été les résultats initialement prévus, avec quatre fois plus de communautés d’agglomération que nous ne l’envisagions en 1999 et plus de 90 % du territoire et de la population aujourd'hui concernés par l’intercommunalité à fiscalité propre.

Enfin, une dernière critique porte sur les recrutements supplémentaires dans les EPCI, les établissements publics de coopération intercommunale. Toutefois, ceux-ci ont correspondu souvent légitimement, il faut le souligner, à l’exercice de compétences qui étaient jusqu’alors délaissées par les communes.

M. Michel Mercier. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Chevènement. L’intercommunalité, quels que soient ses mérites, ne doit pas faire disparaître les communes,…

M. René-Pierre Signé. Ah non, surtout pas !

M. Jean-Pierre Chevènement. … qui sont l’échelon de base et, si je puis dire, l’ « école élémentaire » de notre démocratie.

Les établissements publics de coopération intercommunale ne constituent pas, comme beaucoup le croient, un quatrième niveau de collectivités territoriales. M. Baylet me faisait d'ailleurs observer que la France ne comptait pas plus d’échelons de collectivités territoriales que l’Allemagne ou l’Italie.

Un sénateur du groupe socialiste. Le rapport d’étape sur la réorganisation territoriale l’a relevé !

M. Jean-Pierre Chevènement. Tout à fait, le rapport souligne ce point, à juste titre.

Si je partage la plupart des préconisations qui visent à achever et à rationaliser la carte de l’intercommunalité, je suis plutôt réticent, je dois le dire, en ce qui concerne l’élection au suffrage universel direct des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale.

En effet, à l’évidence, l’élection directe des présidents des EPCI délégitimerait les maires.

M. Dominique Braye. Absolument !

M. Jean-Pierre Chevènement. On m’objectera que personne ne propose une telle mesure ; je l’ai pourtant entendu évoquer en d’autres lieux !

Quant à élire, comme l’a préconisé la mission du Sénat présidée par notre collègue Claude Belot, les conseillers communautaires par « fléchage », en même temps que les conseillers municipaux, en transposant le système dit « PLM », c'est-à-dire celui qui est en vigueur à Paris, à Lyon et à Marseille et qui semble aujourd’hui à la mode, il convient d’y réfléchir à deux fois !

Je voudrais faire observer à Mme Jacqueline Gourault, ainsi qu’à beaucoup d’autres de nos collègues qui sont mus par un souci sincère de démocratisation, que ce mode d’élection par « fléchage » ne serait pas applicable aux communes de moins de 3 500 habitants, qui désignent leurs conseillers municipaux selon un système de panachage, dont on considère que, dans les petites communes, il constitue un progrès de la démocratie.

M. Dominique Braye. Le panachage, c’est le tir aux pigeons !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Nous pourrions abaisser ce seuil !

M. Jean-Pierre Chevènement. Certes, monsieur le secrétaire d'État. Il n’en reste pas moins que ce système donne toute satisfaction dans les très petites communes.

M. Dominique Braye. Non ! Pour les élus, c’est le tir aux pigeons !

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur Braye, il faut bien que la démocratie s’exprime !

M. Dominique Braye. La démocratie, oui, pas la bassesse !

M. Jean-Pierre Chevènement. D'ailleurs, il me semble que le tir aux pigeons et la démocratie ne sont pas sans rapport, même si je ne suis pas chasseur, contrairement à M. le président du Sénat ! (Sourires.)

M. le président. Poursuivez, monsieur Chevènement. La saison de la chasse est terminée ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Faut-il, comme le suggère la mission du Sénat, instaurer ce système qui, par l’application de la proportionnelle des listes, introduira inévitablement un esprit plus partisan au sein des conseils communautaires, où l’entente se faisait généralement de maire à maire, chacun étant assuré de représenter la légitimité de sa commune ?

J’observe d'ailleurs que le Président de la République, dans son discours du 5 mars dernier, a déclaré qu’il souhaitait « que se poursuive la concertation sur l’élection au suffrage universel direct des organes délibérants des EPCI à fiscalité propre, qui pose à mon sens beaucoup de questions ». Sur ce dernier point, je partage tout à fait le sentiment du Président de la République !

Ce sont l’esprit et la vocation de l’intercommunalité qui sont en cause. Je souhaite pour ma part que les intercommunalités restent des coopératives de communes et ne deviennent pas des « communes nouvelles », comme l’article 11 du projet de loi de réforme des collectivités locales annexé au rapport du comité Balladur en ouvre la possibilité, dès lors qu’une majorité des deux tiers des conseils municipaux, représentant la moitié de la population, le demanderait. Je vous suggère d’y réfléchir, mes chers collègues.

L’article 11 de ce texte traduit une certaine méconnaissance de l’esprit de l’intercommunalité et me paraît plus conforme à celui de la loi Marcellin de 1971. On ne remplacera pas nos 36 600 communes par 2 500 communes nouvelles, et on ne doit pas le faire, car cette évolution ne correspond pas à l’esprit français !

Je voudrais d'ailleurs indiquer à M. Courtois que les jardins à la française ont tout de même du bon,…

M. Jean-Pierre Chevènement. … d’autant que nos 36 600 communes, en réalité, évoquent davantage un jardin à l’anglaise ! (Sourires.)

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Chevènement. En bref, et je conclurai sur ce point, l’intercommunalité doit être un moyen de revaloriser les communes, non de les dévaloriser.

Je dirai à présent quelques mots des départements, qui, selon moi, sont eux aussi des victimes désignées de la réforme.

Tout d’abord, le démantèlement partiel des départements au profit de onze métropoles – ne sont-elles pas un peu trop nombreuses, soit dit en passant ? – aboutira à l’apparition de départements croupions, réduits à leurs zones rurales.

M. René-Pierre Signé. C’est évident !

M. Jean-Pierre Chevènement. En réalité, les départements exercent des compétences de proximité, et il n’y a rien à gagner à tout chambouler !

Toutefois, qu’un tel projet ait pu germer dans les esprits me paraît révélateur de la volonté réelle qui sous-tend cette réforme : à défaut de pouvoir casser le département, il faudrait le réduire ! D’où le projet de faire élire ensemble conseillers régionaux et conseillers départementaux.

Certes, avec le mode de scrutin actuel, les conseillers régionaux semblent quelque peu « hors sol ». Tel est du moins mon jugement personnel ! Le remède proposé est la création d’un système de type « PLM » dans le cadre de circonscriptions infra-départementales.

Cependant, si l’on veut absolument faire élire ensemble les conseillers régionaux et les conseillers départementaux – je n’y suis pas résolument hostile ! –, pourquoi faut-il que ce soit dans des circonscriptions particulières découpées au sein de chaque département, et non dans le cadre des départements eux-mêmes, si ce n’est pour dévaloriser ceux-ci, en fonction du principe selon lequel il faut diviser pour régner ?

Au surplus, il me semble qu’en procédant à cette élection dans le cadre du département, on éviterait le « charcutage électoral », toujours nuisible à une réforme territoriale qui devrait privilégier le consensus, que nous souhaitons tous.

Selon moi, la région ne peut tout faire ! Elle n’est pas un échelon de proximité. Fût-ce en matière de développement économique, elle ne peut répondre aussi efficacement que le département ou les intercommunalités à la demande de développement endogène des entreprises, même si elle peut éventuellement favoriser leur croissance exogène.

Par exemple, il est bon que, pour la création de zones d’activités, la compétence économique reste partagée entre tous les niveaux de collectivités, y compris les départements, qui sont très utiles.

Enfin, les fonds européens ne doivent pas, me semble-t-il, être laissés à la disposition de la seule région, comme le propose la mission présidée par M. Claude Belot. Mes chers collègues, l’État, gardien de la cohésion nationale et de l’intérêt général, doit conserver, à côté de la région, un droit de regard sur l’affectation des fonds européens. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Il est parfois nécessaire de défendre l’État, car c’est aussi servir la collectivité nationale et l’intérêt du pays !

Je n’évoquerai pas les regroupements de régions ou de départements qui sont envisagés. Monsieur le secrétaire d'État, il s’agit là d’une boîte de Pandore, d’une évolution propice à toutes les dérives plus ou moins « ethnicistes » – je n’en donnerai aucun exemple –, que vous pourriez bien regretter un jour d’avoir engagée !

Nos concitoyens de Corse l’avaient bien compris lorsqu’ils avaient refusé par référendum, en 2003, la fusion des départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud. Mes chers collègues, ce précédent devrait vous inciter à réfléchir aux projets de fusion envisagés, concernant maintes régions et maints départements !

M. le président. Mon cher collègue, veuillez conclure. Il ne vous reste qu’une minute de temps de parole, corrigé des variations saisonnières ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Je conclus, monsieur le président.

Toutes les propositions du comité Balladur ne sont pas à rejeter, loin de là : l’achèvement de la carte de l’intercommunalité, la fin des « pays », la rationalisation des syndicats de communes, approuvés d'ailleurs par la mission Belot, constituent des mesures de bon sens.

Il en va de même, selon moi, du plafonnement des effectifs des exécutifs locaux, ou encore du projet d’un « Grand Paris » (M. Philippe Dallier applaudit), l’existence d’une « ville monde » représentant un atout pour la France.

Toutefois, la réforme gagnerait à être plus pragmatique et à s’insérer dans le modèle républicain français, au lieu de vouloir à toute force lui en substituer un autre. Elle y gagnerait, en particulier, la possibilité d’un consensus qui est la condition même de son succès ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste, de l’Union centriste et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Je voudrais tout d’abord, monsieur le président, remercier mes collègues Hervé Maurey et Philippe Adnot, qui ont accepté de me laisser parler avant eux. C’est qu’ils savent que je réside dans la France profonde et que cinq heures de train séparent la Haute-Loire de Paris. (Sourires.)

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, reconnaissons que la réforme qui nous est proposée est conforme à l’image de la forte personnalité de la Ve République qui préside ce comité.

Elle est empreinte de noblesse et de sagesse, de respect de l’existant. Oui, chers collègues, cette évolution républicaine aura indiscutablement, si elle reste en l’état, l’image d’une réforme respectueuse d’un existant institutionnel à prendre en compte, à ménager, si j’ose dire, à préserver, mais aussi à regarder avec sagesse et objectivité.

Reprenant des propos de l’ancien Président de la République François Mitterrand, je dirai qu’il y a toujours un avenir pour ceux qui pensent à l’avenir.

Certes, il y a des orientations, des priorités ; l’une d’elles concerne les compétences dévolues à chaque collectivité et vise à éviter une dilution des compétences du fait de leur partage à différents niveaux de l’organisation. Des propositions vont dans le sens d’une nécessaire amélioration, ce qui est très bien.

La France compte aujourd’hui plus de 36 700 communes, la moyenne européenne étant de 5 407. Si les communes, sur lesquelles je centrerai un propos aussi synthétique que possible, n’existaient pas, je crois qu’il faudrait les inventer car, comme vous le savez, elles sont l’incontournable structure de proximité voulue par les Français.

Cela étant, leur pérennité est liée à une raison d’être. Un maire, et je parle ici sous le contrôle de tous nos collègues qui sont les premiers magistrats de leur commune, ne doit pas être réduit au rôle d’officier d’état civil, de président d’association ou de policier ; il est l’incarnation même du lien social, il est incontournable.

Plus que jamais, il doit, par sa compétence, sa tolérance, son écoute, être un rassembleur. Aujourd’hui, il ne doit pas seulement être un bâtisseur d’équipements, il doit aussi être un élu social. Il doit conduire une équipe qui apporte à la commune une réponse à ses aspirations d’aujourd’hui. Aucune autre structure n’identifiera mieux l’homme à son lieu de vie que la commune.

Une commune doit donc rester une commune.

Qui mieux qu’un maire connaît les moindres recoins de sa commune ? Qui bénéficie d’une vraie vision d’ensemble, si ce n’est le maire ? Voulons-nous, demain, fonctionnariser encore plus la relation entre les collectivités et les usagers, les territoires et les citoyens ?

Dans son soutien, l’État doit aussi tenir compte de l’espace à gérer, car même les plus petites communes de la France profonde ont des kilomètres de voies communales, de chemins ruraux, de fossés, sans parler des lieux de vie à équiper.

Les communes sont et doivent rester un service public incontournable. Venant de l’une de ces petites communes de la France profonde, je peux affirmer que, dans certaines zones, elles seront le dernier bastion au service des concitoyens.

Oui, comprenons la France d’en bas, car elle est nécessaire à la France tout court.

Les dernières étapes de la décentralisation ont confié aux départements des compétences nouvelles : ils doivent les garder, avec des moyens appropriés. Il ne faut pas qu’ils soient victimes des décisions d’en haut, car nous savons qu’il est plus facile d’être prescripteur que payeur.

Pour l’ensemble de cette pyramide, n’oublions pas, monsieur le secrétaire d’État, que la simplification doit être notre mot d’ordre. En tant qu’élu du département du Cantal, vous en êtes, je le sais, convaincu. (M. le secrétaire d’État opine.)

Malgré la volonté exprimée depuis des années, les résultats sont difficiles à obtenir.

Reconnaissons que le « millefeuille administratif » existe toujours et que la réalisation des projets impose un vrai parcours du combattant, aux obstacles successifs et parfois désespérants.

En conclusion, afin que la décentralisation soit cohérente, complémentaire, efficace, il faut que les représentants de l’État dans les départements aient aussi le pouvoir d’adapter les réformes dans un souci de réalisme.

Cette complémentarité me semble indispensable.

Il me semble également que ce projet doit être rassembleur, car, si les majorités changent, mes chers collègues, la France…

M. François Patriat. … demeure !

M. Jean Boyer. … continue.

Au moment d’achever mon propos, je songe à un autre Président de la République, le plus glorieux des Français, qui déclarait en 1961 : « Il ne faut jamais regarder l’avenir avec les yeux du passé. » Ensemble, regardons la France de demain ! (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.

M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, faut-il réformer l’organisation territoriale de la France ? Oui, dans une certaine mesure, car tout ne va pas parfaitement bien. Y a-t-il urgence à le faire ? Sûrement pas, et ce pour deux raisons.

Plongée dans la crise financière, économique et désormais surtout sociale, la France doit avoir une seule priorité : lutter contre la crise et faire en sorte que les dégâts sociaux soient le moins graves possible. Pour cela, toutes les solutions doivent être trouvées, y compris les moins orthodoxes.

C’est là ce que les Français attendent de la politique. S’il doit y avoir innovation, dynamisme et inventivité, c’est d’abord dans ce domaine. Voilà pour la première raison.

La seconde raison vient de ce que le système mis en place par la gauche sous l’impulsion de François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre a fait la preuve de son efficacité, j’y insiste, car telle était la motivation première de Gaston Defferre constatant que la France centralisée était menacée d’apoplexie par l’hypertrophie parisienne.

Efficacité, donc. Et qui dirait aujourd'hui, même parmi ceux qui se sont opposés, quelquefois violemment, à cette réforme majeure, que ce ne fut pas une réussite ? Chaque fois que l’État a confié une mission aux collectivités territoriales, que ce soit aux départements ou aux régions, elles l’ont exercée mieux, et souvent beaucoup mieux qu’il ne le faisait lui-même, et souvent à un coût bien inférieur, n’en déplaise à ceux qui désormais, et sans preuve aucune, se complaisent à dénoncer une prétendue gabegie.

Efficacité et, si possible, mais seulement si possible, lisibilité accrue. Seulement si possible, parce que ce qu’attendent nos concitoyens, c’est un service bien fait.

M. Dominique Braye. Absolument !

M. Jean-Claude Peyronnet. Si leurs ordures sont ramassées, et ce à un coût raisonnable, ils ne cherchent pas à savoir par quel meccano complexe la collecte est effectuée. Elle peut l’être, par exemple, par un syndicat départemental, qui les incinère dans une usine financée par la ville-centre avec le concours du conseil général, les déchets ultimes étant enfouis dans une décharge contrôlée et financée par le département et, éventuellement, l’Europe.

L’important est que cela marche.

Certes, le citoyen peut heureusement demander des comptes et souhaiter qu’on lui démonte ledit meccano, notamment du point de vue financier. C’est bien sûr toujours possible, mais, je le répète, c’est la qualité du service qui prime.

Cela marche généralement si bien que la majorité des Français trouvent cela parfaitement naturel. Autrement dit, nous ne sommes pas à Naples !

Quant aux compétences de l’État transférées – action sociale, lycées et collèges, culture et sport, routes, transports, notamment ferrés, urbanisme, et j’en passe –, qui prétendrait actuellement que l’État ferait mieux et que, globalement, les missions ne sont pas bien assurées?

Alors, de grâce, ne cassons pas un tel outil !

La réforme pour le plaisir de réformer n’a pas de sens, à moins que des arrière-pensées politiques ne président à cette volonté. Le Président de la République en avait bien une : celle de modifier le système avant 2011 pour en tirer un bénéfice électoral.

M. Dominique Braye. Non… pas ça !

M. Jean-Claude Peyronnet. Sagement – mais pouvait-il faire autrement, sachant que la moitié des conseillers généraux sont élus pour un mandat ne prenant fin qu’en 2014 ?–, le comité Balladur a précisément renvoyé la réforme essentielle à 2014, ce qui est proche, mais laisse largement le temps de la réflexion.

C’est ce que la mission mise en place par le Président du Sénat a décidé de faire : donner du temps au temps et, contrairement au comité Balladur, que la lettre de mission avait enfermé dans un calendrier contraint, examiner sereinement, après de très larges auditions, les conditions d’une éventuelle adaptation de notre organisation territoriale en avançant autant que possible vers le consensus.

Nous en approchons, malgré la précipitation résultant de la commande élyséenne initiale, mais il reste des points de divergence majeurs, comme cette affaire de l’absorption-fusion des départements et des régions au terme d’un système électoral confus que je trouve, pour ma part, inadapté et dangereux.

M. Jean-Claude Peyronnet. On supprime le scrutin uninominal pour les conseils généraux, alors que je le considère comme consubstantiel à leur mission de proximité. On « cantonalise » le scrutin régional, alors que, du fait de ses missions, la région doit au contraire s’éloigner des contingences trop triviales pour définir de grands objectifs, des orientations, programmer à long terme, établir des prévisions et des schémas prospectifs.

Enfin, il résulterait de ce nouveau système que le seul élu au scrutin direct uninominal serait le député, qui se trouverait fâcheusement en compétition de coupage de ruban et de repas du troisième âge avec sept ou dix conseillers territoriaux derrière lesquels il ne manquerait pas de s’épuiser à courir ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Si c’est tout ce que l’on a trouvé pour assurer la présence de députés à Paris dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, c’est raté !

En fait, le comité Balladur, malgré la qualité indiscutable de son président, a produit un rapport - il nous faut bien en parler - entaché d’un vague parisianisme qui n’est que l’avatar d’une pensée toute faite et d’un manque d’expérience de terrain l’éloignant des réalités. Or que sont les réalités sinon le poids de l’histoire et de la géographie ?

On connaît bien sûr par cœur le processus historique qui a conduit très tôt à l’État centralisé que nous avons connu. Des Capétiens à Napoléon, tous les pouvoirs centraux ont poursuivi la même fin. Que le préfet et, surtout, l’instituteur prêchent pendant quarante ans l’unité guerrière et le massacre de 1914 parachève dans le sang l’épanouissement d’un nationalisme qui prétend faire que les Français pensent tous uniformément, et qui y réussit presque. Certes, bien des nuances existent encore dans cette unité apparente, mais les différences culturelles interrégionales n’ont tout de même rien à voir avec les réelles divergences qui, dans les autres pays, opposent les Catalans aux Basques et aux Sévillans, ou encore les Lombards aux Calabrais, pour ne prendre que ces seuls exemples.

De ces histoires divergentes, il est ressorti des structures territoriales très différentes.

Nos régions sont pour la plupart artificielles. Celles de nos voisins, qui furent des principautés, des républiques et des monarchies, ont une identité réelle et profonde, assise sur la culture et sur une unité économique véritable. Toutes – Turin, Milan, Munich et tant d’autres que je ne citerai pas – ont un passé de capitale, de centre administratif et politique assumé pendant des siècles, de centre économique régional au cœur d’un réseau de villes dense, de centre de rayonnement intellectuel international.

Négliger ces réalités aboutit à de petits crimes contre l’Histoire, qui ne seraient pas graves s’ils n’avaient pour résultat le colportage d’idées trop simples, et donc fausses.

Première idée fausse, la taille ferait la puissance. Décomptant les Lombards, on projette le regroupement de régions françaises pour qu’elles atteignent une prétendue taille critique de trois ou quatre millions d’habitants, mais ce regroupement ne change rien à l’immense espace à gérer, à l’absence de réseau urbain, à l’éclatement de la vie économique et, surtout, au poids toujours prégnant de la capitale parisienne, dont – j’attire votre attention sur ce point – le TGV, puissant outil de centralisation, accentue encore la puissance.

La deuxième idée fausse, ou trop simple, est celle des vertus du statut. Ainsi, il suffirait d’une réforme administrative créant des métropoles à statut particulier pour que, tout à coup, la dignité qui leur serait offerte par le plein exercice leur donne puissance et rayonnement. Cependant, la puissance, c’est d’abord l’économie, et donc l’attractivité, liée elle-même à la puissance financière et au nombre de sièges sociaux de grandes sociétés.

Il est vrai qu’il existe quatre, cinq ou six grandes métropoles en France, comme le disait tout à l’heure M. Mercier. Je suis tout à fait d’accord pour le reconnaître, mais en quoi leur donner la compétence d’action sociale et de sécurité civile va-t-elle les renforcer dans la compétition européenne ? Ce qu’il leur faut, c’est une réelle marge de manœuvre, des moyens puissants en matière économique et une grande liberté d’action dans tous les domaines, y compris dans ceux éventuellement délégués – mais non pas transférés - par convention ou contrat volontaire passé avec la collectivité départementale ou régionale.

J’ai d’ailleurs noté que, plutôt que d’imposer, M. Balladur semblait, lors de son audition, s’orienter désormais vers la solution du contrat négocié.

Troisième idée fausse, la suppression d’un niveau - ou de deux niveaux - serait gage de plus d’efficacité et d’économies.

Outre qu’il ne faut pas trop jouer avec le sentiment anti-élu de nos concitoyens – je parle du nombre d’élus, éventuellement de leurs indemnités et des économies qui pourraient être réalisées –, on peut « tordre le cou » rapidement à cette dernière idée en observant que la réduction du nombre d’élus territoriaux proposée par le comité Balladur – 2 000 de moins par rapport au nombre actuel de conseillers généraux et régionaux – aboutirait à une économie de l’ordre de 30 millions d’euros, soit 0,03 % des 91 milliards d’euros de dépenses des deux catégories de collectivités concernées…

Quant au prétendu « millefeuille », il se retrouve partout en Europe, et le comité Balladur ajoute même une feuille avec les métropoles, qui, si elles devaient exercer des compétences, exerceraient toutes celles des conseils généraux.

Belle simplification, en effet !

Au demeurant, je prétends que cette construction aboutirait à une France paralysée et à une pagaille généralisée.

De quoi s’agit-il ? Le comité Balladur a bien identifié le réel problème, qui tient au nombre très élevé de communes. Après l’hommage rituel rendu aux vertus des élus locaux, et au lieu de chercher à faire que cette situation constitue une chance, nos grands sages s’orientent vers une suppression de l’échelon communal.